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Document 62017CC0378

Conclusions de l'avocat général M. N. Wahl, présentées le 11 septembre 2018.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:698

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 11 septembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑378/17

The Minister for Justice and Equality,

The Commissioner of An Garda Síochána

contre

The Workplace Relations Commission

en présence de

Ronald Boyle,

Brian Fitzpatrick,

Gerard Cotter

[demande de décision préjudicielle formée par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande)]

« Renvoi préjudiciel – Règle répartissant la compétence pour examiner des affaires spécifiques entre deux organes en fonction de la nature du grief formulé – Plaintes pour discrimination en matière d’emploi – Compétence limitée d’un organe établi par la loi – Absence de compétence pour traiter les affaires dans lesquelles la législation nationale en conflit avec le droit de l’Union doit rester inappliquée – Primauté du droit de l’Union – Pleine efficacité – Autonomie procédurale des États membres – Équivalence et effectivité »

1. 

Quelles sont les limites de l’autonomie procédurale des États membres ? Ou, plus précisément, dans quelle mesure le principe de primauté du droit de l’Union limite-t-il la possibilité laissée aux États membres d’appliquer des règles (constitutionnelles) d’attribution de compétence dans un domaine particulier du droit ? Telle est, en substance, la question que la Supreme Court of Ireland (Cour suprême d’Irlande) pose à la Cour dans la présente affaire.

2. 

La question porte plus concrètement sur la conformité au principe de primauté du droit de l’Union d’une règle qui divise la compétence pour examiner des affaires spécifiques entre la High Court (Haute Cour, Irlande) et un organe établi par la loi, la Workplace Relations Commission (commission des relations professionnelles ; ci‑après la « CRP »).

3. 

La nature du grief formulé détermine l’organe compétent pour traiter l’affaire. Alors que la CRP est généralement compétente pour connaître des recours portant sur l’égalité en matière d’emploi sur la base de la directive 2000/78/CE ( 2 ) et de la législation nationale transposant cette directive, elle n’a pas la compétence pour examiner les affaires qui, s’il est fait droit aux recours, impliquent de laisser inappliquée une norme de droit national primaire ou dérivé. En raison de cette règle, la CRP n’est pas compétente pour examiner si une disposition du droit national est contraire au droit de l’Union relatif à l’égalité en matière d’emploi. La compétence pour connaître des recours en matière de discrimination dans les affaires qui requièrent de ne pas appliquer le droit national revient à la High Court (Haute Cour).

4. 

La question qui est soumise à la Cour dans la présente affaire nécessite de prendre en compte la logique qui sous-tend le courant jurisprudentiel issu de l’arrêt de principe rendu par la Cour dans l’affaire Simmenthal ( 3 ). Elle invite la Cour à examiner si le principe constitutionnel de primauté et, par extension, la pleine effectivité du droit de l’Union exigent qu’un organe tel que la CRP soit compétent pour examiner les affaires susceptibles d’impliquer la non-application du droit national, même s’il existe une autre voie de recours qui, selon les conclusions de la juridiction de renvoi, respecte les principes d’équivalence et d’effectivité.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

5.

La directive 2000/78 établit des règles relatives à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Conformément à son article 1er, elle vise à lutter contre la discrimination et à mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

6.

L’article 3 définit le champ d’application de cette directive. Il dispose :

« 1.   Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

a)

les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion ;

[…] »

7.

Le chapitre II de la directive 2000/78 est consacré aux voies de recours et à l’application du droit. L’article 9, paragraphe 1, de cette directive concerne la défense des droits. Il dispose :

« Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non‑respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées. »

B.   Le droit irlandais

1. La Constitution

8.

Selon l’article 34 du Bunreacht na hÉireann (Constitution irlandaise) (ci‑après la « Constitution ») :

« 1.

La justice est rendue au sein de juridictions établies par la loi, par des juges nommés conformément à la présente Constitution, et, sauf dans les cas spéciaux et limités prévus par la loi, elle est rendue publiquement.

2.

Les juridictions comprennent :

i

des tribunaux de première instance ;

ii

une cour d’appel ; et

iii

une cour d’appel en dernier ressort.

3.

1o Les tribunaux de première instance comprennent une Haute Cour investie d’une compétence de pleine juridiction au premier degré et du pouvoir de trancher toutes matières ou questions de droit ou de fait, au civil ou au pénal.

2o Sauf disposition contraire du présent article, la compétence de la Haute Cour s’étend à la question de la validité de toute loi au regard des dispositions de la présente Constitution, et aucune question de ce type ne peut être soulevée (par des conclusions, un moyen ou autrement) devant une juridiction établie par le présent article ou un autre article de la présente Constitution autre que la Haute Cour, la Cour d’appel ou la Cour suprême. »

9.

L’article 37, paragraphe 1, de la Constitution est rédigé comme suit :

« Rien dans la présente Constitution ne permet d’interdire l’exercice de fonctions et de pouvoirs limités de nature judiciaire, dans des matières autres que les affaires pénales, par toute personne ou organe dûment autorisé par la loi à exercer ces fonctions et pouvoirs, même si ladite personne ou ledit organe n’est pas un magistrat ou une juridiction désigné ou établi comme tel en vertu de la présente Constitution. »

2. La législation pertinente en matière d’emploi

10.

En Irlande, l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge est énoncée dans les Employment Equality Acts (lois sur l’égalité en matière d’emploi) ( 4 ).

11.

La CRP [auparavant l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité, Irlande)] est l’organe quasi judiciaire institué pour instruire, examiner et statuer sur les plaintes en matière de discrimination ( 5 ). En application des dispositions pertinentes des lois sur l’égalité en matière d’emploi, la CRP peut ordonner l’indemnisation sous forme d’arriérés de rémunération, ordonner l’égalité de rémunération, ordonner l’indemnisation pour discrimination, ordonner l’égalité de traitement, adopter une ordonnance portant injonction, ou ordonner à un employeur d’engager de nouveau un plaignant, avec ou sans indemnisation.

12.

Conformément aux Garda Síochána regulations (décrets Garda Síochána) ( 6 ), une personne ne peut pas être admise à la formation pour devenir agent de la police nationale si elle n’a pas au moins 18 ans et au plus 35 ans le premier jour du mois au cours duquel un avis de vacance de l’emploi correspondant a été publié pour la première fois dans un journal national.

II. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

13.

Entre 2005 et 2007, messieurs Ronald Boyle, Brian Fitzpatrick et Gerard Cotter (ci-après les « parties intervenantes ») se sont portés candidats à la formation pour devenir membres de la Garda Síochána (forces de police nationale, Irlande). Leurs candidatures ont été rejetées au motif que les décrets Garda Síochána fixent l’âge maximal d’admission à la formation à 35 ans (ci-après la « mesure de restriction fondée sur l’âge »).

14.

Les parties intervenantes ont formé des recours contre ces refus sur la base des lois sur l’égalité en matière d’emploi devant (ce qui était alors) l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité). Elles ont soutenu que cette mesure de restriction fondée sur l’âge entraîne un traitement discriminatoire en matière d’emploi en fonction de l’âge.

15.

Contrairement à ce que suggère sa dénomination, l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) n’était pas une juridiction mais un organe établi par la loi. Jusqu’en 2015, cet organe était compétent pour examiner les recours portant sur l’égalité en matière d’emploi. Ses compétences ont ensuite été transférées à la CRP.

16.

Selon la juridiction de renvoi, l’article 34, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la Constitution réserve aux juridictions la compétence de laisser la législation nationale inappliquée. Par conséquent, en leur qualité d’organes établis par la loi, l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) et la CRP, qui lui a succédé, ne sont pas compétents pour examiner les affaires dans lesquelles un recours effectif exigerait la non-application d’une règle nationale en vertu du droit national ou de l’Union.

17.

Au cours de la procédure devant l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité), le Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité, Irlande) (ci-après le « ministre ») a soulevé la question de la compétence. Parce que les parties intervenantes considéraient que la mesure de restriction fondée sur l’âge était contraire à la directive 2000/78 et aux lois sur l’égalité en matière d’emploi qui ont transposé cette directive, leurs recours revenaient à demander la non-application de cette mesure de droit national. Invoquant l’incompétence de l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) pour laisser une législation nationale inappliquée, le ministre a demandé à cet organe d’examiner la question de compétence à titre préjudiciel, avant de traiter le fond de l’affaire.

18.

L’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) a refusé de le faire. Il a organisé, le 11 juin 2008, une audience durant laquelle tant la question de compétence que les questions de fond relatives à la discrimination fondée sur l’âge devaient être examinées.

19.

Face au refus de l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) d’examiner la question de compétence à titre préjudiciel, le ministre a saisi la High Court (Haute Cour).

20.

Le ministre a tout d’abord demandé à la High Court (Haute Cour) d’interdire à l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) de poursuivre l’examen des recours des parties intervenantes. Il lui a ensuite demandé de déclarer cet organe incompétent pour traiter les recours.

21.

Le 17 février 2009, la High Court (Haute Cour) a jugé qu’en vertu du droit national, l’Equality Tribunal n’avait pas le pouvoir d’organiser une audience qui reconnaissait implicitement sa compétence pour écarter ou laisser inappliquée une disposition de droit national telle que la mesure de restriction fondée sur l’âge.

22.

L’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Supreme Court (Cour suprême). Lorsque cette juridiction a commencé à examiner le pourvoi, l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) était devenu la CRP.

23.

La Supreme Court (Cour suprême) a rendu le 15 juin 2017 une décision (ci‑après la « décision du 15 juin 2017 ») ( 7 ) par laquelle elle a confirmé la conclusion de la High Court (Haute Cour) selon laquelle la CRP n’est pas compétente pour décider de ne pas appliquer le droit national. Elle a toutefois ajouté que les affaires qui relèveraient normalement de la compétence de la CRP mais dans lesquelles cet organe administratif pourrait être tenu, en vertu du droit national ou du droit de l’Union, de ne pas appliquer une législation nationale doivent être portées devant la High Court (Haute Cour).

24.

Éprouvant des doutes sur la compatibilité avec le droit de l’Union de cette division de la compétence entre un organe établi par la loi et une juridiction, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de déférer à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Lorsque

a)

un organe national est établi par la loi et a une compétence générale pour, entre autre, garantir l’application du droit de l’Union dans un domaine particulier ;

b)

le droit national voudrait que cet organe ne soit pas compétent pour une catégorie restreinte de cas dans lesquels un recours effectif exigerait la non-application d’une règle nationale en vertu du droit national ou de l’Union ; et que

c)

des juridictions nationales appropriées seraient compétentes pour prendre toute décision appropriée de non-application du droit national requise pour garantir le respect de la règle du droit de l’Union en cause, seraient compétentes pour traiter des affaires dans lesquelles un tel recours est nécessaire, seraient compétentes, dans ces affaires, pour prononcer toute mesure requise par le droit de l’Union et jugée conforme aux principes d’équivalence et d’effectivité dans la jurisprudence de l’Union,

l’organe établi par la loi doit-il toutefois être considéré comme étant compétent pour examiner un recours dirigé contre une règle de droit national à laquelle il est fait grief de violer le droit de l’Union pertinent et, s’il fait droit à ce recours, doit‑il ne pas appliquer cette règle nationale bien que le droit national attribue compétence à une juridiction établie en vertu de la Constitution, et non à l’organe en question, dans toutes les affaires dans lesquelles la validité d’une règle est contestée pour quelque motif que ce soit ou dans lesquelles la non-application d’une règle est demandée ? »

25.

Le ministre et le commissaire de l’An Garda Síochána (police nationale, Irlande), l’Irlande, la CRP, les première et troisième parties intervenantes, le gouvernement tchèque et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. À l’exception du gouvernement tchèque, ces parties ont également présenté des observations orales lors de l’audience tenue le 5 juin 2018.

III. Analyse

26.

Avant d’examiner la question déférée, je commencerai par me pencher brièvement sur la question de recevabilité soulevée par le gouvernement tchèque.

A.   Sur la recevabilité

27.

Dans ses observations écrites, le gouvernement tchèque soutient que la demande de décision préjudicielle devrait être déclarée irrecevable. Selon lui, la juridiction de renvoi n’a pas précisé les dispositions de la directive 2000/78 avec lesquelles la législation nationale en cause serait en conflit : au contraire, le libellé de la question préjudicielle est tellement général qu’il ne présente aucun lien avec la directive ou d’autres dispositions du droit de l’Union.

28.

C’est en effet exact. Mais cela ne signifie pas que la demande est irrecevable.

29.

La Cour ne refuse de répondre à une question qui lui est déférée que lorsque l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 8 ).

30.

En l’espèce, il ressort clairement de l’ordonnance de renvoi que la question posée ne porte pas sur la compatibilité de la mesure de restriction fondée sur l’âge (ou de la règle de compétence en cause) avec des dispositions particulières de la directive 2000/78. Il est plutôt demandé à la Cour de clarifier une question de principe qui va bien au‑delà des dispositions de la directive. Comme je l’ai déjà indiqué, elle porte sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une règle (constitutionnelle) qui divise la compétence entre un organe établi par la loi, la CRP, et la High Court (Haute Cour) dans des affaires spécifiques, en fonction de la nature du grief invoqué.

31.

En outre, l’ordonnance de renvoi expose les éléments de fait et de droit nécessaires à la Cour pour répondre de façon utile à la question qui lui est posée. Elle présente également de manière claire les raisons pour lesquelles le problème n’est ni hypothétique ni sans rapport avec la réalité du litige au principal.

32.

La demande de décision préjudicielle doit dès lors être déclarée recevable.

B.   Sur le fond

33.

Lorsqu’elle a examiné si la CRP est compétente pour connaître des affaires dans lesquelles faire droit au recours exigerait de ne pas appliquer une règle nationale en vertu du droit national ou de l’Union, la juridiction de renvoi a considéré que, conformément au droit constitutionnel irlandais, le pouvoir de ne pas appliquer ou d’écarter une disposition du droit primaire ou dérivé est en principe réservé aux juridictions ordinaires.

34.

En effet, à moins que le droit de l’Union n’en dispose autrement, les règles de compétence doivent être interprétées à la lumière de l’exigence fondamentale, énoncée à l’article 34 de la Constitution, que la justice soit rendue par des tribunaux établis selon les modalités prévues par cette même Constitution.

35.

À cet égard, la juridiction de renvoi a également relevé que l’article 37, paragraphe 1, de la Constitution permet, à titre exceptionnel, qu’une loi autorise une personne ou un organe à exercer des « pouvoirs et […] fonctions limités de nature judiciaire » dans des matières autres que les affaires pénales. En vertu du droit irlandais, une loi peut donc conférer des pouvoirs de nature judiciaire à un organe établi par la loi, pour autant que ces pouvoirs soient limités.

36.

La CRP est un organe établi par la loi qui exerce des fonctions juridictionnelles limitées. Conformément aux lois sur l’égalité en matière d’emploi, les plaignants doivent s’adresser à la CRP afin qu’elle examine, en première instance, les plaintes portant sur une discrimination en matière d’emploi ( 9 ). Plus précisément, la CRP traite les plaintes portant sur la violation (par les employeurs et fournisseurs de services) de la législation en matière d’emploi, d’égalité et d’égalité de traitement ainsi que les litiges concernant les droits qui en découlent. Lorsque la CRP est saisie d’une plainte, son directeur général commence par examiner si l’affaire peut être transmise à un « mediation officer » (agent de médiation) et faire l’objet d’une médiation entre les parties concernées. Si tel n’est pas le cas, le directeur général transmet le dossier à un « adjudication officer » (agent d’arbitrage) qui tranchera le litige ( 10 ).

37.

Dans la décision du 15 juin 2017, la juridiction de renvoi conclut, en ce qui concerne la question de compétence qui lui est soumise, qu’en vertu du droit national, la CRP n’est pas compétente pour laisser une règle de droit national inappliquée. En effet, aucune loi ne lui a conféré ce pouvoir. La juridiction de renvoi considère également que ce pouvoir ne saurait être conféré de manière implicite.

38.

Elle conclut dès lors qu’à la lumière des exigences constitutionnelles de l’ordre juridique irlandais, en principe, les affaires qui requièrent de ne pas appliquer une disposition de droit national ne relèvent pas de la compétence de la CRP. Au lieu de s’adresser à la CRP, les plaignants doivent directement former un recours devant la High Court (Haute Cour) qui a compétence pour examiner ces affaires.

39.

La répartition de la compétence entre la CRP et la High Court (Haute Cour) est fondée sur la solution éventuellement nécessaire pour mettre fin à la discrimination alléguée. Plus précisément, la CRP n’est pas compétente pour examiner un recours lorsque l’affaire implique (s’il est fait droit au recours) de ne pas appliquer une disposition de droit national primaire ou dérivé.

40.

La High Court (Haute Cour) dispose de la compétence exclusive pour connaître de telles affaires. Dès lors, des plaignants, tels que les parties intervenantes, qui s’estiment lésés par un acte législatif (ou dont le recours pourrait impliquer de ne pas appliquer une loi nationale), doivent entamer une « procédure de contrôle juridictionnel » devant la High Court (Haute Cour) afin d’obtenir la non-application d’une disposition de droit national réputée contraire à une norme supérieure (en l’espèce, la directive 2000/78).

41.

Mais cette division de la compétence entre la CRP et la High Court est-elle conforme au droit de l’Union ?

42.

Cette question, qui est posée à la Cour à titre préjudiciel, touche clairement aux limites de l’autonomie procédurale des États membres. Elle requiert toutefois d’examiner tout d’abord le principe constitutionnel de primauté du droit de l’Union et l’obligation, qui en fait partie intégrante, qui est faite à tous les organes de l’État membre d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union dans le cadre de leurs compétences respectives.

43.

Avant d’aborder ces sujets, il convient de souligner d’emblée que la question, telle que posée, ne demande pas explicitement à la Cour d’interpréter le principe de l’autonomie procédurale ni les principes corollaires d’équivalence et d’effectivité. Au contraire, la juridiction de renvoi indique qu’elle a déjà conclu, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, que la règle de compétence respecte ces principes. La Supreme Court of Ireland (Cour suprême d’Irlande) demande en substance à la Cour de préciser si, en dépit du respect de ces principes, la règle de compétence est contraire au droit de l’Union.

44.

Compte tenu de la répartition des tâches entre la Cour et les juridictions nationales dans le cadre de la procédure préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, il me semble que c’est (avant tout) dans ce contexte qu’il convient d’examiner la question posée.

1. L’interaction entre le principe de primauté et l’autonomie procédurale des États membres

45.

Il est certes possible que la distinction entre l’acte consistant à laisser une disposition inappliquée et celui d’annuler une disposition apparaisse parfois comme purement théorique. Il se peut également que, du point de vue d’un régime juridique national particulier, aucune réelle différence ne puisse être établie entre les deux ( 11 ). Néanmoins, en droit de l’Union, la distinction entre l’obligation de ne pas appliquer une disposition de droit national (parce qu’elle est en conflit avec le droit de l’Union) dans un cas particulier et l’obligation d’annuler une telle disposition qui a pour effet, plus large, de priver cette disposition de toute validité (ex tunc ou ex nunc) est importante.

46.

La jurisprudence issue de l’arrêt Simmenthal qui établit le principe constitutionnel de primauté et qui souligne le rôle que jouent les juridictions et les autorités administratives en assurant le plein effet du droit de l’Union, s’appuie sur cette distinction ( 12 ). Cette dernière repose sur l’architecture décentralisée du système juridique de l’Union qui laisse à chaque État membre le soin de définir les procédures appropriées pour demander réparation de la violation de droits tirés du droit de l’Union et, plus important encore, de définir les institutions investies de la compétence d’annuler (ou d’invalider) des dispositions législatives.

a) La nécessité d’assurer le plein effet du droit de l’Union : l’obligation faite à tous les organes de l’État de laisser inappliquées les dispositions nationales en conflit avec le droit de l’Union

47.

La jurisprudence issue de l’arrêt Simmenthal ( 13 ) porte sur la non-application de la législation ou, plus précisément, sur l’obligation pour les organes de l’État de laisser inappliquées les dispositions de droit national qui sont en conflit avec le droit de l’Union, un corollaire inévitable de la doctrine constitutionnelle de l’effet direct établie dans l’arrêt van Gend & Loos ( 14 ). Outre le fait qu’elle a posé le fondement d’un réseau de juridictions de l’Union, dans l’arrêt Simmenthal, la Cour a fait la désormais célèbre constatation suivante :

« 21.

[…] tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l’obligation d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire ;

22.

que serait, dès lors, incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes communautaires ;

23.

que tel serait le cas si, dans l’hypothèse d’une contrariété entre une disposition du droit communautaire et une loi nationale postérieure, la solution de ce conflit était réservée à une autorité autre que le juge appelé à assurer l’application du droit communautaire, investie d’un pouvoir d’appréciation propre, même si l’obstacle résultant ainsi pour la pleine efficacité de ce droit n’était que temporaire ;

24.

[…] donc […] le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel» ( 15 ).

48.

En d’autres termes, l’arrêt Simmenthal portait (entre autres questions d’une importance constitutionnelle fondamentale) sur les pouvoirs d’une juridiction inférieure de ne pas appliquer une disposition du droit national contraire au droit de l’Union sans attendre qu’une juridiction supérieure écarte cette disposition ( 16 ).

49.

La jurisprudence ultérieure de la Cour a toutefois précisé que cette obligation pèse également sur d’autres organes de l’État, notamment sur les autorités administratives. Dans l’arrêt Costanzo ( 17 ), la Cour a considéré que tout comme les juges nationaux, les administrations ont l’obligation d’appliquer les dispositions d’une directive ayant un effet direct. La Cour a jugé que lorsque les conditions requises pour que les dispositions d’une directive puissent être invoquées par les particuliers devant les juridictions nationales sont remplies, tous les organes de l’administration, y compris les communes, sont tenus de faire application de ces dispositions et d’écarter l’application des dispositions du droit national qui n’y sont pas conformes ( 18 ).

50.

L’arrêt CIF ( 19 ) portait, entre autres, sur la compétence (contestée) de l’autorité italienne de la concurrence de ne pas appliquer une législation nationale qui imposait ou favorisait un comportement contraire à l’article 81, paragraphe 1, CE (devenu l’article 101, paragraphe 1, TFUE). Les entreprises qui avaient fait l’objet d’une enquête soutenaient que l’autorité avait l’obligation d’appliquer cette législation nationale et qu’elle ne pouvait pas la laisser inappliquée. L’autorité de la concurrence elle-même faisait valoir que le pouvoir de constater que cette législation était contraire au droit de l’Union découlait des principes de l’effet direct et de la primauté du droit de l’Union.

51.

C’est dans ce contexte que la Cour a réaffirmé que le devoir de laisser inappliquée une législation nationale contraire au droit de l’Union incombe à tous les organes de l’État, en ce compris les autorités administratives. Ce devoir implique, le cas échéant, l’obligation de prendre toutes dispositions pour faciliter la réalisation du plein effet du droit de l’Union ( 20 ).

52.

La Cour a ensuite souligné qu’une autorité nationale de la concurrence est investie de la mission de veiller au respect de l’article 81 CE. Cette disposition, combinée avec l’article 10 CE (devenu l’article 4, paragraphe 3, TUE) impose aux États membres de s’abstenir d’adopter des mesures contraires aux règles de l’Union en matière de concurrence. L’effet utile de ces règles de l’Union serait amoindri si l’autorité nationale de la concurrence ne pouvait pas constater qu’une mesure nationale est contraire aux dispositions de l’article 81 CE (et de l’article 10 CE) et si, en conséquence, elle ne la laissait pas inappliquée ( 21 ).

53.

La jurisprudence mentionnée ci-dessus indique clairement qu’il est indifférent que le système juridique national accorde à l’organe de l’État concerné le pouvoir de ne pas appliquer une disposition de droit national contraire au droit de l’Union. Quoi qu’il en soit, cet organe est tenu de le faire lorsque cela s’avère nécessaire pour donner plein effet au droit de l’Union.

54.

Il faut toutefois souligner que, conformément au dispositif de l’arrêt Simmenthal, cette obligation n’existe que lorsque l’organe en question agit dans le cadre de sa compétence (dans le cadre du droit national) ( 22 ).

55.

En ce qui concerne plus particulièrement les juridictions nationales, la Cour a indiqué explicitement que l’obligation de laisser la législation nationale inappliquée est limitée par la compétence conférée à la juridiction à laquelle il est demandé d’appliquer des dispositions du droit de l’Union. Cette affirmation suggère, d’une part, que la Cour est attentive à la liberté que devraient conserver les États membres pour définir, dans le respect de leurs traditions constitutionnelles, leur structure juridictionnelle et administrative. D’autre part, elle traduit un respect des divers systèmes constitutionnels qui, ensemble, constituent le fondement du système juridique de l’Union.

56.

En définitive, cette jurisprudence vise donc à garantir qu’un organe d’un État membre, qui agit dans le cadre de la structure juridictionnelle et/ou administrative de cet État, puisse protéger adéquatement les droits qu’un individu tire du droit de l’Union et ainsi assurer le plein effet du droit de l’Union.

b) L’obligation d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union dans les limites de la compétence conférée à l’organe concerné

57.

La CRP est l’organe auquel le législateur irlandais a confié la mission spécifique d’assurer le respect des obligations qui découlent de la directive 2000/78, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de cette directive. Elle est d’ordinaire compétente pour connaître des recours portant sur la discrimination en matière d’emploi.

58.

Il pourrait dès lors être soutenu que le principe de primauté, énoncé par la Cour, d’une manière alors novatrice, dans l’arrêt Simmenthal, implique que la CRP doit pouvoir laisser inappliquées les dispositions d’une loi nationale qui lui semblent contraires à la directive 2000/78 (en l’espèce, la mesure de restriction fondée sur l’âge). C’est en substance ce que soutiennent la CRP, les première et troisième parties intervenantes et la Commission.

59.

Cette approche présente un certain attrait. Pourtant, je ne suis pas persuadé qu’il faille la suivre.

60.

À ce stade, il est essentiel de souligner que l’importance constitutionnelle de la primauté du droit de l’Union en tant que principe fondamental du système juridique propre à l’Union ne doit pas être sous-estimée. Compte tenu de son importance fondamentale, la primauté du droit de l’Union n’admet aucune exception. En effet, accepter qu’il soit dérogé à la primauté porterait préjudice au socle sur lequel a été érigé le système juridique de l’Union.

61.

Il me paraît donc évident que toute règle nationale (constitutionnelle ou autre) qui, de manière générale, ne permet qu’aux juridictions de laisser inappliquées des dispositions du droit national est manifestement contraire au principe de primauté du droit de l’Union énoncé par la Cour, notamment dans les arrêts Simmenthal et Costanzo. En effet, il ne fait aucun doute qu’une telle règle contrasterait fortement avec la règle établie par la Cour selon laquelle tous les organes de l’administration sont tenus d’appliquer les dispositions du droit de l’Union qui ont un effet direct et de laisser inappliquées les dispositions nationales qui seraient en conflit avec elles ( 23 ).

62.

Un examen plus attentif montre toutefois que la présente affaire se distingue de la jurisprudence issue de l’arrêt Simmenthal. En effet, la règle de compétence en cause dans la procédure au principal ne remet pas en question la primauté du droit de l’Union ni, par extension, sa pleine effectivité.

63.

Cette affaire porte sur la question de savoir si le droit de l’Union définit les organes judiciaires qui doivent être compétents pour traiter une catégorie particulière d’affaires.

64.

La présente affaire diffère de la situation où une limitation est apportée aux compétences respectives d’une juridiction ayant la compétence matérielle d’examiner une affaire, comme dans l’affaire Simmenthal, ou d’une administration ayant indubitablement la compétence exclusive pour prendre une décision administrative, comme dans l’affaire Costanzo, pour donner plein effet au droit de l’Union et donc, le cas échéant, pour résoudre de manière efficace un litige portant sur une violation du droit de l’Union.

65.

Elle diffère également de la situation à l’origine de l’arrêt CIF (une variante de la situation décrite ci-dessus), dans laquelle une autorité nationale n’avait pas explicitement le pouvoir de laisser inappliquée une législation nationale en conflit avec les règles de l’Union en matière de concurrence dont elle devait assurer le respect.

66.

Il y a lieu de souligner que la présente affaire porte sur une situation où la loi nationale, telle qu’elle est interprétée par la juridiction de renvoi, divise la compétence matérielle dans des affaires spécifiques entre la CRP et la High Court (Haute Cour) en réservant à cette dernière la compétence exclusive pour traiter des affaires dans lesquelles la validité d’un acte législatif est contestée ou qui nécessitent de laisser cet acte législatif inappliqué.

67.

Dans ce contexte procédural très spécifique, il me semble qu’il faut se montrer prudent avant de tracer un parallèle avec la ligne jurisprudentielle issue de l’arrêt Simmenthal.

68.

Comme il a déjà été indiqué, la logique de cette jurisprudence repose sur la nécessité d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union et, en particulier, de permettre à toute personne d’obtenir que les droits qu’elle tire du droit de l’Union soient effectivement protégés par un organe administratif ou une juridiction compétents pour examiner l’affaire. Afin d’assurer cette protection, tous les organes de l’État doivent également avoir le pouvoir de laisser inappliquée une disposition de droit national, même lorsque le système juridique national ne leur confère pas ce pouvoir. Il serait problématique du point de vue de la pleine effectivité du droit de l’Union s’il fallait d’abord demander à une juridiction (supérieure) de déclarer la disposition en cause incompatible avec le droit de l’Union ou de l’annuler.

69.

La jurisprudence de la Cour assure donc que les juridictions et les autorités amenées à appliquer le droit de l’Union puissent pleinement le faire, dans le cadre de leurs domaines de compétence respectifs.

70.

En revanche, la jurisprudence ne cherche pas, selon moi, à interférer dans la répartition des compétences entre les juridictions (et/ou les organes administratifs). Elle ne permet pas à une juridiction (ni, a fortiori, à un organe administratif) d’ignorer les règles de compétence au nom de la pleine effectivité du droit de l’Union. Cela résulte essentiellement de l’autonomie considérable dont bénéficient les États membres pour définir des règles de procédure, telles que celles portant sur la désignation de l’autorité ou de la juridiction compétente dans certaines catégories d’affaires, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité soient respectés ( 24 ).

71.

Selon moi, un organe administratif ou une juridiction ne peut être tenu de laisser inappliquée une disposition de droit national, afin de donner plein effet au droit de l’Union, que s’il a été établi qu’il dispose de la compétence matérielle pour examiner l’affaire (ou, en ce qui concerne les autorités au sens large, de prendre une décision dans cette matière).

72.

Toutes les parties semblent admettre que, du point de vue du droit constitutionnel national, la CRP ne dispose pas de cette compétence. Si elle devait examiner une plainte nécessitant qu’une disposition de droit national ne soit pas appliquée, elle agirait en dehors de son domaine de compétence.

73.

Il convient d’insister sur le fait que, selon la juridiction de renvoi, la règle en cause dans l’affaire au principal porte sur la compétence matérielle : elle divise la compétence pour examiner les recours en première instance dans des affaires spécifiques entre la CRP et la High Court (Haute Cour). Elle implique que pour la catégorie particulière des affaires qui, s’il est fait droit aux recours, impliquent de laisser inappliquée une disposition du droit national, l’organe judiciaire compétent est la High Court (Haute Cour).

74.

Il est exact que dans sa sphère de compétence, la CRP est tenue de veiller au respect de la législation relative à l’égalité en matière d’emploi, en ce compris la directive 2000/78. Néanmoins, dans la présente affaire, cette compétence est limitée par la règle de compétence en cause.

75.

Au cours de la présente procédure, il n’a pas été invoqué que la CRP ne serait pas à même d’offrir un recours effectif, ou d’assurer la pleine efficacité du droit de l’Union, dans les affaires pour lesquelles elle est compétente (c’est-à-dire les affaires dans lesquelles la plainte porte, en substance, sur une discrimination causée par l’employeur et non par un acte législatif). Simplement, elle n’a aucune compétence pour connaître des affaires qui, s’il est fait droit au recours, impliquent de laisser une disposition légale inappliquée.

76.

Cette circonstance différencie, selon moi, la présente affaire de la jurisprudence à laquelle il a été fait référence ci-dessus : dans ces affaires, la question de savoir si l’organe concerné était compétent pour examiner l’affaire (ou pour prendre une décision dans un domaine particulier) n’a tout simplement pas été soulevée. Le dénominateur commun à toutes ces affaires était plutôt que la juridiction, ou l’autorité compétente, était limitée, non pas en termes de compétence, mais en termes d’outils mis à sa disposition afin de donner plein effet au droit de l’Union.

77.

Il serait certes tentant de tracer un parallèle avec l’affaire CIF. Comme la Commission l’a fait observer lors de l’audience, dans l’affaire CIF, il existait une autre voie pour une personne souhaitant demander réparation de la violation des règles de l’Union en matière de concurrence : celle des juridictions ordinaires. Conformément à la jurisprudence de la Cour, ces juridictions auraient été tenues de laisser inappliquée la législation nationale en conflit avec le droit de l’Union. Malgré l’existence théorique d’une telle alternative, la Cour a considéré que l’autorité italienne de la concurrence était tenue de ne pas appliquer la législation nationale afin d’assurer la pleine efficacité des règles de l’Union en matière de concurrence.

78.

Il est toutefois important d’observer que le droit national ne limitait pas la compétence de l’autorité italienne de la concurrence pour veiller au respect des règles de l’Union en matière de concurrence : au contraire, cette autorité était le (seul) organe investi du pouvoir d’assurer le respect des règles de l’Union en matière de concurrence. À la différence de la présente affaire, la compétence matérielle de cette autorité n’était pas limitée à une certaine catégorie d’affaires. Dans ces conditions, dans l’affaire CIF, la nécessité d’assurer la pleine efficacité du droit de l’Union exigeait effectivement que l’autorité nationale de la concurrence puisse laisser la législation nationale inappliquée : dans cette affaire, il aurait été difficile, voire impossible, à l’autorité en question de veiller au respect des règles de l’Union en matière de concurrence qu’elle était tenue d’appliquer si elle n’avait pas disposé de ce pouvoir.

79.

Il m’est difficile d’identifier ici une nécessité similaire.

80.

Lorsqu’une plainte susceptible de nécessiter la non-application de la législation nationale a été introduite devant l’organe compétent [la High Court (Haute Cour)], cette juridiction peut écarter l’application de la législation nationale réputée contraire au droit de l’Union, ou à une autre norme de rang supérieur, et apporter toute autre solution nécessaire afin de mettre un terme à la discrimination alléguée. Il est également essentiel de souligner que la compétence pour connaître des recours contestant la validité d’une disposition légale ou nécessitant de laisser inappliquée une disposition légale n’appartient qu’à la seule High Court (Haute Cour).

81.

C’est pourquoi je ne peux me rallier à la position selon laquelle la règle de compétence empêche un organe tel que la CRP, qui a le statut d’« une cour ou d’un tribunal » au sens de l’article 267 TFUE ( 25 ), d’assurer la protection effective des droits tirés du droit de l’Union.

82.

Une lecture attentive montre la faiblesse de cet argument : la CRP ne pouvait pas saisir la Cour à titre préjudiciel d’une question portant sur le point de savoir si un acte législatif viole la directive 2000/78, avant tout parce que l’examen de telles affaires ne relève pas de sa compétence. En revanche, la High Court (Haute Cour), en tant que juridiction compétente pour examiner l’affaire, aurait pu demander une décision préjudicielle sur la compatibilité de la mesure de restriction fondée sur l’âge.

83.

Un argument corollaire a été discuté longuement lors de l’audience. Selon la CRP en particulier, si la Cour devait considérer que la règle de compétence n’est pas contraire au droit de l’Union, l’efficacité de la procédure préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE serait compromise. Cette règle pourrait empêcher la CRP de donner plein effet à un arrêt de la Cour déclarant une disposition du droit irlandais contraire à la directive 2000/78.

84.

À cet égard, je relève que cet argument présume que l’affaire relève de la compétence de la CRP. Toutefois, aucune des parties n’a pu donner un exemple concret de situation réunissant les éléments suivants : une affaire qui, d’une part, relève de la compétence de la CRP parce qu’elle ne porte pas sur un grief nécessitant de laisser inappliqué le droit national, et où, d’autre part, la Cour conclut, sur la base du renvoi préjudiciel de la CRP, à l’incompatibilité d’une disposition du droit national avec la directive 2000/78.

85.

Les difficultés rencontrées par les parties pour élaborer un exemple concret de situation où la règle de compétence porterait atteinte à l’efficacité d’une procédure préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE semblent avoir une explication assez simple : une telle situation ne pourrait survenir que s’il était considéré que la CRP est compétente ou si elle outrepassait les limites de sa compétence et examinait le recours.

c) Une conclusion provisoire

86.

Il peut exister de bonnes raisons de diviser la compétence dans un domaine particulier du droit entre différents organes (judiciaires).

87.

La résolution de conflits survenant dans la vie quotidienne, tels que les litiges de consommation et les litiges dans l’espace de travail, est de plus en plus souvent « externalisée » et confiée à des organes spécialisés qui disposent de pouvoirs (limités) pour assurer une médiation et/ou pour statuer rapidement sur de tels litiges ( 26 ). Il est également courant que, comme dans le cas des « adjudication officers » (agents d’arbitrage) de la CRP, les personnes chargées de résoudre les conflits au sein de ces organes, n’aient pas nécessairement de formation juridique. Ces organes sont sans doute mieux placés que les juridictions pour apporter des solutions moins onéreuses, rapides et efficaces à ce genre de conflits.

88.

Cependant, de tels organes ne peuvent pas traiter tous les litiges, en particulier ceux qui soulèvent des questions de principe importantes avec des implications juridiques plus étendues.

89.

De manière constante, la Cour a considéré que, en l’absence de règlementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions (ou, le cas échéant, les organes administratifs) compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ( 27 ). Les États membres doivent toutefois veiller à ce que, dans chaque cas, ces droits soient effectivement protégés ( 28 ). En d’autres termes, la compétence dans un domaine particulier du droit de l’Union peut être divisée entre différents organes pour autant que les droits concernés soient protégés de manière adéquate.

90.

C’est dans les limites de leur domaine de compétence respectif que ces organes doivent donner plein effet au droit de l’Union en laissant, si nécessaire, inappliquée la loi nationale contraire au droit de l’Union. Autrement dit, un organe ne peut pas, en vertu de la primauté du droit de l’Union, simplement ignorer les règles de compétence qui délimitent sa compétence matérielle dans un domaine particulier qui sont prévues par le droit national.

91.

Je conclurai dès lors qu’une règle de compétence, telle que celle en cause dans la procédure au principal, qui divise la compétence pour des affaires spécifiques entre un organe administratif et une juridiction ordinaire en fonction du grief invoqué ne viole pas le principe de primauté du droit de l’Union et relève de l’autonomie procédurale des États membres.

92.

Si la Cour s’en tient strictement au libellé de la question qui lui est soumise, cela résoudrait l’affaire portée devant elle. En effet, comme la question l’indique clairement, la juridiction de renvoi a déjà formulé des conclusions sur la compatibilité de la règle de compétence avec les exigences d’équivalence et d’effectivité : la question déférée à la Cour repose en effet sur la conclusion que la règle de compétence en question ne viole pas ces principes ( 29 ).

93.

Il est certes vrai qu’en définitive, il appartient à la juridiction nationale de déterminer si la règle de procédure nationale contestée est conforme aux principes d’équivalence et d’effectivité. Néanmoins, compte tenu de l’attention que les parties ont accordé à ces principes dans leurs observations écrites et orales, j’estime qu’il est nécessaire d’examiner les arguments principaux que les parties ont invoqués en ce qui concerne les conclusions de la juridiction de renvoi, en particulier en ce qui concerne le principe d’effectivité.

2. La division de la compétence entre la CRP et la High Court (Haute Cour) : le respect des principes d’équivalence et d’effectivité

94.

Selon l’abondante jurisprudence de la Cour sur cette question, les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) ( 30 ).

a) Sur l’équivalence : la recherche de l’élément de comparaison correct

95.

Dans la décision du 15 juin 2017, la juridiction de renvoi a considéré que la règle de compétence répond aux exigences du principe d’équivalence parce que le même régime s’appliquerait à toute affaire que la norme juridique sur laquelle se fonde le recours relève du droit national ou qu’elle relève du droit de l’Union. En d’autres termes, la règle de compétence en cause s’appliquerait également, et confèrerait la compétence à la High Court (Haute Cour) dans une affaire relevant exclusivement du droit national ( 31 ).

96.

Cette appréciation me semble correcte.

97.

Plus spécifiquement, la jurisprudence de la Cour requiert que la règle nationale en cause s’applique indifféremment aux recours fondés sur des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables ( 32 ). Autrement dit, l’appréciation de l’équivalence comporte deux étapes. Il convient, dans un premier temps, d’identifier l’élément de comparaison correct. Dans un second temps, il faut examiner si le recours fondé sur le droit de l’Union est traité de manière moins favorable que le recours comparable fondé sur le droit national.

98.

Les première et troisième parties intervenantes ont suggéré à cet égard que la juridiction de renvoi n’a pas choisi l’élément de comparaison correct. Dans leurs observations, elles ont indiqué qu’un recours pour discrimination fondé sur une base qui ne relève pas du champ d’application de la directive 2000/78 ou qui ne nécessiterait pas de laisser une loi nationale inappliquée aurait constitué un meilleur élément de comparaison.

99.

À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler qu’il appartient à la juridiction de renvoi, qui est seule à avoir une connaissance directe des modalités procédurales applicables, de vérifier la similitude des recours concernés sous l’angle de leur objet, de leur cause et de leurs éléments essentiels ( 33 ). Il me semble dès lors que la Cour ne peut remettre en question une conclusion de la juridiction de renvoi concernant le principe d’équivalence qu’à titre exceptionnel, lorsqu’il est manifeste que cette appréciation est faussée.

100.

Il n’est pas nécessaire de recourir à une mesure aussi drastique en l’espèce. Au contraire, il me semble que la juridiction de renvoi a choisi le seul élément de comparaison correct.

101.

Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, le principe d’équivalence n’oblige pas les États membres à étendre leur régime interne le plus favorable à l’ensemble des actions introduites dans un domaine donné du droit ( 34 ).

102.

Dans leurs observations écrites, les première et troisième parties intervenantes semblent suggérer que tous les griefs relatifs à l’égalité en matière d’emploi devraient être considérés comme comparables les uns aux autres parce qu’en substance, la procédure devant la CRP est moins lourde et n’implique pas de risque financier pour le plaignant.

103.

Si cette approche était adoptée, le critère de l’équivalence perdrait toute raison d’être. Cela porterait à comparer ce qui n’est pas comparable. Comme le démontre très justement la présente affaire, toutes les affaires concernant un domaine spécifique du droit ne sont pas comparables : les recours pour discrimination en matière d’emploi peuvent différer dans leur objet, leur cause ou leurs éléments essentiels en fonction de l’origine de la discrimination. Un recours peut être introduit devant la CRP lorsque la discrimination en matière d’emploi résulte d’une pratique (généralement une décision prise par un employeur) ( 35 ). En revanche, un recours impliquant la contestation de la validité de la législation ou nécessitant de laisser la législation inappliquée porte fondamentalement sur le caractère légal d’un instrument juridique ayant force de loi. Il s’agit selon moi d’une différence essentielle qui ne peut être négligée. Les différences entre les règles de procédure qui sont applicables aux recours introduits devant la CRP, d’une part, et devant la High Court (Haute Cour), d’autre part, s’expliquent précisément par la différence inhérente aux types de recours dont ces deux organes ont à connaître ( 36 ).

104.

En d’autres termes, comme l’a constaté la juridiction de renvoi, l’élément de comparaison le plus approprié doit être le recours formé devant la High Court (Haute Cour) sur la base d’une législation purement nationale.

b) Sur l’effectivité : la nécessité de former plusieurs recours pour faire valoir des droits tirés du droit de l’Union

105.

Il est de jurisprudence constante que l’analyse de l’effectivité doit tenir compte de la place qu’occupe la disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales ( 37 ).

106.

Dans la décision du 15 juin 2017, la juridiction de renvoi a notamment examiné les pouvoirs de la High Court (Haute Cour) pour obtenir des preuves, le régime des dépens, le caractère contradictoire de la procédure ainsi que le pouvoir de cette juridiction d’adopter toute mesure nécessaire à la mise en œuvre des droits garantis par le droit de l’Union. Après avoir examiné ces éléments de la procédure devant la High Court (Haute Cour), la juridiction de renvoi est parvenue à la conclusion que la règle de compétence répond à l’exigence d’effectivité ( 38 ).

107.

La juridiction de renvoi n’a cependant pas analysé explicitement les désavantages procéduraux qui peuvent résulter de la nécessité de diviser une plainte entre deux organes, une question que la Cour a traitée dans l’arrêt Impact ( 39 ). Cet arrêt a été longuement commenté lors de l’audience. Il me semble donc utile de formuler quelques remarques à ce propos.

108.

L’arrêt Impact portait sur une règle de procédure qui obligeait les demandeurs à introduire différents recours pour faire valoir les droits qu’ils tiraient de la directive 1999/70 ( 40 ). Plus précisément, la loi irlandaise prévoyait que, en matière de travail à durée déterminée, les recours fondés sur la législation ayant transposé la directive pouvaient être adressés au Rights Commissioner (une juridiction spécialisée) tandis que les recours directement fondés sur la directive (c’est-à-dire les litiges survenus après l’expiration du délai de transposition mais avant que l’Irlande ne se soit acquittée de ses obligations) devaient être introduits devant la High Court (Haute Cour).

109.

Dans cet arrêt, la Cour a considéré d’emblée qu’une demande fondée sur une violation de la mesure de transposition de la directive et une demande directement fondée sur la directive relèvent d’une seule et même voie de recours ( 41 ). En d’autre termes, en dépit de fondements juridiques formellement distincts, les deux recours tendent à protéger les mêmes droits dérivés du droit de l’Union ( 42 ).

110.

La Cour a alors considéré que, lorsque le législateur irlandais a fait le choix de conférer à une juridiction spécialisée la compétence (même optionnelle) pour connaître des demandes fondées sur la loi de transposition de la directive 1999/70, il serait contraire au principe d’effectivité d’obliger les demandeurs à saisir, parallèlement, une juridiction ordinaire d’une demande distincte aux fins de faire valoir les droits qu’ils pourraient tirer directement de cette directive elle-même. Tel serait en particulier le cas si la juridiction nationale devait constater des inconvénients procéduraux pour les personnes concernées notamment en termes de coût, de durée et de règles de représentation, de nature à rendre excessivement difficile l’exercice des droits tirés de la directive concernée ( 43 ).

111.

Dans cet arrêt, la Cour a confirmé et développé la ligne jurisprudentielle relative au principe d’effectivité. Elle a sanctionné les inconvénients procéduraux qui résultent de l’obligation de former plusieurs recours lorsque le législateur a conféré à une juridiction spécialisée la compétence d’examiner une demande fondée sur la législation nationale ayant transposé la directive sans que cet organe ne puisse également traiter une demande fondée sur la directive.

112.

Il est important de placer l’affirmation de la Cour dans son propre contexte. Cette affirmation relative aux inconvénients procéduraux s’inscrit dans le cadre particulier de l’obligation de former différents recours pour faire valoir les mêmes droits tirés du droit de l’Union (mais pour des périodes différentes). Compte tenu de cet aspect particulier de l’arrêt Impact, il serait à mon avis erroné de considérer que la conclusion de la Cour relative au principe d’effectivité remet en cause, de manière générale, toute règle de compétence qui, dans un domaine particulier du droit, divise la compétence entre différentes instances dont les règles de procédure ne sont pas également favorables aux demandeurs.

113.

En effet, il ne faut pas oublier que la jurisprudence de la Cour exige que les règles procédurales nationales ne rendent pas l’exercice des droits tirés du droit de l’Union excessivement difficile. Elle n’exige pas que toutes les affaires portant sur un domaine particulier du droit soient traitées de la même manière, par un seul tribunal ou organe, conformément aux règles qui, d’un point de vue procédural, sont les plus favorables au demandeur ( 44 ).

114.

À la différence de la situation à l’origine de l’arrêt Impact, le législateur irlandais n’a pas conféré à la CRP la compétence (optionnelle) de connaître des affaires relevant d’ordinaire de la compétence de la High Court (Haute Cour). Au contraire, la répartition des compétences entre la CRP et la High Court (Haute Cour) est claire.

115.

Il ressort de l’ordonnance de renvoi que l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi concerne une plainte portant sur une mesure de discrimination fondée sur l’âge, un élément de droit dérivé. Aucun grief fondé sur la discrimination relevant de la compétence de la CRP n’a été soulevé dans la procédure devant la juridiction de renvoi. Dans cette affaire, la division de la compétence entre la CRP et la High Court (Haute Cour) ne peut pas, selon moi, être critiquée : il n’existe pas d’autres voies de recours pour les plaignants que devant la High Court (Haute Cour). Il me semble que la division de la compétence permet, en tout état de cause, d’apporter une solution efficace aux affaires nécessitant la non-application de la législation nationale, puisque dans ce cas, les plaignants ne doivent pas tout d’abord s’adresser à la CRP.

116.

Il ne fait aucun doute que l’absence d’une autre voie de recours pour les demandeurs qui considèrent avoir été lésés par un acte législatif explique pourquoi la juridiction de renvoi n’a pas examiné la règle de compétence à la lumière de l’arrêt Impact.

117.

Néanmoins, il ne semble pas impossible d’imaginer une situation où un demandeur forme un recours en alléguant qu’il a été discriminé (en violation de la directive 2000/78) non seulement sur la base d’une mesure légale mais aussi sur la base de la pratique d’un employeur. Dans une telle situation, si la CRP est compétente pour connaître d’une partie de ce recours, il me semble que l’affirmation de la Cour dans l’affaire Impact doit s’appliquer pleinement. Si, au contraire, la compétence de la High court (Haute Cour) l’emporte sur celle de la CRP de sorte que cette dernière n’a aucune compétence [et que la High Court (Haute Cour) est réputée compétente pour connaître de l’ensemble de la plainte], l’affirmation de la Cour ne semble pas pertinente.

118.

Il n’appartient toutefois pas à la Cour d’effectuer cette appréciation : il revient à la juridiction de renvoi de déterminer l’interprétation correcte des règles nationales pertinentes qui divisent la compétence dans ce domaine entre la CRP et la High Court (Haute Cour).

119.

Par conséquent, je conclus que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une règle de compétence telle que celle en cause dans la procédure au principal, qui divise la compétence pour des affaires spécifiques entre un organe établi par la loi et une juridiction ordinaire en fonction de la nature du grief, pour autant qu’il n’y ait pas de compétence concurrente dans le cadre du même recours.

IV. Conclusion

120.

Eu égard aux développements qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question posée par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) de la manière suivante :

Le droit de l’Union ne s’oppose pas à une règle de compétence telle que celle en cause dans la procédure au principal, qui divise la compétence pour des affaires spécifiques entre un organe établi par la loi et une juridiction ordinaire en fonction de la nature du grief, pour autant qu’il n’y ait pas de compétence concurrente dans le cadre du même recours.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

( 3 ) Arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49).

( 4 ) Dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi, les lois pertinentes sont les lois sur l’égalité en matière d’emploi de 1998 à 2004 et, le cas échéant, les lois modificatives subséquentes.

( 5 ) Le Workplace Relations Act (loi sur les relations professionnelles) de 2015 a transféré les fonctions de l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) à la CRP.

( 6 ) Garda Síochána (Admissions and Appointments) (Amendment) Regulations, [décrets Garda Síochána (recrutements et affectations) (modification)] de 2004 (S.I. no 749 de 2004).

( 7 ) En effet, outre l’ordonnance de renvoi du 15 juin 2017, cette juridiction a également rendu à la même date une autre décision [Minister for Justice, Equality and Law Reform and Others -v- The Workplace Relations Commission, (2017) IESC 43] portant sur la compétence de la CRP sous l’angle du droit national. Dans cette décision, la juridiction de renvoi aborde également quelques questions de droit de l’Union. Elle a notamment examiné si la division de la compétence entre la CRP et la High Court respectait les principes d’équivalence et d’effectivité.

( 8 ) Voir, notamment, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 20 et jurisprudence citée).

( 9 ) La discrimination fondée sur le sexe fait exception à cette règle : dans les affaires portant sur ce type de discrimination, le plaignant peut choisir de saisir directement la Circuit Court (tribunal itinérant, Irlande).

( 10 ) Voir https://www.workplacerelations.ie/en/Complaints_Disputes/Adjudication/ (consulté le 5 juillet 2018).

( 11 ) Décision du 15 juin 2017, points 5.3 et 5.6.

( 12 ) Voir, en particulier, arrêt du 22 octobre 1998, IN. CO. GE.'90 e.a. (C‑10/97 à C‑22/97, EU:C:1998:498, point 21). Voir, également, conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans les affaires jointes IN. CO. GE.'90 e.a. (C‑10/97 à C‑22/97, EU:C:1998:228, points 16 à 44).

( 13 ) Arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49).

( 14 ) Arrêt du 5 février 1963, van Gend & Loos (26/62, EU:C:1963:1).

( 15 ) Arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, points 21 à 24).

( 16 ) La Cour a confirmé cette jurisprudence dans de très nombreux arrêts. Voir, parmi ceux-ci, arrêts du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, EU:C:1990:257, points 20 et 21) ; du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, EU:C:1990:257, point 32) ; du 2 août 1993, Levy (C‑158/91, EU:C:1993:332, point 9), et du 5 mars 1998, Solred (C‑347/96, EU:C:1998:87, point 30).

( 17 ) Arrêt du 22 juin 1989, Costanzo (103/88, EU:C:1989:256).

( 18 ) Idem, points 31 à 33.

( 19 ) Arrêt du 9 septembre 2003, CIF (C‑198/01, EU:C:2003:430).

( 20 ) Idem, point 49.

( 21 ) Idem, point 50.

( 22 ) Arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, point 21), et du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, EU:C:1990:257, point 20). Voir également arrêt du 10 avril 1984, von Colson et Kamann (14/83, EU:C:1984:153, point 26).

( 23 ) Arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, point 21), et du 22 juin 1989, Costanzo (103/88, EU:C:1989:256, points 31 à 33).

( 24 ) Voir, ex multis, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, EU:C:1976:188, point 5) ; du 16 décembre 1976, Comet (45/76, EU:C:1976:191, points 13 à 16) ; du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, EU:C:1995:437, point 12 et jurisprudence citée) ; 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, point 39 et jurisprudence citée), et du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, point 28 et jurisprudence citée).

( 25 ) Dans une affaire relevant de son domaine de compétence, l’Equality Tribunal (tribunal pour l’égalité) a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle. Voir arrêt du 18 mars 2014, Z. (C‑363/12, EU:C:2014:159.

( 26 ) Ces procédures sont désignées par les termes génériques de « règlement extrajudiciaire des litiges » ou « REL ».

( 27 ) Voir, par exemple, la jurisprudence citée à la note 24 ci-dessus ainsi que les arrêts du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 44), et du 8 septembre 2009, Budějovický Budvar (C‑478/07, EU:C:2009:521, point 88 et jurisprudence citée).

( 28 ) Voir, par exemple, arrêts du 9 juillet 1985, Bozzetti (179/84, EU:C:1985:306, point 17) ; du 18 janvier 1996, SEIM (C‑446/93, EU:C:1996:10, point 32), et du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C‑54/96, EU:C:1997:413, point 40).

( 29 ) La question posée à titre préjudiciel indique avec une certaine ambiguïté que toute mesure prononcée par les juridictions nationales appropriées est jugée conforme aux principes d’équivalence et d’effectivité. Néanmoins, à la lumière de la décision du 15 juin 2017, on peut comprendre que la juridiction de renvoi a conclu que la procédure devant la High Court (Haute Cour) ouverte aux plaignants dans l’hypothèse où leur recours ne relève pas de la compétence de la CRP respecte ces principes.

( 30 ) Voir, notamment, la jurisprudence citée à la note 27 ci-dessus.

( 31 ) Décision du 15 juin 2017, point 7.1.

( 32 ) Arrêt du 27 juin 2013, Agrokonsulting-04 (C‑93/12, EU:C:2013:432, point 39 et jurisprudence citée).

( 33 ) Voir, par exemple, arrêts du 29 octobre 2009, Pontin (C‑63/08, EU:C:2009:666, point 45 et jurisprudence citée), et du 12 février 2015, Baczó et Vizsnyiczai (C‑567/13, EU:C:2015:88, point 44 et jurisprudence citée).

( 34 ) Arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39, point 34 et jurisprudence citée). Le cas échéant, la question de savoir ce qui constitue une règle de procédure « moins favorable » est en définitive une question de point de vue. À cet égard, voir arrêt du 12 février 2015, Baczó et Vizsnyiczai (C‑567/13, EU:C:2015:88, points 46 et 47) sur la question de savoir si la désignation de juridictions hiérarchiquement supérieures pour traiter certains types d’affaires, d’une part, et les différents régimes de frais de justice applicables dans les procédures comparées, d’autres part, peuvent être considérées comme « défavorables ».

( 35 ) Je comprends qu’en général, ces affaires portent, par exemple, sur un refus d’accorder une promotion à un employé fondé sur l’une des causes de discrimination interdite, un refus d’accorder une augmentation sur une base discrétionnaire ou un refus d’adapter l’espace de travail et les tâches demandées à un employé handicapé.

( 36 ) Il ressort du dossier que la procédure devant la CRP est inquisitoire tandis que la procédure devant la High Court (Haute Cour) est contradictoire. En outre, les régimes des frais de procédure sont différents : devant la High Court (Haute Cour), le plaignant risque de se voir condamner aux dépens alors que tel n’est pas le cas devant la CRP. Cela s’explique parce que les parties peuvent être légalement représentées mais que les « adjudication officers » (agents d’arbitrage) n’ont que des pouvoirs limités pour ordonner la présence de témoins et que la production de documents et d’éléments de preuve ne se fait pas sous serment. Plus important encore, en raison des pouvoirs de décision limités que la loi confère à la CRP, un « adjudication officer » (agent d’arbitrage) ne peut pas s’adresser à une partie qui n’est pas citée dans la procédure.

( 37 ) Voir, entre autres, arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, EU:C:1995:437 point 14) ; du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, point 54), et du 8 septembre 2011, Rosado Santana (C‑177/10, EU:C:2011:557, point 92 et jurisprudence citée).

( 38 ) Décision du 15 juin 2017, points 7.2 à 7.16.

( 39 ) Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 51).

( 40 ) Directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).

( 41 ) Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 50).

( 42 ) Conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Impact (C‑268/06, EU:C:2008:2, point 58).

( 43 ) Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 51).

( 44 ) Voir, à cet égard, arrêt du 12 février 2015, Baczó et Vizsnyiczai (C‑567/13, EU:C:2015:88, points 51 et 52 ainsi que jurisprudence citée).

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