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Document 62013CJ0559

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 24 février 2015.
Finanzamt Dortmund-Unna contre Josef Grünewald.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesfinanzhof.
Renvoi préjudiciel – Libre circulation des capitaux – Fiscalité directe – Impôt sur le revenu – Déductibilité de rentes alimentaires versées en contrepartie d’une donation en avancement de part successorale – Exclusion pour les non-résidents.
Affaire C-559/13.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:109

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

24 février 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Libre circulation des capitaux — Fiscalité directe — Impôt sur le revenu — Déductibilité de rentes alimentaires versées en contrepartie d’une donation en avancement de part successorale — Exclusion pour les non-résidents»

Dans l’affaire C‑559/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 14 mai 2013, parvenue à la Cour le 30 octobre 2013, dans la procédure

Finanzamt Dortmund-Unna

contre

Josef Grünewald,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, M. A. Tizzano, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, A. Ó Caoimh, J.‑C. Bonichot (rapporteur), présidents de chambre, M. A. Arabadjiev, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, D. Šváby, Mmes M. Berger, A. Prechal, MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 septembre 2014,

considérant les observations présentées:

pour le Finanzamt Dortmund-Unna, par M. S. Lorenz, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et J.‑S. Pilczer, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. G. Braun et W. Roels, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 novembre 2014,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 63 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Finanzamt Dortmund-Unna (centre des impôts de Dortmund-Unna, ci‑après le «Finanzamt») à M. Grünewald au sujet du refus du Finanzamt d’admettre la déductibilité, au titre de l’impôt sur les revenus tirés de parts d’une société de droit civil reçues par donation en avancement d’hoirie, de rentes alimentaires versées par M. Grünewald à ses parents en contrepartie de cette cession de parts, au motif qu’il n’est pas résident en Allemagne.

Le cadre juridique

3

Selon l’article 1er de la loi relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz), dans sa version applicable au litige au principal (BGBl. 2002 I, p. 4210, ci-après l’«EStG»), les personnes physiques qui ont leur domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne sont intégralement assujetties à l’impôt sur le revenu, alors que celles qui n’ont ni leur domicile ni leur résidence habituelle sur le territoire allemand sont partiellement assujetties à cet impôt lorsqu’elles perçoivent des revenus nationaux au sens de l’article 49 de l’EStG.

4

L’article 10, paragraphe 1, de l’EStG est libellé comme suit:

«Constituent des dépenses exceptionnelles les charges suivantes lorsqu’elles ne constituent ni des charges d’exploitation ni des frais professionnels:

[...]

1a.

les rentes et les charges permanentes reposant sur des obligations particulières qui ne sont pas liées économiquement aux revenus n’entrant pas en ligne de compte dans l’imposition [...]»

5

Parmi les revenus visés à l’article 49 de l’EStG figurent ceux générés par une activité industrielle ou commerciale sur le territoire allemand.

6

L’article 50, paragraphe 1, de l’EStG dispose:

«Les personnes partiellement assujetties ne peuvent déduire les charges d’exploitation (article 4, paragraphes 4 à 8) ou les frais professionnels (article 9) que dans la mesure où ils sont économiquement liés aux revenus perçus sur le territoire national. [...] [L]es articles 10 [et suivants] ne s’appliquent pas.»

Le litige au principal et la question préjudicielle

7

Dans le cadre d’une donation en avancement de part successorale (avancement d’hoirie), M. Grünewald a acquis de son père, par une convention de cession du 17 janvier 1989, 50 % des parts d’une société de droit civil (Gesellschaft bürgerlichen Rechts) ayant une activité horticole et située en Allemagne, son frère en recevant l’autre moitié. En contrepartie de ces donations, les bénéficiaires devaient verser à leur père ou, le cas échéant, à leurs parents les rentes décrites à l’article 2 de cette convention.

8

M. Grünewald, qui vit dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne et qui n’a ni son domicile ni sa résidence habituelle en Allemagne, a perçu, entre l’année 1999 et l’année 2002, au titre de cette participation, des revenus d’origine commerciale. Il a perçu, en outre, d’autres revenus en Allemagne.

9

Le Finanzamt a considéré que l’intéressé était un assujetti partiel et, en se fondant sur les dispositions de l’article 50 de l’EStG, lui a refusé la possibilité de déduire de ses revenus imposables en Allemagne les rentes qu’il avait versées à ses parents, domiciliés en Allemagne.

10

Le recours de M. Grünewald contre cette décision a été accueilli par un jugement du Finanzgericht Münster (tribunal des finances de Münster).

11

Le Finanzamt a demandé au Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) l’annulation de ce jugement et le rejet dudit recours.

12

Selon la juridiction de renvoi, c’est à bon droit que le Finanzamt a, conformément au droit national applicable, refusé la déduction des rentes alimentaires en cause lors du calcul de l’assiette de l’impôt sur le revenu dans le cadre de l’obligation fiscale limitée de M. Grünewald. Ce dernier pourrait déduire les charges d’exploitation et les frais professionnels liés économiquement à ses revenus nationaux, mais non des dépenses exceptionnelles telles que ces rentes alimentaires.

13

Toutefois, la juridiction de renvoi estime qu’il demeure un doute quant à la compatibilité de ce régime fiscal avec le droit de l’Union. Certes, dans son arrêt Schröder (C‑450/09, EU:C:2011:198), la Cour aurait déjà jugé qu’il y a restriction à la libre circulation des capitaux garantie à l’article 63 TFUE lorsque les rentes alimentaires privées versées par des contribuables non-résidents et liées à des revenus locatifs nationaux générés par des biens immeubles ne sont pas déductibles, alors que des versements correspondants le sont dans le cas des contribuables résidents assujettis sur l’intégralité de leurs revenus. Cependant, selon la juridiction de renvoi, dans cet arrêt Schröder (EU:C:2011:198), la Cour, parce qu’elle n’était pas interrogée sur ce point, ne s’est pas prononcée, notamment, sur la question de savoir s’il fallait tenir compte de ce que le régime fiscal national concerné reposait sur le principe dit «de correspondance» («Korrespondenzprinzip»), selon lequel, dès lors que le débiteur d’une rente dispose d’un droit à déduction de celle-ci, le bénéficiaire de cette rente doit être imposé.

14

C’est dans ces conditions que le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante:

«L’article 63 TFUE fait-il obstacle à la réglementation d’un État membre selon laquelle les rentes alimentaires privées versées par des contribuables non-résidents ne sont pas déductibles dans le contexte du transfert, en vertu d’une donation en avancement de part successorale (avancement d’hoirie), d’un patrimoine situé sur le territoire national et générant des revenus, alors que des versements équivalents sont déductibles en cas d’obligation fiscale illimitée, cette déduction entraînant toutefois une obligation fiscale correspondante du bénéficiaire des prestations (soumis à une obligation fiscale illimitée)?»

Sur la question préjudicielle

Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux

15

Il doit être relevé que, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Schröder (EU:C:2011:198), était en cause la réglementation nationale dont l’application a fait l’objet de la présente demande de décision préjudicielle. Dans cet arrêt, la Cour a dit pour droit que l’article 63 TFUE, qui prohibe les restrictions aux mouvements de capitaux, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui, tout en permettant à un contribuable résident de déduire les rentes versées à un parent, qui lui a transmis des biens immeubles situés sur le territoire de cet État membre, des revenus locatifs produits par ces biens, n’accorde pas une telle déduction à un contribuable non-résident, pour autant que l’engagement de payer ces rentes découle de la transmission desdits biens.

16

Les éléments de fait et de droit qui, selon la juridiction de renvoi, rendent nécessaires la présente demande de décision préjudicielle tiennent à la double circonstance que, en l’occurrence, d’une part, les revenus imposés entre les mains du contribuable non-résident proviennent de parts d’une société et non de de la location de biens immeubles et, d’autre part, le régime fiscal national en cause au principal repose sur le principe de correspondance, selon lequel à la déduction de la rente versée par le débiteur de cette dernière doit correspondre l’imposition du revenu tiré de cette rente entre les mains de son bénéficiaire.

17

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui refuse à un contribuable non-résident ayant perçu dans cet État membre des revenus commerciaux générés par l’activité d’une société dont les parts lui ont été transmises par un parent en vertu d’une donation en avancement de part successorale de déduire de ces revenus les rentes qu’il a versées à ce parent en contrepartie de cette donation, alors que cette réglementation accorde cette déduction à un contribuable résident au motif que ces rentes seraient imposées entre les mains de leur bénéficiaire.

18

À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que, selon une jurisprudence constante, les successions et les dons constituent des mouvements de capitaux, au sens de l’article 63 TFUE, à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, notamment, arrêt Schröder, EU:C:2011:198, point 26). Par conséquent, il y a lieu de considérer que la transmission en cause de parts d’une société établie en Allemagne, dans le cadre d’une succession anticipée, à une personne physique résidant dans un autre État membre relève de l’article 63 TFUE.

19

En deuxième lieu, les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent notamment celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre ou de maintenir de tels investissements (voir, notamment, arrêt Schröder, EU:C:2011:198, point 30).

20

S’agissant de la législation en cause au principal, une personne physique n’ayant ni son domicile ni sa résidence habituelle en Allemagne est, conformément à l’article 49 de l’EStG, assujettie à l’impôt sur le revenu dans cet État membre pour les revenus provenant de l’activité commerciale exercée sur le territoire allemand par une société dont cette personne détient des parts. Contrairement au contribuable résident, un tel contribuable non-résident ne peut, en vertu de l’article 50 de l’EStG, en tant que personne assujettie partiellement à l’impôt sur les seuls revenus nationaux, déduire de ces revenus une rente, telle que celle versée par M. Grünewald dans le cadre d’une succession anticipée, en tant que dépense exceptionnelle au sens de l’article 10, paragraphe 1, point 1a, de l’EStG. Le traitement fiscal moins favorable ainsi réservé aux non‑résidents pourrait dissuader ces derniers d’accepter des parts de sociétés établies en Allemagne à titre d’avancement d’hoirie. Il est également susceptible de dissuader les résidents allemands de désigner comme bénéficiaires d’une succession anticipée des personnes résidant dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne (voir, en ce sens, arrêt Schröder, EU:C:2011:198, point 32).

21

Une telle législation constitue donc une restriction à la libre circulation des capitaux.

22

Il y a lieu de rappeler, en troisième lieu, que, certes, en vertu de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, l’article 63 TFUE ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’établir, dans leur législation fiscale, une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence (arrêt Schröder, EU:C:2011:198, point 34).

23

Toutefois, il importe de distinguer les traitements inégaux permis au titre de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE des discriminations arbitraires ou des restrictions déguisées interdites par l’article 65, paragraphe 3, TFUE. En effet, pour qu’une réglementation fiscale nationale, telle que celle en cause au principal, qui opère une distinction entre les contribuables résidents et les contribuables non‑résidents, puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir, notamment, arrêt Schröder, EU:C:2011:198, point 35).

Sur la comparabilité des situations

24

Il convient d’examiner si, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, la situation des non-résidents est comparable à celle des résidents.

25

Il est de jurisprudence constante que, en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables dans la mesure où le revenu perçu sur le territoire d’un État membre par un non‑résident ne constitue le plus souvent qu’une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence, et que la capacité contributive personnelle du non‑résident, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s’apprécier plus aisément à l’endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, ce qui correspond en général à sa résidence habituelle (voir, notamment, arrêt Schröder, EU:C:2011:198, point 37).

26

Aussi, le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier les non‑résidents de certains avantages fiscaux qu’il accorde aux résidents n’est‑il, en règle générale, pas discriminatoire, compte tenu des différences objectives existant entre la situation des résidents et celle des non-résidents tant du point de vue de la source des revenus que de la capacité contributive personnelle ou de la situation personnelle et familiale (voir, notamment, arrêt Schröder, EU:C:2011:198, point 38).

27

Il en va toutefois différemment, d’une part, dans le cas où le non-résident ne perçoit pas de revenu significatif dans l’État membre de sa résidence et tire l’essentiel de ses ressources imposables d’une activité exercée dans l’autre État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt Schumacker, C‑279/93, EU:C:1995:31, point 36).

28

Dès lors, s’il s’avérait, en l’occurrence, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que les revenus perçus en Allemagne par M. Grünewald au cours des années 1999 à 2002 constituaient la partie essentielle de son revenu global pendant cette période, la situation de l’intéressé devrait être considérée comme objectivement comparable à celle d’un résident de cet État membre.

29

La Cour a également jugé, d’autre part, que, en ce qui concerne les dépenses directement liées à une activité ayant généré des revenus imposables dans un État membre, les résidents de ce dernier et les non‑résidents sont placés dans une situation comparable (voir, notamment, arrêt Schröder, EU:C:2011:198, point 40 et jurisprudence citée).

30

Ainsi, présentent un lien direct avec l’activité en question les dépenses occasionnées par cette activité et, donc, nécessaires pour l’exercice de celle‑ci (voir, en ce sens, arrêts Gerritse, C‑234/01, EU:C:2003:340, points 9 et 27, ainsi que Centro Equestre da Lezíria Grande, C‑345/04, EU:C:2007:96, point 25).

31

Dans ces conditions, si les revenus perçus par M. Grünewald sur le territoire allemand au cours des années concernées ne constituaient pas la partie essentielle de son revenu global, le caractère comparable de la situation de ce contribuable avec celle d’un résident ne pourrait alors être admis que si la rente versée par l’intéressé devait être considérée comme une dépense directement liée aux revenus de l’activité de la société établie en Allemagne, dont les parts lui ont été transmises à titre d’avancement d’hoirie.

32

Il convient de rappeler qu’il appartient en dernier ressort au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits en cause au principal et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si tel est le cas. Toutefois, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour, appelée à fournir au juge national des réponses utiles, est compétente pour donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations qui lui ont été soumises, susceptibles de permettre à la juridiction de renvoi de statuer (voir, notamment, arrêt Alakor Gabonatermelő és Forgalmazó, C‑191/12, EU:C:2013:315, point 31 et jurisprudence citée).

33

À cet égard, il ressort de l’ensemble des éléments produits devant la Cour que l’engagement de payer la rente en cause au principal découle directement de la cession des parts de la société qui exerce l’activité horticole à l’origine des revenus imposés en Allemagne, cet engagement, présenté par la juridiction de renvoi comme étant la contrepartie de cette transmission en avancement de part successorale, ayant été une condition nécessaire de ladite transmission. Si tel était effectivement le cas, la situation de M. Grünewald devrait être considérée comme comparable à celle d’un contribuable résident.

34

Il n’apparaît pas que cette appréciation puisse être remise en cause par certaines des considérations retenues à cet égard dans la décision de renvoi ou dans les observations produites par le gouvernement allemand devant la Cour.

35

En premier lieu, l’existence du lien entre les dépenses supportées par le contribuable non-résident et ses revenus imposables dans l’État membre concerné ne saurait dépendre de la nature des revenus générés par les éléments du patrimoine ainsi transmis. Si, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Schröder (EU:C:2011:198), ces revenus provenaient de la location des immeubles transmis en avancement de part successorale, alors que, dans la présente affaire au principal, les revenus concernés proviennent de parts d’une société exerçant une activité horticole, et si, par conséquent, lesdits revenus relèvent de catégories d’imposition différentes, il n’en résulte pas pour autant une qualification différente du lien existant entre les dépenses engagées et les revenus en cause au principal, la nature de ces derniers étant à cet égard indifférente.

36

En deuxième lieu, à supposer que le montant d’une rente, telle que celle payée par M. Grünewald, soit déterminé en fonction de la capacité contributive du débiteur et des besoins alimentaires du bénéficiaire, il n’en demeure pas moins que l’existence d’un lien direct, au sens de la jurisprudence citée au point 29 du présent arrêt, résulte non pas d’une corrélation quelconque entre le montant de la dépense en question et celui des revenus imposables, mais du fait que cette dépense est indissociable de l’activité produisant ces derniers (voir, en ce sens, arrêt Schröder EU:C:2011:198, point 43).

37

En troisième lieu, il est constant que, dans la présente affaire, comme dans celle qui a donné lieu à l’arrêt Schröder (EU:C:2011:198), le versement de la rente par le contribuable non‑résident est intervenu dans le cadre non pas d’une cession à titre onéreux d’un élément du patrimoine, mais d’une transmission en avancement de part successorale à titre gratuit. À cet égard, l’absence de caractère onéreux de cette cession rend en outre inopérant l’argument évoqué par la juridiction de renvoi et tiré de ce que ladite rente ne devrait être déductible, dans le cas d’une acquisition de patrimoine à titre onéreux, qu’en faisant la part entre frais d’acquisition et intérêts. En tout état de cause, un tel argument concernerait le montant de la déduction et non le principe de celle‑ci, seul en cause en l’occurrence.

38

Dans ces conditions, une réglementation nationale qui, en matière d’impôt sur le revenu, refuse aux non‑résidents la déduction d’une rente versée dans des conditions telles que celles en cause au principal, mais qui, en revanche, accorde celle-ci aux résidents, alors que la situation des non-résidents et des résidents est comparable, méconnaît l’article 63 TFUE si ce refus n’est pas justifié par des motifs impérieux d’intérêt général.

Sur l’existence de motifs impérieux d’intérêt général

39

En premier lieu, il importe de vérifier, comme le demande la juridiction de renvoi, si la différence de traitement en cause au principal peut être justifiée par la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, ce que soutient le gouvernement allemand.

40

À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres est un objectif légitime reconnu par la Cour. D’autre part, il ressort d’une jurisprudence constante que, en l’absence de mesures d’unification ou d’harmonisation adoptées par l’Union européenne, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation, en vue, notamment, d’éliminer les doubles impositions (arrêt DMC, C‑164/12, EU:C:2014:20, points 46 et 47).

41

Toutefois, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, cette justification n’apparaît pas établie.

42

Il convient en effet de constater, tout d’abord, que si, en vertu du «principe de correspondance» (Korrespondenzprinzip) évoqué au point 13 du présent arrêt, la législation fiscale de l’État membre concerné s’oppose à la déduction, par le débiteur non-résident, des rentes versées, dès lors que le revenu qui en découle pour leur bénéficiaire ne pourrait être imposé entre les mains de ce dernier, notamment parce qu’il est lui‑même non‑résident, cet argument, invoqué par la juridiction de renvoi et le gouvernement allemand, apparaît, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 69 de ses conclusions, en tout état de cause, hypothétique et ne correspond nullement aux circonstances de l’affaire au principal.

43

Ensuite, la non‑déductibilité des rentes par le débiteur non‑résident, lorsque celui‑ci est assujetti partiellement à l’impôt sur le revenu, résulte de l’article 50 de l’EStG, indépendamment du lieu de résidence du créancier et de l’imposition ou non de ces rentes entre les mains de ce dernier.

44

Rien ne permet, dès lors, de considérer que la législation en cause au principal vise au maintien de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.

45

En second lieu, le gouvernement allemand se prévaut également du «principe de correspondance» (Korrespondenzprinzip) pour soutenir que le refus de procéder à la déduction des rentes versées par un non‑résident assujetti partiellement à l’impôt sur le revenu répondrait à la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime fiscal national.

46

Cet argument ne peut prospérer.

47

En effet, dès lors qu’aucun lien direct n’a ainsi été établi entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, la législation en cause ne peut non plus être justifiée par la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime fiscal national.

48

Il est vrai que la Cour a déjà admis que la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés de circulation garanties par le traité. Pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse être retenu, la Cour exige toutefois un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêts Papillon, C‑418/07, EU:C:2008:659, points 43 et 44, ainsi que Commission/Allemagne, C‑211/13, EU:C:2014:2148, point 55).

49

Un tel lien direct fait défaut lorsqu’il s’agit, notamment, d’impositions distinctes ou du traitement fiscal de contribuables différents (arrêt DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C., C‑380/11, EU:C:2012:552, point 47). Tel est le cas en l’espèce puisque la déduction des rentes par le redevable et l’imposition de celles‑ci entre les mains de leur bénéficiaire concernent nécessairement des contribuables distincts.

50

Le gouvernement allemand expose, cependant, que, si la déduction des rentes alimentaires privées était autorisée en Allemagne sans que ces rentes soient dans le même temps imposées entre les mains de leurs bénéficiaires, l’ensemble formé par les parents et leurs descendants, dans le cadre duquel intervient une succession anticipée («Generationennachfolgeverbund») et qui doit, selon ce gouvernement, être traité «quasiment» comme une entité fiscale unique, puisque s’y opère un transfert de la capacité contributive, bénéficierait d’un double avantage.

51

Toutefois, outre que, comme il a été dit au point 42 du présent arrêt, l’absence d’imposition des rentes entre les mains de leur bénéficiaire ne correspond pas aux circonstances de l’affaire au principal, il est constant que la déduction des rentes alimentaires est refusée dans tous les cas au contribuable non‑résident en vertu de l’article 50 de l’EStG, que ces rentes soient taxées ou non en Allemagne. Dès lors, ce contribuable non-résident est traité par la législation nationale en tant que tel et non pas en tant que membre de l’entité fiscale unique évoquée au point précédent du présent arrêt, la déduction des rentes qu’il a versées n’étant pas prévue par cette législation en cas d’imposition de ces rentes entre les mains de leur bénéficiaire.

52

Enfin, en évoquant, sans autre précision, le risque de voir les prestations pouvoir être déduites une seconde fois dans l’État de résidence du bénéficiaire, le gouvernement allemand ne met pas la Cour à même d’apprécier la portée de cet argument, alors qu’il n’est pas soutenu que la mise en œuvre des dispositions de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et des taxes sur les primes d’assurance (JO L 336, p. 15), alors en vigueur, n’aurait pas permis d’éviter ce risque.

53

Le gouvernement allemand ne saurait, par conséquent, se prévaloir de la préservation de la cohérence du régime fiscal applicable à l’entité fiscale unique qu’il invoque, pour justifier le traitement discriminatoire réservé au contribuable non‑résident.

54

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui refuse à un contribuable non‑résident ayant perçu dans cet État membre des revenus commerciaux générés par des parts d’une société, qui lui ont été transmises par un parent en vertu d’une donation en avancement de part successorale, de déduire de ces revenus les rentes qu’il a versées à ce parent en contrepartie de cette donation, alors que cette réglementation accorde cette déduction à un contribuable résident.

Sur les dépens

55

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

L’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui refuse à un contribuable non‑résident ayant perçu dans cet État membre des revenus commerciaux générés par des parts d’une société, qui lui ont été transmises par un parent en vertu d’une donation en avancement de part successorale, de déduire de ces revenus les rentes qu’il a versées à ce parent en contrepartie de cette donation, alors que cette réglementation accorde cette déduction à un contribuable résident.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.

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