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Document 62017CC0167

Conclusions de l'avocat général M. M. Bobek, présentées le 5 juin 2018.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:387

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 5 juin 2018 ( 1 )

Affaire C‑167/17

Volkmar Klohn

contre

An Bord Pleanála

en présence de :

Sligo County Council,

Maloney and Matthews Animal Collections Ltd

[demande de décision préjudicielle
introduite par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande)]

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Évaluation des incidences – Accès à une procédure de recours – Exigence que la procédure de recours soit d’un coût non prohibitif – Notion de “coût non prohibitif” – Principe général du droit – Application dans le temps – Effet direct – Autorité de la chose jugée – Conséquences pour une condamnation aux dépens devenue définitive »

I. Introduction

1.

Le 24 juin 2004, M. Volkmar Klohn a demandé à être autorisé à former un recours juridictionnel contre une décision de l’An Bord Pleanála (Agence d’aménagement du territoire, Irlande, ci-après l’« Agence ») accordant un permis de construire pour la construction, à proximité de sa ferme, d’une installation d’élimination de cadavres d’animaux. Cette autorisation lui a été accordée le 31 juillet 2007. Par la suite, au cours des mois d’avril et mai 2008, son recours a cependant été rejeté au fond et il a été condamné aux dépens. Au cours du mois de juin 2010, le Taxing Master de la High Court (Haute Cour, Irlande) a rendu une décision fixant le montant des dépens recouvrables à environ 86000 euros.

2.

M. Klohn a contesté la décision du Taxing Master au motif qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence que la procédure de recours soit « d’un coût non prohibitif » (ci-après la « règle du CNP »), introduite par la directive 2003/35/CE ( 2 ). La décision du Taxing Master a été confirmée par la High Court (Haute Cour). M. Klohn a interjeté appel devant la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), laquelle a saisi la Cour à titre préjudiciel.

3.

C’est dans ce cadre que la juridiction de renvoi demande a) si la règle du CNP s’applique ratione temporis, b) si la règle du CNP produit un effet direct ou s’il existe une obligation d’interprétation en ce qui concerne ladite règle et c) si le Taxing Master ou la juridiction nationale saisie d’un recours contre sa décision doit appliquer la règle du CNP bien que la décision de condamnation aux dépens soit devenue définitive.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit international

1. La convention d’Aarhus

4.

L’article 9 de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (ci-après la « convention d’Aarhus »), intitulé « Accès à la justice », stipule :

« 1.   Chaque partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que toute personne qui estime que la demande d’informations qu’elle a présentée en application de l’article 4 a été ignorée, rejetée abusivement, en totalité ou en partie, ou insuffisamment prise en compte ou qu’elle n’a pas été traitée conformément aux dispositions de cet article, ait la possibilité de former un recours devant une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi.

[…]

4.   En outre, et sans préjudice du paragraphe 1, les procédures visées aux paragraphes 1, 2 et 3 ci-dessus doivent offrir des recours suffisants et effectifs, y compris un redressement par injonction s’il y a lieu, et doivent être objectives, équitables et rapides sans que leur coût soit prohibitif. Les décisions prises au titre du présent article sont prononcées ou consignées par écrit. Les décisions des tribunaux et, autant que possible, celles d’autres organes doivent être accessibles au public.

[…] »

B.   Le droit de l’Union européenne

1. Les directives 85/337/CEE et 2003/35

5.

En application de la directive 85/337/CEE concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement ( 3 ), les projets publics et privés susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement doivent faire l’objet d’une évaluation en ce qui concerne leurs incidences sur l’environnement. La directive 85/337 contient également des exigences de participation et consultation du public au cours du processus décisionnel en vue de l’autorisation de ce type de projets.

6.

Consécutivement à la signature de la convention d’Aarhus par l’Union européenne (alors la « Communauté européenne »), la directive 85/337 a été modifiée par la directive 2003/35, qui a ajouté un article 10 bis à la directive 85/337. Cet article dispose :

« Les États membres veillent, conformément à leur législation nationale pertinente, à ce que les membres du public concerné […] puissent former un recours […] pour contester la légalité, quant au fond ou à la procédure, des décisions, des actes ou omissions relevant des dispositions de la présente directive relatives à la participation du public. […]

Ces procédures doivent être régulières, équitables, rapides et d’un coût non prohibitif.

Afin d’accroître l’efficacité des dispositions du présent article, les États membres veillent à ce qu’une information pratique soit mise à la disposition du public concernant l’accès aux voies de recours administratif et juridictionnel. »

7.

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/35, intitulé « Mise en œuvre », a fixé la date limite pour la transposition de cette directive au 25 juin 2005.

C.   Le droit irlandais

8.

En application de la section 99, règle 1, des Rules of the Superior Courts (règles de procédure des juridictions supérieures), les dépens suivent l’issue de l’affaire. Le demandeur qui succombe supporte, outre ses propres frais, ceux encourus par l’autre partie. Telle est la règle de principe, à laquelle le juge peut déroger si les circonstances particulières du cas d’espèce le justifient.

9.

Par arrêt du 16 juillet 2009, Commission/Irlande ( 4 ), la Cour a jugé que l’Irlande n’avait pas transposé en droit national la règle, énoncée à l’article 10 bis de la directive 85/337, selon laquelle les procédures ne doivent pas être d’un coût prohibitif. Consécutivement à cet arrêt, l’Irlande a inséré un article 50B dans le Planning and Development Act 2000 (loi de 2000 sur l’aménagement et le développement du territoire) ; depuis lors, dans les affaires relevant du champ d’application de cette législation, chaque partie doit supporter ses propres dépens, mais le juge peut déroger à cette règle dans les affaires d’une importance exceptionnelle.

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure et les questions préjudicielles

10.

Les faits à l’origine de la présente affaire remontent à l’année 2004 et à l’octroi d’un permis de construire en vue de la construction, à Achonry, dans le comté de Sligo (Irlande), d’une installation d’inspection des animaux trouvés morts pour les vaches trouvées mortes sur l’ensemble du territoire irlandais ; la construction de cette installation s’inscrivait dans le cadre plus général des mesures prises en réponse à l’épizootie d’encéphalopathie spongiforme bovine. M. Klohn, le requérant au principal, est propriétaire d’une ferme à proximité du site de construction prévu.

11.

Par demande du 24 juin 2004, M. Klohn a demandé à être autorisé à contester la décision de l’Agence accordant le permis de construire. Il ressort des observations présentées par le requérant au principal qu’il invoquait à l’appui de son recours l’absence de participation du public au processus décisionnel et le fait que l’évaluation des incidences sur l’environnement ne serait achevée qu’après la construction de l’installation.

12.

M. Klohn a été autorisé à agir le 31 juillet 2007. Au cours de l’audience devant la Cour, il a été confirmé que ce délai de trois ans pour décider d’accorder l’autorisation n’était pas imputable à l’action ou l’inaction de l’une ou l’autre des parties, mais semblait être dû à la charge de travail de la juridiction nationale saisie de la demande d’autorisation.

13.

Par jugement du 23 avril 2008, la High Court (Haute Cour) a rejeté l’action de M. Klohn au fond.

14.

Le 6 mai 2008, la High Court (Haute Cour) a statué sur les dépens, en appliquant la règle de principe en vertu de laquelle « les dépens suivent l’issue de l’affaire ». Conformément à cette règle, la partie défenderesse et la partie intervenante à la procédure au principal (le maître d’ouvrage de l’installation) ont été autorisées à recouvrer leurs dépens auprès de la partie qui avait succombé, M. Klohn.

15.

La condamnation aux dépens était uniquement prononcée au titre de la procédure de recours juridictionnel au fond et ne couvrait pas la demande d’autorisation à former ce recours. La juridiction de renvoi souligne que, dès lors que cette autorisation a été accordée à M. Klohn le 31 juillet 2007, les dépens ont été encourus après l’expiration du délai de transposition de la directive 2003/35, laquelle avait inséré l’article 10 bis (la règle du CNP) dans la directive 85/337.

16.

Il semble que la décision de condamnation aux dépens ne contenait aucune indication concernant le montant des dépens qui pourraient être recouvrés auprès de M. Klohn. M. Klohn, quant à lui, déclare que le montant des frais qu’il a encourus, dans le cadre de sa demande d’autorisation à introduire un recours juridictionnel et du recours lui-même, s’élève à environ 32000 euros.

17.

Après le prononcé de la décision relative aux dépens, le Taxing Master de la High Court (Haute Cour) a été chargé de calculer le montant des dépens raisonnablement encourus. Devant le Taxing Master, M. Klohn a fait valoir que le montant des dépens ainsi établi devait être d’un niveau « non prohibitif », conformément à l’article 3, paragraphe 8, et l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus ainsi qu’à l’article 10 bis de la directive 85/337.

18.

Le Taxing Master a pris sa décision sur les dépens au cours du mois de juin 2010. L’Agence avait initialement réclamé un montant d’environ 98000 euros. Le Taxing Master a fixé le montant des frais à rembourser à l’Agence à environ 86000 euros.

19.

M. Klohn a contesté la décision du Taxing Master devant la High Court (Haute Cour). Celle-ci a confirmé la décision du Taxing Master. M. Klohn a alors formé appel du jugement de la High Court (Haute Cour) devant la Supreme Court (Cour suprême).

20.

Pour plus de clarté, le déroulement dans le temps des principaux événements dans la présente affaire est, en résumé, le suivant :

25 juin 2003 : publication et entrée en vigueur de la directive 2003/35 ( 5 ) ;

30 avril 2004 : décision de l’Agence ;

24 juin 2004 : début de la procédure (demande d’autorisation à contester le permis de construire) ;

25 juin 2005 : expiration du délai de transposition ;

31 juillet 2007 : octroi de l’autorisation ;

23 avril 2008 : jugement au fond ;

6 mai 2008 : décision condamnant M. Klohn aux dépens ;

24 juin 2010 : décision du Taxing Master fixant le montant des dépens ;

11 mai 2011 : rejet du recours contre la décision du Taxing Master.

21.

Éprouvant des doutes quant à la bonne interprétation du droit de l’Union, la Supreme Court (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de déférer les trois questions suivantes à la Cour :

« 1)

L’exigence d’un “coût non prohibitif” inscrite à l’article 10 bis de la [directive 85/337, telle que modifiée par la] directive 2003/35 est-elle susceptible d’être d’application dans une affaire telle que la présente, où l’autorisation contestée a été délivrée antérieurement à l’expiration du délai de transposition de cette dernière directive et où la procédure contestant cette autorisation a également été introduite avant cette date ? Dans l’affirmative, cette exigence d’un “coût non prohibitif” s’applique-t-elle à tous les dépens encourus dans le cadre de cette procédure ou uniquement à ceux encourus postérieurement à l’expiration du délai de transposition ?

2)

Le juge national qui dispose d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la condamnation de la partie qui succombe aux dépens est-il, en l’absence de toute mesure spécifique adoptée par l’État membre concerné en vue de transposer l’article 10 bis de la [directive 85/337, telle que modifiée par la] directive 2003/35, tenu, lorsqu’il décide des dépens dans une procédure relevant du champ d’application de ladite disposition, d’assurer que sa décision n’aura pas pour effet de rendre le coût de la procédure “prohibitif”, soit parce que la disposition en cause a un effet direct, soit parce que le juge national doit interpréter ses règles nationales de procédure d’une façon qui, dans toute la mesure du possible, réponde aux objectifs dudit article 10 bis ?

3)

Lorsqu’une condamnation aux dépens n’est assortie d’aucune restriction et serait, dès lors qu’aucune voie de recours n’a été exercée, considérée en droit national comme définitive et finale, le droit de l’Union exige-t-il que

a)

le Taxing Master, chargé en vertu du droit national de la tâche de chiffrer le montant des dépens raisonnablement encourus par la partie qui a obtenu gain de cause, ou

b)

le juge saisi d’un recours contre la décision du Taxing Master

ait néanmoins l’obligation de déroger aux mesures de droit national applicables et d’établir le montant des dépens recouvrables de telle manière qu’il soit assuré que ces dépens n’aient pas pour effet de rendre le coût de la procédure prohibitif ? »

22.

M. Klohn, l’Agence, l’Irlande et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Ces parties intéressées ont également été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience du 22 février 2018.

IV. Appréciation

A.   Introduction

23.

La procédure en vue de l’autorisation à former un recours juridictionnel contre la décision de l’Agence a été introduite au cours du mois de juin 2004, soit un an avant que n’expire le délai de transposition de la directive 2003/35, au cours du mois de juin 2005. Ce n’est toutefois que quelques années plus tard, en juillet 2007, que cette autorisation a été accordée. Le jugement sur le fond a été rendu au cours du mois d’avril 2008. Durant toute cette période, la règle du CNP n’a pas été transposée en droit national. Une partie considérable de la procédure juridictionnelle s’est cependant déroulée après expiration du délai de transposition.

24.

La présente affaire peut ainsi sembler, à première vue, être un cas classique de transposition tardive d’une directive. La nature précise de la règle en cause et la chronologie des différents événements confèrent cependant une certaine complexité à cette affaire et ont amené la juridiction de renvoi à demander a) s’il convient de comprendre la règle du CNP comme une disposition d’effet direct ou imposant de procéder à une interprétation conforme (deuxième question), b) quelle est son application dans le temps (première question) et c) qui devrait la mettre en œuvre et de quelle manière (troisième question).

25.

À mes yeux, la règle du CNP ou, plus précisément, l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337 qui l’énonce, produit un effet direct (section B) et peut être invoqué concernant les dépens encourus à compter du début de la première étape distincte de la procédure suivant l’expiration du délai de transposition de la directive 2003/35 (section C). La question de savoir comment et par qui elle doit précisément être appliquée dans le cadre de la procédure nationale concrètement concernée relève, sous certaines réserves, du droit national (section D).

B.   Sur la deuxième question : interprétation conforme et effet direct de la règle du CNP

26.

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si la règle du CNP est dotée d’un effet direct ou s’il existe une obligation d’« interprétation conforme » en ce qui concerne cette règle.

27.

Pour être complet, il faut également mentionner que la Commission a suggéré que la règle du CNP pourrait constituer l’expression spécifique d’un principe général du droit de l’Union. Dans mes conclusions dans l’affaire North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy, j’avais rappelé que la règle du CNP était en effet l’expression spécifique, dans une directive, d’un principe plus général ( 6 ). Par ailleurs, dans l’arrêt qu’elle vient de rendre dans ladite affaire, la Cour a implicitement jugé que les principes d’effectivité et de protection juridictionnelle effective exigent de façon générale que le coût de la procédure ne soit pas prohibitif ( 7 ).

28.

Ces déclarations sont cependant à comprendre en ce sens que l’on doit interpréter la règle du CNP en la replaçant dans son contexte législatif et constitutionnel plus large et non pas comme énonçant un principe général autonome du droit (de l’environnement) de l’Union qui s’appliquerait indépendamment de son contexte législatif. Pour autant qu’un tel principe général existe, il appartiendra au législateur de le préciser en vue de son application dans des cas concrets ( 8 ).

29.

En l’occurrence, le principe selon lequel une procédure de recours ne doit pas être d’un coût prohibitif a été spécifiquement exprimé à l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337. Ce sont les effets de cette disposition bien précise que j’examinerai à présent.

1. L’interprétation conforme

30.

L’obligation générale d’interprétation conforme découle très clairement d’une jurisprudence bien établie ( 9 ), aux termes de laquelle cette obligation est « inhérente au système du traité en ce qu’elle permet à la juridiction nationale d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la pleine efficacité du droit communautaire» ( 10 ).

31.

Par ailleurs, la Cour a expressément confirmé que cette obligation existe bien également en ce qui concerne la convention d’Aarhus ( 11 ). Je ne vois aucune raison pour laquelle elle ne s’étendrait pas à la règle du CNP. D’ailleurs, les parties à la présente affaire n’ont pas contesté ce point ( 12 ). En outre, la juridiction de renvoi a précisé dans sa décision que le droit national se prêtait à une interprétation conforme à la règle du CNP.

32.

Savoir ce qu’une « interprétation conforme » recouvre en l’espèce concrètement est toutefois une tout autre question, sur laquelle je me pencherai plus loin ( 13 ).

2. L’effet direct

33.

Si toutes les parties étaient d’accord pour admettre que l’obligation d’interprétation conforme joue en principe, seul le requérant au principal a soutenu que la règle du CNP produisait un effet direct.

34.

La taxinomie doit-elle jouer un rôle dans ce type de situation ? Comme la Cour l’a récemment laissé entendre, les deux notions peuvent aboutir dans certaines circonstances à des résultats similaires ( 14 ). Par ailleurs, sur un plan pratique, bien que ce soient formellement deux catégories différentes, il n’existe de fait pas de limite claire entre l’interprétation conforme (effet indirect) et l’effet direct. La réalité semble être plus proche d’un continuum entre les deux notions. Plus particulièrement, la question de savoir si le juge national se contente encore d’« interpréter fortement » la règle nationale afin d’en assurer la conformité à une disposition du droit de l’Union, ou s’il applique au contraire directement cette disposition du droit de l’Union dans l’affaire dont il est saisi, relèvera de la perception subjective (ou plutôt de la déclaration personnelle).

35.

Néanmoins, l’effet direct et l’interprétation conforme ont été développés par la Cour comme deux catégories distinctes ; les effets de chacune dans le cadre d’un litige devant le juge national, et notamment les droits et obligations des particuliers, différeront ( 15 ). C’est également pour cette raison que la juridiction de renvoi pose cette question, car le point de savoir si l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, énonçant la règle du CNP, a un effet direct aura une incidence sur la solution qui sera apportée à l’affaire par le juge national.

a) Les conditions d’applicabilité directe

36.

Le point de savoir si une disposition produit un effet direct, ou non, doit être examiné au regard de la nature, de l’économie et des termes de la disposition en cause ( 16 ).

37.

Une disposition aura un effet direct dans tous les cas où, du point de vue de son contenu, elle sera suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour pouvoir être invoquée à l’encontre d’une disposition nationale contraire ou encore en tant qu’elle est de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l’égard de l’État ( 17 ). Cela peut être le cas, par exemple, si elle énonce une interdiction d’une manière générale et dans des termes dépourvus d’équivoque ( 18 ).

38.

Je ferai cinq remarques générales, fondées sur la jurisprudence, avant d’examiner la règle du CNP.

39.

Premièrement, il ressort avec évidence de la jurisprudence que « clair et précis » renvoie à une réalité plutôt élastique. Une disposition peut être « claire et précise » alors qu’elle contient des concepts non définis – voire vagues – ou des notions juridiques indéterminées. Pour prendre un exemple, dans les années 1960, la Cour a jugé dans les arrêts Van Gend & Loos ( 19 ) et Salgoil ( 20 ) que l’interdiction des droits de douane et restrictions quantitatives, ainsi que des « mesures d’effet équivalent » à des droits de douane ou restrictions quantitatives, était suffisamment claire et précise pour être directement applicable. La Cour a pourtant passé le dernier demi-siècle à interpréter l’expression « mesures d’effet équivalent» ( 21 ).

40.

Deuxièmement, la Cour semble être davantage disposée à conclure qu’une disposition a un effet direct, malgré les notions vagues ou indéterminées qu’elle contient, lorsque cette disposition énonce une interdiction. Lorsque la disposition est invoquée à titre de source d’un droit autonome dont les contours restent à définir, l’utilisation de concepts vagues est en général plus problématique ( 22 ). Ainsi, la directive en cause dans l’affaire Carbonari e.a. ( 23 ) reconnaissait aux étudiants en médecine une « rémunération appropriée ». Alors que l’obligation de rémunération était précise, la définition du terme « approprié » et la méthode de fixation de la rémunération faisaient défaut. La Cour a dès lors jugé que la disposition en cause n’avait pas d’effet direct.

41.

Troisièmement, l’existence d’un effet direct, ou son absence, s’apprécie au regard des dispositions individuelles, telles qu’un article d’un acte législatif ou même une subdivision d’article. Dans le cadre de cette appréciation, l’économie et la logique interne de l’acte législatif sont évidemment pertinentes. Cela ne fait cependant pas obstacle à ce qu’une disposition bien précise d’un acte législatif soit directement applicable alors même que d’autres dispositions du même acte (voire la plupart de ses dispositions) ne le sont pas.

42.

Quatrièmement, lorsqu’elle se prononce sur le point de savoir si une règle est d’effet direct dans une affaire donnée, la Cour ne cherche pas à constater que des dispositions entières sont, dans leur intégralité, directement applicables. Au contraire, elle procède par extraction, c’est‑à-dire cherche à déterminer s’il est possible de dégager de la disposition du droit de l’Union (qui peut être plus longue et plus complexe) une règle de conduite précise, directement applicable. La Cour a ainsi déclaré d’effet direct le principe d’égalité des rémunérations pour un même travail ( 24 ) (ou, plus exactement, la prohibition de discriminations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins en ce qui concerne la rémunération ( 25 )) en se fondant sur l’article 119 du traité CEE (désormais article 157 TFUE), lequel imposait aux États membres une obligation de portée plus large ( 26 ).

43.

Cinquièmement, le critère relatif au caractère « inconditionnel » de la disposition du droit de l’Union concernée implique que celle-ci ne doit nécessiter l’intervention d’aucun acte, soit des institutions de l’Union, soit des États membres. Par ailleurs, conformément à la jurisprudence, les États membres ne doivent avoir aucune faculté d’appréciation ( 27 ) pour la transposition, ni la possibilité de se prévaloir de leur omission d’exercer leur pouvoir d’appréciation ( 28 ).

44.

Toutefois, les conditions de l’effet direct peuvent être remplies alors même que l’État membre dispose d’un pouvoir d’appréciation. Il en ira notamment ainsi lorsque le point de savoir si les autorités nationales n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation est susceptible d’un contrôle juridictionnel ( 29 ).

45.

Ce sera en principe le cas s’il est possible de déterminer une « garantie minimale », des « droits minimaux » ou une « protection minimale» ( 30 ) et qu’un contrôle juridictionnel permet de vérifier si l’État membre a respecté ce niveau minimum ( 31 ). Ainsi, dans l’arrêt du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292), la Cour a jugé que la disposition était inconditionnelle et suffisamment précise, dès lors que les termes en cause pouvaient être définis et que le contenu du droit en cause était clair. Les États membres disposaient d’une certaine marge d’appréciation pour ce qui était de la fixation du délai et des modalités d’exercice du droit de renonciation prévu dans la directive en cause dans ladite affaire. Cela n’a toutefois pas affecté le caractère précis et inconditionnel dudit droit, car il était toujours possible de déterminer les droits minimaux conférés au consommateur ( 32 ).

46.

Autrement dit, pour déterminer si une disposition énonçant une interdiction a un effet direct, la question fondamentale est de savoir si la règle est justiciable. Prévoit-elle des garanties minimales que l’autorité nationale en cause peut appliquer en pratique, même malgré une certaine marge d’appréciation de l’État membre ? Cette disposition contient-elle une règle de conduite claire qui peut en être extraite et appliquée dans le cas concret ?

b) Application à la présente affaire

47.

Au regard des cinq conditions rappelées ci-dessus, telles qu’interprétées par la jurisprudence, je suis d’avis que l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, énonçant la règle du CNP, est effectivement d’effet direct.

48.

La règle selon laquelle le coût des procédures de recours relevant de la directive 85/337 ne doit pas être prohibitif est clairement une règle justiciable, en tout cas au moment où l’autorité nationale compétente se prononce sur les dépens afférents à ces procédures. Elle fournit des garanties minimales : un demandeur ne doit pas se voir empêché d’introduire un recours pour des raisons de coût, ni, a fortiori, se trouver ruiné en conséquence directe de ce recours.

49.

La règle CNP contient une interdiction claire, précise et inconditionnelle. Il est vrai qu’il faut interpréter et appliquer le concept de coût « prohibitif » dans le contexte spécifique de chaque cas d’espèce. À mes yeux, cela ne fait cependant pas obstacle à ce que la règle du CNP soit claire et précise. De manière générale, quel que soit le nombre d’orientations ou d’arrêts interprétant la notion de « coût prohibitif », par exemple en fournissant une fourchette, des montants ou des chiffres indicatifs, la règle nécessitera toujours une certaine interprétation dans le cas concret et notamment la prise en compte du contexte spécifique de ce cas concret : qui introduit un recours à quelle fin précise ? ( 33 ) En d’autres termes, il y aura toujours une certaine incertitude sur le plan individuel, mais cela ne veut pas dire que l’incertitude régnera sur ce que la règle exige sur un plan général.

50.

L’arrêt Salzburger Flughafen ( 34 ), par exemple, illustre ce propos ; dans ledit arrêt, la Cour a jugé que l’exigence de procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement de projets susceptibles d’avoir des « incidences notables » sur l’environnement était dotée d’un effet direct ; et ce nonobstant le fait que les « incidences notables » devaient de toute évidence être appréciées au cas par cas ( 35 ).

51.

En ce qui concerne le caractère inconditionnel de la règle du CNP, l’application de cette interdiction n’est clairement subordonnée à aucune condition préalable. Certes, les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation quant à la nature exacte des procédures de recours permettant de contester des décisions relevant des dispositions de la directive 85/337 en matière de participation du public. Toutefois, sous réserve de l’aspect temporel, qui sera examiné ci-après dans le cadre de mes développements consacrés à la première question, aucune des parties ne conteste que la procédure de recours en cause au principal constitue bien une procédure de recours à laquelle la règle s’appliquerait ( 36 ).

52.

Autrement dit, s’agissant d’une situation telle que celle en cause en l’espèce, qui entre tout à fait dans le champ de la réglementation qu’il aurait fallu adopter pour dûment transposer la directive 85/337 telle que modifiée par la directive 2003/35, il n’y a rien de conditionnel.

53.

Il est également vrai que les États membres disposent d’une importante marge de manœuvre quant à la manière dont ils mettent la règle du CNP en œuvre. Les États membres peuvent choisir entre une multitude de formes et de méthodes, comme de prévoir que les parties à la procédure doivent trouver un accord, de mettre en place un mécanisme de plafonnement des dépens ou de plafonner le montant des dépens recouvrables, de prévoir la possibilité de limiter le montant des dépens par voie de décision avant dire droit, de réduire le montant des droits de greffe, de réglementer les honoraires d’avocat en imposant des restrictions, ou de mettre en place un système d’aide judiciaire. Les différentes mesures peuvent être opportunes à différentes étapes de la procédure – avant que le recours ne soit introduit, après que la procédure a commencé, tout au long de la procédure ou encore après sa clôture.

54.

Cela, non plus, ne fait pas obstacle à ce que la règle du CNP ait un effet direct. Il n’y a pas de marge d’appréciation quant à la « garantie minimale » prévue par la règle du CNP. Autrement dit, toute marge de manœuvre dont les États membres sont susceptibles de disposer portera sur le « comment », non sur le « quoi» ( 37 ).

55.

Je considère par conséquent que l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, qui énonce la règle du CNP, a un effet direct, conformément à la définition de cette notion par la Cour et à l’application qui en est faite dans sa jurisprudence. La Cour a toutefois jugé par le passé que la disposition de la convention d’Aarhus qui correspond à l’article 10 bis de la directive 85/337 était dépourvue d’effet direct, question que j’examine à présent.

c) La jurisprudence relative à l’effet direct de l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus

56.

La Cour n’a pas encore eu à se prononcer sur l’éventuel effet direct de l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337.

57.

Dans l’arrêt Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. ( 38 ), auquel elle a récemment renvoyé dans l’arrêt North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy ( 39 ), la Cour a jugé que la disposition correspondante de la convention d’Aarhus (son article 9, paragraphe 4) était dépourvue d’effet direct.

58.

Toutefois, je ne pense pas qu’il soit possible de transposer ce raisonnement de façon mécanique à l’article 10 bis de la directive 85/337.

59.

L’affaire Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (arrêt du 28 juillet 2016, C‑543/14, EU:C:2016:605) était relative à la suppression de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour les prestations de services effectuées par les avocats en Belgique. La Cour constitutionnelle (Belgique), saisie de la question de la constitutionnalité de la loi nationale mettant fin à cette exonération, a déféré toute une série de questions à la Cour, invoquant divers actes et dispositions. La question fondamentale était de savoir si l’augmentation des honoraires d’avocat en Belgique en résultant (de 21 %, taux légal de la TVA sur les prestations de service des avocats en Belgique) entraverait l’exercice du droit à un recours efficace et, en particulier, du droit à l’assistance d’un avocat. L’une des nombreuses questions soulevées par la juridiction de renvoi était de savoir si la directive 2006/112/CE ( 40 ) était compatible avec l’article 9, paragraphes 4 et 5, de la convention d’Aarhus.

60.

C’est dans ce contexte que la Cour a relevé, avec concision, que l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus s’appliquait uniquement aux procédures visées à l’article 9, paragraphes 1 à 3, de ladite convention. En conséquence de ce renvoi, dès lors que ces dernières dispositions étaient elles-mêmes dépourvues d’effet direct, l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus l’était également. La Cour en a conclu que l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus ne pouvait être invoqué pour mettre en cause la validité de la directive 2006/112 ( 41 ).

61.

L’affaire Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (arrêt du 28 juillet 2016, C‑543/14, EU:C:2016:605) portait assurément sur la convention d’Aarhus, non sur la directive 85/337. La question juridique posée était afférente à la remise en cause de la validité d’un acte du droit dérivé de l’Union et s’inscrivait dans un contexte factuel et juridique très différent. De multiples différences existent donc avec la présente affaire.

62.

Premièrement, dans l’affaire Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (arrêt du 28 juillet 2016, C‑543/14, EU:C:2016:605), les demandeurs tentaient d’obtenir le contrôle juridictionnel de la directive 2006/112 à la lumière, entre autres, de la règle du CNP contenue dans la convention d’Aarhus. L’objet de cette affaire était donc nettement plus large, toute une série des arguments invoqués visant à remettre en cause l’assujettissement à la TVA des services juridiques, sans opérer de distinction en fonction de l’existence ou non d’une procédure ou de sa nature. Seul l’un de ces arguments concernait la convention d’Aarhus. La présente affaire, au contraire, concerne la possibilité d’opposer la règle du CNP à une décision bien précise relative aux dépens dans le cadre d’une procédure contestant une (prétendue) violation, précisément identifiée, des dispositions de la directive 85/337 relatives à la participation du public. Par ailleurs, point important, elle porte sur l’effet direct non pas d’une convention internationale ( 42 ), mais d’une disposition du droit dérivé de l’Union.

63.

Deuxièmement, il est manifeste que la règle du CNP serait en principe ( 43 ) d’application à la procédure concrètement en cause dans la présente affaire. Il existe à cet égard un contraste marqué avec l’affaire Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (arrêt du 28 juillet 2016, C‑543/14, EU:C:2016:605), dans laquelle la validité de la loi nationale avait été contestée de façon générale, au motif de l’augmentation du coût des procédures judiciaires susceptible d’en résulter. Pour cette raison, le fait que les autres dispositions de l’article 9 de la convention d’Aarhus (c’est-à-dire les paragraphes 1 à 3 dudit article) manquaient de clarté et de précision, dans la mesure où ledit article n’identifiait pas toutes les procédures soumises à la règle du CNP, revêtait une importance décisive. Aucun manque de clarté de cette sorte ne peut en revanche être constaté dans le cadre de la présente affaire et en ce qui concerne la directive 85/337.

64.

Troisièmement, l’unique argument avancé dans l’arrêt Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. pour justifier l’absence d’effet direct de l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Arhus était le fait que cette disposition renvoie à l’article 9, paragraphes 1 à 3, de ladite convention, dispositions qui sont elles-mêmes dépourvues d’effet direct ( 44 ). Or, les autres alinéas de l’article 10 bis de la directive 85/337 sont libellés en des termes nettement plus simples et clairs. Surtout, le renvoi ne revêt plus aucune importance dans un cas comme celui en cause en l’espèce, où, je le rappelle, l’applicabilité de la règle du CNP à la procédure de recours juridictionnel ne fait pas de doute. Autrement dit, l’économie et le libellé de l’article 10 bis de la directive 85/337 diffèrent de ceux de l’article 9 de la convention d’Arhus concernant un élément clé du raisonnement de la Cour dans l’arrêt du 28 juillet 2016, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑543/14, EU:C:2016:605).

65.

À mon avis, il est donc clairement possible, et il y a lieu, de constater qu’il existe des différences significatives entre l’affaire Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (arrêt du 28 juillet 2016, C‑543/14, EU:C:2016:605) et la présente affaire.

3. Tous les chemins mènent à Rome (mais certains sont plus cahoteux que d’autres)

66.

Comme je l’ai relevé ci-dessus ( 45 ), toutes les parties sont d’accord pour dire qu’il existe une obligation d’interprétation conforme en ce qui concerne la règle du CNP. Tel est également mon avis. Par ailleurs, la juridiction de renvoi a confirmé qu’une interprétation conforme était possible.

67.

Il pourrait être soutenu que, dès lors que l’interprétation conforme et l’effet direct permettent, comme le prétendent certains, de parvenir au même résultat, l’examen de l’effet direct de la règle du CNP que je viens d’effectuer n’était pas vraiment nécessaire.

68.

Je ne pense pas que cette conclusion serait acceptable, pour deux raisons, l’une de principe et l’autre d’ordre pratique.

69.

Sur le plan des principes, il serait à mon avis quelque peu contradictoire de constater que la clarté et la précision nécessaires pour être directement applicable dans le cas concret font défaut à la règle du CNP, puis d’estimer, dans la même phrase, que la règle du CNP est assez claire et précise pour que le juge national soit obligé de l’appliquer dans le cas concret par le biais de l’interprétation conforme.

70.

L’effet direct de la règle du CNP implique que les parties peuvent invoquer la disposition dans le but de « couper » les dépens en empêchant le juge national de prononcer une condamnation aux dépens au-delà du seuil du « coût prohibitif », dans le respect, bien entendu, de toutes les autres règles d’application générale du droit national en matière de dépens. L’interprétation conforme impose au juge national d’« assembler » des morceaux de législation nationale et de trouver une façon de comprimer les dépens pour les faire passer sous le seuil du « coût prohibitif ». Autrement dit, dans les deux cas, la même clarté et la même précision sont nécessaires pour pouvoir identifier le seuil du « coût prohibitif ».

71.

Cette clarté et cette précision soit existent, soit n’existent pas ; elles ne disparaissent pas comme par magie à la mention des mots « effet direct ». Je pense que cela prêterait à confusion de laisser penser que les exigences en matière de « clarté et précision » diffèrent en cas d’effet direct et en cas d’interprétation conforme.

72.

Dans le contexte de la présente affaire, c’est sur le plan pratique que les conséquences du choix diffèrent le plus.

73.

Premièrement, l’interprétation conforme comporte certaines limites, dans la mesure où cette approche ne peut être utilisée pour parvenir à un résultat « contra legem» ( 46 ). Le point de savoir ce qui est « intra legem », « praeter legem » ou déjà « contra legem » dépend inévitablement de l’appréciation subjective, interprétative du juge quant à la possibilité de parvenir à un résultat donné, à partir d’une appréciation globale du droit national. En revanche, lorsqu’une disposition d’une directive revêt un effet direct, elle cause une « incision » plus précise dans l’ordre juridique national. Ramenée à l’essentiel, la règle est autonome, identifiable et prévisible, en ce sens qu’elle ne dépend pas d’une interprétation bienveillante ou de l’imagination, ni de la flexibilité de chaque système juridique ou d’un de ses acteurs.

74.

Deuxièmement, l’effet direct d’une directive peut uniquement être invoqué à l’encontre de l’État, non à l’encontre d’un particulier ( 47 ) (comme la partie intervenante au principal). En revanche, l’interprétation conforme ne comporte pas cette limite de principe. L’interprétation conforme est bien d’application dans le cadre d’un litige opposant des particuliers ( 48 ). La question de savoir si des principes généraux du droit, tels que le principe de protection de la confiance légitime, pourraient, dans le cas concret, faire obstacle à ce que des particuliers tiers se voient imposer des conséquences défavorables ( 49 ) peut prêter à discussion, même s’il semble être généralement admis qu’une interprétation conforme peut être préjudiciable à la position juridique d’un particulier ( 50 ).

75.

Troisièmement, si un effet direct est exclu, la situation devient également plus complexe et incertaine en ce qui concerne une éventuelle responsabilité de l’État. Lorsqu’une directive a été transposée de manière inadéquate et qu’elle n’a pas d’effet direct, les parties lésées sont contraintes d’introduire des actions en responsabilité contre l’État pour obtenir réparation. Cela implique, par définition, une multiplication des procédures. Il est, par ailleurs, en général plus difficile d’établir une « violation suffisamment caractérisée » du droit de l’Union lorsque la règle violée a été considérée ne pas avoir la clarté et la précision nécessaires pour revêtir un effet direct ( 51 ).

4. Conclusion

76.

À mes yeux, la règle du CNP est suffisamment claire et précise pour permettre au juge national d’identifier un résultat au « coût prohibitif » dans le cas concret. Cette règle est par ailleurs inconditionnelle. Je suggère par conséquent à la Cour d’apporter la réponse suivante à la deuxième question posée par la juridiction de renvoi :

L’exigence que les procédures soient « d’un coût non prohibitif », énoncée à l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, est d’effet direct. En l’absence de toute mesure spécifique adoptée en vue de transposer cette disposition, le juge national qui dispose d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la condamnation de la partie qui succombe aux dépens est tenu, lorsqu’il décide des dépens dans une procédure relevant du champ d’application de ladite disposition, d’assurer que sa décision n’aura pas pour effet de rendre le coût de la procédure « prohibitif ».

C.   Sur la première question : l’application ratione temporis de la règle du CNP

77.

Est-il concrètement possible à M. Klohn d’invoquer ( 52 ) la règle du CNP dans la présente affaire, étant donné que son action a été introduite avant que le délai pour transposer ladite règle n’expire ? S’il lui est loisible de l’invoquer, le peut-il uniquement en ce qui concerne les seuls dépens accumulés après l’expiration du délai de transposition ou également « de façon rétroactive » concernant les dépens encourus avant cette date ? Ces interrogations sont au centre de la première question posée par la juridiction de renvoi.

78.

En l’occurrence, la procédure judiciaire a été introduite avant l’expiration du délai de transposition, mais elle s’est poursuivie et les dépens se sont accumulés pendant une longue période après cette date.

79.

Pour autant que la première question de la juridiction de renvoi porte sur les dépens encourus avant l’expiration du délai de transposition, je considère qu’elle a dans une certaine mesure un caractère hypothétique. En effet, la décision de renvoi précise clairement que les seuls dépens en cause sont ceux encourus au cours de la procédure au fond, laquelle a commencé, au plus tôt, le 31 juillet 2007, une fois l’autorisation de former un recours accordée, et donc après l’expiration du délai de transposition le 25 juin 2005.

80.

Je considère que la règle du CNP peut être invoquée en ce qui concerne les dépens en cause dans la présente affaire, c’est-à-dire les dépens encourus par l’Agence durant la partie relative au fond de la procédure au principal.

81.

Je commencerai par examiner l’éventuelle qualification de la règle du CNP de règle de fond ou de règle de procédure (section 1). Je me pencherai ensuite sur les autres manières dont l’aspect temporel peut être abordé (section 2) avant d’appliquer mes constatations à la présente affaire (section 3).

1. L’incidence de la qualification de la règle du CNP de règle de fond ou de règle de procédure

82.

Selon une jurisprudence constante, « les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur », à la différence des règles de fond, qui sont « habituellement interprétées comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie, qu’un tel effet doit leur être attribué» ( 53 ). Les règles de fond s’appliquent en principe uniquement aux situations nées après leur entrée en vigueur ainsi qu’aux effets futurs des situations déjà nées à cette date ( 54 ).

83.

La règle du CNP n’entre parfaitement ni dans la catégorie des règles « de procédure », ni dans celle des règles « de fond ».

84.

D’une part, il est vrai que les dispositions régissant les dépens se trouvent souvent dans les codes de procédure (civile) nationaux. Par ailleurs, plusieurs arrêts de la Cour pourraient être lus comme impliquant que les règles relatives aux dépens sont des règles de procédure. Dans l’arrêt Gemeinde Altrip e.a., la Cour a implicitement opéré une distinction entre les règles de fond, telles que l’obligation de réaliser une évaluation des incidences, et les règles de procédure, telles que le droit à un recours juridictionnel ( 55 ). L’arrêt Edwards et Pallikaropoulos repose sur la prémisse que la règle du CNP est d’application immédiate, ce qui implique qu’elle a le caractère d’une règle de procédure, mais cela n’a pas été explicitement confirmé ( 56 ). Dans les arrêts Saldanha et MTS ainsi que Data Delecta et Forsberg, la Cour a expressément qualifié des règles relatives à des cautions judicatum solvi de règles de procédure ( 57 ).

85.

D’autre part, je considère que l’on ne saurait soutenir que la règle du CNP a une nature purement ou clairement procédurale. De façon générale, les dépens sont souvent considérés faire partie du dispositif de la décision de justice et suivent normalement l’issue de l’affaire (c’est‑à-dire la décision sur le fond). Dans l’arrêt du 7 novembre 2013, Gemeinde Altrip e.a. (C‑72/12, EU:C:2013:712), la Cour a en effet implicitement procédé à une distinction « procédure/fond », mais n’a en aucune manière préjugé la question de savoir à laquelle de ces catégories une règle relative aux dépens telle que la règle du CNP est susceptible d’appartenir. L’arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos (C‑260/11, EU:C:2013:221), ne permet pas de tirer la moindre conclusion : la Cour n’a pas examiné l’application ratione temporis de façon explicite. La question n’avait tout simplement pas été soulevée. Les arrêts du 26 septembre 1996, Data Delecta et Forsberg (C‑43/95, EU:C:1996:357), ainsi que du 2 octobre 1997, Saldanha et MTS (C‑122/96, EU:C:1997:458), portaient uniquement sur les sûretés garantissant les dépens, non sur la condamnation aux dépens elle‑même ( 58 ).

86.

Plus important encore, à y regarder de près, cette jurisprudence me semble bien plus nuancée ( 59 ). Elle repose sur une approche procédant non pas par une répartition en deux catégories étanches, « règles de procédure » et « règles de fond », mais de façon graduelle : toutes les règles nouvelles du droit de l’Union sont d’application immédiate, mais il existe ensuite des limites à l’application de ces règles nouvelles dans le cas concret. Ces limites, consistant notamment en des droits acquis ou en une confiance légitime, seront nettement plus fortes lorsqu’il s’agit de règles qui sont clairement de fond, faisant obstacle à une véritable rétroactivité, sous la forme d’une nouvelle appréciation de faits passés et de relations juridiques achevées. Inversement, elles seront considérablement plus faibles, voire inexistantes, s’agissant de pures règles de procédure. Les éléments qui importent dans ce contexte sont la stabilité et la prévisibilité du droit, ainsi que les attentes des intéressés au regard du type de la règle concrètement concernée.

87.

La présente affaire le montre bien : dans les observations écrites et lors de l’audience, les débats étaient moins axés sur une qualification rigide de la règle du CNP que sur son aptitude à produire des effets rétroactifs et sur les attentes des parties lors de l’introduction et au cours de la procédure.

88.

L’Agence a souligné à cet égard que les « règles régissant l’engagement d’une procédure », y compris son coût éventuel, ne devaient pas changer en cours de route. Les parties définissaient leur stratégie procédurale au début, non seulement sur la base de leur appréciation juridique du fond et de leurs chances d’obtenir gain de cause, mais également en fonction des risques d’être condamnées aux dépens et du montant de ces derniers.

89.

Cet argument ne peut pas être écarté du revers de la main, mais il a aussi des limites évidentes. Spécialement dans des situations complexes, telles que celle en cause en l’espèce, les parties ne peuvent pas se faire une idée claire du montant total des dépens dès le premier jour. Plus une procédure se poursuit, moins il y a de prévisibilité. Des jugements de première instance peuvent donner lieu à des appels, à des pourvois, à des recours en inconstitutionnalité, et même, dans certains cas, à des renvois préjudiciels devant la Cour. Il est plutôt évident que toute partie raisonnable à une procédure (ré)évaluera probablement le risque quant aux dépens à chacune de ces étapes avant de décider de poursuivre ou non le contentieux. Par ailleurs, le juge dispose généralement d’une certaine marge d’appréciation (parfois même d’une marge d’appréciation importante) lors de son analyse finale et de sa décision relative aux dépens.

90.

Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec l’Agence lorsque cette dernière déclare que les autorités publiques et les particuliers parties à une procédure se trouvent dans la même situation en ce qui concerne leurs attentes en matière de dépens. Certes, un État membre examinera évidemment les coûts et avantages d’une procédure judiciaire et de sa poursuite, mais une procédure juridictionnelle ne risque pas d’entraîner sa faillite. En revanche, il n’en va pas ainsi pour la majorité des particuliers.

91.

À la lumière de ce qui précède, je ne pense pas qu’il soit possible de résoudre la question de l’application ratione temporis de la règle du CNP en décidant simplement à quelle catégorie, celle des règles de procédure ou celle des règles de fond, ladite règle appartient le plus probablement.

2. Autres approches possibles de l’application dans le temps

92.

À supposer que l’on admette l’argument exposé ci-dessus, selon lequel les attentes en matière de dépens sont figées lors de l’introduction de la procédure, il faudrait en conclure que les règles en matière de dépens alors applicables, sur la base desquelles les parties ont échafaudé leur stratégie procédurale, s’appliquent pour toute la durée de cette procédure. Les parties entreraient, en ce qui concerne les dépens, dans une sorte de « tunnel », dans lequel elles resteraient durant toutes les étapes successives de la procédure, par exemple, autorisation d’introduire un recours juridictionnel, recours juridictionnel, appel du jugement de première instance, pourvoi contre l’arrêt de deuxième instance, renvois devant d’autres juridictions, taxation des dépens, etc. Telle semble être en substance la position de l’Agence et de l’Irlande.

93.

Cette approche me semble extrêmement problématique. Elle permettrait que, dans certaines situations, le contentieux se poursuive éventuellement pendant des décennies après l’expiration du délai de transposition de la règle du CNP.

94.

Une autre approche pourrait être que la règle du CNP s’applique immédiatement à toute décision relative aux dépens adoptée après l’expiration du délai de transposition. Il serait tout à fait possible de se fonder à cette fin sur l’application immédiate des règles de procédure ou sur l’application de la règle de fond aux « effets futurs » d’un précédent changement de la législation.

95.

Cette approche me semble également assez problématique. Ainsi que je l’ai indiqué ci-dessus, je ne partage pas le point de vue selon lequel les attentes concernant les dépens se cristallisent une fois pour toutes au tout début de la procédure. On ne saurait cependant nier que les parties ont des attentes dès ce stade. Pour prendre un exemple extrême, si une directive introduit une règle nouvelle relative aux dépens le 1er janvier 2018, il semble, sauf circonstances particulières, difficilement justifiable de rendre le 2 janvier 2018 une décision qui applique cette nouvelle règle du CNP à une procédure qui se poursuit déjà depuis plusieurs années. Même si cette question ne se pose pas dans la présente affaire, il est parfaitement possible que cette approche impose l’application de la nouvelle règle à des dépens entièrement encourus avant l’expiration du délai de transposition (peut-être même avant l’adoption de la directive).

96.

Il faut trouver une voie médiane. Deux options peuvent être envisagées.

97.

Premièrement, il serait possible d’invoquer la règle du CNP concernant tous les dépens encourus après l’expiration du délai de transposition, alors même que la procédure aurait été engagée avant cette date. Les frais de toute procédure devraient ainsi être divisés en dépens encourus (facturés ou afférents à des services objectivement rendus) avant l’expiration du délai de transposition et dépens encourus après cette date.

98.

Deuxièmement, la règle du CNP pourrait s’appliquer à compter de la première nouvelle « étape » de la procédure suivant l’expiration du délai de transposition. J’entends par là le moment auquel une décision est rendue par l’autorité (en l’occurrence, juridictionnelle) statuant sur le litige qui a) met fin à cette étape, par exemple un jugement au fond rendu par une cour d’appel, ou b) permet à la procédure de se poursuivre, par exemple une décision sur la recevabilité ou, d’après ce que je comprends de la procédure devant les juridictions irlandaises, une décision autorisant l’introduction d’un recours juridictionnel.

99.

Cette deuxième option repose sur l’idée qu’il est probable que, à ces moments clés de la procédure, les parties examineront comme il se doit la question des dépens et les arguments plaidant en faveur ou en défaveur d’une poursuite de la procédure. Bien entendu, il n’en ira pas toujours ainsi, mais cela semble être une présomption raisonnable et une approche praticable et prévisible.

100.

Je considère que la Cour devrait retenir cette deuxième option, pour plusieurs raisons. Bien que la première option garantisse sans doute une plus grande prévisibilité, en ce que la date à partir de laquelle il sera possible d’invoquer la règle du CNP sera alors plus claire et unique, tous les systèmes nationaux ne garantiront pas nécessairement un niveau de détail suffisant des dépens. D’autres obstacles pratiques, tels que des frais fixes (pour des actes ou parties de la procédure bien définis), qui ne sont pas spécifiquement rattachés à une date déterminée, rendent également la mise en œuvre de la première option plus difficile. Par ailleurs, la deuxième option est plus respectueuse des attentes des parties au début de la procédure. Cela revêt une importance particulière dans l’hypothèse où la règle du CNP est opposée à des particuliers (ce serait typiquement le cas lorsque, par exemple, le particulier ayant obtenu un permis de construire intervient à la procédure contestant ce permis).

101.

D’autres approches plus subtiles et nuancées, fondées par exemple sur une évaluation au cas par cas des attentes effectivement nourries par les parties dans des procédures spécifiques, seraient à mes yeux considérablement plus complexes, et conféreraient nettement moins de prévisibilité, que les deux options décrites ci‑dessus.

3. Application à la présente affaire

102.

Sous réserve de l’appréciation finale portée par la juridiction de renvoi, la deuxième option envisagée ci-dessus – invocabilité de la règle du CNP à compter de la première étape distincte de la procédure suivant l’expiration du délai de transposition – signifierait que la règle du CNP pourrait être invoquée à compter du moment où M. Klohn a été autorisé à introduire un recours juridictionnel et s’appliquerait à l’intégralité de la procédure au fond et à la décision qui la clôture.

103.

On pourrait cependant ajouter que, étant donné qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, de décision sur les dépens concernant les étapes précédentes de la procédure, la première option aboutirait en pratique apparemment au même résultat.

104.

Enfin, il semble que seuls soient en cause en l’espèce les dépens de l’Agence, qui est un organisme public et doit être traitée comme faisant partie de l’État membre ( 60 ). Il n’est donc pas question de la possibilité pour M. Klohn d’invoquer la règle du CNP à l’encontre de particuliers (en l’occurrence la partie intervenante, maître d’ouvrage de l’installation). Je n’examinerai par conséquent pas les détails de cet aspect. Il est néanmoins utile de rappeler ( 61 ) que, pour autant que la règle du CNP soit considérée avoir un effet direct, cet effet direct ne saurait être invoqué à l’encontre d’un particulier. En revanche, l’obligation d’interprétation conforme s’applique dans les rapports entre particuliers et pourrait éventuellement conduire à ce que d’autres particuliers doivent également supporter la charge des dépens ( 62 ). C’est là une raison supplémentaire pour retenir la deuxième option proposée ci-dessus, qui respecte davantage les attentes des parties ( 63 ). Par ailleurs, ainsi qu’il a été mentionné au point 74 des présentes conclusions dans le cadre de la deuxième question, cette différence quant aux conséquences pour les particuliers est une autre raison de distinguer entre effet direct et interprétation conforme.

105.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la première question posée par la juridiction de renvoi :

Dans des cas de figure tels que celui dont la juridiction de renvoi est saisie, l’exigence que la procédure soit « d’un coût non prohibitif », énoncée à l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, peut être invoquée en ce qui concerne les dépens encourus à compter de la première étape distincte de la procédure suivant l’expiration du délai de transposition, c’est-à-dire suivant une décision rendue par l’autorité juridictionnelle statuant sur le litige, qui a) met fin à cette étape ou b) permet à la procédure de se poursuivre.

D.   Sur la troisième question

106.

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si, bien que M. Klohn n’ait pas introduit de recours contre la décision le condamnant aux dépens et qui est donc définitive, le Taxing Master ou le juge saisi d’un recours contre la décision du Taxing Master a l’obligation d’appliquer la règle du CNP au montant final des dépens que doit supporter M. Klohn.

107.

Sous réserve de l’appréciation finale portée par la juridiction de renvoi, je considère que soit le Taxing Master, soit le juge saisi d’un recours contre la décision de ce dernier, doit avoir l’obligation d’appliquer la règle du CNP (soit en tant que règle pourvue d’un effet direct, soit par le biais d’une interprétation conforme, en fonction de la réponse apportée par la Cour à la deuxième question).

108.

À cet égard, je commencerai par quelques observations sur les faits et le droit national tels qu’invoqués par les parties (section 1). Je répondrai ensuite à la troisième question posée par la juridiction de renvoi (section 2).

1. Éléments de fait et de droit national

109.

Il semble que la décision condamnant M. Klohn aux dépens soit devenue définitive.

110.

La jurisprudence de la Cour met en exergue l’importance que revêt le principe de l’autorité de la chose jugée pour des raisons de stabilité du droit et des relations juridiques ainsi que de bonne administration de la justice, de sorte que les décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne peuvent plus être remises en cause ( 64 ). C’est uniquement dans des circonstances très exceptionnelles que le droit de l’Union impose à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision ( 65 ).

111.

Dans la présente affaire, il ne semble pas y avoir de telles circonstances exceptionnelles. Un certain nombre d’éléments sont cependant à relever.

112.

Premièrement, s’il est bien possible que la décision condamnant M. Klohn aux dépens soit effectivement définitive, il semble également que cette décision n’a pas fixé de montant précis en ce qui concerne les dépens mis à sa charge. Ce qui semble avoir un caractère définitif est la décision de justice déclarant que les dépens suivront l’issue de l’affaire. En revanche, la question du montant précis de ces dépens semble être tout à fait ouverte, étant actuellement l’objet de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi.

113.

Deuxièmement, si M. Klohn avait souhaité introduire un recours contre la décision le condamnant aux dépens, il lui aurait fallu obtenir une autorisation à cette fin. Par ailleurs, cette autorisation n’aurait été accordée que si M. Klohn avait pu établir que son recours était d’un « intérêt public exceptionnel ». Ces éléments de droit national ont été confirmés par l’Irlande au cours de l’audience.

114.

Troisièmement, M. Klohn a confirmé au cours de l’audience, sans avoir été contredit par aucune des autres parties, que, jusqu’à la décision du Taxing Master, ou à tout le moins jusqu’au projet de décision, qui n’a été disponible qu’un an après la décision le condamnant aux dépens, il n’avait pas conscience de l’importance des dépens qu’il risquait de devoir supporter. À cet égard, M. Klohn a indiqué que le montant des dépens recouvrables de l’Agence tel que chiffré par cette décision était d’environ le triple du montant des dépens qu’il avait lui-même encourus dans le cadre de la procédure. La partie intervenante ne semble pas avoir réclamé remboursement de ses dépens.

115.

Quatrièmement, M. Klohn a déclaré que, lors de sa condamnation aux dépens, il était convaincu que le Taxing Master appliquerait la règle du CNP. M. Klohn a fait état d’une décision d’une juridiction nationale, rendue quelques mois avant le prononcé de la décision le condamnant aux dépens, dont il considère qu’elle étaye ce point de vue ( 66 ). Cet argument est notamment contesté par l’Irlande, qui affirme que, au regard de la jurisprudence de la Supreme Court (Cour suprême), il est « parfaitement clair » que le Taxing Master n’a pas ce pouvoir ( 67 ).

116.

Cinquièmement, je comprends que le Taxing Master dispose d’un certain pouvoir de réduire le montant des dépens recouvrables comparé au montant réclamé. En effet, la juridiction de renvoi confirme que l’Agence avait initialement réclamé environ 98000 euros au titre des dépens, mais ne s’est vu accorder le remboursement qu’à concurrence d’environ 86000 euros. Je comprends que cette réduction du montant des dépens était essentiellement motivée par l’exigence que les frais de justice soient raisonnables, et que le Taxing Master considère que son pouvoir de réduire le montant des dépens recouvrables ne s’étend pas à une réduction qui serait fondée sur le caractère prohibitif du coût de la procédure.

2. Application à la présente affaire

117.

Il appartient à la juridiction de renvoi de porter l’appréciation finale sur les faits et le droit national en cause dans l’affaire au principal. Cela étant dit, j’exposerai ci-après les obligations qui découlent du droit de l’Union et la manière dont elles peuvent être appliquées au regard des faits et du droit national, tels que je les comprends.

118.

La directive ne désigne pas la juridiction ou autre organe compétent pour garantir l’application de la règle du CNP. Comme pour toute autre règle de nature similaire, ce point relève dès lors du droit national ( 68 ). La liberté du choix des voies et moyens destinés à assurer la mise en œuvre de la règle du CNP laisse toutefois entière l’obligation, pour l’État membre, de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le plein effet de ladite règle, conformément à l’objectif que celle-ci poursuit ( 69 ).

119.

L’obligation de l’État membre d’atteindre le résultat prévu par la règle du CNP ainsi que son devoir, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent aux autorités juridictionnelles de l’État membre ( 70 ) et s’étendent à toutes les autorités nationales, y compris, a fortiori, celles rattachées aux juridictions nationales ou en faisant partie ( 71 ).

120.

Autrement dit, les principes de la primauté et de l’effet direct du droit de l’Union ainsi que l’obligation d’interprétation conforme s’imposent à toutes les autorités des États membres, tant juridictionnelles qu’administratives. Dans ce cadre, la question de savoir quel organe précis est finalement chargé d’assurer le respect de cette obligation relève entièrement du droit national, tant qu’il existe un tel organe. Il n’appartient pas à la Cour de décider de la répartition interne des compétences appartenant à cet égard à l’État membre ou de la classification d’organes nationaux, tels que le Taxing Master, au regard de la constitution.

121.

Il est cependant possible de faire les constatations générales suivantes.

122.

Sous réserve des limites temporelles exposées ci-dessus, un particulier tel que M. Klohn doit pouvoir invoquer la règle du CNP devant les juridictions et autorités nationales. Ces juridictions et autorités nationales ont l’obligation de garantir les résultats de l’effet direct de ladite règle ( 72 ) ; dans l’hypothèse où la Cour jugerait la règle du CNP dépourvue d’effet direct, ces autorités juridictionnelles sont en tout état de cause tenues, « dans le cadre de leurs compétences », d’interpréter le droit national de façon conforme à la règle du CNP ( 73 ), tout comme les autorités nationales le sont ( 74 ).

123.

La seule question qui reste alors encore ouverte est de savoir si le fait de réduire le montant des dépens recouvrables afin que la règle du NCP soit respectée entre dans les « compétences » du Taxing Master ou du juge national saisi d’un recours contre la décision du Taxing Master. C’est là un aspect central de la troisième question posée par la juridiction de renvoi.

124.

À cet égard, je considère que, lorsque la jurisprudence de la Cour fait référence aux autorités administratives nationales appliquant les principes de primauté et d’effet direct du droit de l’Union et satisfaisant à l’obligation d’interprétation conforme « dans le cadre de leurs compétences », il convient de la lire comme signifiant que les autorités nationales y sont tenues lorsqu’elles disposent des pouvoirs nécessaires (dans le sens d’« un type générique de compétences »), sans qu’une autorisation expresse d’exercer ces pouvoirs dans le but spécifique imposé par le droit de l’Union ne soit nécessaire. Il n’est, à mes yeux, cependant pas possible de pousser l’effet direct et la primauté du droit de l’Union jusqu’à conférer, potentiellement en violation du principe de séparation des pouvoirs, aux autorités administratives des pouvoirs d’un type entièrement nouveau, comparé à ceux que leur confère le droit national.

125.

Je déduis de la décision de renvoi que le Taxing Master a dans certaines circonstances le pouvoir de réduire le montant des dépens. Il semble ainsi avoir les compétences du type requis pour modifier le montant des dépens recouvrables. La question de savoir s’il est possible d’interpréter le pouvoir du Taxing Master de réduire le montant des dépens comme s’étendant à des cas tels que celui en cause en l’espèce relève finalement du droit national, et il appartient à la juridiction de renvoi de la trancher.

126.

En tout état de cause, si la juridiction de renvoi conclut que le Taxing Master n’a pas cette compétence lui-même, le juge national saisi d’un recours contre sa décision doit l’avoir.

127.

Conformément à une jurisprudence établie, c’est aux juridictions nationales qu’il incombe en particulier d’assurer la protection juridique découlant pour les justiciables des dispositions du droit de l’Union et de garantir le plein effet de celles-ci ( 75 ). En l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ( 76 ).

128.

Ces règles ne doivent, notamment, pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité). Un non-respect de cette exigence sur ce plan est de nature à porter atteinte au principe de protection juridictionnelle effective ( 77 ).

129.

À mon avis, il serait contraire au principe d’effectivité de juger que ni le Taxing Master, ni le juge national saisi d’un recours contre sa décision n’a compétence pour appliquer la règle du CNP dans un cas tel que celui en cause en l’espèce.

130.

Je parviens à cette conclusion au regard des divers éléments de fait cités dans la section précédente, dont l’un est à mes yeux décisif, à savoir le fait que la décision chiffrant le montant des dépens est intervenue bien après l’expiration du délai de recours contre la décision condamnant M. Klohn aux dépens. Cela signifie que, au moment de prendre la décision de contester sa condamnation aux dépens ou non, M. Klohn ne disposait tout simplement pas de ce qui me semble être une information essentielle : à quelle somme s’élèveraient les dépens à rembourser ? À cet égard, je rappelle que l’argumentation avancée par l’Agence repose largement sur la prémisse que la décision de s’engager dans un contentieux ou de le poursuivre implique une analyse coût‑avantages éclairée, qui fait naître des espérances fondées. Il y a donc une certaine ironie à arguer ensuite que la partie qui succombe doit décider d’introduire ou non un recours contre la décision la condamnant aux dépens sans même savoir quel montant elle pourrait être amenée à devoir payer.

131.

À la lumière de ce qui précède, je suggère à la Cour de répondre comme suit à la troisième question préjudicielle :

Lorsque, comme dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi, une condamnation aux dépens n’est assortie d’aucune restriction et serait, dès lors qu’aucune voie de recours n’a été exercée, considérée en droit national comme définitive et finale, et que le montant des dépens n’a pas été chiffré avant que n’expire le délai de recours, le droit de l’Union exige que

le Taxing Master, chargé en vertu du droit national de la tâche de chiffrer le montant des dépens raisonnablement encourus par la partie qui a obtenu gain de cause, ou

le juge saisi d’un recours contre la décision du Taxing Master

ait l’obligation d’appliquer la règle, directement applicable, découlant de l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, en vertu de laquelle les dépens ne doivent pas avoir pour effet de rendre le coût de la procédure prohibitif.

V. Conclusion

132.

Je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) :

1)

Dans des cas de figure tels que celui dont la juridiction de renvoi est saisie, l’exigence que la procédure soit d’un « coût non prohibitif », énoncée à l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, telle que modifiée par la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, peut être invoquée en ce qui concerne les dépens encourus à compter de la première étape distincte de la procédure suivant l’expiration du délai de transposition, c’est-à-dire suivant une décision rendue par l’autorité juridictionnelle statuant sur le litige, qui a) clôt cette étape ou b) permet à la procédure de se poursuivre.

2)

L’exigence que les procédures soient d’un « coût non prohibitif », énoncée à l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, telle que modifiée par la directive 2003/35, est d’effet direct. En l’absence de toute mesure spécifique adoptée en vue de transposer cette disposition, le juge national qui dispose d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la condamnation de la partie qui succombe aux dépens est tenu, lorsqu’il décide des dépens dans une procédure relevant du champ d’application de ladite disposition, d’assurer que sa décision n’aura pas pour effet de rendre le coût de la procédure « prohibitif ».

3)

Lorsque, comme dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi, une condamnation aux dépens n’est assortie d’aucune restriction et serait, dès lors qu’aucune voie de recours n’a été exercée, considérée en droit national comme définitive et finale, et que le montant des dépens n’a pas été chiffré avant que n’expire le délai de recours, le droit de l’Union exige que :

le Taxing Master, chargé en vertu du droit national de la tâche de chiffrer le montant des dépens raisonnablement encourus par la partie qui a obtenu gain de cause, ou

le juge saisi d’un recours contre la décision du Taxing Master

ait l’obligation d’appliquer la règle, dotée d’un effet direct, découlant de l’article 10 bis, cinquième alinéa, de la directive 85/337, telle que modifiée par la directive 2003/35, en vertu de laquelle les dépens ne doivent pas avoir pour effet de rendre le coût de la procédure prohibitif.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 mai 2003 prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement, et modifiant, en ce qui concerne la participation du public et l’accès à la justice, les directives 85/337/CEE et 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 156, p. 17).

( 3 ) Directive du Conseil du 27 juin 1985 (JO 1985, L 175, p. 40).

( 4 ) C‑427/07, EU:C:2009:457, points 92 à 94.

( 5 ) L’article 7 de la directive 2003/35 précise que celle-ci entre en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

( 6 ) C‑470/16, EU:C:2017:781, point 33.

( 7 ) Arrêt du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy (C‑470/16, EU:C:2018:185, points 55 à 58).

( 8 ) Voir, en ce sens, arrêt du 8 avril 1976, Defrenne (43/75, EU:C:1976:56, points 18 et 19), par opposition à l’arrêt du 22 novembre 2005, Mangold (C‑144/04, EU:C:2005:709, point 76).

( 9 ) Arrêts du 10 avril 1984, von Colson et Kamann (14/83, EU:C:1984:153, point 26), ainsi que du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, points 111 à 119). Voir également arrêts du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 24), ainsi que du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, point 109).

( 10 ) Arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 114).

( 11 ) Arrêt du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie (C‑240/09, EU:C:2011:125, points 50 à 52).

( 12 ) À tout le moins en ce qui concerne le principe même, faisant abstraction pour l’instant des questions qui se posent quant au champ d’application ratione temporis de cette obligation et aux organes ou autorités qui en sont tenues, aspects que j’examinerai ci-après dans le cadre de la réponse aux première et troisième questions posées par la juridiction de renvoi.

( 13 ) Voir points 72 à 75 des présentes conclusions.

( 14 ) Arrêt du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy (C‑470/16, EU:C:2018:185, points 52 et 58).

( 15 ) Voir, plus en détail, points 67 à 75 des présentes conclusions.

( 16 ) Voir, par exemple, arrêt du 4 décembre 1974, van Duyn (41/74, EU:C:1974:133, point 12).

( 17 ) Arrêts du 19 janvier 1982, Becker (8/81, EU:C:1982:7, point 25), ainsi que du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, points 56 et 57).

( 18 ) Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 60).

( 19 ) Arrêt du 5 février 1963 (26/62, EU:C:1963:1).

( 20 ) Arrêt du 19 décembre 1968, Salgoil (13/68, EU:C:1968:54).

( 21 ) Les arrêts du 5 février 1963, van Gend & Loos (26/62, EU:C:1963:1), ainsi que du 19 décembre 1968, Salgoil (13/68, EU:C:1968:54), concernaient des droits de douane et restrictions quantitatives proprement dits. C’est seulement plus tard que la nécessité d’expliquer la deuxième notion, celle de « mesure d’effet équivalent », s’est fait jour. Voir, par exemple, arrêts du 1er juillet 1969, Commission/Italie (24/68, EU:C:1969:29) ; du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, EU:C:1974:82) ; du 5 février 1976, Conceria Bresciani (87/75, EU:C:1976:18), ainsi que du 24 novembre 1982, Commission/Irlande (249/81, EU:C:1982:402).

( 22 ) La doctrine opère dans ce contexte une distinction entre les notions d’« invocabilité d’exclusion » (c’est-à-dire la possibilité d’invoquer une disposition du droit de l’Union qui est suffisamment claire pour faire obstacle à l’application de règles du droit national qui y sont contraires) et l’« invocabilité de substitution » (c’est-à-dire la possibilité d’invoquer un droit conféré par le droit de l’Union, qui est suffisamment défini pour remplacer la règle nationale existante). Voir Prechal, S., « Member State Liability and Direct Effect : What’s the Difference After All ? », European Business Law Review, 17, 2006, p. 304. Dans ce cadre théorique, une « invocabilité d’exclusion » existe lorsqu’une règle du droit de l’Union qui interdit certains comportements est utilisée pour écarter l’application du droit national. Dans ce type de situation, le seuil de l’effet direct semble être plus bas. Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Linster (C‑287/98, EU:C:2000:3, point 57).

( 23 ) Arrêt du 25 février 1999, Carbonari e.a. (C‑131/97, EU:C:1999:98).

( 24 ) Arrêt du 8 avril 1976, Defrenne (43/75, EU:C:1976:56, points 30 à 37).

( 25 ) Arrêt du 8 avril 1976, Defrenne (43/75, EU:C:1976:56, point 39).

( 26 ) À cet égard, voir conclusions de l’avocat général Trabucci dans l’affaire Defrenne (43/75, non publiées, EU:C:1976:39, dispositif). L’avocat général a d’abord examiné les notions indéterminées dans cette disposition. Il a constaté que la disposition en cause avait clairement pour destinataires les États membres. L’avocat général a cependant conclu que cette disposition, plus générale, contenait une proposition plus étroite. Il a identifié cette proposition comme « rémunération entendue au sens strict et […] travail non pas simplement comparable mais identique », et a considéré qu’elle était directement applicable.

( 27 ) Arrêt du 4 décembre 1974, van Duyn (41/74, EU:C:1974:133, point 6).

( 28 ) Arrêt du 19 janvier 1982, Becker (8/81, EU:C:1982:7, points 28 à 30).

( 29 ) Arrêt du 4 décembre 1974, van Duyn (41/74, EU:C:1974:133, points 7 et 13). Voir également arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a. (C‑72/95, EU:C:1996:404, point 59) ; du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 64), ainsi que du 21 mars 2013, Salzburger Flughafen (C‑244/12, EU:C:2013:203, points 29 et 31).

( 30 ) Voir, respectivement, arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428, point 19) ; du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C‑91/92, EU:C:1994:292, point 17), ainsi que du 24 janvier 2012, Dominguez (C‑282/10, EU:C:2012:33, point 35).

( 31 ) Voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2000, Linster (C‑287/98, EU:C:2000:468, point 37) : « Cette marge d’appréciation, dont l’État membre peut user lorsqu’il transpose cette disposition dans son ordre juridique national, n’exclut cependant pas qu’un contrôle juridictionnel puisse être effectué afin de vérifier si les autorités nationales ne l’ont pas outrepassée » (c’est moi qui souligne).

( 32 ) Arrêt du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, EU:C:1994:292, point 17). Voir également Skouris, V., « effet utile Versus Legal Certainty : The Case-law of the Court of Justice on the Direct Effect of Directives », European Business Law Review, vol. 17, 2006, p. 242, décrivant l’inconditionnalité comme des dispositions ne laissant aucune marge d’appréciation aux États membres pour savoir si, quand et comment il convient de légiférer.

( 33 ) Cela ressort par ailleurs clairement de l’arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos (C‑260/11, EU:C:2013:221). Dans cet arrêt, la Cour n’a pas cherché à exprimer le concept de « coût non prohibitif » en chiffres absolus et a également rejeté une approche reposant sur le demandeur « moyen ». Au lieu de cela, elle a fourni une liste (non limitative) des éléments les plus pertinents à prendre en considération lors de l’application de la règle ; voir arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos (C‑260/11, EU:C:2013:221, points 40 à 43).

( 34 ) Arrêt du 21 mars 2013 (C‑244/12, EU:C:2013:203).

( 35 ) Voir également, par exemple, arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, points 105 à 134), concernant la notion de « conditions d’emploi ».

( 36 ) Il existe donc à cet égard une différence très nette avec la situation en cause dans l’arrêt du 28 juillet 2016, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑543/14, EU:C:2016:605, point 50), examiné aux points 57 à 65 des présentes conclusions.

( 37 ) À mes yeux, la présente affaire se distingue à cet égard de la situation en cause dans la décision de la High Court (Haute Cour), Friends of the Curragh Environment Limited/An Bord Pleanála ([2009] 4 I.R. 451), invoquée par l’Irlande, déclarant l’article 10 bis de la directive 85/337 dépourvu d’effet direct. Il semble que le demandeur avait alors tenté d’obtenir à un stade précoce de la procédure une décision relative aux dépens garantissant qu’il n’aurait pas à rembourser au défendeur les frais encourus par ce dernier. Je suis d’accord avec la conclusion finale, selon laquelle la règle du CNP n’a pas d’effet direct en ce qu’elle imposerait de recourir à un instrument procédural donné en vue d’assurer que le coût ne soit pas prohibitif. Autrement dit, l’État membre disposait d’une importante marge d’appréciation quant au « comment ».

( 38 ) Arrêt du 28 juillet 2016 (C‑543/14, EU:C:2016:605).

( 39 ) Arrêt du 15 mars 2018 (C‑470/16, EU:C:2018:185, point 52), dans lequel la Cour a constaté l’absence d’effet direct de l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus en renvoyant à l’arrêt du 28 juillet 2016, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑543/14, EU:C:2016:605), à titre de précédent, sans développer ce point davantage.

( 40 ) Directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

( 41 ) Arrêt du 28 juillet 2016, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑543/14, EU:C:2016:605, points 50, 53 et 54).

( 42 ) Voir arrêts du 5 février 1976, Conceria Bresciani (87/75, EU:C:1976:18) ; du 30 septembre 1987, Demirel (12/86, EU:C:1987:400), ainsi que du 11 mai 2000, Savas (C‑37/98, EU:C:2000:224).

( 43 ) Toujours sous réserve de l’aspect temporel.

( 44 ) Arrêt du 28 juillet 2016 (C‑543/14, EU:C:2016:605, point 50).

( 45 ) Voir point 31 des présentes conclusions.

( 46 ) Voir, par exemple, arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, EU:C:2006:443, point 110).

( 47 ) Arrêts du 12 juillet 1990, Foster e.a. (C‑188/89, EU:C:1990:313, points 18 à 20), ainsi que du 10 octobre 2017, Farrell (C‑413/15, EU:C:2017:745, points 22 à 29).

( 48 ) Arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584). Je procède à cette juxtaposition en partant du principe que, dans une affaire donnée, le juge national appliquera seulement l’une ou l’autre solution, mais non les deux. Autrement dit, le juge national ne constatera pas, d’une part, l’effet direct de la règle du CNP à l’encontre de l’État membre et, d’autre part, refusera d’en faire une application horizontale à l’encontre d’un autre particulier pour imposer ensuite à ce dernier la même obligation par le biais d’une interprétation conforme.

( 49 ) Voir arrêt du 26 septembre 1996, Arcaro (C‑168/95, EU:C:1996:363, point 42), qui semble néanmoins se limiter au domaine du droit pénal et à l’imposition d’une responsabilité pénale en conséquence d’une interprétation conforme. Voir, par exemple, arrêt du 5 juillet 2007, Kofoed (C‑321/05, EU:C:2007:408, point 45). Voir également conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Kofoed (C‑321/05, EU:C:2007:86, notamment point 65), confirmant expressément qu’« il est admis d’appliquer le droit communautaire par l’intermédiaire de dispositions de droit interne, c’est-à-dire de procéder à une application indirecte du droit communautaire au détriment du particulier ».

( 50 ) Voir également point 104 des présentes conclusions.

( 51 ) Arrêt du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 56).

( 52 ) C’est à dessein que j’utilise ici le terme neutre « invoquer ». La première question porte uniquement sur l’aspect temporel. Le point de savoir à quel titre cette règle est invoquée (effet direct ou interprétation conforme) est examiné dans le cadre de la réponse à la deuxième question.

( 53 ) Arrêts du 12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi e.a. (212/80 à 217/80, EU:C:1981:270, point 9) ; du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission (C‑121/91 et C‑122/91, EU:C:1993:285, point 22), ainsi que du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, EU:C:2012:72, point 47).

( 54 ) Arrêts du 6 juillet 2010, Monsanto Technology (C‑428/08, EU:C:2010:402, point 66), ainsi que du 16 décembre 2010, Stichting Natuur en Milieu e.a. (C‑266/09, EU:C:2010:779, point 32). Voir également arrêts du 10 juillet 1986, Licata/CES (270/84, EU:C:1986:304, point 31), ainsi que du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer (C‑162/00, EU:C:2002:57, point 50).

( 55 ) Arrêt du 7 novembre 2013 (C‑72/12, EU:C:2013:712).

( 56 ) Arrêt du 11 avril 2013 (C‑260/11, EU:C:2013:221).

( 57 ) Arrêts du 26 septembre 1996, Data Delecta et Forsberg (C‑43/95, EU:C:1996:357, point 15), ainsi que du 2 octobre 1997, Saldanha et MTS (C‑122/96, EU:C:1997:458, points 16 à 17).

( 58 ) La partie constituant la sûreté afin de garantir la bonne exécution d’une éventuelle condamnation aux dépens ne perdait, en principe, cette sûreté que dans l’hypothèse où elle succombait au fond. La question qui se posait dans lesdites affaires était davantage de savoir si l’exigence de fournir la caution judicatum solvi constituait une discrimination fondée sur la nationalité.

( 59 ) Voir, de manière plus générale, concernant l’application ratione temporis du droit de l’Union dans les nouveaux États membres dans des situations à cheval sur la date d’adhésion, mes conclusions dans l’affaire Nemec (C‑256/15, EU:C:2016:619, points 27 à 44).

( 60 ) Au sens de la jurisprudence citée au point 47 des présentes conclusions.

( 61 ) Voir point 74 des présentes conclusions.

( 62 ) Par exemple du fait que chaque partie, y compris une partie intervenante, serait obligée de supporter ses propres dépens, indépendamment de l’issue du litige au fond, alors même qu’aucune règle claire en ce sens n’aurait encore été adoptée en droit national.

( 63 ) Je n’exclus pas que, dans ce type de situation, le juge national considère en effet qu’une confiance légitime fait obstacle à ce qu’une interprétation conforme, à la lumière d’une règle du CNP non transposée, impose des obligations financières à un particulier partie à la procédure.

( 64 ) Voir, par exemple, arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen (C‑505/14, EU:C:2015:742, point 38 et jurisprudence citée).

( 65 ) Arrêts du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17, point 28), ainsi que du 18 juillet 2007, Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, point 63). Voir, en comparaison, ce qui pourrait être considéré être l’approche générale : arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss (C‑126/97, EU:C:1999:269, points 46 et 47), ainsi que du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178, point 21).

( 66 ) Décision de la High Court (Haute Cour) du 21 novembre 2007, Kavanagh ‑v‑ MJELR & ors ([2007] IEHC 389, rôle no 2007/1269 P).

( 67 ) En outre, la décision condamnant M. Klohn aux dépens (rendue au cours de l’année 2008) est antérieure à l’arrêt du 16 juillet 2009, Commission/Irlande (C‑427/07, EU:C:2009:457), dans lequel la Cour a constaté l’absence de transposition de la règle du CNP par l’Irlande. La légalité ou illégalité des règles nationales en matière de dépens semble être un élément d’importance, qui n’a été établi de façon certaine qu’après expiration du délai de recours contre la décision de condamnation aux dépens.

( 68 ) Voir, par exemple, arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 39).

( 69 ) Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 40).

( 70 ) Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 98).

( 71 ) Arrêt du 22 juin 1989, Costanzo (103/88, EU:C:1989:256, points 30 à 33).

( 72 ) Arrêt du 22 juin 1989, Costanzo (103/88, EU:C:1989:256, point 31).

( 73 ) Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 99).

( 74 ) Arrêts du 12 juin 1990, Allemagne/Commission (C‑8/88, EU:C:1990:241, point 13) ; du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17, point 20), ainsi que du 12 février 2008, Kempter (C‑2/06, EU:C:2008:78, point 34).

( 75 ) Arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C‑397/01 à C‑403/01, EU:C:2004:584, point 111).

( 76 ) Arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, EU:C:1976:188, point 5) ; du 16 décembre 1976, Comet (45/76, EU:C:1976:191, point 13) ; du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, EU:C:1995:437, point 12) ; du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, point 39) ; du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, point 28), ainsi que du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, point 44).

( 77 ) Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, points 46 et 48).

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