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Document 62012CC0365

    Conclusions de l’avocat général M. P. Cruz Villalón, présentées le 3 octobre 2013.
    Commission européenne contre EnBW Energie Baden-Württemberg AG.
    Pourvoi – Règlement (CE) nº 1049/2001 – Accès aux documents des institutions – Documents afférents à une procédure relative à l’application de l’article 81 CE – Règlements (CE) nº 1/2003 et (CE) nº 773/2004 – Refus d’accès – Exceptions relatives à la protection des activités d’enquête, des intérêts commerciaux et du processus décisionnel des institutions – Obligation de l’institution concernée de procéder à un examen concret et individuel du contenu des documents visés dans la demande d’accès aux documents.
    Affaire C‑365/12 P.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2013:643

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

    présentées le 3 octobre 2013 ( 1 )

    Affaire C‑365/12 P

    Commission européenne

    contre

    EnBW Energie Baden-Württemberg AG

    «Pourvoi — Règlement (CE) no 1049/2001 — Accès aux documents des institutions — Demande d’accès au dossier administratif d’une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE — Refus au titre de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 — Accès à des informations fournies dans le cadre d’un programme de clémence — Règlement (CE) no 1/2003 — Interprétation cohérente des régimes d’accès à des documents des institutions»

    1. 

    Le présent pourvoi a été introduit par la Commission européenne contre l’arrêt du 22 mai 2012, EnBW Energie Baden-Württemberg AG/Commission (ci-après l’«arrêt attaqué») ( 2 ), par lequel le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la Commission du 16 juin 2008 ( 3 ) portant rejet d’une demande d’accès à des documents présentée au titre du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission ( 4 ). Concrètement, la demande visait tous les documents d’une procédure d’entente sanctionnée par la Commission en application de l’article 101 TFUE ( 5 ).

    2. 

    Les questions posées visent à permettre à la Cour de se prononcer sur les interactions entre le règlement no 1049/2001 et le troisième volet du droit de la concurrence, à savoir les pratiques concertées ou ententes, puisqu’elle l’a déjà fait pour les aides d’État (affaire Commission/Technische Glaswerke Ilmenau) ( 6 ) et les procédures en matière de concentrations (affaire Commission/Agrofert Holding) ( 7 ). La question de fond à trancher en l’espèce n’a en définitive pas d’autre objet que de savoir si la doctrine établie pour les deux autres volets du droit de la concurrence est également applicable aux ententes et, plus particulièrement, aux «programmes de clémence».

    I – Le cadre juridique

    3.

    Conformément à l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001, «[l]es institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection», entre autres, «des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle», et «des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé».

    4.

    Aux termes de l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement no 1049/2001, «[l’]accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé».

    5.

    Le règlement (CE) no 1/2003 ( 8 ), qui définit dans ses articles 17 à 22 les pouvoirs d’enquête de la Commission dans les procédures de concurrence, dispose en son article 27, paragraphe 2, ce qui suit:

    «Les droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. Elles ont le droit d’avoir accès au dossier de la Commission sous réserve de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués. Le droit d’accès au dossier ne s’étend pas aux informations confidentielles et aux documents internes de la Commission ou des autorités de concurrence des États membres. En particulier, le droit d’accès ne s’étend pas à la correspondance entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres ou entre ces dernières, y compris les documents établis en application des articles 11 et 14. Aucune disposition du présent paragraphe n’empêche la Commission de divulguer et d’utiliser des informations nécessaires pour apporter la preuve d’une infraction.»

    6.

    L’article 28, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 dispose que, sans préjudice de l’échange d’informations entre les autorités de concurrence des États membres et de la coopération de la Commission et les autorités judiciaires des États membres, «les informations recueillies en application des articles 17 à 22 ne peuvent être utilisées qu’aux fins auxquelles elles ont été recueillies».

    7.

    Pour sa part, l’article 28, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 prescrit que «la Commission et les autorités de concurrence des États membres, leurs fonctionnaires, agents et les autres personnes travaillant sous la supervision de ces autorités, ainsi que les agents et fonctionnaires d’autres autorités des États membres sont tenus de ne pas divulguer les informations qu’ils ont recueillies ou échangées en application du présent règlement et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel. Cette obligation s’applique également à tous les représentants et experts des États membres assistant aux réunions du comité consultatif en application de l’article 14».

    8.

    Le régime de l’accès au dossier et du traitement de l’information confidentielle dans les procédures en matière de concurrence découle des articles 15 et 16 du règlement (CE) no 773/2004 ( 9 ).

    II – Le litige au principal

    9.

    EnBW Energie Baden-Württemberg AG (ci-après «EnBW») est une entreprise de distribution d’énergie qui se considère comme lésée par une entente entre producteurs d’appareillages de commutation à isolation gazeuse sanctionnée par la Commission en application de l’article 101 TFUE.

    10.

    Le 9 novembre 2007, EnBW a demandé à la Commission, au titre du règlement no 1049/2001, d’avoir accès à tout le dossier de la procédure de sanction.

    11.

    La demande a été définitivement rejetée par décision du 16 juin 2008 (ci‑après la «décision litigieuse»). Dans cette décision, la Commission a classé les documents demandés dans les cinq catégories suivantes:

    1)

    documents fournis dans le cadre d’une demande d’immunité ou de clémence;

    2)

    demandes de renseignements et réponses des parties;

    3)

    documents obtenus au cours des inspections dans les locaux des entreprises concernées;

    4)

    communication des griefs et réponses des parties;

    5)

    documents internes:

    a)

    documents relatifs aux faits (notes sur des conclusions tirées des preuves recueillies; correspondance avec d’autres autorités de concurrence; consultations d’autres services de la Commission);

    b)

    pièces de procédure (mandats d’inspection; procès-verbaux d’inspection; extrait des documents obtenus lors des inspections; pièces relatives à la notification de certains documents; notes).

    12.

    La Commission a estimé que toutes ces catégories ressortissent à l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 (atteinte à la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit). Les documents appartenant aux catégories 1 à 4 relèveraient en outre de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret (atteinte à la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale), tandis que les documents de la catégorie 5, sous a), tomberaient sous le coup de l’exception prévue au paragraphe 3 du même article (atteinte au processus décisionnel).

    13.

    Contre cette décision, EnBW a saisi le Tribunal d’un recours en annulation (affaire T‑344/08), pour lequel elle a bénéficié du soutien du royaume de Suède.

    14.

    Le Tribunal a fait droit au recours d’EnBW par l’arrêt attaqué.

    III – L’arrêt attaqué

    15.

    Le Tribunal a d’abord retenu que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant qu’EnBW n’avait pas demandé l’accès aux documents de la catégorie 5, sous b) (points 32 à 37 de l’arrêt attaqué).

    16.

    Le Tribunal a, ensuite, examiné si les conditions permettant de déroger à l’obligation d’examen concret et individuel du contenu des documents demandés étaient remplies (points 44 à 112 de l’arrêt attaqué). Il a conclu que la présomption générale de refus d’accès aux documents, invoquée par la Commission, ne vaut que pour la durée de la procédure dans laquelle s’inscrivent les documents concernés ( 10 ). Dès lors que, comme en l’espèce, la procédure était achevée, un examen concret et individualisé de chaque document en cause était nécessaire (points 56 à 63 de l’arrêt attaqué).

    17.

    Dans l’étape suivante, le Tribunal a examiné la question de savoir si la Commission avait agi correctement en examinant les documents après les avoir regroupés par catégories (points 64 à 112 de l’arrêt attaqué). Selon lui, les catégories 1, 2, 4 et 5, sous a), ne remplissaient aucune fonction utile pour le traitement de la demande d’accès, puisque l’on ne pouvait déceler aucune différence réelle entre les documents classés dans chacune de ces catégories. Seule la catégorie 3 (documents obtenus au cours des inspections dans les locaux des entreprises concernées) présente, selon le Tribunal, une utilité aux fins de l’application éventuelle de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret (protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit), puisqu’il s’agit de documents obtenus contre la volonté de l’entreprise. En conséquence, le Tribunal a annulé la décision litigieuse en tant qu’elle refuse l’accès aux documents relevant des catégories 1, 2, 4 et 5, sous a).

    18.

    Malgré cela, à titre surérogatoire, le Tribunal a examiné le refus d’accès aux documents des catégories 1, 2, 4 et 5, sous a) (points 113 à 176 de l’arrêt attaqué), en concluant que la protection de l’objectif des activités d’enquête ne pouvait justifier le refus d’accès aux documents des catégories 1 à 4 et 5, sous a), puisqu’il s’agit en l’espèce d’une procédure déjà achevée et qu’il n’y a aucune raison justifiant d’appliquer un traitement différent aux procédures en matière de concurrence (points 113 à 130 de l’arrêt attaqué).

    19.

    Le Tribunal n’a pas non plus considéré que la Commission ait démontré que l’accès aux documents puisse léser les intérêts commerciaux des entreprises concernées (article 4, paragraphe 2, premier tiret), car l’examen particulier effectué au moment où la procédure était en cours (points 131 à 150 de l’arrêt attaqué) n’était pas suffisant à cet effet.

    20.

    Le Tribunal a, enfin, estimé que la Commission a erré en appliquant aux documents de la catégorie 5, sous a), de façon générique et abstraite, l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa (avis destinés à l’utilisation interne) (points 151 à 170 de l’arrêt attaqué).

    IV – Le pourvoi

    21.

    Le 31 juillet 2012, la Commission a introduit un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal.

    22.

    Dans son pourvoi, la Commission demande à la Cour de se prononcer sur cinq questions. La première est celle des considérations et principes généraux à prendre en compte pour une interprétation du règlement no 1049/2001 qui, tout en étant en harmonie avec les dispositions relatives à des secteurs comme celui de la concurrence, ne porte pas atteinte à l’efficacité de ces dispositions. La deuxième question concerne la possibilité que l’accès aux documents d’une procédure en matière d’entente puisse être refusé en application de la présomption générale que ces documents doivent être protégés. La troisième et la quatrième question concernent le domaine de protection des objectifs des activités d’enquête, d’une part, et des intérêts commerciaux, d’autre part. La cinquième question a pour objet les conditions auxquelles la Commission peut refuser l’accès aux documents internes, même après qu’elle a adopté une décision.

    23.

    Chacune de ces questions s’articule autour d’un nombre identique de moyens, à savoir: 1) une erreur de droit résultant de la méconnaissance de la nécessité d’une interprétation harmonieuse du règlement no 1049/2001 pour garantir le plein effet des dispositions relatives à d’autres domaines juridiques; 2) une erreur de droit consistant à nier l’existence d’une présomption générale applicable à l’ensemble des documents d’une procédure en matière d’entente; 3) une interprétation erronée du champ de protection des objectifs des activités d’enquête; 4) une interprétation erronée du champ de protection des intérêts commerciaux; 5) une interprétation erronée des conditions auxquelles la Commission peut refuser l’accès à un document, même après la fin de la procédure de décision.

    24.

    Le cinquième moyen comporte trois branches subsidiaires: a) une interprétation erronée de la notion de «document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires» au sens de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001; b) une constatation erronée que la Commission n’aurait pas prouvé que les documents de la catégorie 5, sous a), contenaient des avis destinés à l’utilisation interne; c) une interprétation erronée de l’obligation de motivation découlant de l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement no 1049/2001.

    25.

    La Commission demande l’annulation de l’arrêt attaqué et le rejet du recours qui a donné lieu à l’affaire T‑344/08.

    V – La procédure devant la Cour

    26.

    Des observations écrites ont été présentées par le gouvernement suédois au soutien d’EnBW ainsi que par ABB et Siemens au soutien de la Commission.

    27.

    Par ordonnance du 19 février 2013, le président de la Cour a rejeté, pour absence d’intérêt direct, les demandes en intervention présentées par HUK‑Coburg Haftpflicht-Unterstützungs-Kasse kraftfahrender Beamter Deutschlands AG, LVM Landwirtschaftlicher Versicherungsverein Münster AG, VHV Allgemeine Versicherung AG et Württembergische Gemeinde-Versicherung AG.

    28.

    La Commission, EnBW, ABB et Siemens ont assisté à l’audience du 13 juin 2013.

    29.

    Dans le cadre du premier moyen du pourvoi, la Commission, appuyée par ABB et Siemens, soutient que le Tribunal a méconnu la nécessité d’une interprétation harmonieuse entre le règlement no 1049/2001 et les règlements no 1/2003 et no 773/2004. À son avis, le Tribunal a accordé au règlement no 1049/2001 une primauté qui n’est pas conciliable avec la jurisprudence des arrêts Commission/Éditions Odile Jacob ( 11 ) et Commission/Agrofert Holding, précité. Elle considère que la politique de l’Union dans le domaine de la concurrence mérite un traitement spécifique en matière d’accès aux documents. EnBW s’oppose à ce point de vue en contestant la pertinence de la jurisprudence invoquée par la Commission. Selon EnBW, la thèse de la Commission serait contraire à l’article 101 TFUE, parce qu’elle rendrait impossible l’exercice d’actions en dommages et intérêts contre des entreprises coupables d’entente si les intéressés n’ont pas accès aux documents nécessaires pour étayer leur demande d’indemnisation, ce qui serait contraire à la jurisprudence de l’arrêt Pfleiderer ( 12 ).

    30.

    Dans le cadre du deuxième moyen, la Commission, appuyée par ABB et Siemens, soutient, nonobstant l’avis du Tribunal, qu’il existe une présomption générale en faveur des documents du dossier d’une procédure en matière d’entente, sans qu’il importe de savoir si elle est achevée ou non, car seule importerait la nature des intérêts protégés. Selon elle, la présomption qui vaut dans le domaine des aides d’État et des concentrations doit s’appliquer aussi aux ententes. Pour sa part, EnBW soutient que, une fois la procédure achevée, seul le règlement no 1049/2001 resterait applicable, à l’exclusion des dispositions particulières en matière d’entente. Pour sa part, le Royaume de Suède estime que si l’institution se fonde sur des présomptions générales, elle doit vérifier pour chaque document concret si les considérations d’ordre général applicables à un type déterminé de documents sont remplies.

    31.

    Dans le cadre du troisième moyen du pourvoi, la Commission, appuyée par ABB et Siemens, soutient que la solution retenue par le Tribunal compromet le mécanisme de la clémence et, en général, l’application efficace du droit de la concurrence, et que la procédure ne peut être considérée comme achevée que s’il n’y a plus de recours possible contre la décision par laquelle elle se conclut. EnBW réplique que le pouvoir d’appréciation de la Commission ne saurait échapper au contrôle juridictionnel et que le recours se limite à exposer des griefs abstraits et généraux sur les risques pour la coopération des entreprises dans les procédures ouvertes par la Commission.

    32.

    Dans le cadre du quatrième moyen, la Commission, appuyée par ABB et Siemens, conteste l’appréciation du Tribunal sur l’absence de preuve du préjudice invoqué (protection d’intérêts commerciaux) en faisant valoir que la protection des intérêts commerciaux est très liée à la protection des objectifs des activités d’inspection, de sorte qu’elle doit être comprise dans le même type de présomption générale. Elle relève en particulier que se trouvent en jeu des informations que les entreprises se sont vues contraintes de fournir à la Commission. EnBW souligne que la protection des intérêts commerciaux ne peut être prise en compte de la même façon dans une procédure de concentration que dans une procédure au titre du règlement no 1/2003, où l’entreprise demandant la clémence fournit des informations volontairement, non pour défendre ses intérêts commerciaux, mais pour éviter une amende, tandis que, dans la procédure de concentration, les entreprises ne peuvent refuser de fournir l’information demandée.

    33.

    Dans le cadre du cinquième moyen, la Commission, appuyée par ABB et Siemens, soutient que le Tribunal a erré en méconnaissant que la présomption générale s’étend à tous les documents internes de la procédure et en concluant que leur divulgation n’affecterait pas le processus de décision. EnBW réplique que la Commission n’a pas expliqué pourquoi tous les documents contiennent des avis ni apporté un début de preuve que leur divulgation porterait atteinte au déroulement d’une décision adoptée cinq ans auparavant.

    34.

    Enfin, la Commission propose de rejeter la demande initiale d’EnBW, car cette dernière aurait dû démontrer que les documents demandés échappaient à la présomption générale de refus d’accès ou, à défaut, démontrer un intérêt supérieur à leur divulgation. En revanche, EnBW soutient que son recours devant le Tribunal était fondé, qu’il faut rejeter le pourvoi et annuler la décision litigieuse dans son intégralité ou, subsidiairement, dans la mesure où elle a également refusé un accès partiel à l’information demandée.

    VI – Appréciation

    35.

    Avant d’examiner chacun des moyens, je signale d’emblée que, tout comme dans l’affaire Commission/Agrofert Holding, précitée, le demandeur d’informations n’a pas été partie à la procédure qui a généré les documents le concernant. EnBW est, en ce sens, un tiers au regard de cette procédure. Son intérêt pour ces documents répond à la volonté de s’en servir dans une action en dommages et intérêts contre les parties à cette procédure. En toute hypothèse, comme je l’ai souligné dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Agrofert Holding, précitée ( 13 ), «la présente affaire est surtout une affaire qui concerne plus la transparence» que, en l’espèce, les ententes ou les pratiques concertées. «C’est donc à la lumière du règlement no 1049/2001 que nous devons principalement rechercher la solution de l’affaire» ( 14 ).

    A – Sur le premier moyen du pourvoi

    36.

    Par le premier moyen, la Commission invoque une erreur de droit découlant de la méconnaissance de la nécessité d’une interprétation harmonieuse du règlement no 1049/2001 pour garantir la pleine efficacité des dispositions relatives à d’autres domaines de l’ordre juridique de l’Union. Il faut dire ici que les quatre autres moyens précisent les aspects de l’arrêt attaqué ayant concrétisé cette méconnaissance, en donnant lieu à une interprétation et à une application erronées du règlement no 1049/2001.

    37.

    Ce premier moyen pose donc à nouveau, tout comme dans l’affaire Commission/Agrofert Holding, précitée, la question de savoir si le droit d’accès aux documents des institutions résulte sur un plan général du règlement no 1049/2001, qui doit être complété dans certains domaines par des normes spéciales contenues dans d’autres dispositions de l’Union, ou si, au contraire, ce règlement est en toute hypothèse exhaustif quant au régime applicable à l’exercice de ce droit.

    38.

    Il résulte clairement de la jurisprudence de la Cour – et la Commission a raison sur ce point – que le règlement no 1049/2001 n’est pas une norme qui serait en quelque sorte suspendue dans le vide, mais que tant son interprétation que son application doivent être conciliées avec les régimes spécifiques d’accès à des documents dans différents domaines matériels. En d’autres termes, le règlement no 1049/2001 ne peut prétendre régler de façon exhaustive le régime de la transparence dans le droit de l’Union, mais, en tant que norme régulant le régime commun d’accès aux documents des institutions, il doit être interprété et appliqué d’une façon qui se concilie avec les différentes normes régissant l’accès aux documents dans des procédures soumises à une réglementation propre.

    39.

    En d’autres termes, les règlements impliqués dans le domaine en question doivent faire l’objet d’une interprétation permettant de les concilier entre eux.

    40.

    Cette inévitable articulation entre le règlement no 1049/2001, en tant que norme générale en matière de transparence des institutions, et certains règlements de l’Union, en tant que normes spéciales relatives à l’accès à des procédures particulières, a été soulignée par la Cour dans une jurisprudence déjà copieuse et récemment décrite dans l’arrêt Commission/Agrofert Holding ( 15 ).

    41.

    Cependant, contrairement à ce que soutient la Commission, j’estime que, dans son interprétation du règlement no 1049/2001, l’arrêt attaqué montre que le Tribunal n’a pas fait abstraction de la réglementation spécifique de l’accès à la procédure qui a donné lieu à l’établissement des documents concernés.

    42.

    En effet, le point 55 de l’arrêt attaqué évoque la jurisprudence de la Cour sur la considération d’ordre général selon laquelle la divulgation de certains documents peut porter atteinte à l’intérêt général que le législateur a justement voulu protéger en établissant un régime spécifique d’accès à ces documents. Dans cet ordre d’idée, le Tribunal se réfère aux procédures d’accès à des documents en matière d’aides d’État, de concentrations et, pour ce qui nous importe ici, de pratiques concertées ou d’ententes.

    43.

    Certes, le Tribunal a conclu que la jurisprudence sur la nécessité d’interpréter le règlement no 1049/2001 à la lumière des régimes d’accès établis dans les procédures d’aides d’État n’est applicable qu’aux procédures en cours et «ne saurait être transposé[e] à une situation dans laquelle l’institution a déjà adopté une décision finale clôturant le dossier auquel l’accès est demandé, comme c’est le cas en l’espèce» ( 16 ).

    44.

    De plus, le Tribunal ajoute qu’«une présomption générale selon laquelle les documents contenus dans un dossier de procédure en matière de concurrence ne doivent pas être divulgués devrait résulter du règlement (CE) no 1/2003 […] ainsi que de la jurisprudence relative au droit de consulter les documents du dossier administratif de la Commission» ( 17 ). Par ailleurs, après avoir évoqué aux points 59 et 60 le régime d’accès prévu par le règlement no 1/2003, le Tribunal termine en déclarant que, «si les entreprises visées par une procédure en matière d’ententes, ainsi que les auteurs de plaintes auxquelles la Commission n’a pas fait suite, disposent du droit de consulter certains documents du dossier administratif de la Commission, ce droit est soumis à certaines restrictions qui nécessitent elles-mêmes une appréciation au cas par cas. Dès lors, même en suivant le raisonnement appliqué par la Cour dans l’arrêt TGI […] selon lequel, aux fins de l’interprétation de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001, il y a lieu de tenir compte des restrictions à l’accès au dossier existant dans le cadre de procédures particulières, telles que les procédures en matière d’aides d’État et en matière de concurrence, une telle prise en compte ne permettrait pas de présumer que, sous peine d’affecter la capacité de la Commission de réprimer les ententes, la totalité des documents contenus dans ses dossiers en cette matière serait automatiquement couverte par l’une des exceptions visées à l’article 4 du règlement no 1049/2001» ( 18 ).

    45.

    En définitive, l’arrêt attaqué conclut que «la Commission ne pouvait pas présumer, sans procéder à une analyse concrète de chaque document, que la totalité des documents demandés était manifestement couverte par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001» ( 19 ).

    46.

    L’ensemble des considérations qui précèdent montre clairement que, contrairement aux allégations de la Commission, le Tribunal n’a pas «méconnu» la nécessité d’une interprétation harmonieuse du règlement no 1049/2001 et des dispositions relatives à d’autres domaines de l’ordre juridique de l’Union. Au contraire, l’arrêt attaqué a bien interprété le règlement no 1049/2001 en tenant compte des possibles implications des normes régissant l’accès aux documents générés ou utilisés au cours des procédures en matière d’ententes.

    47.

    Une autre question est de savoir si ce travail d’interprétation, que l’on a voulue harmonieuse, a abouti. Il faudra y répondre lors de l’examen des autres moyens du pourvoi, tirés principalement de prétendues erreurs de droit découlant d’une interprétation erronée du règlement no 1049/2001. Cependant, il me semble évident que l’on ne saurait reprocher au Tribunal d’avoir interprété ce règlement sans tenir compte de sa place dans l’ensemble des normes qui régissent l’accès à certaines procédures.

    48.

    En somme, j’estime que le premier moyen doit être rejeté.

    B – Sur le deuxième moyen du pourvoi

    49.

    Le deuxième moyen du pourvoi est tiré d’une prétendue erreur de droit commise en niant l’existence d’une présomption générale, applicable à l’ensemble des documents d’une procédure en matière d’ententes, en ce sens que la divulgation de ces documents peut porter atteinte à l’intérêt général protégé dans cette procédure.

    50.

    J’affirmerai d’entrée que, selon moi, la jurisprudence de la Cour, qui admet des présomptions générales pour les documents pour lesquels, en raison de la procédure dans laquelle ils s’inscrivent, il existe un régime spécifique d’accessibilité, peut parfaitement être transposée aux documents générés ou utilisés dans une procédure en matière d’ententes.

    51.

    Comme on le sait, il résulte de cette jurisprudence que l’existence de ce régime spécifique permet de présumer que, en principe, la divulgation de tels documents peut affecter l’objectif poursuivi par cette procédure. En premier lieu, la Cour a ainsi déclaré dans l’arrêt TGI ( 20 ) qu’une présomption générale de ce type peut résulter de la réglementation des procédures de contrôle des aides d’État ( 21 ). En second lieu, elle a déclaré dans l’arrêt Commission/Agrofert Holding que «de telles présomptions générales sont applicables, en matière de procédure de contrôle des opérations de concentrations entre entreprises, en raison du fait que la réglementation qui régit cette procédure prévoit également des règles strictes quant au traitement des informations obtenues ou établies dans le cadre d’une telle procédure» ( 22 ).

    52.

    Partant, j’estime que la présomption générale s’étend aux procédures en matière d’ententes dont la réglementation contient également des règles très spécifiques en matière d’accès et de traitement des documents contenus dans les dossiers de ces procédures. Ainsi, l’article 27, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 reconnaît aux parties concernées un droit limité d’accès au dossier de la Commission, aux seules fins de l’exercice de leurs droits de la défense, tandis que l’article 28 du même règlement soumet les informations recueillies en cours de procédure à l’obligation de secret professionnel ( 23 ). Dans le même sens, l’article 8 du règlement no 773/2004 reconnaît au plaignant un droit d’accès limité.

    53.

    L’existence de ce régime spécifique d’accès permet de présumer, comme dans le cas des aides d’État et des procédures en matière de concentrations, que la divulgation des documents pourrait porter atteinte à l’objectif poursuivi par la procédure en matière d’ententes. Ainsi que je l’ai souligné dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Agrofert Holding ( 24 ), «le règlement [(CE)] no 139/2004 [du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif aux concentrations entre entreprises («le règlement CE sur les concentrations») (JO L 24, p. 1)], institue pour les concentrations d’entreprises une procédure administrative de contrôle concourant à un objectif fondamental pour l’Union, à savoir garantir la concurrence dans le marché intérieur» ( 25 ), objectif auquel répond également le règlement no 659/1999 pour les aides d’État.

    54.

    Le règlement no 1/2003 poursuit incontestablement le même objectif. Pour reprendre les termes que j’ai employés, les règlements no 659/1999 et no 139/2004 «sont juridiquement fondés sur le chapitre 1 (‘Les règles de concurrence’) du titre VII (‘Les règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations’) de la troisième partie du traité FUE, ce qui met en évidence le fait qu’ils répondent à une intention commune, partagée par le règlement no 1/2003, à savoir rendre possible la réalisation de l’un des buts fondant l’existence de l’Union, puisqu’il convient de ne pas oublier que l’Union est fondée sur les valeurs proclamées à l’article 2 TUE, mais qu’elle est également tenue aux buts et aux objectifs énumérés à l’article 3 TUE, parmi lesquels il convient de souligner, pour ce qui nous intéresse ici, l’établissement d’un marché intérieur et le ‘développement durable de l’Europe fondé sur […] une économie sociale de marché hautement compétitive […]’ (article 3, paragraphe 3, TUE). En vue de la réalisation de ces buts, l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE attribue à l’Union une compétence exclusive pour l’‘établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur’, et c’est précisément pour permettre le contrôle effectif des concentrations du point de vue de la concurrence qu’a été conçu l’instrument juridique que constitue le règlement sur les concentrations» ( 26 ).

    55.

    La procédure en matière d’ententes s’inscrit dans ce même univers d’intentions. Ainsi qu’EnBW l’a relevé dans ses observations, il y a une quantité non négligeable de différences entre les procédures en matière de concentrations et celles en matière d’ententes, en particulier quant au caractère préventif des premières et à la nature répressive des secondes. Tout en admettant cette différence – mais non sans rappeler que les ententes ne sont pas toutes nécessairement illicites, comme il résulte de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 –, le fait est que, même si c’est par des voies différentes, il s’agit dans les deux cas d’éviter que la concurrence ne soit faussée sur le marché, en veillant à la licéité des pratiques des acteurs économiques, dont la participation aux procédures établies pour éviter ou corriger des comportements anticoncurrentiels doit être accompagnée d’un minimum de garanties. Concrètement, outre qu’elle doit pleinement respecter leurs droits de la défense, leur soumission à ces procédures doit être assurée dans des conditions qui ne portent pas atteinte à leurs intérêts commerciaux. Cela vaut tant pour des procédures purement préventives et sans élément de sanction que lorsqu’il s’agit de sanctionner un comportement anticoncurrentiel, car dans ce dernier cas aucun préjudice supplémentaire ne peut être ajouté à la sanction légalement prévue.

    56.

    Pour revenir aux circonstances de la présente affaire, et comme je l’ai déjà observé dans le cadre de l’examen du premier moyen, le Tribunal ne nie pas qu’il faille une interprétation harmonieuse des règlements no 1049/2001 et no 1/2003.

    57.

    Toutefois, le Tribunal a estimé que cette interprétation harmonieuse implique que la présomption générale qui peut être invoquée dans le cas de documents faisant partie du dossier d’une procédure en matière d’aides ne s’applique pas aux documents d’une procédure en matière d’ententes.

    58.

    En définitive, pour le Tribunal, la présomption en question s’appliquerait uniquement lorsque la réglementation régissant la procédure dans le cadre de laquelle les documents demandés ont été générés ou utilisés ne reconnaît aux tiers concernés aucun droit d’accès à ces documents.

    59.

    Le Tribunal reconnaît en effet que, «tout comme le règlement no 659/1999 en matière d’aides, le règlement no 1/2003 ne prévoit pas un droit, en faveur de personnes n’étant pas parties à la procédure, d’accéder à des documents du dossier administratif de la Commission dans le cadre de la procédure en matière d’ententes» ( 27 ). Toutefois, étant donné que l’article 27 du règlement no 1/2003 «prévoit un accès au dossier en faveur des entreprises faisant l’objet de la procédure, dans le contexte plus général de l’assurance des droits de la défense» ( 28 ), le Tribunal conclut que cette possibilité d’accès, aussi limitée soit‑elle, doit être prise en considération dans le cadre de l’application du règlement no 1049/2001, de sorte que l’on ne saurait admettre que «la totalité des documents contenus dans ses dossiers en cette matière serait automatiquement couverte par l’une des exceptions visées à l’article 4 du règlement no 1049/2001» ( 29 ).

    60.

    L’arrêt attaqué fonde cette conclusion sur une interprétation de l’arrêt TGI que je considère comme fausse. Le point 58 de ce dernier stipule à juste titre que, dans la mesure où, conformément au règlement no 659/1999, «les intéressés, à l’exception de l’État membre responsable de l’octroi de l’aide, ne disposent pas, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État, du droit de consulter les documents du dossier administratif de la Commission[,] [i]l y a lieu de tenir compte de cette circonstance aux fins de l’interprétation de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001 ( 30 ). En effet, si ces intéressés étaient en mesure d’obtenir l’accès, sur le fondement du règlement no 1049/2001, aux documents du dossier administratif de la Commission, le régime de contrôle des aides d’État serait mis en cause» ( 31 ).

    61.

    Ainsi que l’arrêt attaqué l’a souligné, dans le cas du règlement no 1/2003, les intéressés à la procédure bénéficient d’un droit d’accès aux fins de leur défense. En dehors de cela, cependant, l’accès aux documents de la procédure est exclu sur un plan général pour les tiers, qui se trouvent, à cet égard, dans la même situation que ceux qui voudraient accéder au dossier d’une procédure en matière d’aides d’État.

    62.

    Selon moi, l’effet de la présomption ne saurait se borner au cas d’absence inconditionnelle de droit d’accès dans la procédure à laquelle se rapportent les documents demandés; cette présomption doit également s’appliquer, avec la modulation requise, lorsque l’accès est accordé de façon restreinte ou à certaines conditions. En effet, dans cette hypothèse aussi, cette circonstance doit être prise en compte «aux fins de l’interprétation de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement no 1049/2001» ( 32 ), puisqu’il s’agit en dernière analyse d’éviter que l’application pure et simple du règlement no 1049/2001 ne prive d’effet le régime d’accès aux documents établi dans une procédure spécifique.

    63.

    En définitive, la présomption en question doit s’appliquer aux documents dont la divulgation est exclue ou est soumise à des conditions considérablement plus strictes dans le règlement no 1/2003 que dans le règlement no 1049/2001. Autrement dit, elle doit s’appliquer dans toute son étendue à ceux qui, conformément au règlement no 1/2003 et au règlement no 773/2004, n’ont en principe aucun droit d’accès aux documents de la procédure d’ententes, comme c’est le cas d’EnBW en l’espèce, et elle vaut également pour ceux qui ont un droit d’accès limité ou conditionnel aux fins de la garantie de leurs droits de la défense.

    64.

    La conclusion antérieure comporte cependant une réserve. En effet, la présomption en question «n’exclut pas la possibilité de démontrer qu’un document donné, dont la divulgation est demandée, n’est pas couvert par cette présomption ou qu’il existe un intérêt public supérieur justifiant la divulgation de ce document en vertu de l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 (arrêt [TGI], point 62)» ( 33 ). Partant, le fait que le règlement no 1/2003 ne prévoit pas l’accès de tiers à la procédure signifie simplement que les demandes éventuelles provenant de ces tiers devront être tranchées sur la base du règlement no 1049/2001 (en tant que norme générale en matière de transparence), interprété en partant de la présomption générale que la divulgation des documents peut nuire à l’objectif de la procédure régie par le règlement no 1/2003. Cette présomption de nocivité n’exclut nullement de façon absolue l’accès au titre du règlement no 1049/2001; il rend simplement plus strictes les conditions de l’accès garanti par ce règlement.

    65.

    Partant, j’estime que le Tribunal a exclu l’applicabilité de la présomption dans un cas où, pour un accès demandé par un tiers à la procédure en matière d’ententes, il faut partir du principe que la divulgation du document demandé peut nuire à l’intérêt général protégé par les règles spécifiques d’accès aux documents générés ou utilisés dans le cadre de cette procédure.

    66.

    Il faut donc, selon moi, accueillir le deuxième moyen du pourvoi.

    C – Sur le troisième moyen du pourvoi

    67.

    Le troisième moyen du pourvoi est tiré d’une interprétation jugée erronée du champ de protection des activités d’enquête. En particulier, la Commission soutient que l’arrêt attaqué compromettrait le mécanisme de clémence et, en général, l’application efficace du droit de la concurrence.

    68.

    Dans une affaire préjudicielle, la Cour a eu l’occasion de se prononcer récemment, par l’arrêt du 6 juin 2013, Donau Chemie e.a. ( 34 ), sur l’accès aux documents de dossiers nationaux en matière de clémence. Même si cette jurisprudence se réfère à une procédure en matière de concurrence et non au règlement no 1049/2001, j’estime qu’elle est parfaitement transposable au présent cas d’espèce.

    69.

    Dans le contexte des programmes nationaux de clémence – et sur la base de motifs qui peuvent être extrapolés aux procédures de l’Union en matière de concurrence –, la Cour a rappelé que ces programmes «constituent des outils utiles dans la lutte efficace pour déceler et mettre fin à des violations des règles de concurrence et servent, ainsi, l’objectif de l’application effective des articles 101 TFUE ainsi que 102 TFUE, et que l’efficacité de ces programmes pourrait être affectée par la communication des documents relatifs à une procédure de clémence aux personnes désirant intenter une action en dommages et intérêts. En effet, il paraît raisonnable de considérer qu’une personne impliquée dans une violation du droit de la concurrence, face à l’éventualité d’une telle communication, serait dissuadée d’utiliser la possibilité offerte par de tels programmes de clémence (arrêt Pfleiderer, précité, points 25 à 27)» ( 35 ).

    70.

    L’arrêt poursuit en constatant «que, si ces considérations peuvent justifier que l’accès à certains documents […] puisse être refusé, elles n’impliquent pas pour autant que cet accès puisse être systématiquement refusé, toute demande d’accès aux documents en question devant faire l’objet d’une appréciation au cas par cas qui prenne en compte tous les éléments de l’affaire (voir, en ce sens, arrêt Pfleiderer, précité, point 31)» ( 36 ).

    71.

    Dans le cadre de cette appréciation, il faut «évaluer, d’une part, l’intérêt du demandeur à obtenir l’accès à ces documents aux fins de préparer son recours en réparation, compte tenu en particulier des autres possibilités éventuellement à sa disposition» ( 37 ) et «d’autre part, […] prendre en considération les conséquences réellement préjudiciables auxquelles un tel accès est susceptible de donner lieu au regard d’intérêts publics ou d’intérêts légitimes d’autres personnes» ( 38 ).

    72.

    Plus particulièrement, «s’agissant de l’intérêt public tenant à l’efficacité des programmes de clémence», la Cour ajoute qu’«il y a lieu de relever que, compte tenu de l’importance des actions en dommages et intérêts engagées devant les juridictions nationales pour le maintien d’une concurrence effective dans l’Union […], la simple invocation d’un risque de voir l’accès aux éléments de preuve, figurant dans le dossier d’une procédure en matière de concurrence et nécessaires pour fonder ces actions, affecter l’efficacité d’un programme de clémence, dans le cadre duquel ces documents ont été communiqués à l’autorité de concurrence compétente, ne saurait suffire à justifier un refus d’accès à ces éléments» ( 39 ).

    73.

    La Cour estime au contraire que «la circonstance qu’un tel refus soit susceptible d’empêcher l’exercice desdites actions, en fournissant par ailleurs aux entreprises concernées, qui peuvent avoir déjà bénéficié d’une immunité, à tout le moins partielle, en matière de sanctions pécuniaires, la possibilité de se soustraire également à leur obligation de réparer les dommages résultant de la violation de l’article 101 TFUE et cela au détriment des personnes lésées, exige que ce refus soit fondé sur des raisons impérieuses tenant à la protection de l’intérêt invoqué et applicables à chaque document dont l’accès est refusé» ( 40 ), car «seule l’existence d’un risque de voir un document donné porter concrètement atteinte à l’intérêt public tenant à l’efficacité du programme national de clémence est susceptible de justifier que ce document ne soit pas divulgué» ( 41 ).

    74.

    Les considérations qui précèdent plaident en définitive pour la nécessité d’une pondération équilibrée entre, d’une part, l’intérêt public inhérent aux programmes de clémence pris en tant qu’outils pour assurer l’efficacité du droit de la concurrence et, d’autre part, le droit pour les particuliers d’introduire des actions en réparation du préjudice causé par la violation du droit de la concurrence, qui est une autre manière de servir indirectement l’intérêt public à l’efficacité de ce droit.

    75.

    En l’espèce, la Commission – et ce point a été confirmé par EnBW – a refusé l’accès aux documents produits dans le cadre d’une demande d’immunité ou de clémence en se fondant sur des considérations abstraites au sujet des effets nocifs que cela pourrait avoir pour les programmes de clémence si les personnes et entreprises concernées n’étaient pas assurées que ces documents ne sont pas accessibles à tous. En revanche, EnBW a souligné que, sans ces documents, il lui sera impossible d’intenter, avec un tant soit peu de chances de succès, même une simple action en dommages et intérêts pour le préjudice qu’elle estime avoir subi du fait des ententes sanctionnées par la Commission ( 42 ).

    76.

    La Commission a finalement invoqué non pas des raisons tirées du préjudice qui pourrait être causé à un programme de clémence concret (et c’est bien d’un programme de clémence qu’il est question au point 46 de l’arrêt Chemie Donau e.a., auquel je me suis référé au point 72, in fine), mais une raison générale et abstraite, rapportée à la catégorie des «procédures de clémence». EnBW a répondu en invoquant des motifs qui justifient son besoin de certains documents pour intenter une action en dommages et intérêts.

    77.

    Nous nous trouvons ainsi face à un refus de principe, qui exclut qu’une demande concrète d’accès – présentée comme la seule voie possible pour étayer un recours en dommages et intérêts – puisse «faire l’objet d’une appréciation au cas par cas qui prenne en compte tous les éléments de l’affaire», comme l’exige l’arrêt Donau Chemie e.a. ( 43 ) en renvoyant au point 31 de l’arrêt Pfleiderer.

    78.

    Sur ce point, il me semble utile d’énoncer une considération de principe. L’on pourrait opposer aux observations qui précèdent que l’efficacité des programmes de clémence ne peut être assurée que s’il est garanti, sur un plan général, que les documents fournis ne pourront être utilisés que par la Commission. Ce serait là, bien entendu, une garantie maximale. Or, il faut également penser à d’autres garanties qui, sans aller aussi loin, restent néanmoins attrayantes pour ceux qui décident de recourir à ces programmes. Finalement, la logique des programmes de clémence est celle d’un calcul sur la portée de l’impact négatif que peut avoir une infraction au droit de la concurrence. En ce sens, une garantie que l’information fournie à la Commission ne pourra être transmise à des tiers que si ceux-ci établissent de façon suffisante qu’ils en ont besoin pour exercer une action en dommages et intérêts peut être une garantie suffisante, particulièrement si on tient compte du fait que l’autre option pourrait être une sanction supérieure à celle qui résulterait du succès de l’action en dommages et intérêts. Il est vrai que l’on ne saurait exclure qu’une garantie de cette teneur fasse baisser le nombre de ceux qui décident de se prévaloir d’un programme de clémence. Cependant, l’objectif d’efficacité maximale de cet outil ne doit pas justifier le sacrifice pur et simple du droit des intéressés à être indemnisé ni, sur un plan général, la violation de leur droit à une protection juridictionnelle garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

    79.

    J’estime, enfin, sur la base des considérations qui précèdent, que l’arrêt attaqué est irréprochable en tant qu’il conclut que la Commission n’a pas justifié le refus de donner accès aux documents produits dans le cadre d’une demande d’immunité ou de clémence et qu’il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen du pourvoi.

    D – Sur le quatrième moyen du pourvoi

    80.

    Le quatrième moyen du pourvoi est tiré d’une interprétation supposément erronée du champ de protection des intérêts commerciaux.

    81.

    Selon le Tribunal, la Commission n’a pas suffisamment démontré que l’accès aux documents sollicités puisse affecter concrètement et effectivement les intérêts commerciaux des entreprises ayant participé à l’entente. Selon lui, dès lors que les documents sollicités avaient déjà une certaine ancienneté, la Commission était tenue de leur appliquer un examen concret et individualisé au regard de l’exception de la protection des intérêts commerciaux, étant entendu que l’examen déjà réalisé pendant le cours de la procédure n’était pas suffisant.

    82.

    Par ailleurs, le Tribunal est parti de l’idée que «les intérêts des entreprises ayant participé à l’entente […] à l’absence de divulgation des documents demandés ne sauraient être qualifiés d’intérêts commerciaux au sens propre du terme [ ( 44 )]. En effet, compte tenu notamment de l’ancienneté de la plupart des informations contenues dans le dossier en cause, l’intérêt que pourraient avoir les sociétés à l’absence de divulgation des documents demandés ne paraît pas résider dans le souci de préserver leur situation concurrentielle sur le marché […], mais, plutôt, dans la volonté d’éviter que ne soient introduits contre elles des recours en dommages et intérêts devant des tribunaux nationaux» ( 45 ). En toute hypothèse, il ne s’agirait pas d’un intérêt «digne de protection, eu égard notamment au droit qu’a toute personne de demander réparation du préjudice que lui aurait causé un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence» ( 46 ).

    83.

    Je ne partage pas ce point de vue.

    84.

    Comme indiqué dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Agrofert Holding, précitée, «la prolongation du caractère ‘sensible’ d’un document constitue un élément fondamental de l’architecture du régime des exceptions établies à l’article 4 du règlement no 1049/2001. Ainsi, les documents rédigés en vue d’un usage interne dans le cadre d’une procédure (paragraphe 3) sont assurés de la protection tant que la procédure n’est pas terminée, mais seuls ceux contenant des avis continuent à bénéficier de cette protection même après la fin de la procédure. Dans ce deuxième cas, l’exception demeurera valable, comme toutes les exceptions visées à l’article 4, ‘au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document’ (paragraphe 3, deuxième alinéa). Cette période pourra durer, conformément au paragraphe 7 dudit article 4, jusqu’à un maximum de 30 ans. Cela étant, cette période maximale peut être prolongée, ‘si nécessaire’, pour trois catégories de documents: ceux ‘relevant des exceptions concernant la vie privée ou les intérêts commerciaux et [les] documents sensibles’ (paragraphe 7)» ( 47 ).

    85.

    Il en découle que «[l]es intérêts commerciaux méritent […] le plus haut niveau de protection ratione temporis dans le régime d’accès prévu par le règlement no 1049/2001. C’est pourquoi, […], la clôture de la procédure de concentration ne constitue pas nécessairement, pour ce type de document, le tournant qu’elle représente en revanche, en termes d’accès, pour les documents d’une autre nature, en particulier les avis juridiques et les avis à usage interne» ( 48 ).

    86.

    Il en va de même, selon moi, pour la procédure en matière d’ententes. Le fait que, comme dans la présente affaire, l’information en cause se réfère à des activités commerciales réalisées entre 1988 et 2004 n’exclut pas que, par sa nature, elle ait une «actualité» dont la validité peut durer plus longtemps que celle des documents strictement administratifs ou internes de la procédure ( 49 ).

    87.

    Dans ces conditions, on ne saurait admettre que, du simple fait du temps écoulé, les intérêts commerciaux des entreprises concernées se transforment en intérêt pur et simple à éviter les effets d’une action en dommages et intérêts.

    88.

    Partant, le Tribunal a, selon moi, commis une erreur en se fondant sur la seule ancienneté des documents pour exclure même la possibilité de l’existence d’un intérêt commercial digne de protection. Il s’est donc également trompé en écartant la présomption selon laquelle, s’agissant de documents générés ou utilisés dans une procédure en matière d’ententes, leur divulgation pourrait nuire à l’intérêt protégé par cette procédure.

    89.

    Tout cela vaut indépendamment de la question de savoir si les documents ont été remis volontairement, contrairement à ce qui s’appliquerait aux documents recueillis par la Commission dans les procédures en matière de concentrations. Cette différence, invoquée par EnBW contre les conclusions du pourvoi, me paraît dépourvue de pertinence.

    90.

    Comme indiqué dans ma réponse au deuxième moyen du pourvoi, la procédure en matière d’ententes partage avec celles en matière d’aides d’État et en matière de concentrations l’objectif de garantir la concurrence dans le cadre de l’Union. Chacune de ces procédures se sert à cette fin d’outils propres incluant, pour la procédure en matière d’ententes, les programmes de clémence, basés sur la collaboration volontaire des entreprises soumises à la procédure.

    91.

    Comme il a été constaté dans le cadre de l’examen du troisième moyen du pourvoi, ces programmes sont, selon la Cour, des outils utiles dans la lutte contre la violation des règles de concurrence et méritent par conséquent la protection de l’ensemble du système.

    92.

    Il est vrai que j’ai proposé de rejeter le troisième moyen du pourvoi parce que la Commission n’a pas dûment invoqué le préjudice qui pourrait être concrètement infligé au programme de clémence appliqué dans la procédure dont il est question en l’espèce. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il faille également rejeter le grief relatif au préjudice que pourraient souffrir les intérêts commerciaux de ceux qui ont participé au programme de clémence, car ce quatrième moyen ne concerne pas tant la protection de ce programme en soi que la protection directe de ces intérêts, dont la violation ne pourrait qu’indirectement porter atteinte à l’instrument de la clémence.

    93.

    Certes, il ne peut être exclu que la divulgation des informations fournies par les entreprises concernées puisse porter objectivement atteinte à leurs intérêts commerciaux. Le fait que ces informations ont été fournies volontairement et pour exclure ou réduire une sanction ne saurait, à mes yeux, justifier de conclure que les intérêts commerciaux impliqués ne mériteraient aucune protection. Sinon, l’on ajouterait à la sanction qui devra finalement être appliquée à l’entreprise ayant collaboré avec la Commission une sanction nouvelle, correspondant au préjudice causé à ses intérêts commerciaux.

    94.

    J’estime, par conséquent, qu’il faut accueillir le quatrième moyen, non pas à cause du rejet de l’applicabilité de la présomption selon laquelle la divulgation des informations se rapportant aux intérêts commerciaux pourrait nuire à l’intérêt protégé dans la procédure en matière d’ententes, mais, plus encore, à cause de la négation de l’existence même d’intérêts commerciaux en jeu.

    E – Sur le cinquième moyen du pourvoi

    95.

    Le dernier moyen du pourvoi reproche à l’arrêt attaqué une interprétation erronée des conditions dans lesquelles la Commission peut refuser l’accès à un document même après la fin de la procédure de décision.

    96.

    À ce propos, il y a lieu de se référer à la jurisprudence résultant de l’arrêt du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission ( 50 ), concernant l’incidence éventuelle sur le sort d’une demande d’accès du fait que la procédure à laquelle le document en question est lié se soit ou non conclue par l’adoption de la décision correspondante.

    97.

    Ainsi que j’ai eu l’occasion de l’exposer dans mes conclusions dans l’affaire Commission/Agrofert Holding, précitée ( 51 ), il découle de cette jurisprudence que «le fait que la procédure soit terminée n’entraîne pas en soi la divulgation du document, même si le refus d’y donner accès doit alors être particulièrement justifié». J’ajoutais alors que, «[u]ne fois que la procédure est terminée, l’accès aux documents qui ont été produits au cours de celle-ci en vue de conduire à l’adoption d’une décision finale et définitive ne saurait, par définition, remettre en cause l’issue de la procédure ni, par conséquent, la décision qui l’a conclue. C’est donc dans cette perspective qu’il convient de considérer les avis juridiques et les documents internes dont l’accès a été refusé par la Commission» ( 52 ). Enfin, «[p]our ce qui concerne les documents contenant des avis juridiques ainsi que ceux qui sont établis par la Commission dans le cadre de délibérations et de consultations liées à la procédure (article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, et paragraphe 3, du règlement no 1049/2001), la solution retenue par la Cour dans l’affaire Suède/MyTravel et Commission, précitée, s’applique parfaitement en l’espèce» ( 53 ).

    98.

    Pour en revenir aux circonstances de la présente affaire, le Tribunal est parti du postulat que le deuxième alinéa de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 «permet d’opposer un refus même après que la décision a été prise, lorsque la divulgation de ces documents porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution» ( 54 ).

    99.

    Cela dit, l’arrêt attaqué nie que la Commission ait démontré que «tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a), contenaient des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001» ( 55 ) et, nonobstant les allégations de la Commission, il exclut que «cette notion inclu[e], premièrement, tous les documents contenant ou demandant une appréciation ou un jugement de ses fonctionnaires ou de ses services, deuxièmement, tous les documents servant à préparer sa décision et, troisièmement, tous les documents servant à garantir une participation d’autres services à la procédure» ( 56 ).

    100.

    Cependant, le Tribunal conclut que, même si «les justifications invoquées par la Commission dans le cadre de la procédure devant le Tribunal […] sont certes susceptibles de rendre plausible l’hypothèse que de nombreux documents relevant de la catégorie 5, sous a), contiennent de tels avis, force est de constater que ces justifications […] n’ont pas été invoquées par la Commission dans la décision attaquée et ne sauraient donc être considérées comme constituant un motif ayant déterminé l’adoption de cette dernière. Par conséquent […], il y a lieu de conclure que la Commission est restée en défaut de démontrer la qualité d’avis, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, pour tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a)» ( 57 ).

    101.

    La Commission reconnaît que les explications fournies dans la procédure devant le Tribunal ne figuraient pas explicitement dans la décision D (2008) 4931 ( 58 ), mais cela ne signifie pas, à ses yeux, qu’elles n’ont pas constitué un motif ayant déterminé le refus d’accès, selon ce qu’il découle des termes de ladite décision. Le Tribunal l’a reconnu en affirmant, au point 88 de l’arrêt attaqué, qu’«il découle implicitement du point 3.2.5 de la décision attaquée et explicitement de la réponse de la Commission du 9 novembre 2011 aux questions écrites du Tribunal que cette dernière considère que tous les documents relevant de la catégorie 5, sous a), contiennent des avis destinés à l’utilisation interne, au sens de cette disposition».

    102.

    Je partage le point de vue de la Commission. Même s’il est évident que déduire de la décision D (2008) 4931 que, pour la Commission, tous les documents concernés contiennent des avis destinés à l’utilisation interne est une chose et que le fait qu’elle ait énoncé cette considération dans la décision elle-même en est une autre, toute différente, il reste que c’est devant le Tribunal qu’il fallait établir ce point. Il suffisait donc que, comme cela a été le cas, la décision expose les raisons pour lesquelles l’on invoquait l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement no 1049/2001 pour rejeter la demande d’accès à tous les documents inclus dans la catégorie 5, sous a).

    103.

    Partant, dès lors que le Tribunal avait admis, pour reprendre ses propres termes, comme «plausible l’hypothèse que de nombreux documents relevant de la catégorie 5, sous a), contiennent de tels avis» destinés à l’utilisation interne, il fallait confirmer ce point et, par conséquent, déterminer à quel document l’exception invoquée par la Commission pouvait être appliquée concrètement.

    104.

    À partir de là, il fallait, comme le Tribunal l’a fait aux points 162 à 167 de l’arrêt attaqué, vérifier si la divulgation de ces documents pouvait nuire au processus décisionnel. La conclusion du Tribunal sur ce point me semble incorrecte.

    105.

    En effet, le Tribunal a estimé que les raisons invoquées par la Commission pour établir le préjudice que pourrait causer la divulgation des documents étaient génériques et abstraites et que la Commission n’a pas montré en quoi il serait porté atteinte à l’enquête sur l’entente si la décision ayant mis fin à la procédure sur l’entente était annulée et s’il fallait donc adopter une décision nouvelle ( 59 ). Le Tribunal reproche, par ailleurs, à la Commission qu’elle ait tenté «de rapprocher, voire d’assimiler, la présente situation, caractérisée […] par le fait qu’elle a déjà adopté une décision, à une situation dans laquelle une décision n’a pas encore été prise» ( 60 ).

    106.

    Cependant, ce point de vue a été invalidé par l’arrêt que la Cour a prononcé dans l’affaire Commission/Éditions Odile Jacob, précitée, un peu plus d’un mois après l’arrêt attaqué. Dans cet arrêt, la Cour a souligné la différence entre une demande d’accès à des documents élaborés dans une procédure qui s’est achevée par une décision devenue définitive et une demande se rapportant à des documents d’une procédure dans laquelle la décision fait l’objet d’un procès encore en cours.

    107.

    Pour la Cour, «dans une situation […], où l’institution concernée pourrait, en fonction de l’issue de la procédure juridictionnelle, être amenée à reprendre ses activités aux fins de l’adoption éventuelle d’une nouvelle décision […], il convient d’admettre l’existence d’une présomption générale selon laquelle l’obligation qui serait faite à ladite institution de divulguer, au cours de cette procédure, des notes internes telles que celles visées [dans le] présent arrêt porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution» ( 61 ).

    108.

    En l’espèce, la Commission a déclaré que, à la suite de l’annulation partielle d’autres décisions prises dans la même affaire d’ententes ( 62 ), elle avait été invitée à fixer une nouvelle fois le montant de l’amende imposée aux entreprises concernées par ces décisions et que, si les documents internes de la procédure (y compris ceux relatifs au calcul des sanctions) avaient été divulgués prématurément, le processus décisionnel aurait été compromis.

    109.

    Dans cette hypothèse, l’éventualité d’un contrôle juridictionnel de l’une des décisions par lesquelles la procédure a été menée à terme signifie que la procédure en tant que telle ne peut être considérée comme achevée, même si la décision se référant spécifiquement aux entreprises contre lesquelles la personne qui demande un document envisage d’introduire une action en dommages et intérêts est devenue définitive.

    110.

    Le Tribunal aurait donc dû voir qu’il y avait de bonnes raisons de penser que la divulgation des documents contenant des avis internes pouvait nuire à l’adoption de nouvelles décisions dans la même procédure, dans le cas où il serait fait droit aux recours juridictionnels introduits contre des décisions autres que celles qui concrètement se rapportaient aux entreprises contre lesquelles EnBW prétendait agir.

    111.

    En me fondant sur les considérations qui précèdent, j’estime qu’il y a lieu d’accueillir le dernier moyen du pourvoi.

    VII – Sur l’adoption par la Cour d’une décision définitive sur le litige

    112.

    Conformément à l’article 61 du statut de la Cour, «[l]orsque le pourvoi est fondé, la Cour de justice annule la décision du Tribunal» et «[e]lle peut alors […] statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé».

    113.

    Selon moi, la Cour peut en l’espèce statuer définitivement sur le litige.

    114.

    Dans son recours devant le Tribunal, EnBW avait invoqué quatre moyens d’annulation tirés, premièrement, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, et de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, deuxièmement, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, dernier membre de phrase, dudit règlement, troisièmement, de la violation de son article 4, paragraphe 6, et, quatrièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la portée de la demande d’accès.

    115.

    Le quatrième moyen doit être accueilli pour les raisons exposées aux points 32 à 37 de l’arrêt attaqué, qui n’ont pas été attaqués dans le pourvoi.

    116.

    Les autres moyens doivent être rejetés pour les raisons exposées aux points 49 à 65 et 80 à 109 des présentes conclusions.

    VIII – Sur les dépens

    117.

    Conformément à l’article 184, paragraphe 1, et à l’article 138, paragraphe 2, du règlement de procédure, je propose à la Cour que, compte tenu de la solution proposée, chacune des parties, y compris les parties intervenantes, supporte ses propres dépens.

    IX – Conclusion

    118.

    Au vu des considérations qui précèdent, je conclus à ce qu’il plaise à la Cour de justice:

    1)

    faire partiellement droit au pourvoi en accueillant les deuxième, quatrième et cinquième moyen, tirés respectivement d’une erreur d’interprétation des paragraphes 2 et 3 de l’article 4 du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, liés aux conditions d’accès aux documents d’une procédure en matière d’ententes et à la protection des intérêts commerciaux et du processus décisionnel, et, en conséquence;

    2)

    annuler l’arrêt rendu par le Tribunal de l’Union européenne le 22 mai 2012 dans l’affaire T‑344/08, EnBW Energie Baden-Württemberg AG/Commission, par lequel le Tribunal a annulé la décision D (2008) 4931 de la Commission, du 16 juin 2008, refusant l’accès au dossier de la procédure COMP/F/38.899 – Appareillages de commutation à isolation gazeuse;

    3)

    annuler la décision D (2008) 4931, pour erreur manifeste d’appréciation sur la portée de la demande d’accès;

    4)

    condamner les parties, y compris les parties intervenantes, à supporter chacune ses propres dépens.


    ( 1 )   Langue originale: l’espagnol.

    ( 2 )   Arrêt T‑344/08.

    ( 3 )   Décision D (2008) 4931.

    ( 4 )   JO L 145, p. 43.

    ( 5 )   Décision C(2006) 6762 final, du 24 janvier 2007, affaire COMP/F/38.899. Les producteurs concernés incluaient ABB Ltd (ci-après «ABB») et Siemens AG (ci‑après «Siemens»).

    ( 6 )   Arrêt du 29 juin 2010 (C-139/07 P, Rec. p. I-5885, ci-après l’«arrêt TGI»).

    ( 7 )   Arrêt du 28 juin 2012 (C‑477/10 P).

    ( 8 )   Règlement du Conseil du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

    ( 9 )   Règlement de la Commission du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18).

    ( 10 )   Ce qui est conforme à la doctrine établie dans l’arrêt TGI (points 55 à 58).

    ( 11 )   Arrêt du 28 juin 2012 (C‑404/10 P).

    ( 12 )   Arrêt du 14 juin 2011 (C-360/09, Rec. p. I-5161).

    ( 13 )   Conclusions du 18 décembre 2011 (point 26).

    ( 14 )   Idem.

    ( 15 )   Arrêt précité (point 50).

    ( 16 )   Point 57 de l’arrêt attaqué.

    ( 17 )   Ibidem (point 58).

    ( 18 )   Ibidem (point 61).

    ( 19 )   Ibidem (point 62).

    ( 20 )   Arrêt précité à la note 6 (points 55 à 61).

    ( 21 )   Règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1).

    ( 22 )   Arrêt précité (point 59).

    ( 23 )   Sur la procédure prévue par ce règlement, voir Wils, W. P. J., «EU Antitrust Enforcement Powers and Procedural Rights and Guarantees: The Interplay between EU Law, National Law, the Charter of Fundamental Rights of the EU and the European Convention on Human Rights», dans Concurrences, mai 2011, et dans World Competition, vol. 34, no 2, juin 2011. Accessible à l’adresse http://ssrn.com/author=456087.

    ( 24 )   Précitées.

    ( 25 )   Ibidem (point 64).

    ( 26 )   Ibidem (point 65).

    ( 27 )   Point 59 de l’arrêt attaqué.

    ( 28 )   Idem.

    ( 29 )   Point 61 de l’arrêt attaqué.

    ( 30 )   Italique ajouté par mes soins.

    ( 31 )   Idem.

    ( 32 )   Arrêt TGI.

    ( 33 )   Arrêt Commission/Agrofert Holding, précité (point 68).

    ( 34 )   C‑536/11.

    ( 35 )   Arrêt Donau Chemie e.a., précité (point 42).

    ( 36 )   Ibidem,(point 43).

    ( 37 )   Ibidem (point 44).

    ( 38 )   Ibidem (point 45).

    ( 39 )   Ibidem (point 46).

    ( 40 )   Ibidem (point 47).

    ( 41 )   Ibidem (point 48).

    ( 42 )   Voir mémoire en réponse (point 20).

    ( 43 )   Arrêt précité (point 43).

    ( 44 )   Italique ajouté par mes soins.

    ( 45 )   Point 147 de l’arrêt attaqué.

    ( 46 )   Point 148 de l’arrêt attaqué.

    ( 47 )   Conclusions présentées dans l’affaire Commission/Agrofert Holding, précitée (point 78).

    ( 48 )   Ibidem (point 79).

    ( 49 )   Voir, en ce sens, conclusions dans l’affaire Commission/Agrofert Holding, précitée (point 77).

    ( 50 )   C‑506/08 P (Rec. p. I‑6237).

    ( 51 )   Point 74, avec une référence à l’arrêt Suède/MyTravel et Commission, précité (points 113 et 119).

    ( 52 )   Conclusions présentées dans l’affaire Commission/Agrofert Holding, précitée (point 75).

    ( 53 )   Conclusions présentées dans l’affaire Commission/Agrofert Holding, précitée (point 80).

    ( 54 )   Point 153 de l’arrêt attaqué.

    ( 55 )   Point 156 de l’arrêt attaqué.

    ( 56 )   Idem.

    ( 57 )   Point 160 de l’arrêt attaqué.

    ( 58 )   Point 119 du pourvoi.

    ( 59 )   Points 165 à 167 de l’arrêt attaqué.

    ( 60 )   Point 167 de l’arrêt attaqué.

    ( 61 )   Arrêt Commission/Éditions Odile Jacob, précité (point 130).

    ( 62 )   Voir arrêts du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission (T-113/07, Rec. p. II-3989), et Fuji Electric/Commission (T‑132/07, Rec. p. II 4091).

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