EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62013CC0373

Conclusions de l'avocat général Sharpston présentées le 11 septembre 2014.
H. T. contre Land Baden-Württemberg.
Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg - Allemagne.
Renvoi préjudiciel - Espace de liberté, de sécurité et de justice - Frontières, asile et immigration - Directive 2004/83/CE - Article 24, paragraphe 1 - Normes minimales relatives aux conditions d’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire - Révocation du titre de séjour - Conditions - Notion de ‘raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public’ - Participation d’une personne ayant le statut de réfugié aux activités d’une organisation figurant sur la liste des organisations terroristes établie par l’Union européenne.
Affaire C-373/13.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:2218

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 11 septembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑373/13

H. T.

contre

Land Baden-Württemberg

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof Baden‑Württemberg (Allemagne)]

«Espace de liberté, de sécurité et de justice — Asile et immigration — Normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié et contenu de la protection accordée — Révocation du titre de séjour au titre de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/83/CE — Conditions — Notion de ‘raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public’ — Participation d’un réfugié reconnu aux activités d’une organisation terroriste»

1. 

La demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg (tribunal administratif supérieur de Baden-Württemberg, Allemagne) soulève un certain nombre de questions sensibles et complexes. La juridiction de renvoi demande à la Cour de l’éclairer quant à l’interprétation des articles 21 et 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions ( 2 ). Elle demande si, et le cas échéant comment, ces dispositions s’appliquent lorsque les autorités compétentes d’un État membre expulsent une personne à qui avait été accordé le statut de réfugié aux termes de la directive relative aux conditions et révoquent son titre de séjour. Lorsque le réfugié en question se voit néanmoins accorder le droit de demeurer sur le territoire de l’État membre concerné, le fait qu’il ne détienne plus de titre de séjour et donc qu’il n’ait (dans une mesure plus ou moins étendue) plus droit, selon le droit national, à certains avantages, tels que l’accès à l’emploi, est-il compatible avec le droit de l’Union? Lorsque cette personne a été expulsée pour avoir violé le droit national en soutenant une organisation terroriste, quels facteurs doivent être pris en considération pour démontrer qu’il existe des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public justifiant une décision de révocation du titre de séjour de cette personne?

Le droit international

La convention de Genève relative au statut des réfugiés

2.

La convention de Genève relative au statut des réfugiés ( 3 ) repose sur la déclaration universelle des droits de l’homme, qui reconnaît le droit des personnes à chercher asile dans d’autres pays devant la persécution. L’article 1er, section A, point 2, premier alinéa, de la convention de Genève dispose que le terme «réfugié» s’applique à toute personne qui, «craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays».

3.

Au-delà de l’établissement de dispositions tendant à la déclaration du statut de réfugié, la convention de Genève confère des droits et impose des obligations. Ainsi, son article 2 dispose que tout réfugié a, à l’égard du pays où il se trouve, des devoirs qui comportent notamment l’obligation de se conformer aux lois et règlements ainsi qu’aux mesures prises pour le maintien de l’ordre public.

4.

La convention de Genève prévoit un certain nombre de droits minimaux s’appliquant aux personnes qui remplissent les conditions du statut de réfugié. Les États contractants sont tenus d’accorder aux réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire des droits tels que: i) l’exercice d’une activité professionnelle salariée ( 4 ); ii) le même traitement qu’aux nationaux en ce qui concerne la rémunération (y compris les allocations familiales) et la sécurité sociale ( 5 ); iii) le droit de choisir leur lieu de résidence sur leur territoire et d’y circuler librement sous les réserves instituées par la réglementation applicable aux étrangers en général dans les mêmes circonstances ( 6 ).

5.

L’article 32, intitulé «Expulsion», interdit aux États contractants d’expulser un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire, sauf pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public. Toute décision d’expulsion n’aura lieu que conformément à la procédure prévue par la loi. Le réfugié devra avoir l’opportunité de contester une décision d’expulsion en fournissant des preuves et/ou en présentant un recours contre une telle décision, sauf si des raisons impérieuses de sécurité nationale s’y opposent. Dans l’attente de l’exécution d’une décision d’expulsion, les États contractants doivent accorder au réfugié un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre régulièrement dans un autre pays. Les États contractants conservent la faculté d’appliquer, pendant ce délai, les mesures d’ordre interne qu’ils jugeront opportunes.

6.

La convention de Genève ne contient aucune disposition expresse quant à la révocation du statut de réfugié ( 7 ).

7.

Le principe de non-refoulement fait partie des principes fondamentaux qui sous-tendent la convention de Genève. Les États contractants ne doivent pas expulser ou refouler un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ( 8 ). Toutefois, s’il y a des raisons sérieuses de considérer le réfugié comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou s’il a été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave et constitue ainsi une menace pour la communauté dudit pays, il ne pourra invoquer le bénéfice du principe de non-refoulement ( 9 ).

La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

8.

L’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 10 ) interdit la torture, les peines ou traitements inhumains ou dégradants. L’article 8 garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. L’article 1er du protocole no 7 à la CEDH, signé à Strasbourg le 22 novembre 1984 et ratifié par 25 États membres de l’Union européenne, prévoit certaines mesures de sauvegarde s’agissant de l’expulsion des étrangers, notamment le droit de la personne à faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion, à faire examiner son cas, et à se faire représenter à ces fins ( 11 ).

Le droit de l’Union

La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

9.

L’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants visée à l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 12 ) correspond à l’article 3 de la CEDH. L’article 7 de la Charte dispose: «[t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications». Le droit d’asile, dans le respect des règles de la convention de Genève et du TFUE, est garanti par l’article 18 de la Charte. Son article 19 prévoit la protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ( 13 ). L’article 52, paragraphe 1, dispose que toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte doit être prévue par la loi et respecter le principe de proportionnalité. Des limitations peuvent être apportées uniquement si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. L’article 52, paragraphe 3, dispose que les droits consacrés par la Charte doivent être interprétés conformément aux droits correspondants garantis par la CEDH.

L’accord de Schengen

10.

L’espace Schengen repose sur l’accord de Schengen de 1985 ( 14 ), par lequel les États signataires ont accepté de supprimer toutes les frontières intérieures et d’établir une unique frontière externe. Dans le cadre de l’espace Schengen, des règles et procédures communes sont appliquées s’agissant des visas pour courts séjours, des demandes d’asile et des contrôles aux frontières. L’article 1er de l’accord de Schengen ( 15 ) définit le terme «étranger» comme toute personne autre que les ressortissants des États membres. L’article 5, paragraphe 1, prévoit que pour un séjour n’excédant pas trois mois, l’entrée sur les territoires des parties contractantes peut être accordée à l’étranger qui remplit certaines conditions. En vertu de l’article 21, les étrangers titulaires d’un titre de séjour délivré par une des parties contractantes peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d’un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pendant une période de trois mois au maximum sur le territoire des autres parties contractantes, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 5, paragraphe 1, sous a), c) et e) ( 16 ).

Mesures restrictives à l’encontre des personnes et entités impliquées dans les activités terroristes

11.

L’Union a pour la première fois adopté des mesures restrictives à l’encontre des personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme au mois de décembre 2001, à la suite des attaques terroristes aux États-Unis d’Amérique, notamment au World Trade Center à New York le 11 septembre de cette année-là. La liste de l’Union a été établie afin de mettre en œuvre la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies 1373 (2001), adoptée en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945. À cette fin, le Conseil de l’Union européenne a adopté la position commune 2001/931/PESC ( 17 ) et le règlement (CE) no 2580/2001 ( 18 ). La première prévoit les critères d’inscription sur la liste des personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme et identifie les actions qui constituent des actes de terrorisme. Le second introduit des mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités afin de lutter contre le terrorisme.

Le régime d’asile européen commun et la directive relative aux conditions

12.

Le régime d’asile européen commun a été conçu pour mettre en œuvre la convention de Genève ( 19 ). Les mesures adoptées aux fins du régime d’asile européen commun respectent les droits fondamentaux ainsi que les principes reconnus par la Charte ( 20 ). Concernant le traitement des personnes relevant du champ d’application de ces mesures, les États membres sont liés par les obligations qui découlent des instruments de droit international auxquels ils sont parties ( 21 ). L’objectif du régime d’asile européen commun est d’harmoniser le cadre juridique appliqué dans les États membres sur le fondement de normes minimales communes. Il est dans la nature même des normes minimales de permettre aux États membres de prévoir ou maintenir des conditions plus favorables ( 22 ). L’introduction du régime d’asile européen commun a conduit à l’adoption de nombreuses mesures ( 23 ). À la suite d’une révision du régime d’asile européen commun, de nouvelles règles ont été adoptées en 2013 ( 24 ).

13.

La directive relative aux conditions vise à établir des normes minimales et critères communs à tous les États membres afin de reconnaître les réfugiés et les personnes qui ont réellement besoin de protection internationale, le contenu ou les avantages du statut de réfugié ainsi qu’une procédure d’asile juste et efficace ( 25 ). Une fois établie, la reconnaissance du statut de réfugié est un acte déclaratif ( 26 ).

14.

Les considérants de la convention de Genève suivants revêtent de l’importance:

«(22)

Les agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies sont évoqués dans le préambule et aux articles 1er et 2 de la charte des Nations unies et précisés, entre autres, dans les résolutions des Nations unies concernant les ‘mesures visant à éliminer le terrorisme international’, qui disposent que ‘les actes, méthodes et pratiques terroristes sont contraires aux buts et principes des Nations unies’ et que ‘sont également contraires aux buts et principes des Nations unies, pour les personnes qui s’y livrent sciemment, le financement et la planification d’actes de terrorisme et l’incitation à de tels actes’.

[…]

(28)

La notion de sécurité nationale et d’ordre public couvre également les cas dans lesquels un ressortissant d’un pays tiers appartient à une association qui soutient le terrorisme international ou soutient une telle association.

[…]

(30)

Dans les limites fixées par leurs obligations internationales, les États membres peuvent disposer que l’octroi d’avantages en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la prévoyance sociale, aux soins de santé et aux dispositifs d’intégration est subordonné à la délivrance, au préalable, d’un titre de séjour.

[…]»

15.

Reflétant l’article 1er, section A, point 2, de la convention de Genève, la définition du terme «réfugié» est la suivante: «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12» ( 27 ). Le statut de réfugié signifie la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié de tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride ( 28 ). Le titre de séjour correspond à tout permis ou autorisation délivré par les autorités d’un État membre, sous la forme prévue par sa législation, permettant à un ressortissant d’un pays tiers ou à un apatride de résider sur son territoire ( 29 ).

16.

Une personne satisfaisant aux conditions du chapitre II de la directive relative aux conditions en matière d’évaluation des demandes de protection internationale peut être qualifiée de réfugié si elle est en mesure de démontrer qu’elle a fait l’objet ou a des raisons de craindre des actes de persécutions au sens de l’article 9.

17.

De tels actes doivent être suffisamment graves, du fait de leur nature, pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible (exposés à l’article 15, paragraphe 2, de la CEDH), ou être une accumulation de diverses mesures, suffisamment grave pour être assimilable à une violation grave des droits fondamentaux de l’homme ( 30 ). Les actes de violences physiques ou mentales sont susceptibles de relever de la définition des «actes de persécution» ( 31 ). Il doit y avoir un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 et les actes de persécution au sens de l’article 9 de la directive relative aux conditions ( 32 ).

18.

Les motifs de la persécution dont la liste est dressée à l’article 10 comprennent les notions de «race», de «religion», de «nationalité», d’«appartenance à un certain groupe social» et d’«opinion politique».

19.

L’article 11 expose les circonstances dans lesquelles le statut de réfugié prend fin. Ces circonstances impliquent, d’une manière ou d’une autre, que le réfugié bénéficie à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, ou sur le territoire duquel il résidait antérieurement, ou qu’il jouit de la protection du pays dont il a acquis la nationalité. Ainsi, il s’agit, par exemple, des situations où le réfugié: i) s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; ii) a volontairement recouvré sa nationalité; ou iii) a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont il a acquis la nationalité; ou iv) est retourné volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté; ou v) il ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, les circonstances à la suite desquelles il a été reconnu comme réfugié ayant cessé d’exister; ou vi) s’agissant d’une personne qui n’a pas de nationalité, il est en mesure de retourner dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, les circonstances à la suite desquelles il a été reconnu comme réfugié ayant cessé d’exister.

20.

Tout ressortissant d’un pays tiers est exclu du champ d’application de la directive relative aux conditions s’il relève de l’article 12. En l’espèce, le motif d’exclusion pertinent est celui de l’article 12, paragraphe 2, c’est-à-dire qu’il y a des raisons sérieuses de penser que la personne concernée a commis: un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ( 33 ), ou un crime grave de droit commun en dehors du pays de refuge avant d’être admis comme réfugié, c’est-à-dire avant la date d’obtention du titre de séjour délivré sur la base du statut de réfugié. Dans ce contexte, les actions particulièrement cruelles, même si elles sont commises avec un objectif prétendument politique, pourront recevoir la qualification de crimes graves de droit commun ( 34 ); des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies tels qu’ils figurent dans le préambule et aux articles 1er et 2 de la charte des Nations unies ( 35 ).

21.

Les États membres ont la faculté de révoquer, de mettre fin ou de refuser de renouveler le statut de réfugié, lorsque les conditions établies à l’article 14 sont remplies. Ils peuvent notamment agir en ce sens au titre de l’article 14, paragraphe 4, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer le réfugié comme une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve ( 36 ), ou que, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre ( 37 ).

22.

Le contenu de la protection internationale est exposé au chapitre VII de la directive relative aux conditions. Les dispositions de ce chapitre sont sans préjudice des droits inscrits dans la convention de Genève ( 38 ). Elles s’appliquent à la fois aux réfugiés et aux personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, sauf indication contraire ( 39 ). L’article 20, paragraphe 6, dispose: «dans les limites fixées par la convention de Genève, les États membres peuvent réduire les avantages accordés au titre du présent chapitre à un réfugié lorsque celui-ci a obtenu le statut de réfugié sur la base d’activités qu’il a exercées dans le seul but ou dans le principal but de créer les conditions nécessaires à sa reconnaissance en tant que réfugié» ( 40 ). Aucune autre règle générale ne concède aux États membres la faculté de réduire les avantages offerts au titre du chapitre VII.

23.

L’article 21, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions exige des États membres qu’ils respectent le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales. L’article 21, paragraphe 2, dispose que lorsque cela ne leur est pas interdit en vertu de leurs obligations internationales, «les États membres peuvent refouler un réfugié, qu’il soit ou ne soit pas formellement reconnu comme tel: a) lorsqu’il y a des raisons sérieuses de considérer qu’il est une menace pour la sécurité de l’État membre où il se trouve, ou b) que, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre». Aux termes de l’article 21, paragraphe 3, «[l]es États membres peuvent refuser d’octroyer un titre de séjour à un réfugié qui entre dans le champ d’application [de l’article 21, paragraphe 2], le révoquer, y mettre fin ou refuser de le renouveler».

24.

L’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions dispose: «[d]ès que possible après que le statut leur a été octroyé, les États membres délivrent aux bénéficiaires du statut de réfugié un titre de séjour valable pendant une période d’au moins trois ans et renouvelable, à moins que des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public ne s’y opposent, et sans préjudice de l’article 21, paragraphe 3 […]».

25.

S’agissant des bénéficiaires du statut de réfugié, les États membres doivent également: i) leur délivrer des titres de voyage, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d’ordre public ne s’y opposent ( 41 ); ii) les autoriser à exercer une activité salariée ou non salariée ( 42 ); iii) veiller à ce que des activités telles que des possibilités de formation liée à l’emploi pour les adultes leur soient offertes dans des conditions équivalentes à celles applicables à leurs ressortissants ( 43 ); iv) veiller à ce qu’ils reçoivent la même assistance sociale nécessaire que celle prévue pour les ressortissants de cet État membre ( 44 ); v) veiller à ce qu’ils aient accès aux soins de santé dans les mêmes conditions d’accès que les ressortissants de l’État membre concerné ( 45 ); vi) veiller à ce qu’ils aient accès à un logement dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficient les ressortissants d’autres pays tiers résidant légalement sur leur territoire ( 46 ); vii) leur permettre de circuler librement à l’intérieur de leur territoire, dans les mêmes conditions et avec les mêmes restrictions que celles qui sont prévues pour les ressortissants d’autres pays tiers résidant légalement sur leur territoire ( 47 ); viii) établir des programmes d’intégration ou créer les conditions préalables garantissant l’accès à ces programmes ( 48 ).

La directive 2003/109/CE

26.

La directive 2003/109/CE ( 49 ) se fonde sur l’article 63, paragraphes 3 et 4, CE (devenu article 79 TFUE) en matière de politique commune d’immigration. Elle établit les règles d’octroi et de retrait du statut de résident de longue durée accordé aux ressortissants de pays tiers qui séjournent légalement sur le territoire des États membres ( 50 ). Les États membres peuvent délivrer des titres de séjour permanents ou d’une durée de validité illimitée à des conditions plus favorables que celles établies dans la directive 2003/109 ( 51 ). Le «ressortissant d’un pays tiers» est défini comme toute personne qui n’est pas citoyen de l’Union au sens de l’actuel article 20, paragraphe 1, TFUE ( 52 ); un permis de séjour de résident de longue durée est un titre de séjour qui est délivré par l’État membre concerné lors de l’acquisition du statut de résident de longue durée ( 53 ). La directive 2003/109 s’applique aux personnes réfugiées ou qui ont autrement besoin d’une protection internationale au sens de l’article 2, sous a), de la directive relative aux conditions ( 54 ). Les États membres doivent accorder le statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays tiers qui ont résidé de manière légale et ininterrompue sur leur territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande en cause ( 55 ). Le statut de résident de longue durée est permanent, sous réserve de retrait ou de perte aux termes des conditions de l’article 9 ( 56 ). Le permis de séjour de résident de longue durée accordé conformément à la directive 2003/109 doit être valide au moins cinq ans; à son échéance, il est renouvelable automatiquement ( 57 ).

27.

Le statut de résident de longue durée peut être retiré ou perdu dans les circonstances exposées à l’article 9, y compris en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement ( 58 ), ou lorsque la personne concernée représente une menace pour l’ordre public vu la gravité des infractions qu’elle a commises, sans que cela justifie un éloignement au titre de l’article 12 de la directive 2003/109 ( 59 ). Il y a lieu de motiver toute décision de rejet de la demande d’acquisition du statut de résident de longue durée ou de retrait de ce statut; une voie de recours doit exister ( 60 ). Les résidents de longue durée bénéficient de l’égalité de traitement avec les nationaux pour un certain nombre d’avantages sociaux ( 61 ), tels que l’accès à l’emploi. Les dispositions régissant l’éloignement des résidents de longue durée figurent à l’article 12. En substance, les États membres ne peuvent prendre une décision en ce sens que lorsque la personne concernée «représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique» ( 62 ).

La directive 2004/38/CE

28.

La directive 2004/38/CE ( 63 ) établit les conditions régissant, entre autres, les conditions d’exercice du droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ( 64 ). Les limitations du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique sont exposées au chapitre VI. L’article 28, intitulé «Protection contre l’éloignement», dispose:

«[…]

2.   L’État membre d’accueil ne peut pas prendre une décision d’éloignement du territoire à l’encontre d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille, quelle que soit leur nationalité, qui ont acquis un droit de séjour permanent sur son territoire sauf pour des motifs graves d’ordre public ou de sécurité publique.

3.   Une décision d’éloignement ne peut être prise à l’encontre des citoyens de l’Union, quelle que soit leur nationalité, à moins que la décision ne se fonde sur des raisons impérieuses de sécurité publique définies par les États membres, si ceux-ci:

a)

ont séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes; […]

[…]»

Le droit allemand

29.

L’article 16a de la constitution de la République fédérale d’Allemagne (Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland) prévoit le droit d’asile. La procédure d’admission des demandeurs d’asile est régie par la loi sur la procédure d’asile (Asylverfahrensgesetz). Lorsque les autorités compétentes octroient le statut de réfugié, le demandeur reçoit un titre de séjour temporaire. Il est ensuite éligible aux mêmes avantages qu’un ressortissant allemand, s’agissant de la protection sociale et des allocations familiales ainsi qu’à l’aide à l’intégration, ce qui inclut certaines allocations ainsi que des cours de langue.

30.

En vertu de la loi fixant le régime public des associations (Gesetz zur Regelung des öffentlichen Vereinsrechts, ci-après le «Vereinsgesetz»), les opérations du PKK ( 65 ) ont été interdites. Aux termes de l’article 20 du Vereinsgesetz, quiconque enfreint cette interdiction commet une infraction pénale.

31.

Aux termes de la loi sur le séjour, le travail et l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral (Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet, ci-après l’«Aufenthaltsgesetz»), les ressortissants d’États tiers qui entrent et restent en Allemagne doivent être en possession d’un permis de séjour, qui peut prendre la forme, entre autres, d’un titre de séjour ou d’une autorisation d’établissement ( 66 ). Les titres de séjour sont octroyés à titre temporaire ( 67 ). Une autorisation d’établissement est un titre de séjour permanent qui permet à son titulaire d’entreprendre une activité économique ( 68 ).

32.

Lorsque les autorités compétentes accordent l’asile ou le statut de réfugié au ressortissant d’un État tiers, elles doivent également lui fournir un titre de séjour ( 69 ). Un titre de séjour accordé dans ces circonstances peut être délivré et sa validité étendue pour une période maximale de moins trois ans ( 70 ). Une personne détenant un tel titre de séjour a droit à une autorisation d’établissement, conformément à l’article 26, paragraphe 3, du Aufenthaltsgesetz ( 71 ).

33.

Le ressortissant d’un État tiers qui ne possède pas de titre de séjour ni de droit de résidence a l’obligation de quitter l’Allemagne ( 72 ). Le titre de séjour expire notamment à la fin de sa période de validité, lorsqu’il est retiré ou révoqué ou que le ressortissant d’un État tiers est expulsé ( 73 ).

34.

Les autorités compétentes peuvent expulser un ressortissant d’un État tiers lorsqu’il y a des raisons de croire qu’il appartient (ou a appartenu) à une association qui soutient le terrorisme ou a soutenu une association de ce type; l’appartenance ou des actes de soutien passés peuvent également justifier l’expulsion s’ils constituent une menace actuelle ( 74 ). En cas de décision d’expulsion intervenue en application de l’article 54, paragraphe 5, du Aufenthaltsgesetz, la personne concernée est soumise à l’obligation de se présenter au moins une fois par semaine auprès du service de police compétent pour son lieu de séjour; le lieu de sa résidence est limité au territoire administratif de l’autorité compétente en charge de son dossier ( 75 ). Une protection spéciale contre l’expulsion est accordée aux réfugiés, à moins de raisons sérieuses tenant à la sécurité nationale ou à l’ordre public. Ces raisons sont généralement considérées comme s’appliquant lorsqu’une décision d’expulsion est prise, entre autres, aux termes de l’article 54, paragraphe 5, du Aufenthaltsgesetz.

35.

L’expulsion mène à un retrait automatique du titre de séjour. Un nouveau titre de séjour ne peut être délivré, même si les conditions à cet effet sont par ailleurs remplies ( 76 ). La juridiction de renvoi affirme que cela a des implications pour ce qui est de l’accès du réfugié à l’emploi et aux autres droits sociaux prévus par le droit allemand.

36.

Toutefois, dans certaines circonstances, le ressortissant d’un État tiers peut ne pas être expulsé. Ces circonstances incluent: i) le cas où, comme l’envisage la convention de Genève, sa vie ou sa liberté est menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques; ii) le cas où il s’expose à un grave danger; ou iii) le cas où son expulsion serait incompatible avec la CEDH ( 77 ). L’expulsion peut être suspendue, notamment pour des motifs de droit international ou pour des raisons humanitaires, pour aussi longtemps qu’il est impossible d’éloigner la personne concernée (c’est-à-dire de lui faire quitter le territoire) en fait ou en droit; mais aucun titre de séjour ne lui est accordé pendant cette période ( 78 ). Le fait que l’expulsion est suspendue n’affecte pas l’obligation du ressortissant d’un État tiers de quitter l’Allemagne ( 79 ). Les autorités compétentes délivrent un certificat confirmant la suspension de l’expulsion ( 80 ).

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles déférées

37.

H. T. est né en 1956. Il est ressortissant turc d’origine kurde. Il vit avec sa femme, également ressortissante turque, en Allemagne depuis l’année 1989. Ils vivent ensemble avec leurs huit enfants, dont cinq sont des ressortissants allemands.

38.

Le 24 juin 1993, les autorités compétentes ont accepté la demande d’asile de H. T. Cette décision tenait compte de ses activités politiques en exil pour le (ou au soutien du) PKK ainsi que les menaces de persécution en cas de retour en Turquie qu’il subissait du fait de ses opinions politiques. À partir du 7 octobre 1993, H. T. a détenu un titre de séjour permanent en Allemagne. Il s’est vu accorder le statut de réfugié au sens de la convention de Genève. Le 21 août 2006, les autorités compétentes ont révoqué le statut de réfugié de H. T., au motif que la situation politique en Turquie avait changé et que, par conséquent, il n’était plus considéré comme courant un risque de persécution. Cette décision a fait l’objet d’un recours et a été annulée par ordonnance du Verwaltungsgericht Karlsruhe (tribunal administratif de Karlsruhe) le 30 novembre 2007. Par conséquent, H. T. a conservé son statut de réfugié.

39.

Les autorités compétentes ont alors poursuivi H. T. sur le fondement de l’article 20 du Vereinsgesetz pour soutien au PKK, ayant obtenu des éléments de preuve à sa charge après une perquisition à son domicile. Au cours de la procédure, il a été établi qu’il avait recueilli des dons pour le compte du PKK et les avait transmis à cette organisation et qu’il avait, à l’occasion, distribué le périodique Serxwebûn, une publication du PKK. Il a donc été condamné au paiement d’une amende par jugement du Landgericht Karlsruhe (tribunal régional de Karlsruhe) du 3 décembre 2008. À la suite du rejet de son pourvoi par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), ce jugement est devenu définitif le 8 avril 2009.

40.

Le 27 mars 2012, le Regierungspräsidium Karlsruhe (conseil régional de Karlsruhe) a adopté une décision au nom du Land Baden-Württemberg, ordonnant l’expulsion de H. T. d’Allemagne sur le fondement des motifs figurant à l’article 54, paragraphe 5, du Aufenthaltsgesetz (soutien d’une organisation soutenant elle-même le terrorisme) (ci-après la «décision du 27 mars 2012»). En application de cette décision, certaines conditions ont été imposées à H. T. [telles qu’exposées à l’article 54, sous a), du Aufenthaltsgesetz], comme le fait de se présenter régulièrement auprès du service de police local et la limitation de son lieu de résidence à la ville de Mannheim. Toutefois, les autorités compétentes ont décidé que l’exécution de la décision d’expulsion devrait être suspendue ( 81 ), au regard du statut de réfugié de H. T., incluant un droit de séjour permanent, de ses liens familiaux et du droit à une vie familiale consacré à l’article 8 de la CEDH (la garantie correspondant figure à l’article 7 de la Charte). Le recours de H. T. contre la décision du 27 mars 2012 a été rejeté par le Verwaltungsgericht Karlsruhe le 7 août 2012.

41.

Le 28 novembre 2012, le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg a été saisi du pourvoi contre ce jugement. Dans cette procédure, H. T. affirme que: i) le PKK n’est pas une organisation terroriste; ii) s’il est vrai qu’en tant que Kurde, il célèbre des événements tels que Newroz (le nouvel an kurde) et participe à des réunions autorisées du PKK en Allemagne, il n’a pas soutenu cette organisation; iii) les critères des articles 21 et 24 de la directive relative aux conditions n’ont pas été pris en compte dans la décision du 27 mars 2012; et iv) son expulsion n’est pas possible, sous réserve de raisons graves – qui n’existent pas en l’espèce – de considérer qu’il représente une menace à la sécurité nationale. La partie défenderesse dans la procédure au principal considère que ni l’article 21 ni l’article 24 de la directive relative aux conditions n’empêchent l’exclusion de H. T. de l’Allemagne.

42.

La juridiction de renvoi s’interroge quant à l’interprétation des articles 21 et 24 de la directive relative aux conditions; elle souhaite également savoir comment l’expression «raisons graves» figurant à l’article 56 du Aufenthaltsgesetz devrait être interprétée à la lumière de ces dispositions. En conséquence, elle a déféré les questions suivantes à la Cour de justice aux fins d’une décision préjudicielle:

«1)

a)

Le régime de l’article 24, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2004/83/CE relatif à l’obligation, pour les États membres, de délivrer un titre de séjour aux bénéficiaires du statut de réfugié doit-il être respecté également à l’égard de l’annulation d’un titre de séjour déjà octroyé?

b)

Ce régime doit-il, dès lors, être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le titre de séjour d’un réfugié reconnu soit annulé ou à ce qu’il y soit mis fin (par exemple, par une expulsion en application du droit national) si les conditions des dispositions combinées des paragraphes 2 et 3 de l’article 21 de la directive 2004/83/CE ne sont pas réunies ou que l’on ne se trouve pas en présence de ‘raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public’ au sens de l’article 24, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive?

2)

Dans le cas où les réponses à la première question, sous a) et b), seraient affirmatives:

a)

Comment la cause d’exclusion des ‘raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public’, inscrite à l’article 24, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2004/83/CE, doit-elle être interprétée au regard de menaces résultant du soutien à une association terroriste?

b)

Peut-on se trouver en présence de ‘raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public’ au sens de l’article 24, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2004/83/CE lorsqu’un réfugié reconnu a soutenu le PKK, entre autres, par la collecte de dons et la participation permanente à des événements liés au PKK, même si les conditions permettant de passer outre à la défense de refoulement édictées par l’article 33, paragraphe 2, de la convention de Genève relative au statut des réfugiés et, partant, les conditions de l’article 21, paragraphe 2, de la directive 2004/83/CE ne sont pas remplies?

3)

Dans le cas où la réponse à la première question, sous a), serait négative:

N’est-il possible, au regard du droit de l’Union, d’annuler le titre de séjour octroyé à un réfugié reconnu ou d’y mettre fin (par exemple, par une expulsion en application du droit national) que si les conditions des dispositions combinées des paragraphes 2 et 3 de l’article 21 de la directive 2004/83/CE (ou du régime identique de la directive 2011/95/UE qui lui a succédé) sont réunies?»

43.

Des observations écrites ont été présentées par H. T., par la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République italienne et la Commission européenne. En dehors de la République italienne, toutes les parties ont assisté et présenté des observations orales lors de l’audience du 4 juin 2014.

Appréciation

Remarques liminaires

44.

Il est de jurisprudence constante que la convention de Genève constitue la pierre angulaire du régime juridique international de protection des réfugiés ( 82 ). La directive relative aux conditions a été adoptée pour aider les autorités compétentes des États membres à appliquer cette convention en se fondant sur des notions et des critères communs ( 83 ). Cette directive doit, dès lors, être interprétée à la lumière de l’économie générale et de la finalité de celle-ci, dans le respect de la convention de Genève et des autres traités pertinents visés à l’article 78, paragraphe 1, TFUE; cette interprétation doit également se faire dans le respect des droits reconnus par la Charte ( 84 ).

45.

Avant qu’une personne ne se voie accorder le statut de réfugié aux termes de la directive relative aux conditions, sa situation est régie, entre autres, par la directive relative aux conditions d’accueil ainsi que par la directive 2005/85. Cette personne n’a pas droit à un titre de séjour tant qu’une décision sur sa demande de statut de réfugié est attendue ( 85 ). H. T., toutefois, s’est vu octroyer le statut de réfugié aux termes de la directive relative aux conditions et s’est vu délivrer un titre de séjour. Lorsque les autorités compétentes d’un État membre envisagent l’expulsion, elles doivent tenir compte de leurs obligations aux termes de la convention de Genève et assurer ainsi que nul ne sera renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté, c’est-à-dire maintenir le principe de non‑refoulement ( 86 ). La juridiction de renvoi indique que les autorités compétentes ont effectivement gardé cela à l’esprit; elle indique également qu’il est ici question de l’expulsion de H. T. de l’Allemagne et de la question de savoir si son titre de séjour peut ainsi être révoqué, et non de son refoulement.

46.

Il y a un certain degré de chevauchement entre les trois questions déférées. En premier lieu, il m’apparaît que les questions essentielles sont de savoir si un titre de séjour, une fois accordé, peut être révoqué i) s’il y a soit des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public, au sens de l’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions, soit des raisons d’appliquer l’exception au principe de non-refoulement de l’article 21, paragraphe 2, ou ii) uniquement lorsqu’il y a des raisons d’appliquer l’exception au principe de non‑refoulement de l’article 21, paragraphe 2 (première et troisième questions). En second lieu, si la réponse à la première question est i), comment l’expression «raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public» figurant à l’article 24, paragraphe 1, doit-elle être interprétée (deuxième question)?

La situation de H. T.

47.

Les articles 21, paragraphes 2 et 3, ou 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions ( 87 ) couvrent-ils les circonstances qui caractérisent la situation de H. T.? Il est difficile de répondre à cette question de manière abstraite, c’est pourquoi je commencerai par résumer la situation de H. T. comme l’a exposée la juridiction de renvoi.

48.

H. T. est un réfugié reconnu, au sens de l’article 2, sous d), de la directive relative aux conditions. Les autorités compétentes ont entrepris de l’expulser à la suite de sa condamnation au titre de l’article 20 du Vereinsgesetz pour soutien au PKK. La juridiction de renvoi déclare considérer le PKK comme une organisation soutenant le terrorisme et que H. T. soutenait les activités du PKK, aux fins de l’article 54, paragraphe 5, du Aufenthaltsgesetz, notamment en collectant et en transférant des dons à l’organisation. Toutefois, ces circonstances ne satisfont pas aux conditions de l’article 21, paragraphe 2, de la directive relative aux conditions. H. T. continue donc d’être protégé contre le refoulement.

49.

Le titre de séjour permettant à H. T. de résider en Allemagne [voir article 2, sous j) de la directive relative aux conditions] a été révoqué, dès lors qu’il fait l’objet d’un arrêté d’expulsion. L’exécution de cet arrêté a été suspendue. Partant, la situation de H. T. pourrait être ainsi décrite: de jure expulsé mais de facto demeurant légalement en Allemagne, puisqu’il y a été autorisé par les autorités nationales compétentes ( 88 ).

50.

D’après la juridiction de renvoi, l’exécution de la décision d’expulsion relève du pouvoir discrétionnaire des autorités nationales compétentes. La juridiction de renvoi considère que la suspension de l’exécution de l’expulsion de H. T. est proportionnée, selon le droit allemand, pour des raisons humanitaires, au regard notamment de son droit à la vie familiale ( 89 ), dès lors que cinq de ses huit enfants sont ressortissants allemands et vivent avec lui et son épouse ( 90 ).

51.

La juridiction de renvoi explique qu’une décision d’expulsion ne mène pas nécessairement à ce qu’un réfugié quitte l’Allemagne. Cependant, d’après le droit allemand, une telle décision signifie que le titre de séjour du réfugié est retiré («révoqué») ( 91 ). H. T. reste réfugié aux fins de la directive relative aux conditions. Toutefois, la décision d’expulsion a pour effet de le priver de l’accès à l’emploi, à la formation et/ou aux droits sociaux. En droit allemand, l’accès à ces droits est subordonné à la détention d’un titre de séjour valable plutôt qu’au statut de réfugié d’une personne. Une question supplémentaire se pose dans la procédure au principal, à savoir si la présence de H. T. en Allemagne, où il est uniquement toléré («Duldungen»), à présent que son titre de séjour a été révoqué, est compatible avec la directive.

Les articles 21, paragraphes 2 et 3, ou 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions s’appliquent-ils?

52.

Par les première et troisième questions, il est demandé si les États membres ont la faculté de révoquer un titre de séjour soit au titre de l’article 21, paragraphes 2 et 3, soit au titre de l’article 24, paragraphe 1, ou si un titre de séjour ne peut être révoqué qu’au titre de l’article 21, paragraphe 3, si le réfugié n’est plus protégé contre le refoulement (parce que l’exception visée à l’article 21, paragraphe 2, s’applique).

Les observations des parties

53.

H. T. estime que les articles 21 et 24 introduisent des régimes distincts et exhaustifs. Lorsqu’un État membre accorde un titre de séjour à un réfugié, l’article 21, paragraphe 3, expose les conditions dans lesquelles un tel titre peut ensuite être révoqué, la révocation étant subordonnée à la perte de la protection contre le refoulement (article 21, paragraphe 2). En revanche, l’article 24, paragraphe 1, établit les obligations et conditions s’appliquant à la délivrance (ou au refus de délivrance) d’un titre de séjour après que le statut de réfugié a été accordé. Un titre de séjour ne peut être révoqué au titre de l’article 24, paragraphe 1. Il n’y a aucune raison d’appliquer l’article 24, paragraphe 1, par analogie, ou en tant qu’alternative à l’article 21, paragraphe 3. Si cela était le cas, le législateur aurait introduit une référence à l’article 24 dans l’article 21, paragraphe 3. Partant, la première question devrait recevoir une réponse négative.

54.

Tous les États membres qui ont présenté des observations ainsi que la Commission considèrent que le titre de séjour d’un réfugié peut être révoqué au titre de l’article 24, paragraphe 1.

55.

En premier lieu, en substance, ils estiment qu’il ressort implicitement du libellé de l’article 24, paragraphe 1, que les États membres ont un pouvoir discrétionnaire de refuser de i) délivrer ou ii) renouveler un titre de séjour, en cas de raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public. Il est donc logique et cohérent que les États membres aient également la faculté de révoquer un titre de séjour lorsque de telles raisons existent. En deuxième lieu, il est cohérent avec l’économie de la législation que les États membres aient la faculté de révoquer un titre de séjour avant la date de son renouvellement. Dès lors qu’une telle disposition existe au titre de l’article 21, paragraphe 3, il n’y a aucune raison qu’il n’y ait pas de dispositif similaire au titre de l’article 24, paragraphe 1. En troisième lieu, une interprétation stricte de l’article 24, paragraphe 1, signifierait que les États membres n’auraient jamais la faculté de révoquer un titre de séjour, à moins qu’ils n’aient également la faculté de refouler le réfugié. En quatrième lieu, interpréter l’article 24, paragraphe 1, comme ne conférant aucun pouvoir de révocation mènerait à des résultats arbitraires. La possibilité pour un État membre de refuser un titre de séjour dans un cas particulier dépendrait de ce que l’information soulevant des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public était disponible au moment de la délivrance ou du renouvellement du titre de séjour (un refus est alors possible) ou à un autre moment (aucun refus n’est possible). Enfin, le ressortissant d’un État tiers titulaire d’un titre de séjour valable peut circuler librement dans l’espace Schengen ( 92 ). Il est donc important pour les États membres d’être en mesure de révoquer le titre de séjour également dans les situations où le refoulement n’est pas envisagé: il y a des implications non seulement pour l’État concerné, mais également pour tous les États qui font partie de l’espace Schengen et pour la lutte conjointe contre le terrorisme international.

56.

La Commission fait valoir que toutes les mesures qui ont pour effet de mettre fin à un titre de séjour doivent respecter le principe de non-refoulement figurant à l’article 33 de la convention de Genève et à l’article 21 de la directive relative aux conditions.

L’article 21, paragraphes 2 et 3, de la directive relative aux conditions

57.

L’article 21, paragraphe 1, prévoit que les États membres doivent respecter le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales. Ce principe n’est pas défini dans la directive relative aux conditions elle-même, même si son considérant 2 fait référence au principe de non-refoulement de la convention de Genève et explique que nul ne sera renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté. D’après l’article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève, le principe de non-refoulement signifie qu’un réfugié ne saurait être expulsé ou refoulé vers des frontières ou des territoires où il serait persécuté ( 93 ) et où sa vie ou sa liberté serait menacée. Partant, le refoulement couvre uniquement des circonstances dans lesquelles le réfugié concerné fait l’objet d’une expulsion de l’État membre dont il recherche la protection et est refoulé par cet État vers le territoire (ou ses frontières) dont il a fui les risques de persécution. Il ne couvre pas l’expulsion vers un autre État tiers sans danger.

58.

Selon le libellé exprès de l’article 21, paragraphe 2, lorsque cela ne leur est pas interdit en vertu des obligations internationales, les États membres jouissent du pouvoir discrétionnaire de refouler un réfugié: a) lorsqu’il y a des raisons sérieuses de considérer qu’il est une menace pour la sécurité de l’État membre où il se trouve, ou b) que, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre (ci-après l’«exception au titre de l’article 21, paragraphe 2»). Ce libellé reflète l’article 33, paragraphe 2, de la convention de Genève. L’article 21 de la directive ne contient aucun libellé exprès couvrant l’expulsion des réfugiés lorsque le refoulement n’est pas en question.

59.

De surcroît, s’agissant des obligations internationales des États membres, l’article 32, paragraphe 1, de la convention de Genève dispose que les États contractants conservent le droit d’expulser des réfugiés pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public ( 94 ). Un tel libellé n’est pas reflété dans l’article 21 de la directive (et il diffère du texte de l’article 24, paragraphe 1) ( 95 ).

60.

La CEDH ne prévoit pas de droit au statut de réfugié ( 96 ). La Cour européenne des droits de l’homme a toujours reconnu que les États contractants ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers ( 97 ). Elle a toutefois déclaré que les arrêtés d’expulsion peuvent soulever un problème au regard de l’article 3 de la CEDH et donc engager la responsabilité de l’État en cause, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à cette disposition. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays ( 98 ).

61.

À mon avis, l’expulsion d’un réfugié du territoire de l’État membre concerné est un concept plus large que le refoulement, qui implique non seulement le départ de l’État mais également le retour vers un pays où la personne en question pourrait courir un risque. Je relève également que lorsque la situation d’un réfugié remplit les conditions de l’article 21, paragraphe 2, les États membres ne sont pas obligés de le refouler. Ils ont alors les trois options suivantes: i) refoulement, ii) expulsion vers un État tiers ne présentant pas de risque ou iii) autorisation du réfugié à rester sur leur territoire.

62.

Dans des circonstances où l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2, s’applique, les États membres ont la faculté de révoquer, mettre un terme ou refuser de renouveler ou d’accorder le titre de séjour d’un (ou à) réfugié, conformément à l’article 21, paragraphe 3. Une fois qu’un réfugié fait l’objet d’un refoulement, il n’est plus nécessaire pour lui de se voir accorder (ou, selon le cas, de continuer à détenir) un titre de séjour ou de le voir renouveler. Il s’ensuit que si l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2, ne peut être invoquée, alors l’article 21, paragraphe 3, ne peut s’appliquer. Partant, lorsqu’un État membre engage une procédure contre un réfugié dans des circonstances telles que celles qui caractérisent la situation de H. T., mais ne cherche pas à le refouler, parce que l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2, ne trouve pas à s’appliquer, le titre de séjour de cette personne ne peut être révoqué conformément à l’article 21, paragraphe 3 ( 99 ). La question de savoir s’il est compatible avec la directive relative aux conditions qu’un État membre révoque néanmoins le titre de séjour d’un réfugié dans de telles circonstances est au cœur de la présente affaire.

L’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions

63.

La règle générale figurant à l’article 24, paragraphe 1, est que les États membres doivent délivrer aux personnes à qui il a été octroyé le statut de réfugié, aussitôt que possible, un titre de séjour (renouvelable) valable pendant une période d’au moins trois ans, à moins que des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public ne s’y opposent (ci-après l’«exception au titre de l’article 24, paragraphe 1»). La délivrance d’un titre de séjour est expressément subordonnée à l’octroi initial du statut de réfugié ou au renouvellement du titre de séjour.

64.

La finalité de l’article 24, paragraphe 1, est (au moins) double. En premier lieu, elle garantit normalement que la personne concernée dispose des documents administratifs nécessaires pour avoir accès, par exemple, à l’emploi, à l’aide et à la protection sociale, ainsi que pour débuter le processus d’intégration dans l’État membre où il vit. En second lieu, elle confère aux États membres une marge d’appréciation, en ce qu’elle prévoit une exception limitée à la règle générale selon laquelle ils sont tenus de délivrer ou de renouveler un titre de séjour.

65.

L’article 24, paragraphe 1, s’applique sans préjudice de l’article 21, paragraphe 3. Cela implique manifestement qu’il y a un lien entre les deux dispositions et que l’application de l’article 24, paragraphe 1, n’est pas affectée par les droits (distincts) des États membres de révoquer, mettre un terme ou refuser de renouveler ou d’accorder le titre de séjour d’un (ou à) réfugié au titre de l’article 21, paragraphe 3.

66.

En l’absence d’une disposition expresse, les États membres peuvent-ils également révoquer un titre de séjour au titre de l’article 24, paragraphe 1, après qu’il a été délivré mais avant sa date de renouvellement?

67.

Selon moi, la meilleure interprétation est que les États membres disposent de cette faculté.

68.

En premier lieu, le libellé de l’article 24, paragraphe 1, n’exclut pas expressément la possibilité (supplémentaire) de révocation. En deuxième lieu, la révocation est cohérente au regard de la finalité de cette disposition, qui autorise expressément les États membres à refuser un titre de séjour soit au moment de la délivrance, soit au moment du renouvellement, en cas de raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public. En troisième lieu, cela est cohérent avec l’économie de la directive, dès lors que l’article 21, paragraphe 3, prévoit déjà expressément la révocation du titre de séjour lorsque les conditions de l’article 21, paragraphe 2, sont remplies. En quatrième lieu, le contexte historique législatif montre que l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, a été inséré par les États membres réunis lors d’un Conseil européen à la suite d’une proposition de la République fédérale d’Allemagne ( 100 ). Ces modifications ont été effectuées après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États‑Unis d’Amérique, afin de combattre le terrorisme en restreignant la circulation des ressortissants des États tiers au sein de l’espace Schengen, dans le but de contenir les menaces à la sécurité nationale et à l’ordre public ( 101 ). Un pouvoir implicite de révoquer également un titre de séjour dans de telles circonstances est entièrement conforme à cet objectif. Enfin, une telle interprétation a l’avantage d’éviter de possibles anomalies: i) dans le cas contraire, le moment où les informations sont disponibles, quant à la présence de raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public, serait déterminant; ii) elle faciliterait la lecture conjointe de la directive relative aux conditions et de la directive 2003/109, en ce que cette dernière permet le retrait du statut de résident de longue durée à la suite de l’adoption d’une mesure d’éloignement ( 102 ).

69.

Je conclus donc que lorsqu’un État membre expulse un réfugié parce que les conditions de l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, sont remplies, il peut également révoquer son titre de séjour. Cette solution est cohérente au regard de l’économie de la directive. Lorsqu’un réfugié a l’obligation de quitter le territoire à la suite d’un arrêté d’expulsion, il n’a aucun besoin de détenir un titre de séjour.

70.

Il est vrai que H. T. ne relève pas de cette situation. Il a été expulsé par décision juridique, mais, de fait, a la permission de rester en Allemagne. Néanmoins, je considère que l’article 24, paragraphe 1, permet aux autorités d’un État membre de tenir compte de l’expulsion juridique et de révoquer son titre de séjour. Je considérerai les conséquences de cette situation plus avant ( 103 ).

71.

Je relève ici, au passage, que la directive relative aux conditions a été refondue par la directive 2011/95 ( 104 ). L’objectif d’une refonte est normalement de clarifier et de simplifier l’acte législatif qui va être révisé, alors même qu’ici la directive postérieure introduit également certaines modifications substantielles. Je trouve dommage que le législateur n’ait pas saisi cette opportunité pour clarifier le champ d’application de l’article 24, paragraphe 1 (le texte refondu est presque le même que l’original). Il est particulièrement important que les dispositions législatives qui concernent des droits fondamentaux des personnes soient claires et accessibles afin de permettre à ces personnes de connaître leurs droits et de permettre aux gouvernements des États membres de s’acquitter de leurs fonctions.

72.

Pour résumer jusqu’ici: je suis d’avis qu’un titre de séjour, une fois octroyé à un réfugié, peut être révoqué soit s’il existe des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public, au sens de l’article 24, paragraphe 1, soit (conformément à l’article 21, paragraphe 3, lorsqu’il y a des raisons d’appliquer l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2.

Qu’entend-on par exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions?

73.

La deuxième question de la juridiction de renvoi est composée de deux volets. Je traiterai ici le premier point soulevé, qui comprend deux branches. Qu’entend-on par l’expression «raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public» figurant à l’article 24, paragraphe 1? En outre y a-t-il un chevauchement entre cette disposition et l’article 21, paragraphe 2?

Les raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public

74.

H. T. soutient que les motifs de refus de délivrance (ou de renouvellement) d’un titre de séjour aux termes de l’article 24, paragraphe 1, sont plus sévères que ceux aux termes de l’article 21, paragraphes 2 et 3. Il fait valoir qu’il est utile de se référer, par analogie, à l’article 28 de la directive 2004/38, dans laquelle l’expression «raisons impérieuses de sécurité nationale» est utilisée pour décrire le fondement sur lequel un État membre peut prendre une décision d’expulsion à l’encontre d’un ressortissant de l’Union résidant sur son territoire. Si le législateur avait voulu que l’expression et les termes «raisons impérieuses» figurant à l’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions soient interprétés différemment, cela aurait été précisé dans le corps de la législation.

75.

Les États membres qui ont présenté des observations ont tous relevé qu’il y a un degré de chevauchement entre l’article 21, paragraphes 2 et 3, et l’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions. La République fédérale d’Allemagne considère que les conditions d’application de l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2, sont plus sévères que celles de l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, parce que les conséquences d’un refoulement aux termes de l’article 21, paragraphe 2, sont plus graves pour le réfugié que celles d’une simple révocation de son titre de séjour (dans ce dernier cas, le réfugié ne doit pas nécessairement quitter le territoire). La République fédérale d’Allemagne considère donc que les deux dispositions sont complémentaires. La République hellénique fait valoir que l’exigence de démontrer des «raisons impérieuses» devrait être interprétée de manière à garantir que son application se limite à des cas exceptionnels, comme c’est le cas dans la jurisprudence concernant la directive 2004/38. La République italienne soutient que l’expression «raisons impérieuses» figurant à l’article 24, paragraphe 1, devrait être interprétée de façon moins restrictive que les termes «raisons sérieuses» figurant à l’article 21, paragraphe 2, de la directive relative aux conditions.

76.

La Commission relève que la version en langue allemande de l’article 33, paragraphe 2, de la convention de Genève comprend les termes «schwerwiegende Gründe» (raisons graves), contrairement aux versions en langues anglaise et française qui comprennent respectivement les termes «reasonable grounds» et «raisons sérieuses». La version en langue allemande de l’article 21, paragraphe 2, de la directive relative aux conditions diffère également tant des versions en langues anglaise et française que de la convention de Genève, dès lors qu’elle se réfère à «stichhaltige Gründe» (raisons valables), tandis que les versions en langues anglaise et française reflètent les termes employés dans la convention de Genève. D’après la Commission, une interprétation littérale de la version en langue allemande établirait un standard moins élevé, s’agissant des raisons de l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2, de la directive relative aux conditions, que celui établi par les versions en langues anglaise et française. La Commission considère qu’une telle situation ne reflète pas l’intention du législateur; elle considère que le standard établi par les versions en langues anglaise et française devrait donc s’appliquer.

77.

Il me semble que bien que les articles 21 et 24 instaurent des régimes différents, il y a effectivement un chevauchement entre eux, en ce que les deux dispositions concernent le refus d’accorder, de révoquer ou de renouveler le titre de séjour d’un réfugié; cela a de surcroît des implications pour son statut dans l’État membre où il demande la protection.

78.

Alors même que la Commission fait valoir à raison qu’il y a des différences entre les versions en langues anglaise, française et allemande tant de l’article 33, paragraphe 2, de la convention de Genève que de l’article 21, paragraphe 2, de la directive relative aux conditions, il m’est impossible de trouver quelque indication que ce soit dans cet élément de fait quant à la question de savoir si l’article 24, paragraphe 1, de cette directive couvre la révocation d’un titre de séjour dans des circonstances telles que celles que connaît H. T.

79.

J’ajoute, pour la bonne mesure, qu’il est de jurisprudence constante que lorsque les versions linguistiques d’un texte diffèrent, la disposition en question doit être interprétée et appliquée de manière uniforme à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union ( 105 ); de plus, cette disposition doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ( 106 ). L’article 21 de la directive relative aux conditions repose sur l’article 33 de la convention de Genève. Les versions en langues anglaise et française sont les versions authentiques de la convention de Genève. Les expressions «reasonable grounds» et «des raisons sérieuses», qui sont utilisées dans ces deux versions de la convention de Genève, sont également utilisées dans les deux versions de ces mêmes langues de la directive relative aux conditions. Elles sembleraient donc refléter plus fidèlement les intentions du législateur.

80.

Dans la directive relative aux conditions, l’article 21 et l’article 24 font tous deux partie du chapitre VII («Contenu de la protection internationale»); l’article 20, paragraphe 2, indique au lecteur: «[l]e présent chapitre s’applique à la fois aux réfugiés et aux personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, sauf indication contraire». Dans l’ordre de présentation de la directive, ce chapitre fait suite aux chapitres «Dispositions générales», «Évaluation des demandes de protection internationale», «Conditions pour être considéré comme réfugié», «Statut de réfugié» et «Statut conféré par la protection subsidiaire». Le chapitre VII a donc pour objet de définir les avantages auxquels les candidats au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire, dont la demande a été accueillie, peuvent aspirer.

81.

Je prends pour point de départ le principe (contenu à l’article 21, paragraphe 1) selon lequel les réfugiés sont normalement protégés contre le refoulement. Les deux parties de l’article 21, paragraphe 2, constituent, ensemble, l’exception à ce principe. Ces deux parties permettent le refoulement «d’un réfugié, qu’il soit ou ne soit pas formellement reconnu comme tel», «lorsqu’il y a des raisons sérieuses de considérer qu’il est une menace pour la sécurité de l’État membre où il se trouve» [article 21, paragraphe 2, sous a)], ou lorsque «ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre» [article 21, paragraphe 2, sous b)]. Les conséquences, pour la personne concernée, de l’application de l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2, peuvent être extrêmement drastiques. Cette personne peut être renvoyée vers un pays où elle pourrait courir un risque. (Selon mon interprétation, cela explique également pourquoi l’article 21, paragraphe 2, prévoit une simple permission: «les États membres peuvent refouler», ce qui laisse d’autres options ouvertes ( 107 ).) Pour cette raison bien précise, le libellé des deux parties de l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2, est plus spécifique que le libellé plutôt abstrait de l’article 24, paragraphe 1 («à moins que des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public ne s’y opposent»). Cela est logique. Les conséquences potentielles, pour un réfugié, de se trouver (à la suite de l’application de l’article 24, paragraphe 1) sans titre de séjour sont certes indésirables, mais elles sont bien moins sévères que les conséquences de la perte de la protection contre le refoulement (à la suite de l’application de l’article 21, paragraphe 2). Le fait que la personne puisse également perdre son titre de séjour (article 21, paragraphe 3) représente simplement un déboire supplémentaire.

82.

Serons-nous éclairés (plutôt que davantage confus et hésitants) par la prise en considération d’autres dispositions de la directive relative aux conditions, par exemple, en ajoutant à l’équation l’article 14 (révocation, fin du statut de réfugié ou refus de le renouveler), qui fait partie du chapitre IV («Statut de réfugié»)?

83.

L’article 14, paragraphe 4, expose les deux conditions dans lesquelles «[l]es États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler». Ces conditions, qui apparaissent sans la conjonction «ou» (je suppose, du fait d’une inadvertance), reflètent exactement les deux parties de l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2. Jusqu’ici, tout va bien; mais ce parallélisme ne nous aide pas à décider comment interpréter l’article 24, paragraphe 1, qui concerne les titres de séjour des personnes qui conservent leur statut de réfugié (et non les personnes qui en ont été privées). (Je ne peux m’abstenir de rappeler – un peu à regret – que le point 6 de l’accord interinstitutionnel, du 22 décembre 1998, sur les lignes directrices communes relatives à la qualité rédactionnelle de la législation communautaire ( 108 ), dispose que la terminologie utilisée est cohérente tant entre les dispositions d’un même acte qu’entre cet acte et ceux déjà en vigueur, en particulier dans le même domaine.)

84.

Dans ce contexte, je ne trouve pas particulièrement fructueux de se concentrer sur les termes «raisons sérieuses de» (article 14, paragraphe 4, et article 21, paragraphe 2), comparés aux termes «raisons impérieuses» (article 24, paragraphe 1). Chaque expression devrait être lue dans le contexte de la disposition dont elle fait partie. Il y a lieu de considérer le libellé de chaque exception dans son intégralité et, en tant qu’exception au droit garanti par le droit de l’Union, chacune d’elle devrait être interprétée de façon restrictive.

85.

Faisant de mon mieux pour rendre le texte le plus cohérent possible, il me semble que l’article 24, paragraphe 1, est plus étendu que l’article 21, paragraphe 2, et que certaines circonstances pourraient déclencher l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1 (laissant au réfugié son statut de réfugié mais pas son titre de séjour), sans satisfaire à l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2, et ouvrir la voie à la perte de la protection contre le refoulement.

86.

Selon moi, l’expression «raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public» doit toujours inclure un élément objectif. Il faut qu’il y ait des éléments de preuve vraisemblables démontrant que les raisons invoquées peuvent être considérées à juste titre comme «impérieuses». En même temps, l’utilisation du terme «impérieuses» suggère un degré de subjectivité, en ce que ces raisons sont considérées comme impérieuses par l’État membre concerné au moment où il prend des mesures. Il s’ensuit que les mêmes raisons ne seront pas nécessairement impérieuses dans chaque cas particulier ( 109 ).

87.

Enfin, je ne considère pas qu’il soit nécessaire ou utile de tenter une sorte d’interprétation par analogie, que ce soit avec la directive 2004/38 ou avec la directive 2003/109.

88.

Pour ce qui est de la première, il est vrai que la directive relative aux conditions et la directive 2004/38 ont été adoptées le même jour. Il est tout aussi vrai que, tandis que la méthode d’interprétation légitimement utilisée par la Cour laisse la place, le cas échéant, à une interprétation spécifique en fonction du but propre à chaque directive afin d’assurer son effet utile, les droits et les principes fondamentaux ne sauraient être appliqués différemment selon le domaine dans lequel ils sont rencontrés, sauf à perdre, alors, leur caractère fondamental ( 110 ). Cela étant dit, il existe des différences importantes entre les deux directives. La directive relative aux conditions a été adoptée sur le fondement de l’article 63 CE (devenu articles 78 et 79 TFUE); elle fait partie du régime d’asile européen commun, qui relève du titre V du TFUE («Espace de liberté, de sécurité et de justice») et (ce qui est peut-être le plus important) elle doit être interprétée en référence à la convention de Genève. La directive 2004/38 a été adoptée sur le fondement de ce qui est devenu la deuxième partie du TFUE concernant la citoyenneté de l’Union et la non-discrimination. Ces deux mesures sont donc très différentes pour ce qui est de leur champ d’application et de leur objet.

89.

S’agissant de la seconde directive, à savoir la directive 2003/109, même si elle ne fait pas partie du régime d’asile européen commun, son origine est la même que celle de la directive relative aux conditions, en ce qu’elle tire également son origine du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999. Toutefois, les articles 9 et 12 de la directive 2003/109 (intitulés respectivement«Retrait ou perte du statut» et «Protection contre l’éloignement») sont exprimés en des termes qui sont, une fois encore, différents de ceux utilisés dans la directive relative aux conditions. Examiner la directive 2003/109 n’aide pas à établir une approche cohérente ou systématique quant à son élaboration. Elle n’aide donc pas au travail d’interprétation ( 111 ).

Le soutien à une organisation terroriste déclenche-t-il l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1?

90.

Par la deuxième question, sous b), la juridiction de renvoi demande à la Cour si (et, le cas échéant, dans quelles circonstances) le soutien apporté à une organisation terroriste constitue des «raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public» au sens de l’article 24, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive relative aux conditions.

91.

Les États membres et la Commission s’accordent, dans leurs observations, à dire que le soutien d’une organisation terroriste pourrait satisfaire aux conditions d’application de l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, et ainsi justifier la révocation (ou le refus de délivrer ou de renouveler) un titre de séjour à un réfugié. H. T. est de l’avis contraire, soutenant que même s’il était conclu qu’il avait violé le droit allemand (plus spécifiquement l’article 20 du Vereinsgesetz), les conditions d’application de l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, ne seraient pas remplies.

92.

L’article 1, paragraphe 3, de la position commune du Conseil 2001/931 définit ce que constitue un acte de terrorisme ( 112 ). Le PKK figure sur la liste annexée à cette mesure et au règlement no 2580/2001. Le considérant 28 de la directive relative aux conditions est ainsi libellé: «[l]a notion de sécurité nationale et d’ordre public couvre également les cas dans lesquels un ressortissant d’un pays tiers appartient à une association qui soutient le terrorisme international ou soutient une telle association» ( 113 ).

93.

Le soutien à des organisations figurant sur les listes, qui commettent des actes relevant du champ d’application de la position commune 2001/931 et/ou du règlement no 2580/2001, pourrait donc remplir les conditions d’application de l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, mais cela n’est pas toujours forcément le cas. Tout dépend de ce que signifie précisément le terme «soutien».

94.

En premier lieu, lors de l’examen des faits caractérisant tout cas particulier (exercice qui relève de la compétence des autorités nationales), il y a lieu de se demander si les actes de l’organisation en question soulèvent des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public, aux fins de l’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions. Tout d’abord, il faut considérer que les actes de nature terroriste, qui se caractérisent, par exemple, par leur violence à l’égard des populations civiles, même s’ils sont commis dans un objectif prétendument politique, doivent être regardés comme des crimes graves de droit commun et sont donc susceptibles d’être considérés comme soulevant des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public ( 114 ). En second lieu, les actes de terrorisme international sont, d’une manière générale et indépendamment de la participation d’un État, contraires aux buts et aux principes des Nations unies ( 115 ).

95.

La Cour ne dispose d’aucune information indiquant si les actes commis par le PKK relèvent de l’une ou l’autre des catégories que je viens de citer. L’inscription d’une organisation sur une liste annexée à la position commune 2001/931 constitue une forte indication, prima facie, qu’il s’agit d’une organisation terroriste ou qu’elle en est suspectée (sur le fondement d’éléments de preuve pouvant en soi faire l’objet d’un recours légitime) ( 116 ). L’inscription d’une organisation sur une liste constitue donc un facteur que l’autorité compétente a la faculté de prendre en compte lorsqu’elle vérifie, d’abord, si une organisation a commis des actes terroristes ( 117 ).

96.

Cela étant dit, il y a lieu de garder à l’esprit que les objectifs poursuivis par, respectivement, la position commune 2001/931 et la directive relative aux conditions sont très différents. Partant, il n’est pas justifiable, selon moi, qu’une autorité compétente, lorsqu’elle envisage d’exclure une personne du bénéfice des avantages découlant du statut de réfugié garantis par le chapitre VII de la directive relative aux conditions, se fonde uniquement sur la manifestation, de sa part, d’un certain soutien à une organisation figurant sur une liste adoptée en dehors du cadre instauré par la directive relative aux conditions et la convention de Genève ( 118 ).

97.

Qu’en est-il du rôle joué par la personne concernée en «soutenant» cette organisation figurant sur la liste? Que suffit-il pour déclencher l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions?

98.

Il me semble, tout d’abord, que lorsque le soutien d’un individu a comporté des activités pouvant vraisemblablement déclencher l’une ou l’autre partie de l’exception au titre de l’article 21, paragraphe 2, les conditions d’application de l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, sont nécessairement remplies. Il est moins facile d’établir une règle définitive pour la classification d’autres activités. Dès lors que l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, est fondée sur «des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public», il n’est certainement pas nécessaire pour les autorités compétentes de démontrer (par exemple) qu’il y a des raisons sérieuses de considérer que la personne en question représente un danger pour la sécurité de l’État membre concerné. Ce qui est nécessaire, à mon avis, c’est une appréciation juste et équilibrée de la mesure dans laquelle les activités de la personne concernée apportent un soutien significatif à l’organisation en question. Partant, les autorités compétentes de l’État membre devraient vérifier, par exemple, si la personne en question: i) a commis des actes terroristes elle-même; ii) était impliquée dans la planification, la prise de décision ou la direction d’autres personnes en vue de commettre de tels actes; ou iii) a financé ou procuré les moyens permettant à d’autres de commettre des actes terroristes. (Je tiens à préciser que, bien que tout don fait à une organisation inscrite sur une liste, même de faible montant, revient techniquement au financement de l’organisation – les petits ruisseaux font les grandes rivières –, je considère pour ma part qu’il serait disproportionné d’utiliser l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, pour priver un réfugié de son titre de séjour au motif de petits dons occasionnels. Il revient aux autorités compétentes des États membres, sous le contrôle juridictionnel des tribunaux nationaux, d’évaluer les faits précis caractérisant chaque cas particulier.)

99.

En outre si ces éléments ne sont pas présents? Il est alors nécessaire de vérifier s’il y a d’autres raisons impérieuses de considérer qu’une menace à la sécurité nationale ou à l’ordre public existe. Ici, je considère l’expression «raisons impérieuses» comme étant approximativement un synonyme de «raisons sérieuses» – certainement moins que «raisons fondamentales», mais certainement plus que «raisons possibles». Les faits doivent être soigneusement examinés et appréciés, car une décision défavorable pourrait conduire à l’expulsion de la personne en question et éventuellement à une interférence avec ses droits fondamentaux.

100.

Je relève au passage qu’un réfugié, au sens de l’article 2, sous d), de la directive relative aux conditions, pourrait avoir «résidé de manière légale et ininterrompue sur [le territoire de l’État membre] pendant […] cinq années» (article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/109) et pourrait donc prétendre au statut de résident de longue durée aux termes de cette directive ( 119 ). L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/109 permet aux États membres de «refuser l’octroi du statut de résident de longue durée pour des motifs d’ordre public ou de sécurité publique», précisant que «lorsqu’il prend pareille décision, l’État membre prend en considération la gravité ou la nature de l’infraction contre l’ordre public ou la sécurité publique, ou le danger que représente la personne concernée, tout en tenant également compte de la durée de résidence et de l’existence de liens avec le pays de résidence». Une fois que ce statut est acquis, l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2003/109 prévoit une exception à la protection contre l’éloignement dont bénéficie autrement le résident de longue durée, lorsqu’il «représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique».

101.

Au risque de déclamer des évidences, aucun de ces deux critères (qui sont exposés dans la directive 2003/109) ne correspond avec précision au libellé de l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions.

102.

Pour revenir à l’article 24, paragraphe 1: je conclus que les éléments suivants sont pertinents aux fins de l’appréciation des éléments de fait dans tout cas particulier: i) les propres actions précises du réfugié; ii) les actions de l’organisation qu’il est réputé avoir soutenu; et iii) l’éventuelle existence d’éléments ou circonstances supplémentaires qui suscitent une probabilité accrue de menace à la sécurité nationale ou à l’ordre public. Il appartient aux autorités compétentes des États membres, sous le contrôle juridictionnel des tribunaux nationaux, d’évaluer les faits exacts dans tout cas particulier.

103.

Les éléments dont dispose la Cour de justice indiquent que les manifestations de soutien de H. T. au PKK ont inclus la présence à des réunions légales et la participation à des actes (tels que la célébration de Newroz) qui confirment son identité culturelle de Kurde ( 120 ). Il ne découle pas automatiquement de telles activités qu’il soutient lui-même des activités terroristes; de surcroît, des actes de cette nature ne constituent pas automatiquement des actes de terrorisme. Il faudrait plus, je crois, pour que l’on puisse légitimement conclure qu’une personne se trouvant dans une telle position était un terroriste et/ou était activement affilié à une organisation interdite et que les conditions de l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, étaient par conséquent remplies. En tout état de cause, ce sont des aspects qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier et d’apprécier.

Quelles sont les conséquences de l’application de l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1?

104.

Lorsque l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, s’applique et est invoquée par l’État membre d’accueil, il y a des conséquences à la fois formelles et matérielles pour le réfugié. La conséquence formelle est naturellement que le réfugié ne détient plus de titre de séjour indiquant qu’il a un permis ou une autorisation délivrée par les autorités d’un État membre lui permettant de résider sur son territoire ( 121 ) (même s’il pourrait, comme H. T. en l’espèce, être autorisé à rester légalement sur le territoire pour une autre raison). Toutefois, le réfugié conserve son statut de réfugié ( 122 ), à moins qu’il soit mis fin à ce statut ( 123 ). En l’espèce, il est manifeste que H. T. est toujours réfugié. En tant que tel, il conserve le droit aux avantages substantiels accordés à tous les réfugiés aux termes du chapitre VII de la directive relative aux conditions. Cela comprend: la protection contre le refoulement ( 124 ); le maintien de l’unité familiale ( 125 ); le droit au document de voyage ( 126 ); l’accès à l’emploi, à l’éducation, la protection sociale, les soins de santé et l’accès au logement ( 127 ); la liberté de circulation à l’intérieur de l’État membre ( 128 ) et l’accès aux dispositifs d’intégration ( 129 ).

105.

La juridiction de renvoi explique que la révocation d’un titre de séjour affecte les droits que confère la législation nationale aux réfugiés, dès lors qu’il y a une incidence sur son accès à l’emploi, à la formation professionnelle et aux autres droits sociaux nécessitant un titre de séjour ( 130 ). Il y a donc des implications évidentes s’agissant de la jouissance par H. T. de ses droits substantiels au titre du chapitre VII de la directive relative aux conditions.

106.

Je considère que tandis qu’il est possible de révoquer le titre de séjour d’un réfugié lorsque l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, s’applique, il n’est pas permis de lui retirer ou de réduire également le niveau minimal des garanties prévues par le chapitre VII de la directive relative aux conditions, à moins que des conditions spécifiques expresses de retrait de ces avantages soient également remplies ( 131 ). La juridiction de renvoi n’a pas suggéré que de telles circonstances existaient. Il s’ensuit que l’État membre concerné ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire pour continuer d’accorder ou non ces avantages substantiels.

107.

Il est vrai que le considérant 30 de la directive relative aux conditions indique que «[d]ans les limites fixées par leurs obligations internationales, les États membres peuvent disposer que l’octroi d’avantages en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la prévoyance sociale, aux soins de santé et aux dispositifs d’intégration est subordonné à la délivrance, au préalable, d’un titre de séjour». Néanmoins un simple considérant ne constitue pas une base juridique permettant aux États membres de réduire les avantages garantis par le chapitre VII de la directive lorsque le titre de séjour d’un réfugié est révoqué. Soutenir l’inverse irait à l’encontre de la finalité d’un considérant dans un acte juridique ( 132 ). Les considérants ont pour but de motiver une ou plusieurs dispositions essentielles. Ils ne sauraient, en soi, déterminer le droit matériel: en l’absence, comme ici, de toute disposition essentielle correspondante, il ne peut avoir aucun effet.

108.

Il appartiendra à la juridiction de renvoi de contrôler et vérifier les faits caractérisant le cas d’espèce, d’apprécier si les conséquences de la perte pour H. T. de son titre de séjour sont compatibles avec le maintien de ses droits en tant que réfugié au titre de la directive relative aux conditions et d’agir en conséquence afin de sauvegarder ses droits. Je propose les observations suivantes uniquement pour le cas où elles pourraient constituer une aide.

109.

Il m’apparaît que les restrictions imposées à la circulation de H. T. en Allemagne, à la suite de sa condamnation pour avoir enfreint l’article 20 du Vereinsgesetz ( 133 ), ne sont pas nécessairement incompatibles avec la directive relative aux conditions, interprétée à la lumière de la convention de Genève: ce dernier instrument confirme que les réfugiés ont l’obligation de se conformer aux lois et règlements de l’État auquel il demande la protection ( 134 ). Une conséquence directe de la révocation du titre de séjour de H. T. est qu’il ne bénéficie plus du droit de libre circulation au sein de l’espace Schengen ( 135 ). Il se pourrait que la circonstance qui déclenche l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, signifie également qu’il ne détient plus de document de voyage parce qu’il relève de l’exception au titre de l’article 25, paragraphe 1 (la juridiction de renvoi ne s’est pas prononcée sur ce point). Toutefois, il n’y a pas d’exception expresse au droit d’accès à l’emploi, à l’éducation, à la protection sociale, aux soins de santé et à l’accès au logement garantis par le chapitre VII de la directive ( 136 ).

110.

Si, comme cela semble être le cas, H. T. conserve un droit d’accès à ces avantages substantiels parce qu’il garde son statut de réfugié, il s’ensuit nécessairement que l’État membre doit prendre les dispositions nécessaires pour permettre à la personne se trouvant dans cette situation de jouir de ces avantages. La façon d’y parvenir relève de la compétence de l’État membre.

111.

Il me semble que dans tout cas particulier, l’État membre a la faculté (par exemple) de suivre l’une de ces deux voies. En premier lieu, il pourrait choisir, bien que l’exception au titre de l’article 24, paragraphe 1, s’applique, de ne pas révoquer le titre de séjour du réfugié concerné (il est toujours loisible aux États membres, aux termes de la directive relative aux conditions, d’adopter ou maintenir des normes plus favorables) ( 137 ).

112.

En second lieu, l’État membre peut – comme cela s’est produit en l’espèce – choisir de révoquer le titre de séjour mais, pour d’autres raisons, autoriser le réfugié à rester légalement sur son territoire. Bien que je ne dispose pas d’informations détaillées sur le fait que (un certain nombre) d’autres États membres se soient dotés de dispositifs similaires au statut de «toléré» que représente le «Duldungen» en Allemagne, il ne me semble pas invraisemblable de supposer que c’est peut être le cas ( 138 ). Si l’État membre choisit cette voie, il devra adopter des mécanismes appropriés pour garantir que l’accès aux avantages visés au chapitre VII de la directive relative aux conditions, auxquels le réfugié a toujours droit, est maintenu. Ce qu’il ne saurait faire, à mon avis, c’est d’égarer le réfugié dans des sortes de limbes juridiques, tolérant sa présence sur le territoire mais le privant (au moins d’une partie) des avantages substantiels découlant de son statut de réfugié. Cela serait incompatible avec le libellé, les objectifs et l’économie de la directive relative aux conditions. La proportionnalité d’une telle action me semble également discutable; or toute mesure prise par un État membre dans l’application de l’article 24, paragraphe 1, doit être proportionnée.

113.

Le principe de proportionnalité (l’un des principes généraux du droit de l’Union) revêt de l’importance en matière d’interprétation de la législation de l’Union ( 139 ). Selon ce principe, lorsqu’ils agissent dans la sphère du droit de l’Union, les moyens mis en œuvre par les États membres doivent être aptes à réaliser l’objectif visé ( 140 ). Ici, la révocation du titre de séjour d’un réfugié relève indiscutablement du champ d’application du droit de l’Union (et plus particulièrement de la directive relative aux conditions), tout comme les conséquences de cette révocation, dans la mesure où elles peuvent compromettre l’accès aux avantages substantiels garantis par ces directives aux personnes bénéficiaires du statut de réfugié. Alors que l’objectif ici poursuivi est légitime (en effet, il est expressément confirmé par l’article 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions), la perte consécutive des avantages garantis par ladite directive, alors que le réfugié reste néanmoins sur le territoire de l’État membre, n’est pas appropriée ou nécessaire pour atteindre cet objectif.

114.

Si l’application de règles du droit national a pour résultat de priver une personne, qui n’a plus de titre de séjour mais qui conserve son statut de réfugié, des avantages substantiels que lui confère ledit statut, alors ces règles de droit national sont incompatibles avec la directive relative aux conditions. Selon une jurisprudence bien établie, lorsque le droit national est incompatible avec une directive, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale ( 141 ).

Conclusion

115.

Eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime que la Cour de justice devrait répondre comme suit à la demande de décision préjudicielle:

Un titre de séjour, une fois accordé à un réfugié, peut être révoqué soit s’il y a des raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public, au sens de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, soit s’il y a des raisons d’appliquer l’exception au principe de non‑refoulement de l’article 21, paragraphe 2, de cette même directive.

Les termes «raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public» au sens de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/83 signifient qu’il y a des raisons sérieuses de considérer que la sécurité nationale ou l’ordre public sont menacés. Cette expression a un champ plus large que la condition figurant à l’article 21, paragraphe 2, de la directive, à savoir des raisons sérieuses de considérer que le réfugié en question est une menace pour la sécurité de l’État membre concerné [au sens de l’article 21, paragraphe 2, sous a)], ou que le réfugié, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, constitue une menace pour la société de cet État membre [au sens de l’article 21, paragraphe 2, sous b)].

Avant qu’un titre de séjour accordé à un réfugié puisse être révoqué au titre de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/83, au motif que cette personne soutient une organisation interdite, il doit y avoir une appréciation individuelle des éléments de fait spécifiques. Les éléments suivants sont pertinents à cette fin: i) les propres actions précises du réfugié; ii) les actions de l’organisation qu’il est réputé avoir soutenu; et iii) l’éventuelle existence d’éléments ou circonstances supplémentaires qui suscitent une probabilité accrue de menace à la sécurité nationale ou à l’ordre public. Il appartient aux autorités compétentes des États membres, sous le contrôle juridictionnel des tribunaux nationaux, d’évaluer les faits exacts dans tout cas particulier.

Lorsqu’un État membre expulse un réfugié mais suspend l’exécution de cette décision, priver cette personne de l’accès aux avantages garantis par son chapitre VII est incompatible avec la directive 2004/83, à moins qu’une exception expressément prévue s’applique; de surcroît, tout moyen mis en œuvre par les États membres afin de poursuivre l’objectif de cette disposition doit être proportionné.

Le statut de réfugié d’une personne ne peut être révoqué que conformément aux dispositions expresses de la directive 2004/83. Partant, lorsqu’un réfugié conserve son statut aux termes de la directive mais que les règles du droit national ont pour effet de le priver des avantages auxquels il a droit en tant que réfugié en vertu de cette disposition, alors ces règles de droit national sont incompatibles avec la directive 2004/83. Lorsque le droit national est incompatible avec une directive, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale.


( 1 )   Langue originale: l’anglais.

( 2 )   Directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO L 304, p. 12, et rectificatif JO 2005, L 204, p. 24, ci-après la «directive relative aux conditions»). Cette directive a été abrogée et remplacée, après refonte, par la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO L 337, p. 9). Cette dernière est entrée en vigueur le 21 décembre 2013, voir note 104. L’essence des articles 21 et 24, paragraphe 1, de la directive relative aux conditions sera exposée aux points 23 et 24 des présentes conclusions.

( 3 )   La convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)] est entrée en vigueur le 22 avril 1954. Elle a été complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés conclu à New York le 31 janvier 1967, entré en vigueur le 4 octobre 1967. Je me réfèrerai à la convention et au protocole, pris ensemble, sous la dénomination «convention de Genève».

( 4 )   Article 17.

( 5 )   Article 24.

( 6 )   Article 26.

( 7 )   L’on pourrait néanmoins concevoir que cette possibilité soit impliquée par la juxtaposition (par exemple) des définitions figurant à l’article 1er, sections A et C (conditions dans lesquelles la convention cesse d’être applicable), ou à l’article 1er, sections A et F (exclusion des criminels de guerre, etc.), si le statut de réfugié a été accordé avant l’apparition des événements justifiant l’exclusion au titre de l’article 1er, section F.

( 8 )   Article 33, paragraphe 1.

( 9 )   Article 33, paragraphe 2.

( 10 )   Signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»).

( 11 )   Les droits inaliénables visés à l’article 15, paragraphe 2, de la CEDH sont le droit à la vie (article 2), l’interdiction de la torture, de l’esclavage et du travail forcé (respectivement articles 3 et 4) et le droit des personnes à ne pas être condamnées sans loi antérieure en ce sens (article 7); voir point 17 des présentes conclusions.

( 12 )   JO 2010, C 83, p. 389, ci-après la «Charte».

( 13 )   Article 19, paragraphe 2.

( 14 )   Convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen le 19 juin 1990 (JO 2000, L 239, p. 13, ci-après l’«accord de Schengen»).

( 15 )   Note sans objet pour la version française des présentes conclusions.

( 16 )   Voir, par ailleurs, article 5 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO L 105, p. 1), récemment modifié par le règlement (UE) no 1051/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013 (JO L 295, p. 1).

( 17 )   Position commune du Conseil du 27 décembre 2001 relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO L 344, p. 93). Son annexe a récemment été révisée par la décision du Conseil 2014/72/PESC (JO L 40, p. 56); le Partiya Karkerên Kurdistan [parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)] figure au point 16 de cette liste révisée.

( 18 )   Règlement du Conseil du 27 décembre 2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 70). Cette liste a été déclarée illégale dans une affaire concernant le PKK, principalement parce que le Conseil n’avait pas fourni de motivation suffisante; voir arrêt PKK/Conseil (T‑229/02, EU:T:2008:87); voir également l’arrêt rendu dans l’affaire E et F (C‑550/09, EU:C:2010:382, point 38). Toutefois, le Conseil a par la suite adopté de nouveaux règlements afin de pallier cette déficience: voir règlement (CE) no 501/2009 du Conseil, du 15 juin 2009, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001, abrogeant la décision 2009/62/CE (JO L 151, p. 14), incluant le PKK sur la liste révisée (au point 17).

( 19 )   Deuxième et troisième considérants.

( 20 )   Dixième considérant.

( 21 )   Onzième considérant.

( 22 )   Huitième considérant.

( 23 )   Les mesures originales du régime d’asile européen commun comprenaient la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (JO L 1, p. 18, ci-après la «directive relative aux conditions d’accueil»). Cette directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d’asile à la frontière ou sur le territoire d’un État membre tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d’asile. Voir, par la suite, la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO L 326, p. 13), qui s’applique à toutes les demandes d’asile introduites sur le territoire des États membres.

( 24 )   Je n’ai pas dressé la liste de toutes les mesures contenues dans le régime d’asile européen commun, dès lors qu’elles ne sont pas pertinentes en l’espèce. Pour la même raison, je ne dresse pas la liste des mesures révisées correspondantes.

( 25 )   Voir considérants 1 à 4, 6, 7, 8, 10, 11 et 17.

( 26 )   Considérant 14; voir point 15 des présentes conclusions.

( 27 )   Article 2, sous c). S’agissant du champ d’application de l’exclusion de l’article 12, voir point 19 des présentes conclusions.

( 28 )   Article 2, sous d).

( 29 )   Article 2, sous j).

( 30 )   Article 9, paragraphe 1.

( 31 )   Article 9, paragraphe 2.

( 32 )   Article 9, paragraphe 3.

( 33 )   Article 12, paragraphe 2, sous a).

( 34 )   Article 12, paragraphe 2, sous b).

( 35 )   Article 12, paragraphe 2, sous c).

( 36 )   Article 14, paragraphe 4, sous a).

( 37 )   Article 14, paragraphe 4, sous b). Les États membres peuvent décider de ne pas octroyer le statut de réfugié lorsqu’une décision au titre de l’article 14, paragraphe 4, doit intervenir (article 14, paragraphe 5). Voir également chapitre IV de la directive 2005/85 s’agissant de la révocation de statut de réfugié.

( 38 )   Article 20, paragraphe 1.

( 39 )   Article 20, paragraphe 2.

( 40 )   Une disposition similaire concernant les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire figure à l’article 20, paragraphe 7.

( 41 )   Article 25, paragraphe 1.

( 42 )   Article 26, paragraphe 1.

( 43 )   Article 26, paragraphe 2.

( 44 )   Article 28, paragraphe 1.

( 45 )   Article 29, paragraphe 1.

( 46 )   Article 31.

( 47 )   Article 32.

( 48 )   Article 33.

( 49 )   Directive du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44). Cette directive a depuis été modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011, modifiant la directive 2003/109 afin d’étendre son champ d’application aux bénéficiaires d’une protection internationale (JO L 132, p. 1), entrée en vigueur le 20 mai 2011.

( 50 )   Voir considérants 2 et 11 ainsi qu’article 1er.

( 51 )   Article 13.

( 52 )   Article 2, sous a) (le texte d’origine se réfère à l’article 17, paragraphe 1, TFUE).

( 53 )   Article 2, sous g).

( 54 )   Voir considérants 1 à 4 ainsi qu’article 3 de la directive 2011/51.

( 55 )   Article 4, paragraphe 1.

( 56 )   Article 8, paragraphe 1.

( 57 )   Article 8, paragraphe 2.

( 58 )   Article 9, paragraphe 1, sous b).

( 59 )   Article 9, paragraphe 3.

( 60 )   Article 10.

( 61 )   Article 11.

( 62 )   Article 12, paragraphe 1.

( 63 )   Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77).

( 64 )   Article 1er.

( 65 )   Plusieurs organisations lui ont succédé, par exemple, Eniya Rizgariya Neteweyî ya Kurdistanê (ENRK), KADEK et KONGRA-GEL. Aux fins des présentes conclusions, le terme PKK doit être entendu comme couvrant également ces organisations.

( 66 )   Article 4, paragraphe 1. Voir exceptions à l’article 1er, paragraphe 2. J’ai utilisé l’expression «titre de séjour» en tant que terme générique dans les présentes conclusions.

( 67 )   Article 7.

( 68 )   Article 9, paragraphe 1.

( 69 )   L’article 25, paragraphe 1, de cette disposition ne s’applique pas si le ressortissant d’un État tiers concerné a été expulsé pour des raisons graves liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public.

( 70 )   Article 26, paragraphe 1.

( 71 )   Voir également article 26, paragraphe 4.

( 72 )   Article 50.

( 73 )   Article 51, paragraphe 1.

( 74 )   Article 54, paragraphe 5.

( 75 )   Article 54, sous a).

( 76 )   Article 11 et article 25, paragraphe 2.

( 77 )   Article 60, paragraphe 1.

( 78 )   Article 60a, paragraphes 1 et 2.

( 79 )   Article 60a, paragraphe 3.

( 80 )   Article 60a, paragraphe 4.

( 81 )   Aux termes de l’article 60a du Aufenthaltsgesetz.

( 82 )   Voir arrêts Salahadin Abdulla e.a. (C‑175/08, C‑176/08, C‑178/08 et C‑179/08, EU:C:2010:105, point 52); Y et Z (C‑71/11 et C‑99/11, EU:C:2012:518, point 47) ainsi que X e.a. (C‑199/12 à C‑201/12, EU:C:2013:720, point 39).

( 83 )   Arrêt X e.a. ( EU:C:2013:720, point 40).

( 84 )   Ibidem (point 40). Voir également article 10 de la Charte.

( 85 )   Voir article 6 de la directive relative aux conditions d’accueil et article 7 de la directive 2005/85, citées à la note 23.

( 86 )   Arrêt N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, point 7); voir également point 57 des présentes conclusions.

( 87 )   Je me référerai, de manière générale, aux articles 21, paragraphes 2 et 3, ou 24, paragraphe 1 (selon le cas), sans ajouter les termes «de la directive relative aux conditions», afin d’alléger le texte.

( 88 )   Voir points 33, 34, 35 et 40 des présentes conclusions.

( 89 )   Voir points 37 et 40 des présentes conclusions.

( 90 )   La juridiction de renvoi ne soulève aucune question s’agissant des droits éventuels du ressortissant d’un État tiers dont certains enfants sont citoyens de l’Union. Dès lors, je n’aborderai pas cet aspect plus avant.

( 91 )   Voir point 34 des présentes conclusions.

( 92 )   Voir point 10 des présentes conclusions.

( 93 )   Voir point 7 des présentes conclusions.

( 94 )   Voir article 1er du protocole no 7 à la CEDH concernant les garanties procédurales en cas d’expulsion d’étrangers.

( 95 )   Voir points 74 et suiv. des présentes conclusions, dans lesquels je traiterai de ce que constituent des «raisons impérieuses».

( 96 )   Voir, notamment, Cour eur. D. H, arrêt lvarajah et autres c. Royaume Uni du 30 octobre 1991, série A no 215, § 102.

( 97 )   Cour eur. D. H, arrêt S.F. et autres c. Suède du 15 mai 2012, no 52077/10, § 62 ainsi que jurisprudence citée.

( 98 )   Voir Cour eur. D. H, arrêts Chahal c. Royaume Uni du 15 novembre 1996, § 74, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et S.F. et autres c. Suède, cité à la note 97, § 62; voir également, s’agissant du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la CEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume Uni, no 8139/09, § 258 à 261, CEDH 2012 (extraits).

( 99 )   Voir point 48 des présentes conclusions.

( 100 )   Voir document du Conseil no 8919/03 du 12 mai 2003, p. 24, concernant l’article 22 de la proposition, qui est devenu article 24 de la directive relative aux conditions.

( 101 )   Les ressortissants d’États tiers résidant légalement sur le territoire d’un État contractant ont besoin d’un titre de séjour valable et d’un document de voyage pour circuler au sein de l’espace Schengen, où ils peuvent séjourner pour un maximum de 90 jours sur le territoire des autres Parties contractantes; voir point 10 des présentes conclusions.

( 102 )   Voir article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive «résidents de longue durée».

( 103 )   Voir points 104 et suiv. des présentes conclusions.

( 104 )   La directive 2011/95 est entrée en vigueur après que l’arrêté d’expulsion dans la procédure au principal a été pris (voir point 40 des présentes conclusions). Elle ne s’applique donc pas à la présente procédure.

( 105 )   Arrêt Endendijk (C‑187/07, EU:C:2008:197, point 22).

( 106 )   Ibidem (point 24).

( 107 )   Voir point 62 des présentes conclusions.

( 108 )   JO 1999, C 73, p. 1, ci-après les «lignes directrices communes». De tels accords institutionnels trouvent désormais une base juridique dans les traités: voir article 295 TFUE.

( 109 )   Arrêt Jipa (C‑33/07, EU:C:2008:396, point 23 ainsi que jurisprudence citée).

( 110 )   Voir point 47 des conclusions de l’avocat général Bot qu’il a présentées dans l’affaire Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:322).

( 111 )   Voir considérant 2 de la directive 2003/109. J’ajoute, par souci d’exhaustivité, que le processus d’adoption législatif de la directive relative aux conditions semble ne pas éclairer ce sujet, dans la mesure où ni ce qui est devenu l’article 14 ni l’article 21, paragraphes 2 et 3, de cette directive ne se trouvaient dans le texte de la proposition initiale de la Commission, mentionnée à la note 100.

( 112 )   Voir point 11 des présentes conclusions.

( 113 )   Voir document du Conseil no 8919/03 du 12 mai 2003, cité à la note 100.

( 114 )   Voir arrêt B et D (C‑57/09 et C‑101/09, EU:C:2010:661, points 80 et 81), concernant l’interprétation de l’article 12, paragraphe 2, de la directive relative aux conditions, que j’applique ici par analogie.

( 115 )   Ibidem (points 82 et 83).

( 116 )   La jurisprudence en rapide extension du Tribunal et de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de recours contre les décisions d’inscription sur les listes devrait décourager les conclusions selon lesquelles, parce qu’une organisation particulière figure sur une liste, il s’agit nécessairement d’une organisation terroriste: voir note 18.

( 117 )   Voir arrêt B et D (EU:C:2010:661, point 90).

( 118 )   Ibidem (point 89).

( 119 )   Articles 5 et 7.

( 120 )   Voir points 39, 41 et 48 des présentes conclusions.

( 121 )   Voir article 2, sous j), de la directive relative aux conditions.

( 122 )   Voir article 2, sous d), de la directive relative aux conditions.

( 123 )   Une fois le statut de réfugié accordé, son bénéficiaire le conserve, conformément à la directive relative aux conditions, à moins que (notamment) l’article 11 (cessation) ou l’article 14 (révocation, fin du statut de réfugié ou refus de le renouveler) s’applique. Il y aurait également lieu de suivre les procédures appropriées figurant au chapitre IV de la directive relative aux conditions. Il est constant que rien de cela ne s’applique et/ou est intervenu en l’espèce.

( 124 )   Article 21.

( 125 )   Article 23.

( 126 )   Article 25.

( 127 )   Articles 26 à 29 et 31.

( 128 )   Article 32.

( 129 )   Article 33.

( 130 )   Voir points 35 et 48 des présentes conclusions.

( 131 )   Voir notamment article 20, paragraphe 6 (et, pour les personnes éligibles à la protection subsidiaire, la disposition correspondante de l’article 20, paragraphe 7).

( 132 )   Voir point 10 des lignes directrices communes, citées à la note 108.

( 133 )   Voir point 40 des présentes conclusions.

( 134 )   Voir point 3 des présentes conclusions.

( 135 )   Voir point 10 des présentes conclusions.

( 136 )   Ou l’accès aux dispositifs d’intégration, ce qui peut ou non revêtir de l’importance, vu que H. T. vit en Allemagne depuis l’année 1989.

( 137 )   Voir article 3 de la directive relative aux conditions.

( 138 )   Même s’il ne s’agit en aucun cas d’un équivalent exact, la notion d’«admission temporaire» du système juridique national qui m’est le plus familier me vient à l’esprit.

( 139 )   Voir notamment la jurisprudence en matière d’égalité de rémunération dans l’arrêt Cadman (C‑17/05, EU:C:2006:633, points 31 et 32).

( 140 )   Arrêt Zhu et Chen (C‑200/02, EU:C:2004:639, points 32 et 33).

( 141 )   Arrêt Filipiak (C‑314/08, EU:C:2009:719, point 81).

Top