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Document 62017CC0118

Conclusions de l'avocat général M. N. Wahl, présentées le 15 novembre 2018.
Zsuzsanna Dunai contre ERSTE Bank Hungary Zrt.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Budai Központi Kerületi Bíróság.
Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Article 6, paragraphe 1 – Contrat de prêt libellé en devise étrangère – Écart de change – Substitution d’une disposition législative à une clause abusive déclarée nulle – Risque de change – Subsistance du contrat après suppression de la clause abusive – Système national d’interprétation uniforme du droit.
Affaire C-118/17.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2018:921

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 15 novembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑118/17

Zsuzsanna Dunai

contre

ERSTE Bank Hungary Zrt.

[demande de décision préjudicielle formée par le Budai Központi Kerületi Bíróság (tribunal central d’arrondissement de Buda, Hongrie)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrats de crédit libellés en devises étrangères – Clauses abusives déclarées nulles – Législation nationale remédiant à la nullité par la modification du contenu des contrats en cause – Maintien de la validité de ces contrats pour le surplus – Possibilité pour la Cour suprême de l’État membre concerné d’adopter des décisions visant à l’unification de la jurisprudence »

Introduction

1.

La présente affaire s’inscrit dans une série de renvois préjudiciels émanant principalement des juridictions hongroises portant sur l’interprétation des dispositions de la directive 93/13/CEE ( 2 ) dans le cadre de litiges portant sur la validité des clauses contenues dans les contrats de prêt libellés dans une devise étrangère.

2.

Elle fait notamment suite à l’adoption d’une législation nationale qui a, notamment, abouti à déclarer nulles, dans ces contrats, les clauses qui permettaient aux établissements de crédit de déterminer leurs propres cours d’achat et de vente de la devise concernée (désignée comme l’« écart de taux de change » ou « spread »). Cette législation énonce également que, si une partie peut demander au juge saisi d’écarter l’application de telles clauses, elle ne peut pas, en revanche, lui demander de constater l’invalidité du contrat de prêt libellé en devise étrangère dans son ensemble.

3.

La juridiction de renvoi émet des doutes quant à la validité de cette dernière prohibition. Elle s’interroge sur la question de savoir si elle est en mesure, notamment au titre de la protection conférée par la directive 93/13, de déclarer le contrat de prêt dont elle a à connaître dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée invalide dans son entièreté, dès lors que, selon elle, une telle possibilité servirait les intérêts économiques du consommateur.

4.

La présente demande de décision préjudicielle invite ainsi la Cour, dans le prolongement d’affaires dont la Cour a été antérieurement saisie ( 3 ), à fournir de nouveau certaines clarifications sur la portée de l’intervention du juge au titre de l’effectivité de la directive 93/13 dans le contexte très particulier des prêts libellés en devises étrangères.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

5.

L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 prévoit que les « clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives [...] ne sont pas soumises aux dispositions de [cette] directive ».

6.

L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive énonce :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

7.

Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

Le droit hongrois

La loi fondamentale hongroise

8.

L’article 25, paragraphe 3, du Alaptörvény (loi fondamentale hongroise) prévoit que la Kúria (Cour suprême, Hongrie) « assure […] l’uniformité de l’application du droit par les juridictions et rend des décisions dans l’intérêt d’une interprétation uniforme des dispositions de droit qui s’imposent aux juridictions ».

La loi relative aux établissements de crédit

9.

L’article 213, paragraphe 1, de l’hitelintézetekről és a pénzügyi vállalkozásokról szóló 1996. évi CXII. törvény (loi no CXII de 1996 relative aux établissements de crédit et aux entreprises financières, ci-après la « loi Hpt ») dispose :

« Est nul tout contrat de prêt à la consommation ou de prêt au logement qui omet de mentionner

[…]

c)

le montant global des coûts liés au contrat, y compris les intérêts, frais accessoires, ainsi que leur valeur annuelle, exprimée en pourcentage,

[…] »

La loi DH 1

10.

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la Kúriának a pénzügyi intézmények fogyasztói kölcsönszerződéseire vonatkozó jogegységi határozatával kapcsolatos egyes kérdések rendezéséről szóló 2014. évi XXXVIII. törvény [loi no XXXVIII de 2014 relative au règlement de certaines questions liées à la décision rendue par la Kúria (Cour suprême) dans l’intérêt de l’uniformité du droit à propos des contrats de prêt conclus par les établissements financiers avec les consommateurs, ci-après la « loi DH 1 »] :

« La présente loi s’applique aux contrats de prêt conclus avec les consommateurs entre le 1er mai 2004 et la date d’entrée en vigueur de la présente loi. Aux fins de la présente loi, doivent être considérés comme contrats de prêt conclus avec les consommateurs les contrats de crédit, de prêt ou de crédit-bail basés sur des devises étrangères (enregistrés en devises étrangères ou octroyés en devises étrangères et remboursés en [forints hongrois (HUF)]) ou sur des HUF et conclus entre un établissement financier et un consommateur, si une clause générale ou une clause non négociée individuellement au sens de l’article 3, paragraphe 1, ou de l’article 4, paragraphe 1, est intégrée audit contrat. »

11.

L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la loi DH 1 prévoit :

« 1.   Dans un contrat de prêt conclu avec un consommateur, est nulle – sauf s’il s’agit d’une condition contractuelle négociée individuellement – la clause en vertu de laquelle l’établissement financier décide que c’est le cours acheteur qui s’applique lors du déblocage des fonds destinés à l’acquisition du bien qui fait l’objet du prêt ou du crédit-bail, alors que c’est le cours vendeur qui s’applique pour le remboursement, ou tout autre taux de change d’un type différent de celui fixé lors du déblocage des fonds.

2.   La clause frappée de nullité en vertu du paragraphe 1 est remplacée – sans préjudice des dispositions du paragraphe 3 – par une disposition visant à l’application du taux de change officiel fixé par la Banque nationale de Hongrie pour la devise correspondante, tant en ce qui concerne le déblocage des fonds que le remboursement (y compris le paiement des mensualités et de tous coûts, frais et commissions fixés en devises). »

La loi DH 2

12.

L’article 37, paragraphe 1, de la Kúriának a pénzügyi intézmények fogyasztói kölcsönszerződéseire vonatkozó jogegységi határozatával kapcsolatos egyes kérdések rendezéséről szóló 2014. évi XXXVIII. törvényben rögzített elszámolás szabályairól és egyes egyéb rendelkezésekről szóló 2014. évi XL. törvény (loi no XL de 2014 relative aux règles applicables au décompte prévu dans la [loi DH 1], ainsi qu’à diverses autres dispositions, ci-après la « loi DH 2 »), prévoit :

« La partie ne peut, au regard de contrats relevant du champ d’application de la présente loi, conclure à ce que la juridiction constate l’invalidité du contrat ou de certaines de ses stipulations (ci-après l’“invalidité partielle”) – quel que soit le motif d’invalidité – qu’en concluant également à ce que ladite juridiction applique les conséquences juridiques de l’invalidité, à savoir que le contrat soit déclaré comme étant valide ou comme produisant effet jusqu’à la date à laquelle est rendue la décision. À défaut, et si la partie ne donne pas suite à une demande de régularisation, la juridiction ne peut pas se prononcer sur le fond du recours. […] »

La loi DH 3

13.

Aux termes de l’article 10 du az egyes fogyasztói kölcsönszerződések devizanemének módosulásával és a kamatszabályokkal kapcsolatos kérdések rendezéséről szóló 2014. évi LXXVII. törvény (loi no LXXVII de 2014 relative au règlement de questions liées à la modification de la monnaie dans laquelle sont libellés certains contrats de prêt et aux règles en matière d’intérêts, ci-après la « loi DH 3 ») :

« L’établissement financier créancier au regard d’un contrat de prêt hypothécaire en devise ou basé sur une devise est tenu, jusqu’à la date limite pour l’exécution de son obligation de décompte en application de la loi [DH 2], de convertir l’intégralité de la dette existante sur le fondement du contrat de prêt hypothécaire en devise ou basé sur une devise, ou résultant d’un tel contrat, telle qu’établie sur la base du décompte effectué conformément à la loi [DH 2] – y compris les intérêts, les frais, les commissions et les coûts facturés en devises –, en une créance en HUF en retenant celle des deux valeurs qui, entre

a)

la moyenne des taux de change de la devise officiellement fixés par la Banque nationale de Hongrie pendant la période comprise entre le 16 juin 2014 et le 7 novembre 2014, ou

b)

le taux de change officiellement fixé par la Banque nationale de Hongrie le 7 novembre 2014

est la plus favorable au consommateur à la date de référence (ci-après la “conversion en HUF”). »

14.

L’article 15/A de ladite loi prévoit :

« 1.   Dans les procédures qui ont été engagées afin que soit constatée l’invalidité (invalidité partielle) de contrats de prêt conclus avec des consommateurs, ou afin que soient tirées les conséquences juridiques de l’invalidité, et qui sont actuellement pendantes, il convient d’appliquer les règles de conversion en HUF établies par la présente loi au montant de la dette du consommateur résultant du contrat de prêt en devise ou basé sur une devise que celui-ci a conclu en qualité de consommateur, telle qu’établie sur la base du décompte effectué conformément à la loi [DH 2].

2.   Le montant des remboursements effectués par le consommateur jusqu’à la date à laquelle est rendue la décision vient en déduction de la dette du consommateur telle qu’établie en HUF à la date de référence pour le décompte.

3.   Lorsqu’un contrat de prêt avec un consommateur est déclaré valide, les droits et obligations contractuels des parties tels que déterminés à l’issue du décompte effectué conformément à la loi [DH 2] doivent être établis conformément aux dispositions de la présente loi. »

Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

15.

Le 24 mai 2007, Mme Zsuzsanna Dunai a conclu avec la banque un contrat de prêt libellé en devise étrangère, en l’occurrence le franc suisse (CHF), pour un montant s’élevant à 115573 CHF.

16.

Selon les termes du même contrat, le prêt devait être débloqué en monnaie nationale, en l’occurrence le HUF, en appliquant le taux de change CHF-HUF journalier basé sur le cours d’achat, ce qui devait aboutir à un versement de 14734000 HUF. Les remboursements devaient également s’effectuer en HUF, le taux de change journalier étant toutefois basé, à ces fins, sur le cours de vente. De plus, le risque de change, c’est-à-dire le risque lié à la variation du taux de change des monnaies concernées, consistant, en l’occurrence, en une forte dépréciation du HUF par rapport au CHF, pesait sur Mme Dunai.

17.

Les parties au principal avaient conclu ledit contrat par acte notarié, de sorte qu’en cas de défaillance du débiteur, il acquerrait force exécutoire en l’absence de toute procédure contentieuse devant une juridiction hongroise.

18.

Le 12 avril 2016, le notaire a ordonné, sur demande de la banque, l’exécution forcée du contrat.

19.

Le 5 octobre 2016, Mme Dunai a formé, devant la juridiction de renvoi, opposition contre cette exécution forcée en invoquant la nullité du contrat en ce qu’il ne préciserait pas, en violation, selon elle, de l’article 213, paragraphe 1, sous c), de la loi Hpt, l’écart entre le taux de change applicable lors du déblocage des fonds et celui applicable lors de l’amortissement.

20.

La banque a conclu au rejet de l’opposition.

21.

La juridiction de renvoi indique que, en 2014, le législateur hongrois a adopté plusieurs lois, applicables au litige au principal, visant à mettre en œuvre une décision de la Kúria (Cour suprême) rendue dans l’intérêt d’une interprétation uniforme du droit civil et prononcée en rapport avec des contrats de prêt libellés en devise étrangère à la suite du prononcé de l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282). Par cette décision, la Kúria (Cour suprême) avait, notamment, jugé abusives des clauses, telles que celle insérée dans le contrat de prêt au principal, selon lesquelles c’était le cours d’achat qui s’appliquait lors du déblocage des fonds, alors que c’était le cours de vente qui s’appliquait pour le remboursement.

22.

Lesdites lois auraient notamment prévu la suppression, dans de tels contrats, des clauses qui permettaient à la banque de déterminer ses propres cours d’achat et de vente de devises, ainsi que le remplacement de celles-ci par le taux de change officiel fixé par la Banque nationale de Hongrie pour la devise correspondante. Cette intervention du législateur aurait eu pour conséquence d’éliminer l’écart entre les différents taux de change fondés sur ces cours.

23.

La juridiction de renvoi indique, que, en raison de cette intervention législative, la juridiction saisie ne peut plus constater l’invalidité du contrat de prêt libellé en devise étrangère puisque celle-ci a mis fin à la situation ayant généré un motif d’invalidité, ce qui entraîne ainsi la validité du contrat et, par conséquent, de l’obligation pour le consommateur de supporter la charge financière résultant du risque de change. Étant donné que ce serait précisément cette obligation dont le consommateur aurait voulu se libérer en introduisant une demande à l’encontre de la banque, il serait contraire à ses intérêts que la juridiction de céans estime valable ledit contrat.

24.

De l’avis de la juridiction de renvoi, il est évident que le législateur hongrois a, par l’adoption en 2014 d’une série de lois, expressément modifié la teneur des contrats de prêt de manière à influencer les décisions des juridictions saisies dans un sens favorable aux banques. Elle se demande si cet état de choses est conforme à l’interprétation que la Cour a donnée de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13.

25.

Par ailleurs, la juridiction de renvoi considère que les décisions de la Kúria (Cour suprême), rendues dans l’intérêt d’une interprétation uniforme du droit civil, en particulier la décision no 6/2013 PJE du 16 décembre 2013, interdisent au juge de constater l’invalidité de contrats de prêt tels que celui au principal. Cette juridiction indique que, lors de l’adoption de ces décisions, ni le recours au juge désigné par la loi ni le respect des exigences d’une procédure équitable ne sont garantis. Alors même que la procédure à suivre à ces fins n’est pas contradictoire, elle donnerait lieu à une décision contraignante à l’égard des juges saisis dans des procédures contradictoires à caractère juridictionnel et contentieux.

26.

La juridiction de renvoi fait référence, dans ce contexte, aux points 69 à 75 de l’avis sur la loi no CLXII de 2011 sur le statut juridique et la rémunération des juges et la loi no CLXI de 2011 sur l’organisation et l’administration des tribunaux de la Hongrie adopté par la Commission de Venise lors de sa 90e session plénière (Venise, 16-17 mars 2012), dont il ressortirait que les décisions rendues en Hongrie au titre de la procédure dite « d’uniformisation » sont contestables du point de vue des droits fondamentaux.

27.

C’est dans ces circonstances que le Budai Központi Kerületi Bíróság (tribunal central d’arrondissement de Buda, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1)

Le point 3 [du dispositif] de l’arrêt [du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282)], doit-il être compris en ce sens que le juge national peut aussi remédier à l’absence de validité d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur lorsque le maintien du contrat est contraire aux intérêts économiques du consommateur ?

2)

Est-il conforme à la compétence accordée à l’Union européenne en vue d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ainsi qu’aux principes fondamentaux du droit de l’Union d’égalité devant la loi, de non-discrimination, de recours juridictionnel effectif et du procès équitable que le parlement d’un État membre modifie par une loi des contrats de droit privé relevant de catégories analogues et conclus entre un professionnel et un consommateur ?

En cas de réponse affirmative à la précédente question, est-il conforme à la compétence accordée à l’[Union] en vue d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ainsi qu’aux principes fondamentaux du droit de l’Union d’égalité devant la loi, de non-discrimination, de recours juridictionnel effectif et du procès équitable que le parlement d’un État membre modifie par une loi différentes parties de contrats de prêt libellés en devise à des fins de protection des consommateurs, mais en provoquant un effet contraire aux justes intérêts de la protection des consommateurs en ce que le contrat de prêt reste valable à la suite des modifications et que le consommateur est tenu de continuer à supporter la charge résultant du risque de change ?

3)

En cas de contenu concernant les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, est-il conforme à la compétence accordée à l’[Union] en vue d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ainsi qu’aux principes fondamentaux du droit de l’Union de recours juridictionnel effectif et du procès équitable pour toute question de droit civil que le conseil d’uniformisation de la plus haute instance juridictionnelle d’un État membre dirige par le biais de “décisions rendues dans l’intérêt d’une interprétation uniforme des dispositions de droit” la jurisprudence de la juridiction saisie ?

En cas de réponse affirmative à la question précédente : est-il conforme à la compétence accordée à l’[Union] en vue d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ainsi qu’aux principes fondamentaux du droit de l’Union de recours juridictionnel effectif et du procès équitable pour toute question de droit civil que le conseil d’uniformisation de la plus haute instance juridictionnelle d’un État membre dirige par le biais de “décisions rendues dans l’intérêt d’une interprétation uniforme des dispositions de droit” la jurisprudence de la juridiction saisie, lorsque la nomination des juges membres du conseil d’uniformisation n’est pas effectuée de manière transparente, selon des règles prédéterminées, que la procédure devant ledit conseil n’est pas publique, et qu’il n’est pas possible de connaître a posteriori la procédure suivie, à savoir les éléments d’expertise et ouvrages de doctrine utilisés, le vote des différents membres (opinion concordante ou dissidente) ? »

Analyse

Propos liminaires

28.

La présente affaire s’inscrivant dans le prolongement d’affaires ( 4 ) dont la Cour a eu à connaître au sujet des conditions d’application de la directive 93/13 dans le cadre spécifique de litiges portant sur des contrats de prêt à la consommation libellés en devises étrangères conclus à grande échelle en Hongrie, il me semble opportun d’exposer, à titre liminaire, dans quel contexte législatif et jurisprudentiel cette affaire s’insère.

29.

Il y a également lieu de se prononcer, toujours à titre introductif, sur le point de savoir si la juridiction de renvoi n’entend pas en réalité, par ses questions, mettre en cause la validité de clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives, clauses qui, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, ne sont pas soumises aux dispositions de celle-ci ou encore de stipulations se rapportant à l’objet principal du contrat au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la même directive.

Exposé du contexte législatif et jurisprudentiel pertinent

30.

Il importe de rappeler que la législation nationale mise en cause dans le cadre du présent renvoi préjudiciel fait suite à l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282).

31.

À mon sens, deux enseignements majeurs peuvent être tirés de cet arrêt.

32.

En premier lieu, la Cour a dit pour droit que les termes « objet principal du contrat » ne recouvraient pas nécessairement une clause, intégrée dans un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère conclu entre un professionnel et un consommateur et qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, telle que celle qui était en cause au principal, que je qualifierais de clause d’« écart de change ». En conséquence, une telle clause peut être déclarée abusive et, partant, son application peut être écartée.

33.

En second lieu, et contrairement à la règle de principe qui veut que le juge saisi ne saurait intervenir aux fins de modifier ou substituer les clauses litigieuses ( 5 ), la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 devait être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive – ce qui exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables –, cette disposition ne s’opposait pas à une règle de droit national permettant au juge national de remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif.

34.

Dans un souhait de clarification et afin qu’une solution pérenne soit dégagée dans le cadre des nombreuses procédures engagées par les consommateurs, le législateur hongrois a, par l’adoption des lois DH 1, DH 2 et DH 3, procédé, sur la base de principes qui avaient été énoncés par la Kúria (Cour suprême) dans la décision no 2/2014 PJE, rendue dans l’intérêt d’une interprétation uniforme des dispositions de droit civil ( 6 ), à certaines modifications des dispositions nationales antérieurement applicables en matière de contrat de crédit. Cette législation visait à tenir compte des nombreuses interrogations que les juridictions hongroises nourrissaient dans le cadre de l’examen des clauses contenues dans les contrats de prêt en devises étrangères.

35.

Si l’adoption de cette nouvelle législation n’était donc pas en tant que telle requise par la jurisprudence de la Cour, elle s’explique par le souhait de simplifier et d’accélérer le traitement de tels litiges ( 7 ).

36.

Cette législation prévoit la suppression, dans les contrats libellés en devises étrangères, des clauses qui permettaient jusqu’alors à l’établissement de crédit de déterminer ses propres cours d’achat et de vente de la devise. Elle impose, en outre, qu’une telle clause soit remplacée, avec effet rétroactif, par une stipulation prévoyant l’application du taux de change officiel de la devise concernée, calculé par la Banque nationale de Hongrie.

37.

Concrètement, le législateur hongrois a donc remédié aux problèmes nés de la pratique de l’écart de change en déclarant nulles les clauses contractuelles concernées et en les modifiant par voie législative.

38.

Ces clauses doivent être clairement distinguées de celles qui, dans de tels contrats, stipulent que le prêt doit être remboursé dans une certaine monnaie. Ces dernières, qui impliquent inévitablement un risque de change, constituent, en principe, un élément clef de ces contrats et peuvent ainsi se rapporter à leur objet principal ( 8 ).

39.

C’est ce qui a été confirmé dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703).

40.

Dans ce dernier arrêt, qui faisait suite à une demande de décision préjudicielle de la Curtea de Apel Oradea (cour d’appel d’Oradea, Roumanie), la Cour a clairement indiqué que la notion d’« objet principal du contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, couvrait une clause contractuelle, telle que celle qui était en cause au principal, insérée dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle et selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant ce contrat. Par conséquent, cette clause ne pouvait pas être considérée comme étant abusive, pour autant qu’elle soit rédigée de façon claire et compréhensible ( 9 ).

41.

Pour revenir à l’affaire au principal, il apparaît que la compatibilité du nouveau cadre législatif hongrois avec la directive 93/13 a, par la suite, été mise en cause à l’occasion de nouveaux renvois préjudiciels.

42.

En particulier, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367), la Cour était notamment interrogée sur le point de savoir si l’article 7 de la directive 93/13 s’opposait à cette réglementation hongroise, adoptée à la suite de l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), qui prévoyait des exigences procédurales spécifiques pour des recours formés par des consommateurs ayant conclu des contrats de prêt libellés en devise étrangère contenant une clause stipulant un écart entre le taux de change applicable au déblocage du prêt et celui applicable au remboursement de celui-ci et/ou une clause stipulant une option de modification unilatérale permettant au prêteur d’augmenter les intérêts, les frais et les coûts.

43.

La Cour a répondu par la négative, en précisant que la réglementation litigieuse n’était pas contraire à l’article 7 de la directive 93/13 « pourvu que le constat du caractère abusif des clauses contenues dans un tel contrat permette de rétablir la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l’absence de ces clauses abusives ( 10 ) ». Il est à noter que la Cour a été sensible à la circonstance que le législateur hongrois a, par l’adoption notamment des lois DH 1 et DH 2, entendu non seulement faciliter le constat du caractère abusif des clauses des contrats libellés en devise prévoyant un écart du taux de change, mais également raccourcir et simplifier les procédures devant être suivies devant les juridictions hongroises ( 11 ).

44.

Si, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 1, de la loi DH 1, le législateur hongrois n’a entendu qualifier d’abusifs que deux types de clauses contenues dans la plupart des contrats de prêt libellés en devise étrangère et conclus entre un consommateur et un professionnel, à savoir l’un relatif à l’écart du taux de change et l’autre comportant une option de modification unilatérale ( 12 ), il n’en reste pas moins que les juges nationaux sont toujours habilités à examiner le caractère éventuellement abusif des autres clauses contenues dans les contrats en cause, y compris ceux qui définissent l’objet principal, dans le cas où il serait considéré que celles-ci ne sont pas rédigées de manière claire et compréhensible.

45.

La Cour a confirmé son appréciation de la validité de la législation hongroise dans son arrêt récent du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750), en précisant, en outre, que l’article 4 de la directive 93/13 impose que le caractère clair et compréhensible des clauses contractuelles soit apprécié en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entouraient celle-ci, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, nonobstant la circonstance que certaines de ces clauses ont été déclarées ou présumées abusives et, à ce titre, annulées, à un moment ultérieur, par le législateur national ( 13 ).

46.

Cette série d’arrêts confirme que, si le constat et l’invalidation des clauses abusives constituent un impératif, le juge saisi n’est, en revanche, pas habilité à annuler dans leur ensemble les contrats libellés en devises étrangères. En d’autres termes, le juge saisi, amené à conclure qu’une clause relative à l’écart de change est abusive et, partant, à écarter celle-ci au profit éventuellement d’une disposition de nature supplétive, ne peut pas, dans le même mouvement, mettre en cause les stipulations contractuelles essentielles relatives au risque de change.

47.

À mon avis, c’est cette conclusion qu’entend, en substance, contester la juridiction de renvoi dans la présente affaire. J’y reviendrai par la suite.

Existence de dispositions impératives au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13

48.

Bien que cette question n’ait pas été spécifiquement abordée par la décision de renvoi, il y a lieu de déterminer si la législation litigieuse, consistant pour l’essentiel dans les lois DH 1, DH 2 et DH 3, relève de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 ou si ces lois doivent plutôt s’analyser comme des mesures que les États membres sont habilités à adopter en vue d’assurer le respect de cette directive.

49.

Il y a lieu de relever que la présente affaire et l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750), ont en commun qu’elles ont toutes deux trait à l’effet de la législation susmentionnée, comprenant les lois DH 1 à DH 3.

50.

Or, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750), se posait notamment la question de savoir dans quelle mesure les clauses relatives au risque de change, qui seraient devenues partie intégrante du contrat par l’effet des interventions du législateur hongrois, pourraient relever de l’application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13. Dans la présente affaire, il y a lieu de déterminer s’il est compatible avec la directive 93/13 qu’une législation d’un État membre invalide et modifie les clauses abusives afin de faire cesser des pratiques bancaires déloyales très répandues, sans toutefois annuler les contrats de crédit concernés, avec pour conséquence que la charge du risque de change continue de peser sur le consommateur. Il existe donc un lien évident entre les questions posées dans chacune de ces affaires.

51.

Se pose de la même manière la question de savoir si l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 trouve ici à s’appliquer.

52.

Dans le prolongement des enseignements de l’arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750) (ceux résultant de la réponse à la deuxième question préjudicielle), je suis d’avis que l’application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 devrait être ici exclue.

53.

Comme la Cour l’a relevé au point 50 de cet arrêt, en l’occurrence, l’existence d’un risque de change découle de la nature même du contrat de prêt en cause. Toutefois, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, le maintien de ce risque de change résulte également, à tout le moins partiellement, de l’application de l’article 3, paragraphe 2, de la loi DH 1, lu en combinaison avec l’article 10 de la loi DH 3, en ce que ces dispositions de droit national emportent une modification de plein droit des contrats en cours, consistant à substituer au cours de change de la devise dans laquelle le contrat de prêt a été libellé un taux de change officiel, fixé par la Banque nationale de Hongrie.

54.

Or, en ce qui concerne précisément la substitution, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la loi DH 1 et de l’article 10 de la loi DH 3, de la clause relative à l’écart du taux de change par une clause stipulant que le taux de change défini par la Banque nationale de Hongrie, en vigueur à la date d’échéance, s’applique entre les parties au contrat, la Cour a considéré que le législateur national avait entendu déterminer certaines conditions relatives aux obligations contenues dans des contrats de prêt libellés en devises étrangères (voir point 62 de l’arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750). Ces clauses, qui reflètent des dispositions législatives impératives, ne sauraient donc relever du champ d’application de la directive (voir point 64 de cet arrêt).

55.

Toutefois, cette conclusion ne s’applique pas aux autres clauses contractuelles, et notamment à celles déterminant le risque de change (point 65 de ce même arrêt). Selon l’analyse de la Cour, les modifications de l’article 3, paragraphe 2, de la loi DH 1 et de l’article 10 de la loi DH 3 n’ont pas entendu déterminer l’ensemble de la question du risque de change.

56.

En conséquence, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 ne trouve pas à s’appliquer aux dispositions autres que celles qui visent l’écart de change.

57.

Aussi, il en découle, pour l’affaire au principal, que, dès lors qu’il ne peut être d’emblée exclu que la question relative à l’application de clauses déterminant le risque de change soit encore d’actualité et relève bien du champ d’application de la directive 93/13, il convient de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

Sur la première question

58.

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour s’il est possible pour un juge, au titre notamment de la protection conférée par la directive 93/13, d’annuler dans son ensemble un contrat de prêt dont le maintien serait, selon elle, contraire aux intérêts économiques du consommateur.

59.

Elle s’interroge sur la portée du point 3 du dispositif de l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), aux termes duquel « [l]’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive, cette disposition ne s’oppose pas à une règle de droit national permettant au juge national de remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif ».

60.

Il importe de souligner que, dans cet arrêt, la Cour a rappelé sa jurisprudence ( 14 ) selon laquelle il n’est, en principe, pas permis au juge, au titre notamment de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, de compléter une clause contractuelle abusive en révisant son contenu. Les juges saisis sont uniquement tenus d’écarter l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur.

61.

Le contrat doit donc subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible.

62.

Or, outre le fait qu’il existe des situations où le maintien du contrat n’est juridiquement pas possible, il existe des hypothèses dans lesquelles l’annulation du contrat se révèle contre-productive du point de vue de l’objectif de dissuasion poursuivi par la directive 93/13.

63.

C’est précisément pour cette raison que la Cour a assoupli la règle dans l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282). Il s’agissait en l’occurrence d’un contrat dont l’exécution devenait impossible sans les clauses contractuelles invalides – ou leur remplacement par des dispositions législatives ou réglementaires.

64.

Ainsi que cela ressort du point 85 de l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), la solution retenue par la Cour reposait donc sur le souhait de cette dernière de protéger le consommateur des conséquences négatives d’une annulation du contrat en permettant l’application d’une règle nationale en vertu de laquelle il était possible de substituer aux clauses invalides d’un contrat de crédit à la consommation une disposition de droit national à caractère supplétif.

65.

Dans sa démarche, la Cour s’est montrée soucieuse de rappeler l’objectif de restauration d’un équilibre réel entre les parties, ce qui implique, certes, notamment de tenir compte des intérêts du consommateur, mais qui ne saurait aboutir à un bouleversement de l’équilibre contractuel voire à la suppression du contrat ( 15 ).

66.

Une lecture attentive de l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), fait clairement apparaître que le principe selon lequel le contrat doit normalement subsister – sans aucune autre modification que celles qui résultent de la suppression des clauses déclarées abusives – a toujours cours.

67.

L’exception à ce principe consacrée par cet arrêt, qui ouvre une possibilité que le juge remédie, au moyen d’une règle de droit national, à la nullité de la clause en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif, est, aux termes mêmes de cet arrêt, soumise à la réunion de certaines conditions. En premier lieu, cette substitution doit permettre d’aboutir « au résultat que le contrat peut subsister malgré la suppression de la clause [abusive] » et qu’il « continue à être contraignant pour les parties» ( 16 ). En second lieu, dans le cas où le juge est obligé d’annuler le contrat dans son ensemble, ladite substitution doit avoir pour effet d’éviter que le consommateur soit exposé à « des conséquences particulièrement préjudiciables, de sorte que le caractère dissuasif résultant de l’annulation du contrat risquerait d’être compromis» ( 17 ).

68.

Or, en l’occurrence, la question posée par la juridiction de renvoi repose sur la prémisse qu’il apparaît économiquement plus avantageux pour le consommateur que le juge annule le contrat dans son entièreté au lieu de le maintenir après en avoir supprimé toutes les clauses. Elle procède ainsi d’une lecture biaisée et erronée du point 3 de l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282).

69.

Ainsi que la Cour l’a souligné dans cet arrêt, l’annulation dans son ensemble d’un contrat de prêt a, en principe, comme conséquence de rendre immédiatement exigible le montant du prêt restant dû dans des proportions risquant d’excéder les capacités financières du consommateur et, de ce fait, tend à pénaliser celui-ci plutôt que le prêteur qui, par voie de conséquence, ne serait pas dissuadé d’insérer de telles clauses dans les contrats qu’il propose ( 18 ).

70.

Force est ainsi de conclure que, en l’occurrence, la juridiction de renvoi cherche à utiliser l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282), pour justifier une solution contraire à celle adoptée dans cet arrêt, à savoir l’annulation intégrale du contrat.

71.

À y regarder de plus près, il semble que ce que la juridiction de renvoi trouve préjudiciable au consommateur est le fait que, en cas de maintien de la validité de contrats au moyen de l’application par le juge national saisi de dispositions législatives de nature supplétive, les pertes causées par le risque de change continueraient de peser sur le consommateur.

72.

Ce point de vue est néanmoins réducteur et ne prend pas en compte l’ensemble des intérêts économiques des consommateurs. En effet, les charges découlant du risque de change ne peuvent pas être considérées de manière isolée, car les avantages et inconvénients économiques découlant de la totalité du contrat ne peuvent être analysés qu’eu égard à l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat.

73.

Sur cet aspect, il me semble important de rappeler que l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle – et, partant, la question de savoir si une telle clause crée au détriment du consommateur un « déséquilibre significatif » entre les droits et obligations des parties découlant du contrat au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 –, doit être effectuée par référence au moment de la conclusion du contrat concerné, en tenant compte de l’ensemble des circonstances dont le professionnel pouvait avoir connaissance audit moment et qui étaient de nature à influer sur l’exécution ultérieure de celui-ci ( 19 ). Cette appréciation ne saurait en aucun cas dépendre de la survenance d’événements postérieurs à la conclusion du contrat qui sont indépendants de la volonté des parties, comme cela peut être le cas d’une variation du taux de change ( 20 ).

74.

En outre, à supposer même qu’il puisse être valablement soutenu quod non que l’annulation intégrale du contrat de prêt litigieux peut, eu égard à la suppression du risque de change qu’elle induirait, être favorable aux intérêts économiques des consommateurs, il importe de rappeler que cette circonstance n’est pas, à elle seule, déterminante et ne saurait justifier, aux fins prétendues d’assurer l’effectivité de la protection conférée par la directive 93/13, l’annulation du contrat de prêt dans son ensemble.

75.

Comme la Cour a déjà eu l’occasion de le souligner, l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union dans le cadre de la directive 93/13 consiste à rétablir l’équilibre entre les parties, tout en maintenant, en principe, la validité de l’ensemble d’un contrat, et non pas à annuler tous les contrats contenant des clauses abusives.

76.

S’agissant des critères qui permettent d’apprécier si un contrat peut effectivement subsister sans les clauses abusives, il y a lieu de relever que tant le libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 que les exigences relatives à la sécurité juridique des activités économiques militent en faveur d’une approche objective lors de l’interprétation de cette disposition, de sorte que la situation de l’une des parties au contrat, en l’occurrence le consommateur, ne saurait être considérée comme le critère déterminant réglant le sort futur du contrat.

77.

Par conséquent, la directive 93/13 ne saurait être interprétée en ce sens que, lors de l’appréciation du point de savoir si un contrat contenant une ou plusieurs clauses abusives peut subsister sans lesdites clauses, le juge saisi peut se fonder uniquement sur le caractère éventuellement avantageux, pour le consommateur, de l’annulation dudit contrat dans son ensemble ( 21 ).

78.

Si la directive 93/13, qui procède uniquement à une harmonisation minimale, ne s’oppose pas à ce qu’un État membre prévoie, dans le respect du droit de l’Union, qu’un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel et contenant une ou plusieurs clauses abusives est nul dans son ensemble lorsqu’il s’avère que cela assure une meilleure protection du consommateur, force est de relever que la législation hongroise de 2014 sur les prêts en devises ne vise pas l’annulation des contrats concernés, mais leur maintien dans une orientation conforme à l’interprétation qui a été retenue dans la jurisprudence de la Cour.

79.

À cet égard, il convient de souligner que la faculté du juge national de substitution des clauses doit être circonscrite, au risque de compromettre l’objectif à long terme, rappelé à l’article 7 de la directive 93/13, qui est celui de décourager les professionnels de faire figurer des clauses abusives dans les contrats ( 22 ).

80.

Or, s’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives, une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de cet objectif. En effet, cette faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives, dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure nécessaire, par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits professionnels ( 23 ).

81.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question préjudicielle que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une disposition de droit national qui, en cas de défaut partiel de validité d’un contrat conclu avec un consommateur résultant du caractère abusif d’une de ses clauses, vise à maintenir, en principe, la validité du contrat sans la clause abusive. Le juge saisi ne peut ainsi remédier à l’absence de validité d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur au seul motif que le maintien du contrat serait prétendument contraire aux intérêts économiques du consommateur.

Sur la deuxième question

82.

Il apparaît que la deuxième question doit être comprise comme visant, en substance, à déterminer si l’adoption de la législation hongroise de 2014, qui modifie par voie législative certaines clauses contractuelles, est compatible avec les dispositions de la directive 93/13.

83.

À cet égard, il suffit de rappeler, dans le prolongement des considérations précédentes, que, dès lors que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 tend, dans un souhait notamment de sécurité juridique, à faire subsister les contrats de prêt à la consommation quand la suppression des clauses déclarées abusives le permet juridiquement encore, rien, bien au contraire, ne devrait s’opposer à ce que le juge invalide certaines clauses abusives, mais n’annule pas les contrats concernés.

84.

Dans le même sens, rien ne devrait s’opposer à ce que le législateur invalide certaines clauses abusives au moyen de lois visant à faire cesser des pratiques bancaires déloyales très répandues, mais n’annule pas les contrats concernés.

85.

En l’occurrence, il apparaît que le législateur hongrois a décidé, par l’adoption des lois DH 1 à DH 3, de définir un cadre aux fins de la suppression des clauses contractuelles abusives dans les contrats de crédit en devises étrangères, contrats dont l’usage était largement répandu en Hongrie et qui ont fait l’objet de nombreux litiges devant les juridictions hongroises.

86.

Cette démarche est de celle que les États membres peuvent entreprendre aux fins, ainsi que le préconise l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec le vingt-quatrième considérant de celle-ci, de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel ( 24 ).

87.

Reste à déterminer si ces dispositions de droit national ne méconnaissent pas le principe d’effectivité, à savoir si elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union.

88.

À cet égard, il importe de relever que la loi DH 1 a été adoptée afin que le caractère contraignant des principes dégagés dans la décision no 2/2014 PJE ne vaille pas uniquement à l’égard des juridictions, mais qu’ils puissent également être directement appliqués ( 25 ). Dans ce contexte, et ainsi que cela ressort du point 4 de l’exposé des motifs ( 26 ) de la loi DH 1, le législateur a entendu tenir compte de la jurisprudence de la Cour, et notamment du point 3 du dispositif de l’arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282).

89.

Il ressort du libellé de la loi DH 1 que celle-ci ne porte que sur les conséquences de l’application de taux de change distincts à l’égard de l’ensemble des obligations de paiement au titre du contrat de prêt pesant sur les consommateurs ainsi que du déblocage des fonds. La disposition légale ne produit d’effets juridiques qu’en relation avec cette clause abusive, de sorte qu’elle ne prive d’aucune façon le consommateur de la possibilité d’invoquer la nullité liée au caractère prétendument abusif d’une clause pour d’autres raisons. Il en est ainsi quand bien même la clause concernerait les mêmes éléments à la charge du consommateur, sans qu’il s’agisse de l’application de taux de change distincts, mais pour d’autres raisons, pourvu qu’elles puissent être invoquées conformément à la définition donnée à l’article 3 de la directive 93/13.

90.

Au demeurant, le fait que les dispositions définissant le risque de change ne puissent pas faire l’objet d’un examen de leur caractère abusif est indépendant de l’adoption de cette loi et des décisions de la Kúria (Cour suprême), rendues dans l’intérêt d’une interprétation conforme, qui l’ont précédée. Ce qui fait obstacle à un tel examen est la circonstance que de telles clauses relèvent de la définition de l’objet principal du contrat qui échappe, en principe, à l’appréciation de son caractère abusif, à moins qu’elles n’aient pas été rédigées de façon claire et compréhensible ( 27 ).

91.

Quant aux lois DH 2 et DH 3, elles ne portent pas davantage sur les clauses définissant le risque de change.

92.

S’agissant de la loi DH 2, elle comporte des règles techniques détaillées en lien avec la loi DH 1, afin de rendre transparent le décompte aussi bien pour les consommateurs que pour les banques. Cette loi définit les règles générales de droit civil régissant le décompte ; les règles de détail figurent dans un acte de niveau inférieur, à savoir un règlement MNB (règlement de la Banque nationale hongroise).

93.

Quant à la loi DH 3, qui clôt la liste des mesures législatives relatives aux crédits en devises étrangères, elle impose la conversion en HUF du solde des crédits libellés en devises étrangères et supprime à cet effet le risque de change mis unilatéralement à la charge des emprunteurs dans les contrats de crédit hypothécaire conclus avec des particuliers. La loi relative à la conversion définit les modalités techniques juridiques de la conversion en HUF, ses modalités procédurales, ses conditions et la transformation des contrats de crédit conclus avec des consommateurs concernés par la conversion en HUF.

94.

Il est vrai que la loi relative à la conversion part du constat opéré par la décision no 2/2014 PJE selon lequel, dans le cas de contrats valables, le risque de change pèse sur l’emprunteur et le caractère abusif de ces conditions ne peut pas être contesté en justice, sauf dans les cas et au regard des critères visés dans la décision d’uniformisation.

95.

Dès lors, c’est indépendamment de cet élément et de manière complémentaire que la loi s’efforce de limiter pour l’avenir la fluctuation du taux de change et de minimiser ses effets.

96.

En d’autres termes, la logique qui sous-tend la loi est justement d’octroyer une aide aux consommateurs par une intervention législative afin de leur permettre de rembourser leurs crédits, en dépit du fait que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 ne permet pas d’examiner le caractère abusif d’une stipulation relative au risque de change en tant qu’élément essentiel de la définition de l’objet principal du contrat.

97.

En conclusion, je suis d’avis que les dispositions de la directive 93/13 ne s’opposent pas à l’adoption de dispositions nationales telles que celles visées dans l’affaire au principal, dans la mesure où ces dispositions tendent, dans un souci de sécurité juridique et de clarification, à tirer les conséquences d’orientations interprétatives de la Cour.

98.

Je propose donc de répondre à la deuxième question que la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce qu’un État membre modifie, à des fins de sécurité juridique et de protection des consommateurs, par voie législative certaines clauses contractuelles abusives dans les contrats conclus entre des professionnels et les consommateurs, dans la mesure où ces modifications ne portent pas atteinte à l’effectivité de la protection conférée par cette directive.

Sur la troisième question

99.

Par sa troisième question, qui se divise en deux branches, la juridiction de renvoi demande en substance s’il est conforme au droit de l’Union que la Kúria (Cour suprême) rende des décisions dans l’intérêt d’une interprétation uniforme des dispositions de droit qui s’imposent aux juridictions en matière de protection des consommateurs.

100.

Dans l’affirmative, elle demande si la même conclusion est valable lorsque la nomination des juges membres du conseil d’uniformisation n’est pas effectuée de manière transparente, selon des règles prédéterminées, lorsque la procédure devant ledit conseil n’est pas publique, et lorsqu’il n’est pas possible de prendre connaissance a posteriori de la procédure suivie, et notamment des éléments d’expertise et ouvrages de doctrine utilisés, et du vote des différents membres (opinion concordante ou dissidente).

101.

À mon sens, et ainsi que la Commission européenne l’a relevé, on peut légitimement s’interroger sur l’utilité de cette question pour la solution du litige.

102.

Il me semble en effet que les interrogations de la juridiction de renvoi, telles qu’exprimées par la troisième question, traduisent des préoccupations d’ordre général en rapport avec l’organisation judiciaire en Hongrie et, plus particulièrement, avec la procédure dite d’uniformisation hongroise et les conséquences que pourraient induire les décisions contraignantes adoptées par la Kúria (Cour suprême) dans ce contexte ( 28 ).

103.

Cet aspect ne me semble concerner que de très loin le litige au principal, tel qu’il est pendant devant la juridiction de renvoi, et la problématique spécifique des conséquences pouvant et devant être tirées par le juge saisi du constat du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur.

104.

Il importe de souligner que le champ d’application de la directive 93/13 ne couvre pas les procédures et instruments juridiques des États membres créés en vue d’organiser leur système judiciaire et de garantir l’uniformité de leur jurisprudence nationale.

105.

Ces préoccupations me semblent, par ailleurs, sans rapport avec les exigences de protection juridictionnelle effective découlant notamment de l’article 19, paragraphe 1, TUE, qui impose aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant un contrôle juridictionnel effectif dans les domaines couverts par le droit de l’Union ( 29 ).

106.

En outre, il est permis de s’interroger sur l’utilité en l’occurrence de dénoncer le système hongrois de décisions d’interprétation contraignantes, dès lors qu’il apparaît que ce sont, en définitive, les lois DH 1 à DH 3 qui sont éventuellement problématiques au regard de la protection conférée par la directive 93/13 à l’égard des clauses abusives.

107.

Il est difficile, à la seule lecture de la décision de renvoi, de saisir quel est le lien entre, d’une part, l’organisation de ce système de décisions d’interprétation contraignantes et, d’autre part, la compétence et les principes fondamentaux du droit de l’Union qui y sont mentionnés.

108.

L’on peut tout au plus comprendre la question posée par la juridiction de renvoi comme visant à savoir si les décisions contraignantes adoptées par la Kúria (Cour suprême) dans le système d’uniformisation du droit risquent, en l’occurrence, de l’obliger à agir en méconnaissance, notamment, de la directive 93/13 et en violation du principe de protection juridictionnelle effective.

109.

En l’occurrence, pour que la Cour puisse se saisir de questions en rapport avec de telles procédures, il faut établir qu’elles sont de nature à empêcher les juridictions nationales d’accomplir leur rôle dans l’application du droit de l’Union.

110.

Tel pourrait être par exemple le cas s’il était établi que les règles d’organisation ou de procédure litigieuses les empêchent de tirer toutes les conséquences du constat du caractère abusif de certaines clauses ou encore portent atteinte à la possibilité des juridictions de saisir la Cour, en vertu de la faculté qui leur est reconnue à l’article 267 TFUE, d’une demande de décision préjudicielle ( 30 ).

111.

Or, je relève que, bien que les décisions d’uniformisation adoptées par la Kúria (Cour suprême) revêtent un caractère contraignant à l’égard des juridictions hongroises, elles ne les empêchent nullement d’analyser la conformité des contrats dont elles ont à connaître au regard du droit de l’Union ni de rendre, le cas échéant, une décision conforme à ce droit, en écartant l’application de la décision d’uniformisation du droit en vertu du principe de primauté du droit de l’Union.

112.

De même, ainsi qu’en atteste la présente procédure, rien n’empêche les juridictions de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE afin de solliciter l’interprétation des dispositions applicables du droit de l’Union. Si la Cour parvient à une conclusion contraire à celle retenue dans la décision d’uniformisation du droit, un pourvoi peut être introduit afin d’assurer pour l’avenir une application uniforme du droit conforme au droit de l’Union.

113.

Cette conclusion s’insère, me semble-t-il, dans la droite ligne des précisions récemment apportées par la Cour dans son arrêt du 7 août 2018, Banco Santander et Escobedo Cortés (C‑96/16 et C‑94/17, EU:C:2018:643) ( 31 ), au sujet de la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne). La Cour a, par cet arrêt, confirmé qu’il ne saurait être exclu que, dans leur rôle d’harmonisation dans l’interprétation du droit et dans un souci de sécurité juridique, les juridictions suprêmes d’un État membre, telles que le Tribunal Supremo (Cour suprême), puissent, dans le respect de la directive 93/13, élaborer certains critères à l’aune desquels les juridictions inférieures doivent examiner le caractère abusif des clauses contractuelles.

114.

Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il est proposé de répondre à la troisième question que la compétence accordée à l’Union en vue d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ainsi que les droits à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable ne s’opposent pas aux décisions d’uniformisation applicables à l’affaire au principal, rendues dans l’intérêt d’une interprétation uniforme des dispositions de droit.

Conclusion

115.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la demande de décision préjudicielle formée par le Budai Központi Kerületi Bíróság (tribunal central d’arrondissement de Buda, Hongrie) de la manière suivante :

1)

La directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une disposition de droit national qui, en cas de défaut partiel de validité d’un contrat conclu avec un consommateur résultant du caractère abusif d’une de ses clauses, vise à maintenir, en principe, la validité du contrat sans la clause abusive. Le juge saisi ne peut ainsi remédier à l’absence de validité d’une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur au seul motif que le maintien du contrat serait prétendument contraire aux intérêts économiques du consommateur.

2)

La directive 93/13 ne s’oppose pas à ce qu’un État membre modifie, à des fins de sécurité juridique et de protection des consommateurs, par voie législative certaines clauses contractuelles abusives dans les contrats conclus entre des professionnels et les consommateurs, dans la mesure où ces modifications ne portent pas atteinte à la protection conférée par cette directive.

3)

La compétence accordée à l’Union européenne en vue d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ainsi que les droits à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable ne s’opposent pas aux décisions d’uniformisation applicables à l’affaire au principal, rendues dans l’intérêt d’une interprétation uniforme des dispositions de droit.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Directive du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), telle que modifiée par la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011 (JO 2011, L 304, p. 64) (ci-après la « directive 93/13 »).

( 3 ) Il s’agit notamment des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282) ; du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703) ; du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367), et, en dernier lieu, du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750).

( 4 ) Je me réfère, en particulier, aux affaires ayant donné lieu aux arrêts du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367), et, en dernier lieu, du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750), qui mettaient précisément en cause la législation hongroise adoptée en 2014.

( 5 ) Voir, notamment, arrêts du 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank (C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 28 et jurisprudence citée), et du 26 janvier 2017, Banco Primus (C‑421/14, EU:C:2017:60, point 71 et jurisprudence citée).

( 6 ) Magyar Közlöny 2014/91., p. 10975.

( 7 ) Voir notamment, à cet égard, mes conclusions dans l’affaire Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:9, points 52 et 53).

( 8 ) Voir, en ce sens, mes conclusions dans l’affaire Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:85, points 60 à 65). Il y a lieu de relever que, dans sa décision no 2/2014 PJE, la Kúria (Cour suprême) a décidé que « la stipulation figurant dans un contrat de prêt libellé en devise conclu avec un consommateur en vertu de laquelle le consommateur supporte sans aucune limite le risque de change, en contrepartie d’un taux d’intérêt plus favorable, relève des stipulations qui définissent l’objet principal du contrat et dont il n’est pas possible, en principe, d’apprécier le caractère abusif. Le caractère abusif d’une telle stipulation ne peut être apprécié et retenu que si, au moment de la conclusion du contrat, sa teneur n’était ni claire ni compréhensible pour un consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu du libellé du contrat et de l’information reçue de la part de l’établissement de crédit. Une stipulation relative au risque de crédit présente un caractère abusif, de sorte que le contrat sera, en conséquence, totalement ou partiellement dépourvu de validité, lorsque le consommateur, en raison de l’information insuffisante ou fournie tardivement, pouvait légitimement croire à l’absence de véritable risque de change ou que ce dernier ne pesait sur lui que de manière limitée ».

( 9 ) Voir arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703, point 41).

( 10 ) Voir arrêt du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367, point 55).

( 11 ) Voir arrêt du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367, point 45).

( 12 ) Voir arrêt du 31 mai 2018, Sziber (C‑483/16, EU:C:2018:367, point 44).

( 13 ) Voir arrêt du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750, point 83).

( 14 ) Voir jurisprudence citée à la note en bas de page 5 des présentes conclusions.

( 15 ) Voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2013, Jőrös (C‑397/11, EU:C:2013:340, point 46 et jurisprudence citée).

( 16 ) Arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, point 81).

( 17 ) Arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, point 83).

( 18 ) Voir arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, point 84).

( 19 ) Voir arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703, point 58).

( 20 ) Voir conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:313, points 85 et 86).

( 21 ) Voir, notamment, arrêt du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič (C‑453/10, EU:C:2012:144, points 31 à 33).

( 22 ) Voir, notamment, arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, points 79 et 84). Voir, tout particulièrement, s’agissant de la possibilité de limiter dans le temps les effets restitutoires découlant de la déclaration judiciaire du caractère abusif d’une clause du contrat conclu avec le consommateur aux seules sommes indûment versées en application de cette clause postérieurement au prononcé de la décision judiciaire, arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, points 63 à 73).

( 23 ) Voir arrêt du 21 janvier 2015, Unicaja Banco et Caixabank (C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 31).

( 24 ) Voir, notamment, arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, point 78 et jurisprudence citée).

( 25 ) Voir point 1 de l’exposé des motifs aux termes notamment duquel « [l]a loi confère un caractère général et contraignant à l’égard de tous à l’interprétation du droit réalisée par la Kúria (Cour suprême). La loi n’édicte pas de nouvelles règles de droit matériel, ne définit pas de nouveaux principes applicables aux contrats de crédit, de prêt et de crédit-bail, mais se borne à codifier l’interprétation du droit réalisée par la Kúria. Cela permet d’éviter à un grand nombre de consommateurs d’entamer des procès longs et coûteux, qui surchargeraient également le système judiciaire ».

( 26 ) Ce point indique notamment que « [l]ors de la détermination des conséquences juridiques à tirer de la décision no 2/2014 PJE de la Kúria (Cour suprême), la loi a tenu compte des dispositions du droit de l’Union, et tout particulièrement de celles de la directive 93/13 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. La loi a pris en compte la jurisprudence de la Cour, habilitée à interpréter la directive 93/13, et notamment les principes consacrés dans les arrêts [du 14 juin 2012,] Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349), et [du 30 avril 2014,] Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282). Conformément à la jurisprudence de la Cour, la loi vise à maintenir la validité des contrats conclus en supprimant les clauses abusives. Cette approche est également conforme à l’un des principes généraux du droit civil, le principe pacta sunt servanda (force obligatoire des contrats). La loi se contente de modifier le contenu des contrats existants dans la limite de ce qui est nécessaire pour éviter qu’ils ne puissent pas subsister sans les clauses abusives. Cela entraînerait en effet la nullité du contrat dans son intégralité, ce qui serait aussi contraire aux intérêts des emprunteurs. Pour cette raison, c’est dans le cadre d’un défaut partiel de validité que la loi détermine les dispositions à caractère supplétif qui deviennent parties intégrantes des contrats en se substituant aux clauses abusives ».

( 27 ) Voir position de la Kúria (Cour suprême) sur ce point, précitée à la note en bas de page 8.

( 28 ) Il est à noter que l’« ingérence » qu’impliquerait éventuellement le système d’interprétation uniforme dans le travail juridictionnel des juges saisis a, comme l’a souligné la juridiction de renvoi, été évoquée dans l’avis adopté par la Commission de Venise. Voir chapitre VI.5 du rapport à l’adresse Internet suivante : http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD%282012%29001-e.

( 29 ) Voir, par exemple, arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 34).

( 30 ) Voir, notamment, arrêts du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, points 24 à 32), et du 5 avril 2016, PFE (C‑689/13, EU:C:2016:199, points 34, 38 à 41).

( 31 ) Voir également mes conclusions dans les affaires jointes Banco Santander et Escobedo Cortés (C‑96/16 et C‑94/17, EU:C:2018:216).

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