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Document 62013CC0093

Conclusions de l'avocat général M. P. Cruz Villalón, présentées le 17 juillet 2014.
Commission européenne contre Versalis SpA et Eni SpA et Versalis SpA et Eni SpA contre Commission européenne.
Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché du caoutchouc chloroprène – Succession d’entités de production – Imputabilité du comportement infractionnel – Amendes – Récidive – Compétence de pleine juridiction.
Affaires jointes C-93/13 P et C-123/13 P.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:2487

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 17 juillet 2014 ( 1 )

Affaires jointes C‑93/13 P et C‑123/13 P

Commission européenne

contre

Versalis SpA

Eni SpA

et

Versalis SpA

Eni SpA

contre

Commission européenne

«Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marché du caoutchouc chloroprène — Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE — Fixation des prix et répartition du marché — Imputabilité du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère — Amendes — Circonstances aggravantes — Récidive»

1. 

Les présents pourvois sont dirigés contre l’arrêt du Tribunal Versalis et Eni/Commission ( 2 ), par lequel ce dernier a, pour l’essentiel, rejeté le recours en annulation de la décision C(2007) 5910 final de la Commission, du 5 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38629 – Caoutchouc chloroprène) ( 3 ), tout en réduisant le montant de l’amende infligée solidairement par la Commission européenne à Eni SpA et à Versalis SpA.

2. 

Ces deux pourvois articulent classiquement un ensemble de moyens contestant, pour l’essentiel, l’appréciation par le Tribunal de l’imputation des infractions constatées aux sociétés condamnées en l’espèce à une amende solidaire et de la détermination du montant de ladite amende.

3. 

En l’occurrence, c’est la filiale d’un groupe et sa société mère qui ont été jugées responsables des infractions constatées, dans un contexte dans lequel l’activité concernée a été successivement contrôlée par plusieurs entités du groupe. La Cour a, toutefois, récemment eu l’occasion de prendre position sur les principales questions liées à cette problématique, en particulier dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Eni/Commission ( 4 ) et Versalis/Commission ( 5 ), qui présentent nombre de similitudes avec les présentes affaires, de sorte que je n’y consacrerai pas de longs développements.

4. 

Les présentes conclusions se concentreront, en revanche, sur ce qui peut être considéré comme le problème principal soulevé par ces deux affaires, celui des conditions dans lesquelles la Commission peut aggraver au titre de la récidive le montant de base de l’amende infligée à une société mère en se fondant sur l’infraction antérieurement constatée à l’égard de l’une de ses filiales.

I – Les antécédents du litige et la décision litigieuse

5.

Les antécédents du litige ainsi que le contenu de la décision attaquée ont été résumés par le Tribunal aux points 1 à 25 de l’arrêt attaqué, auxquels il est renvoyé pour le détail.

6.

Pour les besoins de l’examen des présents pourvois, il sera simplement rappelé que Polimeri Europa SpA ( 6 ), devenue Versalis SpA ( 7 ), et sa société mère, Eni SpA, formellement destinataires de la décision attaquée, ont, aux termes de ses articles 1er, sous d) et 2, sous d), été condamnées solidairement à 132 160 000 euros d’amende pour avoir enfreint l’article [101 TFUE] en participant, entre le 13 mai 1993 et le 13 mai 2002, à un accord unique et continu et à des pratiques concertées dans le secteur du caoutchouc chloroprène.

7.

En l’occurrence, l’activité caoutchouc chloroprène du groupe Eni, initialement exploitée par EniChem Elastomeri, a été transférée à EniChem, devenue [confidentiel], puis, à compter du 1er janvier 2002, à Polimeri Europa, devenue Versalis, étant précisé que EniChem Elastomeri et Polimeri Europa étaient détenues à 100 % par Enichem, elle-même contrôlée par Eni.

8.

C’est, ainsi qu’il ressort des considérants 448 à 455 de la décision attaquée, en qualité de successeur économique d’EniChem que Polimeri Europa, devenue Versalis, a été tenue responsable du comportement antérieur d’EniChem.

9.

C’est, ainsi qu’il ressort du considérant 457 de la décision attaquée, en sa qualité de société mère ultime du groupe détenant, pour partie directement et pour partie indirectement, entre 99,93 et 100 % du capital des sociétés responsables de l’activité caoutchouc chloroprène du groupe, à savoir EniChem Elastomeri, EniChem, devenue [confidentiel], puis Polimeri Europa, devenue Versalis, qu’Eni a été condamnée, d’autres éléments venant, par ailleurs, corroborer le fait qu’elle exerçait une influence déterminante sur lesdites filiales.

II – Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

10.

Par requête en date du 20 février 2008, les requérantes ont introduit un recours contre la décision attaquée, articulant un total de onze moyens, six tendant à l’annulation de cette dernière et cinq tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende qui leur a été infligée.

11.

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli la première branche du huitième moyen soulevé par les requérantes, jugeant que la décision attaquée était entachée d’illégalité en ce que, d’une part, la Commission ne pouvait pas retenir une circonstance aggravante de récidive à l’égard d’Eni et, d’autre part, elle ne pouvait pas retenir une circonstance aggravante de récidive à l’égard de Polimeri Europa, devenue Versalis, en se fondant sur la décision Polypropylène ( 8 ) (point 287 de l’arrêt attaqué). Il a rejeté comme étant non fondés les autres moyens soulevés, dans leurs différentes branches.

12.

Il a, en conséquence, réduit le montant de l’amende infligée aux requérantes à hauteur de 106200000 euros et les a condamnées aux quatre cinquièmes de leurs propres dépens et des dépens de la Commission.

13.

Les motifs de l’arrêt du Tribunal mis en cause par les parties dans le cadre de leurs pourvois seront cités, en tant que de besoin, dans le cours de l’analyse des différents moyens soulevés.

III – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

14.

L’arrêt attaqué a fait l’objet de deux pourvois.

15.

La Commission a introduit son pourvoi dans l’affaire C‑93/13 P par mémoire introduit le 25 février 2013.

16.

Eni et Versalis ont introduit leur pourvoi dans l’affaire C‑123/13 P par mémoire déposé le 15 mars 2013.

17.

Les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.

18.

Les différentes parties ont été entendues au cours de l’audience publique qui s’est tenue le 27 février 2014, à l’occasion de laquelle elles avaient été invitées, d’une part, à concentrer leur plaidoirie sur les différents moyens concernant la récidive (premier moyen dans l’affaire C‑93/13 P et cinquième moyen dans l’affaire C‑123/13 P) et, d’autre part, à prendre position sur les arrêts Eni/Commission ( 9 ) et Versalis/Commission ( 10 ).

IV – Sur les pourvois

19.

Dans son pourvoi dans l’affaire C‑93/13 P, la Commission soulève trois moyens, tous dirigés contre l’appréciation par le Tribunal de la légalité des amendes infligées à Eni et à Versalis. Dans leur pourvoi dans l’affaire C‑123/13 P, Eni et Versalis soulèvent huit moyens, les trois premiers dirigés contre l’appréciation par le Tribunal de la qualification des infractions, les cinq autres dirigés contre l’appréciation par le Tribunal de la légalité des amendes qui leur ont été infligées.

20.

Les différents moyens seront examinés suivant cette dichotomie, dans l’ordre des points de l’arrêt attaqué qu’ils visent, étant toutefois précisé d’emblée que, à l’exception du premier moyen soulevé par la Commission dans l’affaire C‑93/13 P, qui appelle une analyse substantielle, ils seront tous écartés au terme d’une motivation succincte.

V – Sur les moyens relatifs à l’examen par le Tribunal de la légalité de la constatation d’infraction (affaire C‑123/13 P)

21.

Les trois premiers moyens des requérantes dans l’affaire C‑123/13 P visent les motifs de l’arrêt attaqué concernant l’infraction et, plus précisément, l’imputation de l’infraction à Eni et à Versalis en application de la jurisprudence Akzo Nobel e.a./Commission ( 11 ).

A – Sur l’imputation de l’infraction à Eni (premier moyen)

1. Arguments des parties

22.

Par leur premier moyen, les requérantes contestent l’appréciation par le Tribunal, aux points 53 à 78 de l’arrêt attaqué, de l’imputabilité à Eni des comportements infractionnels de ses filiales EniChem Elastomeri, EniChem, devenue [confidentiel], et Polimeri Europa, devenue Versalis. Elles considèrent que le Tribunal a méconnu, d’une part, les principes notamment établis par l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission ( 12 ) et, d’autre part, les obligations découlant de l’exigence de motivation.

23.

La Commission se borne à proposer le rejet du moyen, en se référant à l’arrêt Eni/Commission ( 13 ), dans lequel la Cour a rejeté un moyen analogue soulevé dans un contexte similaire.

2. Analyse

24.

Les arguments des requérantes ne sauraient prospérer. Le Tribunal a motivé à suffisance de droit, aux points 53 à 78 de l’arrêt attaqué, les raisons pour lesquelles il a estimé que la Commission avait à bon droit tenu Eni pour solidairement responsable avec Polimeri Europa, devenue Versalis, des comportements infractionnels commis par celle-ci et EniChem, devenue [confidentiel], au cours de la période allant du 13 mai 1993 au 13 mai 2002. Je me bornerai, à cet égard, à renvoyer aux motifs de l’arrêt Eni/Commission ( 14 ), dans lequel la Cour a rejeté des arguments de même nature soulevés dans un contexte similaire, les requérantes n’ayant avancé aucun élément qui justifierait que la Cour s’écartât des motifs adoptés dans cet arrêt.

B – Sur l’imputation de l’infraction à Versalis (deuxième moyen)

1. Arguments des parties

25.

Les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en imputant à Versalis une infraction pour les activités relatives au caoutchouc chloroprène au cours de la période du 13 mai 1993 au 31 décembre 2001 ( 15 ), dans la mesure où lesdites activités relevaient, à l’époque, de la seule responsabilité d’EniChem, devenue [confidentiel]. Elles considèrent que le Tribunal a méconnu, d’une part, le principe de personnalité des sanctions et, d’autre part, les obligations découlant de l’exigence de motivation.

26.

La Commission relève que le deuxième moyen des requérantes vise une appréciation des faits qui échappe au contrôle de la Cour sur pourvoi et doit donc être rejeté comme irrecevable, faute pour ces dernières d’avoir invoqué une dénaturation des faits. Elle fait valoir que, en tout état de cause, les requérantes altèrent la portée de la jurisprudence de la Cour qu’elles invoquent.

2. Analyse

27.

Les arguments des requérantes ne sauraient prospérer. Le Tribunal a motivé à suffisance de droit, aux points 89 à 99 de l’arrêt attaqué, les raisons pour lesquelles il a estimé que la Commission avait à bon droit imputé les comportements infractionnels commis par EniChem, devenue [confidentiel], à Versalis, et ce sans méconnaître la jurisprudence pertinente de la Cour ( 16 ). Je me bornerai, à cet égard, à renvoyer aux motifs de l’arrêt Versalis/Commission ( 17 ), dans lequel la Cour a rejeté des arguments de même nature soulevés dans un contexte similaire, les requérantes n’ayant avancé aucun élément qui justifierait que la Cour s’écartât des motifs adoptés dans cet arrêt.

C – Sur la preuve de la participation d’EniChem à l’entente et la durée de l’infraction (troisième moyen)

1. Arguments des parties

28.

Les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit et dénaturé les faits et les preuves en retenant qu’elles avaient participé à l’entente entre mai 1993 et février 1994 et entre octobre 2000 et mai 2002. En particulier, le Tribunal aurait à tort, au point 173 de l’arrêt attaqué, admis la conclusion de la Commission selon laquelle le début de la participation d’EniChem à l’entente pouvait être fixé à la date de la réunion tenue à Florence le 12 ou le 13 mai 1993, dans la mesure où elle ne se serait pas publiquement distanciée de l’accord sur les marchés cibles qui y aurait été conclu. Il aurait également conclu à tort que les deux réunions, tenues à Leverkusen le 23 avril 2002 et à Naples le 13 mai 2002, présentaient un caractère anticoncurrentiel.

29.

La motivation de l’arrêt serait également erronée ou à tout le moins insuffisante. Elles demandent, en conséquence, à la Cour de réexaminer les griefs de la Commission et de limiter la durée de la participation à l’infraction à une période s’étendant de février 1994 à octobre 2000.

30.

La Commission propose de rejeter le moyen comme irrecevable.

2. Analyse

31.

Le troisième moyen doit être rejeté comme irrecevable dans la mesure où les requérantes, reproduisant largement les arguments présentés en première instance, contestent pour l’essentiel l’appréciation par le Tribunal des éléments de faits et de preuve retenus par la Commission pour établir la date de début et de fin de leur participation à l’entente (points 147 à 204 de l’arrêt attaqué), sans indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci ni démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, l’auraient conduit à cette dénaturation ( 18 ).

32.

Je me bornerai à observer que, en l’occurrence, le Tribunal a jugé (point 168 de l’arrêt attaqué) que la Commission avait pu à bon droit considérer que la participation d’EniChem à l’entente avait débuté à compter de la réunion de Florence du 12 ou du 13 mai 1993, en se fondant, parmi d’autres éléments non contestés, sur le fait qu’elle avait été prise en compte dans l’accord conclu et qu’elle ne s’en était pas distanciée. Or, les requérantes, qui ne fournissent pas le moindre élément de nature à établir qu’EniChem s’est effectivement publiquement distanciée de l’accord conclu lors de ladite réunion ( 19 ), n’indiquent pas en quoi ce constat procéderait d’une dénaturation des éléments de faits ou de preuve.

VI – Sur les moyens relatifs à l’examen par le Tribunal de la légalité des amendes (affaires C‑93/13 P et C‑123/13 P)

A – Sur la fixation du montant de base de l’amende (quatrième moyen dans l’affaire C‑123/13 P)

1. Arguments des parties

33.

Le quatrième moyen des requérantes, qui se compose de deux branches, vise l’appréciation par le Tribunal de la détermination par la Commission du montant de base de l’amende qui leur a été infligée. Dans le cadre de la première branche, elles font valoir, en visant les points 239 et 240, 242, 247 et 249 de l’arrêt attaqué, que le Tribunal a violé le droit de l’Union, et notamment les principes d’équité, de proportionnalité et d’égalité de traitement, en s’abstenant d’exercer son contrôle de pleine juridiction sur les éléments qu’elles ont produits pour contester la détermination par la Commission du montant de base et du montant additionnel de l’amende. Le Tribunal, en particulier, aurait négligé leurs griefs pris de la non-application par la Commission du point 18 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 ( 20 ). Dans le cadre de la seconde branche du moyen, les requérantes font valoir, en renvoyant à cet égard à leur troisième moyen, que le coefficient multiplicateur de durée prévu au point 24 des lignes directrices aurait dû être réduit à 6, 75, correspondant aux 6 ans et 9 mois de participation effective de Versalis à l’infraction.

34.

La Commission estime que ce moyen, qui se borne globalement à renvoyer aux arguments formulés en première instance, doit être rejeté comme irrecevable.

2. Analyse

35.

La première branche du moyen des requérantes doit être rejetée comme irrecevable dans la mesure où elle tend en réalité à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui, aux termes de l’article 56 du statut de la Cour de justice, échappe à la compétence de cette dernière ( 21 ). Il suffit de relever, à cet égard, que les requérantes renvoient d’une manière générale à leur requête en première instance, en évoquant certains éléments qui n’auraient pas été pris en compte par le Tribunal, sans toutefois expliquer les erreurs de droit dont serait entachée son appréciation ni contester l’interprétation ou l’application du droit de l’Union qu’il aurait faite ( 22 ). Le grief pris de la non-application du point 18 des lignes directrices doit également être rejeté comme irrecevable, dans la mesure où les requérantes se bornent à alléguer, ce que la Commission conteste, qu’elles l’ont soulevé au cours de l’audience devant le Tribunal. Par ailleurs, et compte tenu de la réponse qu’il est proposé d’apporter au troisième moyen, il y a également lieu de rejeter la seconde branche du moyen.

B – Sur la qualification de la récidive d’Eni (premier moyen dans l’affaire C‑93/13 P)

1. Motifs de l’arrêt attaqué

36.

Le Tribunal a jugé, au point 275 de l’arrêt attaqué, que l’infraction constatée à l’article 1er de la décision attaquée ne saurait être considérée comme une récidive à l’égard d’Eni. Il ressort, en substance, des motifs de l’arrêt attaqué (points 268 à 275) que deux ordres de considérations viennent concomitamment justifier cette conclusion.

37.

La première est que, dans ses décisions Polypropylène et PVC II ( 23 ), la Commission n’avait «ni prétendu ni démontré» que les sociétés visées par ces dernières, savoir Anic SpA et EniChem, n’avaient pas déterminé de façon autonome leur comportement sur le marché en cause au cours des périodes infractionnelles et qu’elles constituaient alors une entité économique avec Eni (point 272 de l’arrêt attaqué). Ainsi, Eni n’avait été ni sanctionnée ni même destinataire d’une communication des griefs (points 272 et 274).

38.

La seconde est qu’Eni n’avait, en tant que société mère, pas été en mesure d’établir qu’elle ne constituait pas une unité économique avec les deux entreprises sanctionnées par lesdites décisions. Eni ne pouvait, partant, être tenue pour responsable de l’infraction antérieure, sauf à méconnaître ses droits de la défense et, plus précisément, son droit de contester l’existence éventuelle d’une unité économique avec les deux entreprises sanctionnées (points 273 et 274 de l’arrêt attaqué).

39.

Le Tribunal a toutefois jugé, au point 276 de l’arrêt attaqué, que le fait qu’aucune récidive ne puisse être constatée à l’égard d’Eni ne pouvait, en lui-même, entraîner l’annulation de la décision attaquée ou la réduction du montant de l’amende infligée, dès lors qu’une constatation de récidive à l’égard de Polimeri Europa, devenue Versalis, pouvait justifier la majoration du montant de l’amende au titre de la récidive.

2. Arguments des parties

40.

Dans le cadre de son premier moyen dans l’affaire C‑93/13 P, qui se subdivise en deux branches, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant qu’elle avait à tort majoré le montant de base de l’amende infligée à Eni au titre de la récidive. Elle vise tout particulièrement les points 271 à 274 de l’arrêt attaqué.

41.

Dans le cadre de la première branche de ce premier moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a méconnu le principe du respect des droits de la défense aux fins de la constatation de récidive, en considérant, en substance, que la récidive ne pouvait être retenue contre Eni dès lors qu’elle n’avait pas eu la possibilité de renverser la présomption du contrôle total qu’elle exerçait sur les entreprises destinataires des décisions Polypropylène et PVC II.

42.

Elle estime, en se référant à l’arrêt Shell Petroleum e.a./Commission ( 24 ) du Tribunal, que les droits de la défense sont garantis dès lors que, au moment où elle annonce son intention de constater la récidive, elle accorde aux parties la possibilité de démontrer que ces conditions ne sont pas réunies. Tel aurait été le cas en l’espèce. Le point 416 de la communication des griefs attirait précisément l’attention de ses destinataires sur le point 28, premier tiret, des lignes directrices de 2006, relatif à la récidive, la note de bas de page 483 se référant, à cet égard, aux décisions PVC II et Polypropylène. Or, Eni n’aurait cherché ni à renverser la présomption d’influence déterminante qu’elle exerçait sur les entreprises destinataires des décisions Polypropylène et PVC II ni, eu égard au temps écoulé depuis l’adoption de ces deux décisions, à invoquer l’impossibilité de produire les preuves pertinentes à cet égard.

43.

Elle ajoute que la récidive n’a pas pour objet de sanctionner rétroactivement une première infraction, mais simplement de tirer les conséquences d’une nouvelle infraction commise par une entreprise.

44.

Dans le cadre de la seconde branche de son premier moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a également, et en tout état de cause, commis une violation manifeste de l’article 101 TFUE en jugeant qu’elle ne pouvait attribuer à Eni la responsabilité d’une infraction commise par le passé pour laquelle elle n’avait pas été sanctionnée. Le constat d’une récidive ne reposerait pas sur l’imposition d’une sanction pécuniaire préalable, mais seulement sur la constatation de l’existence d’une infraction précédente.

45.

Or, en l’occurrence, la récidive d’Eni n’aurait pas été retenue à raison du fait qu’elle a été «tenue pour responsable d’une infraction antérieure», mais parce qu’elle contrôlait à 100 % une filiale qui avait été antérieurement condamnée à une amende et que l’entreprise qu’elle forme avec cette dernière a commis une nouvelle infraction, laquelle doit donner lieu à une amende qui mérite d’être majorée au titre de la récidive.

46.

Eni fait en revanche valoir qu’elle ne saurait être considérée comme récidiviste dès lors qu’elle n’a jamais été partie dans les affaires Polypropylène et PVC II, qu’elle n’était ni destinataire ni même mentionnée dans les décisions d’infraction, qu’elle n’a pas reçu de demandes de renseignements ni de communications des griefs et qu’elle n’a même jamais été entendue dans le cadre d’une audition. L’imputation ex post d’une responsabilité pour récidive sur la base d’une présomption qu’elle n’a jamais été en mesure de contester serait incompatible avec le principe du respect des droits de la défense, comme le Tribunal l’a constaté.

3. Analyse

47.

Il doit tout d’abord être rappelé que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les institutions de l’Union n’ont pas à faire la preuve d’un intérêt pour pouvoir former un pourvoi contre un arrêt du Tribunal ( 25 ). Par conséquent, le fait que le premier moyen du pourvoi de la Commission soit dirigé contre les motifs de l’arrêt attaqué, par lequel le Tribunal a constaté l’erreur que cette dernière avait commise en constatant la récidive d’Eni à l’article 1er de la décision attaquée, sans pour autant annuler ladite décision, ne saurait conduire la Cour à déclarer ledit pourvoi irrecevable faute d’intérêt à agir.

48.

Cette précision faite, il convient, avant d’examiner le bien-fondé du moyen soulevé par la Commission, de rappeler succinctement la jurisprudence pertinente de la Cour concernant la récidive dans le droit de la concurrence de l’Union ( 26 ) et de bien circonscrire les termes du problème soulevé par la présente affaire. Comme on vient de le voir, cette dernière concerne le cas particulier du constat de récidive dans le contexte d’infractions successives commises par les sociétés d’un groupe et, plus précisément, la situation spécifique dans laquelle la récidive d’une société mère est constatée sur le seul fondement du comportement antérieur d’une de ses filiales.

a) Observations liminaires sur les spécificités du constat de récidive dans le contexte d’infractions successives commises par les sociétés d’un groupe

49.

Le montant de l’amende que la Commission peut, en application de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ( 27 ), infliger aux entreprises ou aux associations d’entreprises commettant, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux articles 101 TFUE et 102 TFUE est fixé en fonction de la gravité de l’infraction et, s’il y a lieu, de sa durée ( 28 ).

50.

La récidive est l’un des éléments qui, aux termes d’une jurisprudence itérative de la Cour ( 29 ), comme du Tribunal, doit être pris en compte dans l’analyse de la gravité de l’infraction, au titre des circonstances aggravantes ( 30 ). Désormais transcrite dans les lignes directrices ( 31 ), la récidive est une circonstance aggravante de nature à justifier une augmentation du montant de base de l’amende infligée à toute entreprise reconnue coupable d’avoir poursuivi ou répété une infraction identique ou analogue à une infraction précédente constatée par la Commission ou une autorité nationale de concurrence.

51.

Le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive, qui vise à inciter les entreprises qui ont manifesté une propension à s’affranchir des règles de la concurrence à modifier leur comportement ( 32 ), relèvent du pouvoir d’appréciation de la Commission en ce qui concerne le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant des amendes ( 33 ).

52.

La Cour n’a, au-delà de ces précisions, jamais véritablement défini plus avant la notion de récidive, à la différence du Tribunal.

53.

Aux termes de la définition la plus répandue ( 34 ) utilisée par ce dernier, «la notion de récidive, telle qu’elle est comprise dans un certain nombre d’ordres juridiques nationaux, implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires» ( 35 ).

54.

La Cour ( 36 ) a cependant jugé, confirmant la jurisprudence du Tribunal sur ce point ( 37 ), que «la notion de récidive n’implique pas nécessairement le constat d’une sanction pécuniaire préalable, mais seulement celui d’une infraction au droit communautaire de la concurrence».

55.

Par conséquent et de manière très schématique, tout constat de récidive en droit de la concurrence de l’Union suppose la répétition d’une même infraction (identité d’infraction) par un même auteur (identité d’auteur).

56.

La constatation de la récidive d’entreprises détenues par des sociétés faisant partie d’un groupe de sociétés présente toutefois quelques spécificités, comme en témoigne la présente affaire. Cette dernière, en effet, vient illustrer les difficultés que peut soulever l’appréciation de la condition de la récidive tenant à l’identité de l’auteur, non pas en général, mais dans le cas particulier dans lequel les infractions successives au droit de la concurrence sont imputables à différentes sociétés d’un même groupe, étant précisé que celle tenant à la similarité des infractions n’est pas ici en discussion.

57.

Par conséquent, les développements qui suivent ne portent pas sur les conditions de constatation de la récidive en général, mais seulement sur l’admissibilité de la pratique de la Commission ( 38 ) consistant à augmenter, au titre de la circonstance aggravante de récidive, le montant de base de l’amende infligée à une société faisant partie d’un groupe de sociétés pour infraction aux règles de concurrence, en exploitant la notion extensive d’entreprise comme unité économique, au sens de la jurisprudence Akzo Nobel ( 39 ).

58.

Je me bornerai à rappeler à cet égard que, conformément à cette jurisprudence, le comportement infractionnel d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale «ne détermine pas de façon autonome» son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques.

59.

Il est ainsi admis que, dans le cas particulier où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale, elle peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette dernière et qu’il existe une présomption réfragable selon laquelle elle exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale et considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché.

60.

Les trois principaux cas de figure théoriquement envisageables dans cette perspective peuvent être présentés de la manière suivante. Il peut, tout d’abord, être tenu compte de l’infraction antérieure de la filiale d’un groupe afin d’établir la récidive à l’égard d’une autre filiale de ce groupe. Il peut, ensuite, être tenu compte de l’infraction antérieure de la filiale d’un groupe afin d’établir la récidive à l’égard de la société mère du groupe du fait du comportement de la même filiale ou d’une autre filiale du groupe. Il peut enfin être tenu compte de l’infraction antérieure de la filiale d’un groupe afin d’établir la récidive à l’égard de la société mère du groupe ( 40 ), cette dernière étant sanctionnée du fait de son propre comportement ( 41 ). C’est cette dernière hypothèse qui est celle de la présente affaire.

61.

Ce qui rapproche ces trois hypothèses, et qui est au cœur du présent litige, c’est que, en exploitant la notion d’entreprise comme unité économique, la Commission peut aggraver la sanction infligée à une société mère en se fondant sur une précédente infraction commise par une entreprise relevant de la responsabilité d’une filiale qu’elle contrôlait, alors même que ladite société mère n’aurait pas été sanctionnée pour cette première infraction et qu’elle serait demeurée totalement transparente dans le cadre de la procédure conduisant à l’adoption de cette première décision.

62.

Le Tribunal a eu l’occasion d’examiner à plusieurs reprises la légalité de cette pratique décisionnelle de la Commission. Sa position a, d’une manière générale, oscillé entre trois positions, la première l’admettant en principe ( 42 ), ouvrant ainsi la voie au développement de la pratique décisionnelle litigieuse de la Commission, la seconde la rejetant sur le fondement, en substance, de la méconnaissance d’une très stricte obligation de motivation ( 43 ) et la troisième la rejetant en principe ( 44 ), pour des motifs tenant essentiellement au respect des droits de la défense des sociétés mères considérées comme récidivistes dans de telles conditions.

63.

La Cour n’a eu, pour l’instant, qu’une seule occasion d’examiner l’appréciation par le Tribunal de la pratique décisionnelle de la Commission. Dans ses récents arrêts Eni/Commission ( 45 ) et Versalis/Commission ( 46 ), prononcés postérieurement à l’arrêt attaqué, elle a, en l’occurrence, confirmé les arrêts Eni/Commission ( 47 ) et Polimeri Europa/Commission ( 48 ) du Tribunal annulant une décision retenant la récidive d’une société mère dans des circonstances proches, voire identiques, à celles de l’espèce. Elle a jugé, en substance, que, lorsque la Commission décide d’infliger une amende à une société pour infraction aux règles de concurrence et d’augmenter, au titre de la récidive, le montant de base de cette amende, il lui incombe «de fournir, avec la décision infligeant ladite amende[ ( 49 )], un exposé de nature à permettre aux juridictions de l’Union ainsi qu’à cette société de saisir en quelle qualité et dans quelle mesure elle aurait été impliquée dans l’infraction antérieure». Il lui incombe, tout particulièrement, lorsqu’elle considère que ladite société a fait partie de l’entreprise destinataire de la décision portant sur l’infraction antérieure, de motiver à suffisance de droit cette affirmation.

64.

Dans ces deux arrêts, la Cour a en l’occurrence estimé que la décision attaquée, qui infligeait à la société mère d’un groupe de sociétés une amende dont le montant de base avait été majoré pour récidive dans des circonstances très comparables à celle de la présente espèce, n’était pas suffisamment motivée, les indications qu’elle comportait ne permettant aucunement de saisir en quelle qualité et dans quelle mesure ladite société mère, qui ne figurait pas parmi les destinataires des décisions Polypropylène et PVC II antérieures, aurait été impliquée dans ces décisions ( 50 ).

65.

Il se déduit de ces arrêts que la Cour n’exclut pas, en principe, la possibilité pour la Commission de faire application de la circonstance aggravante de récidive dans des circonstances telles que celles de l’espèce, tout en subordonnant l’admissibilité de cette pratique à la condition que la décision constatant la seconde infraction et retenant la récidive à l’égard de la société mère réponde, à tout le moins, aux exigences précises de motivation qu’elle pose. Il doit être observé que, ce faisant, c’est au stade de l’adoption de la décision retenant la récidive et constatant la seconde infraction que la Cour se place pour analyser la situation, et non au stade de l’adoption de la décision constatant la première infraction comme l’a fait le Tribunal dans l’arrêt attaqué.

b) L’incompatibilité de l’approche du Tribunal avec la jurisprudence de la Cour et la résolution du pourvoi

66.

C’est à la lumière des développements qui précèdent qu’il convient d’examiner le premier moyen de la Commission, dans le cadre duquel elle fait essentiellement valoir que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, la récidive peut être retenue à l’égard de la société mère d’un groupe de sociétés en l’absence de toute sanction antérieure de cette dernière, pour autant qu’il soit établi qu’elle formait avec une autre société elle-même antérieurement sanctionnée une unité économique et qu’elle ait eu l’opportunité, au cours de l’adoption de la seconde décision constatant la récidive, de renverser la présomption qu’elle exerçait effectivement une influence déterminante sur la société antérieurement sanctionnée.

67.

Je le souligne d’emblée, il apparaît clairement que l’arrêt attaqué, qui s’inscrit dans le développement de la troisième et dernière ligne de la jurisprudence développée par le Tribunal, excluant en principe tout constat de récidive dans des circonstances telles que celles de l’espèce, n’est pas compatible avec la jurisprudence de la Cour.

68.

Les erreurs de droit commises par le Tribunal, qui pourraient justifier l’annulation de l’arrêt attaqué, n’impliquent cependant pas pour autant que le pourvoi de la Commission doive être accueilli, ni que l’arrêt du Tribunal doive être annulé, si le dispositif de l’arrêt attaqué apparaît fondé pour d’autres motifs de droit ( 51 ).

69.

Or, l’appréciation du Tribunal, selon laquelle la Commission ne pouvait retenir la circonstance aggravante de récidive à l’égard d’Eni, semble tout d’abord justifiée au regard, précisément, des exigences posées par la Cour dans ses arrêts Eni/Commission ( 52 ) et Versalis/Commission ( 53 ). Elle apparaît, surtout, justifiée au regard des exigences découlant de la garantie des droits de la défense de la société mère sanctionnée pour récidive dans des circonstances telles que celles de l’espèce, point sur lequel la Cour n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer.

i) L’incompatibilité de l’approche du Tribunal avec la jurisprudence de la Cour

70.

Il ressort de l’arrêt attaqué qu’il n’était, en substance, pas possible de retenir la récidive de la société mère dans les circonstances de l’espèce, c’est-à-dire dans une hypothèse dans laquelle c’est une filiale de ladite société mère qui a fait l’objet d’une première sanction pour infraction aux règles de concurrence, sans automatiquement porter atteinte à ses droits de la défense. En effet, placée dans une telle situation, la société mère ne pouvait être en position, «au moment de l’infraction antérieure» ( 54 ), de renverser la présomption qu’elle exerçait effectivement une influence déterminante sur sa filiale sanctionnée. Cette impossibilité pour la société mère d’assurer sa défense tient à la circonstance qu’elle n’était pas destinataire de la décision constatant la première infraction, qu’elle n’avait pas été sanctionnée pour cette infraction et qu’elle n’avait pas reçu communication des griefs dans le cadre de cette constatation ( 55 ).

71.

Il découle ainsi de l’arrêt attaqué que la récidive d’une personne morale ne peut être constatée sans que ladite personne ait antérieurement fait l’objet d’une sanction. Tout constat de récidive est donc subordonné non seulement à l’imputation de deux infractions similaires successives à la même entreprise, mais également à la sanction effective de la même personne du chef de ces infractions. La notion de récidive implique donc la sanction effective de la même personne du chef de deux infractions similaires successives ( 56 ).

72.

L’approche générale de la récidive ainsi défendue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué entre ce faisant, fondamentalement, en contradiction directe avec ce que la Cour a jugé dans son arrêt Groupe Danone/Commission ( 57 ). Elle n’est, en tout état de cause, plus en cohérence avec celle retenue par la Cour dans ses arrêts Eni/Commission ( 58 ) et Versalis/Commission ( 59 ).

73.

Il ressort en effet de ces arrêts que la constatation d’une récidive dans une hypothèse telle que celle de l’espèce ne saurait être exclue en principe, pour autant qu’elle soit entourée des garanties nécessaires, et notamment subordonnée au respect d’une obligation précise de motivation. Il s’en déduit, plus largement, que ce n’est pas au stade de l’adoption de la première décision d’infraction que les difficultés qu’une telle constatation soulève, en particulier en ce qui concerne le respect des droits de la défense de la société mère, doivent être résolues, comme le Tribunal l’a jugé, mais au stade de l’adoption de la seconde décision d’infraction, ainsi que la Commission l’a fait valoir.

74.

Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en jugeant que l’infraction constatée à l’article 1er de la décision attaquée commise par Eni ne pouvait être considérée comme une récidive à son égard, en se fondant sur la seule constatation que, faute d’avoir été sanctionnée par les décisions Polypropylène et PVC II invoquées par la Commission et d’avoir, dans le cadre de l’adoption de ces dernières, été destinataire d’une communication des griefs, elle n’avait pas été en mesure de présenter, au moment de l’infraction antérieure, ses arguments aux fins de contester qu’elle constituait une unité économique avec les entreprises sanctionnées par ces décisions.

75.

Le premier moyen, pris en sa première branche, soulevé par la Commission est donc fondé. Toutefois, cela n’implique pas pour autant que le pourvoi doive être accueilli, dès lors que l’arrêt attaqué se trouve justifié sur un autre fondement de droit, ce qui est le cas en l’espèce, à un double titre.

ii) Le constat de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée

76.

Il doit tout d’abord être relevé qu’il ne semble pas possible de considérer que la décision attaquée réponde aux exigences de motivation fixées par la Cour dans ses arrêts Eni/Commission ( 60 ) et Versalis/Commission ( 61 ), dans la mesure où elle ne précise ni en quelle qualité ni, surtout, dans quelle mesure Eni aurait été impliquée dans les décisions Polypropylène et PVC II.

77.

Les considérants 540 et 541 de la décision attaquée, cités par le Tribunal au point 255 de l’arrêt attaqué, se bornent en effet à relever qu’Eni doit être considérée comme récidiviste, en précisant, en note de bas de page 517, qu’Anic, filiale du groupe Eni, avait été condamnée pour participation à l’entente constatée par la décision Polypropylène du 23 avril 1986, et qu’EniChem avait été condamnée pour participation à l’entente constatée par la décision PVC II du 27 juillet 1994.

78.

Étant précisé que les parties ont été invitées à prendre position à l’audience sur ces deux arrêts en ce qu’ils visaient la récidive, il pourrait donc être envisagé, dans la ligne de ces deux arrêts, de confirmer l’arrêt du Tribunal, moyennant substitution de motifs, la Cour disposant des éléments suffisants lui permettant de conclure que l’appréciation par le Tribunal de la légalité de la décision attaquée est, en tout état de cause, justifiée pour insuffisance de motivation.

79.

J’estime cependant que la Cour doit saisir l’opportunité que lui offrent les présentes affaires pour approfondir son analyse de la légalité de la pratique décisionnelle de la Commission et aborder, au-delà du problème de motivation déjà identifié, la question plus fondamentale de la garantie des droits de la défense de la personne considérée comme récidiviste que ladite pratique soulève.

iii) Le constat de la méconnaissance des droits de la défense d’Eni

80.

Si, pour les besoins du droit de la concurrence de l’Union, le constat de la récidive d’une personne n’implique pas nécessairement, comme la Cour l’a jugé dans son arrêt Groupe Danone/Commission ( 62 ), la sanction préalable de ladite personne, mais simplement la constatation d’une infraction préalable, il implique toutefois, au minimum, que cette personne ait été, dès le début de la procédure devant aboutir à sa sanction et au constat de sa récidive, préalablement et de façon motivée, informée de manière à ce qu’elle ait été pleinement en situation d’organiser utilement sa défense à cet égard.

81.

Une telle exigence s’impose avec d’autant plus de force dans le contexte de l’application du droit de la concurrence aux groupes de sociétés, lorsqu’il est envisagé d’aggraver pour récidive la sanction infligée à une personne en se fondant non pas sur une décision constatant une infraction similaire antérieurement commise par ladite personne, c’est-à-dire un fait juridiquement constaté et établi par une décision définitive, mais simplement sur la constatation qu’une infraction similaire antérieure lui était éventuellement imputable et aurait pu lui être imputée, sans que cela ait été constaté par une décision qui lui aurait été adressée.

82.

Un constat de récidive dans des circonstances telles que celles de la présente affaire ne pourrait ainsi être éventuellement admis que dans le respect, par la Commission, au-delà des exigences de motivation déjà identifiées par la Cour dans ses arrêts Eni/Commission ( 63 ) et Versalis/Commission ( 64 ), d’une stricte garantie des droits de la défense de la société dont il est allégué qu’elle est récidiviste.

83.

La Commission doit donc, tout d’abord, adresser à la société mère une communication des griefs lui annonçant de façon spécifique son intention de la sanctionner et d’aggraver sa sanction pour récidive, en lui exposant sur quel fondement et pour quels motifs précisément. Il ne suffit donc pas que la Commission fasse simplement «mention» de l’existence d’une décision constatant l’infraction antérieure. Elle doit, au contraire et au-delà, préciser, lorsque ladite décision sanctionne une autre société sans viser ni même mentionner la société mère, non seulement qu’elle entend se fonder sur la présomption que cette dernière exerçait effectivement une influence déterminante sur la société sanctionnée pour constater sa récidive, mais également les motifs qui lui paraissent nourrir cette présomption ainsi que les raisons pour lesquelles elle estime nécessaire d’aggraver sa sanction du chef de récidive.

84.

Ce n’est que dans ces conditions que la société mère, préalablement et dûment informée, pourra se trouver en position de renverser la présomption au fondement du constat de récidive et ainsi d’assurer utilement sa défense dans la perspective de l’adoption de la décision définitive de sanction. Cette exigence s’impose avec d’autant plus d’intensité qu’il existe toujours des difficultés objectives pour la société mère de renverser, parfois des années plus tard, la présomption qu’elle exerçait effectivement une influence déterminante sur sa filiale tenue pour responsable et sanctionnée pour la première infraction.

85.

Il convient de faire observer, à cet égard, que ces exigences sont ni plus ni moins les mêmes que celles qui auraient été requises de la Commission si elle avait effectivement imputé la première infraction à la société mère, en sa qualité de société exerçant effectivement une influence déterminante sur sa filiale sanctionnée. Simplement, le respect de ces exigences ne s’impose, dans ce cas de figure, qu’ultérieurement, au moment où, pour ainsi dire, l’imputabilité de la première infraction à la société mère est activée.

86.

Il importe, en effet, de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence itérative, le principe du respect des droits de la défense exclut que puisse être considérée comme licite une décision par laquelle la Commission impose à une entreprise une amende en matière de concurrence sans lui avoir préalablement communiqué les griefs retenus à son endroit, étant précisé que, eu égard à son importance en tant que garantie procédurale essentielle, la communication des griefs doit, non seulement, préciser sans équivoque la personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes, ce qui implique de l’identifier ( 65 ), mais également en quelle qualité ladite personne juridique se voit reprocher les faits allégués, et lui être, en conséquence, adressée ( 66 ).

87.

La Commission a en l’occurrence indiqué dans ses écritures que la communication des griefs attirait l’attention de ses destinataires sur la récidive ( 67 ).

88.

Or, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, la Commission ne saurait se considérer comme déliée de ses obligations du fait de cette simple mention. Il lui appartenait au contraire de préciser, dans la communication des griefs, les raisons pour lesquelles elle estimait pouvoir se fonder sur la présomption qu’Eni exerçait une influence déterminante sur ses deux filiales sanctionnées par lesdites décisions ainsi que les motifs pour lesquels elle entendait activer cette présomption aux fins d’aggraver la sanction qu’elle envisageait de lui infliger.

89.

Le respect de ces exigences s’imposait d’autant plus qu’Eni était totalement transparente dans le cadre de la constatation des premières infractions, dans la mesure où elle n’était ni destinataire ni même mentionnée dans les décisions finales et où la possibilité même que les infractions constatées de ses filiales auraient pu lui être imputées n’était pas évoquée.

90.

Par conséquent, nonobstant les imperfections dont est entaché l’arrêt attaqué, l’appréciation du Tribunal, selon laquelle la Commission ne pouvait retenir la circonstance aggravante de récidive à l’égard d’Eni doit être confirmée, la décision attaquée apparaissant, en tout état de cause, entachée d’une violation des droits de la défense d’Eni et d’une insuffisance de motivation.

C – Sur la qualification de la récidive de Versalis et la condamnation solidaire d’Eni aux fins du paiement de la majoration de l’amende (cinquième moyen dans l’affaire C‑123/13 P)

1. Motifs de l’arrêt attaqué

91.

Le Tribunal a en substance jugé, aux points 277 à 280 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait se fonder sur la décision PVC II, par laquelle EniChem avait été condamnée, pour constater la récidive de Polimeri Europa, devenue Versalis, et augmenter le montant de l’amende, au paiement de laquelle Eni était tenue pour solidairement responsable, dans la mesure où Polimeri Europa était le successeur économique d’EniChem pour l’activité du caoutchouc chloroprène et comme telle responsable de la seconde infraction commise par celle-ci pendant la période du 13 mai 1993 au 31 décembre 2001 constatée dans la décision attaquée.

92.

Il a en revanche jugé, aux points 281 et 282 de l’arrêt attaqué, que la Commission ne pouvait se fonder sur la décision Polypropylène pour retenir la récidive de Polimeri Europa, dans la mesure où, en substance, Eni ne pouvait être qualifiée de récidiviste, pour les motifs exposés aux points 272 à 274 de l’arrêt attaqué et ci-dessus examinés. Il a donc également déclaré la décision attaquée illégale sur ce point (point 287 de l’arrêt attaqué) et c’est sur ce fondement qu’il a décidé de réduire le pourcentage de majoration de l’amende infligée aux requérantes de 60 à 50 % (point 367 de l’arrêt attaqué).

2. Arguments des parties

93.

Par leur cinquième moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant que la circonstance aggravante de la récidive était applicable à Polimeri Europa, devenue Versalis, sur le fondement de la condamnation d’EniChem dans le cadre de la décision PVC II. Elles contestent à la fois la motivation de l’arrêt, l’application en l’espèce du critère de la succession économique et la circonstance que le Tribunal a constaté la récidive sur des bases différentes de celles choisies par la Commission (première branche). Elles estiment, en outre, que le Tribunal a violé le principe de proportionnalité en établissant la réduction du pourcentage de majoration de l’amende de 60 à 50 % (deuxième branche) et commis une erreur de droit en condamnant solidairement Eni au paiement de la majoration de l’amende au titre de la récidive (troisième branche).

94.

La Commission fait valoir que ce cinquième moyen, pris dans ses différentes branches, doit être rejeté comme non fondé.

3. Analyse

95.

Je considère que, dans la mesure où le deuxième moyen soulevé par les requérantes dans l’affaire C‑123/13 P doit être rejeté ( 68 ), le cinquième moyen pris dans ses différentes branches doit, par voie de conséquence, l’être également.

96.

J’estime, en effet, que le Tribunal a, au terme d’une motivation suffisante quoique succincte et à juste titre, pu considérer que, dans les circonstances de l’espèce, où Versalis est le successeur économique d’EniChem dans le cadre d’un groupe de sociétés contrôlées par la même personne morale, en l’occurrence Eni, c’est bien la même personne morale qui est responsable des infractions respectivement constatées par la décision PVC II et par la décision attaquée. Dans le cas contraire, en effet, comme le Tribunal l’a constaté (point 279 de l’arrêt attaqué), il suffirait aux groupes de sociétés de transférer la responsabilité de l’activité économique d’une société condamnée pour infraction aux règles de concurrence à une autre société du groupe pour systématiquement échapper à tout constat de récidive. L’argument selon lequel le Tribunal aurait constaté la récidive sur des bases différentes de celles choisies par la Commission doit, dans cette perspective, être rejeté comme non fondé.

D – Sur la légalité de la réduction du coefficient multiplicateur appliqué à Eni et à Versalis (deuxième et troisième moyens dans l’affaire C‑93/13 P)

1. Arguments des parties

97.

Par ses deuxième et troisième moyens, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit dans son appréciation de l’application du coefficient multiplicateur à Eni et à Versalis.

98.

Elle estime tout d’abord (deuxième moyen, visant le point 326 de l’arrêt attaqué) que le Tribunal a commis une erreur de droit, et plus précisément violé le principe dispositif, l’article 21 du statut de la Cour de justice et les articles 44, paragraphe 1, et 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure, en examinant si l’application d’un coefficient multiplicateur de 1,4 à Eni et à Versalis était, par comparaison avec le coefficient appliqué à Dow, conforme au principe d’égalité, alors que les requérantes n’avaient tout au plus invoqué ledit principe qu’au stade de l’audience.

99.

Elle considère, ensuite (troisième moyen visant les points 323 à 325 de l’arrêt attaqué), que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application du principe d’égalité de traitement en l’espèce.

100.

Les requérantes concluent au rejet de ces deux moyens.

2. Analyse

101.

Le deuxième moyen de la Commission doit être rejeté comme manifestement dénué de tout fondement. Il ne saurait, en effet, être considéré que le Tribunal s’est saisi d’office du grief tiré d’une méconnaissance du principe d’égalité, dès lors que, au point 106 de leur requête en première instance, les requérantes faisaient déjà grief à la Commission de leur avoir appliqué le coefficient multiplicateur sans l’appliquer à d’autres entreprises. Ce même grief est ensuite réitéré et développé aux points 56 et 57 de leur réplique en première instance, les requérantes faisant explicitement valoir que la Commission leur a appliqué une majoration quatre fois supérieure à celle appliquée à Dow. Les requérantes ont, enfin, précisé à l’audience que, dans ces circonstances, l’augmentation qui leur a été infligée était contraire au principe d’égalité (points 310 et 322 de l’arrêt attaqué).

102.

Le troisième moyen de la Commission doit également être rejeté.

103.

Certes, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner que, dans le cadre du calcul des amendes au titre de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, un traitement différencié entre les entreprises concernées est inhérent à l’exercice des pouvoirs qui incombent à la Commission, celle-ci étant appelée, dans le cadre de sa marge d’appréciation, à individualiser la sanction en fonction des comportements et des caractéristiques propres aux entreprises concernées afin de garantir, dans chaque cas d’espèce, la pleine efficacité des règles de la concurrence en droit de l’Union ( 69 ).

104.

La Cour a cependant également jugé que, s’agissant de la détermination du montant de l’amende, il ne saurait être opéré une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord par l’application de méthodes de calcul différentes ( 70 ). Il ressort, plus largement, de la jurisprudence que le traitement différencié d’entreprises placées dans la même situation ne saurait être admis qu’en présence de raisons objectives ( 71 ).

105.

Ce que la Commission conteste en l’occurrence, c’est toutefois moins le principe même de l’application du principe d’égalité que les modalités suivant lesquelles le Tribunal en a fait concrètement application en l’espèce. Elle fait valoir, plus précisément, que le Tribunal a comparé les chiffres d’affaires totaux d’Eni et de Dow respectivement utilisés par la Commission pour les besoins du calcul du coefficient, alors qu’il aurait fallu comparer le rapport entre le chiffre d’affaires total des deux groupes et le chiffre d’affaires réalisé par la vente des produits faisant l’objet de l’entente, de l’ordre de 3000:1 pour Eni et de 1000:1 pour Dow.

106.

Il doit cependant être constaté que l’appréciation à cet égard du Tribunal est exclusivement fondée sur les motifs figurant au point 584 de la décision attaquée (voir points 308 et 323 à 325 de l’arrêt attaqué). Or, ledit point ne se réfère qu’au chiffre d’affaires total des groupes. C’est, dès lors, sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu conclure à la violation en l’espèce du principe d’égalité, la Commission n’ayant fourni aucune raison objective justifiant la différence de traitement entre Eni et Dow.

E – Sur la détermination du seuil de 10 % du chiffre d’affaires (sixième moyen dans l’affaire C‑123/13 P)

1. Arguments des parties

107.

Par leur sixième moyen, les requérantes estiment que, dans la mesure où, ainsi qu’elles le font valoir dans le cadre de leurs premier et deuxième moyens, elles ne sauraient être tenues pour responsables des infractions qui leur sont imputées, le montant maximal de l’amende prévue à l’article 23 du règlement no 1/2003 aurait dû être appliqué au chiffre d’affaires de [confidentiel]seulement et donc fixé à 82 millions d’euros, soit 10 % des 820 millions du chiffre d’affaires de cette dernière pour 2006.

2. Analyse

108.

Dans la mesure où, ainsi qu’il est exposé aux points 24 et 27 des présentes conclusions, les premier et deuxième moyens des requérantes doivent être rejetés comme non fondés, j’estime qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le sixième moyen.

F – Sur l’absence de contrôle juridictionnel de l’appréciation de la coopération de [confidentiel]et de Versalis au titre de la communication sur la clémence (septième moyen dans l’affaire C‑123/13 P)

1. Arguments des parties

109.

Par leur septième moyen, les requérantes font en substance valoir que le Tribunal s’est illégalement abstenu d’exercer le contrôle juridictionnel qu’il lui incombait d’effectuer sur le refus de la Commission de réduire l’amende qui leur a été infligée au titre de la communication de la Commission, du 19 février 2002, sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes ( 72 ) ou encore conformément au point 29 des lignes directrices pour le calcul des amendes. En considérant, en substance, que les informations fournies par [confidentiel] et Versalis étaient dépourvues de valeur ajoutée significative, le Tribunal aurait commis une erreur d’appréciation et insuffisamment motivé son arrêt.

110.

La Commission estime que ce moyen doit être rejeté comme irrecevable, les requérantes se bornant à réitérer les arguments avancés en première instance et cherchant à obtenir une nouvelle appréciation des faits. Il doit, en tout état de cause, être rejeté comme non fondé, le Tribunal ayant contrôlé l’appréciation qu’elle a effectuée à cet égard, fût-ce de manière restreinte en considération de la marge d’appréciation dont elle dispose en la matière.

2. Analyse

111.

Il doit être constaté que l’argumentation avancée par les requérantes dans le cadre de leur pourvoi reproduit très substantiellement celle que le Tribunal a appréciée dans l’arrêt attaqué (points 350 à 365), de sorte que ce moyen peut, à ce titre, être rejeté comme irrecevable.

G – Sur l’intensité du contrôle opéré par le Tribunal sur les appréciations de la Commission relatives à la quantification de l’amende (huitième moyen dans l’affaire C‑123/13 P)

1. Arguments des parties

112.

Par leur huitième moyen, les requérantes font valoir que le montant de l’amende qui leur a été infligée est injuste, inapproprié et disproportionné et que le Tribunal a omis d’exercer le pouvoir de pleine juridiction que lui reconnaît l’article 31 du règlement no 1/2003. Le Tribunal aurait, plus précisément, méconnu leur droit à une protection juridictionnelle effective et complète en se bornant à exercer un simple contrôle de légalité de la décision attaquée, sans apprécier les circonstances de la cause.

2. Analyse

113.

Ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de le juger, il ne lui appartient pas, lorsqu’elle statue sur un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal, statuant dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation par celles-ci des règles de concurrence ( 73 ).

114.

Par conséquent, dans la mesure où le huitième moyen des requérantes se borne à mettre en cause la proportionnalité de l’amende qui leur a été infligée et tend à obtenir un réexamen d’appréciations factuelles pour lequel la Cour n’est pas compétente dans le cadre d’un pourvoi ( 74 ), il doit être déclaré irrecevable.

VII – Sur les dépens

115.

Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, la Cour statue sur les dépens lorsque le pourvoi n’est pas fondé.

116.

Dans la mesure où j’estime que les deux pourvois doivent être rejetés et où les parties ont conclu à leur condamnation respective dans les deux affaires, je propose, en application des dispositions combinées des articles 184, paragraphe 1, et 137 du règlement de procédure, de condamner aux dépens chacune des parties ayant succombé dans leur pourvoi.

VIII – Conclusion

117.

À la lumière des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de:

1)

rejeter les pourvois dans les affaires C‑93/13 P et C‑123/13 P;

2)

condamner la Commission aux dépens dans l’affaire C‑93/13 P;

3)

condamner Versalis SpA et Eni SpA aux dépens dans l’affaire C‑123/13 P.


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) T‑103/08, EU:T:2012:686, ci-après l’«arrêt attaqué».

( 3 ) Ci-après la «décision attaquée».

( 4 ) C‑508/11 P, EU:C:2013:289.

( 5 ) C‑511/11 P, EU:C:2013:386.

( 6 ) Ci-après «Polimeri Europa».

( 7 ) Eni et Versalis, requérantes dans l’affaire T‑103/08 et requérantes au pourvoi dans l’affaire C‑123/13 P seront appelées «Eni» et «Versalis» ou, d’une manière générale et par commodité de langage, les «requérantes» dans la suite des développements, nonobstant le fait qu’elles sont défenderesses au pourvoi dans l’affaire C‑93/13 P.

( 8 ) Décision 86/398/CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.149 – Polypropylène) (JO L 230, p. 1).

( 9 ) EU:C:2013:289.

( 10 ) EU:C:2013:386.

( 11 ) C‑97/08 P, EU:C:2009:536.

( 12 ) EU:C:2009:536.

( 13 ) EU:C:2013:289, points 64 à 70.

( 14 ) Ibidem (points 60 à 77).

( 15 ) Les requérantes contestent toutefois, dans le cadre de leur troisième moyen, la période d’infraction ainsi définie, cette dernière ne s’étendant, tout au plus, que de février 1994 à octobre 2000.

( 16 ) En particulier, arrêts Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 354 à 359); ETI e.a. (C‑280/06, EU:C:2007:775), et ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, EU:C:2011:191, points 143 à 157).

( 17 ) EU:C:2013:386, points 51 à 60.

( 18 ) Voir, à cet égard, notamment, arrêts Lafarge/Commission (C‑413/08 P, EU:C:2010:346, points 15 à 17) et Caffaro/Commission (C‑447/11 P, EU:C:2013:797, point 25).

( 19 ) Voir, à cet égard, arrêts Aalborg Portland e.a./Commission (EU:C:2004:6, points 81 à 85); Dansk Rørindustri e.a./Commission (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 142 à 144); Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission (C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, points 47 et 48), et Archer Daniels Midland/Commission (C‑510/06 P, EU:C:2009:166, points 119 et 120).

( 20 ) JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les «lignes directrices de 2006».

( 21 ) Voir, notamment, arrêt Volkswagen/Commission (C‑338/00 P, EU:C:2003:473, point 47).

( 22 ) Voir, notamment, arrêt E.ON Energie/Commission (C‑89/11 P, EU:C:2012:738, points 112 à 114).

( 23 ) Décision 94/599/CE de la Commission, du 27 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.865 – PVC) (JO L 239, p. 14, ci-après la «décision PVC II»).

( 24 ) T‑343/06, EU:T:2012:478, point 275.

( 25 ) Voir arrêt Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, points 171 et 172).

( 26 ) Voir, à cet égard, notamment, Piernas López, J. J., «The aggravating Circumstance of Recidivism and the Principle of Legality in the EC Fining Policy: nulla poena sine lege?», World Competition, 2006, vol. 29, no 3, p. 441; Bosco et al., «Ombres et lumières du traitement de la récidive par le droit des pratiques anticoncurrentielles», Concurrences, 2010, no 4, p. 13; notamment, Barennes, M., et Wolf, G., «Cartel Recidivism in the Mirror of EU Case Law», Journal of European Competition Law & Practice, septembre 2011, et Wils, W. P. J., «Recidivism in EU Antitrust Enforcement: A Legal and Economic Analysis», World Competition, 2012, vol. 35, no 1.

( 27 ) JO 2003, L 1, p. 1. Antérieurement, article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204).

( 28 ) Voir, notamment, arrêt Ferriere Nord/Commission (C‑219/95 P, EU:C:1997:375, point 32).

( 29 ) Voir arrêts Aalborg Portland e.a./Commission (EU:C:2004:6, point 91); Groupe Danone/Commission (C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 26), et Lafarge/Commission (EU:C:2010:346, point 63).

( 30 ) Arrêt SGL Carbon/Commission (C‑308/04 P, EU:C:2006:433, point 71).

( 31 ) Voir point 2 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices de 1998») et point 28 des lignes directrices de 2006.

( 32 ) Voir, notamment, arrêt Groupe Danone/Commission (EU:C:2007:88, point 39).

( 33 ) Voir, notamment, arrêt Ferriere Nord/Commission (EU:C:1997:375, point 33).

( 34 ) Voir, notamment arrêts Thyssen Stahl/Commission (T‑141/94, EU:T:1999:48, point 617); Michelin/Commission (T‑203/01, EU:T:2003:250, point 284); Shell Petroleum e.a./Commission (T‑38/07, EU:T:2011:355, point 91); Eni/Commission (T‑39/07, EU:T:2011:356, point 162); ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission (T‑144/07, T‑147/07 à T‑150/07 et T‑154/07, EU:T:2011:364, point 308), ainsi que Saint-Gobain Glass France e.a./Commission (T‑56/09 et T‑73/09, EU:T:2014:160, point 305).

( 35 ) Il peut être observé que, dans son arrêt Shell Petroleum e.a./Commission (EU:T:2012:478, point 247), le Tribunal a jugé que «la notion de récidive doit s’entendre comme visant les cas où une même entreprise, après avoir été sanctionnée pour une infraction, en commet une nouvelle similaire», ce qui n’est pas la même chose.

( 36 ) Arrêt Groupe Danone/Commission (EU:C:2007:88, point 41).

( 37 ) Arrêts Groupe Danone/Commission (T‑38/02, EU:T:2005:367, point 363) et BPB/Commission (T‑53/03, EU:T:2008:254, point 387).

( 38 ) Ce que j’appellerai, dans la suite des développements, la «pratique décisionnelle litigieuse de la Commission».

( 39 ) Voir, notamment, arrêts Akzo Nobel e.a./Commission (EU:C:2009:536, points 54, 55 et 58) ainsi que Commission/Siemens Österreich e.a. (C‑231/11 P à C‑233/11 P, EU:C:2014:256, points 41 à 48 et jurisprudence citée).

( 40 ) L’inverse, consistant à tenir compte de l’infraction antérieure de la société mère d’un groupe afin d’établir la circonstance aggravante de récidive à l’égard de la filiale dudit groupe, serait également, théoriquement, envisageable; en ce sens Bernardeau, L., et Christienne, J.‑P., Les amendes en droit de la concurrence, Pratique décisionnelle et contrôle juridictionnel du droit de l’Union, Larcier, 2013, no I.270.

( 41 ) Cette présentation schématique fait, bien entendu, abstraction des éléments de complexité résultant de l’évolution de la structure juridique d’un groupe de sociétés entre la constatation et la sanction de deux infractions.

( 42 ) Voir arrêts Michelin/Commission (EU:T:2003:250, point 290) et Shell Petroleum e.a./Commission (EU:T:2012:478).

( 43 ) Voir arrêts Eni/Commission (EU:T:2011:356, points 161 à 171) et Polimeri Europa/Commission (T‑59/07, EU:T:2011:361, points 293 à 303). La Cour a respectivement confirmé ces deux arrêts dans ses arrêts Eni/Commission (EU:C:2013:289) et Versalis/Commission (EU:C:2013:386), ci-dessous examinés.

( 44 ) Voir arrêts ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission (EU:T:2011:364, points 308, 319 à 320 et 322) et Saint-Gobain Glass France e.a./Commission (EU:T:2014:160, points 317 à 320). Le pourvoi introduit contre l’arrêt ThyssenKrupp Liften Ascenseurs/Commission a été radié par l’ordonnance ThyssenKrupp Elevator CENE et ThyssenKrupp Fahrtreppen/Commission (C‑503/11 P, EU:C:2012:277).

( 45 ) EU:C:2013:289, point 129.

( 46 ) EU:C:2013:386, point 142.

( 47 ) EU:T:2011:356.

( 48 ) EU:T:2011:361.

( 49 ) Il doit ici être observé que, si la Cour ne se réfère qu’à la seule motivation de la décision infligeant l’amende et constatant la récidive, elle prend néanmoins en considération, dans le cadre du contrôle qu’elle opère en l’espèce, la motivation de la communication des griefs (voir arrêts Eni/Commission, EU:C:2013:289, point 130, et Versalis/Commission, EU:C:2013:386, point 143), subtilité sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir.

( 50 ) On observera que le Tribunal avait, pour sa part, jugé que la décision attaquée ne comportait pas suffisamment d’éléments circonstanciés et précis pour permettre de justifier qu’une même entreprise avait répété un comportement infractionnel, ce qui n’est pas tout à fait la même chose; voir arrêts Eni/Commission (EU:T:2011:356, point 171) et Polimeri Europa/Commission (EU:T:2011:361, point 303).

( 51 ) Voir, notamment, arrêts Lestelle/Commission (C‑30/91 P, EU:C:1992:252, point 28) et Finsider/Commission (C‑320/92 P, EU:C:1994:414, point 37).

( 52 ) EU:C:2013:289.

( 53 ) EU:C:2013:386.

( 54 ) Voir point 274, in fine, de l’arrêt attaqué.

( 55 ) Le Tribunal relève également qu’Eni n’avait pas été entendue dans le cadre de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption des décisions constatant les premières infractions; voir point 272 de l’arrêt attaqué, in fine.

( 56 ) Il doit être observé, sans toutefois entrer dans les détails, que, dans son arrêt ultérieur dans l’affaire Saint-Gobain Glass France e.a./Commission (EU:T:2014:160, point 320), c’est surtout «l’absence de constatation, dans la décision antérieure, d’une unité économique entre la société mère et sa filiale» qui est jugé déterminant, plus que le fait que la société mère n’ait pas été destinataire de la communication des griefs et de la décision antérieure.

( 57 ) EU:C:2007:88, point 41.

( 58 ) EU:C:2013:289.

( 59 ) EU:C:2013:386.

( 60 ) EU:C:2013:289.

( 61 ) EU:C:2013:386.

( 62 ) EU:C:2007:88, point 41.

( 63 ) EU:C:2013:289, point 129.

( 64 ) EU:C:2013:386, point 142.

( 65 ) Arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, EU:T:1999:80, point 978).

( 66 ) Voir, en particulier, arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 14); Compagnie maritime belge transports e.a./Commission (C‑395/96 P et C‑396/96 P, EU:C:2000:132, points 142 à 145); Papierfabrik August Koehler e.a./Commission (C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, EU:C:2009:500, points 34 à 48); Akzo Nobel e.a./Commission (EU:C:2009:536, points 57 à 64) ainsi que Ballast Nedam/Commission (C‑612/12 P, EU:C:2014:193, points 24 à 30).

( 67 ) Voir point 42 des présentes conclusions.

( 68 ) Voir point 27 des présentes conclusions.

( 69 ) Voir arrêts Britannia Alloys & Chemicals/Commission (C‑76/06 P, EU:C:2007:326, point 44) et Caffaro/Commission (EU:C:2013:797, point 50).

( 70 ) Voir, notamment, arrêts Sarrió/Commission (C‑291/98 P, EU:C:2000:631, point 97); Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a. (C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 58) ainsi que Ziegler/Commission (C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 133).

( 71 ) Voir, en ce sens, arrêts Dow Chemical e.a./Commission (C‑499/11 P, EU:C:2013:482, points 50 et 51) ainsi que Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771, points 65 et 66).

( 72 ) JO C 45, p. 3.

( 73 ) Voir, notamment, arrêts Finsider/Commission (EU:C:1994:414, point 46); BPB Industries et British Gypsum/Commission (C‑310/93 P, EU:C:1995:101, point 34); Eni/Commission (EU:C:2013:289, point 105) ainsi que Solvay Solexis/Commission (C‑449/11 P, EU:C:2013:802, point 74).

( 74 ) Voir, notamment, arrêts British Sugar/Commission (C‑359/01 P, EU:C:2004:255, point 49) et Dansk Rørindustri e.a./Commission (EU:C:2005:408, point 246).

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