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Document 62011CJ0046

Arrêt de la Cour (huitième chambre) du 15 mars 2012.
Commission européenne contre République de Pologne.
Manquement d’État – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Protection insuffisante de certaines espèces, notamment de la loutre (Lutra lutra).
Affaire C‑46/11.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:146

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

15 mars 2012 (*)

«Manquement d’État – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Protection insuffisante de certaines espèces, notamment de la loutre (Lutra lutra)»

Dans l’affaire C‑46/11,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 1er février 2011,

Commission européenne, représentée par Mmes S. Petrova et K. Herrmann, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République de Pologne, représentée par MM. M. Szpunar, D. Krawczyk et B. Majczyna, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme A. Prechal, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur) et Mme C. Toader, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 janvier 2012,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en ne transposant pas correctement les conditions régissant les dérogations établies à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7, ci‑après la «directive ‘habitats’»), la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite disposition.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        L’article 12, paragraphes 1 et 2, de la directive «habitats» est libellé comme suit:

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant:

a)      toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature;

b)      la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration;

c)      la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature;

d)      la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos.

2.      Pour ces espèces, les États membres interdisent la détention, le transport, le commerce ou l’échange et l’offre aux fins de vente ou d’échange de spécimens prélevés dans la nature, à l’exception de ceux qui auraient été prélevés légalement avant la mise en application de la présente directive.»

3        L’article 13, paragraphe 1, de cette directive prévoit:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces végétales figurant à l’annexe IV point b) interdisant:

a)      la cueillette ainsi que le ramassage, la coupe, le déracinage ou la destruction intentionnels dans la nature de ces plantes, dans leur aire de répartition naturelle;

b)      la détention, le transport, le commerce ou l’échange et l’offre aux fins de vente ou d’échange de spécimens desdites espèces prélevés dans la nature, à l’exception de ceux qui auraient été prélevés légalement avant la mise en application de la présente directive.»

4        L’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats» dispose:

«À condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b):

a)      dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels;

b)      pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété;

c)      dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement;

d)      à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes;

e)      pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l’annexe IV.»

 Le droit national

5        En Pologne, la transposition de la directive «habitats» a été assurée par la loi sur la protection de la nature (ustawa o ochronie przyrody), du 16 avril 2004 (Dz. U. n° 92, position 880), telle que modifiée (ci-après la «loi sur la protection de la nature»).

6        L’article 51, paragraphe 1, de la loi sur la protection de la nature prévoit:

«En ce qui concerne les espèces sauvages de plantes et de champignons protégées, sont susceptibles de faire l’objet d’une interdiction les éléments suivants:

1)      leur cueillette, destruction, détérioration, déplacement et culture;

2)      la destruction de leurs habitats et abris;

3)      la modification des conditions hydriques, l’emploi de produits chimiques, la destruction du couvert végétal et des sols des abris concernés;

4)      le prélèvement, la cueillette, la détention, la possession, la dissection et la transformation de spécimens des espèces concernées;

5)      la cession, l’acquisition, l’offre aux fins de vente, d’échange ou de don de spécimens des espèces protégées concernées;

6)      l’importation sur le territoire national et l’exportation de spécimens des espèces concernées.»

7        L’article 52, paragraphe 1, de ladite loi dispose:

«1.      En ce qui concerne les espèces animales sauvages protégées, sont susceptibles de faire l’objet d’une interdiction les éléments suivants:

1)      leur mise à mort, leur mutilation ou leur capture intentionnelle;

1bis)      le transport, le prélèvement, la détention, la reproduction et l’élevage, ainsi que la possession d’animaux vivants;

2)      le ramassage, la détention et la possession de spécimens des espèces concernées;

3)      la destruction intentionnelle de leurs œufs, de leurs jeunes et de spécimens de ces espèces à tous les stades de leur développement;

4)      la destruction de leurs habitats et abris;

5)      la destruction des nids, fourmilières, terriers, barrages, sites de reproduction, frayères, gîtes d’hivernage et autres refuges;

6)      le ramassage, la possession et la détention de leurs œufs;

7)      le fait de vider les œufs aux fins d’en obtenir la coquille, la possession et la détention de coquilles d’œufs vides;

8)      l’empaillage de spécimens des espèces concernées;

9)      la cession, l’acquisition, l’offre aux fins de vente, d’échange ou de don de spécimens des espèces protégées concernées;

10)      l’importation sur le territoire national et l’exportation de spécimens des espèces concernées;

11)      le fait de perturber ou troubler leur quiétude intentionnellement;

12)      la réalisation de photographies, de films, ou d’observations susceptibles de troubler ou perturber leur quiétude;

13)      le fait de les déplacer de leur milieu habituel vers un autre;

14)      la remise en liberté des animaux nés et élevés en captivité.»

8        Le règlement du 9 juillet 2004 relatif aux espèces végétales sauvages protégées (Dz. U. n° 168, position 1764, ci‑après le «règlement du 9 juillet 2004»), adopté par le ministre de l’Environnement, reprend, pour les espèces végétales bénéficiant d’une protection stricte ou partielle, l’intégralité des interdictions mentionnées à l’article 51, paragraphe 1, de la loi sur la protection de la nature, à l’exception de l’interdiction visant leur déplacement et leur culture.

9        En adoptant le règlement du 28 septembre 2004 relatif aux espèces animales sauvages protégées (Dz. U. n° 220, position 2237, ci-après le «règlement du 28 septembre 2004»), le ministre de l’Environnement a instauré, pour la faune faisant l’objet d’une protection stricte ou partielle, les interdictions mentionnées à l’article 52, paragraphe 1, de la loi sur la protection de la nature.

10      Parallèlement, les articles 51, paragraphe 2, et 52, paragraphe 2, de ladite loi prévoient la possibilité d’introduire des dispositions dérogatoires aux interdictions visées au paragraphe 1 de ces deux articles.

11      Ainsi, l’article 51, paragraphe 2, de la loi sur la protection de la nature prévoit:

«En ce qui concerne les espèces sauvages de plantes et de champignons protégées, lorsqu’il n’existe pas d’alternative et pour autant que les populations protégées de plantes et de champignons ne s’en trouvent pas menacées, des dérogations aux interdictions visées au paragraphe 1 peuvent être prévues, concernant:

1)      les activités liées à la pratique d’une agriculture, d’une sylviculture ou d’une pisciculture raisonnées, lorsque les technologies utilisées ne permettent pas le respect des interdictions;

[...]»

12      L’article 52, paragraphe 2, de ladite loi dispose:

«En ce qui concerne les espèces animales sauvages protégées, lorsqu’il n’existe pas d’alternative et pour autant que les populations d’animaux protégés ne s’en trouvent pas menacées, des dérogations aux interdictions visées au paragraphe 1 peuvent être prévues, concernant:

[...]

5)      la prévention des dommages importants, notamment de ceux causés aux exploitations agricoles, sylvicoles, ou aux fermes piscicoles;

[...]»

13      L’article 7, paragraphe 1, du règlement du 9 juillet 2004 est libellé comme suit:

«Les interdictions mentionnées à l’article 6, points 1 à 3, [qui reprennent les interdictions envisagées à l’article 51, paragraphe 1, points 1 à 3, de la loi sur la protection de la nature, en ce qui concerne certaines espèces de la flore sauvage,] ne frappent pas:

1)      les activités liées à la pratique d’une agriculture, d’une sylviculture ou d’une pisciculture raisonnées, lorsque les technologies utilisées ne permettent pas le respect des interdictions;

[...]»

14      L’article 8 du règlement du 28 septembre 2004 dispose:

«Les interdictions mentionnées à l’article 6[, qui reprennent les interdictions envisagées à l’article 52, paragraphe 1, de la loi sur la protection de la nature, portant sur certaines espèces animales protégées,] ne frappent pas les activités liées à la pratique d’une agriculture, d’une sylviculture ou d’une pisciculture raisonnées, lorsque les technologies utilisées ne permettent pas le respect de ces interdictions.»

15      L’article 56 de la loi sur la protection de la nature  prévoit:

«1.      Le directeur général chargé de la protection de l’environnement peut donner l’autorisation de déroger aux interdictions visées à l’article 51, paragraphe 1, points 1, 5 et 6, ainsi qu’à l’article 52, paragraphe 1, points 1, 2, 10, 11 et 14, en ce qui concerne les espèces:

1)      soumises à un régime de protection stricte

2)      soumises à un régime de protection partielle [...]

2.      Le directeur régional chargé de la protection de l’environnement peut autoriser, dans la limite de ses compétences:

1)      en ce qui concerne les espèces soumises à un régime de protection partielle, des activités frappées par les interdictions visées à l’article 51, paragraphe 1, ainsi qu’à l’article 52, paragraphe 1;

2)      en ce qui concerne les espèces soumises à un régime de protection stricte, des activités frappées par les interdictions visées à l’article 51, paragraphe 1, points 2 à 4, ainsi qu’à l’article 52, paragraphe 1, points 3, 9, 12 et 13.

[...]

4.      Les autorisations mentionnées aux paragraphes 1 et 2 [...] peuvent être accordées lorsqu’il n’existe pas d’alternative et pour autant que les populations d’espèces végétales et animales sauvages et les populations de champignons protégées ne soient pas mises en danger de ce fait, et

[...]

2)      qu’elles résultent de la nécessité de limiter des dommages importants causés à une exploitation, notamment aux exploitations agricoles, sylvicoles, ou aux fermes piscicoles [...]»

 Les faits à l’origine du litige et la procédure précontentieuse

16      Le 4 juillet 2006, la Commission a adressé à la République de Pologne une lettre de mise en demeure dans laquelle elle lui faisait grief, notamment, d’avoir transposé de manière incorrecte l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats».

17      Dans sa réponse du 29 août 2006, ledit État membre a considéré que le grief de la Commission, en ce qui concerne la transposition en droit polonais des exigences définies à l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats», était fondé. Pour ce qui est de la dérogation prévue à l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature, la République de Pologne a assuré à la Commission que cette disposition serait reformulée conformément au libellé de l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats» dès la prochaine révision, alors imminente, de ladite loi.

18      Estimant que la République de Pologne n’avait pas adopté de mesures de nature à remédier au manquement reproché, la Commission a adressé, le 29 janvier 2010, un avis motivé à cet État membre. Dans celui-ci, la Commission affirme notamment que:

–        en autorisant, dans les règlements des 9 juillet et 28 septembre 2004, des dérogations aux interdictions relatives à la conservation des espèces mentionnées dans la directive «habitats» en ce qui concerne les activités liées à la pratique d’une agriculture, d’une sylviculture ou d’une pisciculture raisonnées,

–        en prévoyant, à l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature, la possibilité de bénéficier d’une dérogation aux interdictions liées à la conservation des espèces animales lorsqu’il s’agit de prévenir les dommages importants, notamment ceux causés aux exploitations agricoles, sylvicoles ou aux fermes piscicoles,

–        en disposant de même à l’article 56, paragraphe 4, point 2, de ladite loi, et

–        en n’introduisant pas d’interdictions aux fins de la conservation des espèces dans le règlement du 28 septembre 2004 en ce qui concerne les populations de loutres (Lutra lutra) peuplant les zones d’étangs piscicoles concédés à des fins d’élevage et, partant, en autorisant, en particulier, leur capture et leur mise à mort,

la République de Pologne n’a pas correctement transposé l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats».

19      Dans sa réponse du 29 mars 2010 audit avis motivé, la République de Pologne a indiqué que l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature, qui introduisait la possibilité de déroger aux interdictions de capture et de mise à mort d’animaux en ce qui concerne les activités pratiquées dans le cadre d’une agriculture, d’une sylviculture ou d’une pisciculture raisonnées, avait été abrogé au cours de l’année 2008, tout en reconnaissant que la disposition exécutoire correspondante, à savoir l’article 8 du règlement du 28 septembre 2004, subsistait. En revanche, la dérogation prévue par ladite loi était toujours en vigueur s’agissant des espèces végétales. En outre, cet État membre a admis que l’exception aux interdictions visées à l’article 12 de la directive «habitats» mise en œuvre par l’article 6 dudit règlement en ce qui concerne les populations de loutres dans les zones d’étangs piscicoles concédés à des fins d’élevage n’était pas prévue par cette directive et qu’elle serait donc supprimée lors de la prochaine révision. Enfin, ledit État membre a également reconnu que l’article 56, paragraphe 4, point 2, de la loi sur la protection de la nature élargissait la portée des conditions fixées à l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats» et qu’il convenait dès lors d’en restreindre le champ d’application en conséquence.

20      Estimant que la République de Pologne n’avait pas remédié aux manquements invoqués, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

21      La Commission réitère les quatre griefs invoqués dans son avis motivé à l’encontre de la République de Pologne.

22      La République de Pologne réfute ces griefs au motif que les dérogations contestées par la Commission soit ne sont pas en vigueur, soit ne sont pas appliquées. En tout état de cause, et afin d’écarter toute incertitude quant à la conformité des dispositions de la réglementation nationale en cause avec l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats», la République de Pologne déclare qu’elle est actuellement en train de parachever une procédure de révision de cette réglementation pour supprimer de cette dernière lesdites dérogations, et ce malgré le fait que celles‑ci aient perdu toute force obligatoire et qu’elles ne soient pas appliquées en pratique.

 Sur le premier grief, tiré de l’instauration, en violation de l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats», d’une dérogation relative aux activités liées à la pratique d’une agriculture, d’une sylviculture ou d’une pisciculture raisonnées, lorsque les technologies utilisées ne permettent pas le respect des interdictions

 Argumentation des parties

23      La Commission fait valoir que l’article 51, paragraphe 2, point 1, ainsi que l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature, ce dernier article dans sa version antérieure à la révision effectuée au cours de l’année 2008, prévoient la possibilité de déroger aux interdictions visées aux paragraphes 1 respectifs desdits articles, relatives, notamment, à la cueillette, à la destruction ou à l’offre aux fins de vente de la flore protégée ainsi qu’à la mise à mort, à la capture et à la perturbation intentionnelles de la faune protégée ou encore à la destruction de ses abris, lorsque sont en cause des activités liées à la pratique d’une agriculture, d’une sylviculture ou d’une pisciculture raisonnées, si les technologies utilisées ne permettent pas le respect des interdictions applicables en la matière. Cette possibilité aurait été mise en œuvre, pour ce qui est de la flore protégée, dont en particulier des espèces figurant à l’annexe IV, sous b), de la directive «habitats», au moyen de l’article 7, paragraphe 1, point 1, du règlement du 9 juillet 2004, et, en ce qui concerne la faune protégée, dont en particulier des espèces figurant à l’annexe IV, sous a), de cette directive, au moyen de l’article 8 du règlement du 28 septembre 2004.

24      La Commission fait remarquer que l’abrogation, dans le cadre de la révision intervenue au cours de l’année 2008, de la disposition figurant à l’article 52, paragraphe 2, de la loi sur la protection de la nature, lequel prévoyait la possibilité, s’agissant de la faune, d’introduire des dérogations dans les actes exécutoires, n’a pas permis de mettre un terme au manquement reproché. En effet, l’article 8 du règlement du 28 septembre 2004, ayant mis en œuvre cette possibilité au cours de l’année 2004, serait toujours en vigueur et serait donc susceptible de constituer la base juridique des mesures concrètes adoptées par les administrations et les organismes de droit public.

25      La République de Pologne rétorque à cet égard que, bien que la dérogation en cause continue de figurer à l’article 8 du règlement du 28 septembre 2004, cette disposition ne saurait être appliquée compte tenu de la hiérarchie des normes instituées par la Constitution polonaise. En effet, ladite disposition aurait été introduite sur le fondement de l’article 52, paragraphe 2, de la loi sur la protection de la nature, dans sa version antérieure à la révision effectuée au cours de l’année 2008, de sorte qu’elle serait actuellement contraire aux normes hiérarchiquement supérieures. Par conséquent, les dispositions réglementaires existant jusqu’alors ne sauraient être appliquées dans la mesure où elles instituent des règles de droit dont le libellé est incompatible avec celui de nouvelles dispositions législatives. Toutefois, afin d’éliminer d’éventuelles imprécisions concernant l’état du droit en vigueur et d’instaurer une cohérence entre les dispositions susmentionnées de cette loi et de ce règlement, la République de Pologne déclare qu’elle modifiera sans tarder le règlement du 28 septembre 2004 en abrogeant la dérogation en cause et qu’elle fera de même pour ce qui est du règlement du 9 juillet 2004.

 Appréciation de la Cour

26      Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, qu’il ressort des quatrième et onzième considérants de la directive «habitats» que les habitats et les espèces menacés font partie du patrimoine naturel de l’Union européenne et que les menaces pesant sur ceux-ci sont souvent de nature transfrontalière, de telle sorte que l’adoption de mesures de conservation incombe, à titre de responsabilité commune, à tous les États membres. Par conséquent, l’exactitude de la transposition revêt une importance particulière dans un cas comme celui en l’espèce, où la gestion du patrimoine commun est confiée, pour leur territoire respectif, aux États membres (voir arrêt du 10 janvier 2006, Commission/Allemagne, C‑98/03, Rec. p. I-53, point 59).

27      Il s’ensuit que, dans le cadre de cette directive, laquelle pose des règles complexes et techniques dans le domaine du droit de l’environnement, les États membres sont spécialement tenus de veiller à ce que leur législation destinée à assurer la transposition de ladite directive soit claire et précise (voir arrêt Commission/Allemagne, précité, point 60).

28      À cet égard, il importe de relever que l’exécution conforme aux dispositions d’une directive par les autorités administratives d’un État membre ne peut, à elle seule, présenter la clarté et la précision requises pour satisfaire à l’exigence de sécurité juridique (voir, notamment, arrêt du 12 juillet 2007, Commission/Autriche, C‑507/04, Rec. p. I-5939, point 137). En outre, de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l’administration et dépourvues d’une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution des obligations qui incombent aux États membres dans le cadre de la transposition d’une directive (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2007, Commission/Autriche, C‑508/04, Rec. p. I-3787, points 79 et 80).

29      L’article 16 de la directive «habitats», qui définit de manière précise les critères sur la base desquels les États membres peuvent prévoir des dérogations aux interdictions énoncées aux articles 12 à 15 de celle-ci, lesquelles forment un ensemble cohérent de normes qui imposent aux États membres d’instaurer des régimes de protection stricte des espèces animales et végétales concernées, constitue une disposition d’exception au système de protection prévu par cette directive. Par conséquent, cet article 16 doit être interprété de manière restrictive (voir arrêt du 10 mai 2007, Commission/Autriche, précité, points 109 et 110).

30      En l’espèce, il convient de rappeler que l’article 7 du règlement du 9 juillet 2004 prévoit que les interdictions, notamment, de cueillir, de détruire ou d’offrir aux fins de vente des espèces sauvages de plantes et de champignons protégés ne frappent pas les activités liées à la pratique d’une agriculture, d’une sylviculture ou d’une pisciculture raisonnées, lorsque les technologies utilisées ne permettent pas le respect des interdictions. En vertu de l’article 8 du règlement du 28 septembre 2004, ces mêmes activités bénéficient, dans les mêmes conditions, d’une dérogation aux interdictions, notamment, de mettre à mort, de capturer ou de perturber intentionnellement les espèces animales sauvages protégées ainsi que de détruire leurs abris.

31      Or, l’article 16 de la directive «habitats» n’autorise pas à déroger à de telles interdictions, instaurées par les articles 12 et 13 de cette directive, lorsque le respect de ces interdictions ne permettrait pas de recourir aux technologies utilisées habituellement dans le cadre d’activités liées à la pratique d’une agriculture, d’une sylviculture ou d’une pisciculture raisonnées.

32      S’agissant plus particulièrement de l’article 8 du règlement du 28 septembre 2004, sans qu’il soit besoin d’examiner la question de savoir si une telle disposition ne doit pas, en vertu du droit polonais, être appliquée dans la mesure où elle est incompatible avec les dispositions législatives introduites au cours de l’année 2008, force est de constater, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 28 du présent arrêt, que la présence d’une telle disposition dans l’ordre juridique national ne répond pas, notamment à l’égard des autorités administratives chargées de l’application de cette dernière, aux impératifs de clarté et de précision requis pour satisfaire à l’exigence de sécurité juridique.

33      Du reste, la République de Pologne, elle-même, s’est engagée à abroger la dérogation prévue à l’article 8 du règlement du 28 septembre 2004. Par ailleurs, cet État membre s’est également engagé à abroger la dérogation prévue à l’article 7 du règlement du 9 juillet 2004.

34      Compte tenu de ce qui précède, il convient d’accueillir le premier grief.

 Sur le deuxième grief, tiré de la transposition incorrecte de l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats» par l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature en ce qu’il prévoit la possibilité de dérogations lorsqu’il s’agit de prévenir les dommages importants, notamment ceux causés aux exploitations agricoles, sylvicoles ou aux fermes piscicoles

 Argumentation des parties

35      Selon la Commission, l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature, en ce qu’il permet de déroger aux interdictions visant la conservation des espèces animales, telles que les interdictions de mise à mort, de capture, de détention ou de cession pour autant qu’il s’agisse de prévenir les dommages importants, notamment ceux causés aux exploitations agricoles, sylvicoles ou aux fermes piscicoles, ne constitue pas une transposition correcte de l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats».

36      La Commission soutient que l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats» vise à prévenir les dommages matériels importants que pourraient causer des espèces mentionnées à l’annexe IV, sous a), de la directive «habitats». En revanche, des dommages causés à une exploitation pourraient résider, le cas échéant, dans une dégradation de la viabilité financière de celle-ci, une telle dégradation n’étant pas nécessairement liée aux dommages occasionnés aux biens matériels d’une exploitation tels que les cultures, les forêts ou les pêcheries.

37      La Commission fait valoir que l’hypothèse sur laquelle est fondé l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats» serait remplie, notamment, dès lors qu’une espèce animale donnée menacerait de causer des dommages directs importants aux cultures, à l’élevage et à toute autre forme de propriété, tel un loup attaquant un troupeau de moutons. L’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature, en revanche, permettrait la capture et la mise en fuite d’espèces protégées en vertu de cette directive, pour peu qu’elles entravent l’augmentation de la production escomptée en empêchant, notamment, l’extension des cultures sur des sites de reproduction ou des aires de repos de ces espèces qui feraient partie d’une exploitation, sans toutefois avoir été affectés aux cultures jusqu’alors.

38      Afin de faire constater un manquement de la part de la République de Pologne, il serait sans pertinence que la possibilité de dérogations ménagée à l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature n’ait à ce jour été mise en œuvre par aucune disposition d’application. Aussi longtemps en effet que cette disposition reste en vigueur, le ministre de l’Environnement disposerait d’une base juridique pour adopter des dérogations contraires à la directive «habitats».

39      La République de Pologne soutient que, contrairement à ce qu’allègue la Commission, le seul fait d’introduire la possibilité d’appliquer la dérogation prévue à l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature ne constitue pas une transposition incorrecte de l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats», étant donné le caractère facultatif de l’habilitation pour introduire une telle dérogation ainsi que l’absence de mise en œuvre de celle‑ci.

 Appréciation de la Cour

40      Il convient de constater que le texte de l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature ne correspond pas avec suffisamment de clarté aux hypothèses de dérogation visées à l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats».

41      Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 27 du présent arrêt, dans le cadre de cette directive, laquelle pose des règles complexes et techniques dans le domaine du droit de l’environnement, les États membres sont spécialement tenus de veiller à ce que leur législation destinée à assurer la transposition de ladite directive soit claire et précise.

42      Ainsi, dans la mesure où l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature permet de déroger à des interdictions relevant de l’article 12 de la directive «habitats» pour prévenir des dommages importants causés aux exploitations agricoles, sylvicoles ou aux fermes piscicoles, il n’est pas conforme à l’article 16, paragraphe 1, sous b), de cette directive, qui, ainsi qu’il a été rappelé au point 29 du présent arrêt, doit être interprété de manière restrictive.

43      Quant à la circonstance que la possibilité de dérogations prévue à l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature n’ait été mise en œuvre par aucune mesure d’application, elle ne saurait, en présence de ladite disposition et compte tenu de la jurisprudence citée au point 28 du présent arrêt, satisfaire à l’exigence de la sécurité juridique.

44      Il s’ensuit que le deuxième grief est fondé.

 Sur le troisième grief, tiré de la transposition incorrecte de l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats» par l’article 56, paragraphe 4, point 2, de la loi sur la protection de la nature en ce qu’il prévoit la possibilité d’accorder des dérogations lorsqu’elles résultent de la nécessité de limiter des dommages importants causés à une exploitation, notamment aux exploitations agricoles, sylvicoles ou aux fermes piscicoles

 Argumentation des parties

45      La Commission soutient que l’article 56, paragraphe 4, point 2, de la loi sur la protection de la nature, en tant qu’il permet l’octroi d’autorisations de déroger aux interdictions visées à l’article 51, paragraphe 1, points 1, 5 et 6, ainsi qu’à l’article 52, paragraphe 1, points 1, 2, 10, 11 et 14, de cette même loi afin de limiter des dommages importants occasionnés à une exploitation, notamment agricole, sylvicole ou piscicole, constitue une dérogation dont la portée excède celle de l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats».

46      La Commission considère à cet égard que cette dérogation ne relève pas de la possibilité définie à l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats» pour les mêmes raisons que celles évoquées en ce qui concerne l’article 52, paragraphe 2, point 5, de la loi sur la protection de la nature.

47      La République de Pologne indique que la réforme actuellement en préparation de la loi sur la protection de la nature restreint comme il se doit les conditions d’application de la dérogation prévue à l’article 56, paragraphe 4, point 2, de cette loi. Toutefois, les dispositions en vigueur de l’article 56, paragraphe 4, point 2, de ladite loi seraient interprétées, par les organes administratifs polonais, de manière à ce que la dérogation aux interdictions relatives à la protection des espèces soit appliquée dans un sens conforme aux dispositions de l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats».

 Appréciation de la Cour

48      Il convient de constater que le texte de l’article 56, paragraphe 4, point 2, de la loi sur la protection de la nature ne correspond pas avec suffisamment de clarté aux hypothèses de dérogation visées à l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats».

49      Ainsi, eu égard à ce qui a été rappelé au point 27 du présent arrêt, dans la mesure où ledit article 56, paragraphe 4, point 2, permet de déroger à des interdictions relevant des articles 12 et 13 de la directive «habitats» pour limiter des dommages importants causés aux exploitations agricoles, sylvicoles ou aux fermes piscicoles, il n’est pas conforme à l’article 16, paragraphe 1, sous b), de cette directive.

50      À cet égard, compte tenu de la jurisprudence rappelée au point 28 du présent arrêt, la circonstance que les organes administratifs polonais appliqueraient l’article 56, paragraphe 4, point 2, de la loi sur la protection de la nature de manière conforme aux dispositions de l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive «habitats» n’est pas susceptible de modifier le constat figurant au point précédent du présent arrêt.

51      Par conséquent, le troisième grief doit être retenu.

 Sur le quatrième grief, tiré de la transposition incorrecte de l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats» par le point 23 de l’annexe II du règlement du 28 septembre 2004 qui introduit une dérogation générale, notamment, aux interdictions de mise à mort et de capture, en ce qui concerne les populations de loutres présentes dans les zones d’étangs piscicoles concédés à des fins d’élevage

 Argumentation des parties

52      La Commission souligne que le point 23 de l’annexe II du règlement du 28 septembre 2004, en ce qui concerne les populations de loutres présentes dans les zones d’étangs piscicoles concédés à des fins d’élevage, ne prévoit aucune mesure en matière de conservation de cette espèce. Par conséquent, lorsqu’elle peuple de telles zones, ladite espèce ne ferait pas l’objet des interdictions visées à l’article 12 de la directive «habitats».

53      L’espèce en cause se trouverait dans une situation caractérisée par une dérogation générale aux interdictions définies à l’article 12 de la directive «habitats» en ce qui concerne les espèces animales énumérées à l’annexe IV, sous a), de cette directive. La non-application des interdictions prévues à l’article 12 de ladite directive ne serait justifiée par aucune des hypothèses prévues à l’article 16, paragraphe 1, de la même directive.

54      La République de Pologne indique que le nouveau règlement en préparation portant sur les espèces animales sauvages protégées ne contiendra pas de dispositions prévoyant la possibilité d’appliquer des dérogations concernant la loutre présente dans les zones d’étangs de production piscicole obtenus en concession.

 Appréciation de la Cour

55      La loutre compte au nombre des espèces relevant de l’annexe IV, sous a), de la directive «habitats». Or, en vertu de l’article 12 de cette dernière, ces espèces doivent bénéficier d’un système de protection stricte, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature, la perturbation intentionnelle desdites espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration, la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature, la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos ainsi que la détention, le transport, le commerce ou l’échange et l’offre aux fins de vente ou d’échange de spécimens prélevés dans la nature, à l’exception de ceux qui auraient été prélevés légalement avant la mise en application de cette directive.

56      Il n’est pas contesté que, lorsqu’elle peuple des zones d’étangs piscicoles concédés à des fins d’élevage, la loutre n’est pas protégée en vertu d’un régime de droit national tel que prescrit par l’article 12 de la directive «habitats», ni qu’un tel traitement n’est justifié au regard d’aucune des hypothèses prévues à l’article 16, paragraphe 1, de cette directive. À cet égard, il convient de rappeler que seules des dispositions nationales qui soumettent l’octroi de dérogations aux interdictions établies à l’article 12 de la directive «habitats» à l’ensemble des critères et des conditions énoncés à l’article 16 de celle‑ci peuvent constituer un régime conforme à ce dernier article (voir arrêt du 10 mai 2007, Commission/Autriche, précité, point 112).

57      Dès lors, le quatrième grief doit être accueilli.

58      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de faire droit au recours de la Commission.

59      Par conséquent, il y a lieu de constater que, en ne transposant pas correctement les conditions régissant les dérogations établies à l’article 16, paragraphe 1, de la directive «habitats», la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite disposition.

 Sur les dépens

60      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête:

1)      En ne transposant pas correctement les conditions régissant les dérogations établies à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite disposition.

2)      La République de Pologne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le polonais.

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