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Document 62014CC0039

Conclusions de l'avocat général Cruz Villalón présentées le 17 mars 2015.
Procédure engagée par BVVG Bodenverwertungs- und -verwaltungs GmbH.
Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne.
Renvoi préjudiciel - Aides d’État - Article 107, paragraphe 1, TFUE - Vente de terrains agricoles par les autorités publiques - Disposition nationale permettant aux autorités compétentes de s’opposer à la vente d’un terrain agricole lorsque le prix offert est considéré comme ‘largement disproportionné’ par rapport à la valeur du marché - Avantage accordé à certaines entreprises ou productions - Critère de l’investisseur privé - Détermination de la ‘valeur du marché’.
Affaire C-39/14.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:175

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 17 mars 2015 ( 1 )

Affaire C‑39/14

BVVG Bodenverwertungs- und -verwaltungs GmbH,

En présence de:

Thomas Erbs

Ursula Erbs

Landkreis Jerichower Land

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Renvoi préjudiciel — Aides d’État — Programme de privatisation des terres et des bâtiments utilisés à des fins agricoles ou sylvicoles dans les nouveaux Länder en Allemagne — Législation nationale soumettant à autorisation la vente de terrains agricoles — Loi sur les transactions foncières (Grundstücksverkehrsgesetz) — Refus d’autorisation d’un contrat de vente d’un terrain conclu, à la suite d’un appel d’offres public, avec le plus offrant — Prix convenu largement disproportionné par rapport à la valeur marchande du terrain — Modalités de détermination de la valeur du terrain — Qualification d’‘aide d’État’»

1. 

La Cour est, dans la présente affaire, saisie d’une question d’interprétation de l’article 107 TFUE dans le cadre d’un litige mettant en cause les conditions et les modalités de vente des terrains agricoles et sylvicoles dans le cadre de la privatisation des terres et des bâtiments autrefois propriété de l’État dans les nouveaux Länder d’Allemagne ( 2 ). Elle se situe, partant, dans le prolongement de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe ( 3 ), tout en soulevant des questions inédites qui conduiront la Cour à préciser sa jurisprudence sur les conditions au respect desquelles les ventes de terres publiques sont, au regard des règles du traité en matière d’aides d’État, subordonnées.

I – Le cadre juridique

2.

Il ressort de la décision de renvoi que la Bodenverwertungs- und ‑verwaltungs GmbH (BVVG) ( 4 ) a, entre autres, pour mission légale de mettre en œuvre la privatisation des terres et des bâtiments autrefois biens de l’État utilisés à des fins agricoles ou sylvicoles dans les Länder de Brandebourg, de Mecklembourg-Poméranie-occidentale, de Saxe, de Saxe-Anhalt et de Thuringe (nouveaux Länder). La BVVG, qui est une personne morale de droit privé, agit à cet effet pour le compte de la Bundesanstalt für vereinigungsbedingte Sonderaufgaben ( 5 ), organisme public fédéral doté de la personnalité juridique.

3.

La vente de terrains agricoles et sylvicoles en Allemagne est, d’une manière générale, soumise aux dispositions de la loi sur les transactions foncières (Grundstücksverkehrsgesetz) ( 6 ) qui vise à protéger la structure agricole.

4.

L’article 2, paragraphe 1, de la GrdstVG dispose:

«Le transfert de propriété d’un terrain à la suite d’un contrat et l’acte contractuel portant sur cette vente sont soumis à autorisation; […]»

5.

L’article 4 de la GrdstVG précise toutefois:

«L’autorisation n’est pas requise si

1.   L’état fédéral ou un Land est partie à la vente;

[…]»

6.

L’article 9 de la GrdstVG prévoit:

«1.   L’autorisation ne peut être refusée ou être soumise à des obligations (article 10) ou à des conditions (article 11) que si les circonstances font apparaître que

1.

la vente entraîne une répartition inappropriée du terrain et du sol, ou

2.

la vente réduit ou répartit de manière non économique le terrain ou une majorité de terrains qui sont territorialement ou économiquement liés et qui appartiennent au vendeur, ou

3.

la contrepartie est largement disproportionnée par rapport à la valeur du terrain.

2.   Il y a en général répartition inappropriée du terrain et du sol, au sens du paragraphe 1, point 1, lorsque la vente est incompatible avec des mesures d’amélioration des structures agricoles.

3.   Il y a en général réduction ou répartition non économique, au sens du paragraphe 1, point 2, lorsque, en raison d’un partage de la masse successorale, d’un contrat de cession ou d’une autre vente contractuelle

1.

une entreprise agricole autonome ne serait plus viable;

2.

un terrain agricole deviendrait inférieur à un hectare;

[…]

4.   Si le terrain est vendu à des fins autres qu’agricoles ou sylvicoles, l’autorisation visée au paragraphe 1, point 3, ne peut être refusée.

[…]»

II – Les faits à l’origine du litige au principal

7.

Il ressort de la décision de renvoi que, à la suite d’un appel d’offres public dans le cadre duquel ils ont remis l’offre la plus élevée, les époux Erbs ont, par contrat notarié du 31 mars 2008, fait l’acquisition auprès de la BVVG d’un terrain agricole d’environ 2,6 hectares pour la somme de 29000 euros.

8.

Par décision du 5 juin 2008, le Landkreis Jerichower Land a toutefois refusé, en sa qualité d’autorité locale compétente, d’autoriser le contrat de vente, en application de l’article 9, paragraphe 1, point 3, de la GrdstVG ( 7 ), au motif que le prix convenu était largement disproportionné par rapport à la valeur du terrain vendu.

9.

Le recours introduit par les époux Erbs contre la décision litigieuse a été rejeté en première instance et en appel. La juridiction d’appel a, en l’occurrence, estimé que le prix convenu de 29000 euros était largement disproportionné par rapport à la valeur du terrain vendu, un rapport d’expertise indiquant que la valeur marchande agricole du terrain s’élevait à 14168,61 euros, en prenant en considération d’autres ventes réalisées auparavant par la BVVG, et à 13648,19 euros, en ne prenant pas en considération ces ventes. Elle a donc considéré que le prix convenu dépassait de plus de 50 % ces valeurs et qu’une vente à ce prix aurait des effets défavorables sur les structures agricoles, étant précisé, d’une part, qu’un agriculteur entendu en tant que témoin mais n’ayant pas participé à l’appel d’offres public aurait été disposé à acquérir le terrain à un prix allant jusqu’à 50 % au-delà de la valeur marchande agricole et, d’autre part, que les époux Erbs ne seraient pas des agriculteurs professionnels.

III – La question préjudicielle et la procédure devant la Cour

10.

C’est dans ces circonstances que, saisi par la BVVG d’un pourvoi en cassation, le Bundesgerichtshof a décidé de suspendre la procédure et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 107, paragraphe 1, TFUE s’oppose-t-il à une norme nationale, tel l’article 9, paragraphe 1, point 3, de la [GrdstVG], qui, aux fins d’améliorer les structures agricoles, interdit à une émanation de l’État telle la BVVG de vendre au plus offrant, dans le cadre d’un appel d’offres public, un terrain agricole à vendre lorsque la meilleure offre est largement disproportionnée par rapport à la valeur du terrain?»

11.

La juridiction de renvoi prend soin de préciser que, dans sa perspective, cette question englobe trois interrogations. Premièrement, il y aurait lieu de se demander si la vente d’un bien foncier public par la BVVG à un prix inférieur au prix établi par un appel d’offres public entraîne un avantage dans le chef de l’acheteur si la vente au prix établi par l’appel d’offres public est interdite par une loi générale qui s’applique aussi à tous les vendeurs privés. Deuxièmement, à supposer admise l’existence d’un tel avantage, se poserait ensuite la question de savoir s’il peut être justifié par la finalité de la loi, à savoir l’amélioration des structures agricoles. Troisièmement, enfin, il conviendrait de déterminer si le refus de la vente au prix établi par un appel d’offres public est en soi illicite, au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, alors même qu’il ne constitue pas encore une aide, de par l’effet anticipé qu’il produit.

12.

La BVVG, les époux Erbs, le gouvernement allemand ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. La BVVG, le Landkreis Jerichower Land, le gouvernement allemand ainsi que la Commission ont également présenté des observations orales au cours de l’audience publique qui s’est tenue le 11 décembre 2014.

IV – Résumé des observations des parties

13.

La BVVG considère, d’une manière très générale, que la question préjudicielle du Bundesgerichtshof appelle une réponse positive, l’ensemble des éléments constitutifs d’une aide d’État étant réunis.

14.

L’application de la disposition litigieuse impliquerait, tout d’abord, l’utilisation de ressources de l’État fédéral, dans la mesure où le produit de la privatisation des terres et des bâtiments, antérieurement propriété de l’État, est versé au budget fédéral. Partant, tout refus de vente d’un terrain au prix le plus élevé proposé dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres public entraînerait une perte de revenus de l’État fédéral tout en produisant un effet plus général de compression des prix. Son application favoriserait, par ailleurs, les agriculteurs professionnels, qui auraient l’opportunité de faire l’acquisition de terrains faisant l’objet d’appel d’offres publics à un prix inférieur au prix de la meilleure offre.

15.

Cet avantage procèderait des modalités de détermination de la valeur marchande des terrains sur la base de laquelle les autorités locales compétentes peuvent constater l’existence d’une large disproportion au sens de la disposition litigieuse et donc adopter une décision de refus d’autorisation. La BVVG estime que la détermination de cette valeur par expertise ne peut se rapprocher de la valeur du marché que si elle se fonde sur les résultats d’un grand nombre de procédures d’appel d’offres public, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

16.

Les époux Erbs considèrent, pour l’essentiel, que la vente du terrain n’a pas entraîné une réduction ou une répartition non rentable des terres et qu’elle n’a pas affecté une entreprise agricole autonome ou la viabilité d’un agriculteur.

17.

Le gouvernement allemand estime que la question préjudicielle appelle une réponse négative, dans la mesure où la disposition litigieuse n’emporte octroi d’aucun avantage, que ce soit sous la forme d’une subvention ou d’un allègement de charge. Il considère que, en tout état de cause, aucune entreprise déterminée ne se trouve avantagée, la BVVG n’ayant aucune obligation de vendre à l’agriculteur qui s’est porté candidat acquéreur. Si certes la décision de refus d’autorisation produit un effet restrictif à l’égard du BVVG et des époux Erbs, elle ne comporte, en revanche, aucun effet avantageux.

18.

La Commission, enfin, rappelant qu’il n’appartient pas, en principe, au juge national de statuer sur la compatibilité avec le traité d’une aide éventuelle, estime que la réglementation nationale peut constituer une «aide d’État» au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en concentrant ses observations sur l’examen de la question de l’existence d’un avantage sélectif tout en renvoyant à la juridiction de renvoi le soin de réexaminer le point de savoir s’il y a, en l’espèce, intervention au moyen de ressources d’État.

V – Observations liminaires

19.

L’examen de la question préjudicielle de la juridiction de renvoi appelle une série d’observations liminaires. J’examinerai tout d’abord la portée de la question préjudicielle posée, ce qui me conduira à proposer à la Cour une reformulation de cette dernière. Je m’efforcerai ensuite d’exposer les raisons pour lesquelles une loi sur les transactions foncières telle que la GrdstVG, d’application générale y compris sur le plan territorial, peut et, en l’occurrence, doit être examinée au regard des dispositions du traité concernant les aides d’État. Cela précisé, je présenterai le contenu de la disposition litigieuse. Enfin, j’aborderai en dernier lieu l’objection de principe soulevée par le gouvernement allemand, selon laquelle la disposition litigieuse ne saurait relever de la qualification d’aide d’État faute de tout avantage effectif octroyé à une entreprise.

A – Sur la portée de la question préjudicielle

20.

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi invite formellement la Cour à se prononcer sur la question de savoir si l’article 107, paragraphe 1, TFUE s’oppose à la disposition litigieuse, c’est-à-dire si la mesure qu’elle prévoit constitue une aide incompatible avec le marché intérieur.

21.

Or, ainsi que la Commission l’a rappelé dans ses observations écrites, ce n’est ni à la Cour ni à la juridiction de renvoi de se prononcer sur la compatibilité d’une mesure nationale avec l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission disposant, sous le contrôle du juge de l’Union européenne ( 8 ), d’une compétence exclusive à cet égard. En conséquence, une juridiction nationale ne saurait, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, interroger la Cour sur la compatibilité avec le marché intérieur d’une aide d’État ou d’un régime d’aides d’État ( 9 ). De ce point de vue, la Cour ne peut donner de réponse, dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, à la deuxième interrogation de la juridiction de renvoi.

22.

Toutefois, les juridictions nationales demeurent compétentes pour se prononcer sur la qualification d’une mesure comme aide d’État et en tirer les conséquences en application de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE ( 10 ). Il leur appartient, en particulier, de garantir aux justiciables que toutes les conséquences d’une violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE en seront tirées, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes d’exécution que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d’éventuelles mesures provisoires ( 11 ).

23.

Plus précisément, la Cour a jugé que la compétence de la Commission pour apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur ne fait pas obstacle à ce qu’une juridiction nationale interroge la Cour à titre préjudiciel sur l’interprétation de la notion d’aide ( 12 ). Ainsi, la Cour peut notamment fournir au juge de renvoi les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union lui permettant de déterminer si une mesure nationale peut être qualifiée d’aide d’État au sens de ce droit ( 13 ).

24.

Il importe également de rappeler, dans ce contexte, que la Cour a précisé que, si une juridiction nationale éprouve des doutes sur la qualification d’une mesure, elle peut demander à la Commission des éclaircissements sur ce point. Dans sa communication du 23 novembre 1995 relative à la coopération entre la Commission et les juridictions nationales dans le domaine des aides d’État ( 14 ), la Commission a expressément encouragé les juridictions nationales à prendre contact avec elle lorsqu’elles rencontrent des difficultés dans l’application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et a expliqué la nature des informations qu’elle était en mesure de fournir ( 15 ). À cet égard, il y a lieu de souligner que, en vertu de l’obligation de coopération loyale entre les institutions communautaires et les États membres découlant de l’article 4, paragraphe 3, TUE ( 16 ), la Commission doit répondre dans les meilleurs délais aux demandes des juridictions nationales ( 17 ).

25.

Par conséquent, s’il devait être conclu que le mécanisme d’autorisation institué par la disposition litigieuse est susceptible de receler des éléments d’aides d’État, il appartiendrait alors aux autorités compétentes allemandes de le notifier à la Commission pour qu’elle se prononce sur sa compatibilité avec le marché intérieur. Dans l’attente d’une décision définitive de la Commission, il appartiendrait à la juridiction de renvoi de sanctionner l’effet direct de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE c’est-à-dire de garantir les droits que les intéressés tirent de cette disposition, en s’opposant au refus d’autorisation de conclusion du contrat de vente conclu entre la BVVG et les époux Erbs et à ses effets ( 18 ).

26.

Il importe également de rappeler que, à l’exception des aides de minimis ( 19 ), les États membres doivent aussi transmettre à la Commission ( 20 ), en vue de leur publication sur son site Internet ( 21 ), un résumé des informations relatives aux mesures susceptibles de relever d’une exemption par catégorie, en ce compris les aides accordées dans le domaine agricole ( 22 ).

27.

Eu égard aux développements qui précèdent, je propose à la Cour de reformuler la question préjudicielle posée par le Bundesgerichtshof dans les termes suivants: «l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’une règle de droit national qui, aux fins d’améliorer les structures agricoles, interdit à une émanation de l’État de vendre, dans le cadre d’un appel d’offres public, un terrain agricole au plus offrant lorsque la meilleure offre est largement disproportionnée par rapport à la valeur du terrain, est susceptible de relever de la qualification d’aide d’État?»

B – Sur la spécificité du dispositif litigieux

28.

La disposition litigieuse ( 23 ), sommairement présentée, permet aux autorités locales compétentes de s’opposer aux ventes de terrains agricoles ou sylvicoles conclues dans le cadre de procédures d’appel d’offres public lorsqu’elles estiment que les prix convenus sont largement disproportionnés par rapport à leur valeur.

29.

Le dispositif dans lequel elle s’inscrit ( 24 ) repose, en l’occurrence, sur un mécanisme d’autorisation préalable à certains transferts de propriété de terrains agricoles ou sylvicoles faisant l’objet de contrats de vente, dont le déclenchement est conditionné par le dépassement d’un seuil de prix dont l’évaluation repose sur un système de détermination de la valeur marchande agricole de ces terrains. La juridiction de renvoi définit d’ailleurs la disposition litigieuse comme étant «une règle en matière de prix qui fixe une restriction licite à la propriété».

30.

L’autorisation de transfert de propriété d’un terrain agricole ou sylvicole qui fait l’objet d’un contrat de vente n’est, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la GrdstVG, pas requise lorsque l’État fédéral ou un Land est partie à la vente, mais elle l’est en revanche, en vertu de la jurisprudence même du Bundesgerichtshof ( 25 ), lorsque la BVVG est partie à la vente, ce qui est le cas dans l’affaire au principal. En dépit de sa mission légale consistant à mettre en œuvre la privatisation des terres dans les nouveaux Länder, la BVVG, qui est une personne morale de droit privé, ne relève pas de la clause d’exonération prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la GrdstVG.

31.

Il doit ainsi être relevé que la GrdstVG, qui est une loi qui, d’une manière très générale, soumet à autorisation les transferts de propriété des terrains agricoles et sylvicoles intervenant en Allemagne entre personnes privées, trouve également à s’appliquer à l’ensemble des transactions foncières intervenant dans le cadre du processus de privatisation des terres anciennement propriété de l’État qu’administre la BVVG, dans la mesure où cette dernière ne relève pas de la clause d’exonération prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la GrdstVG.

32.

C’est, par conséquent, cette clause d’exonération qui a pour effet de soumettre les ventes de terres agricoles et sylvicoles publiques à une autorisation, lorsque les conditions de la disposition litigieuse, notamment, sont réunies. Et c’est dans la mesure où la BVVG procède à la vente de terrains anciennement propriété de l’État et verse le produit de cette vente au budget fédéral que le dispositif litigieux peut impliquer des ressources d’État et, partant, être susceptible de relever des dispositions du traité relatives aux aides d’État.

33.

Il convient toutefois d’examiner plus précisément le contenu de la disposition litigieuse.

C – Sur le contenu de la disposition litigieuse

34.

L’autorisation de transfert de propriété d’un terrain ne peut être refusée qu’à condition, d’une part, qu’il s’agisse d’un terrain agricole ou sylvicole et, d’autre part, que certaines circonstances se rencontrent, et notamment, pour ce qui concerne la disposition litigieuse, que le prix proposé et convenu dans le contrat de vente soit largement disproportionné par rapport à la valeur marchande agricole du terrain.

35.

La GrdstVG ne définissant pas la notion de «largement disproportionné», ce sont les juridictions allemandes et en particulier la juridiction de renvoi qui l’ont définie. Il y a large disproportion lorsque le prix de vente convenu dépasse de plus de 50 % la valeur marchande agricole du terrain ( 26 ).

36.

La juridiction de renvoi expose, à cet égard, que la disposition litigieuse a pour finalité d’éviter que les agriculteurs professionnels n’aient à supporter des frais d’acquisition de nouveaux terrains susceptibles de mettre en péril la viabilité de leur exploitation. Elle vise donc à faire cesser les opérations de spéculation sur les terrains agricoles et sylvicoles et à promouvoir l’amélioration des structures agricoles.

37.

Le gouvernement allemand a précisé que la décision de refus d’autorisation a pour effet de bloquer l’enregistrement de l’acheteur en tant que propriétaire du terrain, ce qui fait obstacle au transfert de propriété, de telle sorte que le contrat de vente conclu demeure provisoirement sans effet jusqu’à l’intervention d’une décision judiciaire définitive sur cette décision. Si la décision de refus est annulée, le contrat de vente provisoirement sans effet devient exécutoire avec le prix de vente convenu et l’acheteur peut être enregistré en tant que propriétaire. Dans le cas contraire, la décision de refus devient définitive et le contrat conclu devient nul et sans effet. Toutefois, le fait que la décision de refus devienne définitive n’impliquerait aucun droit, pour un agriculteur manifestant son intérêt dans le cadre de la procédure d’appel d’offres ou de la procédure contentieuse contre la décision de refus d’autorisation, d’acquérir le terrain.

38.

La disposition litigieuse vise donc à empêcher que les ventes de terrains agricoles ou sylvicoles réalisées dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres interviennent à des prix qui s’écartent substantiellement de plus de 50 % des prix considérés par les autorités locales compétentes comme étant «acceptables», c’est-à-dire proportionnés à ce qu’elles estiment être leur valeur marchande agricole.

39.

Cela précisé, il importe de relever que la mise en œuvre du dispositif litigieux, qui implique par hypothèse que le prix le plus élevé proposé pour un terrain déterminé dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres soit supérieur de plus de 50 % à la valeur marchande agricole estimée par les autorités locales compétentes, peut théoriquement intervenir dans des cas de figure très différents, qui varient notamment en fonction du nombre d’offres soumises et de la structure des prix proposés.

40.

C’est souligner par là qu’il n’est pas possible d’apprécier le dispositif litigieux et de trancher la question de sa qualification au regard de l’article 107 TFUE sans prendre en considération les conditions concrètes de sa mise en œuvre et plus précisément les circonstances dans lesquelles il en est fait application. Comme j’aurai l’occasion de le montrer, l’appréciation du caractère disproportionné du prix offert dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres pour un terrain déterminé n’est pas la même selon que cette procédure n’a suscité qu’une seule offre, un nombre très réduit d’offres ou un grand nombre d’offres.

41.

Il s’ensuit que, pour apprécier si tel est le cas, il conviendra, certes, d’examiner les modalités concrètes de détermination par les autorités locales compétentes de la valeur marchande agricole des terrains, mais également de prendre en compte le nombre d’offres soumises et la structure des prix proposés dans le cadre de la procédure d’appel d’offres.

D – Sur la particularité de la situation au principal

42.

Il convient, enfin, d’insister sur la particularité de la situation au principal, qui fait l’objet de la troisième interrogation de la juridiction de renvoi ( 27 ) et qui fournit au gouvernement allemand l’un des principaux arguments lui permettant de conclure que le dispositif litigieux ne peut être qualifié d’aide d’État.

43.

Ce dernier fait, en effet, valoir que la décision de refus d’autorisation en cause au principal n’implique aucune obligation pour la BVVG de vendre le terrain litigieux à l’agriculteur professionnel ayant manifesté son intérêt pour en faire l’acquisition. Il ne saurait donc être considéré que le terrain litigieux a été vendu à un prix inférieur au prix du marché tel que fixé dans le cadre de l’appel d’offres public. La disposition litigieuse ne pourrait, par voie de conséquence, être qualifiée d’aide d’État, faute de toute intervention effective au moyen de ressources d’État.

44.

Il est certes exact, que, en l’absence de toute vente du terrain litigieux à l’agriculteur professionnel ayant manifesté son intérêt dans le cadre de la procédure d’appel d’offres public en cause au principal à un prix inférieur à l’offre la plus élevée, il ne saurait être considéré qu’il y a octroi d’une aide effective.

45.

Toutefois, si cette vente n’est effectivement pas intervenue dans l’affaire au principal, c’est d’abord et essentiellement en raison du fait que les deux parties au contrat, qui fait l’objet de la décision de refus d’autorisation, ont contesté cette décision devant les juridictions allemandes, la BVVG soulevant précisément la question de savoir si la disposition litigieuse relève de la qualification d’aide d’État qui se trouve à l’origine de la présente procédure préjudicielle.

46.

Par ailleurs, la circonstance que les autorités locales compétentes n’aient pas encore donné suite à leur décision de refus d’autorisation dans un cas déterminé ne saurait permettre de conclure que la question de la qualification de la disposition litigieuse comme aide d’État est hypothétique. Il ne saurait, en particulier, être considéré que le comportement allégué des autorités locales compétentes se reproduira systématiquement et perpétuellement, sauf à vider la disposition litigieuse de toute substance et de tout effet.

47.

En tout état de cause, la circonstance que les autorités locales compétentes disposent d’un pouvoir discrétionnaire sur les suites à réserver à leur décision de refus d’autorisation demeure sans incidence sur la question de savoir si le dispositif litigieux est susceptible de receler des éléments d’aides d’État. La qualification d’une mesure d’aide d’État ne saurait, sans remettre en cause le système de contrôle permanent des aides d’État établi par les articles 107 et 108 TFUE, être subordonnée ni à la constatation préalable de son exécution effective ni même à l’évaluation prospective de sa fréquence d’exécution.

48.

Au terme de ces premiers développements, je suis en état d’aborder le cœur du problème soulevé par le litige au principal, qui est de déterminer si et dans quelle mesure la mise en œuvre du dispositif litigieux est susceptible de relever de la qualification d’aide d’État.

VI – Sur la qualification du dispositif litigieux comme mesure d’aide d’État

49.

Pour qu’une mesure nationale puisse être qualifiée d’«aide», au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il faut notamment et tout d’abord qu’elle constitue une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État et qu’elle accorde un avantage à son bénéficiaire ( 28 ).

50.

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État sont considérés comme des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La distinction établie dans cette disposition entre les «aides accordées par les États» et les aides accordées «au moyen de ressources d’État» ne signifie pas que tous les avantages consentis par un État constituent des aides, qu’ils soient ou non financés au moyen de ressources étatiques, mais vise seulement à inclure dans cette notion les avantages qui sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui le sont par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État ( 29 ).

51.

Cela dit, la notion d’«aide», au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, recouvre non seulement des prestations positives, telles que des subventions, mais également, plus largement, les interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques ( 30 ). Il suffit, à cet égard, d’établir un lien suffisamment direct entre, d’une part, l’avantage accordé au bénéficiaire et, d’autre part et notamment, une diminution des recettes du budget étatique ( 31 ).

52.

Il doit également être rappelé, pour compléter la réponse à apporter à la deuxième interrogation de la juridiction de renvoi ( 32 ), que le simple fait qu’une mesure poursuive un but social ne suffit pas à la faire échapper d’emblée à la qualification d’«aide», au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, cette disposition ne distinguant pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais définissant celles-ci en fonction de leurs effets ( 33 ).

53.

Comme la Cour l’a déjà souligné, il ne saurait être exclu qu’une vente de terres publiques à un prix inférieur à celui du marché puisse constituer une aide d’État ( 34 ). La Cour a en l’occurrence précisé que la vente par les autorités publiques de terres ou de bâtiments à une entreprise ou à un particulier exerçant une activité économique telle que l’agriculture ou la sylviculture peut receler des éléments d’aides d’État, notamment lorsqu’elle ne s’effectue pas à la valeur du marché, c’est-à-dire au prix qu’un investisseur privé, agissant dans des conditions de concurrence normales, aurait pu fixer ( 35 ).

54.

La Cour en a déduit que, lorsque le droit national instaure des règles de calcul de la valeur de marché des terres pour leur vente par les autorités publiques, l’application de ces règles doit, en vue de leur conformité avec l’article 107 TFUE, aboutir dans tous les cas à un prix le plus proche possible de la valeur de marché ( 36 ).

55.

C’est à la lumière de ces différents éléments qu’il convient d’examiner si et dans quelle mesure l’application de la disposition litigieuse implique l’octroi d’un avantage à une entreprise et peut, partant, relever de la qualification d’aide d’État, ce qui me conduit à analyser tout d’abord le système de détermination de la valeur marchande agricole des terrains agricoles et sylvicoles par les autorités locales compétentes.

A – Le système de détermination de la valeur marchande agricole des terrains

56.

La valeur marchande agricole des terrains, qui n’est pas définie par la GrdstVG, est, ainsi qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi (point 32), le prix qui doit être obtenu pour des terrains de même type et de même situation à l’époque de la conclusion du contrat dans le cadre d’une transaction contractuelle libre entre agriculteurs, c’est-à-dire une transaction foncière au sein du secteur agricole, étant précisé que les cessions à des non-agriculteurs doivent également être prises en considération dans la mesure où elles sont effectuées aux fins d’une autre utilisation agricole du terrain.

57.

Ni la juridiction de renvoi ni les intéressés ayant présenté des observations écrites et orales n’ont fourni d’indications très précises sur les modalités suivant lesquelles l’autorité locale compétente habilitée à refuser l’autorisation requise par la disposition litigieuse a déterminé la valeur marchande agricole du terrain, qui fait l’objet du contrat, valeur sur la base de laquelle a été constatée la large disproportion justifiant le refus d’autorisation. Il ressort, toutefois, des observations écrites de la BVVG que cette valeur est déterminée à partir des prix de référence établis par des comités d’évaluation selon des indicateurs et des valeurs de référence régionaux (points 41 et 42).

58.

La juridiction de renvoi se borne à préciser que, dans le litige au principal, la juridiction d’appel a confirmé la décision de non-autorisation de l’autorité locale compétente sur la base d’un rapport d’expertise qu’elle avait commandé, sans toutefois fournir de plus amples précisions. La BVVG a cependant précisé dans ses observations écrites que les offres soumises par les entreprises agricoles dans le cadre de la procédure d’appel d’offres public ne sont pas prises en considération.

59.

Le déclenchement du mécanisme d’autorisation préalable suppose ainsi que, dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres public pour la vente d’un terrain agricole ayant débouché sur la conclusion d’un contrat de vente avec un acquéreur non agriculteur ou un agriculteur non professionnel, un agriculteur professionnel ait manifesté son intérêt pour l’acquisition du terrain, qui fait l’objet de ce contrat, et que le prix convenu dans ce dernier dépasse de plus de 50 % le prix auquel cet agriculteur s’est déclaré prêt à acquérir le terrain.

B – L’existence d’une intervention au moyen de ressources d’État

60.

Il ne fait pas de doute que la mise en œuvre de la disposition litigieuse peut comporter une intervention au moyen de ressources d’État, en ce qu’elle peut impliquer une perte de revenus de l’État sur le produit de la privatisation des terrains faisant l’objet d’une décision de refus d’autorisation de transfert de propriété. Ainsi que l’a fait valoir la BVVG, son résultat annuel étant versé au budget fédéral, il s’ensuit que l’application de la disposition litigieuse peut mécaniquement conduire à une renonciation par l’État aux ressources correspondant à la différence entre la valeur marchande agricole évaluée par les autorités locales compétentes et le prix le plus élevé proposé dans le cadre de l’appel d’offres public ( 37 ).

C – Les conditions d’existence d’un avantage octroyé à une entreprise

61.

Le gouvernement allemand fait essentiellement valoir que le dispositif litigieux ne saurait être qualifié d’aide d’État dans la mesure où il ne favorise aucune entreprise, où il ne comporte l’octroi d’aucun avantage concret à une entreprise ou à une production. Il estime, en particulier, qu’il serait erroné de considérer que le prix du marché du terrain litigieux correspond à l’offre la plus élevée présentée dans le cadre de la procédure d’appel d’offres public, la jurisprudence de la Cour et la communication de la Commission du 10 juillet 1997 concernant les éléments d’aides d’État contenus dans des ventes de terrains et de bâtiments par les pouvoirs publics (communication no 97/C 209/03) ( 38 ) admettant que le prix du marché peut parfaitement être établi par une expertise indépendante.

62.

Il doit à cet égard être rappelé tout d’abord que, dans sa communication de 1997, la Commission reconnaît que la vente de terrains et de bâtiments appartenant à l’État sera présumée ne pas receler d’éléments d’aides d’État si elle intervient au terme d’une procédure d’appel d’offres ouverte et inconditionnelle ou si, en l’absence d’une telle procédure, elle est précédée d’une évaluation par un ou par plusieurs expert(s) indépendant(s) pour fixer la valeur marchande des actifs en cause sur la base d’indicateurs du marché et de critères d’évaluation communément acceptés.

63.

Ainsi que je l’ai déjà rappelé ( 39 ), la Cour a, dans son arrêt Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe ( 40 ), jugé que si, pour la vente par les autorités publiques de terres agricoles, le droit national pouvait instaurer des règles de calcul de leur valeur de marché, l’application de ces règles ne pouvait être considérée comme conforme à l’article 107 TFUE qu’à condition d’aboutir dans tous les cas à un prix le plus proche possible de la valeur du marché ( 41 ). Elle a confirmé que les méthodes du plus offrant et de l’expertise étaient susceptibles de fournir des prix correspondant aux valeurs réelles du marché, sans toutefois exclure que d’autres méthodes puissent également permettre d’atteindre ce même résultat ( 42 ). Elle a cependant précisé à cet égard qu’une méthode d’évaluation de la valeur des terres agricoles, qui ne serait pas assortie d’un mécanisme d’actualisation permettant un rapprochement le plus précis possible de la valeur marchande du prix de vente des terres notamment en période de forte hausse, ne serait pas apte à refléter la réalité des prix du marché ( 43 ).

64.

En l’occurrence, si le dispositif litigieux présente des caractéristiques le rapprochant d’une procédure d’évaluation de la valeur marchande des actifs par des experts indépendants, telle que décrite sous le titre II, point 2, de la communication de 1997, il présente également et surtout la particularité de neutraliser les effets d’une procédure d’appel d’offres inconditionnelle, telle qu’envisagée sous le titre II, sous 1, de la communication de 1997.

65.

Ainsi que je l’ai déjà relevé, la Cour ne dispose que de très peu d’informations sur la méthodologie suivie par les autorités locales compétentes ou par les experts désignés par les juridictions nationales pour évaluer le prix des terrains dans le cadre de la mise en œuvre de la disposition litigieuse et, plus précisément, sur les indicateurs du marché et les critères d’évaluation qu’ils utilisent. Il ne lui est donc pas possible de déterminer si la procédure d’évaluation est, en soi, de nature à répondre aux exigences de sa propre jurisprudence et aux indications de la communication de 1997.

66.

Il s’agit là, toutefois, d’une appréciation qu’il incombe à la juridiction de renvoi seule d’effectuer, la Cour devant s’efforcer de lui fournir tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union pertinents à cet effet. Il convient à cet égard d’insister sur le fait que cette appréciation doit porter sur le dispositif litigieux lui-même, mais également sur son application concrète, la juridiction de renvoi devant s’assurer en particulier que l’évaluation de la valeur marchande des terrains par les autorités locales compétentes ou par les experts désignés par les juridictions nationales n’aboutisse à un résultat s’écartant de la valeur du marché ( 44 ).

67.

Or, ainsi que je l’ai déjà souligné ( 45 ), cette appréciation dépend autant de la méthodologie et des critères d’évaluation utilisés que des circonstances propres à chaque procédure d’appel d’offres, et, en particulier, du nombre d’offres soumises et de la structure des prix proposés.

68.

Il doit, à cet égard, être tout d’abord observé que la méthodologie d’évaluation de la valeur marchande agricole des terrains ne saurait en soi, dans l’esprit de l’arrêt Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe ( 46 ) et des exigences d’actualisation qu’il impose, être considérée comme répondant à ces exigences que pour autant qu’elle prenne en compte les prix proposés dans le cadre des procédures d’appel d’offres, cette prise en compte étant d’autant plus importante que le nombre d’offres soumises est lui-même élevé.

69.

En effet, et par définition, les prix proposés dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres ouverte et inconditionnelle fournissent en toute hypothèse l’indication la plus fiable et la plus actualisée de la valeur de marché d’un terrain déterminé. Par conséquent, la valeur marchande agricole d’un terrain ne peut être la plus proche possible de la valeur du marché ( 47 ), lorsqu’elle est fixée par les autorités locales compétentes ou par les experts postérieurement à une procédure d’appel d’offres, que pour autant que la méthodologie d’évaluation prenne en compte l’ensemble des prix proposés dans le cadre de cette procédure.

70.

Ensuite, et comme je l’ai déjà relevé, la qualification du dispositif litigieux ne dépend pas que de la méthodologie d’évaluation de la valeur marchande agricole suivie par les autorités locales compétentes ou les juridictions nationales, mais également des circonstances propres à chaque espèce, aux différents cas de figure pouvant théoriquement être envisagés.

71.

Ainsi, dans un premier cas de figure, la valeur marchande agricole estimée par les autorités locales compétentes peut être proche de l’essentiel des offres soumises dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres et l’offre la plus élevée peut être seule nettement supérieure à la fois aux autres prix proposés et à la valeur marchande estimée. Il est, dans ce cas, permis de présumer que l’offre la plus élevée est spéculative et que la valeur estimée correspond au prix du marché, de sorte qu’il pourrait s’en déduire que l’application du dispositif litigieux ne recèle pas d’éléments d’aides d’État.

72.

Dans un deuxième cas de figure, l’offre la plus élevée peut être proche de l’ensemble des autres offres soumises dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres et la valeur marchande agricole estimée par les autorités locales compétentes peut être seule nettement inférieure à l’ensemble des offres. Il est, dans un tel cas, difficile de considérer que la valeur marchande estimée correspond au prix du marché et il pourrait, en conséquence, être considéré que l’application du dispositif litigieux recèle des éléments d’aides d’État.

73.

Par conséquent, lorsque les autorités locales compétentes et/ou les juridictions nationales examinent si les conditions d’application de la disposition litigieuse sont réunies et apprécient le caractère disproportionné du prix le plus élevé proposé dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres en le confrontant à la valeur marchande agricole qu’elles ont estimée, elles doivent tenir compte des circonstances propres à chaque espèce, en prenant en particulier en considération la structure des prix proposés.

74.

Il reste encore à évoquer le cas de figure dans lequel la procédure d’appel d’offres ne suscite qu’une seule proposition. Dans un tel cas, la méthodologie d’évaluation de la valeur marchande agricole suivie par les autorités locales compétentes et les juridictions nationales revêt assurément une importance décisive.

75.

Dans le cadre de l’appréciation que la juridiction de renvoi devra porter à cet égard, elle pourra utilement tenir compte, à titre de comparaison, du système de détermination de la valeur des terrains mis au point par la BVVG elle-même, le Vergleichspreissystem (VPS) ( 48 ), que la République fédérale d’Allemagne a pris soin de notifier à la Commission ( 49 ). Cette dernière a en l’occurrence considéré, après l’avoir fait évaluer par un expert ( 50 ), que l’application de la méthode VPS excluait toute présence d’éléments d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La Commission a, plus précisément, estimé que la méthode VPS ne conférait aucun avantage à l’acheteur d’un terrain dans la mesure où elle permettait de refléter la valeur de marché de ce terrain, étant précisé que cette appréciation ne vaut que pour les seules ventes conclues par la BVVG dans le cadre de la privatisation des terres agricoles et sylvicoles des nouveaux Länder d’Allemagne.

76.

La méthode VPS, qui se fonde sur la méthode d’évaluation comparative (Vergleichswertverfahren) utilisée par des experts indépendants en évaluation en Allemagne ( 51 ), repose sur la fixation d’un prix de vente moyen par comparaison des données pertinentes concernant un grand nombre de transactions similaires passées. Les données pertinentes, qui portent entre autres sur la localisation régionale, la situation, la taille et la qualité des terrains vendus ( 52 ), sont compilées dans une base de données qui est mise à jour de manière permanente, au moins une fois par mois et plus si nécessaire, avec de nouvelles transactions et des indicateurs de marché ( 53 ).

77.

C’est à la lumière de ces éléments, notamment, que la juridiction de renvoi doit apprécier si le dispositif litigieux et son application favorisent certaines entreprises ou certaines productions au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, étant précisé que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, une mesure doit être regardée comme sélective, même lorsqu’elle concerne tout un secteur économique ( 54 ), dès lors qu’elle favorise des entreprises qui se trouveraient, au regard de l’objectif poursuivi, dans une situation factuelle et juridique comparable ( 55 ) et pour autant qu’elle ne se justifie pas par la nature ou l’économie générale du système dans lequel elle s’inscrit ( 56 ).

78.

Or, l’application de la disposition litigieuse est de nature à favoriser les agriculteurs professionnels qui, à la suite des procédures d’appel d’offres organisées par la BVVG en vue de la vente de terrains agricoles, ont l’opportunité d’en faire l’acquisition à un prix inférieur à l’offre la plus élevée, voire à l’ensemble des offres présentées.

79.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’article 107 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une règle de droit national comme celle en cause au principal qui, aux fins d’améliorer les structures agricoles, interdit à une émanation de l’État de vendre, dans le cadre d’un appel d’offres public, un terrain agricole au plus offrant lorsque la meilleure offre est largement disproportionnée par rapport à la valeur du terrain ne peut échapper à la qualification d’aide d’État que pour autant que cette valeur soit la plus proche possible de la valeur du marché, ce qui implique notamment que son estimation tienne compte des prix proposés au cours de l’appel d’offres. C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe d’apprécier si une telle règle répond à ces exigences et si son application concrète est susceptible d’aboutir à la fixation d’un prix s’écartant de la valeur du marché et d’en tirer les conséquences.

VII – Conclusion

80.

Je propose à la Cour de répondre comme suit à la demande de décision préjudicielle que lui a adressée le Bundesgerichtshof:

L’article 107 TFUE doit être interprété en ce sens qu’une règle de droit national comme celle en cause au principal qui, aux fins d’améliorer les structures agricoles, interdit à une émanation de l’État de vendre, dans le cadre d’un appel d’offres public, un terrain agricole au plus offrant lorsque la meilleure offre est largement disproportionnée par rapport à la valeur du terrain ne peut échapper à la qualification d’aide d’État que pour autant que cette valeur soit la plus proche possible de la valeur du marché, ce qui implique notamment que son estimation tienne compte des prix proposés au cours de l’appel d’offres. C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe d’apprécier si une telle règle répond à ces exigences et si son application concrète est susceptible d’aboutir à la fixation d’un prix s’écartant de la valeur du marché et d’en tirer les conséquences.


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) D’une manière très générale, voir Kadner, T., Die Transformation des Vermögensrechts in Ostdeutschland nach der Wiedervereinigung, ZEuP, 1997, p. 86; Rohde, G., Grunstückeigentums- und Bodennutzungsrechtsverhältnisse in den neuen Bundesländern nach dem Einigungsvertrag, DNotZ, 1991, p. 186.

( 3 ) C‑239/09, EU:C:2010:778.

( 4 ) Ci-après la «BVVG».

( 5 ) Organisme public chargé de missions spécifiques résultant de la réunification.

( 6 ) Ci-après la «GrdstVG».

( 7 ) Ci-après la «disposition litigieuse».

( 8 ) Voir, notamment, arrêt Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, point 52).

( 9 ) Voir, notamment, arrêt Enirisorse (C‑237/04, EU:C:2006:197, point 23); et ordonnance Acanfora (C‑181/13, EU:C:2014:127, point 22).

( 10 ) Voir, notamment, arrêts Steinike & Weinlig (78/76, EU:C:1977:52, point 2); Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon (C‑354/90, EU:C:1991:440, points 8 à 14), ainsi que Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C‑143/99, EU:C:2001:598, points 26 à 29).

( 11 ) Voir, notamment, arrêts Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon (EU:C:1991:440, point 12) ainsi que SFEI e.a. (C‑39/94, EU:C:1996:285, point 40).

( 12 ) Voir, notamment, arrêt DM Transport (C‑256/97, EU:C:1999:332, point 15).

( 13 ) Voir, notamment, arrêts Fallimento Traghetti del Mediterraneo (C‑140/09, EU:C:2010:335, point 24) ainsi que Paint Graphos e.a. (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 35).

( 14 ) JO C 312, p. 8.

( 15 ) Voir également communication de la Commission, du 9 avril 2009, relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales (JO C 85, p. 1, points 89 et suivants).

( 16 ) Voir ordonnance Zwartveld e.a. (C‑2/88 IMM, EU:C:1990:315, points 17 et 18).

( 17 ) Voir, notamment, arrêt SFEI e.a. (EU:C:1996:285, point 50).

( 18 ) Voir, notamment, arrêts SFEI e.a. (EU:C:1996:285, point 28) ainsi que Piaggio (C‑295/97, EU:C:1999:313, points 29 à 32).

( 19 ) Voir article 3 du règlement (CE) no 1535/2007 de la Commission, du 20 décembre 2007, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis dans le secteur de la production de produits agricoles (JO L 337, p. 35). L’article 4, paragraphe 1, deuxième alinéa, de ce règlement précise cependant que, dans le cas où le plafond de minimis fixé à son article 3, paragraphe 2, est dépassé (savoir 7500 EUR pour une même entreprise sur une période de trois exercices fiscaux), l’État membre concerné s’assure que la mesure d’aide conduisant à ce dépassement est notifiée à la Commission ou récupérée auprès du bénéficiaire. Conformément à son article 7, second alinéa, ledit règlement est applicable du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2013. Il a été remplacé par le règlement (UE) no 1408/2013 de la Commission, du 18 décembre 2013, relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis dans le secteur de l’agriculture (JO L 352, p. 9), entré en vigueur le 1er janvier 2014. Ce nouveau règlement, outre qu’il modifie le plafond de minimis, prévoit à son article 6 un nouveau mécanisme de contrôle, qui ne comporte plus l’obligation de notification prévue à l’article 4, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1535/2007.

( 20 ) Voir article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) no 994/98 du Conseil, du 7 mai 1998, sur l’application des articles 92 et 93 du traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d’aides d’État horizontales (JO L 142, p. 1).

( 21 ) Voir article 1er, paragraphe 3, du règlement (UE) no 733/2013 du Conseil, du 22 juillet 2013, modifiant le règlement (CE) no 994/98 sur l’application des articles 92 et 93 du traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d’aides d’État horizontales (JO L 204, p. 11), qui modifie notamment l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 994/98.

( 22 ) Règlement (CE) no 1857/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité aux aides d’État accordées aux petites et moyennes entreprises actives dans la production de produits agricoles et modifiant le règlement (CE) no 70/2001 (JO L 358, p. 3); ce règlement a été abrogé par le règlement (UE) no 702/2014 de la Commission, du 25 juin 2014, déclarant certaines catégories d’aides, dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales, compatibles avec le marché intérieur, en application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO L 193, p. 1), en vigueur depuis le 1er juillet 2014.

( 23 ) Voir, notamment, Schramm, L., Probleme der Grundstücksverkehrsgenehmigung und des siedkungsrechtlichen Vorkaufsrechts in den neuen Bundesländern, NL-BzAR, 2005, no 8, p. 322.

( 24 ) Ci-après le «dispositif litigieux».

( 25 ) Arrêt du 27 novembre 2009 (BLw 4/09, NJW-RR 2010, 886 Rn. 12).

( 26 ) Voir, cité par le gouvernement allemand, arrêt du Bundesgerichtshof du 27 avril 2001 (BLw 14/00, NJW-RR 2001, 1021).

( 27 ) Voir point 11 des présentes conclusions.

( 28 ) Voir, notamment, arrêts Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415, points 74 et 75) ainsi que Libert e.a. (C‑197/11 et C‑203/11, EU:C:2013:288, point 74).

( 29 ) Voir, notamment, arrêts van Tiggele (82/77, EU:C:1978:10, points 24 et 25) ainsi que PreussenElektra (C‑379/98, EU:C:2001:160, point 58).

( 30 ) Voir, notamment, arrêts Banco Exterior de España (C‑387/92, EU:C:1994:100, point 13); SFEI e.a. (EU:C:1996:285, point 58); Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe (EU:C:2010:778, point 30), ainsi que Eventech (C‑518/13, EU:C:2015:9, point 33).

( 31 ) Voir, notamment, arrêt Eventech (EU:C:2015:9, point 34).

( 32 ) Voir points 11 et 20 des présentes conclusions.

( 33 ) Voir, notamment, arrêt Heiser (C‑172/03, EU:C:2005:130, point 46).

( 34 ) Arrêt Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe (EU:C:2010:778, point 31).

( 35 ) Voir arrêt Commission/Scott (C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 68) et Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe (EU:C:2010:778, point 34).

( 36 ) Voir arrêt Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe (EU:C:2010:778, point 35).

( 37 ) Voir notamment, a contrario, arrêt Eventech (EU:C:2015:9, point 44).

( 38 ) JO C 209, p. 3, ci-après la «communication de 1997».

( 39 ) Voir points 53 et 54 des présentes conclusions.

( 40 ) EU:C:2010:778.

( 41 ) Voir points 35 et 48.

( 42 ) Point 39.

( 43 ) Voir point 43.

( 44 ) Voir arrêt Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe (EU:C:2010:778, point 52).

( 45 ) Voir point 40 des présentes conclusions.

( 46 ) EU:C:2010:778, point 43.

( 47 ) Arrêt Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe (EU:C:2010:778, point 35).

( 48 ) Ci-après la «méthode VPS».

( 49 ) Décision no C(2012) 9457 de la Commission, du 19 décembre 2012, concernant une proposition de méthode alternative d’évaluation des terres agricoles et sylvicoles vendues en Allemagne par l’agence publique BVVG (http://ec.europa.eu/competition/state_aid/cases/246093/246093_1396874_125_2.pdf).

( 50 ) Voir points 21 à 23 de la décision, où il est précisé que l’expert sollicité devait déterminer si la méthode VPS permettait d’établir la valeur de marché des terres agricoles et sylvicoles et se fondait sur des principes d’évaluation communément acceptés, conformément au titre II, paragraphe 2, sous a), de la communication de 1997.

( 51 ) Les standards d’évaluation sont, en l’occurrence, consignés dans les Allgemeine Grundsätze der Immobilienwertermittlungsverordnung («ImmoWertV»); voir point 28 de cette décision.

( 52 ) Voir points 17 et 29 de ladite décision.

( 53 ) Voir point 32 de la décision.

( 54 ) Voir, notamment, arrêt Unicredito Italiano (C‑148/04, EU:C:2005:774, point 45).

( 55 ) Voir, notamment, arrêts Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (EU:C:2001:598, point 41); GIL Insurance e.a. (C‑308/01, EU:C:2004:252, point 68); Heiser (EU:C:2005:130, point 40), ainsi que Eventech (EU:C:2015:9, point 55).

( 56 ) Voir, notamment, arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (EU:C:2001:598, point 42).

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