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Document 62016CJ0175

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 26 juillet 2017.
Hannele Hälvä e.a. contre SOS-Lapsikylä ry.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Korkein oikeus.
Renvoi préjudiciel – Directive 2003/88/CE – Article 17 – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Indemnités complémentaires – Association de protection de l’enfance – “Parents village d’enfants” – Absence temporaire de “parents” titulaires – Travailleuses employées en tant que “parents” remplaçantes – Notion.
Affaire C-175/16.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:617

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

26 juillet 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/88/CE – Article 17 – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Indemnités complémentaires – Association de protection de l’enfance – “Parents village d’enfants” – Absence temporaire de “parents” titulaires – Travailleuses employées en tant que “parents” remplaçantes – Notion »

Dans l’affaire C‑175/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande), par décision du 24 mars 2016, parvenue à la Cour le 29 mars 2016, dans la procédure

Hannele Hälvä,

Sari Naukkarinen,

Pirjo Paajanen,

Satu Piik

contre

SOS-Lapsikylä ry,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la quatrième chambre, M. E. Juhász, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 mars 2017,

considérant les observations présentées :

pour Mmes Hälvä, Naukkarinen, Paajanen et Piik, initialement par Mme P. Ahonen, puis par Mme Ahonen, assistée de Me T. Lehtinen, asianajaja,

pour SOS-Lapsikylä ry, initialement par Me J. Syrjänen, puis par Mes Syrjänen et J. Nevala, asianajajat,

pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et T. Henze, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. I. Koskinen et M. van Beek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 avril 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mmes Hannele Hälvä, Sari Naukkarinen, Pirjo Paajanen et Satu Piik à leur employeur, SOS-Lapsikylä ry, au sujet du refus de cette dernière de leur verser des indemnités correspondant à des heures supplémentaires, de soirée, de nuit, du samedi et du dimanche accomplies au cours des années 2006 à 2009.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2 de la directive 2003/88 dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1.

“temps de travail” : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ;

2.

“période de repos” : toute période qui n’est pas du temps de travail ;

[...] »

4

L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive énonce :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. »

5

L’article 17, paragraphe 1, de la même directive prévoit :

« Dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, les États membres peuvent déroger aux articles 3 à 6, 8 et 16 lorsque la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée, n’est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes, et notamment lorsqu’il s’agit :

a)

de cadres dirigeants ou d’autres personnes ayant un pouvoir de décision autonome ;

b)

de main-d’œuvre familiale, ou

c)

de travailleurs dans le domaine liturgique des églises et des communautés religieuses. »

Le droit finlandais

6

L’article 2, paragraphe 1, de la työaikalaki (605/1996) [loi (605/1996) sur le temps de travail, ci-après la « loi sur le temps de travail »] dispose :

« La présente loi ne s’applique pas, sous réserve de son article 15, paragraphe 3 :

[...]

3)

à un travail, que le travailleur effectue à domicile ou, sinon, dans des conditions telles que l’on ne peut pas considérer qu’il appartienne à l’employeur d’exercer un contrôle sur l’emploi du temps qui est consacré à ce travail ;

[...] »

Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

7

SOS-Lapsikylä ry, association ayant pour objet la protection de l’enfance, organise, pour les enfants qu’elle prend en charge, un hébergement le plus familial possible dans sept villages d’enfants, composés chacun de plusieurs maisons d’enfants. Le personnel des villages d’enfants est constitué d’un directeur, de « parents » titulaires, de « parents » remplaçants et d’autres professionnels. Les maisons d’enfants constituent le domicile des enfants pris en charge et hébergent trois à six enfants ainsi qu’un ou des « parents » titulaires (ou leurs remplaçants, en cas d’absence des « parents » titulaires).

8

Les requérantes au principal ont été employées par SOS-Lapsikylä ry en tant que « parents » remplaçants jusqu’en 2009 et, pour certaines d’entre elles, jusqu’en 2010. En leur qualité de « parents » remplaçant les « parents » titulaires durant les absences de ces derniers (justifiées par des journées libres ou des congés annuels ou de maladie), les requérantes au principal ont vécu avec les enfants et se sont occupées, seules, de la maison d’enfants, ainsi que de l’éducation et de la garde des mineurs résidents, notamment en assurant l’approvisionnement et en accompagnant les enfants à l’extérieur.

9

Elles ont saisi l’Etelä-Savon käräjäoikeus (tribunal de première instance du Savo méridional, Finlande) d’une demande tendant à faire constater que leur travail au service de SOS-Lapsikylä ry constituait un « travail » au sens de l’article 1er de la loi sur le temps de travail et à obtenir la condamnation de ce dernier au paiement des indemnités dues pour les années 2006 à 2009, en vertu de cette loi et de la convention collective du secteur concerné, en cas d’heures de travail supplémentaires ou de prestations de travail réalisées durant la soirée, la nuit ou le week-end.

10

Par jugement du 4 mai 2012, l’Etelä-Savon käräjäoikeus (tribunal de première instance du Savo méridional) a rejeté le recours des requérantes au principal, tout en considérant que leur travail n’était pas soumis à la loi sur le temps de travail. À la suite du rejet de leur recours par l’Etelä-Savon käräjäoikeus (tribunal de première instance du Savo méridional) les requérantes au principal ont interjeté appel du jugement de cette juridiction devant l’Itä-Suomen hovioikeus (cour d’appel de Finlande orientale) qui a confirmé ledit jugement par arrêt du 4 juillet 2013. Les requérantes au principal ont formé un pourvoi contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi.

11

Cette juridiction relève que les représentants de l’employeur ne contrôlent pas le travail quotidien des « parents » remplaçants et que l’employeur ne leur donne pas d’ordres concernant les périodes de travail et les temps de repos pendant les jours ouvrés. Dans les limites imposées par les besoins des enfants, un « parent » remplaçant peut décider lui-même de l’organisation et du contenu de son travail. Il est toutefois établi, pour chaque enfant, un plan de garde et d’éducation d’après lequel le « parent » remplaçant doit s’occuper de l’enfant et à propos duquel il rédige un rapport. Par ailleurs, le « parent » remplaçant se concerte avec le « parent » titulaire au sujet du fonctionnement de la maison d’enfants dont il a la charge et des questions pratiques qui y sont liées.

12

Selon les contrats de travail des parties requérantes au principal, le service annuel était de 190 périodes de 24 heures, excepté pour l’une d’entre elles dont le service annuel était de 170 périodes de 24 heures, dont il convenait de déduire 30 à 33 journées au titre des congés annuels. Dans la pratique, la durée des périodes de remplacement variait entre quelques jours et plusieurs semaines.

13

La juridiction de renvoi souligne encore que le directeur établit à l’avance des listes indiquant, journée par journée, la maison dans laquelle le « parent » remplaçant est appelé à travailler. Ce dernier convient avec le « parent » titulaire de l’heure à laquelle débute la période de remplacement. Les plannings journaliers doivent encore être établis de manière à ce que chaque travailleur dispose en moyenne de deux week-ends libres par mois. Pendant la période de remplacement, le travailleur a également droit à une journée de congé par semaine. La rémunération des « parents » remplaçants est définie sur une base fixe mensuelle, étant toutefois entendu que, si un « parent » remplaçant travaille plus de 190 périodes de 24 heures, il a droit à une compensation complémentaire.

14

La juridiction de renvoi est appelée à déterminer si la loi sur le temps de travail est applicable aux « parents » remplaçants, ce qui aurait pour conséquence que SOS-Lapsikylä ry serait tenue d’accorder aux requérantes au principal les indemnités qu’elles réclament. Plus particulièrement, il conviendrait de déterminer si les activités des « parents » remplaçants sont exclues du champ d’application de cette loi en vertu de l’article 2, paragraphe 1, point 3, de celle-ci. La juridiction de renvoi souligne que, selon cette disposition, un travail que le travailleur effectue à domicile ou, à défaut, dans des conditions telles que l’on ne peut pas considérer qu’il revient à l’employeur de contrôler l’emploi du temps qui est consacré à ce travail ne relève pas des dispositions relatives à l’organisation du temps de travail, à l’exception de l’article 15, paragraphe 3, de la loi sur le temps de travail, non pertinent en l’espèce.

15

Selon la juridiction de renvoi, la loi sur le temps de travail transpose la directive 2003/88 dont certaines dispositions, notamment l’article 17, paragraphe 1, de celle-ci, autorisent le législateur national à déroger, sous certaines conditions, à la réglementation des périodes de travail et de repos fixée par cette directive.

16

La juridiction de renvoi relève encore que la loi sur le temps de travail régit, non seulement le temps de travail, la durée du temps de travail légal, le dépassement d’une telle durée, le travail de nuit et le travail posté ainsi que les périodes de repos et le travail du dimanche, mais fixe aussi les indemnités dues pour différents motifs tels que les heures supplémentaires et le travail du dimanche.

17

Bien que la juridiction de renvoi ait conscience que la directive 2003/88 ne s’applique pas à la rémunération du travailleur, excepté en matière de congés payés annuels, elle considère, toutefois, que l’interprétation de cette directive est essentielle pour la solution du litige pendant devant elle. En effet, le droit aux compléments salariaux fixés par la loi sur le temps de travail dépendrait de l’applicabilité au cas d’espèce de ladite loi, qui régit aussi le temps de travail et de repos.

18

Plus particulièrement, la juridiction de renvoi considère que c’est avant tout la dérogation contenue à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 qui est pertinente afin d’interpréter l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 1, point 3, de la loi sur le temps de travail.

19

Selon la juridiction de renvoi, il découle de l’arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C‑428/09, EU:C:2010:612), que, lorsqu’il n’est pas démontré que, d’une part, les travailleurs peuvent décider du nombre de leurs heures de travail et, d’autre part, qu’ils ne sont pas tenus d’être présents sur leur lieu de travail selon des horaires fixes, la dérogation contenue à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne trouve pas à s’appliquer.

20

La juridiction de renvoi estime, cependant, que les faits à l’origine de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt présentent des différences importantes avec l’affaire pendante devant elle, notamment en ce qui concerne la nature du travail et les conditions d’exercice de celui-ci.

21

Elle fait ainsi valoir que, en l’espèce, le travail assumé par les requérantes au principal s’apparente, par son contenu, au travail effectué au sein d’une famille par l’un de ses membres, lequel est expressément visé à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/88. Ladite juridiction relève, par ailleurs, que cette disposition doit être interprétée de manière restrictive, mais que la liste des activités qui y sont visées n’est pas exhaustive. Elle estime, dès lors, qu’il est possible que cette dérogation s’applique au travail des « parents » remplaçants, bien qu’il ne s’agisse pas de main-d’œuvre familiale au sens de l’article 17, paragraphe 1, sous b), de cette directive.

22

La juridiction de renvoi indique encore que, en l’espèce, les possibilités pour l’employeur de contrôler l’emploi du temps des requérantes au principal sont limitées, car un tel contrôle pourrait affecter la possibilité pour un « parent » remplaçant de se comporter comme un vrai parent et de créer un lien de confiance avec les enfants. Ladite juridiction ajoute que de tels contrôles ne semblent pas avoir eu lieu. En effet, les « parents » remplaçants décident de manière autonome de leurs tâches, de leur repos et de leurs déplacements à l’extérieur de la maison dans les limites imposées par les besoins des enfants, ces besoins affectant, il est vrai, la possibilité pour ces « parents » remplaçants de se consacrer à leurs affaires personnelles et d’organiser leur vie librement.

23

Dans ces conditions, le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit-il être interprété en ce sens que son champ d’application peut couvrir un travail dans une maison d’enfants, tel que celui décrit ci-dessus, dans lequel le travailleur qui remplace le “parent villages d’enfants” des enfants pris en charge pendant les congés de celui-ci habite avec les enfants, dans les conditions d’un environnement familial, et s’occupe à cette occasion, de manière autonome, des besoins des enfants et de la famille, ainsi que le ferait un vrai parent ? »

Sur la question préjudicielle

24

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il peut s’appliquer à une activité salariée, telle que celle en cause au principal, consistant à prendre en charge des enfants dans les conditions d’un environnement familial, en remplacement de la personne chargée, à titre principal, de cette mission.

25

À titre liminaire, il y a lieu de relever que, exception faite de l’hypothèse particulière relative au congé annuel payé, visée à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, cette directive se borne à réglementer certains aspects de l’aménagement du temps de travail afin d’assurer la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras, C‑266/14, EU:C:2015:578, point 48 et jurisprudence citée).

26

Toutefois, cette constatation n’implique pas qu’il n’y a pas lieu de répondre à la question préjudicielle soumise à la Cour dans la présente affaire.

27

En effet, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 45 de ses conclusions, le litige dont est saisie la juridiction de renvoi porte sur la question de savoir si la loi sur le temps de travail s’applique aux « parents » remplaçants et si les requérantes ont, de ce fait, droit à la rémunération réclamée.

28

C’est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a saisi la Cour sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 qui a été, selon les explications de cette juridiction, transposé en droit national par l’article 2, paragraphe 1, point 3, de la loi sur le temps de travail.

29

Il convient, partant, de déterminer si les activités exercées par les requérantes au principal, en leur qualité de « parents » remplaçants, peuvent relever du champ d’application de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88, lequel permet aux États membres, sous certaines conditions, de déroger aux articles 3 à 6, 8 et 16 de cette directive lorsque la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée, n’est pas mesurée ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes.

30

À cet égard, il y a lieu de relever que, comme l’indique la juridiction de renvoi, les « parents » remplaçants, salariés de SOS-Lapsikylä ry, sont chargés d’assumer, durant l’absence des « parents » titulaires, eux aussi salariés du même employeur, la gestion quotidienne d’une maison d’enfants ainsi que la garde et l’éducation des enfants qui y sont accueillis, au cours de périodes continues de 24 heures, qui peuvent s’enchaîner durant plusieurs jours, moyennant le droit à une journée de congé par semaine et, en moyenne, à deux week-ends libres par mois.

31

Selon la jurisprudence de la Cour, la dérogation prévue à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit recevoir une interprétation qui limite sa portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que cette dérogation permet de protéger (arrêts du 9 septembre 2003, Jaeger, C‑151/02, EU:C:2003:437, point 89, et du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère, C‑428/09, EU:C:2010:612, point 40).

32

La Cour a également jugé que ledit article 17, paragraphe 1, s’applique aux travailleurs dont le temps de travail, dans son intégralité, n’est pas mesuré ou prédéterminé, ou peut être déterminé par les travailleurs eux-mêmes en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée (arrêts du 7 septembre 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑484/04, EU:C:2006:526, point 20, et du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère, C‑428/09, EU:C:2010:612, point 41).

33

À cet égard, lors de l’appréciation concrète des circonstances de l’affaire, la juridiction de renvoi doit tenir compte, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 68 de ses conclusions, du fait que le temps de travail d’un « parent » remplaçant est largement prédéterminé par le contrat de travail qui l’unit à son employeur, puisque le nombre de périodes de 24 heures qu’il doit prester annuellement est fixé contractuellement. Par ailleurs, cette juridiction doit également tenir compte du fait que ledit employeur établit à l’avance des listes indiquant, à intervalles réguliers, les périodes de 24 heures durant lesquelles le « parent » remplaçant est chargé de la gestion d’une maison d’enfants.

34

Eu égard à ces éléments, on ne saurait affirmer que le temps de travail des « parents » remplaçants, dans son intégralité, n’est pas mesuré ou prédéterminé ou qu’il peut être déterminé par le « parent » remplaçant lui-même, en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

35

Ce constat n’est pas remis en cause, eu égard aux éléments dont dispose la Cour, par le fait que, au cours des périodes durant lesquelles ils sont chargés de la gestion d’une maison d’enfants, les « parents » remplaçants disposent d’une certaine autonomie dans leur emploi du temps et, plus particulièrement, dans l’organisation de leurs tâches quotidiennes, de leurs déplacements et de leurs périodes d’inactivité, sans que semble exister, en pratique, un contrôle de la part de leur employeur.

36

En effet, premièrement, il convient de relever, d’abord, que les difficultés qu’un employeur peut rencontrer, s’agissant du contrôle de l’exercice quotidien des activités de ses employés, ne sauraient, de manière générale, suffire à considérer que le temps de travail de ces derniers, dans son intégralité, n’est pas mesuré ou prédéterminé ou peut être déterminé par le travailleur lui-même, dès lors que l’employeur établit à l’avance tant le début que la fin du temps de travail.

37

Ensuite, en l’espèce, il ressort de la décision de renvoi que l’employeur ne contrôle pas la manière dont le « parent » remplaçant exerce ces activités au cours des périodes de 24 heures durant lesquelles il est en charge de la maison d’enfants. En revanche, l’employeur établit à l’avance des listes indiquant, journée par journée, la maison dans laquelle le « parent » remplaçant est appelé à travailler. Ce dernier convient avec le « parent » titulaire de l’heure à laquelle débute la période de remplacement. Les plannings journaliers doivent encore être établis de manière à ce que chaque travailleur dispose en moyenne de deux week-ends libres par mois. Ainsi, rien n’indique dans la décision de renvoi que l’employeur ne serait pas en mesure de contrôler si, d’une part, le « parent » remplaçant a bien pris en charge la maison d’enfants au moment de la journée auquel il a convenu, avec le « parent » titulaire, que débuterait le remplacement et si, d’autre part, il a assumé ce remplacement jusqu’à la fin de la ou des périodes de 24 heures qui lui ont été assignées.

38

Enfin, il ressort de la décision de renvoi que le « parent » remplaçant est tenu de rédiger un rapport sur la manière dont il a appliqué le plan de garde et d’éducation élaboré pour chaque enfant. Ce rapport apparaît dès lors constituer un moyen de contrôle, à la disposition de l’employeur, susceptible d’être utilisé par ce dernier afin de vérifier la manière dont ses employés exercent leurs activités et, partant, de mesurer leur temps de travail.

39

Deuxièmement, telle qu’elle est décrite par la juridiction de renvoi, la faculté qu’ont les « parents » remplaçants de décider, dans une certaine mesure, leurs périodes d’inactivité, au cours des périodes de 24 heures pendant lesquelles ils ont la charge d’une maison d’enfants, ne leur permet cependant pas de déterminer, en toute liberté, le nombre d’heures de travail qu’ils effectuent au cours desdites périodes.

40

D’une part, comme l’indique la juridiction de renvoi, il convient de noter que les « parents » remplaçants doivent se concerter avec les « parents » titulaires sur la manière de gérer la maison d’enfants et qu’il paraît contraire à l’économie générale du système d’accueil, mis en place par les villages d’enfants, de permettre aux « parents » remplaçants de modifier substantiellement les habitudes, notamment en ce qui concerne les horaires, de la maison dont ils ont temporairement la charge, et qui ont été arrêtées par les « parents » titulaires. Le respect de ces habitudes semble, partant, indiquer que les « parents » remplaçants ne sauraient, eux-mêmes, déterminer, en toute liberté, leur horaire de travail.

41

D’autre part, il convient de relever que doivent être considérées comme du « temps de travail », au sens de l’article 2, point 1, de la directive 2003/88, les périodes au cours desquelles le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou aux pratiques nationales (arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras, C‑266/14, EU:C:2015:578, point 25).

42

Ainsi, les périodes d’inactivité qui peuvent se présenter, au cours des périodes de 24 heures durant lesquelles le « parent » remplaçant est en charge de la maison d’enfants, relèvent de l’exercice des fonctions de ce travailleur et constituent du temps de travail lorsque le « parent » remplaçant est contraint d’être physiquement présent au lieu déterminé par l’employeur et de s’y tenir à la disposition de ce dernier pour pouvoir immédiatement fournir les prestations appropriées en cas de besoin (voir, en ce sens, arrêt du 1er décembre 2005, Dellas e.a., C‑14/04, EU:C:2005:728, point 48, ainsi que ordonnance du 11 janvier 2007, Vorel, C‑437/05, EU:C:2007:23, point 28).

43

De telles périodes d’inactivité étant intégrées dans le temps de travail des « parents » remplaçants, la faculté qu’ont ces derniers de définir à quels moments ces périodes débutent et s’achèvent n’équivaut donc pas à la possibilité pour ces travailleurs de déterminer librement le début et la fin de leur temps de travail.

44

Par ailleurs, et à supposer même que certaines phases d’inactivité, au cours des périodes de 24 heures durant lesquelles les « parents » remplaçants sont chargés de la maison d’enfants, puissent être considérées, non comme du temps de travail, mais comme du temps de repos, au sens de l’article 2, point 2, de la directive 2003/88, dans la mesure où, comme il a été indiqué par SOS-Lapsikylä ry au cours de l’audience de plaidoiries sans qu’elle soit contredite sur ce point, les « parents » remplaçants, bien qu’ils doivent demeurer joignables à tout moment, sont autorisés à quitter leur lieu de travail lorsque les enfants dont ils ont la charge sont occupés en dehors de la maison, cette possibilité de quitter leur lieu de travail ne concerne qu’une partie de leur horaire quotidien et apparaît déterminée non pas par les « parents » remplaçants eux-mêmes, mais par les heures d’absence des enfants. Ainsi, cette particularité des conditions de travail des « parents » remplaçants ne peut conduire à la conclusion que leur temps de travail, dans son intégralité, n’est pas mesuré ou prédéterminé, ou que celui-ci, dans son intégralité, est déterminé par les « parents » remplaçants eux-mêmes.

45

Il découle de ce qui précède que, eu égard aux éléments dont la Cour dispose, dans des circonstances telles que celles au principal, rien n’indique que l’activité salariée des « parents » remplaçants puisse relever du champ d’application de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88. Dès lors, il n’apparaît pas nécessaire de vérifier, de surcroît, si l’activité des « parents » remplaçants est assimilable, à d’autres points de vue, à l’une des trois activités citées, à titre exemplatif, audit article et, plus particulièrement, à la « main-d’œuvre familiale », visée à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de cette directive.

46

En toute hypothèse, et comme l’a souligné M. l’avocat général aux points 72 à 80 de ses conclusions, les « parents » remplaçants ne peuvent être considérés comme une main-d’œuvre familiale de telle sorte que ceux-ci ne relèvent pas de l’exception visée à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/88.

47

En effet, une telle dérogation, qui doit être interprétée restrictivement, comme il a été souligné au point 31 du présent arrêt, vise exclusivement le travail accompli dans un contexte où la relation de travail qui unit l’employeur à son employé est de nature familiale. Dans un tel contexte, marqué par des liens de confiance et d’engagement particuliers entre les parties, il peut en effet être admis que le temps de travail, dans son intégralité, ne soit pas mesuré ou prédéterminé ou qu’il puisse être déterminé par le membre de la famille employé.

48

En revanche, la simple circonstance que l’activité en cause s’apparente aux tâches éducatives et aux relations affectives assumées, en principe, par des parents à l’égard de leurs enfants ne permet pas de faire relever ladite activité de l’exception prévue à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/88.

49

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il ne peut s’appliquer à une activité salariée, telle que celle en cause au principal, consistant à prendre en charge des enfants dans les conditions d’un environnement familial, en remplacement de la personne chargée, à titre principal, de cette mission, lorsqu’il n’est pas établi que la durée du temps de travail, dans son intégralité, n’est pas mesurée ou prédéterminée ou qu’elle peut être déterminée par le travailleur lui-même, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

50

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

 

L’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il ne peut s’appliquer à une activité salariée, telle que celle en cause au principal, consistant à prendre en charge des enfants dans les conditions d’un environnement familial, en remplacement de la personne chargée, à titre principal, de cette mission, lorsqu’il n’est pas établi que la durée du temps de travail, dans son intégralité, n’est pas mesurée ou prédéterminée ou qu’elle peut être déterminée par le travailleur lui-même, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le finnois.

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