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Document 62014CC0076

    Conclusions de l'avocat général Szpunar présentées le 10 février 2015.
    Mihai Manea contre Instituția Prefectului județul Brașov - Serviciul Public Comunitar Regim de Permise de Conducere și Înmatriculare a Vehiculelor.
    Demande de décision préjudicielle: Curtea de Apel Braşov - Roumanie.
    Renvoi préjudiciel - Impositions intérieures - Article 110 TFUE - Taxe prélevée par un État membre sur les véhicules automobiles lors de la première immatriculation ou de la première transcription du droit de propriété - Neutralité entre les véhicules automobiles d’occasion en provenance d’autres États membres et les véhicules automobiles similaires disponibles sur le marché national.
    Affaire C-76/14.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:74

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MACIEJ SZPUNAR

    présentées le 10 février 2015 ( 1 )

    Affaire C‑76/14

    Mihai Manea

    contre

    Instituția Prefectului – județul Brașov – Serviciul public comunitar regim permise de conducere și înmatriculare a vehiculelor

    [demande de décision préjudicielle

    formée par la Curtea de Apel Brașov (Roumanie)]

    «Libre circulation des marchandises — Taxe sur les émissions polluantes frappant les véhicules automoteurs lors de leur première immatriculation ou à l’occasion du premier transfert du droit de propriété — Exemption des véhicules soumis à des taxes antérieurement en vigueur — Interdiction d’une imposition nationale discriminatoire au sens de l’article 110 TFUE — Non-discrimination des véhicules d’occasion importés d’autres États membres par rapport aux véhicules nationaux similaires»

    Introduction, genèse du problème et cadre juridique

    1.

    La problématique de l’imposition des véhicules, notamment des véhicules d’occasion, est une constante dans la jurisprudence de la Cour ( 2 ). Ces dernières années, c’est le système de la taxe d’immatriculation unique roumain qui est au cœur de la jurisprudence relative à ces questions. La présente affaire a pour objet des dispositions qui, après une série de décisions constatant l’incompatibilité de ce système avec le droit de l’Union, visent enfin à écarter ces incohérences.

    2.

    La République de Roumanie a adhéré à l’Union européenne le 1er janvier 2007. Le même jour est entrée en vigueur une taxe spéciale sur les voitures et les véhicules automoteurs, instituée par la loi modifiant et complétant la loi no 571/2003 relative au code fiscal (legea no 343/2006 pentru modificarea şi completarea Legii nr. 571/2003 privind Codul fiscal), du 17 juillet 2006 (ci-après la «loi no 343/2006») ( 3 ). Le 1er juillet 2008, cette taxe a été remplacée par une taxe sur la pollution des véhicules automobiles, instituée par l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 50/2008 établissant la taxe sur la pollution des véhicules automobiles (Ordonanţă de Urgenţă a Guvernului nr. 50/2008 pentru instituirea taxei pe poluare pentru autovehicule), du 21 avril 2008 (ci-après l’«OUG 50/2008») ( 4 ). L’obligation fiscale imposée en vertu de ces deux actes prenait naissance lors de la première immatriculation d’un véhicule sur le territoire roumain.

    3.

    La taxe instituée en vertu de l’OUG 50/2008 a été jugée contraire à l’article 110 TFUE à la suite d’un arrêt de la Cour ( 5 ). Cette dernière a estimé qu’une taxe perçue exclusivement lors la première immatriculation d’un véhicule sur le territoire national, et qui, s’agissant des véhicules d’occasion, frappe donc uniquement les véhicules importés de l’étranger, décourage l’achat de véhicules d’occasion originaires d’autres États membres, sans pour autant décourager l’achat de véhicules d’occasion de même ancienneté et de même usure sur le marché national ( 6 ). La Cour a ensuite confirmé itérativement cette position en ce qui concerne les dispositions de l’OUG 50/2008, dans leur rédaction initiale ou telles que libellées après avoir fait l’objet de modifications cosmétiques ( 7 ).

    4.

    Le 13 janvier 2012, l’OUG 50/2008 a été remplacée par la loi no 9/2012 concernant la taxe sur les émissions polluantes des véhicules à moteur (Legea nr. 9/2012 privind taxa pentru emisiile poluante provenite de la autovehicule), du 6 janvier 2012 (ci‑après la «loi no 9/2012»). La taxe instituée en vertu de cette loi avait également comme fait générateur la première immatriculation du véhicule sur le territoire roumain. Elle comportait toutefois une disposition supplémentaire, l’article 4, paragraphe 2, aux termes duquel:

    «L’obligation de paiement de la taxe naît également lors de la première transcription en Roumanie du droit de propriété sur un véhicule à moteur d’occasion, pour lequel on n’a pas payé la taxe spéciale sur les voitures particulières et les véhicules à moteur prévue par la loi no 571/2003, telle que modifiée et complétée ultérieurement [notamment par la loi no 343/2006], ni la taxe sur la pollution pour les véhicules à moteur [c’est-à-dire la taxe prévue par l’OUG 50/2008], et qui ne fait pas partie de la catégorie des véhicules exemptés ou exonérés du paiement de ces taxes, en vertu des dispositions en vigueur au moment de son immatriculation».

    5.

    En vertu de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 1/2012 relative à la suspension de l’application de certaines dispositions de la loi no 9/2012 concernant la taxe sur les émissions polluantes des véhicules à moteur et au remboursement de la taxe acquittée conformément aux dispositions de l’article 4, paragraphe 2, de cette loi [Ordonanţa de urgenţă a Guvernului nr 1/2012 pentru suspendarea aplicării unor dispoziţii ale Legii nr. 9/2012 privind taxa pentru emisiile poluante provenite de la autovehicule, precum şi pentru restituirea taxei achitate în conformitate cu prevederile articolului 4 alineatul 2 din lege], du 30 janvier 2012 ( 8 ), l’application de l’article 4, paragraphe 2, de la loi no 9/2012 a été suspendue du 31 janvier 2012 au 1er janvier 2013, et les taxes déjà versées en application de cette disposition devaient être remboursées. La taxe perçue jusqu’au 1er janvier 2013 sur la base de la loi no 9/2012 était donc toujours contraire à l’article 110 TFUE, ce qu’a confirmé la jurisprudence ultérieure de la Cour ( 9 ).

    6.

    La loi no 9/2012 a ensuite été remplacée, le 15 mars 2013, par l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 9/2013 sur le timbre environnemental pour les véhicules à moteur (Ordonanţa de urgenţă a Guvernului nr. 9/2013 privind timbrul de mediu pentru autovehicule), du 19 févier 2013 (ci-après l’«OUG 9/2013») ( 10 ). L’article 4, paragraphe 2, de la loi no 9/2012 a donc été appliqué du 1er janvier au 14 mars 2013. C’est au cours de cette période que se sont déroulés les faits examinés dans la procédure au principal. La présente affaire porte donc sur l’analyse de la situation juridique prévue par la loi no 9/2012, et notamment par son article 4, paragraphe 2.

    Faits et procédure

    7.

    M. Mihai Manea, partie requérante au principal, a sollicité de l’Instituția Prefectului – județul Brașov – Serviciul public comunitar regim permise de conducere și înmatriculare a vehiculelor (organe compétent pour l’immatriculation des véhicules dans la région de Brasov, Roumanie), la partie défenderesse au principal, l’immatriculation d’un véhicule d’occasion qu’il avait acheté en Espagne. Par lettre du 5 mars 2013, cette administration a exigé le paiement de la taxe prévue par la loi no 9/2012. M. Mihai Manea a introduit un recours devant le Tribunalul Brașov (tribunal de grande instance de Brasov), en demandant à ce que son véhicule soit immatriculé sans qu’il soit tenu d’acquitter ladite taxe, qu’il estime contraire au droit de l’Union. Son recours ayant été rejeté, le requérant a interjeté appel devant la Curtea de Apel Brașov (Cour d’appel de Brasov, Roumanie), qui a décidé de suspendre la procédure et d’adresser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

    «1)

    Eu égard aux dispositions de la loi no 9/2012 et à l’objet de la taxe prévue par cette loi, est-il nécessaire de considérer que l’article 110 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre de l’Union institue une taxe sur les émissions polluantes applicable à tous les véhicules à moteur étrangers lors de leur immatriculation dans ledit État, taxe qui s’applique également lors du transfert du droit de propriété sur les véhicules à moteur nationaux, à l’exception du cas où une telle taxe ou une taxe similaire a déjà été payée?

    2)

    Eu égard aux dispositions de la loi no 9/2012 et à l’objet de la taxe prévue par cette loi, est-il nécessaire de considérer que l’article 110 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre de l’Union institue une taxe sur les émissions polluantes applicable à tous les véhicules à moteur étrangers lors de leur immatriculation dans ledit État, taxe qui, dans le cas des véhicules à moteur nationaux, n’est due que lors du transfert du droit de propriété sur un tel véhicule, ce qui a pour conséquence qu’un véhicule étranger ne peut pas être utilisé sans paiement de la taxe, tandis qu’un véhicule national peut être utilisé de manière illimitée dans le temps sans paiement de la taxe, jusqu’au moment du transfert du droit de propriété sur ledit véhicule, si un tel transfert a lieu?»

    Analyse

    8.

    Par ses deux questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 110 TFUE s’oppose à l’institution par un État membre d’une taxe unique sur les véhicules, prélevée lors de la première immatriculation du véhicule sur le territoire de cet État, ainsi que lors du premier transfert, à compter du jour de l’introduction de ladite taxe, du droit de propriété sur un véhicule déjà immatriculé, et dont sont exonérés les véhicules pour lesquels une taxe similaire a déjà été payée dans le passé, étant entendu que les véhicules déjà immatriculés sur le territoire de cet État ne sont pas soumis à cette nouvelle taxe s’ils ne font pas l’objet d’un transfert de propriété.

    9.

    La réponse à cette question exige de clarifier les points suivants: premièrement, la possibilité d’instituer un impôt tel que la taxe roumaine en cause dans la procédure au principal, aspect qui comporte également le problème de la non-taxation des véhicules n’ayant pas changé de propriétaire; deuxièmement, la possibilité d’exonérer de ladite taxe les véhicules pour lesquels une taxe similaire a déjà été payée dans le passé; troisièmement, la possibilité d’appliquer une telle exonération dans le cas où des taxes roumaines antérieurement en vigueur ont été jugées incompatibles avec le droit de l’Union.

    La possibilité d’instituer une taxe d’immatriculation unique sur les véhicules

    10.

    Si l’on fait abstraction de la question de l’exonération des véhicules pour lesquels une taxe similaire a déjà été acquittée dans le passé, la conception de la taxe instituée en Roumanie par application de la loi no 9/2012, dans son libellé applicable dans la procédure au principal, ne présente aucune difficulté: la taxe est due à chaque première inscription, à compter du jour de son entrée en vigueur, du nom du propriétaire du véhicule dans le document d’immatriculation ( 11 ). Il est à cet égard sans pertinence que le véhicule ait déjà été antérieurement immatriculé, ou que cette immatriculation ait eu lieu en Roumanie ou dans un autre État.

    11.

    En instituant une taxe ainsi conçue, la République de Roumanie entendait lever l’incompatibilité de la taxe prévue par l’OUG 50/2008 avec l’article 110 TFUE. Cette incompatibilité résultait du fait que la taxe était prélevée exclusivement lors de la première immatriculation du véhicule en Roumanie, de sorte que, s’agissant des véhicules d’occasion, ceux importés d’autres États membres y étaient soumis, tandis que ceux déjà présents sur le marché national y échappaient ( 12 ). La taxe instituée en vertu de la loi no 9/2012 frappe en revanche une seule fois tout véhicule qui, après son acquisition, est immatriculé au nom d’un nouveau propriétaire.

    12.

    Un tel aménagement de la taxe ne me semble pas soulever de doutes du point de vue de l’article 110 TFUE. Conformément à une jurisprudence constante, l’article 110 TFUE n’interdit pas aux États membres d’instituer de nouvelles taxes ni de modifier les taux ou les bases d’imposition des taxes existantes, dès lors que ces taxes reposent sur des critères objectifs et qu’elles n’ont pas pour effet de discriminer des produits importés d’autres États membres ( 13 ). Dans le cas d’une taxe grevant exclusivement les véhicules importés de l’étranger, la discrimination résulte du fait que l’acquéreur d’un tel véhicule doit acquitter une taxe en sus du prix, alors qu’en achetant ce même véhicule dans le pays, il n’en paie que le prix. Le fait d’étendre la taxe aux véhicules nationaux élimine cet effet discriminatoire.

    13.

    S’agissant des véhicules d’occasion, la Cour a également élaboré, dans sa jurisprudence, une doctrine venant compléter le principe de non-discrimination fiscale des marchandises originaires d’autres États membres. Selon cette doctrine, une taxe frappant les véhicules d’occasion importés d’autres États membres n’est pas contraire à l’article 110 TFUE à condition qu’elle n’excède pas le montant résiduel d’une taxe similaire incorporé dans la valeur des véhicules d’occasion déjà présents sur le marché national ( 14 ).

    14.

    La Cour n’a pas défini de méthode contraignante de calcul de la taxe sur les véhicules. Une telle méthode doit néanmoins tenir compte de la diminution de la valeur du véhicule, ainsi que de son âge et de son degré d’utilisation, en sorte que la taxe prélevée sur les véhicules d’occasion importés d’autres États membres n’excède pas ledit montant résiduel de la taxe incorporé dans la valeur de marché des véhicules nationaux ( 15 ).

    15.

    S’agissant de la taxe établie par l’OUG 50/2008, la Cour en a effectué une analyse minutieuse et estimé qu’elle remplissait le critère ci-dessus ( 16 ). Comme les règles de calcul de la taxe instituée en vertu de la loi no 9/2012, telles que définies à ses articles 6 et 9, semblent être proches de celles prévues par l’OUG 50/2008, il est très probable qu’elles remplissent également la condition visée ci-dessus. C’est toutefois à la juridiction de renvoi qu’il appartient en définitive d’opérer cette constatation.

    16.

    Le problème soulevé dans la seconde question préjudicielle quant à l’existence de véhicules immatriculés en Roumanie qui ne sont pas soumis à ladite taxe dès lors qu’ils ne changent pas de propriétaire ne me semble pas modifier cette conclusion. Premièrement, ainsi que l’observe à juste titre la Commission européenne dans ses observations, il s’agit d’une taxe grevant non pas l’utilisation du véhicule mais son immatriculation, et donc, indirectement, l’acquisition de celui-ci. Deuxièmement, conformément à une jurisprudence constante, l’article 110 TFUE constitue, dans le système du traité CE, un complément des dispositions relatives à la suppression des droits de douane et des taxes d’effet équivalent. Cette disposition a pour objectif d’assurer la libre circulation des marchandises entre les États membres dans des conditions normales de concurrence par l’élimination de toute forme de protection pouvant résulter de l’application d’impositions intérieures discriminatoires à l’égard des produits originaires d’autres États membres ( 17 ). Un véhicule d’occasion n’est cependant une marchandise qu’à la condition d’être mis en vente. L’absence d’imposition des véhicules qui ne sont pas mis dans le commerce n’entraîne donc pas de discrimination contraire à l’article 110 TFUE.

    17.

    Il convient enfin de rappeler que la Cour a rendu dernièrement un arrêt qui pourrait suggérer que l’analyse des taux, de la base d’imposition et de la méthode de calcul de la taxe peut apparaître insuffisante dans certaines situations ( 18 ). Il peut en effet s’avérer nécessaire de rechercher sur le marché national le véhicule présentant les caractéristiques les plus proches de celles du véhicule faisant l’objet de la procédure et de comparer le montant de la taxe à payer sur ce deuxième véhicule avec le montant résiduel de la taxe incorporé dans la valeur du premier. Cet arrêt concernait toutefois la situation spécifique d’une taxe néerlandaise dont l’assiette était calculée sur la base du prix catalogue du véhicule, diminué proportionnellement en fonction du taux de dépréciation applicable aux véhicules d’occasion ( 19 ). Je ne considère pas que l’appréciation effectuée dans cet arrêt puisse trouver une application plus large, notamment en ce qui concerne les taxes de conception différente de celle dudit impôt néerlandais. La Cour a d’ailleurs jugé ce dernier contraire à l’article 110 TFUE en raison d’une modification apportée à son mode de calcul, qui consistait à ajouter à l’élément fondé sur la valeur du véhicule un autre élément qui était fonction des émissions de CO2, de telle sorte que la taxe grevant les véhicules importés d’autres États membres excédait inévitablement, après la modification, le montant résiduel de la taxe incorporé dans la valeur des véhicules analogues immatriculés aux Pays-Bas avant cette modification ( 20 ). Ledit arrêt concerne donc une situation dans laquelle l’État membre augmente la taxe déjà en vigueur, en causant une discrimination frappant les véhicules d’occasion importés d’autres États membres.

    18.

    Pour les raisons qui précèdent, j’estime qu’une taxe unique grevant les véhicules lors de leur première immatriculation sur le territoire de l’État membre ayant institué ladite taxe, ainsi que lors du premier transfert, à compter du jour de l’établissement de cette taxe, du droit de propriété sur le véhicule déjà immatriculé, n’est en principe pas contraire à l’article 110 TFUE, dans la mesure où elle satisfait au critère indiqué au point 14 des présentes conclusions.

    La possibilité d’exonérer de taxe les véhicules pour lesquels a déjà été acquittée une taxe similaire antérieurement applicable

    19.

    En instituant la nouvelle taxe prélevée lors de l’immatriculation des véhicules, l’article 4, paragraphe 2, de la loi no 9/2012 en exonère dans le même temps les véhicules pour lesquels a déjà été acquittée la taxe antérieurement applicable, c’est-à-dire celle que prévoyait la loi no 343/2006 ou l’OUG 50/2008. Selon les précisions apportées par le gouvernement roumain dans les observations qu’il a présentées dans cette affaire, cette exonération vise à prévenir une double imposition de ces mêmes véhicules. Il convient de s’interroger sur le point de savoir si cette exonération se traduit par la non-conformité de la taxe roumaine à l’article 110 TFUE.

    20.

    Une telle exonération signifie que cette nouvelle taxe ne grève pas l’ensemble des véhicules d’occasion vendus sur le marché national, alors qu’elle frappe en principe tous les véhicules importés d’autres États membres. Le montant résiduel de la taxe antérieurement applicable sera cependant incorporé dans la valeur des véhicules qui sont exonérés du nouvel impôt. La condition de la licéité de cette exonération est donc analogue à celle indiquée au point 14, à savoir que le montant de la nouvelle taxe grevant les véhicules d’occasion importés d’autres États membres ne peut excéder le montant résiduel de la taxe antérieure qui est incorporé dans la valeur des véhicules d’occasion nationaux similaires.

    21.

    En instituant la taxe visée au point 18 des présentes conclusions, l’État membre peut donc en exonérer les véhicules pour lesquels a déjà été acquittée la taxe antérieurement applicable, à condition que le montant du nouvel impôt perçu sur les véhicules d’occasion importés d’autres États membres n’excède pas le montant résiduel de la taxe antérieure incorporé dans la valeur de marché des véhicules nationaux.

    22.

    Cette condition paraît en ce cas remplie, puisque, comme je l’ai indiqué, la méthode de calcul de la taxe instituée en vertu de la loi no 9/2012 est très proche de celle de la taxe prévue par l’OUG 50/2008, de même que de celle qui correspondait antérieurement à la loi no 343/2006, et qu’elle tient dûment compte de la dépréciation du véhicule, ainsi que de son âge et de son degré d’utilisation.

    La possibilité d’appliquer une exonération dans le cas de la taxe roumaine sur les véhicules

    23.

    Il convient encore d’examiner si et dans quelle mesure le principe visé au point 21 des présentes conclusions peut trouver à s’appliquer dans le cas particulier de la taxe roumaine sur les véhicules.

    24.

    Comme je l’ai indiqué en introduction, les dispositions de la loi no 9/2012, qui mettent en œuvre la taxe faisant l’objet de la présente affaire, prévoient qu’en sont exonérés les véhicules pour lesquels a déjà été acquittée la taxe prévue par la loi no 343/2006 ou l’OUG 50/2008.

    25.

    À la suite de l’arrêt Tatu (EU:C:2011:219), confirmé par des décisions ultérieures ( 21 ), la taxe instituée par l’OUG 50/2008 a été jugée contraire à l’article 110 TFUE au motif qu’elle discriminait les véhicules d’occasion importés d’autres États membres par rapport aux véhicules nationaux similaires.

    26.

    La taxe instituée par la loi no 343/2006 n’a fait l’objet d’aucun renvoi préjudiciel. Il convient toutefois de tenir compte du fait que, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour n’apprécie pas la conformité au droit de l’Union de dispositions concrètes du droit national des États membres, mais qu’elle procède simplement à une interprétation du droit de l’Union, sur la base de laquelle les juridictions nationales peuvent ensuite se prononcer sur la conformité des règles nationales. Il apparaît que la taxe instituée en vertu de la loi no 343/2006 présentait ce même caractère discriminatoire que celui constaté pour la taxe prévue par l’OUG 50/2008. Dans ces conditions, les juridictions roumaines devraient également la considérer comme contraire à l’article 110 TFUE en vertu de l’arrêt Tatu (EU:C:2011:219) et de la jurisprudence ultérieure.

    27.

    Conformément à une jurisprudence constante, une taxe prélevée en violation du droit de l’Union doit être remboursée avec intérêts. Cette obligation est la conséquence et la mise en œuvre des droits dont bénéficient les justiciables en vertu des dispositions du droit de l’Union interdisant de telles taxes, ainsi que de l’interprétation qu’en fait la Cour ( 22 ).

    28.

    Le fait d’exonérer un véhicule du nouvel impôt au motif que celui-ci a déjà été soumis à une taxe antérieurement applicable et jugée ensuite contraire au droit de l’Union ne constitue pas une méthode régulière de remplir cette obligation. Les personnes assujetties à ces deux impôts sont en effet de deux espèces différentes. L’exonération bénéficie en effet à l’acquéreur du véhicule, qui se voit exempté de l’obligation d’acquitter la taxe lors de l’enregistrement dudit véhicule à son nom, alors que l’ayant droit au remboursement de la taxe antérieure, jugée incompatible avec le droit de l’Union, est celui qui a payé cette taxe, c’est-à-dire le vendeur du véhicule, ou l’un de ses propriétaires encore plus anciens si ce véhicule a déjà été vendu entre le jour du paiement de la taxe antérieure et celui de l’entrée en vigueur du nouvel impôt. Même si la recette fiscale correspondant à la taxe qui a été jugée incompatible avec le droit de l’Union se trouve ainsi nivelée, l’avantage qui en résulte bénéficie non pas à la personne en droit d’obtenir le remboursement de cette taxe, mais à un tiers. L’ayant droit récupère au maximum, dans le prix de vente, le montant résiduel de la taxe incorporé dans la valeur du véhicule, lequel ne sera toutefois que rarement égal au montant de la taxe effectivement payée et ne comportera pas, en tout état de cause, les intérêts dus.

    29.

    Pour les raisons qui précèdent, un tel mécanisme de compensation de la taxe prélevée en violation du droit de l’Union, par voie d’exonération de la nouvelle taxe, ne garantit pas non plus la neutralité de cette dernière, qu’exige l’article 110 TFUE. En effet, comme l’obligation de remboursement de l’impôt n’a pas été réalisée, l’assujetti reste en droit d’obtenir ce remboursement et peut donc réclamer un prix plus faible lors de la vente, qui ne tienne pas compte de la taxe versée antérieurement. L’on ne saurait donc considérer qu’un quelconque montant résiduel dudit impôt est incorporé dans la valeur du véhicule. Les véhicules importés de l’étranger, qui sont toujours soumis à la nouvelle taxe, puisqu’ils ne relèvent par définition pas de l’exonération, sont donc automatiquement placés dans une situation concurrentielle plus défavorable que celle des véhicules nationaux, pour lesquels a été acquittée la taxe antérieure, incompatible avec le droit de l’Union.

    30.

    Je considère donc que si l’État membre a bien en principe le droit d’appliquer ce type d’exonération visé au point 21 des présentes conclusions, celle-ci ne saurait cependant être octroyée en raison du paiement de la taxe antérieurement applicable et considérée ultérieurement comme incompatible avec le droit de l’Union.

    31.

    Dans le cas roumain concret qui fait l’objet de la procédure au principal, il en résulte selon moi que l’article 110 TFUE fait obstacle à l’exonération que prévoit l’article 4, paragraphe 2, de la loi no 9/2012, qui exempte de la taxe qui y est instituée les véhicules pour lesquels a déjà été acquittée la taxe antérieurement applicable en vertu de la loi no 343/2006 ou de l’OUG 50/2008 ( 23 ).

    32.

    Il n’y a pas lieu de modifier cette conclusion au motif que, dans son arrêt Tatu (EU:C:2011:219), la Cour a estimé que la taxe prévue par l’OUG 50/2008 n’était pas source de discrimination entre les véhicules d’occasion provenant d’autres États membres et ceux qui étaient déjà présents sur le marché roumain, après importation préalable et paiement de cette taxe ( 24 ). Cette constatation a en effet été faite avant que la Cour ne compare, dans la suite de son arrêt, la situation des véhicules provenant d’autres États membres avec celle des véhicules pour lesquels cette taxe n’avait jamais été acquittée (immatriculés en Roumanie avant qu’elle ne soit instituée), et qu’elle ne constate son caractère discriminatoire quant aux véhicules d’occasion en général ( 25 ).

    33.

    Il convient toutefois de tenir compte du fait que les décisions de la Cour ayant défini l’incompatibilité avec le droit de l’Union de la taxe instituée par l’OUG 50/2008, et qui, comme on l’a indiqué au point 26, sont également applicables à la taxe établie par la loi no 343/2006, concernaient précisément les véhicules d’occasion. La Cour a en effet constaté dans ces arrêts que l’article 110 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre instaure une taxe sur la pollution frappant des véhicules automobiles lors de leur première immatriculation dans cet État membre, si cette mesure fiscale est aménagée de telle manière qu’elle décourage la mise en circulation, dans ledit État membre, de véhicules d’occasion achetés dans d’autres États membres, sans pour autant décourager l’achat de véhicules d’occasion de même ancienneté et de même usure sur le marché national ( 26 ). La situation des nouveaux véhicules est à cet égard différente, puisqu’un nouveau véhicule est par définition toujours immatriculé pour la première fois ( 27 ), qu’il ait été produit dans le pays dans lequel est effectuée cette immatriculation ou qu’il ait été importé de l’étranger. La taxe perçue lors de la première immatriculation dans l’État considéré n’exerce donc pas, à l’égard des nouveaux véhicules, l’effet discriminatoire qu’elle a sur les véhicules d’occasion.

    34.

    Aussi ne vois-je aucune raison de considérer les taxes prélevées en vertu de la loi no 343/2006 ou de l’OUG 50/2008 lors de l’immatriculation de nouveaux véhicules comme incompatibles avec le droit de l’Union. Aussi l’exonération prévue à l’article 4, paragraphe 2, de la loi no 9/2012 n’est-elle pas contraire à l’article 110 TFUE dans la mesure où elle concerne les véhicules immatriculés en Roumanie en tant que nouveaux véhicules, sous réserve, bien entendu, de la retenue indiquée au point 21 in fine.

    Conclusion

    35.

    Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante aux questions préjudicielles qu’a adressées la Curtea de Apel Brașov:

    1)

    L’article 110 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’institution par un État membre d’une taxe unique sur les véhicules, prélevée lors de la première immatriculation d’un véhicule sur le territoire de l’État membre instituant cette taxe, ainsi que lors du premier transfert, à compter du jour de l’introduction de cette taxe, du droit de propriété sur un véhicule déjà immatriculé dans cet État. Ladite taxe doit être aménagée de telle sorte que le montant grevant les véhicules d’occasion provenant d’autres États membres n’excède pas le montant résiduel de la taxe incorporé dans la valeur de marché des véhicules nationaux.

    2)

    L’article 110 TFUE ne s’oppose pas non plus à ce que l’État membre, en introduisant cette taxe, en exonère les véhicules pour lesquels a déjà été acquittée une taxe antérieurement en vigueur, à condition que le montant de la nouvelle taxe grevant les véhicules d’occasion provenant d’autres États membres n’excède pas le montant résiduel de la taxe antérieure incorporé dans la valeur de marché des véhicules nationaux.

    3)

    Cette exonération ne peut être accordée en raison du paiement de la taxe antérieurement applicable et jugée incompatible avec le droit de l’Union.


    ( 1 ) Langue originale: le polonais.

    ( 2 ) Je me bornerai à rappeler certains arrêts ayant un lien avec les questions faisant l’objet de la présente affaire: arrêts Commission/Danemark (C‑47/88, EU:C:1990:449); Nunes Tadeu (C‑345/93, EU:C:1995:66); De Danske Bilimportører (C‑383/01, EU:C:2003:352); Nádasdi et Németh (C‑290/05 et C‑333/05, EU:C:2006:652); Brzeziński (C‑313/05, EU:C:2007:33) ainsi que, récemment, X (C‑437/12, EU:C:2013:857).

    ( 3 ) Monitorul Oficial al României, partie I, no 662.

    ( 4 ) Monitorul Oficial al României, partie I, no 327.

    ( 5 ) Arrêt Tatu (C‑402/09, EU:C:2011:219).

    ( 6 ) Ibidem (dispositif).

    ( 7 ) Arrêt Nisipeanu (C‑263/10, EU:C:2011:466) et série de décisions ultérieures.

    ( 8 ) Monitorul Oficial al României, partie I, no 97.

    ( 9 ) Ordonnance Câmpean et Ciocoiu (C‑97/13 et C‑214/13, EU:C:2014:229).

    ( 10 ) Monitorul Oficial al României, partie I, no 119.

    ( 11 ) Le législateur roumain distingue à cet égard l’«immatriculation», pour les véhicules qui n’ont jamais été immatriculés en Roumanie, et le «transfert du droit de propriété», pour les véhicules déjà immatriculés dans ce pays [voir article 2, sous h) et i), de la loi no 9/2012].

    ( 12 ) Arrêt Tatu (C‑402/09, EU:C:2011:219, points 48 à 61).

    ( 13 ) Voir, en particulier, arrêts Nunes Tadeu (C‑345/93, EU:C:1995:66, point 11) ainsi que Nádasdi et Németh (C‑290/05 et C‑333/05, EU:C:2006:652, points 49 et 51).

    ( 14 ) Voir, en particulier, arrêts Commission/Danemark (C‑47/88, EU:C:1990:449, point 20); Brzeziński (C‑313/05, EU:C:2007:33, point 2 du dispositif) et Tatu (C‑402/09, EU:C:2011:219, point 39).

    ( 15 ) Voir en particulier arrêt Tatu (C‑402/09, EU:C:2011:219, points 40 à 42 et jurisprudence citée).

    ( 16 ) Ibidem (points 43 à 47).

    ( 17 ) Arrêt Nádasdi et Németh (C‑290/05 et C‑333/05, EU:C:2006:652, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

    ( 18 ) Arrêt X (C‑437/12, EU:C:2013:857).

    ( 19 ) Ibidem (points 3 à 10 et paragraphe 1 du dispositif).

    ( 20 ) Ibidem (points 39 à 41).

    ( 21 ) Voir point 3 des présentes conclusions.

    ( 22 ) Voir, en particulier, arrêt Littlewoods Retail e.a. (C‑591/10, EU:C:2012:478, points 24 à 26) ainsi que, en ce qui concerne la taxe instituée en vertu de l’OUG 50/2008, arrêt Nicula (C‑331/13, EU:C:2014:2285, points 27 à 29).

    ( 23 ) Cette réglementation doit être distinguée de celle examinée dans l’arrêt Nicula (C‑331/13, EU:C:2014:2285). Cet arrêt concernait le mécanisme par lequel une taxe incompatible avec le droit de l’Union devait être remboursée à la personne l’ayant acquittée, lequel mécanisme avait été fixé dans un acte juridique ultérieur, c’est-à-dire l’OUG 9/2013 (voir point 6 des présentes conclusions). En revanche, dans la présente affaire, ainsi que je l’ai indiqué ci-dessus, il s’agit d’exonérer le nouveau propriétaire du véhicule au titre de la taxe acquittée sur celui-ci par le précédent propriétaire.

    ( 24 ) Arrêt Tatu (C‑402/09, EU:C:2011:219, points 43 à 47). La Cour a estimé que le mécanisme de calcul de la taxe tenait suffisamment compte de la dépréciation du véhicule, en sorte que la somme versée n’excédait pas le montant résiduel de la taxe incorporé dans la valeur des véhicules similaires pour lesquels cette taxe avait déjà été antérieurement acquittée. Voir point 15 des présentes conclusions.

    ( 25 ) Arrêt Tatu (C‑402/09, EU:C:2011:219, points 52 à 61).

    ( 26 ) Ibidem (dispositif). Mise en italique par mes soins.

    ( 27 ) L’on considère comme nouveau un véhicule qui n’a pas encore été immatriculé.

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