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Document 62013CO0290

    Ordonnance de la Cour (huitième chambre) du 4 septembre 2014.
    Rütgers Germany GmbH e.a. contre Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
    Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Règlement (CE) n° 1907/2006 (règlement REACH) – Article 59 et annexe XIII – Identification de l’huile anthracénique (pâte anthracénique) comme substance extrêmement préoccupante, à soumettre à la procédure d’autorisation – Égalité de traitement.
    Affaire C-290/13 P.

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:2174

    ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

    4 septembre 2014 (*)

    «Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Règlement (CE) n° 1907/2006 (règlement REACH) – Article 59 et annexe XIII – Identification de l’huile anthracénique (pâte anthracénique) comme substance extrêmement préoccupante, à soumettre à la procédure d’autorisation – Égalité de traitement»

    Dans l’affaire C‑290/13 P,

    ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 16 mai 2013,

    Rütgers Germany GmbH, établie à Castrop-Rauxel (Allemagne),

    Rütgers Belgium NV, établie à Zelzate (Belgique),

    Deza a.s., établie à Valašske Meziříčí (République tchèque),

    Koppers Denmark A/S, établie à Nyborg (Danemark),

    Koppers UK Ltd, établie à Scunthorpe (Royaume-Uni),

    représentées par Me K. Van Maldegem, avocat,

    parties requérantes,

    l’autre partie à la procédure étant:

    Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme M. Heikkilä ainsi que par MM. W. Broere et T. Zbihlej, en qualité d’agents, assistés de Mes J. Stuyck et A.-M. Vandromme, advocaten,

    partie défenderesse en première instance,

    LA COUR (huitième chambre),

    composée de M. C. G. Fernlund (rapporteur), président de chambre, MM. A. Ó Caoimh et E. Jarašiūnas, juges,

    avocat général: M. N. Jääskinen,

    greffier: M. A. Calot Escobar,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

    rend la présente

    Ordonnance

    1        Par leur pourvoi, Rütgers Germany GmbH, Rütgers Belgium NV, Deza a.s., Koppers Denmark A/S et Koppers UK Ltd demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Rütgers Germany e.a./ECHA (T‑96/10, EU:T:2013:109), ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation partielle de la décision ED/68/2009 de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), publiée le 13 janvier 2010, identifiant l’huile anthracénique et la pâte anthracénique comme une substance devant être ajoutée à la liste des substances candidates conformément à l’article 59 du règlement (CE) n° 1907/2006 (REACH) (ci-après la «décision litigieuse»).

     Les antécédents du litige et la décision litigieuse

    2        Les requérantes sont des producteurs et des fournisseurs d’huile anthracénique (pâte anthracénique) [ci-après l’«huile anthracénique (pâte)»] (CE n° 292-603-2) dans l’Union européenne.

    3        Il ressort du point 2 de l’arrêt attaqué que l’huile anthracénique (pâte) est «le solide riche en anthracène obtenu par cristallisation et centrifugation d’huile anthracénique, composée principalement d’anthracène, de carbazole et de phénanthrène. Cette substance fait partie des substances de composition inconnue ou variable, produits de réactions complexes ou matières biologiques (ci-après les ‘substances UVCB’), parce qu’elle ne peut être complètement identifiée par sa composition chimique. L’huile anthracénique (pâte) est notamment utilisée comme intermédiaire pour la production d’anthracène pur et de carbazole. Elle est également utilisée comme intermédiaire pour la production de noir de carbone».

    4        Le 28 août 2009, la République fédérale d’Allemagne a transmis à l’ECHA un dossier concernant l’identification de l’huile anthracénique (pâte) comme une substance répondant aux critères visés à l’article 57, sous d) et e), du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008 (JO L 353, p. 1, ci-après le «règlement REACH»), en raison de ses propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques (ci-après les «propriétés PBT») ainsi que très persistantes et très bioaccumulables (ci-après les «propriétés vPvB»).

    5        Au cours de la procédure, l’ECHA a indiqué, à cet égard, que l’huile anthracénique (pâte) était classifiée parmi les substances cancérogènes et répondait, dès lors, aux critères visés à l’article 57, sous a), du règlement REACH.

    6        Le 4 décembre 2009, le comité des États membres visé à l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement REACH a conclu à l’identification de l’huile anthracénique (pâte) comme une substance extrêmement préoccupante répondant aux critères énoncés à l’article 57, sous a), b), d) et e), du même règlement.

    7        Par la décision litigieuse, l’ECHA a identifié l’huile anthracénique (pâte) comme une substance répondant aux critères visés à l’article 57, sous a), b), d) et e), du règlement REACH, en vue de son inclusion à terme dans l’annexe XIV de ce règlement.

     Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

    8        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 17 février 2010, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation partielle de la décision litigieuse.

    9        Dans leur recours, les requérantes invoquaient cinq moyens.

    10      Par leur premier moyen, les requérantes faisaient valoir que la République fédérale d’Allemagne, en violation de l’article 59, paragraphe 3, du règlement REACH et de l’annexe XV, II, point 2, de celui-ci, a omis de fournir, dans son dossier relatif à l’huile anthracénique (pâte), des informations sur les substances de remplacement. Elles soutenaient que, si de telles informations avaient été incluses dans le dossier, la décision litigieuse n’aurait peut-être pas été adoptée dans la mesure où les substances de remplacement contiennent des constituants PBT.

    11      Par les motifs exposés aux points 71 à 80 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce premier moyen.

    12      Par leur deuxième moyen, les requérantes reprochaient à l’ECHA d’avoir modifié la proposition de la République fédérale d’Allemagne, alors même qu’elle n’était pas habilitée à le faire. Elles alléguaient que le dossier élaboré par cet État membre se limitait à proposer l’identification de l’huile anthracénique (pâte) au regard des seuls critères visés à l’article 57, sous d) et e), du règlement REACH, c’est-à-dire des propriétés PBT et vPvB de cette substance. La décision litigieuse aurait néanmoins identifié ladite substance comme extrêmement préoccupante en se fondant en outre sur ses propriétés cancérogènes et mutagènes.

    13      Par les motifs exposés aux points 82 à 90 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce deuxième moyen.

    14      Par leur troisième moyen, les requérantes soutenaient que l’ECHA avait enfreint le principe d’égalité de traitement. Cette agence aurait identifié l’huile anthracénique (pâte) comme une substance extrêmement préoccupante, sans justification objective, et ce alors même qu’il existait, sur le marché, d’autres substances UVCB comparables contenant de l’anthracène.

    15      Par les motifs exposés aux points 92 à 96 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce troisième moyen.

    16      Par leur quatrième moyen, les requérantes prétendaient que l’ECHA avait commis une erreur d’appréciation en identifiant l’huile anthracénique (pâte) comme une substance ayant des propriétés PBT ou vPvB sur la base d’une évaluation de certains de ses constituants dont la concentration est supérieure à 0,1 %. Elles faisaient valoir, d’une part, que le règlement REACH ne prévoit pas une telle possibilité et que, d’autre part, ces constituants n’ont pas été formellement identifiés par l’ECHA comme ayant de telles propriétés.

    17      Par les motifs exposés aux points 97 à 131 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le quatrième moyen dans son ensemble.

    18      Par leur cinquième moyen, les requérantes soutenaient que la décision litigieuse est contraire au principe de proportionnalité. D’une part, cette décision serait inappropriée au regard des objectifs poursuivis par le règlement REACH, consistant à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. D’autre part, des mesures moins contraignantes auraient permis d’atteindre ces objectifs.

    19      Par les motifs exposés aux points 133 à 150 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le cinquième moyen.

     Les conclusions des parties

    20      Les requérantes demandent à la Cour:

    –        à titre principal, d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse;

    –        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

    –        de condamner l’ECHA aux dépens.

    21      L’ECHA conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérantes aux dépens.

     Sur le pourvoi

    22      En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

    23      À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent, en substance, quatre moyens, qu’il convient de reformuler et d’examiner successivement comme suit.

     Sur le premier moyen, relatif à la portée du contrôle juridictionnel

    24      Par leur premier moyen, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir, au point 99 de l’arrêt attaqué, restreint la portée de son contrôle au seul motif que le recours concernait «des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes». Le Tribunal aurait ainsi commis une erreur de droit, car le recours concernait l’application de dispositions claires du règlement REACH. Le Tribunal pourrait tirer ce type de conclusion dès lors qu’il est saisi de questions concernant le règlement REACH, ce qui soulèverait une question d’accès à la justice.

    25      À cet égard, il convient de rappeler, ainsi que l’a fait à titre liminaire le Tribunal au point 99 de l’arrêt attaqué, que, dès lors que les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant aux éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions auxquelles, seules, le traité FUE a conféré cette tâche [arrêts Enviro Tech (Europe), C‑425/08, EU:C:2009:635, point 47, et Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 60].

    26      Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 100 de l’arrêt attaqué, en se fondant sur les points 33 et 34 de l’arrêt Afton Chemical (C‑343/09, EU:C:2010:419), que «le large pouvoir d’appréciation des autorités de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de leur exercice, ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais s’applique aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Toutefois, un tel contrôle juridictionnel, même s’il a une portée limitée, requiert que les autorités de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant le juge de l’Union que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir».

    27      En statuant ainsi, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le Tribunal n’a manifestement pas violé le droit des requérantes à l’accès à la justice, ces dernières ayant été pleinement en mesure d’attaquer la décision litigieuse afin d’assurer la défense de leurs intérêts.

    28      Le premier moyen est donc manifestement non fondé.

     Sur le deuxième moyen, tiré d’une interprétation erronée du règlement REACH

    29      Par leur deuxième moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis diverses erreurs d’interprétation du règlement REACH lorsqu’il a statué sur l’identification de l’huile anthracénique (pâte) et de ses constituants. Ce moyen comprend trois branches. Par la première, les requérantes contestent, à titre principal, la méthode consistant à identifier l’huile anthracénique (pâte) à partir des propriétés de certains de ses constituants. Par la deuxième, elles soutiennent, à titre subsidiaire, que chacun de ces constituants aurait dû être identifié individuellement. Par la troisième, elles reprochent au Tribunal de ne pas avoir jugé que le dossier élaboré conformément à l’annexe XV du règlement REACH doit inclure des informations sur les substances de remplacement.

     Sur la première branche du deuxième moyen, relative à l’identification de l’huile anthracénique (pâte) à partir des propriétés de certains de ses constituants

    30      Par la première branche de leur deuxième moyen, les requérantes critiquent les motifs par lesquels, aux points 101 à 123 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté leurs arguments relatifs à l’approche suivie par l’ECHA pour identifier l’huile anthracénique (pâte) comme ayant des propriétés PBT et vPvB. Les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir interprété le règlement REACH en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que l’ECHA puisse identifier une substance comme ayant des propriétés PBT et vPvB sur la base des propriétés de constituants dont le taux de concentration excède 0,1 %.

    31      Premièrement, les requérantes considèrent que cette interprétation, en l’absence de dispositions explicites, va au-delà du libellé du règlement REACH et de son annexe XIII, en méconnaissance du principe de sécurité juridique. En particulier, le fait que cette annexe XIII n’édicte pas une limite maximale de 0,1 % indiquerait clairement que le législateur ne souhaitait pas introduire une telle limite dans la procédure d’identification des substances. Cette interprétation serait corroborée par le fait que, lors des travaux ayant conduit à l’adoption du règlement (UE) n° 253/2011 de la Commission, du 15 mars 2011, modifiant le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), en ce qui concerne l’annexe XIII (JO L 69, p. 7), le législateur n’a pas retenu la proposition de modification de l’annexe XIII consistant à appliquer un seuil de concentration unique fixé à 0,1 %.

    32      Deuxièmement, les requérantes soutiennent que le Tribunal a fondé son raisonnement sur de fausses analogies ou comparaisons. Elles contestent ainsi l’affirmation, aux points 111 et 121 de l’arrêt attaqué, selon laquelle «la qualification d’une substance en raison des propriétés de ses constituants paraît comparable à la qualification d’un mélange en raison des propriétés de ses substances». La procédure de classification des mélanges introduite par le règlement n° 1272/2008 ne serait pas comparable à la procédure d’identification d’une substance ayant des propriétés PBT ou vPvB, ce qui ressortirait clairement du considérant 75 du règlement n° 1272/2008.

    33      À supposer même que les principes qui constituent le fondement du règlement n° 1272/2008 soient transposables à la situation en cause, les requérantes relèvent que ces principes privilégient la méthode consistant à évaluer les propriétés d’un mélange plutôt que celles de ses constituants. En particulier, le recours à la limite maximale de 0,1 % aux fins de la classification d’un mélange ne serait possible qu’en l’absence d’informations sur le mélange lui-même. Par conséquent, le raisonnement du Tribunal serait erroné dans la mesure où il conduirait à appliquer systématiquement la limite de 0,1 % sans qu’il soit possible de présenter des études scientifiques et alors même que le règlement n° 1272/2008 prévoit non pas un seuil de concentration unique, mais différentes limites comprises entre 0,1 % et 1 %.

    34      Troisièmement, les requérantes contestent l’appréciation effectuée par le Tribunal, au point 108 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les substances UVCB sont des substances multiconstituantes. Le règlement REACH établirait une distinction entre ces deux types de substances. Les requérantes se réfèrent à cet égard à un «guide de l’ECHA relatif à l’identification et à la désignation des substances au titre des règlements REACH et [n° 1272/2008]». Dès lors, les règles de classification d’une préparation ne sauraient être appliquées par analogie.

    35      Quatrièmement, les requérantes contestent le bien-fondé du motif par lequel le Tribunal, au point 113 de l’arrêt attaqué, a considéré que l’identification d’une substance UVCB sur la base des propriétés de ses constituants se justifiait par le fait que, «une fois libérés dans l’environnement, les constituants individuels d’une telle substance se comporteraient comme des substances autonomes». Le Tribunal se serait ainsi fondé sur les risques qui découlent de l’utilisation d’une substance et non pas de sa mise sur le marché. En statuant ainsi, le Tribunal aurait confondu les règles relatives à la classification d’une substance et celles liées aux risques posés par son utilisation postérieure à sa mise sur le marché.

    36      Cinquièmement, les requérantes considèrent que le Tribunal, au point 111 de l’arrêt attaqué, a mal interprété le règlement REACH en considérant que l’article 57 de ce règlement situe les substances ayant des propriétés PBT et vPvB au même niveau que les substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. En effet, le règlement n° 1272/2008 énoncerait des règles détaillées aux fins de la classification des substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, mais il ne contiendrait aucune disposition concernant les substances PBT et vPvB, lesquelles sont exclusivement régies par l’annexe XIII du règlement REACH.

    37      Il convient de constater que, par la première branche de leur deuxième moyen, les requérantes posent la question de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le règlement REACH ne s’oppose pas à ce que l’ECHA puisse, au terme de la procédure prévue à l’article 59 de ce règlement, identifier une substance comme ayant des propriétés PBT et vPvB en se fondant sur l’examen des propriétés intrinsèques de ses constituants.

    38      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 59, paragraphes 2 et 3, du règlement REACH, lu conjointement avec l’annexe XV de ce règlement, prévoit l’élaboration d’un dossier pour une substance qui répond aux critères d’identification comme ayant des propriétés PBT ou vPvB, critères définis à l’annexe XIII dudit règlement. C’est donc, ainsi que l’a relevé à bon droit le Tribunal au point 105 de l’arrêt attaqué, cette substance qui doit répondre aux critères permettant de la considérer comme ayant de telles propriétés.

    39      La notion de «substance» est définie à l’article 3, point 1, du règlement REACH comme «un élément chimique et ses composés à l’état naturel ou obtenus par un processus de fabrication, y compris tout additif nécessaire pour en préserver la stabilité et toute impureté résultant du processus mis en œuvre». Ainsi définie, la notion de «substance» couvre non seulement les éléments chimiques ayant une structure moléculaire unique, mais également ceux composés de plusieurs constituants, lesquels font, comme l’a relevé à juste titre le Tribunal au point 106 de l’arrêt attaqué, partie intégrante de cette substance.

    40      Certes, il est vrai que, dans sa version applicable à la date d’adoption de la décision litigieuse, l’annexe XIII du règlement REACH ne prévoyait pas expressément qu’une substance puisse être identifiée en tenant compte des propriétés PBT ou vPvB de ses constituants pertinents. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, cela ne signifie toutefois pas que l’annexe XIII du règlement REACH interdisait alors de tenir compte de telles propriétés des constituants pertinents d’une substance.

    41      En effet, ainsi que l’a relevé à bon droit le Tribunal au point 106 de l’arrêt attaqué, une telle interprétation reviendrait à méconnaître l’objectif poursuivi par le règlement REACH, énoncé à son article 1er, paragraphe 1, à savoir assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion des méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. Ces considérations liées à la finalité du règlement REACH s’imposent avec d’autant plus de force lorsqu’il s’agit d’identifier des substances UVCB. En effet, l’annexe XIII du règlement REACH ne prévoit pas de règles particulières relatives à l’identification des propriétés PBT ou vPvB de ces substances dont la composition est inconnue ou variable et qui contiennent des constituants différents.

    42      C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal, en se référant au point 17 de l’arrêt Caldana (187/84, EU:C:1985:374), a jugé, au point 106 de l’arrêt attaqué, que «[m]ême si le libellé de l’annexe XIII du règlement [REACH], dans sa version applicable en l’espèce, n’indique pas expressément que l’identification des substances ayant des propriétés PBT et vPvB doit également tenir compte des propriétés PBT ou vPvB des constituants pertinents d’une substance, il n’exclut pas une telle approche. Cependant, il ne saurait être considéré que, du seul fait qu’un constituant d’une substance possède un certain nombre de propriétés, la substance les possède également, mais il faut considérer le pourcentage et les effets chimiques de la présence d’un tel constituant».

    43      Par conséquent, doit être rejetée comme manifestement non fondée l’argumentation des requérantes, exposée aux points 32 et 33 de la présente ordonnance, visant à démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 121 de l’arrêt attaqué, qu’«il ne saurait être conclu que la décision [litigieuse] est entachée d’une erreur manifeste en ce que le seuil de 0,1 % a été appliqué en tant que facteur entraînant l’identification de la substance en cause sur la base de ses constituants».

    44      En outre, l’ensemble des arguments exposés aux points 32 à 34 et 36 de la présente ordonnance, selon lesquels le raisonnement du Tribunal repose sur une fausse analogie avec le règlement n° 1272/2008 ou une fausse interprétation de ce règlement, sont dirigés contre des motifs qui, destinés à conforter l’interprétation de l’annexe XIII du règlement REACH qui figure au point 106 de l’arrêt attaqué, sont surabondants. Ces arguments ne pouvant entraîner l’annulation de celui-ci, ils sont inopérants.

    45      Enfin, il ressort des points 36 à 38 de la requête introductive du pourvoi que l’argument exposé au point 35 de la présente ordonnance est dirigé contre le motif exposé au point 113 de l’arrêt attaqué. Or, ce motif contient non pas une appréciation du Tribunal, mais un résumé de l’argumentation développée par l’ECHA. Par conséquent, cet argument doit être écarté.

    46      Il découle de ce qui précède que la première branche du deuxième moyen doit être rejetée comme manifestement non fondée.

     Sur la deuxième branche du deuxième moyen, relative à l’identification des constituants de l’huile anthracénique (pâte) comme ayant des propriétés PBT ou vPvB

    47      Par la deuxième branche de leur deuxième moyen, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir considéré, au point 126 de l’arrêt attaqué, que l’identification préalable des constituants pertinents de l’huile anthracénique (pâte) n’aurait été d’aucune valeur ajoutée par rapport à la méthode suivie en l’espèce. Elles soutiennent que l’article 57 et l’annexe XIII du règlement REACH exigent une évaluation individuelle de chaque substance. Parmi les substances pertinentes constituant l’huile anthracénique (pâte), seul l’anthracène aurait fait l’objet d’une telle évaluation. Or, une évaluation individuelle et approfondie de chacun de ces constituants aurait pu aboutir à un résultat autre que l’identification de l’huile anthracénique (pâte), tout en permettant aux parties intéressées d’être consultées. Par conséquent, ce serait à tort que le Tribunal a affirmé qu’une identification individuelle desdits constituants n’aurait pas apporté de valeur ajoutée.

    48      Par ladite branche du deuxième moyen, les requérantes posent, en substance, la question de savoir si l’article 57 et l’annexe XIII du règlement REACH exigent, lorsque l’identification d’une substance UVCB repose sur l’examen des propriétés intrinsèques de certains de ses constituants, que chacun de ces constituants fasse l’objet d’une procédure d’identification conformément à l’article 59 du même règlement.

    49      Ainsi que l’a relevé à bon droit le Tribunal au point 126 de l’arrêt attaqué, les articles 57, sous d) et e), et 59 du règlement REACH exigent, aux fins de l’identification d’une substance, que celle-ci réponde aux critères définis à l’annexe XIII de ce règlement. Aucune disposition du règlement REACH n’impose, dans le cas de substances composées de multiples constituants, que chacun de ces constituants fasse l’objet, à titre individuel, d’une procédure d’identification au titre de l’article 59 de ce règlement. Par conséquent, la seconde branche du deuxième moyen manque en droit. Elle doit, dès lors, être rejetée.

    50      Par la troisième branche de leur deuxième moyen, les requérantes critiquent l’appréciation du Tribunal, au point 79 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les informations sur les substances de remplacement ne sont pas pertinentes pour l’identification d’une substance en tant que substance extrêmement préoccupante au titre de l’article 59 du règlement REACH. Elles reprochent au Tribunal d’avoir conclu, au point 73 dudit arrêt, que l’État membre ne doit inclure les informations sur les substances de remplacement dans le dossier élaboré conformément à l’annexe XV de ce règlement que s’il en dispose. Elles estiment en effet que ce raisonnement est incohérent et erroné.

    51      Toutefois, il convient de relever que c’est à bon droit que le Tribunal a souligné, au point 73 de l’arrêt attaqué, qu’«un État membre peut seulement indiquer les informations qui se trouvent à sa disposition». À cet égard, le Tribunal, au point 74 dudit arrêt, a indiqué ce qui suit:

    «En tout état de cause, la lettre aux autorités allemandes compétentes du 17 juillet 2009, émanant du groupe sectoriel des substances chimiques issues de la houille, dont les requérantes sont membres, n’indiquait pas de substances de remplacement. En invitant les autorités allemandes à adopter ‘une approche plus équilibrée qui ne pénalis[ait] pas un seul secteur industriel’, ce groupe a considéré ‘qu’il [était] notoire que de nombreuses charges pétrolières contenaient également de l’anthracène’. Cette lettre fait donc référence à des substances qui, selon ledit groupe, présentent un niveau de danger semblable à celui de l’huile anthracénique (pâte) et non à des substances qui peuvent être utilisées comme substances de remplacement parce qu’elles sont susceptibles d’être utilisées à la place de l’huile anthracénique (pâte) pour remplir la même fonction. Enfin, il convient de relever que, au vu de l’article 60, paragraphe 5, du [règlement REACH], le point II 2 de l’annexe XV dudit règlement doit être interprété comme se référant à des substances de remplacement appropriées, une condition que les mélanges à base de pétrole ne remplissent pas en raison de leur teneur en anthracène.»

    52      En statuant ainsi, par des motifs de droit et de fait qui n’ont pas été contestés par les requérantes dans le cadre de leur pourvoi, le Tribunal a légalement justifié sa décision de juger, au point 75 de l’arrêt attaqué, que les exigences de procédure visées à l’article 59, paragraphe 3, du règlement REACH ont été respectées.

    53      Il s’ensuit que les arguments invoqués par les requérantes dans le cadre de cette troisième branche du deuxième moyen pour critiquer les motifs figurant aux points 73 et 79 de l’arrêt attaqué sont dirigés contre des motifs surabondants qui, en tant que tels, ne sont pas susceptibles de conduire à l’annulation de cet arrêt. Ces arguments doivent, dès lors, être rejetés comme inopérants.

    54      Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté comme manifestement non fondé.

     Sur le troisième moyen, tiré d’une omission à statuer et d’une dénaturation des mémoires de première instance

    55      Par leur troisième moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal n’a pas répondu aux arguments développés au point 37 de leur mémoire en réplique par lesquels elles soutenaient que les modifications apportées à l’annexe XIII du règlement REACH, postérieurement à la publication de la décision litigieuse, par le règlement n° 253/2011, ne prévoient pas un seuil de 0,1 %. Elles considèrent que ces modifications reposent sur une approche fondée sur la «force probante» ou une évaluation basée sur l’avis d’experts. Il conviendrait de suivre cette approche pour les substances ayant des propriétés PBT ou vPvB afin de pouvoir démontrer que la classification n’est pas justifiée.

    56      Toutefois, il y a lieu de constater que cette argumentation s’appuie sur le règlement n° 253/2011, lequel n’était pas en vigueur à la date d’adoption de la décision litigieuse. En interprétant l’annexe XIII du règlement REACH dans sa version applicable à cette date, le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur de droit.

    57      Par ailleurs, les requérantes contestent l’affirmation, aux points 118 et 121 de l’arrêt attaqué, selon laquelle elles n’ont pas contesté «l’application du seuil de 0,1 % en général». Elles rappellent qu’elles ont clairement fait valoir que, pour être valable, un tel seuil devait être expressément prévu. Le Tribunal aurait également omis de répondre aux arguments exposés au point 108 de la requête, concernant l’évaluation et l’identification individuelle de chacun des constituants pertinents de l’huile anthracénique (pâte).

    58      Toutefois, cette argumentation ne saurait en aucun cas prospérer dès lors qu’elle se rapporte à des arguments qui ont été invoqués dans le cadre du deuxième moyen et que celui-ci a été rejeté dans son intégralité ainsi qu’il ressort du point 54 de la présente ordonnance.

    59      Le troisième moyen doit donc être rejeté comme manifestement non fondé.

     Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement

    60      Par leur quatrième moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal, aux points 91 à 96 de l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit en jugeant que, d’une part, l’ECHA n’a pas violé le principe d’égalité de traitement au motif que la Commission européenne a respecté la procédure prévue à l’article 59 du règlement REACH et que, d’autre part, l’ECHA ne possède aucun pouvoir en matière de choix de la substance à identifier. Elles estiment que le fait que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour choisir la substance à identifier en tant que substance extrêmement préoccupante ne signifie pas pour autant que cette institution peut créer, par rapport à d’autres substances similaires, une situation de discrimination qui ne serait pas objectivement justifiée. Le Tribunal aurait donc mal interprété le principe d’égalité de traitement et omis d’examiner s’il existait une différence de traitement objectivement justifiée.

    61      Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ressort des points 92 à 95 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a procédé à une analyse circonstanciée de leur argumentation tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement. Afin de répondre au troisième moyen du recours, le Tribunal a jugé à bon droit que l’ECHA ne dispose d’aucun pouvoir relatif au choix de la substance à identifier, cette prérogative incombant exclusivement à la Commission et aux États membres en application de l’article 59 du règlement REACH. Il en a déduit que, faute pour les requérantes d’avoir contesté la légalité de la procédure visée à cet article 59, le troisième moyen du recours devait être rejeté.

    62      En outre, il convient de relever que, dans le cadre du troisième moyen de leur recours, les requérantes reprochaient à l’ECHA d’avoir enfreint le principe d’égalité de traitement en identifiant l’huile anthracénique (pâte) comme substance extrêmement préoccupante plutôt que d’autres substances UVCB à base de constituants contenant de l’anthracène et d’autres hydrocarbures aromatiques polycycliques. Or, dans le cadre de leur quatrième moyen, les requérantes invoquent à l’appui de leur pourvoi une violation de l’égalité de traitement imputable à la Commission qui n’est pas partie au litige. Il s’agit donc d’un moyen nouveau, manifestement irrecevable au stade du pourvoi. Par conséquent, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

    63      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que, aucun des moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur pourvoi ne pouvant être accueilli, il y a lieu de rejeter celui-ci comme étant, pour partie, manifestement irrecevable et, pour partie, manifestement non fondé.

     Sur les dépens

    64      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu du paragraphe 1 dudit article 184, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’ECHA ayant conclu à la condamnation des requérantes et celles-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

    Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne:

    1)      Le pourvoi est rejeté.

    2)      Rütgers Germany GmbH, Rütgers Belgium NV, Deza a.s., Koppers Denmark A/S et Koppers UK Ltd sont condamnées aux dépens.

    Signatures


    * Langue de procédure: l’anglais.

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