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Document 62014CJ0205

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 2 juin 2016.
Commission européenne contre République portugaise.
Manquement d’État – Transport aérien – Règlement (CEE) nº 95/93 – Attribution des créneaux horaires dans les aéroports de l’Union européenne – Article 4, paragraphe 2 – Indépendance du coordonnateur – Notion de “partie intéressée” – Entité gestionnaire d’aéroport – Séparation fonctionnelle – Système de financement.
Affaire C-205/14.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:393

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

2 juin 2016 ( *1 )

«Manquement d’État — Transport aérien — Règlement (CEE) no 95/93 — Attribution des créneaux horaires dans les aéroports de l’Union européenne — Article 4, paragraphe 2 — Indépendance du coordonnateur — Notion de “partie intéressée” — Entité gestionnaire d’aéroport — Séparation fonctionnelle — Système de financement»

Dans l’affaire C‑205/14,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 24 avril 2014,

Commission européenne, représentée par MM. P. Guerra e Andrade et F. Wilman, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République portugaise, représentée par MM. L. Inez Fernandes et V. Moura Ramos, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. Šváby (rapporteur), A. Rosas, E. Juhász et C. Vajda, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 juin 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 septembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en ne garantissant pas l’indépendance fonctionnelle et financière du coordonnateur pour l’attribution des créneaux horaires, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 95/93 du Conseil, du 18 janvier 1993, fixant des règles communes en ce qui concerne l’attribution des créneaux horaires dans les aéroports de la Communauté (JO 1993, L 14, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 545/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009 (JO 2009, L 167, p. 24) (ci-après le « règlement no 95/93 »).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2

Les deuxième, cinquième, sixième, huitième et dixième considérants du règlement no 95/93 sont libellés comme suit :

« [...] l’attribution de créneaux horaires dans les aéroports saturés devrait être fondée sur des règles neutres, transparentes et non discriminatoires ;

[...]

[...] il appartient à l’État membre responsable de l’aéroport coordonné de veiller à désigner un coordonnateur dont la neutralité soit incontestée ;

[...] la transparence de l’information constitue un élément essentiel en vue d’assurer une procédure objective d’attribution des créneaux horaires ;

[...]

[...] la politique communautaire vise notamment à faciliter la concurrence et à encourager l’entrée sur le marché ; [...] pour atteindre ces objectifs, il convient de donner un soutien résolu aux transporteurs désireux de commencer à opérer sur des liaisons intracommunautaires ;

[...]

[...] de futures dispositions devraient également autoriser de nouveaux arrivants sur le marché communautaire ».

3

L’article 2 dudit règlement donne notamment les définitions suivantes :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)

“créneau horaire”, l’autorisation accordée par un coordonnateur conformément au présent règlement d’utiliser toutes les infrastructures aéroportuaires qui sont nécessaires pour la prestation d’un service aérien dans un aéroport coordonné à une date et à une heure précises, aux fins de l’atterrissage et du décollage, selon l’attribution faite par un coordonnateur conformément au présent règlement ;

[...]

g)

“aéroport coordonné”, tout aéroport où, pour atterrir ou décoller, un transporteur aérien ou tout autre exploitant d’aéronefs doit s’être vu attribuer un créneau horaire par un coordonnateur, à l’exception des vols d’État, des atterrissages d’urgence et des vols humanitaires ;

[...]

j)

“entité gestionnaire d’un aéroport”, l’entité qui, conjointement ou non avec d’autres activités, a pour mission, aux termes de la législation ou de la réglementation nationale, d’administrer et de gérer les infrastructures aéroportuaires ainsi que de coordonner et de contrôler les activités des différentes opérateurs présents sur l’aéroport ou dans le système aéroportuaire considéré ;

[...] »

4

L’article 4 du même règlement, intitulé « Facilitateur d’horaires et coordonnateur », est libellé comme suit :

« 1.   L’État membre responsable d’un aéroport [...] coordonné veille à la nomination, à la fonction [...] de coordonnateur d’une personne physique ou morale qualifiée, [...] après consultation des transporteurs aériens qui utilisent régulièrement l’aéroport, des organisations qui les représentent et de l’entité gestionnaire de l’aéroport ainsi que du comité de coordination, s’il existe. Le même [...] coordonnateur peut être désigné pour plusieurs aéroports.

2.   L’État membre responsable d’un aéroport [...] coordonné veille :

[...]

b)

dans le cas d’un aéroport coordonné, à l’indépendance du coordonnateur en le séparant fonctionnellement de toute partie intéressée. Le système de financement des activités des coordonnateurs est propre à garantir leur indépendance ;

c)

à ce que le coordonnateur agisse conformément au présent règlement d’une manière neutre, non discriminatoire et transparente.

[...]

5.   Le coordonnateur est la seule personne responsable de l’attribution des créneaux horaires. Il attribue les créneaux horaires conformément aux dispositions du présent règlement et veille à ce que, en cas d’urgence, les créneaux puissent aussi être attribués en dehors des heures de bureau.

6.   [...] Le coordonnateur s’assure que les activités des transporteurs aériens sont conformes aux créneaux horaires qui leur sont attribués. Ces contrôles de conformité sont menés en coopération avec l’entité gestionnaire de l’aéroport ainsi qu’avec les autorités de contrôle du trafic aérien et ils tiennent compte des paramètres de temps et d’autres paramètres pertinents liés à l’aéroport concerné. [...]

[...]

8.   Sur demande et dans un délai raisonnable, le coordonnateur communique aux parties intéressées, notamment aux membres ou aux observateurs du comité de coordination, pour examen, les informations suivantes sous forme écrite ou toute autre forme aisément accessible :

a)

les créneaux horaires historiques, ventilés par compagnie aérienne et classés dans l’ordre chronologique pour tous les transporteurs utilisant l’aéroport ;

b)

les créneaux horaires demandés (à l’origine), ventilés par transporteur et classés dans l’ordre chronologique, pour tous les transporteurs ;

c)

tous les créneaux horaires attribués, ainsi que les demandes en suspens, ventilés par transporteur et classés dans l’ordre chronologique, pour tous les transporteurs ;

d)

les créneaux horaires encore disponibles ;

e)

des informations complètes et détaillées sur les critères d’attribution. »

5

L’article 5, paragraphe 1, du règlement no 95/93 dispose :

« L’État membre responsable veille à ce qu’un comité de coordination soit créé dans un aéroport coordonné. Un même comité de coordination peut être désigné pour plusieurs aéroports. La participation à ce comité est ouverte au moins aux transporteurs aériens qui utilisent régulièrement le (ou les) aéroport(s) et aux organisations qui les représentent, à l’entité gestionnaire de l’aéroport concerné, aux autorités responsables du contrôle du trafic aérien concernées et aux représentants de l’aviation générale qui utilisent régulièrement l’aéroport.

[...] »

Le droit portugais

6

Le Decreto‑Lei no 109/2008 (décret-loi no 109/2008), du 26 juin 2008 (Diário da República, 1re série, no 122, du 26 juin 2008, p. 3965), désigne, à son article 1er, paragraphe 1, les aéroports coordonnés, conformément aux dispositions du règlement no 95/93.

7

L’article 1er, paragraphes 2 et 4, de ce décret-loi désigne Aeroportos de Portugal SA (ci-après « ANA ») en tant que coordonnateur national pour l’attribution des créneaux horaires dans les aéroports coordonnés. ANA, société commerciale de droit privé, est également l’entité gestionnaire des aéroports portugais.

8

L’article 5 dudit décret-loi, intitulé « Indépendance », dispose :

« 1.   Dans l’exercice de ses fonctions [...] de coordonnateur national pour l’attribution des créneaux horaires, ANA [...] veille à ce que cette activité soit indépendante de son activité de gestionnaire d’aéroport grâce à une séparation appropriée.

2.   Aux fins des dispositions du paragraphe précédent, ANA [...] garantit cette indépendance, à tout le moins au niveau fonctionnel, et tient une comptabilité propre aux activités liées à la coordination des créneaux horaires, strictement séparée de celle des autres activités. »

9

L’article 8 du décret-loi no 109/2008, intitulé « Contrôle et surveillance », est rédigé dans les termes suivants :

« 1.   L’Instituto Nacional de Aviação Civil IP [Institut national de l’aviation civile, Portugal], est chargé du contrôle et de la surveillance de l’attribution des créneaux horaires ainsi que de la surveillance de leur utilisation par les transporteurs aériens.

[...]

4.   Il appartient en outre à l’Institut national de l’aviation civile de veiller au respect des conditions et exigences d’indépendance prévues à l’article 5 ; à cette fin, il peut charger un auditeur indépendant de vérifier l’absence de flux financiers entre la prestation de services de coordination des créneaux horaires et les autres activités. »

10

L’article 9 de ce décret-loi, intitulé « Infractions », prévoit :

« 1.   Aux fins de l’application du régime relatif aux infractions aéronautiques civiles, approuvé par le décret-loi no 10/2004, du 9 janvier 2004, les cas suivants constituent des infractions très graves :

a)

l’absence de séparation fonctionnelle, par ANA [...], entre l’activité de gestionnaire d’aéroport […] et l’activité de coordonnateur national pour l’attribution des créneaux horaires ;

b)

l’absence de séparation comptable, par ANA [...], entre les activités liées à la coordination des créneaux horaires et les autres activités ;

[...] »

11

L’article 10 du décret‑loi no 109/2008, relatif au traitement des infractions, dispose :

« 1.   Il incombe à l’Institut national de l’aviation civile d’instaurer et d’instruire les procédures d’infraction relatives aux infractions visées par le présent décret-loi ainsi que d’appliquer les amendes correspondantes et les sanctions accessoires.

[...] »

12

L’article 11 dudit décret-loi, intitulé « Redevances », est libellé comme suit :

« 1.   La prestation des services de coordination et d’attribution de créneaux horaires est soumise, en contrepartie de leur utilisation, à une redevance d’attribution de créneaux, prélevée en même temps que les redevances d’atterrissage et de décollage, par mouvement, et fixée par arrêté du ministre chargé de l’aviation civile.

[...]

3.   La redevance visée au paragraphe 1 constitue une recette d’ANA [...] »

13

En ce qui concerne ANA, en vertu de Resolução do Conselho de Ministros no 111‑F/2012 (la résolution du Conseil des ministres) (Diário da República, 1re série, no 251, du 28 décembre 2012), la République portugaise a décidé de céder jusqu’à 100 % du capital social d’ANA, dont elle était propriétaire, à VINCI‑Concessions SAS. Sur la base de cette décision, ANA a été privatisée le 21 février 2013.

La procédure précontentieuse

14

Sur la base des informations relatives à l’attribution de créneaux horaires dans les aéroports situés au Portugal, la Commission a envoyé à la République portugaise, le 30 avril 2012, une lettre de mise en demeure dans laquelle elle a allégué qu’une division qui avait été créée au sein de la structure d’ANA pour accomplir les tâches relevant de la fonction de coordonnateur pour l’attribution des créneaux horaires (ci‑après la « DCNS ») ne répondait pas aux exigences d’indépendance imposées à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 95/93.

15

La Commission a notamment fait valoir que, dès lors que la DCNS était une division d’ANA, il n’y avait pas de séparation fonctionnelle au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), dudit règlement. En outre, le financement de la DCNS ne serait pas propre à garantir son indépendance. En effet, une telle indépendance ne pourrait être assurée qu’au moyen d’une comptabilité et d’un budget propres de la DCNS. Or, selon la Commission, la DCNS était entièrement financée par ANA et la redevance d’attribution des créneaux horaires prévue à l’article 11 du décret-loi no 109/2008 n’a jamais été instituée.

16

La République portugaise a répondu par lettre du 19 juillet 2012. Elle y a fait état de l’article 5 du décret‑loi no 109/2008, selon lequel ANA veille à l’indépendance de son activité de gestionnaire d’aéroport par rapport à ses fonctions de coordonnateur pour l’attribution des créneaux horaires.

17

Selon la République portugaise, la DCNS, bien qu’elle fasse partie intégrante d’ANA, exerce l’activité de coordonnateur de manière indépendante dès lors qu’elle possède ses propres ressources humaines et tient une comptabilité séparée de celle d’ANA. De ce fait, l’indépendance du coordonnateur serait garantie au niveau tant fonctionnel que financier.

18

Estimant que cette réponse n’était pas satisfaisante, la Commission a adressé à la République portugaise un avis motivé le 25 janvier 2013, réitérant le grief précédemment formulé et invitant ledit État membre à faire valoir ses observations dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.

19

La République portugaise y a répondu le 27 mars 2013, réaffirmant son point de vue initial. Toutefois, reconnaissant la nécessité, après la privatisation d’ANA, de créer une nouvelle entité chargée de la coordination des créneaux horaires, elle a indiqué qu’elle veillait à mettre en place cette nouvelle entité. Elle a fourni ultérieurement une note de synthèse concernant la création de ladite entité.

20

Considérant que les réponses apportées à l’avis motivé n’étaient pas satisfaisantes, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

21

La Commission fait valoir que la République portugaise ne garantit pas l’indépendance fonctionnelle et financière du coordonnateur pour l’attribution des créneaux horaires, contrairement à ce que prévoit l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 95/93.

Sur le premier grief, concernant la séparation fonctionnelle du coordonnateur par rapport à toute partie intéressée

Argumentation des parties

22

Dans le cadre de son premier grief, la Commission reproche à la République portugaise de ne pas avoir garanti l’indépendance du coordonnateur en le séparant fonctionnellement de toute partie intéressée en application de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 95/93.

23

Elle fait valoir qu’il convient d’interpréter cette disposition dans un sens large eu égard à l’objet dudit règlement. Dans ce contexte, l’indépendance du coordonnateur viserait tant à l’interdiction de discriminations qu’à l’impartialité du coordonnateur, à la transparence de l’information, à l’absence de distribution inégale des avantages de la libéralisation et de distorsion de concurrence, à l’efficacité de la gestion des créneaux horaires ainsi qu’à l’accès au marché de l’Union européenne des nouveaux opérateurs.

24

Le terme « indépendance » signifie, selon la Commission, que le coordonnateur doit avoir un statut tel qu’il lui permette d’exercer ses activités en toute liberté et autonomie, à l’abri de toute instruction et de toute pression. En effet, il découlerait du rôle central du coordonnateur dans l’attribution des créneaux horaires que le seul risque de ne pas pouvoir agir en toute liberté suffirait à entraver l’exercice indépendant de ses activités.

25

La Commission précise que, s’agissant de l’exigence de la séparation fonctionnelle, l’expression « toute partie intéressée », au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 95/93, à laquelle il faudrait conférer un sens large, désigne non seulement les transporteurs aériens qui sont directement affectés par les décisions du coordonnateur, mais également toute personne susceptible d’avoir un intérêt dans la façon dont le coordonnateur attribue des créneaux horaires dans un aéroport coordonné. Elle souligne, à cet égard, que l’entité gestionnaire de l’aéroport concerné, pouvant avoir un tel intérêt, reposant, par exemple, sur le profit tiré des activités de coordination des créneaux horaires, sous la forme de redevances aéroportuaires, doit être, en tant que telle, considérée comme une partie intéressée, sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve de l’existence d’un tel intérêt. Il serait, dès lors, indispensable que le coordonnateur soit indépendant de cette entité gestionnaire.

26

Or, en l’espèce, le décret‑loi no 109/2008 n’instaurerait qu’une règle générale visant à l’indépendance du coordonnateur. Selon la Commission, en vertu de ce décret-loi, dès lors qu’ANA elle-même est le coordonnateur, elle doit également être garante de l’indépendance entre les activités du coordonnateur et celles de l’entité gestionnaire. À cet égard, la Commission allègue que la République portugaise n’a pu préciser, d’une part, de quelle façon ANA avait assuré l’indépendance des activités de la DCNS, partie intégrante d’ANA dont elle partage le personnel ainsi que les locaux, par rapport à ANA elle‑même, et, d’autre part, quelles garanties existaient à cet égard.

27

La Commission souligne, d’ailleurs, que Código português das sociedades comerciais (le code portugais des sociétés commerciales) prévoit que le conseil d’administration d’une société anonyme, telle ANA, gère ses activités, ce qui signifie que le rapport et les comptes annuels d’une division de celle-ci, telle la DCNS, font l’objet d’un examen par ce conseil, avec pour conséquence que la DCNS ne peut pas exercer son activité de manière autonome et séparée de ladite société.

28

Pour la République portugaise, la DCNS répond aux exigences de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 95/93. Elle soutient qu’ANA, en tant qu’entité gestionnaire, ne saurait être considérée comme une partie intéressée dont la DCNS devrait être séparée et, dès lors que le règlement no 95/93 ne définit pas qui doit être qualifié de partie intéressée, il conviendrait de procéder à une appréciation au cas par cas, ce que la Commission n’a pas envisagé.

29

En l’espèce, la qualification d’ANA en tant que partie intéressée exigerait la détermination et l’évaluation concrète de son intérêt, direct ou indirect, dans le processus d’attribution des créneaux horaires. Or, ANA, entité gestionnaire d’aéroport, ne bénéficierait qu’indirectement de l’activité de coordination des créneaux horaires et uniquement quant à la perception des redevances aéroportuaires, qui sont fonction du nombre d’usagers. De ce fait, il serait peu probable qu’ANA favorise individuellement l’un ou l’autre usager de l’aéroport alors qu’elle n’en tirerait aucun profit. Il en irait autrement si ANA détenait une participation dans le capital d’un transporteur aérien, ce qui n’est pas le cas.

30

En supposant qu’ANA puisse être considérée comme une partie intéressée, la République portugaise garantirait l’indépendance du coordonnateur, prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 95/93. Selon cet État membre, cette disposition n’impose pas que le coordonnateur soit une entité juridique distincte de l’entité gestionnaire de l’aéroport, mais exige simplement une séparation fonctionnelle. Or, il y aurait bien séparation fonctionnelle entre ANA et la DCNS, dès lors que la DCNS dispose d’une véritable autonomie technique, fonctionnelle, organisationnelle et de gestion quant aux activités liées à l’attribution de créneaux horaires et que, de ce fait, ses décisions ne sont nullement soumises à une quelconque appréciation ou approbation d’ANA.

Appréciation de la Cour

31

Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, sous b), première phrase, du règlement no 95/93, l’État membre concerné doit veiller « à l’indépendance du coordonnateur en le séparant fonctionnellement de toute partie intéressée ».

32

Partant, il convient de vérifier, dans le cadre du premier grief, si ANA, en tant qu’entité gestionnaire d’aéroport, doit être considérée comme une « partie intéressée », au sens de cette disposition et, dans l’affirmative, si la République portugaise a prévu les garanties nécessaires pour assurer la séparation fonctionnelle du coordonnateur par rapport à cette partie intéressée.

33

À titre liminaire, il convient de relever que le règlement no 95/93 ne contient pas de définition de la notion de « séparation fonctionnelle » du coordonnateur ni de celle de « partie intéressée », dont celui-ci doit être séparé. Pour déterminer la portée de ces notions, il importe, dès lors, de tenir compte non seulement du libellé de l’article 4, paragraphe 2, sous b), première phrase, du règlement no 95/93 et du but de l’indépendance du coordonnateur par rapport à toute partie intéressée au sens de cette disposition, mais également des exigences prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous c), dudit règlement. En effet, cette disposition précise qu’il faut que « le coordonnateur agisse conformément au présent règlement d’une manière neutre, non discriminatoire et transparente », ces trois éléments étant donc inhérents au caractère indépendant de la fonction du coordonnateur.

34

S’agissant, en premier lieu, de la neutralité du coordonnateur, il résulte du cinquième considérant du règlement no 95/93 que celle-ci doit être « incontestée ». Il est constant qu’une telle exigence doit être assurée par rapport à toute partie intéressée.

35

En deuxième lieu, il doit être relevé que, conformément au sixième considérant du règlement no 95/93, la transparence de l’information « constitue un élément essentiel en vue d’assurer une procédure objective d’attribution des créneaux horaires ».

36

En troisième lieu, afin de permettre au coordonnateur de poursuivre efficacement les objectifs du règlement no 95/93, l’objectivité de la procédure d’attribution des créneaux horaires exige que les tâches dont ledit règlement l’investit soient exercées à l’abri de toute pression.

37

L’approche fonctionnelle de l’indépendance du coordonnateur est donc caractérisée, notamment, par l’obligation de l’attribution objective et transparente des créneaux horaires à chaque demandeur d’attribution de tels créneaux.

38

S’agissant de la notion de « partie intéressée », la Commission affirme qu’il convient de conférer à cette notion une acception large de façon à ce qu’elle couvre un cercle étendu de personnes, parmi lesquelles une entité gestionnaire d’aéroport.

39

En revanche, la République portugaise soutient que la qualification de partie intéressée doit être appréciée au cas par cas, sur la base d’une vérification concrète, de sorte qu’il appartiendrait à la Commission de démontrer que, en l’espèce, l’entité gestionnaire a un intérêt à l’attribution des créneaux horaires.

40

Or, ce dernier argument doit être écarté d’emblée. En effet, au regard de la finalité de l’article 4, paragraphe 2, sous b), première phrase, du règlement no 95/93 de garantir la neutralité incontestée du coordonnateur, il convient de constater que cette disposition vise à exclure tout risque que celui-ci n’accomplisse pas ses tâches de manière indépendante.

41

Dans ces conditions, il convient de constater qu’il faut entendre par « partie intéressée » toute entité dont les intérêts pourraient être affectés par l’attribution des créneaux horaires. Ainsi que le fait valoir la Commission, tel est le cas pour les entités gestionnaires d’aéroports.

42

En effet, d’une part, il ressort de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 95/93 ainsi que d’une lecture combinée de l’article 4, paragraphe 8, et de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement que les entités gestionnaires d’aéroports sont, tout comme les transporteurs aériens, inclues dans le cercle des entités ayant le droit d’être consultées avant la nomination du coordonnateur et d’être informées notamment sur les créneaux horaires demandés, attribués et encore disponibles. Cette circonstance confirme que le règlement no 95/93 repose sur la prémisse selon laquelle les intérêts de l’entité gestionnaire d’un aéroport peuvent être affectés par l’attribution des créneaux horaires dont est responsable le coordonnateur.

43

D’autre part, ainsi que le fait valoir la Commission, l’entité gestionnaire d’un aéroport est susceptible d’avoir un intérêt à ce que les créneaux horaires soient octroyés à un certain transporteur aérien, même en l’absence d’une participation directe ou indirecte dans le capital de celui-ci, un tel intérêt pouvant résulter, à titre d’exemple, des contrats de location d’espace dans l’aéroport conclus entre un certain transporteur aérien et l’entité gestionnaire ou du souhait de cette dernière que l’aéroport en question devienne un aéroport pivot d’un certain transporteur aérien.

44

Par conséquent, il y a lieu de constater qu’ANA, en tant qu’entité gestionnaire d’aéroport au Portugal, doit être considérée comme une « partie intéressée », au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 95/93.

45

Eu égard à cette constatation, il convient d’examiner si le décret‑loi no 109/2008 a établi à suffisance de droit les garanties susceptibles d’assurer la séparation fonctionnelle du coordonnateur, au sens de ladite disposition.

46

Il convient de relever que, selon le décret‑loi no 109/2008, c’est ANA, chargée de l’exercice tant des fonctions de coordonnateur que de celles de gestionnaire d’aéroport, qui, en vertu de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de ce décret‑loi, veille à ce que l’activité de coordonnateur soit indépendante de son activité de gestionnaire d’aéroport grâce à une séparation appropriée et que c’est également ANA qui garantit cette indépendance, à tout le moins au niveau fonctionnel. Par ailleurs, ledit décret‑loi établit, à son article 8, l’organe de contrôle et de surveillance de l’attribution des créneaux horaires et définit, à ses articles 9 et 10, des infractions graves ainsi que la manière dont cet organe doit traiter ces infractions.

47

Or, il y a lieu de constater que les garanties prévues par la réglementation portugaise en cause ne sont, en raison de son caractère vague, pas suffisantes pour assurer effectivement la séparation fonctionnelle requise par l’article 4, paragraphe 2, sous b), première phrase, du règlement no 95/93. En effet, ladite réglementation s’en remet, en substance, uniquement à l’autolimitation d’ANA, sans lui imposer, à cet égard, un encadrement adéquat et précis.

48

À supposer qu’il soit vrai que, ainsi que le fait valoir la République portugaise, aucune pression de la part d’ANA n’a jamais été exercée en pratique et que l’Institut national de l’aviation civile, en tant qu’entité régulatrice du secteur de l’aviation civile au Portugal, n’a jamais reçu la moindre plainte relative à l’action du coordonnateur, de telles allégations factuelles sont inopérantes, s’agissant de la question de savoir si la République portugaise a prévu des règles de droit nécessaires pour assurer l’indépendance du coordonnateur par rapport à toute partie intéressée.

49

En conséquence, dès lors que le décret-loi no 109/2008 n’a pas prévu des règles de droit suffisamment concrètes pour assurer « l’indépendance du coordonnateur en le séparant fonctionnellement de toute partie intéressée », au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), première phrase, du règlement no 95/93, il y a lieu de considérer le premier grief de la Commission comme étant fondé.

Sur le second grief, concernant le système de financement du coordonnateur

Argumentation des parties

50

L’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 95/93 exige que le système de financement de l’activité du coordonnateur soit propre à garantir l’indépendance de ce dernier. Cela implique, selon la Commission, que le coordonnateur tienne des comptabilités séparées, gère des budgets distincts et, notamment, que le financement de ses activités ne dépende pas des parties intéressées ou uniquement d’une partie intéressée, en l’occurrence l’entité gestionnaire de l’aéroport. Or, en l’espèce, le financement du coordonnateur dépendrait exclusivement de cette entité et son budget serait approuvé par cette dernière. En outre, même si le coordonnateur constitue un centre de coûts spécifique, toutes ses dépenses seraient supportées par l’entité gestionnaire, ce qui ne permettrait pas de conclure à l’indépendance du système de financement du coordonnateur par rapport à cette entité.

51

Selon la République portugaise, le système de financement propre à garantir l’indépendance du coordonnateur, tel que prévu à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 95/93, ne constitue qu’un simple indicateur permettant de mesurer le degré d’indépendance du coordonnateur, et non une exigence légale essentielle. La non‑instauration de la redevance d’attribution des créneaux horaires ne permettrait donc pas de conclure au manque d’indépendance de la DCNS.

52

La République portugaise allègue qu’il existe, en l’espèce, une stricte séparation comptable entre les activités de la DCNS et celles d’ANA, de telle sorte que la DCNS constitue un centre de coûts spécifique.

Appréciation de la Cour

53

Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, sous b), seconde phrase, du règlement no 95/93, « le système de financement des activités des coordonnateurs est propre à garantir leur indépendance ».

54

En l’occurrence, ANA est une partie intéressée, ainsi qu’il ressort du point 44 du présent arrêt. Il est dès lors indispensable que la DCNS dispose de comptabilités, d’un budget et de ressources financières propres pour garantir qu’elle accomplit ses fonctions de coordonnateur conformément au règlement no 95/93, en dehors de toute influence d’ANA.

55

Or, notamment un mécanisme de financement au moyen de ressources propres fait défaut en l’espèce. En effet, il est constant que la législation portugaise ne prévoit pas un tel mécanisme et que les ressources de la DCNS proviennent exclusivement d’ANA.

56

En outre, la République portugaise ne conteste pas que l’adoption du budget de fonctionnement et des comptes annuels du coordonnateur relève de la compétence exclusive du conseil d’administration d’ANA.

57

En ce qui concerne l’argument de la République portugaise selon lequel la DCNS constitue un centre de coûts spécifique, ce seul fait ne saurait être susceptible d’affecter la conclusion que le coordonnateur est entièrement financé par une partie intéressée, en l’espèce par ANA. Dès lors, le système de financement des activités du coordonnateur n’est pas propre à garantir l’indépendance de celui-ci telle que requise par l’article 4, paragraphe 2, sous b), seconde phrase, du règlement no 95/93.

58

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer le second grief de la Commission comme fondé.

Sur les demandes accessoires de la République portugaise

59

De manière accessoire, la République portugaise demande à la Cour de déclarer, d’une part, que, « au Portugal, l’actuel coordonnateur assure le respect des exigences tenant à l’indépendance fonctionnelle prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 95/93 » et, d’autre part, que « la République portugaise remplit les obligations qui lui incombent au titre du règlement no 95/93 ».

60

En ce qui concerne ces demandes, il convient de constater que, dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour n’est pas compétente pour connaître d’une demande autre que celle introduite par la Commission. Ces demandes doivent, dès lors, être rejetées comme étant irrecevables.

61

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en ne garantissant pas l’indépendance du coordonnateur pour l’attribution des créneaux horaires en le séparant fonctionnellement de toute partie intéressée et en ne s’assurant pas que le système de financement des activités du coordonnateur est propre à garantir son indépendance, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 95/93.

Sur les dépens

62

En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et le manquement ayant été constaté, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

 

1)

En ne garantissant pas l’indépendance du coordonnateur pour l’attribution des créneaux horaires en le séparant fonctionnellement de toute partie intéressée et en ne s’assurant pas que le système de financement des activités du coordonnateur est propre à garantir son indépendance, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 95/93 du Conseil, du 18 janvier 1993, fixant des règles communes en ce qui concerne l’attribution des créneaux horaires dans les aéroports de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CE) no 545/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009.

 

2)

La République portugaise est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le portugais.

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