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Document 62014CC0231

    Conclusions de l'avocat général M. M. Wathelet, présentées le 30 avril 2015.
    InnoLux Corp. contre Commission européenne.
    Pourvoi – Concurrence – Ententes – Article 101 TFUE – Article 53 de l’accord EEE – Marché mondial des écrans d’affichage à cristaux liquides (LCD) – Fixation des prix – Amendes – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes (2006) – Point 13 – Détermination de la valeur des ventes en relation avec l’infraction – Ventes internes du produit concerné en dehors de l’EEE – Prise en compte des ventes des produits finis intégrant le produit concerné à des tiers dans l’EEE.
    Affaire C-231/14 P.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:292

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MELCHIOR WATHELET

    présentées le 30 avril 2015 ( 1 )

    Affaire C‑231/14 P

    InnoLux Corp., anciennement Chimei InnoLux Corp.,

    contre

    Commission européenne

    «Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marché mondial des panneaux à affichage de cristaux liquides (LCD) — Amendes — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes — Détermination de la valeur des ventes en relation avec l’infraction — Application extraterritoriale des règles de concurrence de l’Union européenne — Ventes internes du produit concerné en dehors de l’Espace économique européen (EEE) — Prise en compte des ventes à des tiers dans l’EEE de produits finis intégrant le produit concerné»

    1. 

    Par le présent pourvoi, InnoLux Corp. (ci‑après «InnoLux»), anciennement Chimei InnoLux Corp., demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne InnoLux/Commission ( 2 ), par lequel ce dernier a, d’une part, réformé la décision C(2010) 8767 final de la Commission dans l’affaire COMP/39.309 – LCD (Liquid Crystal Displays) ( 3 ), en fixant à 288 millions d’euros le montant de l’amende qui lui a été infligée à l’article 2 de celle‑ci et, d’autre part, rejeté, pour le surplus, son recours tendant à l’annulation partielle de cette décision, en tant qu’elle la concerne, ainsi qu’à la réduction du montant de ladite amende.

    2. 

    Le présent pourvoi soulève une question importante en droit de la concurrence, à savoir celle de l’application extraterritoriale des règles de concurrence de l’Union européenne (en l’espèce, dans le contexte de la détermination des ventes susceptibles d’être prises en compte par la Commission européenne pour le calcul de l’amende ( 4 )). L’application extraterritoriale de ces règles par la Commission est également attaquée en justice dans plusieurs affaires actuellement pendantes tant devant le Tribunal que devant la Cour ( 5 ).

    I – Les antécédents du litige

    3.

    Les antécédents du litige et de la décision litigieuse, tels qu’ils ressortent des points 1 à 27 de l’arrêt attaqué, peuvent se résumer comme suit.

    4.

    Chi Mei Optoelectronics Corp. (ci‑après «CMO»), société de droit taïwanais, contrôlait un groupe de sociétés établies dans le monde entier et actives dans la production d’écrans d’affichage à cristaux liquides à matrice active (ci‑après les «LCD»). À la suite d’un accord de concentration de CMO avec les sociétés InnoLux Display Corp. et TPO Displays Corp., l’entité juridique survivante devint InnoLux, société de droit taïwanais également, requérante dans la présente affaire.

    5.

    Après que la société de droit coréen Samsung Electronics Co. Ltd (ci‑après «Samsung») eut dénoncé l’existence d’une entente sur le marché des LCD à la Commission, celle‑ci a engagé la procédure administrative et adressé une communication des griefs à seize sociétés, dont deux filiales européennes détenues à 100 % par la requérante. Cette communication des griefs expliquait, notamment, les raisons pour lesquelles les deux filiales de CMO devaient être tenues solidairement responsables des infractions commises par cette dernière.

    6.

    Le 8 décembre 2010, la Commission a adopté la décision litigieuse. Celle‑ci est adressée à six des seize sociétés destinataires de la communication des griefs, dont la requérante, LG Display Co. Ltd (ci‑après «LGD») et AU Optronics Corp. (ci‑après «AUO»). En revanche, les filiales de la requérante ne sont plus visées.

    7.

    Dans la décision litigieuse, la Commission a constaté l’existence d’une entente entre six grands fabricants internationaux de LCD, dont la requérante, LGD et AUO, sur les deux catégories suivantes de produits, de taille égale ou supérieure à 12 pouces, à savoir les LCD pour les technologies de l’information (TI), tels que ceux à intégrer dans des ordinateurs portables compacts et des moniteurs d’ordinateurs, et les LCD pour téléviseurs (ci‑après, ensemble, les «LCD cartellisés»).

    8.

    Pour la fixation des amendes infligées par la décision litigieuse, la Commission a utilisé les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci‑après les «lignes directrices de 2006»). En application de celles‑ci, la Commission a défini la valeur des ventes de LCD cartellisés directement ou indirectement concernées par l’infraction. À cette fin, elle a établi les trois catégories suivantes de ventes effectuées par les participants à l’entente:

    «ventes EEE directes», à savoir les ventes de LCD cartellisés à une autre entreprise au sein de l’Espace économique européen (EEE);

    «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», à savoir les ventes de LCD cartellisés intégrés, au sein du groupe dont relève le producteur, dans des produits finis qui sont vendus à une autre entreprise au sein de l’EEE, et

    «ventes indirectes», à savoir les ventes de LCD cartellisés à une autre entreprise située en dehors de l’EEE, laquelle incorpore ensuite les écrans dans des produits finis qu’elle vend dans l’EEE, une «autre entreprise» étant une entreprise ne faisant pas partie du groupe du vendeur.

    9.

    La Commission a estimé qu’elle pouvait se limiter à prendre en compte les deux premières catégories mentionnées ci‑dessus, l’inclusion de la troisième catégorie n’étant pas nécessaire pour que les amendes infligées puissent atteindre un niveau dissuasif suffisant. Sur ces bases, la Commission a condamné la requérante au paiement d’une amende de 300 millions d’euros.

    II – L’arrêt attaqué

    10.

    Par requête du 21 février 2011, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse et à la réduction du montant de l’amende. À l’appui de sa demande, la requérante a soulevé trois moyens. Le premier était tiré du fait que la Commission aurait appliqué une notion juridiquement erronée, à savoir celle de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», le deuxième de ce que la Commission aurait violé l’article 101 TFUE en concluant que l’infraction s’étendait aux LCD pour téléviseurs et le troisième de ce que la valeur des ventes pertinentes retenue par la Commission à son égard aurait inclus à tort d’autres ventes que celles relatives aux LCD cartellisés.

    11.

    Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli ce dernier moyen et, en conséquence, a réduit le montant de l’amende à infliger à la requérante à 288 millions d’euros ( 6 ). Pour le surplus, il a rejeté le recours.

    III – Sur le pourvoi

    A – Sur le premier moyen, relatif à la prise en compte de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés»

    1. Synthèse de l’argumentation des parties

    12.

    Par la première branche, concernant la notion de «ventes en relation avec l’infraction», la requérante reproche au Tribunal d’avoir inclus, dans la valeur des ventes prises en compte pour le calcul de l’amende, ses ventes de produits finis dans l’EEE, en tant que «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», alors que ces ventes ne sont pas en relation avec l’infraction au sens du point 13 des lignes directrices de 2006.

    13.

    La Commission estime que l’argumentation de la requérante a été réfutée par le Tribunal, au terme d’un raisonnement correct. L’argumentation de la requérante ignorerait le fait que le prix des LCD cartellisés affectait celui des produits finis et que les pratiques collusoires portaient tant sur les LCD devant être vendus à des tiers que sur les LCD destinés à être livrés au sein du groupe. Il s’agirait là de constatations factuelles opérées par la Tribunal qui ne peuvent pas être réexaminées dans le cadre d’un pourvoi. Il serait erroné de soutenir qu’il n’existe pas de différence entre une vente à un tiers et une livraison intragroupe. L’entrée réelle sur le marché – soit la première «vente réelle» – interviendrait au moment et à l’endroit où l’entreprise vend le produit fini.

    14.

    Par la deuxième branche, concernant l’arrêt Europa Carton/Commission (T‑304/94, EU:T:1998:89), la requérante estime que la Commission a méconnu cet arrêt, en ce que, au lieu de traiter les ventes intragroupes de la même manière que les ventes à des tiers, celle‑ci a appliqué à certains destinataires de la décision litigieuse un critère différent pour déterminer le lieu de leurs ventes intragroupes.

    15.

    La Commission estime que l’arrêt Europa Carton/Commission (T‑304/94, EU:T:1998:89) confirme qu’elle peut tenir compte de la valeur d’un produit faisant l’objet d’une entente, indépendamment de la question de savoir si un participant à cette entente vend directement le produit en question sur le marché ou l’incorpore préalablement dans un autre produit fini. En revanche, cet arrêt n’obligerait pas la Commission à considérer le lieu de la livraison interne comme étant le lieu de vente du produit cartellisé aux fins d’évaluer le lien avec le territoire de l’EEE.

    16.

    Par la troisième branche, concernant l’arrêt Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:447, ci‑après l’«arrêt ‘Pâte de bois I’»), la requérante fait valoir qu’il découle de cet arrêt que la compétence de l’Union s’étend non pas à toute vente réalisée au sein de l’EEE, mais uniquement aux ventes réalisées dans l’EEE du produit pertinent relevant de l’action concertée ayant fait l’objet de la constatation d’infraction.

    17.

    Selon la Commission, le Tribunal aurait à bon droit conclu que ledit arrêt n’empêchait pas la Commission de tenir compte, aux fins du calcul de l’amende, des «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés» réalisées par InnoLux.

    18.

    Par la quatrième branche, concernant l’arrêt Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission (6/73 et 7/73, EU:C:1974:18), la requérante estime qu’il est contraire à cet arrêt de considérer que les livraisons intragroupes de LCD à des installations de production situées dans l’EEE, comme dans le cas de Samsung, ne sont pas des ventes au sein de l’EEE lorsque les produits finis, dans lesquels les LCD sont incorporés, sont vendus en dehors de l’EEE.

    19.

    La Commission estime que la requérante fait une lecture erronée dudit arrêt. Cet arrêt examinerait en effet le champ d’application ratione materiæ de l’article 102 TFUE, mais ne traiterait pas du calcul des amendes dans les affaires d’entente et ne serait donc d’aucune aide à la thèse principale de la requérante selon laquelle la Commission était tenue pour le calcul de l’amende d’ignorer les ventes de LCD réalisées par InnoLux dans l’EEE au travers de produits finis.

    20.

    Par la cinquième branche, concernant l’application extraterritoriale des règles de concurrence de l’Union, la requérante soutient que le critère utilisé par la Commission et le Tribunal pour identifier le lieu de ses livraisons intragroupes entraîne un risque de sanctions concurrentes et de conflit de compétence avec d’autres autorités de concurrence.

    21.

    La Commission estime que la présente branche est irrecevable, étant donné que cet argument est soulevé pour la première fois dans le cadre du pourvoi. Ledit argument serait, en tout état de cause, hypothétique et non fondé. En toute logique, il ne pourrait y avoir qu’une seule première «vente réelle».

    2. Analyse

    22.

    Je suis d’avis que tous ces arguments sont interconnectés et se recoupent d’une telle manière qu’il est indispensable de les examiner ensemble.

    a) Absence de distinction dans la prise en compte des ventes selon qu’elles sont réalisées avec des tiers indépendants ou avec des entités du même groupe

    23.

    Le point 13 des lignes directrices de 2006 dispose que, «[e]n vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte [...] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE» (c’est moi qui souligne).

    24.

    En l’espèce, pour calculer l’amende à infliger à la requérante, la Commission a pris en compte, par le biais de la notion – utilisée, d’ailleurs, par la Commission pour la première fois (voir point 2 des présentes conclusions pour les affaires ultérieures) – de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», la fraction de la valeur des ventes internes de LCD de la requérante qui pouvait correspondre à la valeur des LCD intégrés dans les produits finis, pourvu que ces derniers aient été vendus par la requérante à des entreprises tierces établies dans l’EEE. En effet, toutes les ventes internes des LCD visés par l’infraction ont été réalisées par la requérante en dehors de l’EEE à des entités relevant du même groupe, qui les ont intégrés dans des produits finis (ordinateurs et téléviseurs) et ont ensuite vendu ces derniers dans l’EEE à des entreprises tierces indépendantes.

    25.

    Ainsi que la Cour l’a récemment confirmé dans l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, points 57 à 59; voir également mes conclusions dans cette affaire, C‑580/12 P, EU:C:2014:272, points 21 et suivants), d’une part, «le point 13 des lignes directrices de 2006 a pour objectif de retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète l’importance économique de l’infraction et le poids relatif de cette entreprise dans celle‑ci» et, d’autre part, la Cour juge qu’il est important que l’amende soit en «relation réelle avec le champ d’application de l’entente en cause» et que «la partie du chiffre d’affaires global provenant de la vente des produits qui font l’objet de l’infraction est la mieux à même de refléter l’importance économique de cette infraction. Il n’y a donc pas lieu d’opérer une distinction parmi ces ventes selon qu’elles ont été effectuées avec des tiers indépendants ou avec des entités appartenant à une même entreprise. Ne pas tenir compte de la valeur des ventes relevant de cette dernière catégorie reviendrait nécessairement à avantager, sans justification, les sociétés intégrées verticalement en leur permettant d’échapper à une sanction proportionnée à leur importance sur le marché des produits faisant l’objet de l’infraction» (c’est moi qui souligne).

    26.

    À cet égard, il a été jugé dans le même arrêt (point 57) que la notion de «valeur des ventes» visée au point 13 des lignes directrices de 2006, si elle ne peut être comprise comme ne visant que le chiffre d’affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu’elles ont réellement été affectées par cette entente, «ne saurait [...] s’étendre jusqu’à englober les ventes réalisées par l’entreprise en cause qui ne relèvent pas du champ d’application de l’entente reprochée» ( 7 ).

    27.

    J’ajoute dans ce contexte que, ainsi que le Tribunal l’a jugé à juste titre au point 66 de l’arrêt Team Relocations e.a./Commission (T‑204/08 et T‑212/08, EU:T:2011:286), «il résulte d’une jurisprudence constante que la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur d’une infraction sur le marché concerné [...]. En particulier, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence [...]. Ce principe a été repris dans les lignes directrices de 2006». Cet arrêt a été confirmé par la Cour dans l’arrêt Team Relocations e.a./Commission (C‑444/11 P, EU:C:2013:464).

    28.

    Or, en l’espèce, il est constant que les ventes de produits finis effectuées par les entités relevant du groupe de la requérante à des tiers indépendants dans l’EEE, qui ont été prises en compte pour calculer l’amende à infliger à la requérante, n’ont pas été réalisées sur le marché pertinent concerné par l’infraction constatée dans la décision litigieuse. Si la Cour a confirmé une fois pour toutes dans l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363) que la Commission n’est pas fondée à faire une distinction entre les ventes internes et externes, elle n’est pas non plus fondée, en principe, à ne traiter que les ventes externes comme des «ventes réelles» ( 8 ).

    29.

    Alors que le Tribunal reconnaît lui‑même au point 74 de l’arrêt attaqué que l’approche retenue par la Commission en l’espèce était difficilement conciliable avec la jurisprudence, se pose dès lors la question de savoir si et dans quelle mesure le Tribunal, à défaut de transposer purement et simplement la jurisprudence ( 9 ), était en droit, pour reprendre ses termes, de l’«adapter»«aux circonstances de l’espèce», caractérisées par le fait que la requérante est une entreprise verticalement intégrée qui incorporait à l’extérieur de l’EEE des LCD cartellisés dans des produits finis vendus dans l’EEE, «afin d’atteindre le but, visé par ladite jurisprudence, de ne pas privilégier les entreprises verticalement intégrées qui ont participé à une entente» (point 74 de l’arrêt attaqué).

    30.

    Or, il n’en reste pas moins que la méthodologie suivie en l’espèce par la Commission revient à prendre en compte des ventes (internes) du produit concerné qui ont été intégralement réalisées en dehors de l’EEE et que, à ce titre, cette méthodologie doit à mon avis être vue comme une extension de la compétence territoriale de la Commission à l’égard d’une entente formée et mise en œuvre dans des pays tiers, au seul motif que la Commission «suppose» que cette entente produit certains effets dans l’EEE en raison des ventes, dans ce territoire, à des entreprises tierces indépendantes de produits finis intégrant le produit concerné ( 10 ).

    31.

    En effet, en l’occurrence, dès lors que les ventes (internes) du produit faisant l’objet de l’infraction par la requérante n’ont pas eu lieu dans l’EEE et que les produits finis intégrant ceux‑ci qui ont été vendus dans l’EEE par des entités relevant du groupe de la requérante ne font pas l’objet de l’infraction, il est difficile, voire impossible, de soutenir que l’entente a été «mise en œuvre» dans l’EEE au sens de l’arrêt «Pâte de bois I» (points 13, 16 et 17 de cet arrêt).

    32.

    Il convient de relever le caractère critiquable des efforts déployés par la Commission dans la décision litigieuse (considérants 9 et 381) pour distinguer les ventes intragroupes «réelles», c’est‑à‑dire pouvant être prises en compte en tant que telles pour le calcul de l’amende, et celles qui ne le seraient pas, c’est‑à‑dire pouvant être ignorées et remplacées par les ventes «réelles» à des tiers de LCD intégrés à un produit fini, le soi‑disant «produit transformé». En l’espèce, InnoLux pourrait être poursuivie par une autorité de concurrence en Asie pour exactement les mêmes ventes que celles en cause ici.

    33.

    D’ailleurs, la Commission semble avoir oublié que, à juste titre, le Tribunal a déjà rejeté un argument analogue, avancé par la partie requérante dans l’arrêt Europa Carton/Commission (T‑304/94, EU:T:1998:89, points 113 et 121 à 123), à savoir que les livraisons internes ne devraient pas être prises en compte, parce qu’elles ne constituaient pas une «vente réelle». Comme je l’ai indiqué, cette approche a été récemment confirmée par la Cour dans l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363).

    34.

    En conclusion, je pense que les ventes internes doivent être prises en compte comme les ventes à des tiers, mais exclues si elles interviennent en dehors du territoire de l’Union, ce qui m’amène à examiner l’affaire sous l’angle du champ d’application territorial du droit de l’Union.

    b) Champ d’application territorial du droit de l’Union

    35.

    Il peut être intéressant à ce stade de dresser un parallèle entre les règles en cause ici et celles applicables aux États‑Unis. Contrairement à la section 1 de la Sherman Act, loi américaine qui interdit, d’une manière générale, toute combinaison pour limiter le commerce entre plusieurs États ou nations étrangères et ne prévoit pas de limitation géographique, l’article 101 TFUE interdit, expressément, «tous accords entre entreprises [...] et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur» (c’est moi qui souligne). La même règle ressort mutatis mutandis du libellé de l’article 102 TFUE («d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur»).

    36.

    C’est, en effet, en analysant le libellé même de l’article 101 TFUE (à l’époque, article 85 CE) que la Cour a jugé, en substance, dans l’arrêt «Pâte de bois I» (points 11 et suivants) qu’une pratique concertée n’est susceptible de restreindre le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun et donc d’entrer dans le champ d’application territorial de l’article 85 CE que si elle concernait des ventes du produit pertinent directement à des acheteurs établis dans la Communauté et que les vendeurs se livraient à une concurrence de prix pour emporter les commandes de ces clients.

    37.

    La Cour a conclu en ce sens sur base de l’analyse du libellé de l’article 85 CE en ajoutant que, «[d]ans ces conditions, la compétence de la Communauté pour appliquer ses règles de concurrence à l’égard de tels comportements est couverte par le principe de territorialité qui est universellement reconnu en droit international public» (point 18 du même arrêt). L’article 101 TFUE (ou, d’ailleurs, l’article 102 TFUE) ne soulève donc pas de questions de compétence territoriale au regard du droit international public parce que précisément, vu la façon dont il est libellé, il n’est tout simplement pas censé être appliqué d’une façon extraterritoriale.

    38.

    C’est pour cette raison qu’il n’est pas nécessaire d’avoir dans l’Union l’équivalent de la loi américaine intitulée «The Foreign Trade Antitrust Improvements Act» qui introduit par la voie législative le test dit des «effets qualifiés» pour exclure de la section 1 de la Sherman Act des comportements constatés à l’étranger et qui n’ont pas «d’effet direct, substantiel et raisonnablement prévisible sur le commerce américain». En effet, au contraire de la Sherman Act, le libellé des articles 101 TFUE et 102 TFUE indique clairement que ces derniers ne concernent que des pratiques limitant la concurrence au sein et non en dehors de l’Union.

    39.

    Dans ce contexte, je fais référence à la récente affaire Motorola Mobility v. AU Optronics (no 14‑8003) portée devant la US Court of Appeals (7th Circuit), et qui concernait la même entente mondiale que celle qui est à l’origine du présent pourvoi. Cette affaire soulevait des questions et présentait des faits analogues à celles et à ceux en question ici, notamment, l’application extraterritoriale du droit (américain en l’occurrence) de la concurrence. Dans cette affaire, Motorola, établie aux États‑Unis, accusait un cartel international (le même qu’ici), d’une violation de la Sherman Act pour entente sur le prix des LCD vendus à certaines de ses filiales, établies hors du territoire américain, qui les avaient incorporés dans des produits finis, puis livrés à leur société mère aux États‑Unis.

    40.

    Dans une «amicus curiae brief» adressée à la U.S. Court of Appeals, l’autorité belge de la concurrence ( 11 ) plaide en faveur d’une interprétation restrictive de la compétence territoriale du droit antitrust américain en application du principe de courtoisie internationale (comitas gentium) et relève qu’une application extensive du droit américain aurait pour effet de saper (l’efficacité de) l’application du droit belge et du droit européen de la concurrence ainsi que de celui des autres pays. Des «amicus curiae briefs» similaires ont été présentés dans cette affaire, notamment par Taïwan et le Japon.

    41.

    Dans l’arrêt rendu quelques mois après l’arrêt attaqué, la U.S. Court of Appeals a rejeté la plainte de Motorola et jugé que la Sherman Act n’était pas applicable, au motif que les effets du cartel sur le marché américain – à supposer qu’ils soient substantiels et raisonnablement prévisibles – étaient de nature «indirecte», dès lors que les participants à l’entente ne vendaient pas les LCD aux États‑Unis, mais que ceux‑ci étaient vendus à l’étranger à des entreprises (des filiales de Motorola) qui les incorporaient dans des produits ensuite exportés et revendus aux États‑Unis. Elle souligna également le risque de donner un champ d’application trop vaste à la Sherman Act.

    42.

    Ce qui précède montre que, dans la présente affaire également, une interprétation extensive du champ d’application territorial du droit de la concurrence de l’Union risquerait d’entraîner des conflits de compétence avec des autorités de concurrence étrangères ainsi que des doubles incriminations pour les entreprises.

    43.

    Les juridictions de l’Union ont d’ailleurs toujours reconnu l’importance du strict respect de la compétence territoriale ( 12 ) en vue d’éviter la violation du principe non bis in idem ( 13 ), consacré par l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il ressort de l’arrêt SGL Carbon/Commission (C‑308/04 P, EU:C:2006:433, notamment, points 29 et 32) que la Cour a considéré que le dépassement par une autorité de concurrence de sa compétence territoriale entraîne un risque de sanctions concurrentes pour les entreprises visées par l’enquête. En l’espèce, si la Commission inflige une amende pour une transaction concernant un composant livré dans un pays non‑membre de l’EEE au motif qu’un produit fini incorporant ce composant a été vendu dans l’EEE, la même transaction pourrait être sanctionnée deux fois. La première fois dans l’État non‑membre de l’EEE où le composant a été livré, puis une seconde fois dans l’EEE (en application de l’approche de la Commission selon laquelle ce composant est incorporé dans un produit fini ayant fait l’objet d’une vente finale dans l’EEE).

    44.

    Il me semble que, sauf démonstration complémentaire d’effets qualifiés de l’entente dans l’EEE, la Commission va trop loin quand elle sanctionne des ententes sur des produits fabriqués et vendus hors de l’EEE, pour la seule raison qu’ils sont ensuite «transformés» ou intégrés à d’autres produits qui (dans leur totalité ou pour une partie d’entre eux) arrivent dans l’EEE.

    c) Des effets de l’entente dans l’EEE au travers des produits finis: les critères «d’effets qualifiés» et de «mise en œuvre»

    45.

    Je relève que, initialement, au départ de la procédure d’infraction, la Commission avait qualifié les ventes en cause ici de «ventes EEE indirectes» (voir considérants 391 et suivants de la décision litigieuse). Ce n’est qu’après qu’elle a décidé de les qualifier plutôt de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés» ( 14 ). Était‑ce là un effort de la Commission de mieux justifier l’utilisation d’un nouveau concept?

    46.

    En tout état de cause, à mon avis, il n’est pas possible de considérer que les ventes dans l’EEE de produits finis, incorporant des LCD, effectuées par des unités du groupe InnoLux établies en dehors de l’EEE constituent au sens de l’arrêt «Pâte de bois I» la mise en œuvre dans l’EEE de l’entente de prix portant sur la vente des LCD. En effet, il n’est pas possible d’assimiler de telles ventes à des ventes dans l’EEE de LCD à des prix cartellisés. D’une part, la vente des produits finis eux‑mêmes ne peut être caractérisée comme la mise en œuvre dans l’EEE du cartel LCD, les ventes de produits finis incorporant des LCD n’entrant pas dans le champ de la violation de l’article 101 TFUE constatée par la Commission. D’autre part, les LCD incorporés eux‑mêmes n’ont pas fait l’objet d’une vente à des prix coordonnés dans l’EEE. En l’espèce, la «mise en œuvre» s’est déroulée hors de l’EEE lors de la livraison des LCD aux entités qui les ont incorporés dans des produits finis.

    47.

    Traiter de façon différente, du point de vue du champ d’application de l’article 101 TFUE, les ventes indirectes de LCD dans l’EEE selon que les «produits transformés» sont mis sur le marché par des entreprises tierces qui ont acquis ces LCD auprès de membres de l’entente ou qu’ils sont mis sur le marché par des filiales de membres de l’entente qui ont acquis les LCD à la suite de livraisons au sein d’un groupe verticalement intégré aurait pour conséquence de désavantager ces derniers par rapport à des fabricants des LCD qui ne sont pas intégrés en aval ( 15 ).

    48.

    Il est donc clair que la seule justification de la compétence de la Commission vis‑à‑vis des ventes en cause ne pourrait être apportée ici qu’en appliquant le critère des «effets qualifiés».

    i) Le critère des «effets qualifiés» en général

    49.

    Plusieurs avocats généraux ont plaidé pour la reconnaissance de ce critère par la Cour, ce qui permettrait d’appliquer le droit de la concurrence de l’Union à des comportements ou des accords anticoncurrentiels constatés à l’extérieur de l’EEE mais ayant des répercussions sur le territoire de l’EEE. Ce fut notamment le cas de l’avocat général Mayras dans ses conclusions dans l’affaire Imperial Chemical Industries/Commission (48/69, EU:C:1972:32) (où l’entente avait des effets directs et immédiats, substantiels et prévisibles dans la Communauté) et de l’avocat général Darmon dans ses conclusions dans les affaires jointes Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:258) ( 16 ).

    50.

    La Commission elle‑même affirme depuis longtemps que le critère des «effets qualifiés» fixe la limite extérieure de sa compétence ( 17 ).

    51.

    Dans son arrêt Gencor/Commission (T‑102/96, EU:T:1999:65, point 92), le Tribunal a également eu recours à ce critère en exigeant dans le cadre d’une contestation de la compétence de la Commission pour appliquer le règlement relatif au contrôle des opérations de concentration entre les entreprises à une opération réalisée entre des entités établies en dehors de la Communauté ( 18 ), qu’il s’agisse d’un «effet immédiat, substantiel et prévisible». Je ne vois par ailleurs aucune raison de limiter l’application de ce critère aux seules opérations de concentration ( 19 ).

    52.

    Le Tribunal a également relevé dans l’arrêt Haladjian Frères/Commission ( 20 ) à propos d’«un accord concernant des produits achetés aux États‑Unis pour être vendus dans [l’Union que] [...] [l]e simple fait qu’un comportement produise certains effets, quels qu’ils soient, sur l’économie de [l’Union] ne constitue pas en soi un lien suffisamment étroit pour permettre de fonder la compétence de [l’Union]. Pour pouvoir être pris en compte, il faut que cet effet soit substantiel, c’est‑à‑dire sensible et non négligeable».

    53.

    Il est vrai que si la Cour n’a jamais rejeté le critère des «effets qualifiés», elle ne s’est non plus jamais expressément prononcée sur la possibilité d’y recourir ( 21 ). Même si j’y suis favorable, le problème ne se posera pas dans le présent pourvoi, car, selon moi, la démonstration faite par la Commission d’effets qualifiés de l’entente sur la concurrence à l’intérieur de l’EEE est largement insuffisante.

    ii) Démonstration «d’effets qualifiés» dans la présente affaire?

    54.

    L’EEE étant le marché protégé par les règles applicables en l’espèce, il est a priori difficile de relier les ventes en Asie en cause en l’espèce aux règles de concurrence de l’EEE ou à la structure de la concurrence dans l’EEE des produits visés par l’infraction, à moins de conclure, au travers d’une analyse du marché du produit fini dans l’EEE, que l’entente sur le marché asiatique portant sur les LCD cartellisés a également provoqué une distorsion de la concurrence sur le marché des produits finis dans l’EEE. Or, dans la décision litigieuse, la Commission ne procède pas de cette manière et n’indique ni ne démontre à suffisance de droit que le jeu de la concurrence aurait été faussé dans l’EEE sur le marché de produits finis ni même que l’infraction s’étendrait à la fixation des prix ou à la vente des produits finis auxquels des LCD cartellisés ont été intégrés.

    55.

    La Commission n’a constaté dans la décision litigieuse qu’une infraction à l’article 101 TFUE ( 22 ) se rapportant aux seuls LCD (voir considérants 1 et 377 de la décision litigieuse), en observant simplement que «[l]es ventes d’écrans LCD à des clients intragroupes faisaient partie des discussions de l’entente en l’espèce» et que l’on pouvait «raisonnablement supposer qu’une entente mise en œuvre avait des effets sur les ventes directes par le biais des produits transformés» (considérant 394 de la décision litigieuse; c’est moi qui souligne), ce qui n’équivaut certainement pas à une démonstration d’effets qualifiés de l’entente sur le marché de l’EEE.

    56.

    D’une part, il est clair que (la constatation de) l’infraction ne concerne pas directement les produits finis. D’autre part, il ressort du dossier soumis à la Cour qu’elle ne les concerne pas non plus indirectement. Les lignes directrices de 2006 indiquent en effet clairement que le mot «indirecte» qui figure au point 13 de celles‑ci est destiné à couvrir les cas dans lesquels, «par exemple pour les accords de prix […] portant sur un produit donné, [...] le prix de ce produit sert ensuite de base pour le prix de produits de qualité supérieure ou inférieure» ( 23 ). Cette situation ne se présente pas en l’espèce. Il ne ressort pas du dossier que les prix cartellisés d’un LCD constituent un prix de référence des LCD de qualité supérieure ou inférieure. Il ne ressort pas non plus du dossier qu’ils servent de référence pour les prix des produits finis qui les incorporent.

    57.

    Le Tribunal a considéré aux points 48 et 49 de l’arrêt attaqué que le choix de la Commission de tenir compte des «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés» était, selon lui, «d’autant plus justifié en l’espèce qu’il ressort[ait] des éléments de preuve contenus dans la décision [litigieuse (considérant 394)], non remis en cause par la requérante, que les ventes de LCD cartellisés internes aux entreprises participant à l’entente se faisaient à des prix influencés par celle‑ci» et que «les participants à l’entente savaient que les prix des LCD cartellisés affectaient ceux des produits finis les intégrant» (voir considérants 92 et 93 de la décision litigieuse). Or, si tel était peut être le cas, il n’en demeure pas moins que ces notions d’«influence» et d’«affectation» ne peuvent suffire à démontrer des «effets qualifiés» dans l’EEE. D’ailleurs, il semble que ces constatations visent l’ensemble des participants à l’entente sans plus faire de distinction entre les ventes intragroupes «réelles», pouvant être prises en compte en tant que telles pour le calcul de l’amende quand elles interviennent dans l’EEE et celles qui ne le seraient pas et pourraient selon la Commission être remplacées par les ventes «réelles» à des tiers de LCD intégrés à un produit fini ( 24 ).

    58.

    En l’espèce, le Tribunal souligne au point 70 de l’arrêt attaqué que la Commission doit pouvoir poursuivre les «répercussions» qu’une entente conçue en dehors de l’EEE a eu «sur le jeu de la concurrence dans le marché intérieur» et infliger «une amende proportionnée à la nocivité de cette entente sur le jeu de la concurrence dans ledit marché». Ainsi, ajoute‑t‑il, «lorsque les LCD cartellisés réalisés par la requérante ont été intégrés dans des produits finis par des sociétés relevant de la même entreprise que la requérante et que ces produits finis ont été vendus dans l’EEE par cette entreprise, il convient de considérer que l’entente a affecté les transactions qui se sont déroulées jusqu’au moment de cette vente inclus». Cette conclusion me paraît pour le moins hâtive dans la mesure où la Commission n’a pas établi qu’une infraction portant sur la fixation du prix des LCD a nécessairement un effet sur la fixation du prix des produits finis. De plus, de nombreux producteurs de produits finis n’étaient pas impliqués dans la procédure qui a abouti à la décision litigieuse. La déclaration de la Commission au considérant 394 de la décision litigieuse (considérant 389 de la version française), selon laquelle «on peut raisonnablement supposer qu’une entente mise en œuvre avait des effets sur les ventes directes par le biais des produits transformés» n’est, ainsi que la Commission l’admet elle‑même, qu’une hypothèse, la Commission n’avançant dans la décision litigieuse aucune preuve de ce que la vente des produits finis aurait été affectée à suffisance de droit pour que l’on puisse parler d’«effets qualifiés» dans l’EEE de l’entente en cause, notion qui à tout le moins exige des effets immédiats, substantiels et prévisibles et non simplement possibles ou supposés.

    59.

    Si la Commission veut inclure les ventes en cause dans le calcul de l’amende, elle «ne peut se limiter à fournir une simple présomption, mais doit apporter [...] des indices concrets, crédibles et suffisants permettant d’apprécier l’influence effective que l’infraction a pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché» (voir arrêt Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 82). Il n’est donc pas suffisant pour la Commission de se baser sur la présomption de l’existence de pareils effets et on peut même se demander si la Commission a cherché à vérifier et à mesurer l’impact de l’entente sur le marché des produits finis dans l’EEE.

    60.

    Pour la requérante, un autre problème posé par la notion de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés» provient du fait qu’elle déplace artificiellement le lieu de la transaction en cause du lieu où le LCD a effectivement été livré et utilisé à celui où le produit fini, dans lequel ce LCD a été incorporé, a été vendu. Or, le lieu de vente des LCD se situait en Asie et non dans l’EEE. Dès lors, lorsque la Commission assimile la vente du produit fini à celle du LCD qui y est incorporé, elle traite en fait des livraisons internes d’écrans effectuées au sein d’InnoLux, à Taïwan et en Chine, comme si elles avaient été effectuées dans l’EEE, alors qu’elle a considéré que les livraisons intragroupes d’écrans effectuées par Samsung à partir de la Corée du Sud vers ses usines situées dans l’EEE avaient été effectuées en dehors de l’EEE, uniquement parce que Samsung vend en dehors de l’EEE les produits finis dans lesquels ces LCD sont incorporés ( 25 ).

    61.

    Il est vrai comme la Commission le déclare au considérant 383 de la décision litigieuse que «le fait de prendre le critère de la livraison pour établir la valeur des ventes crée un lien fort avec l’EEE», mais comme le Tribunal l’a jugé dans l’arrêt Brouwerij Haacht/Commission (T‑48/02, EU:T:2005:436, point 59, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi), «l’appréciation, pour le calcul de l’amende infligée au titre de l’infraction commise, de la capacité économique effective des auteurs à créer un dommage aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, ne saurait être opérée en référence à des produits autres que ceux ayant fait l’objet de l’entente».

    62.

    Comme le prescrivent d’ailleurs les lignes directrices de 2006, dont la Commission ne peut s’écarter sans justification spécifique et objective compatible notamment avec le principe d’égalité de traitement ( 26 ) (qui n’a pas été fournie en l’espèce), les amendes doivent être basées sur des ventes qui font l’objet de l’infraction. La Commission ne peut donc prendre en compte la vente de produits en aval, à savoir de produits qui ne font pas l’objet de l’infraction même si des produits infractionnels y ont été incorporés en tant que partie composante.

    iii) En tout état de cause, quid du critère de la «mise en œuvre» d’une entente?

    63.

    Dans l’arrêt «Pâte de bois I» (points 16 et 17), la Cour a jugé que l’élément «déterminant» de la compétence de la Commission pour appliquer les interdictions édictées par le droit de la concurrence de l’Union était non pas le lieu de la formation de l’entente, mais celui où l’entente est mise en œuvre ( 27 ). Au point 18 de cet arrêt, la Cour a relevé que la compétence de l’Union était «couverte par le principe de territorialité qui est universellement reconnu en droit international public». Or, la Cour avait noté, au point 12 du même arrêt, «que les principales sources d’approvisionnement en pâte de bois [étaient] situées en dehors de la Communauté [...] et que le marché [avait], en conséquence, une dimension mondiale. Lorsque des producteurs de pâte établis dans ces pays [hors de l’Union] effectuent des ventes directement à des acheteurs établis dans la Communauté et lorsqu’ils se livrent à une concurrence de prix pour emporter les commandes de ces clients, il y a concurrence à l’intérieur du marché commun» (c’est moi qui souligne). Ce n’est que lorsque «ces producteurs se concertent sur les prix qu’ils consentiront à leurs clients établis dans la Communauté et mettent en œuvre cette concertation en vendant à des prix effectivement coordonnés [qu’ils] participent à une concertation qui a pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, au sens de l’article 85 du traité» (point 13 de l’arrêt «Pâte de bois I»; c’est moi qui souligne), et la Cour de conclure que, «en l’espèce, les producteurs [avaient] mis en œuvre leur entente de prix à l’intérieur du marché commun» (point 17 dudit arrêt).

    64.

    Pour examiner l’applicabilité du droit de la concurrence de l’Union, le point de départ consiste donc à identifier le lieu où la concurrence pour le produit concerné par la concertation s’exerce.

    65.

    Ce qui déclenche la compétence de l’Union en vertu du critère de la mise en œuvre développée dans l’arrêt «Pâte de bois I» c’est une vente, dans l’EEE, du produit pertinent relevant de l’action concertée, en l’occurrence des LCD ( 28 ). Or, la décision litigieuse ne constate aucune action concertée en ce qui concerne des produits finis intégrant des LCD fabriqués par les participants à l’entente. Le Tribunal méconnaît également le critère énoncé dans l’arrêt «Pâte de bois I» lorsqu’il indique, au point 46 de l’arrêt attaqué, que les ventes de produits finis intégrant des LCD «nui[sent] au jeu de la concurrence dans l’EEE». Il suffit de relever que les ventes de produits finis ne sont pas réalisées sur le marché de l’EEE concerné par l’infraction, à savoir le marché des LCD. Enfin, contrairement à ce que le Tribunal déclare au point 47 de l’arrêt attaqué, il ne suffit pas d’identifier les «ventes présentant un lien [quelconque] avec l’EEE» pour établir l’applicabilité territoriale du droit de la concurrence de l’Union en vertu du critère énoncé dans l’arrêt «Pâte de bois I». Ce qui doit être démontré, c’est l’existence de ventes, au sein de l’EEE, du produit concerné par l’infraction, à savoir les LCD et la vente d’un produit distinct qui intègre un LCD en tant que composant qui ne fait pas lui‑même l’objet de la vente ne remplit pas cette condition.

    66.

    Enfin, je pense que, dans le contexte de la question de compétence territoriale qui se pose en l’espèce, la Commission était obligée d’interpréter les lignes directrices de 2006 d’une manière restrictive – a fortiori si je rappelle que «la procédure par laquelle une amende est infligée [par la Commission] pour violation de l’interdiction d’accords de fixation des prix et de répartition des marchés énoncée à l’article 81, paragraphe 1, CE relève du ‘volet pénal’ de l’article 6 de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950], telle qu’elle a été dégagée progressivement par la Cour européenne des droits de l’homme» ( 29 ).

    67.

    Il résulte de tout ce qui précède que le premier moyen doit être accueilli.

    68.

    Partant, il est nécessaire d’annuler l’arrêt attaqué en tant que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que les livraisons intragroupes de LCD aux usines de la requérante en Chine et à Taïwan relèvent du champ d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord sur l’EEE au seul motif que les produits finis dans lesquels les LCD sont incorporés en tant que composants dans les usines en question sont vendus dans l’EEE par la requérante.

    B – Sur le second moyen, relatif à la discrimination alléguée par rapport à d’autres participants à l’entente

    69.

    Par la première branche, concernant le recours à la notion d’«entreprise unique» en tant que critère distinctif, la requérante fait valoir que la distinction opérée par le Tribunal entre les entreprises verticalement intégrées selon qu’elles forment ou non une entreprise unique avec leurs acheteurs associés n’est fondée sur aucune différence pertinente. Ainsi, dans l’arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission (T‑128/11, EU:T:2014:88), le Tribunal, afin de rejeter l’argument de LGD selon lequel les ventes de LCD à ses sociétés mères devraient être exclues, n’aurait pas invoqué le fait que les ventes en question étaient effectuées au sein d’une entreprise unique. La requérante se réfère également au point 140 de cet arrêt et fait valoir qu’il n’y aurait aucune logique à distinguer des sociétés verticalement intégrées selon que leurs ventes pertinentes sont effectuées à destination de filiales associées ou de sociétés mères associées.

    70.

    La Commission soutient que l’argumentation de la requérante n’est pas fondée.

    71.

    Il convient tout d’abord de relever que le second moyen soulevé par la requérante n’étant pas susceptible d’entraîner une annulation plus étendue, il n’y aurait normalement pas lieu de l’examiner ( 30 ). C’est uniquement par souci d’exhaustivité et à titre subsidiaire (pour le cas où la Cour déciderait de ne pas suivre mes conclusions sur le premier moyen) que j’examine le second.

    72.

    En tout état de cause, force est de constater que la distinction faite par le Tribunal entre les participants à l’entente selon le critère de la notion d’«entreprise», au sens de l’article 101 TFUE, afin de déterminer ceux qui constituent des entreprises verticalement intégrées avec leurs acheteurs et ceux qui demeurent autonomes par rapport à ces derniers, trouve un fondement solide dans la jurisprudence ( 31 ).

    73.

    En dehors de questions liées, notamment, à la compétence extraterritoriale de la Commission et à la jurisprudence y afférente qui sont examinées en détail dans l’analyse du premier moyen, je pense que, pour distinguer les livraisons intragroupes des ventes à des tiers, la Commission et le Tribunal n’ont pas établi une distinction arbitraire. En effet, en l’espèce, ils ont simplement distingué les entreprises verticalement intégrées de celles qui ne l’étaient pas et aux fins d’opérer cette distinction, contrairement au droit de la concurrence américain, la notion (objective) d’«entreprise unique» est tout‑à‑fait pertinente en droit de l’Union. À mon avis, la présente branche devrait être rejetée pour ce seul motif.

    74.

    En outre, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la situation de LGD était différente de celle des entreprises verticalement intégrées telles qu’InnoLux. En effet, LGD constituait une entreprise distincte de ses sociétés mères. Du fait de l’absence d’intégration verticale, toutes les ventes de LCD faites par LGD à ces dernières dans l’EEE ont été prises en considération, aux fins du calcul de l’amende, en tant que «ventes EEE directes». La notion d’«entreprise unique» a donc permis d’établir une distinction objective entre des situations différentes.

    75.

    Il s’ensuit que la première branche du second moyen doit être rejetée comme non fondée.

    76.

    Dans la seconde branche de ce second moyen, concernant les erreurs alléguées concernant la méthode appliquée aux livraisons intragroupes de LCD effectuées par LGD et AUO, la requérante estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en invoquant, aux points 93 et 94 de l’arrêt attaqué, le principe de légalité pour rejeter ses arguments tirés du principe de l’égalité de traitement. En effet, il résulterait de l’arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a. (C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479) que ce n’est que lorsqu’une partie demande le bénéfice d’une méthode de calcul illégale de l’amende que le principe de légalité pourrait être invoqué pour lui refuser ce bénéfice. Or, en l’espèce, la requérante aurait été privée du bénéfice d’une méthode parfaitement légale de calcul de l’amende. La méthode appliquée aux livraisons intragroupes de LCD effectuées par LGD et AUO serait en effet celle que le Tribunal et la Cour ont confirmée dans les arrêts Europa Carton/Commission (T‑304/94, EU:T:1998:89) et KNP BT/Commission (C‑248/98 P, EU:C:2000:625). Le Tribunal lui‑même, dans l’arrêt LG Display et LG Display Taiwan/Commission (T‑128/11, EU:T:2014:88) aurait confirmé la légalité de cette méthode et, partant, se contredirait.

    77.

    La Commission soutient que l’argumentation de la requérante est dépourvue de fondement.

    78.

    À mon avis, cette branche du second moyen vise à contester des motifs surabondants de l’arrêt attaqué et, partant, devrait être rejetée comme inopérante. En effet, même si la Commission avait conclu à tort que ni LGD, LG Electronics et Philips ni AUO et BenQ ne formaient une entreprise unique, cela ne pourrait profiter à la requérante.

    79.

    En tout état de cause, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, elle a, en l’espèce et contrairement à la situation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a. (C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479), appliqué la même méthode (de l’entreprise unique) à l’ensemble des participants à l’entente. Il suffit de constater que rien dans cet arrêt ne permet de dire que le Tribunal aurait également dû déterminer, dans le cadre du recours en annulation introduit par InnoLux, si la Commission avait appliqué correctement la méthode retenue à LGD et à AUO.

    80.

    Il s’ensuit que la seconde branche du second moyen doit être rejetée comme inopérante et, en tout état de cause, non fondée. Partant, ce moyen doit être rejeté.

    IV – Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué ainsi que sur les dépens

    81.

    Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer définitivement sur le litige lorsque celui‑ci est en état d’être jugé. Tel est le cas en l’espèce, car la Cour dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le recours.

    82.

    L’amende réduite fixée par le Tribunal (avant arrondissement) était de 288437850 euros (point 163 de l’arrêt attaqué; voir, à cet égard, note 6 des présentes conclusions). Il convient donc de déduire de cette somme la part de l’amende attribuable aux «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», qui s’élève à 114681174 euros. Le montant de base total de l’amende (avant arrondissement) s’établit donc à 173756676 euros. Cette somme doit ensuite être arrondie ( 32 ) au montant final de 173000000 euros. J’ajoute que la Commission n’a pas contesté ces données chiffrées fournies par la requérante dans son pourvoi.

    83.

    En ce qui concerne les dépens, dès lors qu’il est partiellement fait droit au pourvoi d’InnoLux, il convient de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du présent pourvoi, la moitié de ceux exposés par InnoLux dans le cadre de ces deux procédures. InnoLux supportera la moitié de ses propres dépens afférents à celles‑ci.

    V – Conclusion

    84.

    Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour:

    d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne InnoLux/Commission (T‑91/11, EU:T:2014:92) en tant qu’il a confirmé que l’amende infligée à InnoLux Corp. pouvait légalement prendre en compte la valeur des livraisons intragroupes d’écrans d’affichage à cristaux liquides à matrice active aux usines d’InnoLux Corp. en Chine et à Taïwan et y subséquemment incorporés dans des produits finis vendus dans l’Espace économique européen, et a de ce fait commis une erreur de droit;

    d’annuler la décision C(2010) 8767 final de la Commission, du 8 décembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (Affaire COMP/39.309 – LCD), en ce qu’elle a infligé l’amende à InnoLux Corp. en prenant en compte la valeur des livraisons intragroupes d’écrans d’affichage à cristaux liquides à matrice active aux usines d’InnoLux Corp. en Chine et à Taïwan et subséquemment incorporés dans des produits finis vendus dans l’Espace économique européen;

    de fixer le montant de l’amende infligée à InnoLux Corp. à 173000000 d’euros;

    de rejeter le pourvoi pour le surplus, et

    de condamner la Commission européenne à supporter, outre ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du pourvoi, la moitié de ceux exposés par InnoLux Corp. dans le cadre de ces deux procédures et de condamner InnoLux Corp. à supporter la moitié de ses propres dépens afférents auxdites procédures.

    85.

    À titre subsidiaire, si la Cour choisit de ne pas suivre mes conclusions sur le premier moyen et le rejette, je lui proposerai alors de rejeter le pourvoi dans son ensemble et de condamner InnoLux Corp. à supporter les dépens de la présente procédure.


    ( 1 ) Langue originale: le français.

    ( 2 ) T‑91/11, EU:T:2014:92, ci‑après l’«arrêt attaqué». La présente affaire peut être lue en parallèle avec l’affaire LG Display et LG Display Taiwan/Commission (C‑227/14 P), pendante devant la Cour lors de la rédaction des présentes conclusions, qui porte sur la même entente, même si ces affaires soulèvent des questions d’une nature différente.

    ( 3 ) Décision du 8 décembre 2010 relative à une procédure d’application de l’article [101 TFUE] et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (Affaire COMP/39.309 – LCD) (ci‑après la «décision litigieuse»), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 7 octobre 2011 (JO C 295, p. 8).

    ( 4 ) Voir méthode appliquée par la Commission, notamment, points 8 et 24 des présentes conclusions.

    ( 5 ) Devant la Cour, c’est l’affaire Intel/Commission (C‑413/14 P, voir note 10 des présentes conclusions). Devant le Tribunal, l’entente «Air Freight» [entre autres, l’affaire Japan Airlines International/Commission (T‑36/11)] et l’entente «Cathode Ray Tubes» [entre autres, l’affaire Samsung SDI/Commission (T‑84/13)].

    ( 6 ) Points 155 à 174 de l’arrêt attaqué. Il n’y a pas de chevauchement entre la réduction de l’amende décidée par le Tribunal sur la base de ces erreurs et la catégorie distincte des «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», qui fait l’objet du présent pourvoi.

    ( 7 ) Voir, également, mes conclusions dans l’affaire Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:272, point 44). De plus, voir arrêts Team Relocations e.a./Commission (C‑444/11 P, EU:C:2013:464, point 76), ainsi que Putters International/Commission (T‑211/08, EU:T:2011:289, point 59) qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

    ( 8 ) C’est pourquoi la prétendue nécessité de «ne pas privilégier les entreprises verticalement intégrées qui ont participé à une entente», avancée au point 74 de l’arrêt attaqué, ne constitue pas, en principe, une raison valable pour tenir compte en l’espèce des «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés» (voir, également, point 29 des présentes conclusions).

    ( 9 ) Il convient de préciser qu’il y avait déjà à l’époque une jurisprudence à ce sujet, ainsi que je l’explique dans mes conclusions dans l’affaire Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:272, points 21 et suiv.). Dès lors, le fait que l’arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363) soit postérieur à l’arrêt attaqué ne joue aucun rôle ici.

    ( 10 ) Cette question est, en substance, en cause dans l’affaire Intel/Commission (C‑413/14 P), actuellement pendante devant la Cour, où le cinquième moyen soulevé par la requérante concerne précisément la compétence de la Commission pour appliquer l’article 102 TFUE à l’égard de contrats de vente conclus entre Intel, une société établie aux États‑Unis, et Lenovo, une entreprise chinoise, portant sur des composants, à savoir des microprocesseurs, destinés à être livrés en Chine aux fins de montage sur des ordinateurs que Lenovo fabriquait en Chine, mais susceptibles d’être commercialisés ultérieurement dans l’EEE. En principe, à cet égard, il ne devrait pas y avoir dans le traitement de cette question de différence entre le champ d’application territorial de droit de l’Union dans le contexte du calcul des amendes en cause en l’espèce, d’une part, et la compétence de la Commission pour appliquer les articles 101 TFUE et 102 TFUE, d’autre part.

    ( 11 ) Voir «Brief of Belgian Competition Authority in Motorola Mobility LLC v AU Optronics Corp.», du 10 octobre 2014. Cette autorité y cite l’arrêt d’une cour d’appel belge du 12 mars 2014 dans l’affaire 2013/MR/6 «Brabomills», où cette dernière a annulé l’amende infligée à Brabomills, parce que l’amende n’avait pas été calculée sur les ventes ou le chiffre d’affaires en Belgique, dans la mesure où la cour d’appel n’était pas en mesure d’évaluer si cette amende ne punissait Brabomills que pour l’infraction commise en Belgique ou si elle couvrait également l’infraction commise aux Pays‑Bas, pour laquelle l’entreprise avait déjà été sanctionnée dans ce pays (et ce afin d’éviter une violation du principe non bis in idem).

    ( 12 ) Si des autorités de concurrence étrangères infligent des amendes pour l’application d’une entente ou ses effets dans l’EEE, cela empiéterait sur la compétence territoriale de la Commission. Voir arrêts Tokai Carbon e.a./Commission (T‑236/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, EU:T:2004:118, point 143) ainsi que Hoechst/Commission (T‑410/03, EU:T:2008:211, point 603). De même, si la Commission inflige des amendes qui ne se rapportent pas à l’application d’une entente ou à ses effets qualifiés dans l’EEE, elle excéderait sa compétence.

    ( 13 ) Voir, notamment, arrêts Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (T‑224/00, EU:T:2003:195, point 103) ainsi que Tokai Carbon e.a./Commission (T‑236/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, EU:T:2004:118, point 143) (le pourvoi étant rejeté dans l’arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, EU:C:2006:328). Voir, également, arrêt Showa Denko/Commission (C‑289/04 P, EU:C:2006:431, point 50).

    ( 14 ) Cette appellation est quelque peu contradictoire, puisque les ventes sont à la fois directes et «par l’intermédiaire». Elles n’ont en tous cas en rien le caractère direct de la première catégorie de ventes («ventes EEE directes»).

    ( 15 ) Voir, également, avis du professeur Demaret, P., intitulé «Note relative à l’arrêt du Tribunal InnoLux T‑91/11», annexe ECJ.A.6, joint au pourvoi d’InnoLux.

    ( 16 ) «La Commission ne serait‑elle pas désarmée si, en présence d’une pratique concertée dont l’initiative aurait été prise et la responsabilité assumée exclusivement par des entreprises extérieures au marché commun, elle se trouvait privée de la possibilité de prendre aucune décision à [l’encontre de celles‑ci]? Ce serait, en même temps, renoncer à une protection du marché commun, nécessaire à la réalisation des objectifs majeurs de la Communauté» (point 53).

    ( 17 ) Déjà, dans sa décision 69/243/CEE, du 24 juillet 1969, relative à une procédure au titre de l’article 85 du traité CEE (IV/26.267 – Matières colorants) (JO L 195, p. 11), la Commission soutient que «[t]he competition rules of the Treaty are [...] applicable to all restrictions of competition which produce within the Common Market effects set out in Article 85(1)». Dans la décision 85/202/CEE de la Commission, du 19 décembre 1984, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/29.725 – Pâte de bois) (JO 1985, L 85, p. 1), à son point 79, la Commission indiquait que «[t]he effect of the agreements [...] on prices announced and/or charged to customers and on resale of pulp with the EEC was [...] not only substantial but intended, and was the primary and direct result of the agreements» (le texte en langue anglaise est le seul faisant foi). La décision 85/206/CEE de la Commission, du 19 décembre 1984, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/26.870 – Importations d’aluminium d’Europe de l’Est (JO 1985, L 92, p. 1) a également été expressément basée sur le critère des effets. Voir, également, «the Commission’s Eleventh Report on Competition Policy – 1981», Bruxelles, 1982, point 34, et «the Commission’s Fourteenth Report on Competition Policy – 1984», Bruxelles, 1985, point 60.

    ( 18 ) Voir, également, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:637, point 148).

    ( 19 ) Voir en ce sens, également, arrêt Intel/Commission (T‑286/09, EU:T:2014:547, point 231). La High Court (England and Wales) a aussi abouti à cette conclusion dans l’affaire Adidas/The Lawn Tennis Association e.a., [2006] EWHC 1318 (Ch), points 47 et suiv. Voir également, notamment, Broberg, M. P., «The European Commission’s Extraterritorial Powers in Merger Control», International and Comparative Law Quarterly, 49, 2000, p. 180, et Albors‑Llorens, A., «Collective dominance: A mechanism for the control of oligopolistic markets?», The Cambridge Law Journal, vol. 59, numéro 2, juin 2000, p. 256. D’ailleurs, le critère de la mise en œuvre et celui des «effets qualifiés» ne vont pas toujours aboutir au même résultat. Voir, notamment, Griffin, J. P., «EC and US Extraterritoriality: Activism and Cooperation», 17, Fordham International Law Journal, 1994, p. 353, 360 et suiv.; Schwartz, I., et Basedow, J., «Restrictions on Competition», III‑35 International Encyclopedia of Comparative Law 1, 1995, p. 134 à 139, et Baudenbacher, C., «The CFI’s Gencor Judgment – Some remarks on its global implications», Liber amicorum en l’honneur de B. Vesterdorf, Bruylant, 2007, p. 557.

    ( 20 ) T‑204/03, EU:T:2006:273, point 167, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

    ( 21 ) Ce fut le cas notamment dans l’arrêt «Pâte de bois I», car – contrairement à la présente affaire – le critère de la «mise en œuvre» de l’entente en cause permettait à la Cour de justifier la compétence de la Communauté au regard du principe de territorialité.

    ( 22 ) Également à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3) (pour les besoins des présentes conclusions, je me limite à la seule référence à l’article 101 TFUE).

    ( 23 ) Lignes directrices de 2006, note au point 13. D’ailleurs, en l’espèce, on pourrait se demander si la notion de «ventes par le biais de produits transformés» est appropriée en tant que telle dans la mesure où les produits finis en cause (des ordinateurs portables compacts, des moniteurs d’ordinateurs ou des téléviseurs LCD) ne sont pas vraiment des LCD «transformés», comme, par exemple, un smartphone ne peut être qualifié d’écran, voire de microprocesseur «transformé». Ce sont des produits tout‑à‑fait distincts dans lesquels un LCD est incorporé en tant que partie composante, parmi de nombreuses autres. Or, les lignes directrices de 2006 se réfèrent à des produits de qualité supérieure ou inférieure pour lesquels le prix cartellisé sert de base, à savoir les mêmes produits, mais d’une qualité différente.

    ( 24 ) S’il est vrai que le considérant 394 de la décision litigieuse vise spécifiquement les trois destinataires verticalement intégrés de la décision litigieuse auxquels a été appliquée la notion de «ventes EEE directes par l’intermédiaire de produits transformés», le considérant 396 de la même décision présente exactement les mêmes éléments de preuve en ce qui concerne LGD et AUO, auxquelles la Commission n’a appliqué que la notion de «ventes EEE directes».

    ( 25 ) Le considérant 238 de la décision litigieuse indique clairement que «les ventes intragroupes d’écrans LCD – dans la mesure où elles se terminaient par des produits transformés vendus dans l’EEE – doivent par conséquent être prises en compte [...]» [traduction libre]. Voir, également, considérant 395 de la décision litigieuse qui stipule que, «[p]our le calcul de la valeur des ventes, la valeur des écrans pertinents est incluse dans la mesure où le produit transformé est vendu par le membre de l’entente dans l’EEE à une entreprise non affiliée».

    ( 26 ) Arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (C‑397/03 P, EU:C:2006:328, point 91). Dans ce contexte, voir également arrêt Guardian Industries et Guardian Europe/Commission (C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 55).

    ( 27 ) Voir, également, arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission (T‑395/94, EU:T:2002:49, point 72), qui se base sur l’arrêt «Pâte de bois I».

    ( 28 ) Ainsi que le relève à juste titre Demaret, P., «L’application du droit communautaire de la concurrence dans une économie mondiale globalisée – La problématique de l’extraterritorialité», dans La politique communautaire de la concurrence face à la mondialisation et à l’élargissement de l’Union européenne, Nomos Verlagsgesellschaft, 1999, p. 49, «[l]e critère de l’arrêt Pâte de bois n’était pas constitué par de simples ventes, sous la forme d’un certain chiffre d’affaires, mais par l’exécution d’un comportement dans la Communauté sous la forme de ventes à des prix concertés».

    ( 29 ) Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2010:635, points 48 à 52 ainsi que jurisprudence citée) et de l’avocat général Sharpston dans l’affaire KME Germany e.a./Commission (C‑272/09 P, EU:C:2011:63, point 64).

    ( 30 ) Voir, notamment, arrêt Chronopost e.a./Ufex e.a. (C‑83/01 P, C‑93/01 P et C‑94/01 P, EU:C:2003:388, point 43).

    ( 31 ) Voir, notamment, arrêts Imperial Chemical Industries/Commission (48/69, EU:C:1972:70, points 134, 135 et 140); Hydrotherm Gerätebau (170/83, EU:C:1984:271, point 11), ainsi que Arkema/Commission (C‑520/09 P, EU:C:2011:619, point 37 et jurisprudence citée).

    ( 32 ) Selon la méthode d’arrondissement confirmée par le Tribunal (point 160 de l’arrêt attaqué), lorsqu’un arrondi aux deux premiers chiffres donne lieu à une réduction de plus de 2 % du montant de base non arrondi (3756676 est égal à 2,16 % de 173756676), le montant réduit de l’amende est arrondi aux trois premiers chiffres.

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