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Document 62015CC0148

Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 2 juin 2016.
Deutsche Parkinson Vereinigung eV contre Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberlandesgericht Düsseldorf.
Renvoi préjudiciel – Articles 34 et 36 TFUE – Libre circulation des marchandises – Réglementation nationale – Médicaments à usage humain soumis à prescription – Vente par les pharmacies – Fixation de prix uniformes – Restriction quantitative à l’importation – Mesure d’effet équivalent – Justification – Protection de la santé et de la vie des personnes.
Affaire C-148/15.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:394

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 2 juin 2016 ( 1 )

Affaire C‑148/15

Deutsche Parkinson Vereinigung eV

contre

Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV

[demande de décision préjudicielle

formée par l’Oberlandesgericht Düsseldorf

(tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne)]

«Libre circulation des marchandises — Articles 34 et 36 TFUE — Fixation par l’État des prix des médicaments soumis à prescription — Mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative — Modalité de vente — Justification pour des raisons de santé publique»

I – Introduction

1.

Les questions relatives à l’article 36 TFUE ( 2 ) ont occupé la Cour avant celles relatives à l’effet direct ou à la primauté ( 3 ). Trancher entre l’intérêt de l’Union européenne dans la libre circulation et les intérêts des États membres dans la poursuite d’objectifs d’ordre public non économique est une tâche délicate que le temps qui s’est écoulé n’a pas amoindrie. Au contraire, les mêmes questions juridiques refont surface dans des circonstances factuelles différentes. Le présent cas d’espèce témoigne du fait que les dispositions du traité relatives au marché intérieur et, plus particulièrement, celles relatives à la libre circulation des marchandises continuent d’être au cœur de l’édifice juridique de l’Union et de sa constitution économique.

2.

Le présent renvoi préjudiciel déféré par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), qui souhaite savoir si un régime en vertu duquel les médicaments soumis à prescription peuvent se voir imposer un prix uniforme est conforme aux articles 34 et 36 TFUE, illustre clairement la pertinence des dispositions relatives à la libre circulation des marchandises.

3.

Dans un autre ordre d’idées et de manière moins évidente, la présente affaire montre une nouvelle fois l’importance de la procédure préjudicielle. À la suite d’une jurisprudence divergente de deux des plus hautes juridictions allemandes, le Bundessozialgericht (Cour fédérale du contentieux social) et le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), quant à la légalité des dispositions en cause au regard des articles 34 et 36 TFUE, la chambre commune des juridictions fédérales suprêmes ( 4 ) a jugé que ces dispositions étaient conformes au droit de l’Union ( 5 ). Sans l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf), qui, à mon sens, nourrit des doutes justifiés concernant cette conformité, cette affaire ne serait jamais parvenue à la Cour.

4.

Enfin, il faut appeler un chat un chat : c’est la troisième fois que la Cour est appelée à apprécier la compatibilité d’une mesure allemande avec les dispositions du traité relatives aux libertés de circulation alors que la pharmacie néerlandaise DocMorris tente d’accéder au marché allemand. Dans la première affaire, ayant donné lieu à l’arrêt Deutscher Apothekerverband/0800 DocMorris NV et Jacques Waterval ( 6 ), la Cour avait été appelée à examiner si l’interdiction, en Allemagne, de la vente par correspondance des médicaments dont la vente est réservée exclusivement aux pharmacies était conforme aux articles 34 et 36 TFUE. La Cour avait jugé que, bien que la mesure en cause constituât une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 34 TFUE, l’article 36 TFUE pouvait être invoqué à l’égard de médicaments soumis à prescription en Allemagne, mais non à l’égard de ceux non soumis à prescription. La seconde affaire, ayant donné lieu à l’arrêt Apothekerkammer des Saarlandes e.a./Saarland et Ministerium für Justiz, Gesundheit und Soziales (C‑171/07) et Helga Neumann‑Seiwert/Saarland et Ministerium für Justiz, Gesundheit und Soziales (C‑172/07) ( 7 ), portait sur la question de savoir si les dispositions du traité relatives à l’établissement ( 8 ) s’opposaient à une réglementation allemande qui empêchait des personnes n’ayant pas la qualité de pharmaciens de détenir et d’exploiter des pharmacies (le principe dit « du Fremdbesitzverbot »). La Cour avait jugé que la liberté d’établissement ne s’opposait pas au Fremdbesitzverbot.

5.

À la suite de la première affaire DocMorris, la République fédérale d’Allemagne a modifié sa réglementation et autorisé la vente par correspondance non seulement des médicaments non soumis à prescription, mais également des médicaments soumis à prescription. Eu égard aux informations fournies à la Cour, il apparaît que, au moins jusqu’à un certain moment, il n’existait aucune règle en matière de prix uniformes pour les médicaments soumis à prescription importés d’autres États membres. Par la suite, de telles règles sont également devenues applicables à de tels produits. Cela nous amène au cadre juridique.

II – Le cadre juridique

A – La loi sur les produits pharmaceutiques

6.

L’article 78, paragraphe 1, première phrase, de l’Arzneimittelgesetz (loi sur les produits pharmaceutiques, ci‑après l’« AMG ») dispose :

« Le ministère fédéral de l’Économie et de la Technologie est habilité […] à fixer :

1.

des fourchettes de prix pour les médicaments distribués par des grossistes ou des pharmacies ou revendus par des vétérinaires ».

7.

Aux termes de l’article 78, paragraphe 2, de l’AMG :

« Les prix et les fourchettes de prix doivent prendre en compte les intérêts légitimes des consommateurs de médicaments, des vétérinaires, des pharmacies et des grossistes. Il convient de garantir un prix uniforme de délivrance par les pharmacies pour les médicaments qui ne peuvent circuler en dehors des pharmacies […]. »

8.

Étant donné que la jurisprudence des juridictions suprêmes allemandes était divergente quant au point de savoir si cette disposition s’appliquait également aux médicaments soumis à prescription achetés par correspondance à des pharmacies établies dans d’autres États membres, le législateur allemand a inséré la phrase suivante dans l’article 78, paragraphe 1, de l’AMG par la loi du 19 octobre 2012 ( 9 ) : « [l]’ordonnance sur le prix des médicaments, qui a été adoptée sur le fondement de la première phrase, s’applique également aux médicaments qui sont introduits dans le champ d’application de la présente loi en vertu de l’article 73, paragraphe 1, première phrase, point 1a ». L’article 73, paragraphe 1, première phrase, point 1a, de l’AMG, auquel il est fait référence, concerne les médicaments vendus par correspondance à des consommateurs finals en Allemagne par des pharmacies établies dans d’autres États membres.

9.

Par ailleurs, compte tenu de la jurisprudence divergente des juridictions suprêmes allemandes, par ordonnance du 22 août 2012, la chambre commune des juridictions fédérales suprêmes a jugé qu’il convenait également d’interpréter l’ancien libellé de l’AMG en ce sens.

B – L’ordonnance sur les prix des médicaments

10.

L’Arzneimittelpreisverordnung (ordonnance sur les prix des médicaments) prévoit, pour ce qui nous intéresse, que le fabricant doit fixer un prix pour ses médicaments (article 1er), lequel est majoré de suppléments destinés aux grossistes (article 2) et aux pharmacies (article 3). En outre, l’article 7, paragraphe 1, point 2, de la Heilmittelgesetz (loi sur les médicaments) interdit les rabais.

III – Les faits, la procédure et les questions préjudicielles déférées

11.

Deutsche Parkinson Vereinigung eV (ci-après « DPV »), association enregistrée, est une organisation d’entraide dont le but est d’améliorer les conditions de vie des patients atteints de la maladie de Parkinson et de leurs familles. Par une lettre du mois de juillet 2009 faisant la promotion d’une coopération entre DPV et la pharmacie par correspondance néerlandaise DocMorris, DPV a présenté à ses membres un système offrant différents bonus à ces derniers s’ils achetaient auprès de DocMorris certains médicaments traitant la maladie de Parkinson soumis à prescription médicale et disponibles uniquement en pharmacie.

12.

Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV (ci‑après « ZWB »), une association de lutte contre la concurrence déloyale, tient cette publicité pour déloyale en vertu de l’article 4, paragraphe 11, de la Gesetz gegen unlauteren Wettbewerb (loi contre la concurrence déloyale, ci-après l’« UWG ») en liaison avec l’ancienne version de l’article 78 de l’AMG et les articles 1er et 3 de l’ordonnance sur les prix des médicaments et, désormais, en liaison avec l’article 78, paragraphe 1, quatrième phrase, de l’AMG, telle que modifiée, car le système de bonus dont il est fait la promotion violerait la fixation, prévue par la loi, d’un prix uniforme de délivrance par les pharmacies.

13.

Le Landgericht (tribunal régional, Allemagne) a fait droit à la demande de ZBW et interdit à DPV, lorsqu’elle exerce des activités sur un marché concurrentiel dans le cadre d’une coopération avec la pharmacie par correspondance DocMorris, de recommander le système de bonus de cette pharmacie par un courrier tel que celui qui a donné lieu au présent litige. Le Landgericht (tribunal régional) a jugé que l’action en cessation était fondée au motif que, par son courrier litigieux, DPV avait violé l’article 8, paragraphe 3, point 2, l’article 3 et l’article 4, point 11, de l’UWG en liaison avec l’article 78 de l’AMG ainsi qu’avec les articles 1er et 3 de l’ordonnance sur les prix des médicaments. Il a jugé que cette lettre constituait une pratique commerciale de DPV et que celle-ci était déloyale parce que le système de bonus dont il était fait la promotion était illicite au regard du droit de la concurrence. Par ailleurs, le Landgericht (tribunal régional) a jugé que, à l’époque des faits, les dispositions législatives en cause étaient déjà également applicables aux livraisons effectuées par DocMorris, qui n’est pas établie en territoire allemand. Cela résulte maintenant de l’article 78, paragraphe 1, quatrième phrase, de l’AMG, tel que modifié le 26 octobre 2012.

14.

DPV a interjeté appel de ce jugement et maintenu sa demande de rejet de l’action de ZBW.

15.

C’est dans le cadre de cette procédure que, par ordonnance du 24 mars 2015, parvenue à la Cour le 30 mars 2015, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a posé les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 34 TFUE doit-il être interprété en ce sens que la fixation de prix imposés pour les médicaments soumis à prescription, édictée par le droit national, constitue une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 34 TFUE ?

2)

Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par l’affirmative à la première question :

La fixation de prix imposés pour les médicaments soumis à prescription est-elle justifiée en vertu de l’article 36 TFUE aux fins de protection de la santé et de la vie humaine, notamment si ce n’est que par ce biais que peut être garanti dans toute l’Allemagne, en particulier dans les zones rurales, un approvisionnement en médicaments de la population uniforme couvrant l’ensemble du territoire ?

3)

Dans l’hypothèse où la Cour répondrait par l’affirmative à la deuxième question :

Quelles sont les exigences qui pèsent sur la constatation judiciaire que la situation visée dans le deuxième membre de phrase de la deuxième question existe réellement ? »

IV – Analyse

A – Sur la première question : restriction à la libre circulation des marchandises

16.

Est-ce que la fixation de prix imposés pour les médicaments soumis à prescription, édictée par le droit national, constitue une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 34 TFUE ?

1. Arrêt Dassonville

17.

La définition d’une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative est si bien connue qu’il n’est guère besoin de la rappeler. Depuis l’arrêt Dassonville, la Cour a jugé que « toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire [était] à considérer comme mesure d’effet équivalant à des restrictions quantitatives» ( 10 ). Aujourd’hui, la Cour préfère parler de « mesures » plutôt que de « réglementation commerciale des États membres» ( 11 ), bien qu’elle revienne parfois à la formule traditionnelle de l’arrêt Dassonville (8/74, EU:C:1974:82) ( 12 ). La Cour a clairement résumé la finalité des articles 34 TFUE et suivants de la manière suivante : « [i]l est de jurisprudence constante depuis l’arrêt […] Dassonville […] que [les articles 34 et 35 TFUE], placé[s] dans leur contexte, doivent être compri[s] comme tendant à l’élimination de toutes entraves, directes ou indirectes, actuelles ou potentielles, aux courants d’échanges dans le commerce intracommunautaire» ( 13 ).

18.

La fixation des prix est une épine dans le pied de tout opérateur économique non encore présent sur un marché, puisque la concurrence est, par sa nature même, déterminée par les prix. Priver un opérateur de la possibilité de descendre en dessous d’un prix déterminé le prive d’un facteur de compétitivité. Les marchandises en provenance d’autres États membres que la République fédérale d’Allemagne font donc face à des difficultés lorsqu’elles entrent sur le marché allemand. Les dispositions en cause sont susceptibles de réduire les importations en Allemagne.

19.

Par conséquent, en vertu de la jurisprudence issue de l’arrêt Dassonville (8/74, EU:C:1974:82), les dispositions en cause constituent une mesure d’effet équivalent. Elles sont plus que susceptibles d’entraver les échanges, comme en atteste également la baisse des ventes de médicaments soumis à prescription par DocMorris en Allemagne à la suite de l’instauration des dispositions en question.

2. Arrêt Keck et Mithouard

20.

Il y a maintenant lieu d’examiner si la réglementation allemande en cause constitue une « certaine modalité de vente » au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905). Si tel était le cas, elle ne relèverait pas du champ d’application des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

21.

Il est bien connu que, dans l’arrêt sans doute le plus controversé dans le domaine de la libre circulation des marchandises en vertu du traité ( 14 ), la Cour a d’abord jugé que, « contrairement à ce qui a[vait] été jugé jusqu’[alors], n’est pas apte à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce entre les États membres, au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Dassonville […], l’application à des produits en provenance d’autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu’elles s’appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu’elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d’autres États membres» ( 15 ). La Cour a ensuite précisé que, « dès lors que ces conditions sont remplies, l’application de réglementations de ce type à la vente des produits en provenance d’un autre État membre et répondant aux règles édictées par cet État n’est pas de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu’elle ne gêne celui des produits nationaux. Ces réglementations échappent donc au domaine d’application de l’article [34 TFUE]» ( 16 ).

22.

Je conçois la jurisprudence issue de l’arrêt Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905) comme une réponse légitime de la Cour à l’invocation de plus en plus fréquente de l’article 34 TFUE par les opérateurs économiques pour que les juridictions nationales écartent toute mesure qui les freine dans l’exercice de leur activité économique ( 17 ). Il me semble que le problème résidait moins dans le nombre d’affaires introduites que dans les questions qu’elles soulevaient ( 18 ). En raison d’une interprétation très large de l’article 34 TFUE, la Cour devait de plus en plus souvent examiner des questions qui ne présentaient qu’un lien ténu avec la libre circulation des marchandises en tant que telle, mais concernaient plutôt des choix sociétaux délicats tels que les horaires d’ouverture des magasins le dimanche, etc.

23.

Néanmoins, rares sont les cas dans lesquels la Cour a effectivement appliqué l’exception de la jurisprudence issue de l’arrêt Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905) et, qui plus est, la Cour n’a jamais donné une définition positive de ce qu’elle entend par « modalités de vente» ( 19 ). Toutefois, comme ces cas existent bel et bien, la jurisprudence issue de l’arrêt Keck et Mithouard est encore d’actualité et doit être examinée en l’espèce ( 20 ).

24.

Des dispositions, telles que celles en cause, relatives à la fixation des prix de certains produits pourraient, à première vue, ne pas constituer des « règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre [les] marchandises (telles que celles qui concernent leur dénomination, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition, leur présentation, leur étiquetage, leur conditionnement)» ( 21 ). En outre, concernant une réglementation nationale sur le prix des livres, la Cour a jugé que, dans la mesure où elle « ne port[ait] pas sur les caractéristiques de ces produits, mais concern[ait] uniquement les modalités selon lesquelles ceux-ci peuvent être vendus », celle-ci « [devait] être considérée comme portant sur des modalités de vente au sens de l’arrêt Keck et Mithouard» ( 22 ).

25.

Bien que, dans cette même affaire, la Cour ait par la suite conclu que la réglementation en question constituait malgré tout une mesure d’effet équivalent, en tant qu’elle créait, « pour les livres importés, une réglementation distincte qui [avait] pour effet de traiter moins favorablement des produits en provenance d’autres États membres» ( 23 ), je ne serais pas allé jusqu’à affirmer d’emblée qu’une mesure sur la fixation des prix constitue une modalité de vente. La fixation de prix imposés pour des produits déterminés est très proche d’une règle relative à la présentation, l’étiquetage ou le conditionnement. Après tout, le prix d’un produit est souvent indiqué sur une étiquette qui fait partie de l’emballage. En outre, toute mesure régissant l’un des principaux aspects d’un produit, tel que le prix, est, à mon sens, plus qu’une modalité de vente. Les mesures relatives au prix portent directement atteinte à l’avantage concurrentiel d’un opérateur économique et sont bien plus sévères du point de vue des opérateurs économiques et des règles en matière de libre circulation que, par exemple, une interdiction de vendre à perte ou des dispositions régissant les horaires des magasins. Il m’est donc fondamentalement difficile de qualifier une mesure fixant un prix de modalité de vente, ce qui suppose par la suite d’analyser si la mesure entrave l’accès au marché et/ou présente un caractère discriminatoire.

26.

Au lieu de cela, il suffirait, à mon sens, de vérifier si les conditions de la formule énoncée dans l’arrêt Dassonville (8/74, EU:C:1974:82) sont remplies ou non. Quoi qu’il en soit, compte tenu de la jurisprudence existante, j’analyserai les dispositions en cause comme si elles constituaient une « modalité de vente ».

27.

Un prix uniforme de vente au détail en pharmacie tel que celui en cause au principal s’applique indubitablement, de jure, tant aux pharmacies allemandes qu’aux pharmacies non allemandes et, par extension, tant aux produits allemands qu’aux produits importés.

28.

La République fédérale d’Allemagne soutient qu’il en va de même de facto. La chambre commune des juridictions fédérales suprêmes est également d’avis que le système de fixation des prix s’applique de jure et de facto aux pharmacies aussi bien nationales qu’étrangères ( 24 ).

29.

La Commission européenne considère, quant à elle, que nous sommes en présence d’une mesure d’effet équivalent. Selon elle, le système de fixation des prix est plus contraignant pour les pharmacies étrangères, car le seul moyen leur permettant de compenser le désavantage de ne pouvoir accéder au marché allemand qu’en vendant par correspondance est de pouvoir vendre leurs produits conformément aux règles en matière de prix de l’État membre dans lequel elles sont établies. En revanche, pour les pharmacies allemandes, la vente par correspondance n’est qu’un canal de distribution supplémentaire.

30.

Comme DPV, le gouvernement néerlandais et la Commission le signalent à juste titre, les pharmacies établies hors d’Allemagne n’ont qu’un moyen d’accéder au marché allemand, à savoir l’internet. Cela s’explique principalement par le Fremdbesitzverbot, c’est‑à-dire par le fait que seuls les pharmaciens ont le droit de détenir et d’exploiter une pharmacie ( 25 ). Une pharmacie en ligne établie hors d’Allemagne qui a l’intention de commercialiser ses produits en Allemagne voit son accès au marché allemand entravé si elle ne peut pas faire concurrence sur les prix.

31.

Cependant, le cas d’espèce a de plus grandes implications.

32.

Les mesures qui s’appliquent de la même manière de jure, mais non de facto, sont généralement connues sous le nom de « mesures indirectement discriminatoires ». Il est toujours délicat d’établir une discrimination, quelle qu’elle soit. Cela dépend du point de comparaison, comme le cas d’espèce l’illustre clairement. Si l’on prend, à l’instar de la chambre commune des juridictions fédérales suprêmes, les pharmacies en ligne comme point de comparaison, il est difficile de déceler une discrimination indirecte. Une pharmacie établie à Hambourg (Allemagne) et une autre établie à Heerlen (Pays-Bas) qui ont l’intention d’approvisionner des patients à Trêves (Allemagne) recevront, de facto, le même traitement.

33.

Toutefois, ce n’est pas sous cet angle qu’il faut examiner la question de la discrimination (indirecte) en l’espèce.

34.

Assurément, il a lieu de comparer non les pharmacies en ligne, mais les pharmacies en général. Un tableau bien différent se dessine alors, pour la simple raison que, comme DPV le signale à juste titre, les pharmacies allemandes et non allemandes sont plus ou moins tributaires de l’internet. Une pharmacie déjà présente en Allemagne n’a généralement que peu, voire pas du tout, recours à l’internet, tandis qu’une pharmacie établie hors d’Allemagne n’a d’autre moyen que l’internet pour desservir des patients établis en Allemagne. En d’autres termes, pour une pharmacie allemande, la vente par correspondance n’est qu’un autre canal de distribution, alors que, pour une pharmacie non allemande, c’est le seul canal de distribution.

35.

Dans l’arrêt Deutscher Apothekerverband, la Cour a jugé que l’interdiction de la vente par correspondance des médicaments « gên[ait] davantage les pharmacies situées en dehors de l’Allemagne que celles situées sur le territoire allemand» ( 26 ). Elle a ajouté que si, pour ces dernières, il était peu contestable que cette interdiction les prive d’un moyen supplémentaire ou alternatif d’atteindre le marché allemand des consommateurs finals de médicaments, il n’en demeurait pas moins qu’elles conservaient la possibilité de vendre les médicaments dans leurs officines. En revanche, l’internet serait un moyen plus important pour les pharmacies qui ne sont pas établies sur le territoire allemand d’atteindre directement ledit marché. Une interdiction qui frappe davantage les pharmacies établies en dehors du territoire allemand pourrait être de nature à gêner davantage l’accès au marché des produits en provenance d’autres États membres que celui des produits nationaux ( 27 ).

36.

Dans l’arrêt Ker Optika, la Cour a étendu ce raisonnement à une interdiction de vendre des lentilles de contact par correspondance. Elle a jugé qu’une telle interdiction privait les opérateurs provenant d’autres États membres d’une modalité particulièrement efficace de commercialisation de ces produits et gênait ainsi considérablement l’accès de ces derniers au marché de l’État membre concerné ( 28 ).

37.

Dans une situation dans laquelle l’effet d’une mesure est de bloquer ou, à tout le moins, de réduire l’accès au marché des pharmacies en ligne, qui sont généralement étrangères, dans le but de maintenir un réseau viable de pharmacies physiques, il est, à mon sens, impossible de parler d’une modalité de vente indistinctement applicable. Par conséquent, je conclurais que, du fait de son caractère indirectement discriminatoire envers les pharmacies non allemandes, la mesure allemande en question ne constitue pas une « certaine modalité de vente » au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905), mais constitue bel et bien une entrave à la commercialisation de médicaments en provenance d’autres États membres.

38.

Cela m’amène à exprimer une dernière considération concernant la qualification de la réglementation allemande : ma conclusion est pleinement conforme non seulement à la lettre de la jurisprudence issue de l’arrêt Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905), mais également à sa logique, décrite ci-dessus. Les questions sensibles non économiques qui ne présentent qu’un lien ténu avec la libre circulation en tant que telle, et qui ne sont pas discriminatoires, doivent être laissées aux États membres. Selon moi, rien ne permet d’envisager ce caractère sensible lorsque la mesure a pour effet de limiter la concurrence et l’accès au marché d’opérateurs économiques étrangers. Une telle mesure n’a rien à voir avec une réglementation sur la vente à perte ( 29 ), les affaires relatives à l’ouverture des magasins le dimanche ( 30 ) ou celles relatives aux restrictions en matière de publicité ( 31 ).

B – Sur les deuxième et troisième questions : justification pour des raisons de santé publique

39.

Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi souhaite, en substance, savoir si la réglementation en cause est justifiée au titre de la « protection de la santé et de la vie humaine » en vertu de l’article 36 TFUE ( 32 ).

1. Motif de justification invoqué : la santé publique

40.

Depuis l’arrêt De Peijper (104/75, EU:C:1976:67), la première affaire relative à la dérogation liée à la santé publique, il est de jurisprudence constante que « parmi les biens ou intérêts protégés par l’article 36 [TFUE], la santé et la vie des personnes occupent le premier rang et qu’il appartient aux États membres, dans les limites imposées par le traité, de décider du niveau auquel ils entendent en assurer la protection, en particulier du degré de sévérité des contrôles à effectuer […]» ( 33 ).

41.

La République fédérale d’Allemagne, qui invoque ce motif de justification, souligne que la mesure en question est nécessaire pour, premièrement, garantir un approvisionnement uniforme en médicaments sur l’ensemble du territoire allemand, deuxièmement, assurer la qualité de ces médicaments et protéger les patients et, troisièmement, contrôler l’évolution des coûts dans le secteur de la santé.

42.

La dernière partie du motif de justification ne saurait être invoquée. Dès lors que l’article 36 TFUE « vise des hypothèses de nature non économique» ( 34 ), des mesures destinées à réduire les coûts de systèmes de sécurité sociale ne sauraient être justifiées sur le fondement du volet santé de l’article 36 TFUE ( 35 ). Seul le risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général ( 36 ), ce qui, compte tenu de la nature exceptionnelle de ce motif de justification, n’est clairement pas le cas en l’espèce ( 37 ). Par ailleurs, si les prix n’étaient pas fixés et si la concurrence était accrue, cela pourrait, en réalité, se traduire par des prix moins élevés, ce qui pourrait bénéficier aux systèmes de sécurité sociale.

43.

Pour ce qui est des deux autres parties du motif de justification, la Cour a reconnu que, en principe, la justification fondée sur la « santé » couvrait les mesures liées à la nécessité de fournir un conseil personnalisé au client et d’assurer la protection de celui-ci lors de la délivrance des médicaments, ainsi que la nécessité de contrôler l’authenticité des ordonnances médicales et de garantir un approvisionnement en médicaments étendu et adapté aux besoins ( 38 ).

2. Proportionnalité

44.

Dans ce contexte, j’examinerai la proportionnalité de la mesure allemande au regard de la nécessité de garantir un approvisionnement uniforme en médicaments sur l’ensemble du territoire allemand, la qualité de ces médicaments et la protection des patients. Ce faisant, j’examinerai le caractère approprié et la nécessité de la réglementation litigieuse.

45.

De manière générale, la République fédérale d’Allemagne ( 39 ) ne présente pas cette affaire comme un cas typique dans lequel l’application des règles en matière de libre circulation aurait des conséquences désastreuses en Allemagne ( 40 ). Le problème ne semble pas avoir trait à la reconnaissance mutuelle ou à la confiance mutuelle ( 41 ). La thèse du gouvernement allemand est plus fondamentale : un excès de concurrence allégué, y compris des prix moins élevés pour les patients et un degré plus élevé de libre circulation des médicaments entre les autres États membres et la République fédérale d’Allemagne auraient des conséquences négatives sur la protection de la santé publique en Allemagne. Une défaillance de marché inévitable entraînerait une concentration des pharmacies dans certaines zones, laissant pour compte les personnes isolées, immobilisées, vulnérables et âgées.

46.

La République fédérale d’Allemagne craint qu’une concurrence accrue n’amène les pharmacies traditionnelles allemandes de détail attachées à un degré élevé de professionnalisme lorsqu’elles donnent des conseils et des recommandations aux consommateurs à réduire la qualité de ces services afin de rester compétitifs.

47.

Il m’est difficile de concevoir comment, avec une concurrence accrue, les pharmaciens réduiraient la qualité de leurs services. Je m’attendrais plutôt à ce que l’inverse se produise. À cet égard, je me permettrais de me référer à l’avocat général Poiares Maduro, qui s’est exprimé en ce sens d’une manière incisive et élégante ( 42 ).

a) Le caractère approprié

48.

Pour satisfaire à l’exigence de proportionnalité, la mesure doit, tout d’abord, être propre (ou apte ou de nature) ( 43 ) à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi. Cette aptitude à garantir la réalisation de l’objectif invoqué n’est acceptée que si la mesure en cause répond véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique ( 44 ). En général, la Cour reconnaît un large pouvoir d’appréciation aux États membres à ce stade ( 45 ). Si la mesure nationale n’a aucun effet sur le motif de justification, elle ne revêt pas un caractère approprié. Il en va de même d’une mesure adoptée sur la base d’une erreur manifeste d’appréciation ( 46 ).

i) L’approvisionnement uniforme

49.

ZBW et le gouvernement allemand sont d’avis que la réglementation en cause est propre à garantir un approvisionnement uniforme et suffisant en médicaments sur l’ensemble du territoire allemand.

50.

En outre, la chambre commune des juridictions fédérales suprêmes a considéré que, eu égard au pouvoir d’appréciation conféré au législateur, le système était justifié au motif que, dans l’intérêt d’un approvisionnement en médicaments fiable et de haute qualité à la population, aucun autre système n’apparaissait être aussi apte que le système de fixation des prix à prévenir le risque d’une concurrence acharnée entre les pharmacies, à garantir un approvisionnement uniforme en médicaments soumis à prescription pour l’ensemble de la population et à réduire le risque d’utilisation incorrecte ou excessive de médicaments ( 47 ).

51.

Le lien entre la mesure allemande et la finalité alléguée, à savoir l’approvisionnement uniforme en médicaments, me semble être trop ténu, ce qui m’amène à penser que la mesure en cause n’est pas propre à atteindre les objectifs invoqués, pour les raisons suivantes.

52.

En premier lieu, comme la Commission le signale à juste titre, à lui seul, le nombre de pharmacies ne signifie pas automatiquement l’approvisionnement uniforme et suffisant sur l’ensemble du territoire allemand. Qui peut dire si ce sont précisément les zones isolées et/ou celles dans lesquelles de nombreuses personnes âgées habitent qui seraient les mieux desservies si le nombre de pharmacies augmentait ? Au contraire, la concurrence sur les prix entre les pharmacies pourrait aboutir à un approvisionnement uniforme en médicaments. Je suppose que, en permettant aux pharmacies en ligne de faire concurrence, les zones isolées seraient mieux desservies. Il pourrait être très avantageux pour les personnes à mobilité réduite de pouvoir passer des commandes en ligne et de les recevoir directement chez eux. Même s’ils ne sont pas habitués à la prétendue complexité des commandes en ligne, ils ont souvent auprès d’eux une personne [une aide à domicile, un (petit-) enfant, un voisin, etc.] qui l’est.

53.

En deuxième lieu, en ce qui concerne les médicaments soumis à prescription, c’est moins sur les pharmacies que sur le nombre de docteurs qu’il faut se focaliser. Ländlicher Ärztemangel, c’est-à-dire un manque de docteurs, notamment dans les zones isolées, est certainement la racine du problème, plutôt que le nombre de pharmacies. Généralement, là où il n’y a pas de docteur pour prescrire des médicaments, il n’y a pas de pharmacie.

54.

En troisième lieu, pour ce qui est de la question plus délicate et sensible de l’approvisionnement en cas d’urgence, il y a lieu de garder à l’esprit que la République fédérale d’Allemagne a traité ce problème avec une loi spécifique, l’Apothekennotdienstsicherstellungsgesetz ( 48 ). Cette loi, qui vise à garantir un approvisionnement suffisant et uniforme en médicaments sur l’ensemble du territoire allemand et notamment dans les zones rurales en dehors des heures normales d’ouverture des pharmacies, offre une assistance financière aux pharmacies qui fournissent ce service d’urgence par l’intermédiaire d’un fonds géré par le Deutscher Apothekerverband. Une taxe est prélevée sur les médicaments vendus. Incidemment, sur la base des informations disponibles, il apparaît que les médicaments importés en Allemagne sont également soumis à cette taxe, ce qui signifie que les pharmacies étrangères qui vendent leurs produits sur le marché allemand contribuent financièrement à ce fonds ( 49 ).

55.

Je ne vois pas en quoi la réglementation en cause aurait également pour effet de garantir un approvisionnement suffisant et uniforme en médicaments.

ii) La qualité de l’approvisionnement

56.

En ce qui concerne la qualité de l’approvisionnement, l’on ne soulignera jamais assez que la présente affaire concerne des médicaments soumis à prescription. Dans ce contexte, je souhaite rappeler que, dans l’arrêt Venturini e.a., la Cour a jugé que « peu importe […] le nombre des établissements qui commercialisent les médicaments soumis à prescription médicale, y compris ceux qui ne sont pas pris en charge par le service de santé national et sont entièrement payés par l’acheteur. Étant donné que seuls les médecins sont autorisés à prescrire ces médicaments, tant les titulaires de pharmacies que ceux de parapharmacies n’ont, en tout état de cause, pas d’influence directe sur le volume de distribution desdits médicaments et ne peuvent donc pas contribuer à leur éventuelle surconsommation» ( 50 ). Partant, le prix d’un médicament n’a aucune incidence sur la quantité de médicaments soumis à prescription fournis à un patient. Les pharmaciens ont les mains liées.

iii) « Incertitudes quant à l’existence ou à l’importance de risques pour la santé des personnes »

57.

Qui plus est, il convient de garder à l’esprit que la charge de prouver la justification et la proportionnalité pèse sur le gouvernement allemand. Il incombe à cet État membre de prouver le caractère approprié de la mesure en cause. Or, le gouvernement allemand n’a apporté aucune preuve à l’appui de sa réglementation. Au lieu de cela, il se réfère à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle « il importe que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à l’importance de risques pour la santé des personnes, l’État membre puisse prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité de ces risques soit pleinement démontrée ». Dans ce contexte, il invoque également le principe de précaution.

58.

Cette thèse mérite d’être examinée de plus près.

– L’origine : la jurisprudence relative au principe de précaution

59.

De fait, la Cour a souvent recours à cette formule. Elle trouve son origine dans la jurisprudence relative au principe de précaution. À ma connaissance, la Cour l’a utilisée la première fois en 1998 concernant les institutions de l’Union dans deux arrêts rendus dans le contexte de la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ( 51 ). Depuis lors, elle a été employée à l’égard aussi bien de mesures des institutions de l’Union que de mesures des États membres, par dérogation aux règles en matière de libre circulation. Dans toutes ces hypothèses, il n’y avait effectivement aucune certitude scientifique quant à l’existence ou à l’importance de risques pour la santé des personnes. Généralement, ces affaires s’inscrivaient dans le domaine des denrées alimentaires enrichies en vitamines ou en autres éléments ( 52 ), des nouveaux aliments ( 53 ), des exigences d’étiquetage applicables aux aliments et aux ingrédients alimentaires consistant en organismes génétiquement modifiés (OGM) ou dérivés d’OGM ( 54 ) et, encore une fois, de l’ESB ( 55 ).

60.

Parfois, l’avocat général s’est référé au principe de précaution sans que la Cour le fasse.

61.

À titre d’exemple, dans une affaire en matière d’aliments composés pour animaux, l’avocat général Tizzano a proposé à la Cour d’écarter l’application du principe de précaution et précisé que « la directive [2002/2/CE] ( 56 ) n’[était] pas une mesure provisoire particulière de gestion du risque interdisant certains produits ou pratiques sur la dangerosité desquels il existe des doutes scientifiques. Il s’agit au contraire d’un acte normatif de portée générale qui, dans le but d’améliorer le niveau de protection de la santé publique (voir quatrième et cinquième considérants), harmonise les règles d’étiquetage des aliments pour animaux de manière plus contraignante que par le passé» ( 57 ). Sans même mentionner le principe de précaution, la Cour a suivi le raisonnement de l’avocat général et jugé que la directive en question n’était pas disproportionnée ( 58 ).

– L’extension aux pharmacies

62.

En 2009, la jurisprudence de la Cour a pris un tournant. Elle a commencé à mentionner les « incertitudes quant à l’existence ou à l’importance de risques pour la santé des personnes » dans d’autres contextes que ceux décrits ci‑dessus.

63.

L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Italie ( 59 ) concernait une législation qui réservait le droit d’exploiter une pharmacie de détail privée aux seules personnes physiques titulaires d’un diplôme de pharmacien et aux sociétés d’exploitation composées exclusivement d’associés qui étaient pharmaciens ainsi que des dispositions législatives qui établissaient l’impossibilité, pour les entreprises de distribution de produits pharmaceutiques, de prendre des participations dans les sociétés d’exploitation de pharmacies communales. L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Apothekerkammer des Saarlandes e.a. portait sur des dispositions nationales réservant la propriété des pharmacies aux seuls pharmaciens ( 60 ).

64.

Dans ces deux arrêts, en citant la jurisprudence relative au principe de précaution, la Cour a utilisé la formule susmentionnée. Toutefois, elle n’a pas également mentionné ce principe en tant que tel.

65.

Néanmoins, la Cour a émis une importante précision en ajoutant que, premièrement, un État membre peut prendre les mesures qui réduisent, autant que possible, un risque pour la santé publique, y compris, plus précisément, un risque pour l’approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité ( 61 ) ; deuxièmement, il convient de souligner le caractère très particulier des médicaments, les effets thérapeutiques de ceux-ci les distinguant substantiellement des autres marchandises ( 62 ) ; troisièmement, ces effets thérapeutiques ont pour conséquence que, si les médicaments sont consommés sans nécessité ou de manière incorrecte, ils peuvent gravement nuire à la santé, sans que le patient soit en mesure d’en prendre conscience lors de leur administration ( 63 ), et, quatrièmement, une surconsommation ou une utilisation incorrecte de médicaments entraîne, en outre, un gaspillage de ressources financières qui est d’autant plus dommageable que le secteur pharmaceutique engendre des coûts considérables et doit répondre à des besoins croissants, tandis que les ressources financières pouvant être consacrées aux soins de santé ne sont, quel que soit le mode de financement utilisé, pas illimitées ( 64 ).

66.

Dans ces arrêts, la Cour a conclu que, par conséquent, les États membres pouvaient soumettre les personnes chargées de la distribution des médicaments au détail à des exigences strictes, s’agissant notamment des modalités de commercialisation de ceux-ci et de la recherche de bénéfices ( 65 ).

67.

Dans l’arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez, la Cour a même abandonné la précision mentionnée à l’avant-dernier point. Questionnée sur le point de savoir dans quelle mesure un État membre pouvait légiférer afin d’éviter une concentration des pharmacies dans certaines zones, la Cour a répété la formule susvisée ( 66 ) avant d’ajouter qu’un État membre pouvait adopter, eu égard au risque de pénurie de pharmacies dans certaines parties de son territoire, une réglementation prévoyant qu’une seule pharmacie peut être créée par rapport à un certain nombre d’habitants ( 67 ).

68.

La Cour a réitéré cette affirmation dans l’arrêt Venturini e.a. ( 68 ).

– En l’espèce : absence d’incertitude quant à l’existence ou à l’importance de risques pour la santé des personnes

69.

L’extension de la formule susvisée aux pharmacies depuis l’année 2009 est malheureuse, car elle jette le flou sur l’origine de cette formule et sur le véritable objet du principe de précaution : la gestion du risque en cas d’incertitude scientifique. Il s’applique aussi bien lorsque l’importance d’un risque est incertaine que lorsque des doutes entourent son existence même. Néanmoins, il n’entre pas en jeu dans une situation d’incertitude quant à l’efficacité d’une politique visant à faire face à une menace identifiée au préalable ( 69 ). Il ne faut pas confondre précaution et prévention. Dans la seconde notion, il n’y a aucun élément d’incertitude quant à l’existence ou à l’importance d’un risque. Dans la prévention, le danger est identifié ( 70 ).

70.

Cependant, les affaires qui ont donné lieu aux arrêts rendus depuis l’année 2009, précités, avaient trait à des pharmacies et ne concernaient pas la moindre incertitude scientifique quant au risque sanitaire d’utilisation incorrecte ou de surconsommation de produits pharmaceutiques. Qui plus est, ces produits sont déjà licitement commercialisés à la suite d’un processus de mise sur le marché strictement encadré. L’incertitude se limite à la viabilité ou à l’efficacité de la mesure envisagée.

71.

Le principe de précaution ne joue donc aucun rôle dans l’appréciation du présent cas d’espèce. Par conséquent, j’estime que la Cour devrait se dispenser d’employer la formule des « incertitudes quant à l’existence ou à l’importance de risques pour la santé des personnes » à l’appui de son raisonnement.

iv) La charge de la preuve

72.

Comme je l’ai déjà indiqué, la charge de prouver en quoi une mesure adoptée sur le fondement de l’article 36 TFUE est justifiée pèse sur l’État membre. Cela résulte d’une jurisprudence constante de la Cour ( 71 ). Comme un auteur de doctrine qui fait autorité en la matière l’a relevé à titre d’exemple, « la Cour n’a pas hésité à appliquer cette règle lorsque des vies humaines étaient en jeu» ( 72 ). De manière importante, ce principe est appliqué aussi bien dans le cadre de renvois préjudiciels que de procédures en constatation de manquement. Au fil des ans, la Cour l’a érigé en principe qui impose des obligations spécifiques aux États membres. Elle a jugé qu’un risque devait « être mesuré, non à l’aune de considérations d’ordre général, mais sur la base de recherches scientifiques pertinentes» ( 73 ).

73.

Elle emploie désormais régulièrement la formule suivante : « [l]es raisons justificatives susceptibles d’être invoquées par un État membre doivent donc être accompagnées d’une analyse de l’aptitude et de la proportionnalité de la mesure adoptée par cet État, ainsi que des éléments précis permettant d’étayer son argumentation» ( 74 ).

74.

Cette preuve n’a pas été apportée.

75.

La réglementation allemande n’est donc pas propre à atteindre l’objectif de santé publique.

b) La nécessité

76.

Étant donné que je suis parvenu à la conclusion que la réglementation allemande n’est pas propre à atteindre les objectifs invoqués, je peux être plus concis à ce stade.

77.

Comme DPV le signale, avant l’adoption de la réglementation en cause, le gouvernement allemand avait d’abord plaidé en faveur d’un système de prix maximaux et non de prix fixes. Du point de vue des pharmacies par correspondance et de la libre circulation des médicaments dans l’Union, cette mesure est moins restrictive, car elle permet aux pharmacies par correspondance de faire concurrence sur les prix.

78.

Il n’appartient bien évidemment pas à la Cour de s’immiscer dans les processus politiques et démocratiques nationaux et de préjuger certains choix politiques. Toutefois, il suffit de constater que, comme nous venons de le voir, d’autres mesures étaient concevables et auraient pu être adoptées au lieu d’un système de prix fixes.

c) Autres considérations sur la proportionnalité

79.

Enfin, en ce qui concerne encore la proportionnalité, je souhaite replacer mon raisonnement dans le contexte d’un passage de l’arrêt Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, EU:C:2003:664), la première affaire impliquant DocMorris. Comme il est bien connu, au point 119 de cet arrêt, la Cour a jugé que « la nécessité de pouvoir vérifier d’une manière efficace et responsable l’authenticité des ordonnances établies par les médecins et d’assurer ainsi la délivrance du médicament soit au client lui-même, soit à une personne chargée par ce dernier de venir le chercher, serait susceptible de justifier une interdiction de la vente par correspondance» ( 75 ). Au vu de ce passage, nous pouvons nous demander : est-il possible d’autoriser une telle interdiction tout en plaidant qu’une mesure qui représente un « moindre mal » du point de vue du marché intérieur n’est pas adéquate ?

80.

La réponse est : « oui, cela est possible ».

81.

Dès lors qu’un État membre a, de sa propre initiative, décidé d’autoriser la vente par correspondance de médicaments soumis à prescription, le caractère approprié, la cohérence et la logique de cette mesure doivent être analysés en fonction de ses propres caractéristiques. Si tel n’était pas le cas, pour la simple raison qu’il aurait autorisé de telles ventes, un État membre aurait carte blanche sans aucune possibilité de contrôle juridictionnel et les opérateurs économiques étrangers ne pourraient pas bénéficier des droits subjectifs qui leur sont conférés en vertu des libertés fondamentales et, plus particulièrement, comme en l’espèce, de l’article 34 TFUE.

V – Conclusion

82.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) comme suit :

Les articles 34 et 36 TFUE s’opposent à un système de fixation des prix, édicté par le droit national, applicable aux médicaments soumis à prescription tel que celui prévu à l’article 78 de l’Arzneimittelgesetz (loi sur les produits pharmaceutiques), en liaison avec l’Arzneimittelpreisverordnung (ordonnance sur les prix des médicaments).


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Ancien article 30 CE (traité d’Amsterdam) et article 36 CEE (traité de Rome).

( 3 ) Le premier arrêt concernant l’article 36 TFUE (à l’époque CEE), Commission/Italie (7/61, EU:C:1961:31) a été rendu le 19 décembre 1961, tandis que l’arrêt van Gend & Loos (26/62, EU:C:1963:1) date du 5 février 1963 et l’arrêt Costa (6/64, EU:C:1964:66) du 15 juillet 1964.

( 4 ) Cette chambre commune, qui est prévue à l’article 95, paragraphe 3, de la loi fondamentale allemande (Constitution) et vise, aux termes de cette disposition, à « préserver l’uniformité des décisions » des juridictions suprêmes allemandes, est un organe ad hoc qui ne se réunit que dans le cas exceptionnel où la jurisprudence des juridictions suprêmes allemandes diverge. Elle tranche une affaire en adoptant une décision contraignante. Ses attributions et sa composition figurent en détail dans une loi qui lui est consacrée, la Gesetz zur Wahrung der Einheitlichkeit der Rechtsprechung der obersten Gerichtshöfe des Bundes, du 19 juin 1968 (BGBl. I, p. 661 à 664).

( 5 ) Voir GmS-OGB, ordonnance du 22 août 2012, disponible à l’adresse suivante : https://openjur.de/u/617231.html. De fait, cette décision, la dernière rendue par cet organe, n’est que la quatorzième depuis la création de la chambre commune des juridictions fédérales suprêmes en 1968, voir https://openjur.de/gericht_e-235-0-ed-desc.html.

( 6 ) Arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, EU:C:2003:664).

( 7 ) Arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316).

( 8 ) Articles 49 et 54 TFUE.

( 9 ) Voir article 1er, point 62, de la Zweites Gesetz zur Änderung arzneimittelrechtlicher und anderer Vorschriften, du 19 octobre 2012 (BGBl. I, p. 2192 à 2227 et, en particulier, p. 2212).

( 10 ) Voir arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, EU:C:1974:82, point 5).

( 11 ) Voir, notamment, arrêts du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, EU:C:2003:664, point 66), et du 15 novembre 2007, Commission/Allemagne (C‑319/05, EU:C:2007:678, point 80).

( 12 ) Voir, notamment, arrêts du 16 janvier 2014, Juvelta (C‑481/12, EU:C:2014:11, point 16) ; du 10 février 2009, Commission/Italie (C‑110/05, EU:C:2009:66, point 33), ainsi que du 30 avril 2009, Fachverband der Buch- und Medienwirtschaft (C‑531/07, EU:C:2009:276, point 16).

( 13 ) Voir arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger (C‑112/00, EU:C:2003:333, point 56).

( 14 ) Voir, parmi de nombreux exemples, Mattera, A., « De l’arrêt “Dassonville” à l’arrêt “Keck” : l’obscure clarté d’une jurisprudence riche en principes novateurs et en contradictions », Revue du marché unique européen, 1994, no 1, p. 117 à 160 ; Gormley, L., « Reasoning Renounced ? The Remarkable Judgment in Keck & Mithouard », European Business Law Review, 1994, p. 63 à 67 ; Steindorff, E., « Unvollkommener Binnenmarkt », Zeitschrift für das gesamte Handelsrecht und Wirtschaftsrecht, 1994, p. 149 à 169 ; Lenz, C. O., « Ein undeutlicher Ton », Neue juristische Wochenschrift, 1994, p. 1633 à 1634. À l’appui de la jurisprudence issue de l’arrêt Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905), voir Joliet, R. [l’un des juges ayant statué dans cette affaire], « Der freie Warenverkehr : Das Urteil Keck und Mithouard und die Neuorientierung der Rechtsprechung », Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht, internationaler Teil, 1994, p. 979 à 987.

( 15 ) Voir arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905, point 16).

( 16 ) Voir arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905, point 17).

( 17 ) L’avocat général Tesauro a bien résumé la tendance à l’œuvre immédiatement avant l’arrêt Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905) en posant, à juste titre, la question rhétorique suivante au point 1 des conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Hünermund e.a. (C‑292/92, EU:C:1993:863) : « L’article [34 TFUE] est-il une disposition de libéralisation des échanges intracommunautaires ou une disposition destinée plus généralement à promouvoir le libre exercice de l’activité commerciale dans chaque État membre ? »

( 18 ) Voir, également, Weiler, J. H. H., « The constitution of the common market place », dans Craig, P., de Búrca, G., The evolution of EU law, Oxford University Press, 1999, p. 349 à 376 et, en particulier, p. 370.

( 19 ) Voir, parmi de nombreux exemples, Kellerhals, A., « Das Binnenmarktrecht der Warenverkehrsfreiheit », dans Müller-Graff, P.-Chr. (éd.), Europäisches Wirtschaftsordnungsrecht (Enzyklopädie Europarecht, Band 4), Nomos, Baden-Baden, 2015, p. 357 à 396 et, en particulier, p. 376.

( 20 ) Néanmoins, la formule consacrée dans la jurisprudence issue de l’arrêt Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905) ne doit pas être appliquée mécaniquement. L’identification des modalités de vente a pour but non pas de les exclure totalement du champ d’application de l’article 34 TFUE, mais de poser une présomption selon laquelle de telles règles ne restreignent pas les échanges entre les États membres au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Dassonville (8/74, EU:C:1974:82). Voir Szpunar, M., Promocja towarów w prawie wspólnotowym, Cracovie, 2002, p. 185.

( 21 ) Terminologie employée dans l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905, point 15).

( 22 ) Voir arrêt du 30 avril 2009, Fachverband der Buch- und Medienwirtschaft (C‑531/07, EU:C:2009:276, point 20).

( 23 ) Voir arrêt du 30 avril 2009, Fachverband der Buch- und Medienwirtschaft (C‑531/07, EU:C:2009:276, point 22).

( 24 ) GmS-OGB, ordonnance du 22 août 2012, point 47, disponible à l’adresse suivante : https://openjur.de/u/617231.html.

( 25 ) Par opposition à une société de capitaux exploitant licitement une pharmacie dans un autre État membre. La Cour a jugé que le Fremdbesitzverbot était conforme aux dispositions du traité en matière de liberté d’établissement. Voir arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 61).

( 26 ) Voir arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, EU:C:2003:664, point 74). Mise en italique par mes soins.

( 27 ) Voir arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, EU:C:2003:664, point 74). La doctrine s’est exprimée dans le même sens en affirmant que la fixation d’un prix de vente au détail peut avoir des conséquences négatives sur les importations en restreignant l’avantage concurrentiel d’un importateur, voir Müller‑Graff, P.-Chr., dans von der Groeben, H., Schwarze, J. et Hatje, A. (éds), Europäisches Unionsrecht (Kommentar), Artikel 34 AEUV, 7e éd., Nomos, Baden-Baden, point 143. Voir, également, Becker, U., dans Schwarze (éd.), EU-Kommentar, Artikel 34 AEUV, 3e éd., Nomos, Baden-Baden, point 69.

( 28 ) Voir arrêt du 2 décembre 2010, Ker-Optika (C‑108/09, EU:C:2010:725, point 54). Dans cet arrêt, la Cour a examiné la question de l’accès au marché et de la discrimination conjointement, comme elle semble souvent le faire.

( 29 ) Voir arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, EU:C:1993:905).

( 30 ) Voir arrêts du 23 novembre 1989, B & Q (C‑145/88, EU:C:1989:593) ; du 16 décembre 1992, B & Q (C‑169/91, EU:C:1992:519) (tous deux antérieurs à l’arrêt Keck et Mithouard), ainsi que du 2 juin 1994, Punto Casa et PPV (C‑69/93 et C‑258/93, EU:C:1994:226) (postérieur à l’arrêt Keck et Mithouard).

( 31 ) Voir arrêts du 15 décembre 1993, Hünermund e.a. (C‑292/92, EU:C:1993:932, point 21), ainsi que du 9 février 1995, Leclerc-Siplec (C‑412/93, EU:C:1995:26, point 21). Par ailleurs, la Cour a jugé que certaines restrictions en matière de publicité constituaient des mesures d’effet équivalent, à savoir lorsqu’elles gênaient effectivement l’accès au marché. Voir, notamment, arrêt du 8 mars 2001, Gourmet International Products (C‑405/98, EU:C:2001:135, point 21).

( 32 ) Comme il a été établi que la mesure présente un caractère indirectement discriminatoire, la République fédérale d’Allemagne peut uniquement invoquer les motifs de justification énumérés à l’article 36 TFUE et non les exigences impératives dégagées par la Cour sur le fondement de la jurisprudence issue de l’arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral dit  Cassis de Dijon  (120/78, EU:C:1979:42).

( 33 ) Voir arrêt du 20 mai 1976, de Peijper (104/75, EU:C:1976:67, point 15). Voir, également, arrêts du 7 mars 1989, Schumacher (215/87, EU:C:1989:111, point 17) ; du 16 avril 1991, Eurim-Pharm (C‑347/89, EU:C:1991:148, point 26) ; du 10 novembre 1994, Ortscheit (C‑320/93, EU:C:1994:379, point 16), et du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, EU:C:2003:664, point 103).

( 34 ) Voir, déjà, la toute première affaire relative à l’article 36 TFUE (à l’époque CEE), arrêt du 19 décembre 1961, Commission/Italie (7/61, EU:C:1961:31, p. 657).

( 35 ) Voir arrêt du 28 avril 1998, Decker (C‑120/95, EU:C:1998:167, points 39 et 40).

( 36 ) Voir arrêt du 28 avril 1998, Decker (C‑120/95, EU:C:1998:167, point 39). La Cour a adopté la même démarche concernant la libre prestation des services. Voir arrêt du 28 avril 1998, Kohll (C‑158/96, EU:C:1998:171, point 41).

( 37 ) À proprement parler et conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour du 20 février 1979, Cassis de Dijon (120/78, EU:C:1979:42), pour être justifiée en tant que raison impérieuse d’intérêt général (ou, selon l’ancienne jurisprudence, qu’exigence impérative), la mesure en question aurait dû être indistinctement applicable aux produits nationaux et étrangers, ce qui, comme nous l’avons vu ci-dessus, n’est pas le cas en l’espèce. Cela étant, je ne suis pas certain que la position de la Cour soit encore aussi stricte, notamment lorsqu’il s’agit de mesures discriminatoires de facto, mais non de jure. Voir, notamment, arrêt du 30 avril 2009, Fachverband der Buch- und Medienwirtschaft (C‑531/07, EU:C:2009:276, points 22 et 34), même si, dans cette affaire, la Cour a conclu, aux points 35 et 36, que la mesure en question n’était pas proportionnée au regard de l’exigence impérative de la « protection du livre en tant que bien culturel ».

( 38 ) Voir, en ce qui concerne la libre circulation des marchandises, arrêts du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, EU:C:2003:664, point 106), et du 11 septembre 2008, Commission/Allemagne (C‑141/07, EU:C:2008:492, point 47). La Cour a par la suite étendu ce raisonnement à la liberté d’établissement. Voir, notamment, arrêts du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 28) ; du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, point 64) ; du 5 décembre 2013, Venturini e.a. (C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, point 42), ainsi que du 13 février 2014, Sokoll-Seebacher (C‑367/12, EU:C:2014:68, point 25).

( 39 ) Voir, à l’inverse, observations de la République fédérale d’Allemagne concernant l’interdiction de la vente par correspondance de médicaments dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, EU:C:2003:664, point 80).

( 40 ) Mise à part une concurrence acharnée sur les prix, voir immédiatement ci-après.

( 41 ) Ce qui aurait été, à mon avis, très difficile de concevoir à une époque où les qualifications professionnelles, notamment celles des docteurs et des pharmaciens, bénéficient d’une reconnaissance mutuelle en vertu de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22).

( 42 ) Voir point 26 des conclusions que l’avocat général Poiares Maduro a présentées dans les affaires jointes Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2009:587) : « […] il ne semble pas ressortir du dossier qu’une concurrence accrue inciterait les pharmaciens à réduire la qualité de leurs services. À cet égard, je ne peux que constater un certain nombre de contradictions dans les hypothèses qui sous-tendent une large part du raisonnement de certaines des parties et de certains États membres. Les pharmaciens sont quelquefois décrits comme étant principalement motivés par l’appât du gain, au point qu’ils souhaiteraient tous exercer uniquement dans des zones densément peuplées et, s’ils étaient soumis à la concurrence, prêts à faire prévaloir le profit sur leurs obligations professionnelles. Ailleurs, il est présumé que, lorsqu’ils détiennent une position “de monopole” dans une zone peuplée, les pharmaciens exercent leur activité en se laissant guider par leurs obligations professionnelles et en se consacrant principalement à la fourniture de services pharmaceutiques de qualité. Dans l’argumentation de plusieurs des parties, la concurrence semble transformer des saints en pécheurs. »

( 43 ) Note sans objet dans la version en langue française des présentes conclusions.

( 44 ) Voir, en ce qui concerne la libre circulation des marchandises, arrêts du 21 décembre 2011, Commission/Autriche (C‑28/09, EU:C:2011:854, point 126), et du 3 mars 2011, Kakavetsos-Fragkopoulos (C‑161/09, EU:C:2011:110, point 42). Voir, également, arrêts du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 42) ; concernant la liberté d’établissement, arrêt du 13 février 2014, Sokoll‑Seebacher (C‑367/12, EU:C:2014:68, point 39), et, s’agissant de la libre prestation des services, arrêt du 16 décembre 2010, Josemans (C‑137/09, EU:C:2010:774, point 70).

( 45 ) Voir arrêt du 15 septembre 1994, Houtwipper (C‑293/93, EU:C:1994:330, point 22).

( 46 ) Voir arrêt du 15 septembre 1994, Houtwipper (C‑293/93, EU:C:1994:330, point 22).

( 47 ) Voir GmS-OGB, ordonnance du 22 août 2012, point 50, disponible à l’adresse suivante : https://openjur.de/u/617231.html.

( 48 ) Voir Gesetz zur Förderung der Sicherstellung des Notdienstes von Apotheken (Apothekennotdienstsicherstellungsgesetz, ANSG), du 15 juillet 2013 (BGBl. I, p. 2420), disponible à l’adresse suivante : http://www.bgbl.de/xaver/bgbl/start.xav?startbk=Bundesanzeiger_BGBl&jumpTo=bgbl113s2420.pdf.

( 49 ) Voir point 5.8 du règlement de procédure de ce fonds, disponible à l’adresse suivante : http://www.dav-notdienstfonds.de/wp-content/uploads/2016/02/VERFAHRENSORDNUNG-V-2-0-16_02_03.pdf.

( 50 ) Arrêt du 5 décembre 2013, Venturini e.a. (C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, point 57).

( 51 ) Voir arrêts du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a. (C‑157/96, EU:C:1998:191, point 63), ainsi que du 5 mai 1998, Royaume-Uni/Commission (C‑180/96, EU:C:1998:192, point 99) : « […] lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées ». Mise en italique par mes soins.

( 52 ) Arrêt du 23 septembre 2003, Commission/Danemark (C‑192/01, EU:C:2003:492, point 49). Voir, également, point 102 des conclusions que l’avocat général Mischo a présentées dans l’affaire Commission/Danemark (C‑192/01, EU:C:2002:760) : « Il me paraît donc qu’un risque plausible pour la santé publique suffit pour que, en vertu du principe de précaution, un État membre puisse prendre des mesures sur la base de l’article [36 TFUE]. Par ailleurs, plus l’incertitude scientifique est grande, plus la marge d’appréciation des États membres, à qui il incombe de protéger la santé publique, est large. »

( 53 ) Voir arrêt du 9 septembre 2003, Monsanto Agricoltura Italia e.a. (C‑236/01, EU:C:2003:431, point 111).

( 54 ) Arrêt du 26 mai 2005, Codacons et Federconsumatori (C‑132/03, EU:C:2005:310, point 61).

( 55 ) Arrêt du 12 janvier 2006, Agrarproduktion Staebelow (C‑504/04, EU:C:2006:30, point 39).

( 56 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 modifiant la directive 79/373/CEE du Conseil concernant la circulation des aliments composés pour animaux et abrogeant la directive 91/357/CEE de la Commission (JO 2002, L 63, p. 23).

( 57 ) Point 129 des conclusions que l’avocat général Tizzano a présentées dans l’affaire ABNA e.a. (C‑453/03, EU:C:2005:202).

( 58 ) Voir arrêt du 6 décembre 2005, ABNA e.a. (C‑453/03, C‑11/04, C‑12/04 et C‑194/04, EU:C:2005:741, points 57 et suiv.).

( 59 ) Voir arrêt du 19 mai 2009, Commission/Italie (C‑531/06, EU:C:2009:315).

( 60 ) Voir arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316).

( 61 ) Voir arrêts du 19 mai 2009, Commission/Italie (C‑531/06, EU:C:2009:315, point 54), ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 30).

( 62 ) Voir arrêts du 19 mai 2009, Commission/Italie (C‑531/06, EU:C:2009:315, point 55), ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 31).

( 63 ) Voir arrêts du 19 mai 2009, Commission/Italie (C‑531/06, EU:C:2009:315, point 56), ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 32).

( 64 ) Voir arrêts du 19 mai 2009, Commission/Italie (C‑531/06, EU:C:2009:315, point 57), ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 33).

( 65 ) Voir arrêts du 19 mai 2009, Commission/Italie (C‑531/06, EU:C:2009:315, point 58), ainsi que du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a. (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 34).

( 66 ) Voir arrêt du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, point 74).

( 67 ) Voir arrêt du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, points 75 et 76). En revanche, ces constatations n’apparaissent pas dans les conclusions que l’avocat général Poiares Maduro a présentées dans ces affaires jointes (EU:C:2009:587).

( 68 ) Voir arrêt du 5 décembre 2013, Venturini e.a. (C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:791, point 60).

( 69 ) Voir Alemanno, A., « The Precautionary principle », dans Baudenbacher, C. (éd.), The Handbook of EEA Law, Springer, 2016, p. 839 à 851 et, en particulier, p. 848.

( 70 ) Voir Alemanno, A., « Le principe de précaution en droit communautaire : stratégie de gestion des risques ou risque d’atteinte au Marché intérieur », Revue du droit de l’Union européenne, 2001, p. 917 à 953 et, en particulier, p. 929.

( 71 ) Voir, déjà, arrêt du 8 novembre 1979, Denkavit Futtermittel (251/78, EU:C:1979:252, point 24). Voir, également, arrêt du 23 décembre 2015, Scotch Whisky Association e.a. (C‑333/14, EU:C:2015:845, point 53).

( 72 ) Voir Enchelmaier, S., dans Oliver, P. (éd.), Oliver on free movement of goods in the European Union, 5e éd., Hart Publishing, Oxford, 2010, point 8.13.

( 73 ) Voir arrêt du 14 juillet 1994, van der Veldt (C‑17/93, EU:C:1994:299, point 17).

( 74 ) Voir, à titre d’exemple, en ce qui concerne la protection de la santé dans le cadre de l’article 36 TFUE, arrêts du 26 avril 2012, ANETT (C‑456/10, EU:C:2012:241, point 50), et du 7 juin 2007, Commission/Belgique (C‑254/05, EU:C:2007:319, point 36). Voir, également, arrêt du 15 novembre 2007, Commission/Allemagne (C‑319/05, EU:C:2007:678, point 88).

( 75 ) Arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, EU:C:2003:664, point 119).

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