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Document 62016CC0175

Conclusions de l'avocat général M. M. Wathelet, présentées le 6 avril 2017.
Hannele Hälvä e.a. contre SOS-Lapsikylä ry.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Korkein oikeus.
Renvoi préjudiciel – Directive 2003/88/CE – Article 17 – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Indemnités complémentaires – Association de protection de l’enfance – “Parents village d’enfants” – Absence temporaire de “parents” titulaires – Travailleuses employées en tant que “parents” remplaçantes – Notion.
Affaire C-175/16.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:285

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 6 avril 2017 ( 1 )

Affaire C175/16

Hannele Hälvä,

Sari Naukkarinen,

Pirjo Paajanen,

Satu Piik

contre

SOS-Lapsikylä ry

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/88/CE – Article 17 – Situation purement interne – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Travailleurs employés en tant que “parents remplaçants” de villages d’enfants, pendant les absences des “parents titulaires”, par une association de protection de l’enfance organisant la garde et l’entretien d’enfants pris en charge par les communes dans un environnement familial au sein de villages d’enfants »

I Introduction

1.

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail ( 2 ).

2.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige qui oppose Mmes Hälvä, Naukkarinen, Paajanen et Pik à leur employeur, SOS-Lapsikylä ry, au sujet du refus de verser aux requérantes au principal des indemnités d’heures supplémentaires ainsi que des indemnités pour le travail de soirée, de nuit, du samedi et du dimanche, au cours des années 2006-2009.

II Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3.

L’article 17 de la directive 2003/88 prévoit ce qui suit :

« 1.   Dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, les États membres peuvent déroger aux articles 3 à 6, 8 et 16 lorsque la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée, n’est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes, et notamment lorsqu’il s’agit :

a)

de cadres dirigeants ou d’autres personnes ayant un pouvoir de décision autonome ;

b)

de main-d’œuvre familiale, ou

c)

de travailleurs dans le domaine liturgique des églises et des communautés religieuses.

2.   Les dérogations prévues aux paragraphes 3, 4 et 5 peuvent être adoptées par voie législative, réglementaire et administrative ou par voie de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux, à condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou que, dans des cas exceptionnels dans lesquels l’octroi de telles périodes équivalentes de repos compensateur n’est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés.

3.   Conformément au paragraphe 2 du présent article, il peut être dérogé aux articles 3, 4, 5, 8 et 16 :

[…]

b)

pour les activités de garde, de surveillance et de permanence caractérisées par la nécessité d’assurer la protection des biens et des personnes, notamment lorsqu’il s’agit de gardiens ou de concierges ou d’entreprises de gardiennage ;

c)

pour les activités caractérisées par la nécessité d’assurer la continuité du service ou de la production [...].

[…] »

B. Le droit national

4.

La directive 2003/88 a été transposée en droit finlandais par la loi no 605/1996 sur le temps de travail (työaikalaki).

5.

L’article 2, paragraphe 1, de cette loi dispose ce qui suit :

« La présente loi ne s’applique pas, sous réserve de son article 15, paragraphe 3 :

[…]

3)

à un travail, que le travailleur effectue à domicile ou, sinon, dans des conditions telles que l’on ne peut pas considérer qu’il appartienne à l’employeur d’exercer un contrôle sur l’emploi du temps qui est consacré à ce travail […] »

III Les faits et la procédure du litige au principal

A. Les faits du litige au principal

6.

SOS-Lapsikylä est une institution de protection de l’enfance. Elle organise la garde et l’entretien d’enfants dans un environnement le plus proche possible d’un milieu familial. Cette prise en charge est réalisée au sein de sept « villages d’enfants », composés de plusieurs maisons d’enfants et situés dans plusieurs régions de Finlande ( 3 ).

7.

Le personnel des villages d’enfants est constitué d’un directeur, de « parents titulaires », de « parents remplaçants » et d’autres professionnels. C’est le directeur qui dirige le village d’enfants. À ce titre, il est le supérieur direct des « parents remplaçants ». Ces derniers remplacent les « parents titulaires » durant leurs absences pour congés annuels ou de maladie notamment.

8.

Les maisons d’enfants constituent le domicile fixe des enfants pris en charge. Chaque maison héberge de trois à six enfants ainsi qu’un ou des « parents titulaires » et leurs remplaçants (en cas d’absence des premiers).

9.

Les requérantes au principal ont été employées par SOS-Lapsikylä en tant que « parents remplaçants » jusqu’en 2009 et, pour certaines d’entre elles, jusqu’en 2010.

10.

En cette qualité, les requérantes au principal ont vécu avec les enfants dans la maison d’enfants. Elles se sont occupées, seules, de cette maison, de la garde et de l’éducation des mineurs résidents. Elles ont assuré l’approvisionnement et elles ont accompagné les enfants dans les centres de soin, à l’école et dans les installations de loisirs. Selon la juridiction de renvoi, au cours de ces périodes de remplacement, les tâches des « parents remplaçants » sont identiques à celles des « parents titulaires ».

11.

La juridiction de renvoi précise encore que les représentants de l’employeur ne contrôlent pas le travail quotidien des « parents remplaçants » et que l’employeur ne leur donne pas d’ordres concernant les périodes de travail et les temps de repos pendant les jours ouvrés. Dans les limites imposées par les besoins des enfants, un « parent remplaçant » peut décider lui-même de l’organisation et du contenu de son travail. Il est toutefois établi, pour chaque enfant, un plan de garde et d’éducation sur la base duquel le « parent remplaçant » doit s’occuper de l’enfant et à propos duquel il rédige un rapport dans un système informatique.

12.

La juridiction de renvoi souligne encore que le directeur établit par avance des listes indiquant, journée par journée, la maison dans laquelle le « parent remplaçant » doit travailler. Ce dernier convient avec le « parent titulaire » de l’heure à laquelle débute la période de remplacement. Les plannings journaliers doivent encore être établis de façon à ce que chaque travailleur ait en moyenne deux week-ends libres par mois. En période de remplacement, le travailleur a également droit à une journée de congé par semaine.

13.

La rémunération des « parents remplaçants » est définie sur une base fixe mensuelle, étant toutefois entendu que, si un « parent remplaçant » a effectué plus de 190 périodes, il a droit à une compensation complémentaire.

14.

Selon les contrats de travail des parties requérantes au principal, le service annuel était de 190 périodes de 24 heures, sauf pour l’une d’entre elles dont le service annuel était de 170 périodes de 24 heures, dont il convenait de déduire 30 à 33 journées au titre des congés annuels.

15.

En pratique, la durée des périodes de remplacement variait entre quelques jours et plusieurs semaines. Si, en principe, un « parent remplaçant » devait toujours être affecté à la même maison d’enfants, il était, en réalité, amené à faire des remplacements successifs dans plusieurs maisons d’enfants.

B. La procédure du litige au principal

16.

Les requérantes au principal considèrent que leurs prestations au service de SOS-Lapsikylä constituaient un travail au sens de l’article 1er de la loi sur le temps de travail. Sur cette base, elles ont introduit un recours devant l’Etelä-Savon käräjäoikeus (tribunal de première instance du Savo méridional, Finlande) afin que SOS-Lapsikylä soit condamnée à leur payer des indemnisations de travail supplémentaire, de travail de soirée, de travail de nuit, de travail de samedi et de travail du dimanche pour les années 2006-2009.

17.

SOS-Lapsikylä a contesté la demande en estimant que le travail des requérantes au principal entrait dans l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 1, point 3, de la loi sur le temps de travail.

18.

L’Etelä-Savon käräjäoikeus a suivi l’argumentation de SOS-Lapsikylä et a rejeté le recours des requérantes au principal. La juridiction d’appel a confirmé le jugement.

19.

Saisie sur pourvoi, la juridiction de renvoi est donc appelée à déterminer si la loi sur le temps de travail est applicable aux « parents remplaçants » et, plus précisément, son article 2, paragraphe 1, point 3. En effet, la juridiction de renvoi fait valoir que, selon cette disposition, un travail que le travailleur effectue à domicile ou, à défaut, dans des conditions telles que l’on ne peut pas considérer qu’il revient à l’employeur de contrôler l’emploi du temps qui est consacré à ce travail ne relève pas des dispositions relatives à l’organisation du temps de travail, à l’exception de l’article 15, paragraphe 3, de la loi sur le temps de travail, non pertinent en l’espèce. Si, au contraire, les activités des « parents remplaçants » n’étaient pas exclues du champ d’application de cette loi, SOS-Lapsikylä serait tenue d’accorder aux requérantes au principal les indemnités qu’elles réclament.

20.

La juridiction de renvoi précise que la loi sur le temps de travail transpose la directive 2003/88. Toutefois, son champ d’application matériel dépasse celui de la directive. En effet, cette loi régit non seulement la durée du temps de travail légal, le dépassement d’une telle durée, le travail de nuit et le travail posté ainsi que les périodes de repos et le travail du dimanche, mais fixe aussi les indemnités dues pour différents motifs comme les indemnités d’heures supplémentaires et du travail du dimanche.

21.

Or, bien qu’elle soit consciente que la directive 2003/88 ne s’applique pas à la rémunération du travailleur, sauf certaines exceptions relatives aux congés payés annuels, la juridiction de renvoi considère que l’interprétation de cette directive est essentielle pour la solution du litige pendant devant elle. En effet, le droit aux compléments salariaux fixés par la loi sur le temps de travail dépendrait de l’applicabilité au cas d’espèce de cette loi, qui régit aussi le temps de travail et de repos.

22.

Plus particulièrement, la juridiction de renvoi considère que c’est avant tout la dérogation contenue à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 qui est pertinente afin d’interpréter l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 1, sous 3), de la loi sur le temps de travail.

23.

Dans ces conditions, le Korkein oikeus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour à titre préjudiciel.

IV. La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

24.

Par décision du 24 mars 2016, parvenue à la Cour le 29 mars 2016, le Korkein oikeus (Cour suprême) a donc décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit-il être interprété en ce sens que son champ d’application peut couvrir un travail dans une maison d’enfants, tel que celui décrit ci-dessus, dans lequel le travailleur qui remplace le “parent villages d’enfants” des enfants pris en charge pendant les congés de celui-ci habite avec les enfants, dans les conditions d’un environnement familial, et s’occupe à cette occasion, de manière autonome, des besoins des enfants et de la famille, ainsi que le ferait un vrai parent ? »

25.

Des observations écrites ont été déposées par les requérantes au principal, SOS-Lapsikylä, le gouvernement finlandais, le gouvernement allemand ainsi que la Commission européenne. En outre, ils se sont tous exprimés lors de l’audience qui s’est tenue le 2 mars 2017.

V. Analyse

26.

Avant d’aborder la question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi, j’examinerai d’abord le problème de la compétence de la Cour.

27.

En effet, le fond du litige au principal porte sur le paiement aux requérantes au principal de différentes indemnités complémentaires à la rémunération. Or, selon la jurisprudence de la Cour, « exception faite de l’hypothèse particulière visée à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 en matière de congé annuel payé, celle-ci se borne à réglementer certains aspects de l’aménagement du temps de travail, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs » ( 4 ).

28.

La question de la compétence de la Cour pourrait dès lors se poser au regard de cette jurisprudence, mais je ne le pense pas.

A. Sur la compétence de la Cour

29.

La juridiction de renvoi constate que seules les dispositions de la loi nationale en cause relatives au temps de travail constituent la transposition de la directive 2003/88. En revanche, la rémunération des « parents remplaçants » relève du champ d’application du droit national. Toutefois, puisque les deux questions sont régies par la même loi et que le droit aux compléments salariaux dépend de l’applicabilité des dispositions relatives au temps de travail, l’interprétation de la directive 2003/88 lui paraît essentielle.

30.

En effet, le droit aux compléments salariaux réclamés par les requérantes au principal est subordonné à la question de savoir si l’activité exercée relève de la loi sur le temps de travail ou si elle en est exclue en application de son article 2, paragraphe 1, sous 3). Or, selon la juridiction de renvoi, l’interprétation de cette disposition dépend du sens qu’il convient de donner à la dérogation autorisée à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88.

31.

Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence ( 5 ). Il résulte de cette présomption que le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que la disposition du droit de l’Union soumise à l’interprétation de la Cour ne peut trouver à s’appliquer ( 6 ). Un tel constat ne me semble pas démontré. Au contraire, le juge de renvoi affirme l’inverse au terme d’une explication, certes brève, mais convaincante. Par ailleurs, j’observe qu’aucune des parties n’a mis en cause cette affirmation ni soulevé d’argument relatif à l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle ou à l’incompétence de la Cour.

32.

En outre, il convient de ne pas se méprendre sur la portée de la demande de décision préjudicielle : il s’agit bel et bien d’interpréter une disposition de la directive 2003/88 dans le cadre d’une application, par le juge national, de la loi qui assure la transposition de cette directive. Or, l’application de cette directive n’est pas liée à un élément d’extranéité qui rendrait la Cour incompétente à défaut d’un tel élément.

33.

C’est ainsi, par exemple, que la Cour s’est déclarée compétente pour répondre à des questions relatives à l’interprétation de dispositions de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ( 7 ), malgré le fait que l’obligation de classification en cause n’était pas applicable aux entreprises établies dans des États membres autres que le Royaume d’Espagne ( 8 ). Selon la Cour, cet aspect du problème est sans incidence sur sa compétence puisqu’« aucun élément [de la directive] 2004/18 ne permet de considérer que l’applicabilité de [ses] dispositions dépendrait de l’existence d’un lien effectif avec la libre circulation entre les États membres. En effet, [ladite directive] ne subordonne [...] l’assujettissement des procédures de passation des marchés publics à [ses] dispositions à aucune condition tenant à la nationalité ou au lieu d’établissement des soumissionnaires (voir, en ce sens, arrêt Michaniki, C213/07, EU:C:2008:731, point 29) » ( 9 ). Le même constat peut être opéré à l’égard de la directive 2003/88.

34.

De plus, dans cette situation particulière, la Cour a déjà jugé, à juste titre, que l’intérêt de l’Union à ce que les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme était « à plus forte raison valable lorsque la législation nationale qui utilise une notion figurant dans une disposition de droit [de l’Union] a été adoptée en vue de transposer en droit interne la directive dont ladite disposition fait partie » ( 10 ). Or, selon la Cour, « dans une telle hypothèse, la circonstance que la notion de droit [de l’Union] dont l’interprétation est demandée est appelée à s’appliquer, dans le cadre du droit national, dans des conditions différentes de celles prévues par la disposition [de droit de l’Union] correspondante n’est pas de nature à exclure tout lien entre l’interprétation sollicitée et l’objet du litige au principal » ( 11 ).

35.

En l’espèce, la juridiction de renvoi a parfaitement justifié l’existence de ce lien. La loi sur le temps de travail réglemente à la fois la durée du temps de travail (qui relève du champ d’application de la directive 2003/88) et les compléments salariaux (qui n’en relèvent pas). Or, l’article qui conditionne, de la même manière, l’applicabilité des deux aspects de cette loi assure la transposition de l’une des dispositions de la directive 2003/88, à savoir son article 17, paragraphe 1.

36.

Cette spécificité me paraît distinguer la présente affaire de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mars 1995, Kleinwort Benson (C346/93, EU:C:1995:85). En effet, si le libellé de l’article 2, paragraphe 1, point 3, de la loi sur le temps de travail n’est pas identique à celui de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88, il n’est pas contesté qu’il en assure la transposition ( 12 ). Une telle reprise formelle du texte de la directive n’est, par ailleurs, pas requise ( 13 ). En revanche, dès lors que le législateur finlandais a choisi d’utiliser la possibilité de dérogation autorisée à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88, le juge de renvoi est bel et bien tenu d’interpréter la disposition nationale qui l’encadre conformément à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88, tel qu’interprété par la Cour ( 14 ).

37.

En tout état de cause, selon une jurisprudence constante, lorsqu’une loi de transposition étend le champ d’application matériel d’une directive, la Cour est compétente sur la base de l’article 267 TFUE lorsqu’il est nécessaire de donner au droit de l’Union une interprétation uniforme ( 15 ).

38.

Une telle nécessité ne serait pas rencontrée – et la Cour ne serait, par conséquent, pas compétente – lorsque l’acte de l’Union dont l’interprétation est sollicitée prévoit expressément que le domaine auquel le droit national a choisi de l’appliquer est exclu de son champ d’application ( 16 ).

39.

Or, je ne pense pas que nous soyons dans une telle hypothèse.

40.

Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que la directive 2003/88 ne s’appliquait pas, en principe, à la rémunération des travailleurs ( 17 ).

41.

Toutefois, cela ne signifie pas que la Cour ne soit pas compétente pour répondre à des questions relatives à l’interprétation d’une des dispositions de la directive 2003/88 même si l’enjeu du litige est, en fin de compte, celui de la rémunération du travailleur.

42.

Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 11 janvier 2007, Vorel (C437/05, EU:C:2007:23), le litige portait sur « la définition de la notion de “temps de travail” au sens des directives 93/104 et 2003/88 en ce qui concerne les services de garde assurés par un médecin dans un hôpital ainsi que de la rémunération due au titre de ceux-ci » ( 18 ).

43.

Dans cette affaire, M. Vorel contestait le mode de calcul de sa rémunération et demandait à la juridiction compétente « de condamner le NČK à lui verser un supplément de salaire [...], cette somme correspondant à la différence entre la rémunération qui lui a[vait] été allouée au titre des services de garde hospitalière qu’il a[vait] effectués au cours de ladite période et le salaire qui aurait dû lui être versé si lesdits services avaient été reconnus comme une prestation normale de travail » ( 19 ).

44.

Dans sa réponse, la Cour fait expressément référence à l’incidence de la définition de la durée du temps de travail sur le calcul de la rémunération en jugeant que les directives 93/104 et 2003/88 « ne s’opposent pas à l’application par un État membre d’une réglementation qui, aux fins de la rémunération du travailleur et s’agissant du service de garde effectué par celui-ci sur son lieu de travail, prend en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n’est accompli, pour autant qu’un tel régime assure intégralement l’effet utile des droits conférés aux travailleurs par lesdites directives en vue de la protection efficace de la santé et de la sécurité de ces derniers » ( 20 ).

45.

La configuration du litige au principal ne me paraît pas fondamentalement différente : elle porte sur la question de savoir si la loi sur le temps de travail s’applique aux « parents remplaçants » et si, de ce fait, ceux-ci ont droit aux indemnités réclamées ( 21 ). Or, pour répondre à cette question, il apparaît nécessaire au juge de renvoi de déterminer si la dérogation prévue à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 trouve à s’appliquer.

46.

En d’autres termes, l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 est de nature à avoir une incidence sur l’application des règles nationales pertinentes dans le litige au principal. Par conséquent, puisque il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union ne serait pas nécessaire pour la juridiction de renvoi, il convient que la Cour réponde à la question posée ( 22 ).

47.

Enfin, si l’on veut bien accepter que la nécessité d’une interprétation uniforme constitue le critère prépondérant à la compétence de la Cour lorsqu’un État membre a choisi d’élargir le champ d’application d’une directive ( 23 ), il faut alors admettre qu’une telle interprétation s’impose d’autant plus lorsqu’il s’agit, comme c’est le cas en l’espèce, d’interpréter une clause dérogatoire à l’application de la directive.

48.

En effet, l’applicabilité d’une directive et la protection qu’elle confère ne saurait être sujette à différentes interprétations et appliquées différemment selon la juridiction saisie. Il en va de la protection des droits conférés par le droit de l’Union ( 24 ).

49.

Par conséquent, au vu des éléments qui précèdent, j’estime, d’une part, que la juridiction de renvoi a démontré de façon pertinente et suffisante la nécessité de sa question et, d’autre part, que la Cour est bel et bien compétente pour y répondre.

B. Sur la question préjudicielle

50.

L’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 permet de déroger à certaines dispositions protectrices instaurées par cette directive. Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si cette disposition s’applique au travailleur qui, remplaçant un « parent titulaire » pendant les congés de celui-ci, habite avec les enfants dans les conditions d’un environnement familial et s’occupe à cette occasion, de manière autonome, des besoins des enfants et de la famille, ainsi que le ferait un vrai parent.

1. Sur les principes d’interprétation applicables à la directive 2003/88

51.

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler les principes qui doivent encadrer l’interprétation de la directive 2003/88.

52.

La finalité poursuivie par cette directive consiste à protéger de façon efficace la sécurité et la santé des travailleurs, en les faisant bénéficier de périodes minimales de repos et de périodes de pause adéquates ( 25 ).

53.

Dans cette optique, la directive 2003/88 définit son champ d’application de manière large. Aux termes de son article 1er, paragraphe 3, elle s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs ( 26 ), à l’exception de certains secteurs spécifiques explicitement énumérés ( 27 ).

54.

Ensuite, pour autant que la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée, n’est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes, les exceptions énoncées à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne sont pas exhaustives. En effet, l’emploi de l’adverbe « notamment » ne permet pas une autre interprétation ( 28 ). Toutefois, ces dérogations doivent être interprétées restrictivement. Selon la Cour, elles doivent recevoir une interprétation « qui limite leur portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que ces dérogations permettent de protéger » ( 29 ).

2. Sur les notions de « temps de travail » et de « travailleur »

55.

La justification de la dérogation aux règles protectrices de la directive 2003/88, définie à son article 17, paragraphe 1, est intrinsèquement liée aux notions de « temps de travail » et de « travailleur ».

56.

En effet, selon l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88, les États membres peuvent déroger aux articles 3 à 6, 8 et 16 de celle-ci « lorsque la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée, n’est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes » ( 30 ).

57.

La notion de « temps de travail » est définie à l’article 2, point 1, de la directive 2003/88 comme « toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ».

58.

La personne doit donc être « à la disposition » de l’employeur. Le facteur déterminant pour apprécier cet élément de la définition est « le fait que le travailleur est contraint d’être physiquement présent au lieu déterminé par l’employeur et de s’y tenir à la disposition de ce dernier pour pouvoir immédiatement fournir les prestations appropriées en cas de besoin » ( 31 ). À cet égard, la circonstance que l’employeur mette à la disposition du travailleur une pièce de repos dans laquelle il peut séjourner aussi longtemps que ses services professionnels ne sont pas requis n’a pas d’incidence ( 32 ).

59.

La notion de « travailleur » n’est pas définie par la directive 2003/88. Toutefois, la Cour a jugé que celle-ci revêtait une portée autonome propre au droit de l’Union ( 33 ). Dans ce cadre, elle a rappelé que « la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle reçoit une rémunération » ( 34 ).

60.

Lorsque l’on confronte ces définitions au cadre factuel décrit par la juridiction de renvoi, il ne fait guère de doute que les requérantes au principal doivent être considérées vis-à-vis de SOS-Lapsikylä comme des « travailleurs » au sens de la directive 2003/88.

61.

Les villages d’enfants sont dirigés par un directeur, lequel est, selon la juridiction de renvoi, le supérieur direct des « parents remplaçants ». À ce titre, il établit, notamment, les listes indiquant, journée par journée, la maison dans laquelle le « parent remplaçant » doit travailler. Si l’employeur ne donne pas d’ordres aux « parents remplaçants » en ce qui concerne les périodes de travail et les temps de repos pendant les jours ouvrés, il semble que ceux-ci doivent néanmoins s’occuper des enfants qui leur sont confiés dans le respect d’un plan de garde et d’éducation.

62.

Par ailleurs, il n’est pas non plus contestable que les heures passées dans le village d’enfants constituent du « temps de travail » au sens de la directive 2003/88 puisque les « parents remplaçants » sont à la disposition de SOS-Lapsikylä. D’une part, ils sont contraints d’être physiquement présents dans la maison d’enfants qui leur est assignée, ou, à tout le moins, dans le village d’enfants concerné ou à proximité. D’autre part, ils s’y tiennent à la disposition de l’employeur pour pouvoir immédiatement fournir les prestations appropriées, c’est-à-dire s’occuper de l’entretien de la maison d’enfants, assurer la garde et l’éducation des enfants qui y résident selon le plan de garde et d’éducation établi pour chaque enfant.

3. Sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88

63.

La question qui se pose est donc celle de savoir si la durée du temps de travail passée dans le village d’enfants est mesurée (ou prédéterminée) par l’employeur ( 35 ) ou si elle peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée.

64.

Or, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser qu’il ressortait du libellé de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 que la dérogation figurant à cette disposition « ne s’applique qu’aux travailleurs dont le temps de travail dans son intégralité n’est pas mesuré ou prédéterminé ou peut être déterminé par les travailleurs eux-mêmes en raison de la nature de l’activité exercée » ( 36 ).

65.

Le fait que la détermination du temps de travail doive porter sur l’intégralité de celui-ci ne saurait être remis en cause. Premièrement, cette interprétation est conforme à la règle selon laquelle les dérogations visées à l’article 17 de la directive 2003/88 doivent être interprétées restrictivement ( 37 ). Deuxièmement, elle est également conforme à la finalité poursuivie par la directive 2003/88 qui consiste à protéger de façon efficace la sécurité et la santé des travailleurs, en les faisant bénéficier de périodes minimales de repos et de périodes de pause adéquates ( 38 ).

66.

En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, au regard tant du libellé de la directive 2003/88 que de la finalité et de l’économie de celle-ci, les différentes prescriptions qu’elle énonce en matière de temps minimal de repos constituent des règles du droit social de l’Union revêtant une importance particulière. Chaque travailleur doit en bénéficier en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé ( 39 ).

64.

Leur importance est telle que la limitation de la durée maximale du travail et l’octroi de périodes de repos journalier et hebdomadaire ainsi que le bénéfice d’une période annuelle de congés payés ont été expressément consacrés en tant que droits fondamentaux à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

68.

En l’espèce, force est de constater qu’un « parent remplaçant » engagé dans un village d’enfants n’est pas en mesure de déterminer, dans son intégralité, la durée de son temps de travail. Au contraire, celle-ci est largement prédéterminée par le contrat d’emploi et par l’employeur.

69.

En effet, de la même façon que la Cour l’avait constaté dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 42), il n’apparaît pas du dossier soumis à la Cour que les « parents remplaçants » aient la possibilité de décider du nombre d’heures de travail qu’ils effectuent.

70.

Au contraire, cette durée était, à tout le moins, encadrée par l’employeur à deux niveaux pour les requérantes au principal. D’une part, leur service annuel était fixé par le contrat de travail à 190 périodes de 24 heures (sauf pour l’une d’entre elles dont le service annuel était de 170 périodes de 24 heures). D’autre part, leur affectation quotidienne était fixée, par avance, par le directeur du village d’enfants au moyen de listes indiquant, journée par journée, la maison dans laquelle le « parent remplaçant » devait travailler.

71.

La seule possibilité de déterminer l’ordre dans lequel les différentes tâches assignées au travailleur pouvaient être effectuées ne suffit pas, loin s’en faut, pour considérer que celui-ci peut déterminer, lui-même, la durée de son temps de travail. Il convient de ne pas oublier que les « parents remplaçants » sont tenus d’être présents sur leur lieu de travail durant toute la durée de leurs prestations, ce qui limite la possibilité de s’adonner à des occupations personnelles. À cet égard, l’absence des enfants lorsqu’ils sont à l’école n’est pas de nature à modifier cette approche. En effet, il a été confirmé lors de l’audience du 2 mars 2017 que certaines tâches d’entretien de la maison étaient effectuées pendant ce laps de temps et, surtout, que les « parents remplaçants » devaient, en tout état de cause, être joignables de façon à pouvoir gérer des situations d’urgence médicale ou d’autres incidents imprévus ( 40 ). Leur liberté durant ces périodes n’est donc que relative et ne retire pas à celles-ci la qualité de « temps de travail » au sens de la directive 2003/88 ( 41 ). Par ailleurs, c’est à l’employeur qu’il appartient, le cas échéant, de mettre en place les instruments de contrôle nécessaires pour éviter les abus éventuels ( 42 ).

4. À titre surabondant, sur la dérogation relative à la « main d’œuvre familiale » prévue à l’article 17, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/88

72.

L’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88, donne trois exemples de circonstances qui entraînent la possibilité de déroger aux articles 3 à 6, 8 et 16 de la directive. Parmi ces hypothèses figure l’engagement de « main-d’œuvre familiale ».

73.

Contrairement à ce que soutient SOS-Lapsikylä, je ne pense pas que le travail des « parents remplaçants » entre dans cette exception.

74.

Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 43 ).

75.

Il convient donc de ne pas oublier que la finalité poursuivie par la directive 2003/88 consiste à protéger de façon efficace la sécurité et la santé des travailleurs. Les dérogations autorisées par la directive 2003/88 doivent recevoir une interprétation qui limite leur portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que ces dérogations permettent de protéger ( 44 ).

76.

La dérogation relative à la main-d’œuvre familiale s’explique par le fait que les relations nouées entre les parties en présence – travailleur et employeur – ne sont pas uniquement professionnelles. En effet, les liens particuliers qui unissent les membres d’une famille sont, inévitablement, susceptibles d’empêcher que la durée du temps de travail puisse être mesurée ou prédéterminée. En revanche, il n’est pas exclu qu’elle puisse être plus aisément déterminée par le travailleur luimême.

77.

Cette circonscription de la dérogation relative à la main-d’œuvre familiale est, par ailleurs, en adéquation avec le contexte dans lequel l’article 17 de la directive 2003/88 s’intègre. En effet, cette directive a pour objet de fixer les prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière de temps de travail ( 45 ), lequel est défini comme la période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions ( 46 ). La directive 2003/88 traite donc bien des relations qui unissent le travailleur à l’employeur.

78.

Or, la relation qui unit les « parents remplaçants » à l’employeur n’est pas de nature familiale. S’il est question, dans les villages d’enfants, d’un hébergement et d’une organisation du travail qui sont les plus familiaux possible, c’est uniquement dans un objectif pédagogique qui vise la relation avec les enfants.

79.

En d’autres termes, cette méthode de travail est étrangère à la relation travailleur-employeur et ne peut donc entrer dans le champ d’application de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 : elle n’est pas mise en place dans l’intérêt du premier ni au bénéfice du second, mais exclusivement dans celui des enfants accueillis.

80.

Eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime qu’étendre l’exception relative à la main-d’œuvre familiale aux « parents remplaçants » irait, non seulement, à l’encontre de l’objectif général de la directive et de son contexte, mais également à l’encontre des intérêts spécifiques à un travail en famille.

5. Conclusion intermédiaire

81.

Il ressort des considérations qui précèdent que l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens que son champ d’application ne peut couvrir le travail effectué dans une maison d’enfants par un travailleur qui remplace un « parent titulaire » lorsque ce travailleur n’est pas libre de déterminer, dans son intégralité, la durée de son temps de travail, et ce malgré le fait que, en reproduisant les conditions d’un environnement familial, il habite avec les enfants et s’occupe à cette occasion, de manière autonome, des besoins de ces enfants, ainsi que le ferait un vrai parent.

C. Sur les exceptions prévues à l’article 17, paragraphe 3, sous b) et c), de la directive 2003/88

82.

Dans ses observations écrites, la Commission estime que les activités des requérantes au principal entrent dans les exceptions prévues à l’article 17, paragraphe 3, sous b) et c), de la directive 2003/88.

83.

Certes, la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88. Toutefois, selon une jurisprudence constante, « en vue de fournir une réponse utile à la juridiction qui est à l’origine d’un renvoi préjudiciel, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes de droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans ses questions préjudicielles » ( 47 ).

84.

Or, l’interprétation que la Cour a donnée de ces dispositions dans l’arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612), est susceptible d’être utile au juge de renvoi.

85.

En effet, la Cour y a jugé que la dérogation figurant à l’article 17, paragraphe 3, sous b), de la directive 2003/88 était susceptible d’être appliquée à des activités de travailleurs tels que les titulaires de contrats d’engagement éducatif qui travaillent dans des centres de vacances et de loisirs dès lors que ces travailleurs devaient assurer une surveillance permanente des mineurs qui leur étaient confiés. La Cour a ajouté que « l’apport pédagogique et éducatif desdits centres réside également, sinon principalement, dans ce mode de fonctionnement spécifique et original selon lequel les mineurs accueillis vivent durant plusieurs jours en permanence avec leurs animateurs et directeurs » ( 48 ).

86.

La Cour y a également précisé que l’article 17, paragraphe 3, sous c), de la directive 2003/88 était susceptible de s’appliquer puisque les activités du personnel des centres de vacances et de loisirs étaient aussi « caractérisées par la nécessité d’assurer la continuité du service, dès lors que les mineurs accueillis dans ces centres viv[ai]ent, pendant la durée totale de leur séjour, en permanence avec et sous la surveillance du personnel desdits centres » ( 49 ).

87.

Ces considérations sont susceptibles de s’appliquer, a fortiori, aux « parents remplaçants » d’un village d’enfants tel que celui décrit par la juridiction de renvoi. En effet, il leur appartient d’assurer, seuls, la garde mais aussi l’éducation des enfants hébergés dans la maison à laquelle ils sont affectés et cela sans interruption.

88.

Toutefois, ces dérogations sont subordonnées à la réunion des deux conditions imposées à l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2003/88.

89.

Premièrement, les dérogations prévues à l’article 17, paragraphe 3, de la directive 2003/88 ne sont que des possibilités qui, pour être appliquées, doivent avoir été adoptées par voie législative, réglementaire, administrative ou au moyen de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux.

90.

Deuxièmement, si tel est le cas, ces dérogations ne peuvent être mises en œuvre qu’à la condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou, lorsque cela n’est pas possible pour des raisons objectives, qu’une protection appropriée soit accordée ( 50 ).

91.

La demande de décision préjudicielle étant dépourvue d’informations quant à ces deux conditions, il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, si elle le juge nécessaire, l’applicabilité des dérogations prévues à l’article 17, paragraphe 3, sous b) et c), de la directive 2003/88.

VI. Conclusion

92.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande) de la manière suivante :

« L’article 17, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens que son champ d’application ne peut couvrir le travail effectué dans une maison d’enfants par un travailleur qui remplace un “parent titulaire” lorsque ce travailleur n’est pas libre de déterminer, dans son intégralité, la durée de son temps de travail, et ce malgré le fait que, en reproduisant les conditions d’un environnement familial, il habite avec les enfants et s’occupe à cette occasion, de manière autonome, des besoins de ces enfants, ainsi que le ferait un vrai parent.

En revanche, l’article 17, paragraphe 3, sous b) et c), de la directive 2003/88 est susceptible de s’appliquer à ce type de travail à condition de respecter les exigences de l’article 17, paragraphe 2, de cette directive, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier le cas échéant ».


( 1 ) 1 Langue originale : le français.

( 2 ) 2 JO 2003, L 299, p. 9.

( 3 ) 3 SOS-Lapsikylä fait partie du réseau international « villages du monde ». En réponse à l’une des questions posées lors de l’audience du 2 mars 2017, il a été précisé que SOS-Lapsikylä et les villages d’enfants installés en Finlande sont financés par les communes ou les villes ainsi que par des dons privés.

( 4 ) 4 Arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C266/14, EU:C:2015:578, point 48 et jurisprudence citée).

( 5 ) 5 Voir en ce sens, notamment, arrêts du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez (C570/07 et C571/07, EU:C:2010:300, point 36), ainsi que du 21 septembre 2016, Etablissements Fr. Colruyt (C221/15, EU:C:2016:704, point 14).

( 6 ) 6 Voir en ce sens, notamment, arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C257/14, EU:C:2015:618, point 20).

( 7 ) 7 JO 2004, L 134, p. 114.

( 8 ) 8 Voir arrêt du 6 octobre 2015, Consorci Sanitari del Maresme (C203/14, EU:C:2015:664).

( 9 ) 9 Arrêt du 6 octobre 2015, Consorci Sanitari del Maresme (C203/14, EU:C:2015:664, point 30). Voir, également, arrêt du 14 janvier 2010, Plus Warenhandelsgesellschaft (C304/08, EU:C:2010:12, point 28) [à propos de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22)]. Pour une illustration de la compétence de la Cour indépendante d’un élément d’extranéité en présence d’une directive, voir les développements relatifs à l’interdiction des discriminations envisagée par Rodière, P., (« Retour vers les situations internes et la libre circulation des personnes : de quelques errements possibles », Revue des affaires européennes, 2015/4, p. 731 à 742, spécialement p. 741).

( 10 ) 10 Arrêt du 11 octobre 2001, Adam (C267/99, EU:C:2001:534, point 28).

( 11 ) 11 Arrêt du 11 octobre 2001, Adam (C267/99, EU:C:2001:534, point 29).

( 12 ) 12 L’information a été confirmée par le représentant du gouvernement finlandais lors de l’audience du 2 mars 2017.

( 13 ) 13 En effet, selon la Cour, « une reprise formelle des prescriptions d’une directive dans une disposition légale expresse et spécifique n’est pas toujours requise, la mise en œuvre d’une directive [peut même], en fonction du contenu de celleci, se satisfaire d’un contexte juridique général » (arrêt du 16 juin 2005, Commission/Italie, C456/03, EU:C:2005:388, point 51).

( 14 ) 14 Au contraire, dans l’arrêt du 28 mars 1995, Kleinwort Benson (C346/93, EU:C:1995:85), la législation nationale en cause prévoyait elle-même expressément, d’une part, « la possibilité [...] d’adopter des modifications “destinées à produire des divergences” [avec] les dispositions [du droit de l’Union], telles qu’interprétées par la Cour » (point 18) et, d’autre part, que « les juridictions de l’État contractant concerné [n’étaient] pas tenues de trancher les litiges dont elles [étaient] saisies en appliquant, de façon absolue et inconditionnelle, l’interprétation [du droit de l’Union] que la Cour leur a[vait] fournie » (point 20).

( 15 ) 15 Voir, en ce sens, notamment, arrêts du 10 décembre 2009, Rodríguez Mayor e.a. (C323/08, EU:C:2009:770, point 27), ainsi que du 3 décembre 2015, Quenon K. (C338/14, EU:C:2015:795, point 17). Selon certains auteurs, l’extension de la compétence de la Cour trouverait même « un terrain privilégié à l’égard des lois de transposition des directives qui peuvent en étendre le champ matériel dans l’État au-delà des limites qu’elles fixent » (Potvin-Solis, L., « Qualification des situations purement internes », in Neframi, E., dir., Renvoi préjudiciel et marge d’appréciation du juge national, Larcier, Bruxelles, 2015, p. 39 à 99, spécialement p. 66).

( 16 ) 16 Voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C583/10, EU:C:2012:638, points 53 à 57).

( 17 ) 17 Voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C266/14, EU:C:2015:578, point 48 et jurisprudence citée).

( 18 ) 18 Point 2 de l’ordonnance, c’est moi qui souligne.

( 19 ) 19 Point 17 de l’ordonnance, c’est moi qui souligne.

( 20 ) 20 Point 36 et dispositif de l’ordonnance, c’est moi qui souligne.

( 21 ) 21 Point 3 de la demande de décision préjudicielle.

( 22 ) 22 Voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2003, Anomar e.a. (C6/01, EU:C:2003:446, points 38 et 41).

( 23 ) 23 Voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi (C297/88 et C197/89, EU:C:1990:360, point 37), ainsi que du 7 juillet 2011, Agafiţei e.a. (C310/10, EU:C:2011:467, point 42). En doctrine, Potvin-Solis, L., « Qualification des situations purement internes », in Neframi, E., (dir.), Renvoi préjudiciel et marge d’appréciation du juge national, Larcier, Bruxelles, 2015, p. 39 à 99, spécialement p. 67.

( 24 ) 24 À propos de la notion de « juridiction » présente à l’article 267 TFUE, Tridimas, T., relevait que la principale préoccupation qui guidait l’interprétation de cette condition était de rendre la procédure de renvoi préjudiciel aussi accessible que possible. Selon Tridimas, T., il s’agissait ainsi d’assurer l’interprétation uniforme du droit de l’Union, mais aussi la disponibilité d’un recours pour la protection des droits issus dudit droit (Tridimas, T., « Knocking on Heaven’s Door : Fragmentation, Efficiency and Defiance in the Preliminary Reference Procedure », CML Rev., 40, 2003, p. 9 à 50, spécialement p. 30). Ces préoccupations me semblent devoir guider la Cour dans l’examen de sa compétence préjudicielle, quelle que soit la condition de compétence ou de recevabilité en cause.

( 25 ) 25 Voir considérants 4, 5 et 10 de la directive 2003/88. Voir également, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C266/14, EU:C:2015:578, point 42).

( 26 ) 26 JO 1989, L 183, p. 1.

( 27 ) 27 Voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 21).

( 28 ) 28 Voir, à propos des exceptions prévues à l’article 17, paragraphe 3, sous c), de la directive 2003/88, arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, points 47 et 48). L’idée d’une liste exemplative se retrouve dans l’expression « en particulier » utilisée dans la version en langue finnoise de la directive (« ja erityisesti »), ainsi que dans d’autres versions linguistiques comme la version en langues anglaise (« and particularly in the case of ») ou encore espagnole (« y en particular cuando se trate de »).

( 29 ) 29 Arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 40). Voir, également, arrêt du 9 septembre 2003, Jaeger (C151/02, EU:C:2003:437, point 89). Ce dernier arrêt porte sur l’article 17 de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 1993, L 307, p. 18). Toutefois, le texte de l’article 17, paragraphe 1, étant resté identique, la jurisprudence antérieure reste pertinente [voir, en ce sens, à propos d’autres dispositions inchangées de la directive 2003/88, ordonnance du 4 mars 2011, Grigore (C258/10, non publiée, EU:C:2011:122, point 39)].

( 30 ) 30 C’est moi qui souligne.

( 31 ) 31 Arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C266/14, EU:C:2015:578, point 35 et jurisprudence citée).

( 32 ) 32 Voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2003, Jaeger (C151/02, EU:C:2003:437, point 64).

( 33 ) 33 Voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 28).

( 34 ) 34 Arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 28 et jurisprudence citée).

( 35 ) 35 Par exemple, au moyen d’une clause du contrat de travail.

( 36 ) 36 Arrêt du 7 septembre 2006, Commission/Royaume-Uni (C484/04, EU:C:2006:526, point 20). C’est moi qui souligne. Voir, également, arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 41).

( 37 ) 37 Voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 40), et du 9 septembre 2003, Jaeger (C151/02, EU:C:2003:437, point 89).

( 38 ) 38 Voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C266/14, EU:C:2015:578, point 42), et, à propos de la directive 93/104, arrêts du 3 octobre 2000, Simap (C303/98, EU:C:2000:528, point 49), ainsi que du 9 septembre 2003, Jaeger (C151/02, EU:C:2003:437, point 50).

( 39 ) 39 Voir, en ce sens, parmi de nombreux arrêts, arrêts du 1er décembre 2005, Dellas e.a. (C14/04, EU:C:2005:728, point 49) ; du 7 septembre 2006, Commission/Royaume-Uni (C484/04, EU:C:2006:526, point 38), et du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C266/14, EU:C:2015:578, point 24).

( 40 ) 40 L’information a été donnée par le représentant de SOS-Lapsikylä en réponse à une question du juge rapporteur et confirmée par la représentante des requérantes au principal dans sa réplique.

( 41 ) 41 Voir, mutatis mutandis, à propos de l’absence d’incidence des périodes d’inactivité professionnelle pendant les périodes de garde des médecins, arrêt du 9 septembre 2003, Jaeger (C151/02, EU:C:2003:437, points 61 et 65). Pour rappel, la Cour a également précisé, au point 94 de cet arrêt, que les « périodes équivalentes de repos compensateur », au sens de l’article 17, paragraphes 2 et 3, de la directive 93/104, doivent « se caractériser par le fait que, pendant ces périodes, le travailleur n’est soumis, à l’égard de son employeur, à aucune obligation susceptible de l’empêcher de se consacrer, librement et de manière ininterrompue, à ses propres intérêts aux fins de neutraliser les effets du travail sur la sécurité et la santé de l’intéressé » (c’est moi qui souligne).

( 42 ) 42 Voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (C266/14, EU:C:2015:578, point 40).

( 43 ) 43 Voir, notamment, arrêts du 19 décembre 2013, Koushkaki (C84/12, EU:C:2013:862, point 34), et du 16 juillet 2015, Lanigan (C237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 35).

( 44 ) 44 Voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 40), et du 9 septembre 2003, Jaeger (C151/02, EU:C:2003:437, point 89).

( 45 ) 45 Voir article 1er, paragraphe 1, de cette directive.

( 46 ) 46 Voir article 2, point 1, de cette directive.

( 47 ) 47 Voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C157/10, EU:C:2011:813, point 19).

( 48 ) 48 Arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 45).

( 49 ) 49 Arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, point 48).

( 50 ) 50 Voir article 17, paragraphe 2, de la directive 2003/88 et, à propos de cette condition, arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C428/09, EU:C:2010:612, points 49 à 62).

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