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Document 62013CC0039

Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 27 février 2014.
Inspecteur van de Belastingdienst/Noord/kantoor Groningen e.a. contre SCA Group Holding BV e.a.
Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Gerechtshof Amsterdam.
Liberté d’établissement – Impôt sur les sociétés – Entité fiscale unique entre les sociétés d’un même groupe – Demande – Motifs de refus – Situation du siège d’une ou de plusieurs sociétés intermédiaires, ou de la société mère dans un autre État membre – Absence d’établissement stable dans l’État d’imposition.
Affaires jointes C-39/13 à C-41/13.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2014:104

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 27 février 2014 ( 1 )

Affaires jointes C‑39/13, C‑40/13 et C‑41/13

Inspecteur van de Belastingdienst/Noord/kantoor Groningen

contre

SCA Group Holding BV (C‑39/13),

X AG

X1 Holding GmbH

X2 Holding GmbH

X3 Holding BV

D1 BV

D2 BV

D3 BV

contre

Inspecteur van de Belastingdienst Amsterdam (C‑40/13)

et

Inspecteur van de Belastingdienst Holland-Noord/kantoor Zaandam

contre

MSA International Holdings BV

MSA Nederland BV (C‑41/13)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Gerechtshof te Amsterdam (Pays-Bas)]

«Législation fiscale — Liberté d’établissement — Impôt sur les sociétés national — Régime d’imposition des groupes de sociétés (‘entité fiscale’) — Groupe de sociétés avec participations de sociétés étrangères»

I – Introduction

1.

Une fois de plus, la question de l’imposition des groupes de sociétés par les États membres et sa compatibilité avec la liberté d’établissement est soulevée devant la Cour. Bien que les groupes de sociétés soient constitués de sociétés indépendantes, les États membres ont une tendance contraire à les traiter en droit fiscal comme une seule société. Néanmoins, lorsque le groupe de société se compose de sociétés de différents États membres et est ainsi soumis à différentes autorités fiscales, cette façon de les traiter comme une société unique représente un problème.

2.

Les présentes demandes de décision préjudicielle néerlandaises doivent être situées dans le cadre des questions abordées dans deux décisions, les arrêts Papillon ( 2 ) et X Holding ( 3 ). Dans son arrêt X Holding, précité, la Cour a admis que les sociétés établies dans d’autres États membres soient exclues du régime néerlandais de l’«entité fiscale» constituée par un groupe de sociétés. Dans son arrêt Papillon, précité, par contre, la Cour s’est opposée à l’exclusion d’une sous-filiale nationale du régime français de l’«intégration fiscale» dans le cas où la filiale intermédiaire est établie dans un autre État membre.

3.

Le juge de renvoi nous interroge à nouveau, dans la présente affaire, sur l’entité fiscale néerlandaise. Les groupes de sociétés en cause dans chacune des trois affaires jointes ont une structure différente, mais ils ont tous en commun que l’une ou l’autre des sociétés du groupe sont établies dans un autre État membre. La question du caractère admissible de l’exclusion de ces sociétés du régime de l’entité fiscale ne se pose certes plus devant le juge de renvoi. Néanmoins, l’administration fiscale néerlandaise refuse aussi ce régime de regroupement à des sociétés d’un groupe établies aux Pays-Bas au motif que sans les sociétés établies à l’étranger, il ne peut être question, dans ces cas d’espèce, d’un groupe de sociétés.

4.

Le juge de renvoi a une double attente à l’égard de la Cour. Tout d’abord, il souhaite savoir avec quelles situations domestiques des groupes de sociétés fragmentés de cette nature peuvent être comparés selon le système du régime néerlandais. Ensuite, il convient de déterminer si les problèmes à multiples facettes qui naîtraient de la reconnaissance en tant qu’entité fiscale d’une entité fragmentée transfrontalière seraient susceptibles de justifier une restriction à la liberté d’établissement.

II – Le cadre juridique

5.

Le régime néerlandais de l’impôt des sociétés prévoit sous certaines conditions, pour les groupes de sociétés, la possibilité de former une entité fiscale. À cet égard, l’article 15, paragraphe 1, de la loi sur l’impôt des sociétés (Wet op de venootschapsbelasting) de 1969 prévoit ce qui suit dans sa version applicable au litige au principal:

«Lorsqu’un assujetti (la société mère) est économiquement et juridiquement propriétaire d’au moins 95 % du capital nominal libéré d’un autre assujetti (la filiale), les deux assujettis sont imposés à leur demande comme s’ils formaient une seule entité, c’est-à-dire comme si les activités et le patrimoine de la filiale faisaient partie intégrante des activités et du patrimoine de la société mère. L’impôt est prélevé dans le chef de la société mère. Les assujettis sont alors considérés ensemble comme une entité fiscale. Plusieurs filiales peuvent faire partie d’une même entité fiscale.»

6.

La condition pour cela est toutefois que «les deux assujettis [soient] établis aux Pays-Bas» [article 15, paragraphe 3, sous c), de la loi sur l’impôt des sociétés]. L’article 15, paragraphe 4, de la même loi prévoit l’exception suivante à cet égard:

«En outre, un assujetti qui […] n’est pas établi aux Pays-Bas mais exploite une entreprise au travers d’un établissement stable aux Pays-Bas peut, aux conditions qui sont définies par mesure générale d’administration, faire partie d’une entité fiscale […]»

7.

Ce sont les articles 32 à 35 du décret relatif à l’entité fiscale (Besluit fiscale eenheid) de 2003 qui contiennent, concernant cette exception, les dispositions qui permettent de faire rentrer dans une entité fiscale l’établissement stable d’une société établie à l’étranger. Ces mêmes articles contiennent également des règles détaillées en rapport avec la relation entre l’entité fiscale et le régime néerlandais de l’exonération des participations, d’une part, et en matière de prévention de la double prise en compte des pertes, d’autre part.

III – Le litige au principal

8.

Trois litiges au principal sont à l’origine des différentes affaires, dont les faits peuvent être résumés en deux groupes.

A – Les affaires C‑39/13 et C‑41/13

9.

Dans le cadre des litiges au principal dans les affaires C‑39/13 et C‑41/13, les sociétés SCA Group Holding BV et MSA International Holdings BV, établies aux Pays-Bas, demandent à pouvoir former une entité fiscale avec certaines de leurs sous-filiales, également établies aux Pays-Bas. Leurs filiales, par l’intermédiaire desquelles intervient la participation dans les sous-filiales et qui ne seront pas impliquées dans l’entité fiscale, sont par contre établies en Allemagne et ne disposent pas d’un établissement stable aux Pays-Bas. Dans le cas de SCA Group Holding BV, les sociétés en cause sont même en partie des sous‑sous‑filiales, en ce sens que la SCA Group Holding BV contrôle la participation dans ces dernières au travers non pas d’un seul, mais bien de deux échelons de sociétés intermédiaires allemandes.

10.

Le fisc néerlandais a rejeté ces demandes au motif que les filiales intermédiaires n’étaient pas établies aux Pays-Bas. Le Rechtbank Haarlem (Pays‑Bas), saisi par les sociétés, a considéré que cette décision enfreignait la liberté d’établissement. C’est contre ce jugement que le fisc néerlandais s’est tourné vers le Gerechtshof te Amsterdam.

B – Affaire C‑40/13

11.

Dans le litige au principal dans l’affaire C‑40/13, trois sociétés sœurs établies aux Pays-Bas, détenues directement ou indirectement par une société mère établie en Allemagne et ne disposant pas d’un établissement stable aux Pays‑Bas, ont demandé à pouvoir former une entité fiscale. La demande pertinente pour la procédure devant la Cour ne vise à obtenir que l’inclusion de ces filiales dans l’entité fiscale.

12.

Dans ce cas également, le fisc néerlandais a rejeté la demande. Le fisc motive cette décision par le fait que la société mère des sociétés qui ont déposé la demande n’est pas établie aux Pays-Bas. Le Rechtbank Haarlem a, en l’espèce, rejeté la demande des sociétés comme étant non fondée. Lesdites sociétés ont interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof te Amsterdam.

IV – La procédure devant la Cour

13.

Le Gerechtshof te Amsterdam, saisi du litige au principal, a déféré trois questions préjudicielles à la Cour, conformément à l’article 267 TFUE. Ces questions se superposent en grande partie et peuvent être résumées comme suit:

«1)

Le fait de refuser à un contribuable le bénéfice du régime néerlandais de l’entité fiscale pour les activités et le patrimoine de sociétés établies aux Pays-Bas, qui sont ses (sous-)sous filiales (affaires C‑39/13 et C‑41/13) ou des sociétés sœurs (affaire C‑40/13), comporte-t-il une entrave à la liberté d’établissement au sens de l’article 43 CE lu en combinaison avec l’article 48 CE?

Eu égard aux objectifs que poursuit le régime néerlandais de l’entité fiscale, la situation des (sous-)sous-filiales ou des sociétés sœurs est-elle, dans ce contexte, objectivement comparable

(affaires C‑39/13 et C‑41/13)

a)

à la situation de sociétés établies aux Pays-Bas qui sont les (sous‑filiales d’une société holding intermédiaire établie aux Pays-Bas qui n’a pas choisi d’être intégrée dans une entité fiscale avec sa société mère établie aux Pays-Bas et qui, en tant que sociétés sous-filiales, n’ont donc pas davantage que les (sous-)sous-filiales du litige au principal accès au régime d’une entité fiscale où elles seraient intégrées avec leur société (grand-)mère (uniquement); ou bien

b)

à la situation de sous-filiales établies aux Pays-Bas qui ont choisi avec leur société holding mère établie aux Pays-Bas et leur société intermédiaire de constituer une entité fiscale avec leur société grand‑mère établie aux Pays-Bas et dont les activités et le patrimoine sont dès lors consolidés fiscalement alors que ceux des (sous‑sous‑filiales du litige au principal ne le sont pas,

(affaire C‑40/13)

a)

à la situation de sociétés sœurs établies aux Pays-Bas qui n’ont pas choisi d’être intégrées dans une entité fiscale avec leur société mère commune établie aux Pays-Bas et qui ensemble, en tant que sociétés sœurs, n’ont donc pas davantage que les sociétés sœurs du litige au principal accès au régime de l’entité fiscale; ou bien

b)

à la situation de sociétés sœurs établies aux Pays-Bas qui ont choisi, avec leur société mère commune établie aux Pays-Bas, de constituer une entité fiscale avec leur société mère et dont les activités et le patrimoine sont dès lors consolidés fiscalement, alors que ceux des sociétés sœurs du litige au principal ne le sont pas?

2)

Le fait que

(affaire C‑39/13)

 

les (sous-)sous-filiales soient détenues par une seule société holding intermédiaire (située à un niveau plus élevé de la structure du groupe et) établie dans l’autre État membre ou qu’elles le soient, comme les (sous‑sous-filiales du litige au principal, par deux (ou plusieurs) sociétés holding intermédiaires, certes établies dans l’autre État membre, (qui se situent à un ou plusieurs niveaux plus élevés de la structure du groupe)

(affaire C‑41/13)

 

dans l’hypothèse où elle n’opérerait pas aux Pays-Bas par le truchement d’une filiale, mais par le truchement d’un établissement stable, la société holding intermédiaire étrangère aurait pu, en ce qui concerne le patrimoine et les activités de l’établissement stable néerlandais, choisir de constituer une entité fiscale avec sa société mère établie aux Pays-Bas

(affaire C‑40/13)

 

les sociétés sœurs aient une société mère (directe) commune dans l’autre État membre ou des sociétés mères (directes) différentes dans l’autre État membre, de sorte qu’il n’existe une société mère (indirecte) commune de ces différentes sociétés qu’à un niveau supérieur de la structure du groupe, niveau certes situé à l’intérieur de l’autre État membre

a-t-il une incidence sur la réponse à donner à la première question, première phrase?

3)

En cas de réponse affirmative à la première question, première phrase, l’entrave à la liberté d’établissement peut-elle être justifiée par des motifs impérieux d’intérêt général, et plus particulièrement par la nécessité de maintenir la cohérence fiscale, y compris la nécessité de prévenir les doubles prises en considération, unilatérales et bilatérales, des pertes?

4)

En cas de réponse affirmative à la troisième question, la restriction de la liberté d’établissement doit-elle être considérée comme proportionnée?»

14.

Dans la procédure devant la Cour, les requérantes au principal, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas et la Commission européenne ont déposé des observations écrites. En plus de ces derniers, la République française a également participé à l’audience.

V – Appréciation en droit

15.

Les questions préjudicielles, complexes, concernent deux situations juridiques assez claires. Dans les affaires C‑39/13 et C‑41/13, ce dont il s’agit, c’est d’une structure de groupe dans laquelle les filiales intermédiaires ne sont pas établies sur le territoire national mais bien dans un autre État membre. Dans l’affaire C‑40/13, c’est par contre la société mère qui a son siège dans un autre État membre.

16.

Ce que souhaite, en substance, déterminer le juge de renvoi par ses questions, c’est si le droit néerlandais, qui, dans les deux cas, s’oppose à la constitution d’une entité fiscale, que ce soit entre la société mère néerlandaise et ses sous-filiales néerlandaises ou entre les filiales néerlandaises, est contraire à la liberté d’établissement. La question de savoir à cet égard si c’est uniquement l’article 43 CE, lu en combinaison avec l’article 48 CE, cités par le juge de renvoi, ou également l’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, qui s’appliquent ratione temporis peut être laissée de côté, étant donné l’identité de contenu de ces dispositions.

17.

Avant d’étudier séparément les deux types de structures de groupe, il convient d’établir préalablement que la liberté d’établissement est la liberté fondamentale applicable dans la présente affaire parce que le régime néerlandais, en raison de son exigence d’une participation de 95 %, n’a vocation à s’appliquer qu’aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci ( 4 ).

A – Entité fiscale constituée d’une société mère et de sous-filiales (affaires C‑39/13 et C‑41/13)

18.

Ce qu’il convient d’examiner, dans les affaires C‑39/13 et C‑41/13, c’est la question de savoir si la liberté d’établissement doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à la réglementation néerlandaise en vertu de laquelle une société mère et des sous-filiales établies aux Pays-Bas ne peuvent être intégrées à une entité fiscale que si la filiale intermédiaire est également établie aux Pays-Bas ou, à tout le moins, si elle y dispose d’un établissement stable. Tel serait le cas si ladite réglementation représentait une restriction injustifiée à la liberté d’établissement.

19.

À cet égard, il convient d’examiner deux restrictions possibles différentes à la liberté d’établissement. En effet, ce sont tant la liberté d’établissement de la société mère (voir ci-après, sous 1) que celle de la filiale étrangère intermédiaire (voir ci-après, sous 2) qui peuvent être en cause en l’espèce.

1. Restriction à la liberté d’établissement de la société mère

20.

Conformément à l’article 43 CE, lu en combinaison avec l’article 48 CE, ou à l’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, la liberté d’établissement comprend, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union européenne, le droit d’exercer leur activité dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une filiale ( 5 ).

21.

Selon une jurisprudence constante, doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté ( 6 ). Il est, de même, de jurisprudence constante que la liberté d’établissement ne vise pas seulement à cet égard à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, mais s’oppose également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre d’une société constituée en conformité avec sa législation ( 7 ). En matière fiscale, la Cour a considéré qu’il y avait pareille restriction en cas d’inégalité de traitement désavantageuse de la société qui s’établit dans un autre État membre par comparaison avec celle qui s’établit simplement sur le territoire national ( 8 ).

a) Inégalité de traitement désavantageuse

22.

Il convient dès lors d’examiner tout d’abord la question de savoir si une société mère néerlandaise dont les Pays-Bas sont l’État membre d’origine, qui s’établit dans un autre État membre au moyen d’une filiale, sera moins bien traitée, du fait de la réglementation sur l’entité fiscale, qu’une société mère ayant une filiale nationale.

23.

Le juge de renvoi pose dans ce contexte la question supplémentaire de savoir quelles sont en l’espèce les situations qui doivent être comparées. Dans une situation transfrontalière, ce dont il s’agit, c’est de la constitution d’une entité fiscale avec les sous-filiales sans que la filiale étrangère y soit intégrée. Si l’on compare cette situation avec une situation purement domestique dans laquelle la filiale ne serait pas intégrée dans une entité fiscale, il ne peut exister d’inégalité de traitement, puisqu’une société mère néerlandaise ne pourrait former isolément une entité fiscale avec ses sous-filiales. Il en va autrement par contre si l’on compare la situation transfrontalière avec une situation purement interne dans laquelle la filiale serait intégrée dans une entité fiscale.

24.

Dans ce contexte, la République fédérale d’Allemagne aussi bien que le Royaume des Pays-Bas contestent l’existence d’une inégalité de traitement entre établissements domestiques et établissements étrangers parce qu’en vertu de la réglementation néerlandaise nul ne peut constituer une entité fiscale avec des sous-filiales sans y intégrer la filiale intermédiaire.

25.

Un élément déterminant, toutefois, est qu’en vertu de la réglementation néerlandaise une société mère ayant une filiale étrangère n’a absolument aucune possibilité de constituer une entité fiscale avec ses sous-filiales parce que les filiales étrangères ne peuvent pas faire partie de cette entité fiscale. Cette possibilité est par contre ouverte à une société mère qui dispose d’une filiale nationale. Ces différences de possibilités ont déjà été jugées déterminantes par la Cour dans son arrêt Papillon ( 9 ). Elles représentent une inégalité de traitement désavantageuse de la société mère qui fait usage de sa liberté d’établissement en créant une filiale dans un autre État membre.

26.

À l’encontre de cette considération, le Royaume des Pays-Bas a toutefois fait valoir que le désavantage que représente l’absence de possibilité de constituer une entité fiscale avec les sous-filiales néerlandaises ne serait, dans le système de la réglementation néerlandaise, que la simple conséquence du fait que l’intégration d’une filiale intermédiaire étrangère n’est pas autorisée. Or, cette exclusion des filiales étrangères intermédiaires est compatible avec la liberté d’établissement, comme l’a déjà établi la Cour dans son arrêt X Holding ( 10 ).

27.

Nous pouvons faire nôtre ce point de vue, mais seulement dans la mesure où la réglementation néerlandaise apparaît ne pas contenir de disposition qui prévoit explicitement que la société mère nationale ne peut former une entité fiscale avec ses sous-filiales nationales si la filiale intermédiaire est établie à l’étranger. Le désavantage découle en fait simplement du fait que la réglementation néerlandaise ne permet pas de constituer une entité fiscale qui ne se compose que de la société mère et de ses sous-filiales, tout en s’opposant, en même temps, à la constitution d’une entité fiscale par une société mère nationale avec une filiale étrangère.

28.

Au regard de l’arrêt X Holding, précité, il convient toutefois d’établir une distinction entre différents désavantages qui résultent de l’exclusion des sociétés étrangères ( 11 ). Cette exclusion n’a en effet pas seulement pour conséquence qu’une filiale étrangère ne peut participer à l’entité fiscale. Une autre conséquence de cette exclusion est que les sous-filiales nationales se voient elles aussi refuser la participation à une entité fiscale. Or la question examinée dans l’arrêt X Holding, précité, était celle de savoir si le désavantage découlant de l’impossibilité pour les filiales établies à l’étranger de participer à une entité fiscale était critiquable en tant que tel. La question de savoir si les conséquences supplémentaires de l’exclusion sont également compatibles avec la liberté d’établissement n’a par contre pas été abordée dans cet arrêt, et notamment le désavantage qui se présente en l’espèce de ne pas pouvoir inclure les sous-filiales nationales dans une entité fiscale.

29.

Il convient dès lors de constater l’inégalité de traitement désavantageuse d’une société mère nationale qui dispose d’une filiale établie dans un autre État membre par rapport à une société mère nationale dont la filiale est une filiale nationale, dans la mesure où la première société mère, au motif de l’impossibilité d’intégrer la filiale étrangère dans une entité fiscale, se voit également refuser l’intégration dans cette entité fiscale de ses sous-filiales nationales.

30.

Ce désavantage, la société mère nationale y est au reste confrontée de la même manière lorsque, comme l’évoque le juge de renvoi dans sa deuxième question préjudicielle dans l’affaire C‑39/13, sont en cause des sous-sous-filiales nationales dont l’intégration dans l’entité fiscale d’une société mère nationale n’est pas possible parce que tant la filiale intermédiaire que la sous-filiale intermédiaire sont établies dans un autre État membre.

b) Comparabilité objective des situations

31.

Il n’y a toutefois restriction à la liberté d’établissement sur la base de cette inégalité de traitement désavantageuse que si les situations traitées de façon inégale sont aussi objectivement comparables entre elles ( 12 ).

32.

L’on ne voit certes pas encore clairement ce que la Cour entend réellement vérifier à cet égard ( 13 ). Néanmoins, si l’on en juge par les arrêts précités X Holding et Papillon, il convient cependant de répondre en tout état de cause par l’affirmative à la question de la comparabilité des situations de la présente affaire.

33.

Car dans l’arrêt X Holding, précité, qui concernait également le régime néerlandais de l’entité fiscale, la Cour a considéré comme suffisant le fait que dans chacune des deux situations la société mère souhaite bénéficier des avantages dudit régime ( 14 ), ce qui est également le cas dans la présente affaire.

34.

Dans son arrêt Papillon, précité, la Cour s’est par contre arrêtée sur le but à atteindre poursuivi par l’imposition française des groupes de sociétés, à savoir, dans une large mesure, traiter fiscalement un groupe de sociétés comme s’il était une seule et même entreprise. Cet objectif, que poursuit également le régime néerlandais qui fait l’objet de la présente affaire ( 15 ), peut, selon la Cour, tout aussi bien être atteint lorsque seules la société mère et les sous-filiales sont établies sur le territoire national ( 16 ).

35.

La situation d’une société mère qui dispose de sous-filiales nationales et d’une filiale intermédiaire établie à l’étranger est par conséquent objectivement comparable à la situation d’une telle société mère nationale dont la filiale est établie sur le territoire national.

c) Conclusion intermédiaire

36.

Dès lors, la liberté d’établissement d’une société mère néerlandaise dont la filiale est établie dans un autre État membre est restreinte par le fait que la réglementation néerlandaise l’empêche de former une entité fiscale avec ses sous‑filiales néerlandaises.

2. Restriction à la liberté d’établissement de la filiale

37.

C’est en outre à bon droit que SCA Group Holding BV a fait valoir que la liberté d’établissement de sa filiale intermédiaire allemande est susceptible de faire l’objet d’une restriction du fait du régime néerlandais.

38.

Car conformément à l’article 43, paragraphe 1, deuxième phrase, CE, et à l’article 49, paragraphe 1, deuxième phrase, TFUE, la liberté d’établissement garantit également le droit de choisir librement la forme juridique appropriée pour l’exercice d’une activité dans un autre État membre ( 17 ). Les sociétés doivent en particulier pouvoir exercer leurs activités dans l’État membre d’accueil au moyen d’une succursale, dans les mêmes conditions qu’au moyen d’une filiale ( 18 ).

39.

Ce droit est toutefois mis en cause par la réglementation néerlandaise sur la liberté d’établissement. Car si les filiales étrangères avaient exercé en l’espèce leur liberté d’établissement aux Pays-Bas au moyen de succursales, ces succursales auraient en principe pu, en tant qu’établissements stables d’une filiale étrangère, être intégrées dans une entité fiscale avec la société mère néerlandaise, conformément à l’article 15, paragraphe 4, de la loi sur l’impôt des sociétés. C’est à cette situation que se réfère aussi explicitement le juge de renvoi dans sa deuxième question dans l’affaire C‑41/13.

40.

L’exercice de sa liberté d’établissement aux Pays-Bas par la filiale étrangère au moyen de la création d’une propre filiale est ainsi désavantagé par rapport à l’exercice de cette liberté au moyen d’une succursale, parce que la filiale étrangère ne peut, dans le premier cas, bénéficier de l’avantage qui découle de la succursale, qui est que ses propres filiales pourront, en tant que sous-filiales, former une entité fiscale avec sa société mère. De ce fait, le libre choix de la forme juridique de l’établissement de la filiale étrangère aux Pays-Bas est restreint.

41.

En outre, la Cour a déjà établi, dans son arrêt Philips Electronics, précité, que la situation d’une société non -résidente disposant seulement d’un établissement stable sur le territoire national et celle d’une filiale qui y est fondée sont objectivement comparables au regard de la possibilité de bénéficier d’un dégrèvement de groupe des pertes ( 19 ). L’on ne voit pas de raison pour laquelle il en irait autrement dans le cas de l’entité fiscale néerlandaise, qui a notamment pour fonction de permettre le transfert intragroupe des pertes.

42.

Le régime néerlandais, en ne permettant pas la constitution d’une entité fiscale entre une société mère néerlandaise et une sous-filiale néerlandaise, restreint par conséquent aussi la liberté d’établissement de la filiale intermédiaire établie dans un autre État membre.

3. Justification

43.

Cette restriction à la liberté d’établissement tant de la société mère nationale que de la filiale étrangère intermédiaire pourrait cependant être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général.

44.

La Cour a encore considéré, dans son arrêt X Holding, précité, que l’exclusion des filiales étrangères du régime de l’entité fiscale néerlandais se justifie par la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres ( 20 ).

45.

Dans la présente affaire, ce motif de justification ne peut cependant pas être invoqué. En effet, l’entité fiscale ne serait formée que de contribuables soumis à l’impôt néerlandais. La souveraineté fiscale du Royaume des Pays-Bas ne pourrait donc pas être affectée par la prise en compte d’éléments de fait étrangers qui ne seraient pas soumis à cette souveraineté fiscale.

46.

Par chacune des troisièmes questions préjudicielles, le juge de renvoi souhaite déterminer si les restrictions désormais établies à la liberté d’établissement pourraient être justifiées par la nécessité de maintenir la cohérence fiscale, y compris la nécessité de prévenir les doubles prises en considération, unilatérales et bilatérales, des pertes. En effet, le fisc néerlandais a fait valoir dans le cadre du litige au principal que permettre la constitution d’une entité fiscale n’unissant que la société mère nationale et les sous-filiales nationales d’un groupe ferait courir le risque d’une double prise en compte des pertes tant au niveau national que dans deux États membres différents.

a) Double prise en compte des pertes

47.

Il convient tout d’abord de constater, à propos de la recherche d’une justification au travers de l’objectif de la prévention de la double prise en compte des pertes, qu’un tel motif de justification n’existe pas en tant que motif de justification autonome, comme nous l’avons déjà exposé à une autre occasion ( 21 ). Invoquer ce seul objectif ne permet donc pas de justifier une restriction à la liberté d’établissement.

48.

Cette constatation s’impose indépendamment de la question de savoir s’il s’agit de prévenir la prise en compte unilatérale ou bilatérale des pertes.

49.

Dans le cas de la prise en compte unilatérale, l’État membre veut, dans le cadre de son propre système fiscal, exclure une double prise en compte des pertes. Dans ce cas, toutefois, c’est à l’État membre lui‑même, qui peut librement donner forme à son système fiscal, qu’il appartient d’éviter une telle situation, en adoptant le cas échéant des dispositions spéciales destinées à prévenir cette double prise en compte des pertes.

50.

Dans le cas de la prise en compte bilatérale, ce que veut par contre éviter l’État membre, c’est qu’une perte soit prise en compte tant dans le cadre de son propre système fiscal que dans le cadre du système fiscal d’un autre État membre, sur la base des dispositions de cet autre système fiscal. La Cour a toutefois déjà considéré, dans son arrêt Philips Electronics, précité, que le seul objectif d’éviter une double prise en compte des pertes dans deux États membres différents ne peut être considéré comme un motif de justification autonome ( 22 ). Au reste, c’est le revers de la médaille. Si l’on admet d’un côté que l’État membre d’origine n’est pas tenu d’aligner ses règles fiscales sur celles d’un autre État membre pour éviter dans toutes les situations une inégalité de traitement des établissements transfrontaliers ( 23 ), ce même État membre ne peut pas non plus, d’un autre côté, invoquer les règles fiscales d’un autre État membre pour justifier une inégalité de traitement.

51.

Néanmoins, même si l’objectif de la prévention d’une double prise en compte des pertes ne peut donc pas en tant que tel justifier a priori un régime fiscal national restrictif, nous examinerons également ci-après sur le fond les possibilités concrètes d’une double prise en compte des pertes dans la présente affaire, puisque les parties ont eu d’importants échanges sur cette question.

52.

Le Royaume des Pays-Bas a tout d’abord fait valoir que le risque d’une double prise en compte bilatérale des pertes naît du fait qu’en cas de pertes subies par une sous-filiale néerlandaise, cette perte pourrait être prise en compte tant dans le chef de la société mère néerlandaise, dans le cadre de l’entité fiscale, que dans le chef de la filiale intermédiaire étrangère, et cela sur la base de réductions de valeur, entraînées par les pertes, eu égard à la participation dans la sous-filiale, ou sur la base d’une créance à l’égard d’elle. Dans le cadre d’une entité fiscale qui engloberait la filiale, aucune transaction de ce genre ne serait prise en compte.

53.

L’on peut tout d’abord se demander s’il s’agit tout simplement de la même perte. La Cour semble à cet égard avoir défendu tant l’une que l’autre position, dans différents arrêts, en ce qui concerne les réductions de valeur sur une participation ( 24 ).

54.

Néanmoins, en tout état de cause, une éventuelle possibilité d’une double prise en compte des pertes ne permet pas de justifier la restriction en cause ne serait-ce que parce que l’interdiction de former une entité fiscale composée d’une société mère néerlandaise et de sa sous-filiale n’est certainement pas le moyen approprié d’éviter cette situation. C’est en effet à bon droit que MSA International Holding BV a fait valoir à cet égard qu’empêcher la constitution d’une entité fiscale ne permet pas d’éviter que la perte de la sous-filiale aux Pays-Bas puisse être utilisée néanmoins, par exemple au moyen d’un report de la perte, et que, dans le même temps, la réduction de valeur des actifs de la filiale étrangère intermédiaire subsiste.

55.

Le fisc néerlandais a par ailleurs fait valoir, dans le litige au principal, qu’une double prise en compte des pertes pourrait intervenir également au sein des Pays-Bas et qu’elle doit être évitée. En effet, dans ce cas également, une perte subie par la sous-filiale pourrait entraîner dans le chef de la société mère néerlandaise, par le biais d’une dégradation, liée à cette perte, de la situation des actifs de la filiale étrangère, une réduction de valeur des créances vis-à-vis de la filiale étrangère ou une perte en cas de liquidation de ladite filiale. Une telle situation serait par contre exclue si la filiale faisait partie de l’entité fiscale.

56.

Néanmoins, dans ce cas également, empêcher la constitution d’une entité fiscale formée de la société mère et de la sous-filiale n’est un moyen ni approprié ni nécessaire pour atteindre l’objectif de la prévention de la double prise en compte des pertes aux Pays-Bas. Une perte qui doit éventuellement être considérée comme identique pourrait, même sans l’existence d’une entité fiscale, être prise en compte deux fois sinon dans le chef d’un seul contribuable, à tout le moins en étant répartie entre la société mère et la sous-filiale. Au demeurant, c’est au législateur néerlandais qu’il incombe d’empêcher cette double prise en compte des pertes aux Pays-Bas. Le Rechtbank Haarlem, en tant que juge de première instance dans le litige au principal, a déjà noté que la réglementation sur l’entité fiscale contenait déjà des dispositions applicables à la situation d’une filiale intermédiaire étrangère disposant d’un établissement stable national.

57.

L’on peut constater, en conclusion, que la restriction qui fait l’objet de la présente affaire ne peut aucunement être justifiée par la nécessité de prévenir la double prise en compte des pertes, qu’elle soit bilatérale ou unilatérale.

b) Cohérence du système fiscal national

58.

Selon une jurisprudence constante, une restriction à la liberté d’établissement peut également être justifiée par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal. À cet effet, il est nécessaire que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’octroi de l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé ( 25 ). Dans pareil cas de figure, le bénéficiaire de la liberté fondamentale peut se voir refuser l’avantage fiscal parce qu’il n’est pas soumis à la charge fiscale directement liée à cet avantage. Le caractère direct de ce lien doit par ailleurs être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation en cause ( 26 ).

59.

Dans la présente affaire, la question qui se pose est dès lors de savoir si le refus de la constitution d’une entité fiscale composée de la société mère néerlandaise et de ses sous-filiales néerlandaises peut être justifié par le fait que la société mère se voit épargner une charge fiscale qui y est directement liée.

60.

La Cour a certes admis en principe, dans son arrêt Papillon, précité, eu égard au régime français de l’«intégration fiscale», qu’il existe un lien direct entre la possibilité de transférer les pertes entre les sociétés participantes et la neutralisation de certaines opérations entre ces mêmes sociétés, et qu’est ainsi évitée une double prise en compte des pertes ( 27 ). De ce fait, le refus de l’«intégration fiscale» de la société mère et de la sous-filiale nationales, lorsque la filiale intermédiaire est une société étrangère, pourrait en principe être justifié par la nécessité de préserver la cohérence du régime national.

61.

L’on pourrait considérer qu’il doit en aller de même pour le régime néerlandais de l’entité fiscale, puisque le fait de traiter les sociétés participantes comme une seule société a pour conséquence tant la possibilité pour l’ensemble du groupe d’utiliser la perte de l’une des sociétés que la neutralisation complète, du point de vue fiscal, des transactions entre toutes les sociétés qui composent l’entité fiscale. Pareille neutralisation n’interviendrait toutefois, dans le cas d’une entité fiscale, qu’entre la société mère et la sous-filiale nationale, et non pas entre la société mère nationale et la filiale étrangère, en sorte que ladite société mère pourrait dans cette mesure se voir épargner le désavantage lié à l’entité fiscale.

62.

L’on peut cependant douter qu’il puisse être réellement question, dans la présente affaire, eu égard à la neutralisation des transactions entre la société mère nationale et la filiale étrangère, d’une charge fiscale, au sens de la cohérence fiscale, qui représente la compensation de l’avantage fiscal que constitue la possibilité d’utiliser une perte à l’échelle du groupe. Car la neutralisation intégrale de ces transactions dans le système néerlandais de l’entité fiscale peut être tout aussi bien une charge qu’un avantage, selon que, à l’égard de la filiale, c’est une perte ou un bénéfice qui naîtrait de cette transaction à défaut de neutralisation. La non-intégration de la filiale étrangère intermédiaire dans l’entité fiscale n’épargne donc pas nécessairement une charge fiscale à la société mère.

63.

Quoi qu’il en soit, la Cour a considéré dans son arrêt Papillon, précité, eu égard à la restriction à la liberté d’établissement d’une société mère, qu’il faut encore que la cohérence fiscale ne puisse pas être préservée par des mesures moins restrictives de la liberté d’établissement ( 28 ). Or, le régime néerlandais offre aussi les avantages de l’entité fiscale à une société étrangère qui dispose d’un établissement stable sur le territoire national. Le régime néerlandais corrige de cette façon l’absence de neutralisation fiscale entre la société mère nationale et la filiale étrangère par les dispositions de la réglementation sur l’entité fiscale. Si le système d’imposition néerlandais permettait ainsi la constitution d’une entité fiscale, même si une neutralisation fiscale n’intervenait pas automatiquement entre la société mère et la filiale du fait de l’intégration de cette dernière dans l’entité fiscale, mais que cette neutralisation résultait de corrections a posteriori, la préservation de la cohérence fiscale serait assurée par une mesure moins restrictive. Comme l’a déjà constaté le Rechtbank Haarlem en tant que juge de première instance dans le litige au principal, l’on pourrait, afin de prévenir d’éventuelles incohérences du système fiscal néerlandais, traiter les sous-filiales comme des établissements stables des filiales étrangères intermédiaires.

64.

L’inégalité de traitement entre les filiales nationales de sociétés étrangères et leurs établissements stables nationaux, qui restreint la liberté d’établissement de la filiale étrangère intermédiaire, ne peut donc pas davantage être justifié par la nécessité de préserver la cohérence fiscale. Dans ses réponses aux questions posées lors de l’audience, le Royaume des Pays-Bas n’a pas non plus pu expliquer pourquoi les deux formes d’établissement devaient, dans le système d’imposition néerlandais, être traitées différemment du point de vue de la constitution d’une entité fiscale.

65.

N’est pas non plus convaincant l’argument des États membres parties qui, s’opposant à une référence à l’arrêt Papillon, précité, font valoir que l’entité fiscale néerlandaise devrait, par son fonctionnement, être distinguée de l’«intégration fiscale» française qui faisait l’objet de l’arrêt en question. C’est certes à bon droit que le gouvernement néerlandais a fait valoir lors de l’audience que la différence essentielle réside en ce que, dans le système français, chaque société établit son propre résultat et ne s’octroie qu’ensuite les effets de l’«intégration fiscale» sous la forme de transferts de pertes et de la neutralisation fiscale de chacune des transactions, alors que dans le système néerlandais, ce résultat est atteint en traitant les sociétés du groupe comme un seul contribuable. Le gouvernement néerlandais n’a cependant jamais fait valoir en quoi cette distinction devrait entraîner une appréciation différente de la justification de la restriction à la liberté de circulation, et l’on ne voit au demeurant pas comment il pourrait en être ainsi.

66.

De ce fait, ni la restriction à la liberté d’établissement de la société mère ni la restriction à celle de la filiale ne peuvent être justifiées par la préservation de la cohérence fiscale.

4. Conclusion dans les affaires C‑39/13 et C‑41/13

67.

Il convient en conclusion de constater, en ce qui concerne les affaires C‑39/13 et C‑41/13, que le régime néerlandais, en vertu duquel la société mère et la sous-filiale établies aux Pays-Bas ne peuvent former une entité fiscale que si la filiale intermédiaire est également établie aux Pays-Bas ou, à tout le moins, y dispose d’un établissement stable, est contraire à la liberté d’établissement.

B – Entité fiscale composée de sociétés sœurs (affaire C‑40/13)

68.

Dans le cadre de l’affaire C‑40/13, il convient maintenant d’examiner si la liberté d’établissement s’oppose également au régime néerlandais dans la mesure où, conformément à ce régime, des sociétés sœurs établies aux Pays-Bas ne peuvent former une entité fiscale que si la société mère est également établie aux Pays-Bas ou, à tout le moins, y dispose d’un établissement stable.

1. Restriction à la liberté d’établissement de la société mère

69.

La société mère établie dans un autre État membre pourrait voir sa liberté d’établissement restreinte du fait de ce régime néerlandais de l’entité fiscale.

70.

La liberté d’établissement interdit une différence de traitement fiscal dans l’État membre d’accueil entre les sociétés étrangères au territoire et les sociétés établies sur ce territoire dès lors que ces sociétés se trouvent dans une situation objectivement comparable eu égard à la mesure nationale en cause ( 29 ).

71.

Il convient dès lors d’établir tout d’abord l’inégalité de traitement de la société mère étrangère à l’égard de la société mère nationale.

72.

La République fédérale d’Allemagne et le Royaume des Pays‑Bas contestent l’inégalité de traitement, parce que conformément au régime néerlandais, nul ne peut constituer une entité fiscale sans la société mère.

73.

Dans ce cas encore, il convient toutefois de constater ( 30 ) que l’inégalité de traitement consiste en ce que la société mère étrangère, au contraire de la société mère nationale, n’a pas la possibilité de former une entité fiscale avec ses filiales. Il s’agit là de la conséquence de l’absence de possibilité, dans le régime néerlandais, d’intégrer des sociétés étrangères dans une entité fiscale. Cette impossibilité d’intégrer ces sociétés fait naître pour l’entité étrangère un désavantage, dans la mesure où elle ne peut pas bénéficier de la possibilité qu’au moins ses filiales néerlandaises soient regroupées en une entité fiscale unique. Il y a donc bien inégalité de traitement de la société mère étrangère.

74.

En outre, les sociétés mères nationales et étrangères doivent également se trouver dans une situation objectivement comparable eu égard au régime de l’entité fiscale.

75.

Une fois encore, si l’on se réfère à l’examen approprié auquel procède la Cour dans son arrêt Papillon, précité ( 31 ), l’on ne peut que constater ici que l’objectif du régime néerlandais de l’entité fiscale, qui est de traiter un groupe comme une seule société, peut également être en partie atteint, dans le cas d’une société mère étrangère, en ne permettant qu’aux seules filiales établies aux Pays‑Bas de faire l’objet d’une consolidation.

76.

La République fédérale d’Allemagne a cependant fait valoir plus particulièrement, à l’encontre de cette conception, que selon le régime néerlandais une consolidation au niveau de la filiale ne serait pas du tout possible, puisque cette consolidation doit se faire au niveau de la société mère. L’entité fiscale repose en outre sur l’idée que la société mère dirige ses filiales. Or, un tel rapport de subordination n’existe pas entre les filiales.

77.

Comme l’a déjà indiqué à bon droit la Commission lors de l’audience, la question de savoir dans le chef de quelle société de l’entité fiscale se fera la consolidation est une question de nature purement technique, dépourvue de pertinence s’agissant d’atteindre l’objectif du régime. Dès lors qu’il est en principe possible pour l’entité fiscale de sortir ses effets entre les filiales, la question de savoir à quelle société le résultat sera imputé en tant que contribuable est d’une importance secondaire.

78.

L’argumentation de la République fédérale d’Allemagne méconnaît en outre le fait qu’il existe une relation de subordination entre une société mère étrangère et ses filiales nationales. En d’autres termes, ce n’est en l’espèce pas de façon arbitraire que des sociétés nationales formeraient ensemble une entité fiscale. La consolidation en cause est au contraire justement une consolidation entre filiales dirigées par une même société mère. La seule différence dans les situations à comparer en l’espèce consiste en ce que cette société est établie dans un autre État membre et qu’elle ne peut de ce fait être intégrée dans l’entité fiscale.

79.

L’existence d’une restriction à la liberté d’établissement du fait du refus de la constitution d’une entité fiscale formée de sociétés sœurs n’est pas non plus ébranlée par le fait, qu’ajoute le juge de renvoi dans sa deuxième question, que la société mère commune des filiales à consolider ne peut être trouvée qu’à un niveau plus élevé de la structure du groupe, dès lors que les sociétés intermédiaires, du fait qu’elles sont établies dans un autre État membre, ne peuvent pas elles-mêmes faire partie de l’entité fiscale.

80.

Il convient donc de constater que le régime néerlandais en vertu duquel des sociétés sœurs établies aux Pays-Bas ne peuvent former ensemble une entité fiscale que si la société mère est également établie aux Pays-Bas ou y dispose à tout le moins d’un établissement stable représente une restriction à la liberté d’établissement de la société mère étrangère.

2. Justification

81.

L’on ne voit pas bien ce qui pourrait justifier pareille restriction à la liberté d’établissement. Tous les points de vue ont à cet égard déjà été examinés en substance dans le cadre des affaires C‑39/13 et C‑41/13 ( 32 ).

82.

Dans le cas d’une entité fiscale formée des filiales nationales d’une société mère étrangère, la préservation de la répartition des compétences fiscales entre les États membres n’est pas davantage en cause, puisque ce qui l’est, c’est uniquement la consolidation des sociétés nationales.

83.

La nécessité d’éviter la double prise en compte des pertes dans le chef de la filiale nationale et de la société mère étrangère ne peut pas être admise en tant que motif de justification autonome, pas plus que cet objectif ne pourrait être atteint par l’interdiction de constituer une entité fiscale formée de filiales.

84.

Dans le cas de la constitution d’une entité fiscale formée des filiales nationales d’une société mère étrangère, la préservation de la cohérence fiscale ne peut pas non plus prospérer, et à plus forte raison, comme motif de justification. Contrairement à ce qui est le cas s’agissant de la constitution d’une entité fiscale formée de la société mère et des sous-filiales nationales, l’on ne peut en effet identifier dans l’entité fiscale aucune transaction qui nécessite une neutralisation fiscale.

85.

Pour ce qui est du risque de fraude fiscale que le Royaume des Pays-Bas voit en outre dans le fait qu’un transfert d’actifs entre les filiales, effectué à un prix qui ne correspond pas au prix normal du marché mais qui serait fiscalement neutre au titre de l’entité fiscale, pourrait entraîner une réduction de valeur, avec des effets fiscaux, d’une créance de la société mère étrangère sur une société sœur nationale, il convient de noter à ce propos que seul l’État du siège de la société mère étrangère serait appelé à lutter contre cette fraude.

86.

Au reste, admettre l’existence d’une restriction prohibée à la liberté d’établissement n’a pas pour résultat que le Royaume des Pays-Bas devrait introduire un droit spécial pour les groupes avec une participation étrangère comme le prétend la République fédérale d’Allemagne. En effet, la consolidation des sociétés sœurs nationales dans le cadre de l’entité fiscale est prévue aussi pour les groupes ayant une société mère nationale. Dans le cas d’une société mère étrangère, la liberté d’établissement offre seulement la garantie que la société mère étrangère se verra accorder le bénéfice du régime fiscal néerlandais à tout le moins en ce qui concerne les sociétés sœurs néerlandaises même si elle ne peut pas elle-même faire partie de l’entité fiscale.

3. Conclusion dans l’affaire C‑40/13

87.

Il convient en conclusion de constater, en ce qui concerne l’affaire C‑40/13, que le régime néerlandais, en vertu duquel des sociétés sœurs établies aux Pays‑Bas ne peuvent former ensemble une entité fiscale que si la société mère est également établie aux Pays-Bas ou, à tout le moins, y dispose d’un établissement stable, est contraire à la liberté d’établissement.

VI – Conclusion

88.

Il découle de ce qui précède qu’il convient de répondre aux questions préjudicielles en ce sens que:

L’article 43 CE, lu en combinaison avec l’article 48 CE, et l’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime national tel que celui en cause au principal qui, dans le cadre de l’imposition des bénéfices des sociétés:

n’offre aux sociétés mères nationales la possibilité de constituer une entité fiscale avec ses sous-filiales nationales que si la filiale intermédiaire est également établie sur le territoire national ou si, bien qu’établie dans un autre État membre, elle dispose d’un établissement stable sur le territoire national;

n’offre aux filiales nationales la possibilité de constituer entre elles une entité fiscale que si leur société mère est également établie sur le territoire national ou si, bien qu’établie dans un autre État membre, elle dispose d’un établissement stable sur le territoire national.


( 1 ) Langue originale: l’allemand.

( 2 ) Arrêt du 27 novembre 2008 (C-418/07, Rec. p. I-8947).

( 3 ) Arrêt du 25 février 2010 (C-337/08, Rec. p. I-1215).

( 4 ) Arrêt du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑35/11, point 91).

( 5 ) Voir arrêt du 20 juin 2013, Impacto Azul (C‑186/12, point 32 et jurisprudence citée).

( 6 ) Voir arrêt du 6 septembre 2012, DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C. (C‑380/11, point 33 et jurisprudence citée).

( 7 ) Ibidem (précité à la note 6, point 32 et jurisprudence citée).

( 8 ) Voir arrêt Papillon (précité à la note 2, points 16 à 23).

( 9 ) Précité à la note 2, point 21.

( 10 ) Précité à la note 3.

( 11 ) Voir en ce sens arrêt Papillon (précité à la note 2, point 17).

( 12 ) Voir en ce sens arrêts Papillon (précité à la note 2, point 27) et X Holding (précité à la note 3, point 20).

( 13 ) Voir point 40 de nos conclusions présentées le 19 juillet 2012 dans l’affaire A (C‑123/11).

( 14 ) Précité à la note 3, point 24.

( 15 ) Ibidem (point 18).

( 16 ) Arrêt Papillon (précité à la note 2, point 29).

( 17 ) Arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France (270/83, Rec. p. 273, point 22) et du 18 juillet 2007, Oy AA (C-231/05, Rec. p. I-6373, point 40), ainsi que ordonnance du 4 juin 2009, KBC Bank et Beleggen, Risicokapitaal, Beheer (C-439/07 et C-499/07, Rec. p. I-4409, point 77).

( 18 ) Voir arrêts du 23 février 2006, CLT-UFA (C-253/03, Rec. p. I-1831, point 15), et du 6 septembre 2012, Philips Electronics (C‑18/11, point 14).

( 19 ) Précité à la note 18, point 19.

( 20 ) Précité à la note 3, points 25 et suiv.

( 21 ) Voir points 58 et suiv. de nos conclusions présentées le 19 avril 2012 dans l’affaire Philips Electronics, précitée à la note 18.

( 22 ) Voir arrêt Philips Electronics (précité à la note 18, points 31 et suiv.).

( 23 ) Voir arrêts du 28 février 2008, Deutsche Shell (C-293/06, Rec. p. I-1129, point 43), et du 29 novembre 2011, National Grid Indus (C-371/10, Rec. p. I-12273, point 62).

( 24 ) Voir arrêt Papillon (précité à la note 2, point 47), d’une part, et arrêt du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz (C-347/04, Rec. p. I-2647, point 47), d’autre part.

( 25 ) Voir arrêts Papillon (précité à la note 2, points 43 et suiv.), et du 17 octobre 2013, Welte (C‑181/12, point 59).

( 26 ) Voir arrêt Papillon (précité à la note 2, point 44).

( 27 ) Ibidem, points 45 et suiv.

( 28 ) Précité à la note 2, points 52 et suiv.

( 29 ) Voir en ce sens arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation (C-374/04, Rec. p. I-11673, point 46), et du 22 décembre 2008, Truck Center (C-282/07, Rec. p. I-10767, point 36).

( 30 ) Voir point 28 des présentes conclusions.

( 31 ) Voir point 34 des présentes conclusions.

( 32 ) Voir points 43 et suiv. des présentes conclusions.

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