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Document 62013CJ0037

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 25 juin 2014.
Nexans SA et Nexans France SAS contre Commission européenne.
Pourvoi – Concurrence – Règlement (CE) no 1/2003 – Procédure administrative – Inspection – Décision ordonnant une inspection – Obligation de motivation – Indices suffisamment sérieux – Marché géographique.
Affaire C-37/13 P.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:2030

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

25 juin 2014 ( *1 )

«Pourvoi — Concurrence — Règlement (CE) no 1/2003 — Procédure administrative — Inspection — Décision ordonnant une inspection — Obligation de motivation — Indices suffisamment sérieux — Marché géographique»

Dans l’affaire C‑37/13 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 janvier 2013,

Nexans SA, établie à Paris (France),

Nexans France SAS, établie à Paris,

représentées par M. M. Powell, solicitor, Me J.‑P. Tran-Thiet, avocat, Mme G. Forwood, barrister, et Mme A. Rogers, solicitor,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. R. Sauer, J. Bourke et N. von Lingen, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. E. Juhász, A. Rosas, D. Šváby et C. Vajda (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 février 2014,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 avril 2014,

rend le présent

Arrêt

1

Par leur pourvoi, Nexans SA (ci-après «Nexans») et Nexans France SAS (ci-après «Nexans France») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, EU:T:2012:596, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a partiellement rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2009) 92/1 de la Commission, du 9 janvier 2009, ordonnant à Nexans et à sa filiale Nexans France de se soumettre à une inspection en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1, ci-après la «décision litigieuse»), ainsi que de plusieurs décisions adoptées au cours de cette inspection.

Le cadre juridique

2

L’article 4 du règlement no 1/2003, intitulé «Compétences de la Commission», dispose:

«Pour l’application des articles [81 CE] et [82 CE], la Commission dispose des compétences prévues par le présent règlement.»

3

L’article 20 de ce règlement, intitulé «Pouvoirs de la Commission en matière d’inspection», énonce:

«1.   Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises.

[...]

4.   Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux inspections que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de l’inspection, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues aux articles 23 et 24, ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision. La Commission prend ces décisions après avoir entendu l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée. [...]»

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

4

Le Tribunal a résumé les antécédents du litige comme suit aux points 1 à 5 de l’arrêt attaqué:

«1

Les requérantes, [Nexans] et sa filiale à 100 % [Nexans France], sont deux sociétés françaises exerçant leur activité dans le secteur des câbles électriques.

2

Par [la décision litigieuse], la Commission des Communautés européennes a ordonné à Nexans et à toutes les entreprises directement ou indirectement contrôlées par elle, y compris à Nexans France, de se soumettre à une inspection, en application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement [no 1/2003].

3

L’article 1er de la décision [litigieuse] est ainsi libellé:

‘Nexans [...], ainsi que toutes les entreprises, directement ou indirectement contrôlées par elle(s), à l’inclusion de Nexans France [...] a par la présente l’obligation de se soumettre à une inspection relative à [son] (leur) éventuelle participation à des accords anticoncurrentiels et/ou pratiques concertées contraires à l’article 81 [CE] en relation avec la fourniture de câbles électriques et de matériel associé y compris, entre autres, les câbles électriques sous-marins de haute tension et, dans certains cas, les câbles électriques souterrains de haute tension, comprenant la présentation de soumissions concertées lors de marchés publics, l’attribution de clients, ainsi que l’échange illicite d’informations commercialement sensibles concernant la fourniture de ces produits.

L’inspection peut avoir lieu en tous lieux contrôlés par l’entreprise [...]

Nexans [...] ainsi que toutes les entreprises, directement ou indirectement contrôlées par elle(s), à l’inclusion de Nexans France [...] autorise les fonctionnaires et autres personnes mandatées par la Commission [à] procéder à une inspection et les fonctionnaires et autres personnes mandatées par l’autorité de concurrence de l’État membre [à] les aider ou nommées par ce dernier à cet effet, à accéder à tous ses locaux et moyens de transport pendant les heures normales de bureau. Elle soumet à inspection les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support, si les fonctionnaires et autres personnes mandatées en font la demande et leur permet de les examiner sur place et de prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents. Elle autorise l’apposition de scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci. Elle donne immédiatement sur place des explications orales sur l’objet et le but de l’inspection si ces fonctionnaires ou personnes en font la demande et autorise tout représentant ou membre du personnel à donner de telles explications. Elle autorise l’enregistrement de ces explications sous quelque forme que ce soit.’

4

À l’article 2 de la décision [litigieuse], la Commission précise que l’inspection peut débuter le 28 janvier 2009. À l’article 3 de ladite décision, elle indique que la décision [litigieuse] sera notifiée à l’entreprise qui en est la destinataire immédiatement avant l’inspection.

5

La décision [litigieuse] est motivée comme suit:

‘La Commission a reçu des informations selon lesquelles les fournisseurs de câbles électriques, y compris les entreprises auxquelles cette décision est adressée, participeraient ou auraient participé à des accords et/ou pratiques concertées en relation avec la fourniture de câbles électriques et de matériel associé y compris, entre autres, les câbles électriques sous-marins de haute tension et, dans certains cas, les câbles électriques souterrains de haute tension, comprenant la présentation de soumissions concertées lors de marchés publics, l’attribution de clients, ainsi que l’échange illicite d’informations commercialement sensibles concernant la fourniture de ces produits.

[...]

Selon les informations reçues par la Commission, [c]es accords et/ou pratiques concertées [...], qui ont été mis en place dès 2001 au plus tard, existent toujours actuellement. [Ils] ont probablement une portée mondiale.

S’il s’avère que ces allégations sont fondées, les accords et/ou les pratiques concertées décrits ci-dessus constitueraient de très graves infractions à l’article 81 [CE].

Afin de permettre à la Commission de vérifier tous les faits relatifs aux accords et aux pratiques concertées présumés et le contexte dans lequel ils se sont déroulés, il est nécessaire d’effectuer des inspections en application de l’article 20 du règlement [...] no 1/2003.

[...]’»

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

5

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 avril 2009, Nexans et Nexans France ont demandé l’annulation de la décision litigieuse et des actes pris par la Commission au cours de l’inspection. Elles ont, en outre, demandé à ce que le Tribunal ordonne des mesures à l’encontre de la Commission dans l’éventualité d’une annulation de la décision litigieuse et des actes pris par la Commission au cours de l’inspection en question.

6

À l’appui de leur demande, les requérantes ont soulevé un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 et des droits fondamentaux, à savoir les droits de la défense, le droit à un procès équitable, le droit de ne pas contribuer à leur propre incrimination, la présomption d’innocence et le droit au respect de la vie privée. Par ce moyen, divisé en deux branches, les requérantes ont reproché à la Commission, premièrement, le caractère excessivement étendu et vague de la gamme de produits couverts par la décision litigieuse et, secondement, la portée géographique excessivement étendue de cette décision.

7

Au point 94 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli la première branche du moyen unique, dans la mesure où elle visait les câbles électriques autres que les câbles électriques sous-marins et souterrains de haute tension et le matériel associé à ces autres câbles, après avoir conclu, au point 91 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas démontré qu’elle disposait d’indices suffisamment sérieux pour ordonner une inspection portant sur l’ensemble des câbles électriques et le matériel associé à ces câbles. Le Tribunal a rejeté la première branche de ce moyen pour le surplus.

8

En ce qui concerne la seconde branche dudit moyen, le Tribunal a statué aux points 97 à 99 comme suit:

«97

Contrairement à ce que les requérantes soutiennent, en indiquant que les accords et/ou pratiques concertées soupçonnés ont ‘probablement une portée mondiale’, la Commission a décrit de façon circonstanciée le champ d’action de l’entente suspectée. La précision de la décision [litigieuse] concernant la portée géographique des éventuelles infractions au droit de la concurrence dont l’existence était soupçonnée par la Commission doit donc être considérée comme étant suffisante.

98

Néanmoins, il est possible d’interpréter les arguments des requérantes en ce sens que, ce qu’elles reprochent à la Commission, ce n’est pas d’avoir identifié trop vaguement la portée géographique de l’entente suspectée, mais la possibilité même d’inclure dans le champ d’application de la décision [litigieuse] des documents relatifs à des marchés géographiques de nature locale situés en dehors du marché commun sans préciser les raisons pour lesquelles un comportement de l’entreprise en cause dans ces marchés pourrait distordre la concurrence dans le marché commun.

99

À cet égard, il y a lieu de relever que l’intitulé même du règlement no 1/2003 montre que les pouvoirs conférés à la Commission par ce règlement ont pour objet la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE. Ces deux dispositions interdisent certains comportements de la part des entreprises pour autant qu’ils soient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qu’ils aient pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Dès lors, la Commission ne peut utiliser ses pouvoirs d’inspection qu’aux fins de déceler de tels comportements. La Commission ne saurait donc effectuer une inspection dans les locaux d’une entreprise si elle soupçonne l’existence d’un accord ou d’une pratique concertée dont les effets ont lieu exclusivement sur un ou plusieurs marchés situés en dehors du marché commun. En revanche, rien ne s’oppose à ce qu’elle examine des documents relatifs à ces marchés pour déceler des comportements susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun.»

9

Au point 100 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a donc rejeté la seconde branche du moyen unique.

10

Au surplus, le Tribunal a rejeté comme irrecevable la demande d’annulation des actes pris par la Commission au cours de l’inspection, de même qu’il a déclaré manifestement irrecevable la demande des requérantes visant à ce qu’il se prononce sur les éventuelles conséquences de l’annulation de la décision litigieuse et des actes pris par la Commission au cours de l’inspection.

11

Par conséquent, le Tribunal a accueilli le recours en annulation contre la décision litigieuse, pour autant qu’elle concerne des câbles électriques autres que les câbles électriques sous-marins et souterrains de haute tension et le matériel associé à ces autres câbles, et a rejeté le recours pour le surplus.

12

Quant aux dépens, le Tribunal a condamné Nexans et Nexans France à supporter leurs propres dépens ainsi que la moitié des dépens exposés par la Commission. La Commission a été condamnée à supporter la moitié de ses propres dépens.

Les conclusions des parties devant la Cour

13

Nexans et Nexans France demandent à la Cour:

d’annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté la seconde branche du premier moyen, tirée d’une portée géographique excessivement étendue et insuffisamment précise de la décision litigieuse;

d’annuler la décision litigieuse, dans la mesure où sa portée géographique est excessivement étendue et, dans la mesure où elle n’est ni suffisamment justifiée ni suffisamment précise, ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal;

d’annuler l’arrêt attaqué, dans la mesure où il condamne les requérantes à supporter, outre leurs propres dépens, la moitié des dépens exposés par la Commission et de condamner la Commission à supporter les dépens exposés par les requérantes dans la procédure devant le Tribunal pour un montant que la Cour jugera opportun, et

de condamner la Commission aux dépens.

14

La Commission demande à la Cour:

de rejeter le pourvoi et

de condamner Nexans ainsi que Nexans France aux dépens.

Sur le pourvoi

15

À l’appui de leur pourvoi, Nexans et Nexans France invoquent deux moyens. Par le premier moyen, elles reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en rejetant leur argument relatif à la portée géographique excessivement étendue et imprécise de la décision litigieuse. Par le second moyen, elles reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur en les condamnant à supporter, outre leurs propres dépens, la moitié des dépens exposés par la Commission.

Sur le premier moyen

16

Le premier moyen soulevé par Nexans et Nexans France, dirigé contre les points 95 à 100 de l’arrêt attaqué, est divisé, en substance, en deux branches. La première branche de ce moyen est tirée d’une violation des exigences de motivation concernant la portée géographique de la décision litigieuse. La seconde branche dudit moyen est tirée d’une erreur que le Tribunal aurait commise en ayant omis de vérifier si la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction probablement de portée mondiale.

Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une violation des exigences de motivation concernant la portée géographique de la décision litigieuse

– Argumentation des parties

17

D’une part, Nexans et Nexans France reprochent au Tribunal une violation de l’obligation de motivation de son arrêt, telle qu’elle découle de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu des articles 53, premier alinéa, du même statut, et 81 du règlement de procédure du Tribunal, en ce qu’il a omis d’expliquer de façon suffisante, au point 97 de l’arrêt attaqué, comment il est parvenu à la conclusion selon laquelle la Commission avait décrit de façon circonstanciée le champ d’action de l’entente suspectée en indiquant que celle-ci avait «probablement une portée mondiale». Elles soutiennent que le Tribunal n’a pas examiné leur argument selon lequel, en raison du caractère très localisé des projets de câblage extérieurs à l’Union européenne ou à l’Espace économique européen (EEE) et des caractéristiques spécifiques des projets de câblage, il n’était pas possible de considérer qu’un comportement anticoncurrentiel relatif à des projets situés en dehors du marché commun ait une quelconque incidence sur ce marché.

18

D’autre part, Nexans et Nexans France reprochent au Tribunal d’avoir méconnu les exigences de motivation applicables à une décision d’inspection en ce qu’il a rejeté leur argument tiré d’une absence de précision dans la décision litigieuse concernant la portée géographique de l’infraction soupçonnée.

19

À cet égard, premièrement, les requérantes soutiennent que le Tribunal a méconnu la jurisprudence selon laquelle la Commission est tenue d’indiquer dans une décision d’inspection le marché présumé en cause, dans la mesure où cette institution a, dans la décision litigieuse, omis d’expliquer ce qu’elle entendait par «un comportement anticoncurrentiel soupçonné d’une portée probablement mondiale». Deuxièmement, elles relèvent que le Tribunal n’a pas exigé, contrairement à une jurisprudence constante, que la Commission indique dans la décision litigieuse les présomptions qu’elle entendait vérifier et, notamment, qu’elle enquêtait sur un accord de type «chacun chez soi» ou sur un autre comportement en dehors du marché commun qu’elle soupçonnait d’avoir une incidence sur le marché commun. En outre, Nexans et Nexans France font valoir que l’absence de précision dans la décision litigieuse sur la question de savoir comment le comportement anticoncurrentiel suspecté lié à des projets situés en dehors du marché commun a pu avoir une incidence dans l’Union ou dans l’EEE mettait à mal leur droit de défense et les empêchait de saisir la portée exacte de leur obligation de coopération.

20

La Commission conteste les arguments avancés par les requérantes dans la première branche du premier moyen.

– Appréciation de la Cour

21

Dans le cadre de la première branche du premier moyen soulevé par Nexans et Nexans France, s’agissant du premier argument de ces dernières, tiré d’une insuffisance de motivation de l’arrêt attaqué concernant les arguments avancés par les requérantes au sujet de la portée géographique de l’infraction suspectée, il ressort d’une jurisprudence constante que l’obligation de motivation, qui incombe au Tribunal conformément à l’article 36 du statut de la Cour, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut et de l’article 81 du règlement de procédure du Tribunal, n’impose pas à ce dernier de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation du Tribunal peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs de la décision du Tribunal et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir, notamment, arrêts France/Commission, C‑601/11 P, EU:C:2013:465, point 83, ainsi que Dow Chemical e.a./Commission, C‑499/11 P, EU:C:2013:482, point 56).

22

C’est donc à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le premier argument.

23

Si la motivation concernant la délimitation de la portée géographique de l’infraction soupçonnée apparaît concise en comparaison avec l’analyse que le Tribunal a consacrée dans l’arrêt attaqué à la question de la délimitation des produits concernés, force est de constater, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 31 de ses conclusions, que la question de la portée géographique de l’infraction suspectée n’était pas au cœur de l’argumentation des requérantes en première instance, qui ont concentré l’essentiel de leur raisonnement sur la gamme de produits concernés par la décision litigieuse. Ainsi, dans la mesure où la motivation de l’arrêt attaqué concernant la portée géographique de l’infraction soupçonnée a permis aux intéressés de comprendre le raisonnement du Tribunal et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle, la seule brièveté de cette motivation ne saurait être reprochée au Tribunal.

24

De fait, malgré cette brièveté, le Tribunal a expressément examiné les arguments des requérantes concernant le caractère imprécis de la portée géographique de l’entente suspectée et a suffisamment motivé l’arrêt attaqué en ce qu’il a conclu que la Commission avait décrit de façon circonstanciée la portée géographique de l’entente suspectée.

25

Il ressort, en effet, des points 95 à 100 dudit arrêt, que le Tribunal a examiné les arguments des requérantes tirés de la portée géographique excessivement étendue de la décision litigieuse. Il en a conclu, au point 97 de l’arrêt attaqué que, en indiquant que les accords et/ou les pratiques concertées soupçonnés avaient «probablement une portée mondiale», la Commission avait décrit de façon circonstanciée le champ d’action de l’entente suspectée. En conséquence, le Tribunal a considéré comme suffisante la précision de la portée géographique de l’infraction soupçonnée figurant dans la décision litigieuse.

26

Au surplus, aux points 98 et 99 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé les arguments des requérantes dans la mesure où ceux-ci devaient être compris en ce sens qu’elles reprochaient à la Commission d’avoir inclus dans le champ d’application de la décision litigieuse des documents relatifs à des marchés géographiques de nature locale situés en dehors du marché commun sans préciser comment un comportement anticoncurrentiel suspecté dans ces marchés pouvait avoir une incidence sur ce marché.

27

Dans ce contexte, le Tribunal a relevé, au point 99 de l’arrêt attaqué, que les pouvoirs conférés à la Commission par le règlement no 1/2003 ont pour objet la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE qui interdisent certains comportements de la part des entreprises, dans la mesure où ils sont susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres et qu’ils ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché commun. Le Tribunal en a déduit que, si la Commission ne saurait effectuer une inspection dans les locaux d’une entreprise lorsqu’elle soupçonne l’existence d’un accord ou d’une pratique concertée dont les effets ont lieu exclusivement sur un ou plusieurs marchés situés en dehors du marché commun, rien ne s’oppose à ce qu’elle examine des documents relatifs à ces marchés pour déceler des comportements susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché commun.

28

Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que le Tribunal a exposé à suffisance de droit les raisons pour lesquelles il a considéré que la Commission avait décrit de façon circonstanciée le champ d’action de l’entente suspectée en indiquant que celle-ci avait «probablement une portée mondiale», et ce quand bien même il n’a rejeté qu’implicitement, par référence aux limites des compétences en matière d’inspection conférées à la Commission par le règlement no 1/2003, les arguments des requérantes relatifs au caractère très localisé des projets de câblage en dehors du marché commun et des caractéristiques spécifiques des projets de câblage.

29

S’agissant du second argument des requérantes, dans le cadre de la première branche du premier moyen, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir méconnu les exigences de motivation s’imposant à la Commission, concernant une décision d’inspection, d’une part, en ce qu’il a rejeté l’argument des requérantes tiré d’une absence de précision dans la décision litigieuse concernant la portée probablement mondiale de l’infraction soupçonnée et, d’autre part, en ce qu’il a méconnu la jurisprudence de la Cour en vertu de laquelle la Commission doit faire apparaître dans une décision d’inspection les présomptions qu’elle entend vérifier.

30

Les requérantes reprochent également au Tribunal de ne pas avoir exigé de la Commission des indications plus précises dans la décision litigieuse, sur la question de savoir comment le comportement anticoncurrentiel suspecté lié à des projets situés en dehors du marché commun avait pu avoir une incidence dans l’Union ou dans l’EEE, y compris une indication du marché présumé en cause, ce qui a mis à mal le droit de la défense des requérantes, en les empêchant de saisir la portée exacte de leur obligation de coopération.

31

L’ensemble de cette argumentation doit être rejetée. En effet, il convient de rappeler, à titre liminaire, que la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt Solvay/Commission, C‑455/11 P, EU:C:2013:796, point 90).

32

Il est également de jurisprudence constante que l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Solvay/Commission, EU:C:2013:796, point 91 et jurisprudence citée).

33

Il convient également de tenir compte du cadre juridique dans lequel se déroulent les inspections de la Commission. Les articles 4 et 20, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 confèrent en effet des pouvoirs d’inspection à la Commission dans le but de lui permettre d’accomplir sa mission de protéger le marché commun des distorsions de concurrence et de sanctionner d’éventuelles infractions aux règles de concurrence dans ce marché (voir, en ce sens, arrêt Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 42 et jurisprudence citée).

34

Ainsi, en ce qui concerne plus particulièrement les décisions d’inspection de la Commission, il ressort de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 que celles-ci doivent indiquer, notamment, l’objet et le but de l’inspection. Cette obligation de motivation spécifique constitue, ainsi que la Cour l’a précisé, une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de défense (voir, en ce sens, arrêt Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 29).

35

En ce qui concerne l’argument de Nexans et de Nexans France selon lequel le Tribunal a méconnu l’obligation de la Commission d’indiquer dans sa décision litigieuse le marché présumé en cause, qui doit comporter, selon les requérantes, une composante à la fois matérielle et géographique, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision d’inspection toutes les informations dont elle dispose relatives à des infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, pour autant qu’elle indique clairement les présomptions qu’elle entend vérifier (arrêt Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, point 45).

36

S’il incombe, certes, à la Commission d’indiquer avec autant de précision que possible ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doivent porter la vérification (arrêt Roquette Frères, EU:C:2002:603, point 83 et jurisprudence citée), il n’est en revanche pas indispensable de faire apparaître dans une décision d’inspection une délimitation précise du marché en cause, ni la qualification juridique exacte des infractions présumées ou l’indication de la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, à condition que cette décision d’inspection contienne les éléments essentiels exposés ci-dessus (voir, en ce sens, arrêts Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, EU:C:1989:380, point 46, ainsi que Roquette Frères, EU:C:2002:603, point 82).

37

En effet, compte tenu du fait que les inspections interviennent au début de l’enquête, la Commission ne dispose pas encore, ainsi que Mme l’avocat général le relève au point 48 de ses conclusions, d’informations précises pour émettre un avis juridique spécifique et doit d’abord vérifier le bien-fondé de ses soupçons ainsi que la portée des faits survenus, le but de l’inspection étant précisément de recueillir des preuves relatives à une infraction soupçonnée (voir, en ce sens, arrêt Roquette Frères, EU:C:2002:603, point 55 et jurisprudence citée).

38

En l’espèce, il ressort du préambule de la décision litigieuse que l’inspection portait sur «[d]es «accords et/ou [d]es pratiques concertées [ayant] probablement une portée mondiale» qui étaient «en relation avec la fourniture de câbles électriques et de matériel associé, y compris, entre autres, les câbles électriques sous-marins de haute tension et, dans certains cas, les câbles électriques souterrains de haute tension». La Commission a également évoqué dans ce préambule ses soupçons relatifs à «l’attribution de clients». De surcroît, elle y a indiqué que, si ses soupçons s’avéraient fondés, «les accords/et ou les pratiques concertées [...] constitueraient de très graves infractions à l’article 81 [CE]».

39

Ainsi, compte tenu des indications figurant dans la décision litigieuse relatives à la dimension géographique des infractions présumées et du cadre juridique régissant les pouvoirs d’inspection de la Commission, c’est sans méconnaître la jurisprudence de la Cour que le Tribunal a pu conclure que la motivation de la décision litigieuse concernant la portée géographique de l’infraction soupçonnée était suffisante, sans exiger davantage de précision sur le type de comportement soupçonné en dehors du marché commun, sur l’incidence qu’un tel comportement a pu avoir sur ce marché ou sur le type de documents que la Commission était en droit d’examiner.

40

Par ailleurs, contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, la Commission n’était pas, dans le cadre de son inspection, tenue de limiter ses recherches à des documents relatifs à des projets ayant une incidence sur le marché commun. Compte tenu des soupçons de la Commission portant sur une infraction de portée probablement mondiale impliquant l’attribution de clients, même des documents liés à des projets situés en dehors du marché commun étaient susceptibles d’apporter des informations pertinentes sur l’infraction suspectée.

41

Eu égard aux considérations qui précèdent, la première branche du premier moyen doit être rejetée.

Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de ce que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction probablement de portée mondiale

– Argumentation des parties

42

Nexans et Nexans France soutiennent que le Tribunal a omis d’examiner si, en l’espèce, la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter que le comportement anticoncurrentiel en cause lié à des projets situés en dehors du marché commun a pu avoir une incidence dans l’Union ou dans l’EEE.

43

La Commission conteste ces arguments.

– Appréciation de la Cour

44

En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, il convient de relever qu’il ressort des pièces du dossier que les requérantes n’avaient pas soulevé devant le Tribunal d’argument relatif à l’absence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction de portée mondiale aux règles de concurrence. À cet égard, les représentants des requérantes ont admis, lors de l’audience, qu’un tel argument n’avait pas été expressément soulevé devant ladite instance.

45

Or, selon une jurisprudence constante, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (arrêts Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 111, ainsi que Groupe Gascogne/Commission, C‑58/12 P, EU:C:2013:770, point 35).

46

S’agissant de l’allégation des requérantes à l’audience, selon laquelle le présent argument aurait été implicitement contenu dans leur argumentation en première instance, il convient de la rejeter. Il ressort en effet des pièces de dossier soumis au Tribunal que, dans un autre contexte, s’agissant de la portée matérielle de la décision litigieuse, les requérantes ont invoqué, séparément de leur argument tiré d’une imprécision de la décision litigieuse en ce qui concerne la délimitation des produits concernés, l’argument relatif à l’absence d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction dans des secteurs autres que ceux des câbles sous-marins de haute tension.

47

Partant, la seconde branche du premier moyen doit être écartée comme étant manifestement irrecevable.

48

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier moyen en partie comme étant non fondé et en partie comme étant irrecevable.

Sur le second moyen

Argumentation des parties

49

Par leur second moyen, dirigé contre le point 139 de l’arrêt attaqué, Nexans et Nexans France font valoir que la décision du Tribunal de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, la moitié de ceux exposés par la Commission est manifestement déraisonnable.

50

La Commission considère que ce moyen est irrecevable et, en tout état de cause, dénué de fondement.

Appréciation de la Cour

51

Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 58, second alinéa, du statut de la Cour, un pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le montant des dépens. En outre, il est de jurisprudence constante que, dans l’hypothèse où tous les autres moyens d’un pourvoi ont été rejetés, les conclusions concernant la prétendue irrégularité de la décision du Tribunal sur les dépens doivent être rejetées comme irrecevables, en application de cette disposition (arrêt Gualtieri/Commission, C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 111 et jurisprudence citée).

52

Il s’ensuit que, dans la mesure où le premier moyen du pourvoi formé par les requérantes a été rejeté, le second moyen concernant la répartition des dépens doit être déclaré irrecevable.

Sur les dépens

53

En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

54

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête:

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

Nexans SA et Nexans France SAS sont condamnées aux dépens du présent pourvoi.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.

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