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Document 62013CC0603

    Conclusions de l'avocat général M. N. Jääskinen, présentées le 16 juillet 2015.
    Galp Energía España SA e.a. contre Commission européenne.
    Pourvoi – Article 81 CE – Ententes – Marché espagnol du bitume routier – Répartition du marché et coordination des prix – Durée excessive de la procédure devant le Tribunal – Article 261 TFUE – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 31 – Compétence de pleine juridiction – Article 264 TFUE – Annulation partielle ou intégrale de la décision de la Commission.
    Affaire C-603/13 P.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:482

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. NIILO JÄÄSKINEN

    présentées le 16 juillet 2015 ( 1 )

    Affaire C‑603/13 P

    Galp Energía España, SA

    Petróleos de Portugal (Petrogal), SA

    Galp Energia, SGPS, SA

    contre

    Commission européenne

    «Pourvoi — Ententes — Marché espagnol du bitume routier — Répartition du marché et coordination des prix — Pouvoir de pleine juridiction — Principe ne ultra petita — Droit à un procès équitable — Droits de la défense — Principe du contradictoire — Infraction unique et continue — Connaissance alléguée du système de surveillance et du mécanisme de compensation mis en œuvre par les autres participants à l’entente illégale — Dénaturation des éléments de preuve»

    I – Introduction

    1.

    L’affaire soumise à la Cour a pour objet un pourvoi introduit par le groupe des sociétés Galp Energía España, SA, Petróleos de Portugal (Petrogal), SA, et Galp Energia, SGPS, SA (ci‑après, prises ensemble, les «requérantes») à l’encontre de l’arrêt Galp Energía España e.a./Commission (T‑462/07, ci‑après l’«arrêt attaqué») ( 2 ), par lequel le Tribunal a pour partie accueilli leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2007) 4441 final de la Commission ( 3 ) (ci‑après la «décision litigieuse»), ainsi que leur demande subsidiaire de réduction du montant de l’amende qui leur avait été infligée.

    2.

    Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse du deuxième moyen du pourvoi qui se trouve au cœur du présent recours et qui soulève, en substance, la question des limites du pouvoir de pleine juridiction reconnu au Tribunal. Selon moi, pour les raisons que j’exposerai ci‑après, le Tribunal a outrepassé lesdites limites et il convient d’accueillir le pourvoi. Je considère, en effet, que le pouvoir de pleine juridiction ne confère pas au Tribunal la compétence de retenir une infraction qui n’a pas été prouvée dans la décision de la Commission.

    II – Les antécédents du litige

    3.

    Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 85 de l’arrêt attaqué auquel il est fait référence.

    4.

    Pour autant que de besoin, il suffit de rappeler que, le 3 octobre 2007, la Commission européenne a adopté la décision litigieuse, laquelle constate que les requérantes auraient participé à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans la branche du bitume de pénétration qui couvrait le territoire espagnol (à l’exclusion des Îles Canaries) sous forme d’accords de partage du marché et de coordination des prix. La Commission a considéré que chacune des deux restrictions à la concurrence constatées, à savoir les accords horizontaux de partage du marché et la coordination des prix, relevait, par sa nature même, des types d’infractions les plus graves à l’article 81 CE, lesquels sont susceptibles de justifier, selon la jurisprudence, la qualification d’infractions «très graves» uniquement au vu de leur nature, sans qu’il soit nécessaire qu’un tel comportement couvre une zone géographique particulière ou ait un impact particulier ( 4 ).

    5.

    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 décembre 2007, les requérantes ont contesté la teneur de la décision et demandé son annulation partielle ou totale.

    6.

    Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le troisième moyen d’annulation en se fondant sur l’illégalité qui entacherait le constat de la participation des requérantes au système de surveillance et au mécanisme de compensation relatifs à la mise en œuvre des accords de partage du marché et de la clientèle par les membres de l’entente. Le Tribunal a donc annulé partiellement la décision litigieuse en tant que ladite décision constatait, dans son article 1er, l’implication des requérantes dans un ensemble d’accords et de pratiques concertées sur le marché espagnol du bitume et obligeait lesdites requérantes, dans son article 3, à mettre fin à l’infraction telle que constatée à l’article 1er de la décision litigieuse.

    7.

    Le Tribunal a néanmoins estimé que les requérantes pouvaient être tenues responsables à raison des deux composantes précitées de l’infraction (point 626 de l’arrêt attaqué). Il a fondé cette conclusion sur une déclaration de Monsieur V. C., qui était le directeur des ventes de bitume de Petrogal puis de Galp Energía España (ci‑après la «déclaration de M. V. C.») ( 5 ). Pour cette raison, le Tribunal a considéré qu’il n’y avait pas lieu de modifier le montant de départ de l’amende (point 630 de l’arrêt attaqué). En revanche, le Tribunal a estimé nécessaire d’augmenter la réduction de l’amende appliquée par la Commission au titre des circonstances atténuantes (point 632 de l’arrêt attaqué). Il a donc procédé à une réduction supplémentaire de 4 % venant s’ajouter à la réduction de 10 % déjà accordée par la décision litigieuse (point 635 de l’arrêt attaqué). Le Tribunal a rejeté les autres moyens d’annulation des parties, y compris le cinquième moyen, tiré de l’illégalité affectant le constat de leur participation à la coordination des prix (points 450 à 456 de l’arrêt attaqué) ( 6 ).

    III – Procédure devant la Cour et conclusions des parties

    8.

    Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 novembre 2013, les requérantes ont introduit un pourvoi par lequel elles demandent à la Cour:

    à titre principal, d’annuler l’arrêt attaqué et les articles 1er, 2 et 3 de la décision litigieuse en tant que celle‑ci concerne les requérantes et/ou de réduire le montant de l’amende infligée aux requérantes,

    à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il soit statué sur le fond du litige,

    de condamner la Commission aux dépens.

    9.

    La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérantes aux dépens.

    10.

    Devant la Cour, les parties ont exposé leur position par écrit et ont été entendues à l’audience qui s’est tenue le 15 avril 2015.

    IV – Sur l’établissement de la responsabilité des requérantes par le Tribunal comme point de départ de l’analyse du deuxième moyen du pourvoi

    A – Bref rappel sur le pouvoir de pleine juridiction

    11.

    Par leur deuxième moyen, subdivisé en trois branches, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit aux points 626 et 630 de l’arrêt attaqué. Tout en évoquant une multitude de principes et de règles de procédure, les requérantes reprochent en réalité au Tribunal un acte précis, à savoir la prise en compte d’un document établi après l’adoption de la décision litigieuse, soit la déclaration susvisée de M. V. C., aux fins d’établir la responsabilité des requérantes au titre des deux composantes du mécanisme infractionnel ( 7 ).

    12.

    Or, je relève d’emblée que le Tribunal a fondé la prise en compte de la déclaration de M. V. C. sur son pouvoir de pleine juridiction.

    13.

    Dès lors, il convient de rappeler que la compétence de pleine juridiction conférée au Tribunal complète le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE. Comme l’a jugé la Cour, «le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au‑delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée» ( 8 ). La jurisprudence a précisé que le pouvoir de réformation s’applique même en l’absence d’erreur commise par la Commission ( 9 ). Il permet au juge, notamment en matière de concurrence, non seulement d’annuler ou de confirmer une amende et son montant, mais également d’augmenter ou de diminuer celui‑ci.

    14.

    Ainsi la compétence de pleine juridiction habilite le juge à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de modifier, par exemple, le montant de l’amende infligée ( 10 ). Néanmoins, les modalités d’exercice du pouvoir de pleine juridiction ne sont pas toutes définies ( 11 ).

    15.

    Je relève que, dans les arrêts Chalkor/Commission ( 12 ) et KME Germany e.a./Commission ( 13 ), la Cour a clairement constaté que le contrôle de pleine juridiction exercé par le Tribunal impliquait un contrôle tant de droit que de fait ainsi que le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision litigieuse et de modifier le montant des amendes ( 14 ).

    16.

    Par ailleurs, la Cour a également considéré que le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, complété par la compétence de pleine juridiction quant au montant de l’amende, prévu à l’article 31 du règlement (CE) no 1/2003 ( 15 ), n’est pas contraire aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective figurant à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «Charte») ( 16 ).

    B – Raisonnement du Tribunal et constatation de la responsabilité

    17.

    Dès lors que la compréhension du raisonnement du Tribunal est, à mon sens, déterminante aux fins de l’analyse du deuxième moyen du pourvoi, je me propose d’analyser le raisonnement mené par le Tribunal dans le cadre de l’examen du troisième moyen du recours en première instance ainsi que du neuvième moyen de ce même recours, afin d’aborder les griefs ponctuels soulevés par le pourvoi.

    18.

    Par leur troisième moyen soulevé devant le Tribunal, les requérantes ont contesté leur implication dans le système de surveillance et dans le mécanisme de compensation.

    19.

    Au terme de son analyse, le Tribunal a accueilli le troisième moyen dans la mesure où la Commission a retenu la responsabilité des requérantes pour l’ensemble de l’infraction, alors qu’elle n’aurait pas prouvé à suffisance de droit leur participation aux deux composantes de l’infraction. De surcroît, cette même institution n’aurait pas établi leur connaissance ou, à tout le moins, l’impossibilité d’ignorer l’existence de deux composantes précitées afin de pouvoir appliquer correctement la notion d’infraction unique et continue. Le Tribunal a donc annulé l’article 1er de la décision litigieuse en ce qu’il constate l’implication des requérantes dans un ensemble d’accords et de pratiques concertées sur le marché espagnol du bitume.

    20.

    Dans la mesure où le Tribunal s’est fondé sur la notion d’infraction unique et continue ( 17 ), il importe de rappeler qu’une entreprise ayant participé à une infraction unique et complexe par des comportements anticoncurrentiels qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble peut également être responsable des comportements qui sont matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer, par son propre comportement, aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque ( 18 ).

    21.

    En revanche, si le juge de l’Union constate que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit qu’une entreprise, lors de sa participation à l’un des comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique et continue, avait connaissance des autres comportements anticoncurrentiels adoptés par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque, il doit en tirer comme seule conséquence que cette entreprise ne peut se voir imputer la responsabilité de ces autres comportements et, partant, de l’infraction unique et continue dans son ensemble et que la décision attaquée doit être considérée comme non fondée dans cette seule mesure ( 19 ). À cet égard, force est de constater que, dans l’arrêt Soliver/Commission, le Tribunal s’est récemment montré relativement exigeant quant à la preuve de la participation à l’infraction unique et continue ( 20 ).

    22.

    En l’espèce, le Tribunal a jugé, aux points 273 et 279 de l’arrêt attaqué, que la Commission a retenu la responsabilité des requérantes au titre de l’ensemble des composantes de l’infraction, y compris la participation au système de surveillance et le mécanisme de compensation. Par ailleurs, le Tribunal a relevé, au point 286 de l’arrêt attaqué, que, pour établir la responsabilité des requérantes, la Commission ne s’était pas fondée sur un autre élément que celui tiré de la participation aux composantes précitées de l’infraction. Or, aux points 272 et 280 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la participation des requérantes au titre des deux composantes de l’infraction n’était pas établie.

    23.

    Certes, la jurisprudence susvisée portant sur l’infraction unique et continue aurait permis de retenir la responsabilité d’une entreprise pour l’ensemble de l’infraction, dès lors qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels ou qu’elle ne pouvait pas en ignorer l’existence.

    24.

    Néanmoins, le Tribunal a jugé expressément, au point 289 de l’arrêt attaqué, que la Commission ne s’était pas fondée sur une connaissance que les requérantes auraient eue du système de surveillance et du système de compensation ni sur le fait qu’elles ne pouvaient pas ignorer ces composantes. Une telle connaissance ou impossibilité d’ignorer l’existence n’est pas, selon le Tribunal au point 290 de ce même arrêt, établie dans la décision litigieuse.

    25.

    Enfin, au point 291 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté la possibilité de présumer une telle connaissance vu leur rôle dans l’entente. Par conséquent, le Tribunal a conclu, au point 292 de l’arrêt attaqué, que la responsabilité des requérantes au titre du système de surveillance et du mécanisme de compensation n’était pas établie.

    26.

    Afin de remédier à la lacune entachant la décision litigieuse selon le Tribunal, la Commission a invoqué la déclaration de M. V. C. Cet élément a été écarté par le Tribunal aux points 294 et 295 de l’arrêt attaqué. Selon lui, si la déclaration révélait a posteriori la connaissance effective des requérantes du mécanisme de compensation, il n’en demeurait pas moins que le Tribunal ne peut, dans le cadre du contrôle de légalité, substituer une motivation nouvelle par rapport à la motivation de la Commission. En outre, il a jugé que cette déclaration ne permettait pas, en tout état de cause, de purger le vice de légalité affectant la décision litigieuse.

    27.

    Ce raisonnement doit être mis en relation avec le constat de la responsabilité des requérantes, opéré par le Tribunal dans le cadre du neuvième moyen en première instance.

    28.

    Dans le cadre du neuvième moyen soulevé devant le Tribunal, les requérantes ont contesté l’absence de réduction de l’amende malgré leur participation très limitée à l’infraction. À cet égard, le Tribunal a rappelé, au point 606 de l’arrêt attaqué, que, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre du troisième moyen en première instance, non seulement la Commission n’avait pas établi la participation des requérantes aux deux composantes de l’infraction que constituent les systèmes de surveillance et de compensation, mais elle n’avait pas fait état d’éléments suffisants pour lui permettre de retenir leur responsabilité au titre de celles‑ci.

    29.

    Toutefois, nonobstant les constatations ci‑dessus rappelées, le Tribunal a déduit de la déclaration de M. V. C. que les requérantes avaient connaissance du mécanisme de compensation, ce qui implique, selon le Tribunal, que les requérantes avaient connaissance du système de surveillance dès lors que le mécanisme de compensation ne pouvait exister sans un mécanisme de surveillance. Il ressort du point 624 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a agi, à cet égard, sur le fondement de son pouvoir de pleine juridiction.

    30.

    Il résulte des points 610 à 626 de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est fondé sur la déclaration de M. V. C. pour retenir la responsabilité des requérantes au titre de ces deux composantes de l’infraction. Enfin, il résulte du point 627 de l’arrêt attaqué que c’est au regard de ces éléments que le Tribunal a examiné les montants des amendes infligées aux requérantes.

    31.

    Ce sont précisément ces éléments controversés du raisonnement du Tribunal qui font l’objet du deuxième moyen du présent pourvoi.

    V – Pouvoir de pleine juridiction et principe ne ultra petita

    A – Arguments des parties

    32.

    Dans la première branche du deuxième moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en outrepassant ses compétences et en statuant ultra petita, dans la mesure où, par le relevé d’office d’un moyen, non soulevé par les requérantes ni par la Commission ( 21 ), il les a tenues pour responsables à raison de deux composantes de l’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, à savoir la connaissance du mécanisme de compensation et la prévisibilité du système de surveillance ( 22 ).

    33.

    Le Tribunal aurait statué en l’espèce ultra petita, dès lors que la Commission ne s’était pas fondée sur ces motifs dans la décision, que ces motifs n’ont pas été invoqués à titre de moyens d’annulation par les requérantes et qu’ils n’ont fait l’objet d’aucun débat, sauf sous l’angle de la recevabilité de la déclaration de M. V. C.

    34.

    Pour sa part, la Commission soutient que le Tribunal était en droit de tenir compte de la connaissance des mécanismes de surveillance et de compensation par les requérantes dans l’exercice de sa pleine juridiction en statuant sur le niveau de l’amende, dès lors qu’il s’agit d’une circonstance de fait. S’agissant de la déclaration de M. V. C., la Commission estime que le Tribunal était en droit de la prendre en considération en statuant sur le niveau de l’amende ( 23 ), notamment dans la mesure où la jurisprudence admet la possibilité d’inclure «la production et la prise en considération d’éléments complémentaires d’information dont la mention dans la décision n’est pas comme telle requise» ( 24 ). Enfin, la Commission est d’avis que le moyen est inopérant, dans la mesure où le Tribunal a déjà réduit le montant de l’amende ( 25 ).

    B – Appréciation

    35.

    Il est constant que le juge de l’Union appelé à statuer sur un recours en annulation est lié par le principe dit «ne ultra petita», lequel découle de l’adage «ne eat iudex ultra petita partium», qui interdit au juge de se prononcer sur des questions allant au‑delà des conclusions des parties. En vertu de ce principe, l’annulation qu’il prononce ne saurait excéder celle sollicitée par le requérant ( 26 ). Il n’est pas habilité à redéfinir l’objet principal du recours, ni à relever un moyen d’office en dehors des cas particuliers dans lesquels l’intérêt public exige son intervention ( 27 ). En effet, le juge de l’Union a la faculté et, le cas échéant, l’obligation de relever d’office certains moyens de légalité externe ( 28 ).

    36.

    Il importe de noter que le principe ne ultra petita ne s’applique dans toute son ampleur que dans le cadre des procédures de droit civil, en tant que principe du dispositif. En revanche, dans les procédures de droit public, au nombre desquelles figurent celles de droit de la concurrence, sa portée est plus difficile à cerner. En effet, ledit principe ne joue guère, selon moi, de rôle propre, mais se transforme en un aspect du droit à un procès équitable en général. Comme l’avocat général Léger l’a formulé, le juge n’est, en la matière, aucunement confiné à un rôle passif et ne peut pas être relégué à la fonction de «bouche des parties» ( 29 ). J’observe, notamment, que l’interdiction de soulever des moyens d’office s’applique uniquement dans le cadre du contentieux d’annulation, c’est‑à‑dire du contrôle de la légalité. En revanche, elle ne joue pas de rôle similaire dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction.

    37.

    Cela m’amène à la question de savoir comment appliquer le principe ne ultra petita dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction, puisque la présente affaire porte en substance sur les limites dudit pouvoir étant au cœur de la présente affaire. Dans l’arrêt Groupe Danone/Commission, la Cour a indiqué que «le juge communautaire est habilité à exercer sa compétence de pleine juridiction, lorsque la question du montant de l’amende est soumise à son appréciation, et que cette compétence peut être exercée tant pour réduire ce montant que pour l’augmenter» ( 30 ).

    38.

    Cela ouvre la voie à deux interprétations distinctes. D’une part, il pourrait être soutenu qu’une partie doit, pour que le Tribunal puisse exercer sa compétence de pleine juridiction, soulever la question du montant de l’amende de manière expresse et précise dans les conclusions de la requête. D’autre part, il pourrait être également déduit de la position de la Cour qu’il suffit que la question de l’amende fasse l’objet du litige et soit débattue dans le cadre des moyens. Cette question revêt une importance particulière dès lors que l’enclenchement de la pleine juridiction équivaut au pouvoir du Tribunal d’augmenter l’amende, alors que la demande des parties porte uniquement sur sa réduction ( 31 ).

    39.

    La mise en œuvre du principe ne ultra petita dans le cadre de la pleine juridiction n’est pas univoque, mais semble plaider dans le sens de la première interprétation évoquée de l’arrêt Groupe Danone/Commission, à savoir que le montant de l’amende doit avoir fait l’objet des conclusions. Ainsi, dans l’arrêt Commission e.a./Siemens Österreich e.a., la Cour a jugé que le Tribunal a statué ultra petita en annulant une disposition de la décision de la Commission et en réformant les amendes infligées en les englobant dans un seul montant à payer solidairement par les parties ( 32 ). De surcroît, dans l’arrêt Alliance One International/Commission, la Cour, tout en rejetant le moyen tiré d’une violation du principe ne ultra petita, a souligné que, nonobstant l’absence de demande dans la requête, la partie avait conclu, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende infligée à un autre participant d’une entente et, à titre solidaire, à elle‑même et que ses moyens avaient notamment pour objet de justifier l’octroi d’une telle réduction ( 33 ).

    40.

    Eu égard à tout ce qui précède, je considère que les griefs soulevés par les requérantes ne sont, en réalité, pas tirés d’une violation du principe ne ultra petita ou d’un relevé d’office incorrect. En tout état de cause, lesdits griefs me semblent procéder d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Ainsi que je l’ai déjà relevé, les arguments développés par les requérantes touchent à l’étendue du pouvoir de pleine juridiction du Tribunal, lequel en constatant la responsabilité des requérantes pour les deux composantes de l’entente a, en réalité, établi l’infraction litigieuse.

    41.

    Si toutefois les griefs soulevés par les requérantes devaient néanmoins être considérés comme tirés de la violation du principe ne ultra petita, il suffirait d’observer, à cet égard, qu’en première instance ce sont les requérantes qui ont produit la déclaration de M. V. C. afin de démontrer qu’elles n’avaient pas participé aux mécanismes de surveillance et de compensation. Dans leurs conclusions devant le Tribunal, les requérantes ont, à titre principal, demandé l’annulation de la décision litigieuse dans son intégralité. À titre subsidiaire, elles ont demandé d’annuler les articles 1er, 2 et 3 de la décision litigieuse en tant qu’ils concernent les requérantes ainsi que, subsidiairement, de réduire l’amende infligée aux requérantes par l’article 2 de la décision litigieuse ( 34 ). En ce qui concerne les conclusions de la Commission, il est constant qu’elle avait conclu, en première instance, au rejet du recours.

    42.

    Ainsi que précédemment rappelé, le Tribunal a annulé, en partie, la décision litigieuse et a réduit l’amende infligée par la Commission. Ainsi analysé, l’arrêt attaqué n’apparaît entaché d’aucune erreur de droit tenant à une violation du principe ne ultra petita. Par conséquent, je propose à la Cour de rejeter la première branche du deuxième moyen comme non fondée.

    VI – Pleine juridiction et droit à un procès équitable

    A – Arguments des parties

    43.

    Dans la deuxième branche du deuxième moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal a méconnu le droit à un procès équitable (lequel englobe le principe d’égalité des armes) et les droits de la défense et, plus particulièrement, le principe du contradictoire, en concluant aux points 624 à 626 de l’arrêt qu’il lui appartient, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, de prendre en considération la déclaration de M. V. C. afin d’établir la responsabilité des requérantes du fait de leur participation au système de surveillance et de leur connaissance du mécanisme de compensation.

    44.

    Le Tribunal aurait méconnu le droit à un procès équitable, en particulier le principe d’égalité des armes, ainsi que les droits de la défense, y compris le principe du contradictoire, en ne communiquant pas avec précision aux requérantes, avant de statuer, la nature et le motif de ce nouveau grief, conformément aux exigences posées par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950, et par les articles 47 et 48 de la Charte.

    45.

    La Commission conteste les arguments des requérantes en mettant l’accent sur le fait que les éléments de preuve produits par M. V. C. relatifs à la connaissance ont été mentionnés pour la première fois par les requérantes. Il serait donc absurde de la part des requérantes de prétendre qu’elles n’ont pas pu prendre connaissance de ces éléments ( 35 ).

    B – Appréciation

    1. Remarques introductives

    46.

    Le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, constitue un principe général de droit de l’Union, désormais inscrit à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. Le principe de protection juridictionnelle effective figurant audit article 47 regroupe divers éléments, au nombre desquels figurent notamment les droits de la défense, le principe d’égalité des armes et le droit d’accès aux tribunaux.

    47.

    S’agissant du principe du contradictoire, il est constant que ledit principe fait partie des droits de la défense. Il s’applique à toute procédure susceptible d’aboutir à une décision d’une institution communautaire affectant de manière sensible les intérêts d’une personne ( 36 ). Le principe d’égalité des armes étant un corollaire de la notion même de procès équitable, il implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ( 37 ). Ce principe est invocable dans les procédures de sanction intentées par la Commission ( 38 ).

    48.

    Dans le domaine du droit de la concurrence, il me paraît essentiel de retenir que c’est à la Commission qu’il appartient d’apporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction. Ce qui est en effet demandé à un requérant dans le cadre d’un recours juridictionnel, c’est d’identifier les éléments contestés de la décision attaquée, de formuler des griefs à cet égard et d’apporter des preuves, qui peuvent être constituées d’indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés ( 39 ).

    2. Appréciation de la prise en compte de la déclaration de M. V. C. par le Tribunal au regard du pouvoir de pleine juridiction

    49.

    Il ressort de l’arrêt attaqué que la déclaration M. V. C. a été établie le 6 décembre 2007, soit postérieurement à la décision litigieuse, et qu’elle a été annexée à la requête devant le Tribunal et produite au dossier par les requérantes devant ce dernier ( 40 ). La Commission s’est prévalue de cette déclaration dans ses écrits ( 41 ). La déclaration a été considérée comme recevable devant le Tribunal. Les requérantes s’en sont également prévalues, notamment, dans le cadre du quatrième moyen devant le Tribunal ( 42 ).

    50.

    Je rappelle que le respect des droits de la défense en matière de concurrence exige que l’entreprise concernée soit en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les documents retenus par la Commission à l’appui de son allégation de l’existence d’une infraction au traité CE ( 43 ). C’est notamment la communication des griefs qui permet aux entreprises faisant l’objet d’une enquête de prendre connaissance des éléments de preuve dont dispose la Commission et de conférer aux droits de la défense leur pleine effectivité ( 44 ).

    51.

    Or, ainsi que le souligne la Commission, il ressort de la jurisprudence qu’«une partie qui a elle‑même produit les éléments de fait en cause a, par hypothèse même, été pleinement en mesure d’exposer, à l’occasion de ladite production, la pertinence éventuelle que revêtent ceux‑ci pour la solution de l’affaire» ( 45 ).

    52.

    À cet égard, il est constant que, dans l’exercice du pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne le montant de l’amende, le Tribunal doit se placer à la date à laquelle il rend son arrêt. Ainsi, il convient de distinguer entre, d’une part, la prise en compte, par le Tribunal, des documents ou des éléments additionnels qui n’étaient pas retenus par la Commission ( 46 ) ou même des éléments dont elle n’avait pas connaissance au moment de l’adoption de la décision et, d’autre part, la détermination du comportement infractionnel et la prise en compte de la responsabilité des participants du cartel, laquelle a été soit expressément écartée dans la décision de la Commission, soit n’a pas été prouvée par la Commission.

    53.

    En effet, s’agissant de la prise en compte des éléments additionnels, il ressort de la jurisprudence que «le Tribunal, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction reconnu par l’article 261 TFUE et l’article 31 du règlement no 1/2003, est compétent pour apprécier le caractère approprié du montant des amendes, en se fondant notamment sur des éléments complémentaires d’information, qui ne sont pas mentionnés dans la communication des griefs ou dans la décision de la Commission» ( 47 ).

    54.

    Ainsi que l’a souligné l’avocat général Wathelet dans ses conclusions dans l’affaire Telefónica et Telefónica de España/Commission, le Tribunal doit donc estimer par lui‑même si l’amende est adéquate et proportionnée et est obligé de constater lui‑même que tous les éléments pertinents aux fins du calcul de l’amende ont été pris en considération par la Commission, étant entendu que le Tribunal doit également être à ce titre en mesure de revenir aux faits et aux circonstances avancés par les requérantes devant lui ( 48 ).

    55.

    À cet effet, le Tribunal peut également prendre en compte des éléments dont la Commission n’avait pas connaissance lors de l’adoption de la décision litigieuse ( 49 ). Ainsi, le Tribunal prend en compte des éléments postérieurs à la décision de la Commission, notamment en ce qui concerne la situation financière de l’entreprise ( 50 ).

    56.

    Sous cet angle, la prise en compte de la déclaration de M. V. C. ne contrevient pas aux droits de la défense et au principe du contradictoire, quand bien même la valeur que lui attribue le Tribunal n’est pas univoque ( 51 ). D’une part, vu sa postériorité par rapport à la décision litigieuse, ce document ne peut pas contredire les éléments de preuve apportés par la Commission et, d’autre part, la déclaration est retenue pour fonder la responsabilité des entreprises concernées. Néanmoins, eu égard à la jurisprudence précitée, la prise en compte de la déclaration, en soi, dans le cadre de la pondération de la sanction par le Tribunal exerçant son pouvoir de pleine juridiction me semble pouvoir être admise ( 52 ).

    57.

    En tout état de cause, la situation du cas d’espèce diffère, à mon sens, de celle ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Edison ( 53 ), dans lequel la Cour a validé le raisonnement du Tribunal selon lequel l’élément retenu dans la décision de la Commission était un élément qui n’avait pas été exposé dans la communication des griefs et sur lequel Edison SpA n’avait pas eu l’occasion de faire valoir son point de vue lors de la procédure administrative. C’était, donc, à bon droit que le Tribunal a jugé cet élément inopposable à ladite société ( 54 ).

    3. Atteinte au principe de pleine juridiction et aux droits de la défense par l’établissement de la responsabilité des requérantes par le Tribunal

    58.

    La problématique de la prise en compte formelle de la déclaration de M. V. C doit néanmoins être distinguée de celle que soulève la manière dont le Tribunal a utilisé ladite déclaration, c’est‑à‑dire quelles sont les conséquences que le Tribunal lui a attachées et dans quelle finalité il l’a employée. Certes, il ressort de l’arrêt attaqué que le Tribunal l’a prise en compte aux fins de l’appréciation de l’amende, mais, ce faisant, le Tribunal a retenu la responsabilité des requérantes sans que ces dernières aient bénéficié d’un débat contradictoire.

    59.

    Contrairement à la Commission, je suis d’avis que les conséquences que le Tribunal a tirées de ce document ne constituent pas un simple élément de fait. Au contraire, cela est particulièrement important sous l’angle du respect des droits de la défense. Ainsi que l’avocat général Kokott l’a relevé dans l’affaire Commission/Alrosa, le Tribunal était susceptible d’adopter une «décision surprise» non seulement lorsqu’il apprécie l’affaire en se fondant sur des faits dont les parties n’avaient pas connaissance, mais également lorsqu’il apprécie le cas d’espèce en se fondant sur des faits dont les parties avaient, certes, connaissance, mais qui n’avaient pas été abordés en tant que tels au cours de la procédure devant la juridiction ( 55 ).

    60.

    Or, en l’espèce, ce qui est déterminant tient à ce que, en prenant en compte la déclaration M. V. C, le Tribunal a modifié la qualification de l’acte incriminé tel qu’il a été constaté dans la décision de la Commission.

    61.

    En établissant un comportement afin de déterminer la responsabilité des requérantes, le Tribunal a dépassé les limites de la pleine juridiction. En effet, ce faisant, il a constaté une infraction non établie par la Commission. De ce point de vue, le point 621 de l’arrêt attaqué, par lequel le Tribunal semble suggérer, en violation de l’ensemble des règles précitées, que des éléments complémentaires d’information pourraient concerner le constat de l’infraction ainsi que le point 622 de l’arrêt attaqué, semble justifier l’annulation de l’arrêt attaqué.

    62.

    De surcroît, l’arrêt attaqué est entaché d’une contradiction flagrante des motifs. Ainsi, au point 614, le Tribunal constate qu’il n’appartient pas au Tribunal de substituer une motivation entièrement nouvelle à la motivation erronée retenue par la Commission. Or, au point 626, le Tribunal établit la responsabilité des requérantes au titre des deux composantes de l’infraction.

    63.

    Dans le même ordre d’idées, le Tribunal me semble opérer une distinction artificielle et, dès lors, erronée entre l’établissement de la responsabilité «aux fins de l’amende» et l’établissement de la responsabilité en tant que telle. Or, il est constant que l’amende constitue la sanction de la responsabilité préalablement établie. Ainsi, sans ce constat préalable, la question du montant de l’amende ne se pose pas. Dès lors, le Tribunal a tout d’abord démantelé l’infraction établie par la Commission avant de la remodeler, dans le cadre du neuvième moyen, outrepassant ainsi les limites de son pouvoir de pleine juridiction.

    64.

    Enfin, il me semble que, ce faisant, le Tribunal a également enfreint les droits de la défense et, en particulier, le principe du contradictoire, dès lors qu’il n’a pas donné aux parties la possibilité de débattre de la responsabilité qu’il a lui‑même établie.

    65.

    Or, le pouvoir de pleine juridiction demeure soumis à des limites. Si la compétence d’annulation est limitée à l’infraction retenue dans la décision litigieuse, le pouvoir de pleine juridiction ne confère pas pour autant au Tribunal la compétence de constater l’existence d’infractions non retenues par la Commission dans la décision litigieuse ( 56 ).

    66.

    Par conséquent, il convient d’accueillir la deuxième branche du deuxième moyen. Compte tenu du caractère fondamental de l’erreur ainsi retenue, celle‑ci me semble devoir conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué.

    VII – Sur la dénaturation des éléments de preuve

    67.

    Eu égard à la nature de l’erreur constatée, il n’y a pas lieu, selon moi, de se prononcer sur la troisième branche du deuxième moyen. Ce n’est donc qu’à titre subsidiaire que j’aborde cette troisième branche. À cet égard, je relève que les requérantes soutiennent que, en retenant la responsabilité des requérantes au titre de deux composantes de l’infraction, le Tribunal aurait, au point 626 de l’arrêt, dénaturé les éléments de preuve et violé le principe de la présomption d’innocence. La constatation se fonderait sur une citation incomplète de la déclaration de M. V. C. dont il ressortirait ainsi clairement que M. V. C. n’avait aucune connaissance de la nature du mécanisme de compensation objet de la décision.

    68.

    Par ailleurs, la déclaration de M. V. C. laisserait complètement ouvert le moment à partir duquel il a eu connaissance de l’«existence d’un certain type de mécanisme de compensation». Selon la Commission, le Tribunal n’a, au contraire, pas dénaturé les éléments de preuve figurant dans la déclaration de M. V. C.

    69.

    À cet égard, il doit être rappelé que, lorsqu’une partie requérante allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, elle doit, en application des articles 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, 51, premier alinéa, du statut de la Cour et 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui‑ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation ( 57 ).

    70.

    Une telle dénaturation existe lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments de preuve, l’appréciation des éléments de preuve existants apparaît manifestement erronée ( 58 ). Toutefois, par cette troisième branche du deuxième moyen, les requérantes me semblent proposer une lecture différente de celle retenue par le Tribunal de la déclaration de M. V. C. Les arguments invoqués en l’espèce ne permettent toutefois pas de conclure que le Tribunal aurait manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable desdits éléments de preuve ( 59 ).

    71.

    Dans ces conditions, la troisième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée.

    VIII – Sur le renvoi de l’affaire au Tribunal

    72.

    Je note que les requérantes concluent, dans le cadre de leur pourvoi, à l’annulation des articles 1er, 2 et 3 de la décision litigieuse, en ce qu’ils les concernent, ou à la réduction du montant de l’amende.

    73.

    Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer définitivement sur le litige pour autant que celui‑ci soit en état d’être jugé. Or, vu la nature de l’erreur commise par le Tribunal, la présente affaire me semble ne pas en état d’être jugée ( 60 ). Je suis surtout d’avis que les parties n’ont pas eu suffisamment l’occasion d’exposer devant le Tribunal leur point de vue sur les conséquences à tirer de la déclaration de M. V. C. dans le cadre de l’exercice par le Tribunal de son pouvoir de pleine juridiction. Par conséquent, je propose à la Cour de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

    IX – Conclusion

    74.

    Pour ces raisons, et sans préjudice de l’examen d’autres moyens du pourvoi, je propose à la Cour d’accueillir le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, ce qui doit, à mon avis, entraîner l’annulation de l’arrêt Galp Energía España e.a./Commission (T‑462/07, EU:T:2013:459) ainsi que le renvoi de l’affaire devant le Tribunal. Les dépens sont réservés.


    ( 1 )   Langue originale: le français.

    ( 2 )   EU:T:2013:459.

    ( 3 )   Décision du 3 octobre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE [affaire COMP/38.710 – Bitume (Espagne)].

    ( 4 )   Considérant 500 de la décision litigieuse. Pour leur participation à cette infraction, la Commission a estimé que Galp Energía España, SA, et Petróleos de Portugal, SA, étaient solidairement responsables du paiement de 8662500 euros; Galp Energia, SGPS, SA, était solidairement responsable du paiement de 6435000 euros. La participation de Galp Energía España, SA, et de Petróleos de Portugal, SA, à l’infraction a été retenue pour la période allant du 31 janvier 1995 au 1er octobre 2002, tandis que Galp Energia, SGPS, SA, a été considérée comme ayant participé à l’infraction du 22 avril 1999 au 1er octobre 2002.

    ( 5 )   Voir points 87 et 215 de l’arrêt attaqué. Dans sa déclaration, M. V. C. confirmait en ces termes que les requérantes n’ont jamais été impliquées dans un système de surveillance: «J’ai relevé le grief de la Commission européenne suivant lequel Galp Energia España […] aurait participé au fonctionnement d’un système de surveillance et d’un mécanisme de compensation de la table de l’asphalte. C’est inexact. Pour le simple fait que nous n’avons jamais été compensés, indépendamment du volume de ventes de Galp Energia España […]. Il est vrai qu’à un certain moment j’ai constaté l’existence d’un certain type de mécanisme de compensation auquel participaient les membres de la table de négociation sur l’asphalte, mais je n’ai jamais su ce que ces sociétés avaient à voir avec ce système. Par conséquent, Galp Energia España […] n’a jamais été impliquée dans aucun mécanisme de compensation».

    ( 6 )   Par conséquent, le montant de l’amende infligée à Galp Energía España, SA, et à Petróleos de Portugal (Petrogal), SA, a été ramené à 8277500 euros, tandis que le montant de l’amende infligée à Galp Energia, SGPS, SA, a été ramené à 6149000 euros.

    ( 7 )   Dans le cadre de l’analyse du troisième moyen, le Tribunal a reproché à la Commission de ne pas avoir établi à suffisance de droit la participation des requérantes aux deux composantes de l’infraction. Cela l’a conduit à annuler dans cette mesure la décision litigieuse.

    ( 8 )   Arrêt KME Germany e.a./Commission (C‑272/09 P, EU:C:2011:810, point 103).

    ( 9 )   Arrêts Groupe Danone/Commission (C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 61) ainsi que Prym et Prym Consumer/Commission (C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 86).

    ( 10 )   Arrêts Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 692); Prym et Prym Consumer/Commission (C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 86), et JFE Engineering e.a./Commission (T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, EU:T:2004:221, point 577).

    ( 11 )   Voir, pour une analyse détaillée, conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire Telefónica et Telefónica de España/Commission (C‑295/12 P, EU:C:2013:619).

    ( 12 )   C‑386/10 P, EU:C:2011:815.

    ( 13 )   C‑272/09 P, EU:C:2011:810.

    ( 14 )   Cet aspect est crucial pour la présente affaire, compte tenu du fondement du raisonnement du Tribunal tel qu’exposé au point 12 des présentes conclusions.

    ( 15 )   Règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

    ( 16 )   Arrêt KME Germany e.a./Commission (C‑272/09 P, EU:C:2011:810, point 106).

    ( 17 )   Arrêt Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 82).

    ( 18 )   Arrêts Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, points 41 et 42); Commission/Aalberts Industries e.a. (C‑287/11 P, EU:C:2013:445, point 63), et Siemens e.a./Commission (C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, EU:C:2013:866, point 242).

    ( 19 )   Arrêt Commission/Verhuizingen Coppens (C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 47).

    ( 20 )   T‑68/09, EU:T:2014:867. Dans cette affaire, le Tribunal a considéré que la preuve de la participation de Soliver NV n’avait pas été apportée par la Commission. Une annulation partielle de la décision n’était pas envisageable, dès lors que la Commission n’avait pas donné de qualification propre à la participation de la requérante aux comportements infractionnels, de sorte que le Tribunal a annulé la décision de la Commission dans son intégralité.

    ( 21 )   Les requérantes rappellent que la procédure devant les juridictions de l’Union européenne est contradictoire. Il appartiendrait donc aux parties au litige et à elles seules (sauf en ce qui concerne les moyens d’ordre public) de soulever les moyens d’annulation (voir arrêt KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, EU:C:2011:816, point 131). De même, la Cour aurait retenu, dans l’affaire ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2011:191), que la tâche du Tribunal se limite à statuer sur les arguments développés devant lui.

    ( 22 )   Point 626 de l’arrêt attaqué.

    ( 23 )   Arrêt Prym et Prym Consumer/Commission (C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 86).

    ( 24 )   Arrêt KNP BT/Commission (C‑248/98 P, EU:C:2000:625, point 40).

    ( 25 )   De 4 % supplémentaires, qui s’ajoutent à la réduction de 10 % accordée précédemment par la Commission, afin de prendre en compte la participation moins régulière ou active de la partie requérante à l’infraction.

    ( 26 )   Voir arrêts Meroni/Haute Autorité (46/59 et 47/59, EU:C:1962:44, p. 783, en particulier p. 801); Nachi Europe (C‑239/99, EU:C:2001:101, point 24), et Comunità montana della Valnerina/Commission (C‑240/03 P, EU:C:2006:44, point 43) ainsi que points 146 à 148 des conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Commission/Alrosa (C‑441/07 P, EU:C:2009:555).

    ( 27 )   Arrêt Commission/Roodhuijzen (T‑58/08 P, EU:T:2009:385, point 34 et jurisprudence citée). Il résulte néanmoins de la jurisprudence que, dans le cadre du litige circonscrit par les parties, le juge de l’Union, tout en ne devant statuer que sur la demande des parties, ne saurait être tenu par les seuls arguments invoqués par celles-ci au soutien de leurs prétentions, sauf à se voir contraint, le cas échéant, de fonder sa décision sur des considérations juridiques erronées (arrêt ETF/Michel, T‑108/11 P, EU:T:2013:625, points 42 et 51).

    ( 28 )   En effet, la violation des formes substantielles et l’incompétence, au sens de l’article 263 TFUE, constituent un moyen d’ordre public, qui doit être relevé d’office par le juge de l’Union (voir arrêt Hongrie/Commission, T‑240/10, EU:T:2013:645). Le défaut de motivation compte parmi les moyens de légalité externes. Toutefois, je rappelle que le relevé d’office d’un moyen d’ordre public n’a pas pour but de pallier une insuffisance de la requête, mais de faire respecter une règle qui, en raison de son importance, n’est pas à la disposition des parties, et ce à quelque stade de la procédure que ce soit. La question du relevé d’office applicable aux moyens doit être, néanmoins, distinguée de la portée du principe ne ultra petita, laquelle vise les conclusions des parties.

    ( 29 )   Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Parlement/Gutiérrez de Quijano y Lloréns (C‑252/96 P, EU:C:1998:157, point 36).

    ( 30 )   C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 62, italiques ajoutés. Voir, également, conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans cette affaire (C‑3/06 P, EU:C:2006:720, points 46 à 50).

    ( 31 )   À cet égard, voir arrêts Shell Petroleum e.a./Commission (T‑343/06, EU:T:2012:478) et InnoLux/Commission (T‑91/11, EU:T:2014:92).

    ( 32 )   C‑231/11 P à C‑233/11 P, EU:C:2014:256, point 129.

    ( 33 )   C‑679/11 P, EU:C:2013:606, points 103 à 107.

    ( 34 )   Voir point 87 de l’arrêt attaqué.

    ( 35 )   Arrêt 1. garantovaná/Commission (T‑392/09, EU:T:2012:674, points 78 et 79).

    ( 36 )   Arrêt Commission/Irlande e.a. (C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 50).

    ( 37 )   Arrêt Otis e.a. (C‑199/11, EU:C:2012:684, points 46 à 49, 71 et 72).

    ( 38 )   Voir, notamment, arrêt LR AF 1998/Commission (T‑23/99, EU:T:2002:75, point 171).

    ( 39 )   Arrêt KME Germany e.a./Commission (C‑272/09P, EU:C:2011:810, points 104 à 106).

    ( 40 )   Point 293 de l’arrêt attaqué.

    ( 41 )   Points 293 et 612 de l’arrêt attaqué.

    ( 42 )   Point 320 de l’arrêt attaqué.

    ( 43 )   Voir, notamment, arrêt Archer Daniels Midland/Commission (C‑511/06 P, EU:C:2009:433, point 85 et jurisprudence citée).

    ( 44 )   Ibidem (point 86 et jurisprudence citée).

    ( 45 )   Arrêt 1. garantovaná/Commission (T‑392/09, EU:T:2012:674, points 78 et 79).

    ( 46 )   Arrêt Shell Petroleum e.a./Commission (T‑343/06, EU:T:2012:478, points 176, 220 et 232).

    ( 47 )   Ibidem (point 220).

    ( 48 )   C‑295/12 P, EU:C:2013:619, point 129.

    ( 49 )   Arrêt Arkema France e.a./Commission (T‑217/06, EU:T:2011:251, points 249 à 256) sur la prise en compte du fait que l’entreprise en cause n’était plus contrôlée par le groupe Total et donc que la majoration au titre de l’effet dissuasif n’était plus justifiée.

    ( 50 )   Arrêt Novácke chemické závody/Commission (T‑352/09, EU:T:2012:673) à propos d’une déclaration selon laquelle le paiement d’une amende n’affecterait pas la viabilité de l’entreprise ainsi qu’arrêt Reagens/Commission (T‑30/10, EU:T:2014:253, point 305) sur des éléments portant sur la capacité financière.

    ( 51 )   À titre d’illustration, s’agissant de la fixation des prix, il ressort du point 405 de l’arrêt attaqué que la déclaration en question «n’est en tout état de cause pas susceptible de contredire les éléments de preuve non contemporains et contemporains des faits analysés ci‑dessus, lesquels ont été avancés par la Commission au soutien de la participation des requérantes aux activités de coordination des prix».

    ( 52 )   En outre, je crois utile de rappeler que la Cour a jugé que, nonobstant le fait que le Tribunal n’avait pas communiqué aux parties son intention de la prise en compte de la réduction supplémentaire, cet aspect relevait d’une appréciation juridique que le Tribunal était en droit de faire dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sans en aviser les parties préalablement au prononcé de l’arrêt (voir arrêt Alliance One International/Commission, C‑679/11 P, EU:C:2013:606, point 110).

    ( 53 )   C‑446/11 P, EU:C:2013:798.

    ( 54 )   La Cour a renvoyé, dans l’arrêt Commission/Edison, par analogie, à l’arrêt Papierfabrik August Koehler e.a./Commission (C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, EU:C:2009:500, points 34 à 37).

    ( 55 )   C‑441/07 P, EU:C:2009:555, points 151 et 152.

    ( 56 )   Voir, en ce sens, arrêt Tokai Carbon e.a./Commission (T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, EU:T:2005:220, point 370).

    ( 57 )   Arrêt Commission/Aalberts Industries e.a. (C‑287/11 P, EU:C:2013:445, point 50).

    ( 58 )   Arrêts PKK et KNK/Conseil (C‑229/05 P, EU:C:2007:32, point 37) ainsi que Lafarge/Commission (C‑413/08 P, EU:C:2010:346, point 17).

    ( 59 )   Voir, par analogie, arrêt Activision Blizzard Germany/Commission (C‑260/09 P, EU:C:2011:62, point 57).

    ( 60 )   À la différence, notamment, de l’affaire Commission/Verhuizingen Coppens, voir conclusions de l’avocat général Kokott dans cette affaire (C‑441/11 P, EU:C:2012:317, points 43 à 46).

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