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Document 62011CC0536

    Conclusions de l'avocat général Jääskinen présentées le 7 février 2013.
    Bundeswettbewerbsbehörde contre Donau Chemie AG et autres.
    Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Wien - Autriche.
    Concurrence - Accès au dossier - Procédure judiciaire relative à des amendes réprimant une violation de l’article 101 TFUE - Entreprises tierces souhaitant engager une action en dommages et intérêts - Réglementation nationale subordonnant l’accès au dossier à l’accord de toutes les parties à la procédure - Principe d’effectivité.
    Affaire C-536/11.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2013:67

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. NIILO JÄÄSKINEN

    présentées le 7 février 2013 ( 1 )

    Affaire C‑536/11

    Bundeswettbewerbsbehörde

    contre

    Donau Chemie AG

    Donauchem GmbH

    DC Druck-Chemie Süd GmbH & Co KG

    Brenntag Austria Holding GmbH

    Brenntag CEE GmbH

    ASK Chemicals GmbH, anciennement Ashland-Südchemie-Kernfest GmbH

    ASK Chemicals Austria GmbH, anciennement Ashland Südchemie Hantos Ges.m.b.H.

    [demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Wien (Autriche)]

    «Concurrence — Demande d’indemnité — Preuves — Recevabilité — Accès des tiers au dossier d’une procédure en matière de droit public de la concurrence clôturée pour étayer une action civile — Accès demandé par une association de tiers potentiellement affectés par une entente — Interdiction légale d’accès au dossier sans l’accord de l’ensemble des parties à une procédure en matière de droit public de la concurrence — Absence de compétence judiciaire pour mettre en balance les éléments pertinents, y compris la protection des preuves réunies dans le cadre des procédures de clémence et l’effet utile — Principes d’équivalence et d’effectivité — Article 19, paragraphe 1, TUE — Article 101 TFUE — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Article 47»

    I – Introduction

    1.

    L’article 39, paragraphe 2, de la loi fédérale autrichienne de 2005 sur les ententes et les autres restrictions de concurrence (Bundesgesetz gegen Kartelle und andere Wettbewerbsbeschränkungen, ci-après le «KartG») exclut l’accès des tiers aux dossiers dans les procédures judiciaires en matière de droit public de la concurrence à défaut de l’accord des parties à la procédure. Verband Druck & Medientechnik (ci-après l’«association») représente les intérêts des entreprises du secteur de l’imprimerie. Elle a sollicité de l’Oberlandesgericht Wien, dans sa fonction de tribunal de la concurrence (ci-après le «tribunal de la concurrence»), le droit d’accès au dossier de la procédure en matière de droit public de la concurrence clôturé opposant la Bundeswettbewerbsbehörde (ci-après l’«autorité fédérale de la concurrence») à Donau Chemie AG et six autres opérateurs opérant sur le marché de gros de produits chimiques pour l’imprimerie.

    2.

    Dans la présente affaire, la Cour est appelée à se fonder sur les principes tirés de l’arrêt Pfleiderer ( 2 ), qui concernait l’accès aux dossiers d’une autorité nationale de la concurrence sollicité par des tiers désireux d’introduire une action civile en indemnisation contre des entreprises reconnues coupables d’avoir violé l’article 101 TFUE, alors que certaines des informations contenues dans le dossier avaient été réunies au cours du programme de clémence.

    3.

    Une jurisprudence bien établie limite l’autonomie procédurale des États membres dans l’application du droit de l’Union européenne (ci-après l’«UE»), que le litige concerne le droit de la concurrence ou un autre domaine. Le principe d’équivalence exige que les mêmes voies de recours et les mêmes règles s’appliquent aux réclamations fondées sur le droit de l’UE et aux réclamations analogues de nature purement nationale. Le principe d’effectivité, ou de protection juridictionnelle effective, oblige les États membres à garantir que les voies de recours et les règles de procédure ne rendent pas excessivement difficile, voire impossible, l’exercice des recours fondés sur le droit de l’UE.

    4.

    Le premier de ces principes est pertinent pour la solution du litige parce que, en vertu du droit autrichien, ni les procédures civiles générales ni les procédures pénales n’exigent de manière absolue l’accord de l’ensemble des parties à l’accès des tiers au dossier du tribunal. Cela signifie-t-il que les règles de procédure autrichiennes pertinentes subordonnent les actions civiles en indemnisation pour violation du droit de la concurrence de l’UE ( 3 ) à une condition qui ne s’applique pas aux actions similaires de nature purement nationale ( 4 )?

    5.

    La limitation de l’accès des tiers aux dossiers des procédures judiciaires d’ententes soulève également le problème de la protection juridictionnelle effective des actions fondées sur le droit de l’UE. Dans la présente affaire, il est nécessaire de réexaminer, à la lumière de l’article 19, paragraphe 1, TUE introduit par le traité de Lisbonne, le principe classique d’effectivité que j’ai abordé précédemment. L’article 19, paragraphe 1, TUE dispose que «[l]es États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union». Cela exige, à son tour, d’examiner le droit d’accès à la justice tel qu’il est protégé par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et interprété à la lumière de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à cette disposition ( 5 ).

    6.

    Enfin, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux entre également en considération lorsqu’on décide si autoriser des tiers intéressés à accéder au dossier de procédures de concurrence clôturées méconnaîtrait le droit à un procès équitable, du moins lorsque certaines informations ont été réunies dans le cadre d’une garantie publique de clémence. Cela affecte le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et la protection des secrets d’affaires.

    II – Cadre juridique

    A – Législation de l’UE

    7.

    La première phrase du considérant 1 du préambule du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ( 6 ), indique que, «pour établir un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun, il y a lieu de pourvoir à l’application efficace et uniforme des articles 81 [CE] et 82 [CE] dans la Communauté».

    8.

    S’agissant de la «[c]oopération entre la Commission et les autorités de la concurrence des États membres», l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, dont c’est l’intitulé, énonce:

    «La Commission et les autorités de concurrence des États membres appliquent les règles communautaires de concurrence en étroite collaboration.»

    9.

    L’article 35, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 dispose:

    «Les États membres désignent l’autorité ou les autorités de concurrence compétentes pour appliquer les articles 81 et 82 du traité de telle sorte que les dispositions du présent règlement soient effectivement respectées. Les mesures nécessaires pour doter ces autorités du pouvoir d’appliquer lesdits articles sont prises avant le 1er mai 2004. Les juridictions peuvent figurer parmi les autorités désignées.»

    B – Législation nationale

    10.

    L’article 39, paragraphe 2, du KartG dispose:

    «Les personnes qui ne sont pas parties à la procédure ne peuvent accéder au dossier du tribunal de la concurrence qu’avec l’accord des parties.»

    11.

    En vertu de l’article 219, paragraphe 2, du code de procédure civile autrichien (Zivilprozessordnung, ci-après la «ZPO»):

    «Avec l’accord des deux parties, des tiers peuvent, de la même façon, consulter et obtenir, à leurs frais, des copies et relevés, pour autant que cette mesure ne soit pas contraire à l’intérêt légitime supérieur d’une autre personne ou à des intérêts publics supérieurs au sens de l’article 26, paragraphe 2, première phrase, de la loi sur la protection des données (Datenschutzgesetz) de 2000. À défaut d’un tel accord, un tiers peut consulter et prendre copie des dossiers uniquement s’il démontre l’existence d’un intérêt juridique à cet effet» ( 7 ).

    12.

    Conformément à l’article 273 de la ZPO:

    «(1)   S’il est établi qu’une partie a droit à la compensation d’un dommage ou d’un intérêt ou dispose autrement d’une créance, mais que la preuve du montant contesté du dommage, de l’intérêt ou de la créance à compenser ne peut être apportée ou seulement avec des difficultés disproportionnées, le tribunal peut, sur demande ou d’office, fixer librement ce montant, même sans tenir compte d’une offre de preuve faite par l’une des parties. La détermination du montant peut être précédée de l’audition sous serment de l’une des parties sur les circonstances pertinentes pour la détermination du montant.

    (2)   Si, parmi plusieurs demandes présentées dans une même procédure judiciaire, des demandes individuelles, insignifiantes par rapport au montant global, font l’objet de contestation et que la clarification complète de l’ensemble des circonstances pertinentes pour celles-ci engendre des difficultés, le tribunal peut de la même manière (paragraphe 1) trancher d’après son intime conviction. Il en va de même pour les demandes individuelles si le montant demandé ne dépasse pas 1000 euros pour chacune d’elles.»

    13.

    En vertu de l’article 77, paragraphe 1, du code de procédure pénale autrichien (Strafprozessordnung, ci-après la «StPO»):

    «En cas d’intérêts juridiques justifiés, les parquets et les tribunaux peuvent également accorder dans les cas non prévus expressément dans le présent code l’accès aux conclusions de l’enquête préliminaire ou de l’action pénale dont ils disposent dans la mesure où aucun intérêt public ou privé supérieur ne s’y oppose.»

    III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

    14.

    Par décision du 26 mars 2010, le tribunal de la concurrence a rendu une décision infligeant des amendes aux parties défenderesses au principal pour leur participation à des accords et à des pratiques concertées en violation de l’article 101 TFUE. Cette procédure (ci-après la «procédure d’entente») a été diligentée par l’autorité fédérale de la concurrence sur la base de demandes de clémence présentées par l’une des défenderesses. Le tribunal de la concurrence a jugé qu’il y avait eu violation de l’interdiction des ententes et qu’il existait une entente sur le marché de gros de produits chimiques pour l’imprimerie en Autriche. Cette décision a été confirmée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême), statuant en tant que tribunal supérieur de la concurrence, par une décision du 4 octobre 2010, et elle est devenue définitive.

    15.

    L’association demande l’accès au dossier («Akteneinsicht») de la procédure d’entente en possession du tribunal de la concurrence ( 8 ). L’association indique que, conformément à ses statuts, elle est habilitée à représenter les intérêts de ses membres, y compris des entreprises du secteur de l’imprimerie. Selon l’ordonnance de renvoi, à la demande de ses membres, l’association examine en particulier l’étendue du dommage résultant de la violation du droit de la concurrence en vue de préparer une action en indemnisation.

    16.

    L’association soutient qu’elle a besoin de consulter le dossier du tribunal de la concurrence pour établir la nature et l’importance du préjudice subi ou pour l’évaluer sur la base des informations contenues dans le dossier. Selon elle, cela lui donne un intérêt légitime à agir.

    17.

    À l’exception de l’autorité fédérale de la concurrence, toutes les parties à la procédure d’entente ont refusé de donner leur accord. L’autorité fédérale de la concurrence aurait consenti à communiquer à la requérante la décision de première instance, c’est-à-dire la décision du tribunal de la concurrence, mais pas davantage. En vertu du droit autrichien, et plus spécifiquement de l’article 39, paragraphe 2, du KartG et de ses règles sur la «protection des secrets d’affaires», cela signifie que ni le dossier ni la décision du tribunal de la concurrence ne peuvent être communiqués à l’association pour l’aider à poursuivre une action en indemnisation contre les défenderesses ou à toute autre fin.

    18.

    À la lumière de l’arrêt Pfleiderer rendu par la Cour de justice et des indications fournies dans cet arrêt selon lesquelles le droit de l’UE exige une mise en balance de l’ensemble des intérêts au cas par cas lorsqu’un tiers, qui allègue un préjudice résultant de la violation de l’article 101 TFUE, demande l’accès au dossier constitué dans une procédure judiciaire portant sur cette violation, même s’il a été constitué dans le contexte d’une procédure de clémence, le tribunal de la concurrence s’interroge sur la conformité du droit autrichien au principe de l’effet utile et à l’obligation pour les États membres d’autoriser les particuliers à intenter des actions en indemnisation pour violation du droit de la concurrence ( 9 ). Le tribunal de la concurrence a également des doutes sur la compatibilité de l’article 39, paragraphe 2, du KartG avec le principe de non-discrimination lorsque l’accord de l’ensemble des parties n’est pas exigé, en droit autrichien, dans les affaires de droit civil ordinaires telles que celles concernant des actes délictueux ou en droit pénal, concernant les dossiers détenus par les tribunaux.

    19.

    À la lumière des considérations qui précèdent, l’Oberlandesgericht Wien a présenté à la Cour une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE portant sur les questions suivantes:

    «1)

    Eu égard notamment à l’arrêt de la Cour du 14 juin 2011, C‑360/09, Pfleiderer, le droit de l’Union s’oppose-t-il à une disposition nationale du droit des ententes aux termes de laquelle l’octroi de l’accès aux dossiers du tribunal de la concurrence (Kartellgericht) à des tiers n’étant pas parties à la procédure, aux fins de la préparation de recours en dommages et intérêts à l’encontre de participants à une entente, est subordonné, (aussi) dans des procédures dans lesquelles il a été fait application de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE, en combinaison avec le règlement no 1/2003, au consentement de toutes les parties à la procédure sans exception et qui ne permet pas au tribunal de procéder à une mise en balance, au cas par cas, des intérêts protégés par le droit de l’Union pour déterminer les conditions auxquelles l’accès aux dossiers est autorisé ou refusé?

    Si la première question appelle une réponse négative:

    2)

    Le droit de l’Union s’oppose-t-il à une disposition nationale de ce type lorsque cette disposition s’applique certes de la même manière à une procédure purement nationale en matière d’ententes et qu’elle ne prévoit d’ailleurs aucune règle spéciale pour des documents mis à disposition par des candidats à la clémence, alors que les dispositions nationales similaires permettent, dans d’autres types de procédures, notamment les procédures civiles contentieuse et non contentieuse et la procédure pénale, l’accès aux dossiers d’un tribunal sans le consentement des parties, à condition que le tiers qui n’est pas partie à la procédure démontre de manière plausible qu’il dispose d’un intérêt juridique à l’accès aux dossiers et que des intérêts supérieurs d’une autre personne ou des intérêts publics supérieurs ne s’opposent pas à l’accès aux dossiers?»

    20.

    Des observations écrites ont été présentées par l’association, l’autorité fédérale de la concurrence, ASK Chemicals GmbH et ASK Chemicals Austria GmbH ( 10 ), Brenntag CEE GmbH, DC Druck-Chemie Süd GmbH & Co KG, Donau Chemie AG et Donauchem GmbH, par les gouvernements allemand, autrichien, belge, espagnol, italien, par la Commission européenne et par l’Autorité de surveillance de l’AELE. Toutes les parties citées, à l’exception du gouvernement italien, étaient présentes à l’audience du 4 octobre 2012 ainsi que le gouvernement français.

    IV – Analyse juridique

    A – Recevabilité de la demande préjudicielle

    21.

    Dans ses observations écrites, la Commission met en doute la recevabilité de la demande préjudicielle. Elle relève que l’ordonnance de renvoi ne précise pas si la juridiction de renvoi satisfait aux conditions requises par l’article 219, paragraphe 2, de la ZPO. Cette disposition semble être la disposition nationale qui régirait l’accès au dossier si l’article 39, paragraphe 2, du KartG devait être considéré comme non conforme au droit de l’UE. L’article 219, paragraphe 2, de la ZPO exige la démonstration d’un intérêt juridique à consulter le dossier. La Commission se demande donc si les réponses aux questions déférées vont demeurer hypothétiques si l’association n’est pas en mesure de démontrer un intérêt juridique suffisant.

    22.

    Je relève également que les observations de la Commission comportent plusieurs autres commentaires qui, bien que destinés à répondre à la première question, sont également pertinents pour la question de la recevabilité. Tel est le cas lorsque la Commission demande, par exemple, s’il existe en droit autrichien des voies alternatives pour rassembler les éléments de preuve requis. La Commission relève qu’il importe d’être conscient de la manière dont un tribunal saisi d’une demande d’indemnisation tient compte des preuves écrites ou bien du fait qu’il accorde la priorité aux témoignages oraux. Dans le second cas, les documents contenus dans le dossier revêtent une importance moindre. Une autre question clé porte sur le point de savoir dans quelle mesure la preuve indirecte, par opposition à la preuve directe, est à la fois admise par le droit national et suffisante pour étayer une action en indemnisation.

    23.

    De même, l’autorité fédérale de la concurrence soutient que la matrice du droit autrichien prévoit suffisamment de possibilités pour rassembler les preuves et pour garantir une mise en œuvre effective des demandes de dommages-intérêts fondées sur le droit de la concurrence. Par exemple, l’autorité fédérale de la concurrence conteste, entre autres, les difficultés auxquelles ferait face l’association pour évaluer les dommages. L’autorité a souligné que, conformément à l’article 273 de la ZPO, si le montant du dommage subi ne peut pas être déterminé ou s’il ne peut être déterminé qu’au prix de difficultés considérables, le tribunal peut procéder librement à une évaluation.

    24.

    En vertu d’une jurisprudence constante, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions nationales et de juger si l’interprétation qu’en donne la juridiction de renvoi est correcte ( 11 ). Il appartient également à la juridiction de renvoi de vérifier l’exactitude des déclarations qui lui sont faites ( 12 ).

    25.

    Il importe de procéder ici à une distinction conceptuelle entre trois dossiers différents: 1) les documents d’une autorité de la concurrence compétente relatifs à une enquête pour infraction aux règles sur les ententes, 2) les documents de la procédure devant un tribunal compétent statuant en cette matière et qui peuvent notamment comprendre (certains ou l’ensemble) des documents de l’enquête pour infraction aux règles sur les ententes, et 3) des éléments de preuve produits devant un tribunal compétent pour statuer sur une éventuelle action de droit privé fondée sur une restriction de concurrence ( 13 ).

    26.

    Quelle que puisse être la répartition des compétences entre les différents organes dans cette architecture juridique ( 14 ), nous avons affaire à trois questions différentes: 1) l’accès aux documents obtenus dans le cadre de l’enquête pour infraction aux règles sur les ententes et détenus par l’autorité de la concurrence, c’est-à-dire l’accès à des documents administratifs, 2) l’accès au dossier de la juridiction compétente pour les procédures en matière de concurrence, qui concerne l’accès aux documents judiciaires, et 3) la disponibilité de ces documents administratifs ou judiciaires aux fins de porter une action devant une juridiction civile. Cela peut inclure la «pre-trial discovery» (mesures que prévoit la «common law» – surtout le droit américain – pour la production, avant l’audience, d’informations dont la partie adverse était en possession), ou des obligations de divulguer des documents dans le contexte de procédures civiles.

    27.

    Selon le libellé univoque des questions préjudicielles, la présente affaire relève de la deuxième catégorie, c’est-à-dire qu’elle porte sur l’accès à des documents détenus par un tribunal compétent pour connaître des procédures en matière d’entente relevant du droit public. Même si la demande concernant ces documents semble, d’un point de vue technique, avoir été enregistrée par le tribunal de la concurrence comme la suite de la procédure en matière d’entente, elle est distincte à la fois de la violation substantielle du droit de l’UE/ou du droit national de la concurrence, et de toute action de droit privé tendant à l’obtention de dommages et intérêts susceptible d’être portée devant les juridictions civiles compétentes ( 15 ).

    28.

    Le présent litige devant le tribunal de la concurrence n’est donc en aucun cas hypothétique et le droit de l’UE est clairement susceptible d’affecter sa conclusion, c’est-à-dire sa décision d’accepter ou de refuser l’accès aux documents demandés. De plus, les questions liées à la qualité ou à l’intérêt à agir de l’association ou de ses membres dans toute procédure civile susceptible d’intervenir ou les normes probatoires qui lui sont applicables sont dépourvues de pertinence pour la recevabilité du présent renvoi préjudiciel, bien qu’elles soient clairement capables d’affecter l’application du principe d’effectivité, qui relève du juge national.

    29.

    Selon moi, en tenant dûment compte à la fois du droit pertinent et des faits disponibles, la Cour dispose de toutes les informations lui permettant de répondre à la question posée. Pour ces raisons, la demande de décision préjudicielle est recevable.

    B – Réponse à la seconde question

    30.

    J’ai décidé de répondre aux questions préjudicielles dans l’ordre inverse de celui dans lequel elles ont été posées, parce que je considère qu’il est plus logique dans cette affaire de discuter en premier du principe d’équivalence, bien qu’il s’agisse de la seconde question déférée par la juridiction nationale. Selon moi, il en va ainsi parce que, vu sous l’angle des limites de l’autonomie de la procédure nationale, la question de l’équivalence précède logiquement la question de l’efficacité. Nonobstant ce que la juridiction nationale a indiqué au début de la seconde question, du point de vue du droit de l’UE, il convient d’examiner les deux questions afin d’y apporter une réponse utile.

    31.

    Il est possible d’apporter une réponse relativement simple à la seconde question. Je partage la position défendue par l’ensemble des parties, à l’exception de l’association, selon laquelle l’article 39, paragraphe 2, du KartG n’est pas une disposition analogue, au sens de la jurisprudence de la Cour concernant le principe d’effectivité, à l’article 219, paragraphe 2, de la ZPO ou à l’article 77, paragraphe 1, de la StPO, dans le contexte du droit de la concurrence. Il y a lieu d’ajouter que cette constatation ne repose pas sur le principe général de non-discrimination, mais sur celui d’équivalence qui limite l’autonomie procédurale nationale en vertu d’une jurisprudence constante. Le premier principe mentionné prévoit que des situations comparables ne doivent pas être traitées différemment. Cela ne semble pas applicable aux circonstances de la présente affaire compte tenu du fait que le principe d’équivalence vise le même objectif.

    32.

    Le respect du principe d’équivalence suppose que la règle nationale en cause s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne «ayant un objet et une cause semblables» ( 16 ). Toutefois, le principe de l’équivalence ne saurait être interprété en ce sens qu’il oblige l’État membre à étendre son régime interne le plus favorable à l’ensemble des recours introduits dans le domaine du droit concerné ( 17 ).

    33.

    En principe, la tâche de comparer les différentes procédures nationales, en termes d’équivalence, incombe à la juridiction de renvoi qui doit vérifier la similitude des recours concernés sous l’angle de leur objet, de leur cause et de leurs éléments essentiels ( 18 ). La juridiction nationale doit, pour déterminer si une disposition procédurale nationale est moins favorable, tenir compte de sa place dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de ladite procédure et des particularités de ces règles ( 19 ).

    34.

    La Cour a toutefois pris occasionnellement position sur le point de savoir si la disposition nationale en question était conforme au principe d’équivalence. Dans certains cas, la Cour a donné une indication sur sa position tout en laissant le soin à la juridiction nationale de trancher ( 20 ), alors que, dans d’autres cas, elle a tiré une conclusion définitive sur la conformité de la règle nationale pertinente aux exigences d’équivalence ( 21 ). En l’occurrence, il convient selon moi de retenir la seconde approche.

    35.

    En l’espèce, l’interdiction d’accès des tiers au dossier du tribunal de la concurrence s’applique à la fois aux affaires fondées sur le droit de l’UE et à celles fondées sur le droit autrichien de la concurrence. En d’autres termes, il n’existe pas de différence de traitement résultant de l’exercice d’une action tirée du droit de l’UE et qualifiée ou traitée différemment d’une situation purement interne ( 22 ).

    36.

    À mon avis, on ne saurait soutenir que ces procédures sont comparables aux procédures civiles ou pénales ordinaires, compte tenu du fait qu’aucune d’entre elles n’est concernée par la protection des programmes de clémence ou toute autre caractéristique spécifique des procédures de droit public dans le contexte de la mise en œuvre de la politique de la concurrence.

    37.

    Je propose donc de répondre à la seconde question que le principe d’équivalence en vertu du droit de l’UE ne fait pas obstacle à une disposition nationale comme l’article 39, paragraphe 2, du KartG.

    C – Réponse à la première question

    1. Observations préliminaires

    38.

    Dans sa première question, le tribunal de la concurrence souhaite obtenir des précisions sur la conformité au droit de l’UE de l’interdiction prévue par un État membre de donner aux tiers accès aux documents détenus par le tribunal de la concurrence sans l’accord des parties aux procédures en matière de droit public de la concurrence. La préoccupation de la juridiction nationale conduit de manière plus spécifique à la question de la conformité d’une telle interdiction au droit de solliciter, dans le cadre de procédures civiles contre les parties à cet accord, l’indemnisation du préjudice causé par l’accord ou la pratique illicite, établi par la Cour dans l’arrêt Courage et Crehan ( 23 ), et confirmé dans l’arrêt Manfredi e.a. ( 24 ).

    39.

    Le sujet à traiter est rendu plus complexe par le fait que certaines des informations demandées par l’association ont été obtenues, dans le cadre d’un programme de clémence, de l’une des entreprises contre lesquelles l’association souhaite introduire une action judiciaire.

    40.

    Dans l’arrêt Pfleiderer, la Cour a adopté une approche qui, selon moi, est tout aussi valable dans le présent litige. Elle a indiqué que ni les dispositions du traité CE en matière de concurrence ni le règlement no 1/2003 ne prévoient de règles communes de clémence ou de règles communes quant au droit d’accès aux documents relatifs à une procédure de clémence volontairement communiqués à une autorité nationale de concurrence en application d’un programme national de clémence ( 25 ). La Cour a constaté en outre que, en l’absence d’une réglementation contraignante du droit de l’UE en la matière, il appartient aux États membres d’établir et d’appliquer les règles nationales quant au droit d’accès des personnes lésées par une entente aux documents relatifs à des procédures de clémence ( 26 ), sous réserve de ne pas rendre impossible ou excessivement difficile la mise en œuvre du droit de l’UE et, spécifiquement, dans le domaine du droit de la concurrence, ils doivent veiller à ce que les règles qu’ils établissent ou appliquent ne portent pas atteinte à l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE ( 27 ).

    41.

    Cela a amené la Cour, dans l’arrêt Pfleiderer, à une conclusion tout aussi pertinente dans le cas présent, en dépit du contexte institutionnel différent de l’affaire à l’origine de l’arrêt Pfleiderer qui concernait l’accès à des documents administratifs et non judiciaires. Elle a notamment indiqué que, en examinant une demande d’accès aux documents relatifs à un programme national de clémence, il est nécessaire de mettre en balance la protection des informations fournies volontairement par le demandeur de clémence (dont l’efficacité et donc l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE pourraient être compromises, si les documents relatifs à une procédure de clémence étaient communiqués aux personnes désirant intenter une action en dommages et intérêts) ( 28 ) et la nécessité de veiller à ce que les règles nationales applicables ne soient pas moins favorables que celles qui régissent les réclamations semblables de nature interne et ne soient pas aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’obtention d’une telle réparation ( 29 ). La Cour a considéré que cette mise en balance ne pouvait être mise en œuvre par les juridictions nationales qu’au cas par cas ( 30 ). Je reviendrai plus loin sur l’importance de cette conclusion.

    42.

    De plus, comme l’a constaté la Cour dans l’arrêt van Schijndel et van Veen, chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’UE doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s’il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de la sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure ( 31 ). Il y a donc lieu de tenir également compte de ce principe.

    43.

    Toutefois, si les conclusions de l’arrêt Pfleiderer sont pertinentes pour le présent litige, il importe également de conserver à l’esprit les différences. Dans l’affaire à l’origine de l’arrêt Pfleiderer, la juridiction de renvoi sollicitait des indications sur l’impact possible dans le contexte d’une procédure de clémence de l’accès d’un tiers lésé à des informations communiquées à une autorité nationale de la concurrence par un candidat à la clémence sur le système de coopération et d’échange d’informations établi aux articles 11 et 12 du règlement no 1/2003 ( 32 ).

    44.

    Dans la présente affaire, la première question concerne toutefois une interdiction prévue par la législation nationale pour tous les documents contenus dans les dossiers du tribunal de la concurrence en l’absence de l’accord des parties, qu’ils relèvent ou non de procédures de clémence, et en vertu de laquelle la juridiction nationale est empêchée de procéder à l’exercice de mise en balance prescrit par la Cour dans l’arrêt Pfleiderer.

    45.

    En d’autres termes, le présent litige est, à certains égards, plus proche du problème examiné par la Cour dans l’arrêt Courage et Crehan. Cet arrêt portait sur une interdiction par le droit anglais des demandes d’indemnisation présentées par des parties à des contrats illicites, y compris des accords adoptés en violation de l’article 101 TFUE. Selon moi, l’idée maîtresse apparaît au point 26 de l’arrêt Courage et Crehan:

    «La pleine efficacité de l’article 85 du traité et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence» ( 33 ).

    46.

    La question essentielle est donc la suivante: la restriction autrichienne, telle qu’elle résulte de la description faite par le tribunal de la concurrence, signifie-t-elle que l’association ou ses membres ne sont pas en mesure de demander des dommages et intérêts pour la perte qu’ils ont subie du fait d’une entente illicite, l’interdiction autrichienne rendant cela impossible en pratique ou extrêmement difficile ( 34 )? D’après les constatations de la Cour dans l’arrêt DEB, il y a lieu d’examiner si l’association dispose d’une voie de recours qui assure une protection juridictionnelle effective des droits qu’elle tire de l’ordre juridique de l’UE ( 35 ); peut-elle faire valoir les droits qu’elle tire du droit de l’UE devant les tribunaux autrichiens ( 36 )?

    47.

    Enfin, il y a lieu de tenir dûment compte de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de la manière dont il fournit une garantie supplémentaire au principe d’effectivité. En vertu de l’article 19, paragraphe 1, TUE, les États membres établissent les voies de recours «nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union». En d’autres termes, à la lumière de cette disposition du traité, la norme de la protection juridictionnelle effective pour les droits tirés du droit de l’UE semble être plus exigeante que la formule classique qui se réfère à l’impossibilité pratique ou à la difficulté excessive. Selon moi, cela signifie que les voies de recours nationales doivent être accessibles, rapides et d’un rapport coût/efficacité raisonnable ( 37 ).

    48.

    Du point de vue de la politique de la concurrence, la présente affaire se rapporte au débat concernant la mise en œuvre dite «privée» des règles de concurrence. À la différence de la situation qui prévaut aux États-Unis, cette notion n’est peut-être pas la plus appropriée en l’occurrence compte tenu du fait que, en droit de la concurrence de l’UE, les aménagements tels que la «pre-trial discovery», les actions de groupe («class actions»), et les dommages-intérêts punitifs n’existent pas. Selon moi, les victimes de restrictions de concurrence dans l’Union européenne recherchent uniquement, à la différence peut-être de leurs homologues américains, la protection juridique d’un droit de recours tiré du droit privé plutôt qu’à mettre en œuvre une politique publique.

    2. La jurisprudence de la Cour concernant les règles nationales de preuve et les principes généraux concernant l’effet utile

    49.

    Il résulte de la jurisprudence que les États membres doivent s’assurer que les modalités de preuve, notamment les règles sur la répartition de la charge de la preuve, applicables aux recours portant sur des litiges relatifs à une violation du droit de l’UE, en premier lieu, ne sont pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et, en second lieu, ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice par le justiciable des droits conférés par l’ordre juridique de l’UE ( 38 ).

    50.

    La Cour a considéré, par exemple, qu’il appartient au juge national de vérifier qu’un justiciable, désireux d’introduire une action en indemnisation au titre du droit de l’UE à réparation du fait de la responsabilité de l’État, pouvait bénéficier de la procédure exceptionnelle permettant l’audition de témoins ou que, à défaut, il pouvait apporter autrement la preuve, notamment par écrit, des dommages qu’il avait subis ( 39 ). Dans le cas contraire, les règles régissant la preuve rendraient en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice par le justiciable des droits conférés par l’ordre juridique de l’UE ( 40 ). En d’autres termes, les restrictions en matière de preuves «d’une importance cruciale pour l’argumentation du requérant» ( 41 ) ne sont pas conformes à l’effet utile. Parmi les autres règles de preuve soumises, selon la Cour, à l’examen des juridictions nationales pour violation de l’effet utile, on trouve celles qui mettent en péril le principe de l’égalité des armes ( 42 ).

    51.

    Je considère que soumettre l’accès aux dossiers des tribunaux en matière de droit public de la concurrence à l’accord du contrevenant aux règles de concurrence équivaut à un moyen significatif de dissuader d’exercer une action civile en dommages et intérêts pour violation du droit de la concurrence de l’UE ( 43 ). La Cour a jugé que, si un individu a été dissuadé d’engager une procédure judiciaire en temps utile par l’auteur d’actes répréhensifs, ce dernier ne sera pas en mesure de se prévaloir des règles procédurales nationales concernant l’expiration du délai de recours ( 44 ). Je ne vois aucune raison de limiter l’application de ce principe aux délais de prescription et je plaiderais pour son extension aux règles de preuve lourdes qui présentent un effet dissuasif analogue ( 45 ). J’examinerai plus loin la conformité à l’article 19, paragraphe 1, TUE des recours qui dissuadent de mettre en œuvre les droits tirés du droit de l’UE.

    3. L’article 47 de la charte des droits fondamentaux

    52.

    Comme l’a récemment fait observer la Cour, le principe de protection juridictionnelle effective figurant à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux est constitué de divers éléments, lesquels comprennent, notamment, les droits de la défense, le principe d’égalité des armes, le droit d’accès à la justice ainsi que le droit de se faire conseiller, défendre et représenter ( 46 ). De plus, le droit d’accès à la justice inclut également, selon la jurisprudence, la «compétence» des juridictions nationales pour examiner toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont elles se trouvent saisies ( 47 ). Selon moi, une juridiction nationale qui juge les conséquences en droit civil d’une restriction illégale de concurrence ne saurait avoir cette «compétence» si elle est empêchée, en pratique, d’évaluer des éléments de preuve clés, tels que des dossiers ouverts dans des procédures de concurrence dans lesquelles une restriction illicite de concurrence, telle qu’une entente, a déjà été établie.

    53.

    Par conséquent, la limitation de la disponibilité des éléments de preuve essentiels sape le droit des plaideurs à obtenir une décision judiciaire ( 48 ). Cela a également des effets sur leurs droits d’introduire une affaire de manière effective ( 49 ).

    54.

    Toutefois, le droit d’accès à la justice n’est pas absolu ( 50 ). Il peut être soumis à des limitations sous réserve que le droit n’est pas atteint dans sa substance même, qu’elles tendent à un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ( 51 ).

    55.

    L’article 47 est également pertinent dans la présente affaire, parce qu’il garantit l’équité des audiences qui vise à protéger les intérêts des entreprises qui ont participé à l’entente. Je considère qu’il ne devrait, en principe, pas être donné accès aux déclarations présentées par un candidat à la clémence qui contribue volontairement à sa propre incrimination ( 52 ). Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination est établi depuis longtemps en droit de l’UE ( 53 ) et il est directement opposable aux autorités nationales de la concurrence chargées de mettre en œuvre les règles de l’UE ( 54 ).

    56.

    Il est vrai que les programmes de clémence ne garantissent pas une immunité contre les actions en paiement de dommages et intérêts ( 55 ) et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne s’applique pas dans un contexte de droit privé. Néanmoins, les raisons de politique publique et d’équité à l’égard des parties qui ont procédé à des déclarations d’auto-incrimination dans le cadre d’une procédure de clémence pèsent lourd face à l’accès au dossier d’une procédure judiciaire en droit de la concurrence lorsque la partie qui en bénéficie a agi comme témoin de l’autorité de la concurrence chargée des poursuites.

    4. Application à la présente affaire

    57.

    La Cour a jugé que le droit de l’UE oblige les États membres à veiller à ce que la législation nationale ne «sape» pas le droit à une protection juridictionnelle effective ( 56 ); les personnes concernées ne sauraient être empêchées de faire valoir leurs droits devant les juridictions nationales. L’interdiction autrichienne de donner accès aux dossiers des procédures devant le tribunal de la concurrence en l’absence de l’accord de l’ensemble des parties produit-elle le même effet?

    58.

    La Cour a jugé que la communication à des tiers de documents échangés entre la Commission et des entreprises durant des procédures de contrôle des concentrations porterait atteinte, en principe, à la fois à la protection des objectifs des activités d’enquête et à celle des intérêts commerciaux des entreprises impliquées dans une telle procédure, même si la procédure de contrôle était déjà clôturée ( 57 ). Toutefois, au niveau de l’UE, les principes de ce type ( 58 ) sont en concurrence avec les règles d’accès aux documents et avec l’obligation de transparence, telles que prévues à la fois par la législation et le droit primaire de l’UE ( 59 ).

    59.

    Par conséquent, la Cour a développé un corpus jurisprudentiel incluant des affaires relevant du domaine de l’accès aux documents détenus par la Commission dans le cadre des enquêtes en matière de concurrence ( 60 ) qui impose essentiellement de mettre en balance les intérêts de cette nature, en évaluant leurs mérites respectifs par rapport à chaque document demandé. Cela signifie que, au niveau de l’UE, une interdiction absolue d’accès aux documents de la Commission réunis dans le cadre des enquêtes en matière d’entente est inconcevable.

    60.

    Ces principes, développés dans le contexte de l’accès aux documents détenus par la Commission, ne sont pas directement transposables au niveau national. Toutefois, ils fournissent un contexte, un cadre et une perspective pour l’appréciation de la conformité de l’interdiction absolue prévue par le droit autrichien au principe de l’effet utile.

    61.

    De manière similaire et comme cela résulte de l’arrêt Pfleiderer, il convient de tenir dûment compte de l’impératif de protection des procédures de clémence. Conformément au point 26 de la communication de la Commission sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l’application des articles 81 et 82 du traité CE ( 61 ), «[…] [l]a Commission s’abstiendra, par conséquent, de transmettre aux juridictions nationales des renseignements fournis volontairement par l’auteur d’une demande de clémence sans avoir obtenu l’accord de celui-ci», bien que, comme je l’ai déjà indiqué, la clémence accordée par la Commission ne donne aucune garantie dans le contexte des actions civiles en réparation de dommages ( 62 ).

    62.

    Des considérations de ce type valent également pour apprécier la conformité de l’article 39, paragraphe 2, du KartG, en particulier lorsque les actions civiles en réparation de dommages jouent un rôle complémentaire dans l’Union européenne ( 63 ) dans la mise en œuvre du droit de la concurrence. Cela étant, le droit des parties, constaté dans la jurisprudence Courage et Crehan et Manfredi e.a., de demander des dommages et intérêts aux opérateurs économiques qui ont violé le droit de la concurrence de l’UE ne devrait pas, selon moi, être étendu au point de mettre en péril l’efficacité des mécanismes de mise en œuvre du droit public, qu’ils soient européens ou nationaux.

    63.

    La disposition autrichienne a été défendue en invoquant l’argument selon lequel le législateur autrichien a procédé au nécessaire exercice de mise en balance des intérêts publics et des intérêts privés en concurrence et a considéré qu’il était approprié de donner la primauté absolue à l’intérêt public lié à la mise en œuvre effective des règles de concurrence. Selon moi, à l’exception de certaines situations en dehors du domaine du droit de la concurrence, un exercice de mise en balance qui ne laisse aucune place à l’un des intérêts en concurrence est néanmoins incompatible avec le principe de proportionnalité.

    64.

    Par conséquent, j’estime qu’une règle législative qui prévoirait une protection absolue des participants à un programme de clémence, mais qui exigerait une mise en balance des intérêts des autres participants à une pratique restrictive et de ceux qui s’en prétendent victimes serait plus appropriée du point de vue de la proportionnalité. En Autriche, le champ de protection de la confidentialité des dossiers du tribunal de la concurrence ne se limite pas aux secrets d’affaires des entreprises participantes. En outre, je considère que, à l’exception des entreprises bénéficiant de la clémence, la participation à une restriction illicite de concurrence ne constitue pas un secret d’affaires digne d’être protégé par le droit de l’UE ( 64 ).

    65.

    Par conséquent, une interdiction absolue d’accès aux dossiers du tribunal en l’absence de l’accord des parties constitue, selon moi, un obstacle disproportionné au droit d’accès à la justice garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux et notamment lorsque, comme cela résulte du dossier de la présente affaire, les décisions du tribunal de la concurrence ne sont pas rendues publiques.

    66.

    J’estime que ce qui est exigé en vertu de l’impératif de l’effet utile, c’est une possibilité pour le juge national statuant sur la demande d’accès d’un tiers au dossier du tribunal de procéder à un exercice de mise en balance du type de celui esquissé dans l’arrêt Pfleiderer. Un tel exercice permettrait au juge national de comparer l’ensemble des intérêts en concurrence, tels que la protection des secrets d’affaires des entreprises ayant participé à la restriction face à l’obligation pour les États membres, au titre de l’article 19, paragraphe 1, TUE, de fournir les «voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union». Le législateur national peut réglementer les facteurs à prendre en compte au titre de cet exercice de mise en balance, mais il ne saurait empêcher qu’il ait lieu, excepté peut-être pour les informations fournies par des entreprises bénéficiant de la clémence.

    67.

    Cela étant, il est constant dans la jurisprudence de la Cour que, «si le traité CE a institué un certain nombre d’actions directes qui peuvent être exercées, le cas échéant, par des personnes privées devant le juge communautaire, il n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue du maintien du droit communautaire, des voies de droit autres que celles établies par le droit national. […] Il n’en irait autrement que s’il ressortait de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours permettant, même de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit communautaire» ( 65 ).

    68.

    Par conséquent, le tribunal de la concurrence est tenu, lorsqu’il procède à son évaluation, de tenir dûment compte des moyens alternatifs de réunir des éléments de preuve offerts par le droit autrichien. Cela inclut, par exemple, les règles de procédure sur la divulgation des documents dans le contexte des procédures civiles ou des règles régissant l’accès aux documents administratifs de l’autorité fédérale de la concurrence ainsi que les articles 219, paragraphe 2, et 273 du code de procédure civile, avant de décider, le cas échéant, quelles parties de son dossier doivent être communiquées à des tiers afin de se conformer à la protection juridictionnelle effective dans le contexte des actions en réparation de dommages, au sens de la jurisprudence Courage et Crehan et Manfredi e.a., dirigées contre les opérateurs économiques dont il a été établi qu’ils ont violé l’article 101 TFUE. Il convient de procéder au même exercice pour estimer les dommages ( 66 ).

    69.

    En conclusion, dans les limites des paramètres que le législateur national peut établir et sous réserve qu’ils respectent les principes du droit de l’UE développés précédemment, il doit exister une certaine latitude pour mettre en balance l’intérêt public à la mise en œuvre effective des règles de concurrence et l’intérêt privé des victimes d’infractions à ces mêmes règles.

    70.

    Je propose donc à la Cour de répondre à la première question que le principe de la protection juridictionnelle effective, appliqué à la lumière de l’article 19, paragraphe 1, TUE, fait obstacle à une disposition du droit national de la concurrence telle que l’article 39, paragraphe 2, du KartG, qui interdit de donner accès, sans l’accord des parties, aux dossiers du tribunal de la concurrence aux tiers désireux d’introduire des actions en indemnisation contre les participants à l’entente.

    V – Conclusion

    71.

    En conclusion, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles de l’Oberlandesgericht Wien:

    «1)

    Le principe de la protection juridictionnelle effective prévu par le droit de l’Union européenne, appliqué à la lumière de l’article 19, paragraphe 1, TUE, fait obstacle à une disposition du droit national de la concurrence qui subordonne l’accès aux documents détenus par une juridiction nationale et réunis dans le cadre de procédure de droit de la concurrence impliquant l’application du droit de la concurrence de l’Union européenne, aux tiers non parties à ces procédures désireux d’introduire des actions en indemnisation contre les participants à un accord qui a fait l’objet d’une procédure de droit de la concurrence, à la condition que toutes les parties à la procédure donnent leur accord. La réponse ne sera différente que si le droit national offre pour établir la preuve de la violation du droit de la concurrence de l’Union européenne et la détermination du dommage des voies alternatives qui fournissent une protection juridique effective concernant le droit d’introduire une action civile en indemnisation pour violation de ces dispositions et se conformer à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

    2)

    Le principe d’équivalence prévu par le droit de l’Union européenne ne fait pas obstacle à une disposition du droit national qui subordonne l’accès aux documents détenus par une juridiction nationale et réunis dans le cadre de procédures de droit de la concurrence impliquant l’application du droit de la concurrence de l’Union européenne, aux tiers non parties à ces procédures, à la condition absolue que toutes les parties donnent leur accord lorsque la règle s’applique indistinctement aux procédures de droit de la concurrence purement nationales, mais diffère des dispositions nationales applicables à l’accès des tiers aux documents judiciaires dans le contexte d’autres catégories de procédures, notamment les procédures civiles contentieuses ou gracieuses et les procédures pénales.»


    ( 1 ) Langue originale: l’anglais.

    ( 2 ) Arrêt du 14 juin 2011 (C-360/09, Rec. p. I-5161).

    ( 3 ) Voir arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C-453/99, Rec. p. I-6297), et du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C-295/04 à C-298/04, Rec. p. I-6619).

    ( 4 ) Voir, par exemple, arrêt du 1er décembre 1998, Levez (C-326/96, Rec. p. I-7835).

    ( 5 ) Voir, en ce sens, point 3 des conclusions de l’avocat général Mazák dans l’affaire Pfleiderer, précitée.

    ( 6 ) JO 2003, L 1, p. 1.

    ( 7 ) L’article 219, paragraphe 2, de la ZPO ne s’applique pas aux procédures du droit de la concurrence.

    ( 8 ) Dans sa demande d’accès aux documents, l’association a fait référence au [Kartellakt], 29 Kt 5/09.

    ( 9 ) Arrêts Courage et Crehan ainsi que Manfredi e.a., précités note 3.

    ( 10 ) Comme l’indique la page de garde des présentes conclusions, ASK Chemicals GmbH s’appelait auparavant Ashland-Südchemie-Kernfest GmbH et ASK Chemicals Austria GmbH était auparavant Ashland Südchemie Hantos Ges.m.b.H.

    ( 11 ) Arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C-482/01 et C-493/01, Rec. p. I-5257, point 42 et jurisprudence citée).

    ( 12 ) Ibidem (point 45).

    ( 13 ) Au niveau de l’UE, je mentionnerai 1) les documents de la Commission, 2) le dossier du Tribunal et 3) les preuves produites devant une juridiction nationale statuant sur les conséquences au regard du droit civil d’une restriction de la concurrence illégale. Voir, également, arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission (C-514/07 P, C-528/07 P et C-532/07 P, Rec. p. I-8533). Aux points 79 à 82, la Cour souligne que les activités judiciaires sont exclues du droit d’accès aux documents garanti par le règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), ainsi que les obligations de transparence de l’article 255 CE (désormais article 15, paragraphe 3, TFUE). Les conclusions présentées par l’avocat général Maduro dans cette affaire (points 21 à 39) explorent les différentes approches nationales et internationales d’accès aux documents des juridictions.

    ( 14 ) Voir, par exemple, ECN Working Group, Co-operation Issues and Due Process «Decision Making Powers», rapport du 31 octobre 2012. Aux pages 5 et 6, le rapport indique qu’il existe trois modèles institutionnels de mise en œuvre de la concurrence dans l’Union européenne: 1) le modèle administratif moniste dans lequel une autorité administrative unique instruit les affaires et prend les décisions de mise en œuvre. Dans certains ordres juridiques, l’autorité n’a pas la compétence pour infliger des amendes, 2) le modèle administratif dualiste dans lequel l’instruction des affaires et l’adoption des décisions sont réparties entre deux organes. L’un est chargé d’instruire les affaires qui sont ensuite transmises à l’autre chargé de prendre une décision, et 3) le modèle judiciaire dans lequel un tribunal statue soit au fond et sur les amendes, soit uniquement sur les secondes, les décisions au fond étant laissées à l’autorité de la concurrence. Il est expliqué, à la page 9 du rapport, que la République d’Autriche relève du premier des deux modèles judiciaires, c’est-à-dire du modèle strictement judiciaire.

    ( 15 ) Le tribunal de la concurrence utilise le numéro de dossier reproduit à la note 8 supra. L’association est enregistrée comme intervenante dans la présente procédure.

    ( 16 ) Arrêt du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a. (C‑591/10, point 31).

    ( 17 ) Ibidem (point 31).

    ( 18 ) Arrêt Littlewoods Retail e.a., précité note 16 (point 31), citant l’arrêt du 29 octobre 2009, Pontin (C-63/08, Rec. p. I-10467).

    ( 19 ) Arrêt du 8 septembre 2011, Rosado Santana (C-177/10, Rec. p. I-7907, point 90 et jurisprudence citée).

    ( 20 ) Par exemple arrêts Rosado Santana, précité (point 91), et du 19 juin 2003, Pasquini (C-34/02, Rec. p. I-6515, points 64 à 73).

    ( 21 ) Arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C-118/08, Rec. p. I-635, point 46).

    ( 22 ) Arrêt Pasquini, précité note 20 (point 59).

    ( 23 ) Arrêt précité note 3 (point 26).

    ( 24 ) Arrêt précité note 3 (point 78).

    ( 25 ) Point 20. La Cour a observé, au point 21 de l’arrêt Pfleiderer, que ni la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43) ni la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17), qui portent toutes deux sur la clémence, ne sont contraignantes pour les États membres. Au point 22 de cet arrêt, la Cour indique que, dans le cadre du réseau européen de la concurrence, un programme modèle en matière de clémence, visant à l’harmonisation de certains éléments des programmes nationaux en la matière, a été également élaboré et adopté au cours de l’année 2006. Toutefois, ce programme modèle n’a pas non plus d’effet contraignant à l’égard des juridictions des États membres.

    ( 26 ) Arrêt Pfleiderer, précité note 2 (point 23).

    ( 27 ) Ibidem (point 24 et jurisprudence citée).

    ( 28 ) Ibidem (points 25 et 26). J’adhère en outre aux observations de l’avocat général Mazák, au point 34 de ses conclusions dans l’affaire Pfleiderer, selon lesquelles, «lorsqu’un État membre, par l’intermédiaire d’une ou plusieurs de ses autorités de concurrence, met en œuvre un programme de clémence afin d’assurer l’application efficace de l’article 101 TFUE, il doit, malgré l’autonomie procédurale dont il dispose dans l’application de cette disposition, veiller à ce que le programme soit mis en place et fonctionne de façon efficace».

    ( 29 ) Ibidem (point 30).

    ( 30 ) Ibidem (point 31).

    ( 31 ) Arrêt du 14 décembre 1995 (C-430/93 et C-431/93, Rec. p. I-4705, point 19).

    ( 32 ) Voir point 22 des conclusions présentées par l’avocat général Mazák.

    ( 33 ) Italique ajouté.

    ( 34 ) À l’instar de ce qui a été jugé, par exemple dans l’arrêt du 22 décembre 2010, DEB (C-279/09, Rec. p. I-13849), dans lequel la Cour a considéré qu’une réglementation nationale qui subordonnait l’exercice de l’action en responsabilité d’un État membre au paiement d’une avance sur frais, en l’absence d’aide légale, pouvait violer le droit d’accès à la justice. L’appréciation du point de savoir si tel était le cas en l’occurrence a été laissée à la juridiction nationale.

    ( 35 ) Arrêt du 11 septembre 2003, Safalero (C-13/01, Rec. p. I-8679, point 54).

    ( 36 ) Voir conclusions présentées par l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Mono Car Styling (arrêt du 16 juillet 2009, C-12/08, Rec. p. I-6653, point 84, citant les points 38 à 40 de l’arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, Rec. p. I-2271).

    ( 37 ) Voir, par analogie, arrêt DEB, précité note 34.

    ( 38 ) Arrêts du 3 février 2000, Dounias (C-228/98, Rec. p. I-577, point 69 et jurisprudence citée); du 29 avril 2004, Pusa (C-224/02, Rec. p. I-5763, point 44), et du 24 avril 2008, Arcor (C-55/06, Rec. p. I-2931, point 191 et jurisprudence citée). Voir également, concernant les règles de preuve, arrêts du 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron (C-526/04, Rec. p. I-7529, points 52 à 57), et du 1er juillet 2010, Speranza (C-35/09, Rec. p. I-6581, point 47).

    ( 39 ) Arrêt Dounias, précité note 38 (point 71).

    ( 40 ) Ibidem.

    ( 41 ) Voir point 50 des conclusions de l’avocat général Jacobs présentées le 23 septembre 1999 dans l’affaire Dounias (arrêt précité note 38).

    ( 42 ) Voir, par exemple, arrêts du 10 avril 2003, Steffensen (C-276/01, Rec. p. I-3735), et du 6 novembre 2012, Otis e.a. (C‑199/11).

    ( 43 ) Arrêt du 15 avril 2010, Barth (C-542/08, Rec. p. I-3189, point 40).

    ( 44 ) Voir, par exemple, arrêt du 1er décembre 1998, Levez, précité note 4 (point 32), dans lequel le dol d’un employeur concernant la rémunération des employés de sexe masculin exerçant le même travail a été considéré comme ayant «provoqué» le retard avec lequel Mme Levez avait introduit son action.

    ( 45 ) Voir, de manière classique, arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595).

    ( 46 ) Arrêt Otis e.a., précité note 42 (point 48).

    ( 47 ) Ibidem (point 49).

    ( 48 ) Voir point 33 des conclusions de l’avocat général Darmon présentées le 29 mai 1991 dans l’affaire Verholen e.a. (arrêt du 11 juillet 1991, C-87/90 à C-89/90, Rec. p. I-3757).

    ( 49 ) Arrêt DEB, précité note 34 (point 45, citant Cour eur. D. H., arrêt Steel et Morris c. Royaume-Uni du 15 février 2005, Recueil des arrêts et décisions 2005-II, § 59).

    ( 50 ) Ibidem (point 45).

    ( 51 ) Ibidem (point 47, citant Cour eur. D. H., arrêts Tolstoy-Miloslavsky c. Royaume-Uni du 13 juillet 1995, série A no 316-B, § 59 à 67, et Kreuz c. Pologne du 19 juin 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-VI, § 54 et 55). Voir, également, point 38 des conclusions de l’avocat général Sharpston présentées le 30 novembre 2006 dans l’affaire Unibet (précitée note 36).

    ( 52 ) Voir point 46 des conclusions de l’avocat général Mazák présentées le 16 décembre 2010 dans l’affaire Pfleiderer (arrêt précité note 2).

    ( 53 ) Voir, de manière classique, arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission (155/79, Rec. p. 1575).

    ( 54 ) Constaté de nouveau récemment dans l’arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, point 128 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (C-550/07 P, Rec. p. I-8301).

    ( 55 ) Voir point 39 de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17): «Le fait qu’une entreprise bénéficie d’une immunité d’amende ou d’une réduction de son montant ne la protège pas des conséquences en droit civil de sa participation à une infraction à l’article 81 du traité CE».

    ( 56 ) Voir arrêt Mono Car Styling (précité note 36, point 49 et jurisprudence citée).

    ( 57 ) Arrêt du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob (C‑404/10 P, points 123 et 124).

    ( 58 ) On peut ajouter à cela, par exemple, la notion connexe de protection des secrets d’affaires. Arrêts du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C-305/05, Rec. p. I-5305), et du 29 mars 2012, Interseroh Scrap and Metals Trading (C‑1/11).

    ( 59 ) Voir, en particulier, règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43).

    ( 60 ) Par exemple, arrêts Commission/Éditions Odile Jacob, précité note 57, et du 22 mai 2012, EnBW Energie Baden-Württemberg/Commission (T‑344/08).

    ( 61 ) JO 2004, C 101, p. 54.

    ( 62 ) Il convient de relever que le Tribunal a récemment jugé nécessaire de permettre aux parties de consulter au greffe les dossiers de la Commission lorsque leurs arguments reposaient sur des informations communiquées par une entreprise dans le cadre d’une procédure de clémence. Voir arrêt du 14 novembre 2012, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi Energia/Commission (T‑140/09).

    ( 63 ) Voir observations, Commission Staff Working Paper accompanying the White Paper on Damages actions for breach of the EC antitrust rules, SEC(2008) 404, point 2, p. 7 (disponible uniquement en anglais).

    ( 64 ) Voir observations concernant les secrets d’affaires au point 33 de mes conclusions dans l’affaire Westbahn Management (arrêt du 22 novembre 2012, C–136/11). La Commission a toujours publié les décisions dans lesquelles elle applique le droit de l’UE, sans dévoiler, là où c’était nécessaire, les éléments constituant des secrets d’affaires.

    ( 65 ) Arrêt Unibet (précité note 36, points 40 et 41 ainsi que jurisprudence citée).

    ( 66 ) L’avocat général Sharpston a fait valoir que des problèmes pratiques de quantification sont insuffisants pour rendre une action en indemnisation «en pratique impossible ou excessivement difficile». Voir point 49 de ses conclusions dans l’affaire Unibet. Selon moi, il s’agit là d’une question de degré de difficulté qui doit être appréciée par la juridiction nationale à la lumière de l’article 19, paragraphe 1, TUE.

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    Conclusions de l'avocat général

    Conclusions de l'avocat général

    I – Introduction

    1. L’article 39, paragraphe 2, de la loi fédérale autrichienne de 2005 sur les ententes et les autres restrictions de concurrence (Bundesgesetz gegen Kartelle und andere Wettbewerbsbeschränkungen, ci-après le «KartG») exclut l’accès des tiers aux dossiers dans les procédures judiciaires en matière de droit public de la concurrence à défaut de l’accord des parties à la procédure. Verband Druck & Medientechnik (ci-après l’«association») représente les intérêts des entreprises du secteur de l’imprimerie. Elle a sollicité de l’Oberlandesgericht Wien, dans sa fonction de tribunal de la concurrence (ci-après le «tribunal de la concurrence»), le droit d’accès au dossier de la procédure en matière de droit public de la concurrence clôturé opposant la Bundeswettbewerbsbehörde (ci-après l’«autorité fédérale de la concurrence») à Donau Chemie AG et six autres opérateurs opérant sur le marché de gros de produits chimiques pour l’imprimerie.

    2. Dans la présente affaire, la Cour est appelée à se fonder sur les principes tirés de l’arrêt Pfleiderer (2), qui concernait l’accès aux dossiers d’une autorité nationale de la concurrence sollicité par des tiers désireux d’introduire une action civile en indemnisation contre des entreprises reconnues coupables d’avoir violé l’article 101 TFUE, alors que certaines des informations contenues dans le dossier avaient été réunies au cours du programme de clémence.

    3. Une jurisprudence bien établie limite l’autonomie procédurale des États membres dans l’application du droit de l’Union européenne (ci-après l’«UE»), que le litige concerne le droit de la concurrence ou un autre domaine. Le principe d’équivalence exige que les mêmes voies de recours et les mêmes règles s’appliquent aux réclamations fondées sur le droit de l’UE et aux réclamations analogues de nature purement nationale. Le principe d’effectivité, ou de protection juridictionnelle effective, oblige les États membres à garantir que les voies de recours et les règles de procédure ne rendent pas excessivement difficile, voire impossible, l’exercice des recours fondés sur le droit de l’UE.

    4. Le premier de ces principes est pertinent pour la solution du litige parce que, en vertu du droit autrichien, ni les procédures civiles générales ni les procédures pénales n’exigent de manière absolue l’accord de l’ensemble des parties à l’accès des tiers au dossier du tribunal. Cela signifie-t-il que les règles de procédure autrichiennes pertinentes subordonnent les actions civiles en indemnisation pour violation du droit de la concurrence de l’UE (3) à une condition qui ne s’applique pas aux actions similaires de nature purement nationale (4) ?

    5. La limitation de l’accès des tiers aux dossiers des procédures judiciaires d’ententes soulève également le problème de la protection juridictionnelle effective des actions fondées sur le droit de l’UE. Dans la présente affaire, il est nécessaire de réexaminer, à la lumière de l’article 19, paragraphe 1, TUE introduit par le traité de Lisbonne, le principe classique d’effectivité que j’ai abordé précédemment. L’article 19, paragraphe 1, TUE dispose que «[l]es États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union». Cela exige, à son tour, d’examiner le droit d’accès à la justice tel qu’il est protégé par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et interprété à la lumière de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à cette disposition (5) .

    6. Enfin, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux entre également en considération lorsqu’on décide si autoriser des tiers intéressés à accéder au dossier de procédures de concurrence clôturées méconnaîtrait le droit à un procès équitable, du moins lorsque certaines informations ont été réunies dans le cadre d’une garantie publique de clémence. Cela affecte le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et la protection des secrets d’affaires.

    II – Cadre juridique

    A – Législation de l’UE

    7. La première phrase du considérant 1 du préambule du règlement (CE) n o  1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (6), indique que, «pour établir un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun, il y a lieu de pourvoir à l’application efficace et uniforme des articles 81 [CE] et 82 [CE] dans la Communauté».

    8. S’agissant de la «[c]oopération entre la Commission et les autorités de la concurrence des États membres», l’article 11, paragraphe 1, du règlement n o  1/2003, dont c’est l’intitulé, énonce:

    «La Commission et les autorités de concurrence des États membres appliquent les règles communautaires de concurrence en étroite collaboration.»

    9. L’article 35, paragraphe 1, du règlement n o  1/2003 dispose:

    «Les États membres désignent l’autorité ou les autorités de concurrence compétentes pour appliquer les articles 81 et 82 du traité de telle sorte que les dispositions du présent règlement soient effectivement respectées. Les mesures nécessaires pour doter ces autorités du pouvoir d’appliquer lesdits articles sont prises avant le 1 er  mai 2004. Les juridictions peuvent figurer parmi les autorités désignées.»

    B – Législation nationale

    10. L’article 39, paragraphe 2, du KartG dispose:

    «Les personnes qui ne sont pas parties à la procédure ne peuvent accéder au dossier du tribunal de la concurrence qu’avec l’accord des parties.»

    11. En vertu de l’article 219, paragraphe 2, du code de procédure civile autrichien (Zivilprozessordnung, ci-après la «ZPO»):

    «Avec l’accord des deux parties, des tiers peuvent, de la même façon, consulter et obtenir, à leurs frais, des copies et relevés, pour autant que cette mesure ne soit pas contraire à l’intérêt légitime supérieur d’une autre personne ou à des intérêts publics supérieurs au sens de l’article 26, paragraphe 2, première phrase, de la loi sur la protection des données (Datenschutzgesetz) de 2000. À défaut d’un tel accord, un tiers peut consulter et prendre copie des dossiers uniquement s’il démontre l’existence d’un intérêt juridique à cet effet» (7) .

    12. Conformément à l’article 273 de la ZPO:

    «(1) S’il est établi qu’une partie a droit à la compensation d’un dommage ou d’un intérêt ou dispose autrement d’une créance, mais que la preuve du montant contesté du dommage, de l’intérêt ou de la créance à compenser ne peut être apportée ou seulement avec des difficultés disproportionnées, le tribunal peut, sur demande ou d’office, fixer librement ce montant, même sans tenir compte d’une offre de preuve faite par l’une des parties. La détermination du montant peut être précédée de l’audition sous serment de l’une des parties sur les circonstances pertinentes pour la détermination du montant.

    (2) Si, parmi plusieurs demandes présentées dans une même procédure judiciaire, des demandes individuelles, insignifiantes par rapport au montant global, font l’objet de contestation et que la clarification complète de l’ensemble des circonstances pertinentes pour celles-ci engendre des difficultés, le tribunal peut de la même manière (paragraphe 1) trancher d’après son intime conviction. Il en va de même pour les demandes individuelles si le montant demandé ne dépasse pas 1 000 euros pour chacune d’elles.»

    13. En vertu de l’article 77, paragraphe 1, du code de procédure pénale autrichien (Strafprozessordnung, ci-après la «StPO»):

    «En cas d’intérêts juridiques justifiés, les parquets et les tribunaux peuvent également accorder dans les cas non prévus expressément dans le présent code l’accès aux conclusions de l’enquête préliminaire ou de l’action pénale dont ils disposent dans la mesure où aucun intérêt public ou privé supérieur ne s’y oppose.»

    III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

    14. Par décision du 26 mars 2010, le tribunal de la concurrence a rendu une décision infligeant des amendes aux parties défenderesses au principal pour leur participation à des accords et à des pratiques concertées en violation de l’article 101 TFUE. Cette procédure (ci-après la «procédure d’entente») a été diligentée par l’autorité fédérale de la concurrence sur la base de demandes de clémence présentées par l’une des défenderesses. Le tribunal de la concurrence a jugé qu’il y avait eu violation de l’interdiction des ententes et qu’il existait une entente sur le marché de gros de produits chimiques pour l’imprimerie en Autriche. Cette décision a été confirmée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême), statuant en tant que tribunal supérieur de la concurrence, par une décision du 4 octobre 2010, et elle est devenue définitive.

    15. L’association demande l’accès au dossier («Akteneinsicht») de la procédure d’entente en possession du tribunal de la concurrence (8) . L’association indique que, conformément à ses statuts, elle est habilitée à représenter les intérêts de ses membres, y compris des entreprises du secteur de l’imprimerie. Selon l’ordonnance de renvoi, à la demande de ses membres, l’association examine en particulier l’étendue du dommage résultant de la violation du droit de la concurrence en vue de préparer une action en indemnisation.

    16. L’association soutient qu’elle a besoin de consulter le dossier du tribunal de la concurrence pour établir la nature et l’importance du préjudice subi ou pour l’évaluer sur la base des informations contenues dans le dossier. Selon elle, cela lui donne un intérêt légitime à agir.

    17. À l’exception de l’autorité fédérale de la concurrence, toutes les parties à la procédure d’entente ont refusé de donner leur accord. L’autorité fédérale de la concurrence aurait consenti à communiquer à la requérante la décision de première instance, c’est-à-dire la décision du tribunal de la concurrence, mais pas davantage. En vertu du droit autrichien, et plus spécifiquement de l’article 39, paragraphe 2, du KartG et de ses règles sur la «protection des secrets d’affaires», cela signifie que ni le dossier ni la décision du tribunal de la concurrence ne peuvent être communiqués à l’association pour l’aider à poursuivre une action en indemnisation contre les défenderesses ou à toute autre fin.

    18. À la lumière de l’arrêt Pfleiderer rendu par la Cour de justice et des indications fournies dans cet arrêt selon lesquelles le droit de l’UE exige une mise en balance de l’ensemble des intérêts au cas par cas lorsqu’un tiers, qui allègue un préjudice résultant de la violation de l’article 101 TFUE, demande l’accès au dossier constitué dans une procédure judiciaire portant sur cette violation, même s’il a été constitué dans le contexte d’une procédure de clémence, le tribunal de la concurrence s’interroge sur la conformité du droit autrichien au principe de l’effet utile et à l’obligation pour les États membres d’autoriser les particuliers à intenter des actions en indemnisation pour violation du droit de la concurrence (9) . Le tribunal de la concurrence a également des doutes sur la compatibilité de l’article 39, paragraphe 2, du KartG avec le principe de non-discrimination lorsque l’accord de l’ensemble des parties n’est pas exigé, en droit autrichien, dans les affaires de droit civil ordinaires telles que celles concernant des actes délictueux ou en droit pénal, concernant les dossiers détenus par les tribunaux.

    19. À la lumière des considérations qui précèdent, l’Oberlandesgericht Wien a présenté à la Cour une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE portant sur les questions suivantes:

    «1) Eu égard notamment à l’arrêt de la Cour du 14 juin 2011, C-360/09, Pfleiderer, le droit de l’Union s’oppose-t-il à une disposition nationale du droit des ententes aux termes de laquelle l’octroi de l’accès aux dossiers du tribunal de la concurrence (Kartellgericht) à des tiers n’étant pas parties à la procédure, aux fins de la préparation de recours en dommages et intérêts à l’encontre de participants à une entente, est subordonné, (aussi) dans des procédures dans lesquelles il a été fait application de l’article 101 TFUE ou de l’article 102 TFUE, en combinaison avec le règlement n o  1/2003, au consentement de toutes les parties à la procédure sans exception et qui ne permet pas au tribunal de procéder à une mise en balance, au cas par cas, des intérêts protégés par le droit de l’Union pour déterminer les conditions auxquelles l’accès aux dossiers est autorisé ou refusé?

    Si la première question appelle une réponse négative:

    2) Le droit de l’Union s’oppose-t-il à une disposition nationale de ce type lorsque cette disposition s’applique certes de la même manière à une procédure purement nationale en matière d’ententes et qu’elle ne prévoit d’ailleurs aucune règle spéciale pour des documents mis à disposition par des candidats à la clémence, alors que les dispositions nationales similaires permettent, dans d’autres types de procédures, notamment les procédures civiles contentieuse et non contentieuse et la procédure pénale, l’accès aux dossiers d’un tribunal sans le consentement des parties, à condition que le tiers qui n’est pas partie à la procédure démontre de manière plausible qu’il dispose d’un intérêt juridique à l’accès aux dossiers et que des intérêts supérieurs d’une autre personne ou des intérêts publics supérieurs ne s’opposent pas à l’accès aux dossiers?»

    20. Des observations écrites ont été présentées par l’association, l’autorité fédérale de la concurrence, ASK Chemicals GmbH et ASK Chemicals Austria GmbH (10), Brenntag CEE GmbH, DC Druck-Chemie Süd GmbH & Co KG, Donau Chemie AG et Donauchem GmbH, par les gouvernements allemand, autrichien, belge, espagnol, italien, par la Commission européenne et par l’Autorité de surveillance de l’AELE. Toutes les parties citées, à l’exception du gouvernement italien, étaient présentes à l’audience du 4 octobre 2012 ainsi que le gouvernement français.

    IV – Analyse juridique

    A – Recevabilité de la demande préjudicielle

    21. Dans ses observations écrites, la Commission met en doute la recevabilité de la demande préjudicielle. Elle relève que l’ordonnance de renvoi ne précise pas si la juridiction de renvoi satisfait aux conditions requises par l’article 219, paragraphe 2, de la ZPO. Cette disposition semble être la disposition nationale qui régirait l’accès au dossier si l’article 39, paragraphe 2, du KartG devait être considéré comme non conforme au droit de l’UE. L’article 219, paragraphe 2, de la ZPO exige la démonstration d’un intérêt juridique à consulter le dossier. La Commission se demande donc si les réponses aux questions déférées vont demeurer hypothétiques si l’association n’est pas en mesure de démontrer un intérêt juridique suffisant.

    22. Je relève également que les observations de la Commission comportent plusieurs autres commentaires qui, bien que destinés à répondre à la première question, sont également pertinents pour la question de la recevabilité. Tel est le cas lorsque la Commission demande, par exemple, s’il existe en droit autrichien des voies alternatives pour rassembler les éléments de preuve requis. La Commission relève qu’il importe d’être conscient de la manière dont un tribunal saisi d’une demande d’indemnisation tient compte des preuves écrites ou bien du fait qu’il accorde la priorité aux témoignages oraux. Dans le second cas, les documents contenus dans le dossier revêtent une importance moindre. Une autre question clé porte sur le point de savoir dans quelle mesure la preuve indirecte, par opposition à la preuve directe, est à la fois admise par le droit national et suffisante pour étayer une action en indemnisation.

    23. De même, l’autorité fédérale de la concurrence soutient que la matrice du droit autrichien prévoit suffisamment de possibilités pour rassembler les preuves et pour garantir une mise en œuvre effective des demandes de dommages-intérêts fondées sur le droit de la concurrence. Par exemple, l’autorité fédérale de la concurrence conteste, entre autres, les difficultés auxquelles ferait face l’association pour évaluer les dommages. L’autorité a souligné que, conformément à l’article 273 de la ZPO, si le montant du dommage subi ne peut pas être déterminé ou s’il ne peut être déterminé qu’au prix de difficultés considérables, le tribunal peut procéder librement à une évaluation.

    24. En vertu d’une jurisprudence constante, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions nationales et de juger si l’interprétation qu’en donne la juridiction de renvoi est correcte (11) . Il appartient également à la juridiction de renvoi de vérifier l’exactitude des déclarations qui lui sont faites (12) .

    25. Il importe de procéder ici à une distinction conceptuelle entre trois dossiers différents: 1) les documents d’une autorité de la concurrence compétente relatifs à une enquête pour infraction aux règles sur les ententes, 2) les documents de la procédure devant un tribunal compétent statuant en cette matière et qui peuvent notamment comprendre (certains ou l’ensemble) des documents de l’enquête pour infraction aux règles sur les ententes, et 3) des éléments de preuve produits devant un tribunal compétent pour statuer sur une éventuelle action de droit privé fondée sur une restriction de concurrence (13) .

    26. Quelle que puisse être la répartition des compétences entre les différents organes dans cette architecture juridique (14), nous avons affaire à trois questions différentes: 1) l’accès aux documents obtenus dans le cadre de l’enquête pour infraction aux règles sur les ententes et détenus par l’autorité de la concurrence, c’est-à-dire l’accès à des documents administratifs, 2) l’accès au dossier de la juridiction compétente pour les procédures en matière de concurrence, qui concerne l’accès aux documents judiciaires, et 3) la disponibilité de ces documents administratifs ou judiciaires aux fins de porter une action devant une juridiction civile. Cela peut inclure la «pre-trial discovery» (mesures que prévoit la «common law» – surtout le droit américain – pour la production, avant l’audience, d’informations dont la partie adverse était en possession), ou des obligations de divulguer des documents dans le contexte de procédures civiles.

    27. Selon le libellé univoque des questions préjudicielles, la présente affaire relève de la deuxième catégorie, c’est-à-dire qu’elle porte sur l’accès à des documents détenus par un tribunal compétent pour connaître des procédures en matière d’entente relevant du droit public. Même si la demande concernant ces documents semble, d’un point de vue technique, avoir été enregistrée par le tribunal de la concurrence comme la suite de la procédure en matière d’entente, elle est distincte à la fois de la violation substantielle du droit de l’UE/ou du droit national de la concurrence, et de toute action de droit privé tendant à l’obtention de dommages et intérêts susceptible d’être portée devant les juridictions civiles compétentes (15) .

    28. Le présent litige devant le tribunal de la concurrence n’est donc en aucun cas hypothétique et le droit de l’UE est clairement susceptible d’affecter sa conclusion, c’est-à-dire sa décision d’accepter ou de refuser l’accès aux documents demandés. De plus, les questions liées à la qualité ou à l’intérêt à agir de l’association ou de ses membres dans toute procédure civile susceptible d’intervenir ou les normes probatoires qui lui sont applicables sont dépourvues de pertinence pour la recevabilité du présent renvoi préjudiciel, bien qu’elles soient clairement capables d’affecter l’application du principe d’effectivité, qui relève du juge national.

    29. Selon moi, en tenant dûment compte à la fois du droit pertinent et des faits disponibles, la Cour dispose de toutes les informations lui permettant de répondre à la question posée. Pour ces raisons, la demande de décision préjudicielle est recevable.

    B – Réponse à la seconde question

    30. J’ai décidé de répondre aux questions préjudicielles dans l’ordre inverse de celui dans lequel elles ont été posées, parce que je considère qu’il est plus logique dans cette affaire de discuter en premier du principe d’équivalence, bien qu’il s’agisse de la seconde question déférée par la juridiction nationale. Selon moi, il en va ainsi parce que, vu sous l’angle des limites de l’autonomie de la procédure nationale, la question de l’équivalence précède logiquement la question de l’efficacité. Nonobstant ce que la juridiction nationale a indiqué au début de la seconde question, du point de vue du droit de l’UE, il convient d’examiner les deux questions afin d’y apporter une réponse utile.

    31. Il est possible d’apporter une réponse relativement simple à la seconde question. Je partage la position défendue par l’ensemble des parties, à l’exception de l’association, selon laquelle l’article 39, paragraphe 2, du KartG n’est pas une disposition analogue, au sens de la jurisprudence de la Cour concernant le principe d’effectivité, à l’article 219, paragraphe 2, de la ZPO ou à l’article 77, paragraphe 1, de la StPO, dans le contexte du droit de la concurrence. Il y a lieu d’ajouter que cette constatation ne repose pas sur le principe général de non-discrimination, mais sur celui d’équivalence qui limite l’autonomie procédurale nationale en vertu d’une jurisprudence constante. Le premier principe mentionné prévoit que des situations comparables ne doivent pas être traitées différemment. Cela ne semble pas applicable aux circonstances de la présente affaire compte tenu du fait que le principe d’équivalence vise le même objectif.

    32. Le respect du principe d’équivalence suppose que la règle nationale en cause s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne «ayant un objet et une cause semblables» (16) . Toutefois, le principe de l’équivalence ne saurait être interprété en ce sens qu’il oblige l’État membre à étendre son régime interne le plus favorable à l’ensemble des recours introduits dans le domaine du droit concerné (17) .

    33. En principe, la tâche de comparer les différentes procédures nationales, en termes d’équivalence, incombe à la juridiction de renvoi qui doit vérifier la similitude des recours concernés sous l’angle de leur objet, de leur cause et de leurs éléments essentiels (18) . La juridiction nationale doit, pour déterminer si une disposition procédurale nationale est moins favorable, tenir compte de sa place dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de ladite procédure et des particularités de ces règles (19) .

    34. La Cour a toutefois pris occasionnellement position sur le point de savoir si la disposition nationale en question était conforme au principe d’équivalence. Dans certains cas, la Cour a donné une indication sur sa position tout en laissant le soin à la juridiction nationale de trancher (20), alors que, dans d’autres cas, elle a tiré une conclusion définitive sur la conformité de la règle nationale pertinente aux exigences d’équivalence (21) . En l’occurrence, il convient selon moi de retenir la seconde approche.

    35. En l’espèce, l’interdiction d’accès des tiers au dossier du tribunal de la concurrence s’applique à la fois aux affaires fondées sur le droit de l’UE et à celles fondées sur le droit autrichien de la concurrence. En d’autres termes, il n’existe pas de différence de traitement résultant de l’exercice d’une action tirée du droit de l’UE et qualifiée ou traitée différemment d’une situation purement interne (22) .

    36. À mon avis, on ne saurait soutenir que ces procédures sont comparables aux procédures civiles ou pénales ordinaires, compte tenu du fait qu’aucune d’entre elles n’est concernée par la protection des programmes de clémence ou toute autre caractéristique spécifique des procédures de droit public dans le contexte de la mise en œuvre de la politique de la concurrence.

    37. Je propose donc de répondre à la seconde question que le principe d’équivalence en vertu du droit de l’UE ne fait pas obstacle à une disposition nationale comme l’article 39, paragraphe 2, du KartG.

    C – Réponse à la première question

    1. Observations préliminaires

    38. Dans sa première question, le tribunal de la concurrence souhaite obtenir des précisions sur la conformité au droit de l’UE de l’interdiction prévue par un État membre de donner aux tiers accès aux documents détenus par le tribunal de la concurrence sans l’accord des parties aux procédures en matière de droit public de la concurrence. La préoccupation de la juridiction nationale conduit de manière plus spécifique à la question de la conformité d’une telle interdiction au droit de solliciter, dans le cadre de procédures civiles contre les parties à cet accord, l’indemnisation du préjudice causé par l’accord ou la pratique illicite, établi par la Cour dans l’arrêt Courage et Crehan (23), et confirmé dans l’arrêt Manfredi e.a. (24) .

    39. Le sujet à traiter est rendu plus complexe par le fait que certaines des informations demandées par l’association ont été obtenues, dans le cadre d’un programme de clémence, de l’une des entreprises contre lesquelles l’association souhaite introduire une action judiciaire.

    40. Dans l’arrêt Pfleiderer, la Cour a adopté une approche qui, selon moi, est tout aussi valable dans le présent litige. Elle a indiqué que ni les dispositions du traité CE en matière de concurrence ni le règlement n o  1/2003 ne prévoient de règles communes de clémence ou de règles communes quant au droit d’accès aux documents relatifs à une procédure de clémence volontairement communiqués à une autorité nationale de concurrence en application d’un programme national de clémence (25) . La Cour a constaté en outre que, en l’absence d’une réglementation contraignante du droit de l’UE en la matière, il appartient aux États membres d’établir et d’appliquer les règles nationales quant au droit d’accès des personnes lésées par une entente aux documents relatifs à des procédures de clémence (26), sous réserve de ne pas rendre impossible ou excessivement difficile la mise en œuvre du droit de l’UE et, spécifiquement, dans le domaine du droit de la concurrence, ils doivent veiller à ce que les règles qu’ils établissent ou appliquent ne portent pas atteinte à l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE (27) .

    41. Cela a amené la Cour, dans l’arrêt Pfleiderer, à une conclusion tout aussi pertinente dans le cas présent, en dépit du contexte institutionnel différent de l’affaire à l’origine de l’arrêt Pfleiderer qui concernait l’accès à des documents administratifs et non judiciaires. Elle a notamment indiqué que, en examinant une demande d’accès aux documents relatifs à un programme national de clémence, il est nécessaire de mettre en balance la protection des informations fournies volontairement par le demandeur de clémence (dont l’efficacité et donc l’application effective des articles 101 TFUE et 102 TFUE pourraient être compromises, si les documents relatifs à une procédure de clémence étaient communiqués aux personnes désirant intenter une action en dommages et intérêts) (28) et la nécessité de veiller à ce que les règles nationales applicables ne soient pas moins favorables que celles qui régissent les réclamations semblables de nature interne et ne soient pas aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’obtention d’une telle réparation (29) . La Cour a considéré que cette mise en balance ne pouvait être mise en œuvre par les juridictions nationales qu’au cas par cas (30) . Je reviendrai plus loin sur l’importance de cette conclusion.

    42. De plus, comme l’a constaté la Cour dans l’arrêt van Schijndel et van Veen, chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’UE doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s’il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de la sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (31) . Il y a donc lieu de tenir également compte de ce principe.

    43. Toutefois, si les conclusions de l’arrêt Pfleiderer sont pertinentes pour le présent litige, il importe également de conserver à l’esprit les différences. Dans l’affaire à l’origine de l’arrêt Pfleiderer, la juridiction de renvoi sollicitait des indications sur l’impact possible dans le contexte d’une procédure de clémence de l’accès d’un tiers lésé à des informations communiquées à une autorité nationale de la concurrence par un candidat à la clémence sur le système de coopération et d’échange d’informations établi aux articles 11 et 12 du règlement n o  1/2003 (32) .

    44. Dans la présente affaire, la première question concerne toutefois une interdiction prévue par la législation nationale pour tous les documents contenus dans les dossiers du tribunal de la concurrence en l’absence de l’accord des parties, qu’ils relèvent ou non de procédures de clémence, et en vertu de laquelle la juridiction nationale est empêchée de procéder à l’exercice de mise en balance prescrit par la Cour dans l’arrêt Pfleiderer.

    45. En d’autres termes, le présent litige est, à certains égards, plus proche du problème examiné par la Cour dans l’arrêt Courage et Crehan. Cet arrêt portait sur une interdiction par le droit anglais des demandes d’indemnisation présentées par des parties à des contrats illicites, y compris des accords adoptés en violation de l’article 101 TFUE. Selon moi, l’idée maîtresse apparaît au point 26 de l’arrêt Courage et Crehan:

    «La pleine efficacité de l’article 85 du traité et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence» (33) .

    46. La question essentielle est donc la suivante: la restriction autrichienne, telle qu’elle résulte de la description faite par le tribunal de la concurrence, signifie-t-elle que l’association ou ses membres ne sont pas en mesure de demander des dommages et intérêts pour la perte qu’ils ont subie du fait d’une entente illicite, l’interdiction autrichienne rendant cela impossible en pratique ou extrêmement difficile (34) ? D’après les constatations de la Cour dans l’arrêt DEB, il y a lieu d’examiner si l’association dispose d’une voie de recours qui assure une protection juridictionnelle effective des droits qu’elle tire de l’ordre juridique de l’UE (35) ; peut-elle faire valoir les droits qu’elle tire du droit de l’UE devant les tribunaux autrichiens (36) ?

    47. Enfin, il y a lieu de tenir dûment compte de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de la manière dont il fournit une garantie supplémentaire au principe d’effectivité. En vertu de l’article 19, paragraphe 1, TUE, les États membres établissent les voies de recours «nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union». En d’autres termes, à la lumière de cette disposition du traité, la norme de la protection juridictionnelle effective pour les droits tirés du droit de l’UE semble être plus exigeante que la formule classique qui se réfère à l’impossibilité pratique ou à la difficulté excessive. Selon moi, cela signifie que les voies de recours nationales doivent être accessibles, rapides et d’un rapport coût/efficacité raisonnable (37) .

    48. Du point de vue de la politique de la concurrence, la présente affaire se rapporte au débat concernant la mise en œuvre dite «privée» des règles de concurrence. À la différence de la situation qui prévaut aux États-Unis, cette notion n’est peut-être pas la plus appropriée en l’occurrence compte tenu du fait que, en droit de la concurrence de l’UE, les aménagements tels que la «pre-trial discovery», les actions de groupe («class actions»), et les dommages-intérêts punitifs n’existent pas. Selon moi, les victimes de restrictions de concurrence dans l’Union européenne recherchent uniquement, à la différence peut-être de leurs homologues américains, la protection juridique d’un droit de recours tiré du droit privé plutôt qu’à mettre en œuvre une politique publique.

    2. La jurisprudence de la Cour concernant les règles nationales de preuve et les principes généraux concernant l’effet utile

    49. Il résulte de la jurisprudence que les États membres doivent s’assurer que les modalités de preuve, notamment les règles sur la répartition de la charge de la preuve, applicables aux recours portant sur des litiges relatifs à une violation du droit de l’UE, en premier lieu, ne sont pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et, en second lieu, ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice par le justiciable des droits conférés par l’ordre juridique de l’UE (38) .

    50. La Cour a considéré, par exemple, qu’il appartient au juge national de vérifier qu’un justiciable, désireux d’introduire une action en indemnisation au titre du droit de l’UE à réparation du fait de la responsabilité de l’État, pouvait bénéficier de la procédure exceptionnelle permettant l’audition de témoins ou que, à défaut, il pouvait apporter autrement la preuve, notamment par écrit, des dommages qu’il avait subis (39) . Dans le cas contraire, les règles régissant la preuve rendraient en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice par le justiciable des droits conférés par l’ordre juridique de l’UE (40) . En d’autres termes, les restrictions en matière de preuves «d’une importance cruciale pour l’argumentation du requérant» (41) ne sont pas conformes à l’effet utile. Parmi les autres règles de preuve soumises, selon la Cour, à l’examen des juridictions nationales pour violation de l’effet utile, on trouve celles qui mettent en péril le principe de l’égalité des armes (42) .

    51. Je considère que soumettre l’accès aux dossiers des tribunaux en matière de droit public de la concurrence à l’accord du contrevenant aux règles de concurrence équivaut à un moyen significatif de dissuader d’exercer une action civile en dommages et intérêts pour violation du droit de la concurrence de l’UE (43) . La Cour a jugé que, si un individu a été dissuadé d’engager une procédure judiciaire en temps utile par l’auteur d’actes répréhensifs, ce dernier ne sera pas en mesure de se prévaloir des règles procédurales nationales concernant l’expiration du délai de recours (44) . Je ne vois aucune raison de limiter l’application de ce principe aux délais de prescription et je plaiderais pour son extension aux règles de preuve lourdes qui présentent un effet dissuasif analogue (45) . J’examinerai plus loin la conformité à l’article 19, paragraphe 1, TUE des recours qui dissuadent de mettre en œuvre les droits tirés du droit de l’UE.

    3. L’article 47 de la charte des droits fondamentaux

    52. Comme l’a récemment fait observer la Cour, le principe de protection juridictionnelle effective figurant à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux est constitué de divers éléments, lesquels comprennent, notamment, les droits de la défense, le principe d’égalité des armes, le droit d’accès à la justice ainsi que le droit de se faire conseiller, défendre et représenter (46) . De plus, le droit d’accès à la justice inclut également, selon la jurisprudence, la «compétence» des juridictions nationales pour examiner toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont elles se trouvent saisies (47) . Selon moi, une juridiction nationale qui juge les conséquences en droit civil d’une restriction illégale de concurrence ne saurait avoir cette «compétence» si elle est empêchée, en pratique, d’évaluer des éléments de preuve clés, tels que des dossiers ouverts dans des procédures de concurrence dans lesquelles une restriction illicite de concurrence, telle qu’une entente, a déjà été établie.

    53. Par conséquent, la limitation de la disponibilité des éléments de preuve essentiels sape le droit des plaideurs à obtenir une décision judiciaire (48) . Cela a également des effets sur leurs droits d’introduire une affaire de manière effective (49) .

    54. Toutefois, le droit d’accès à la justice n’est pas absolu (50) . Il peut être soumis à des limitations sous réserve que le droit n’est pas atteint dans sa substance même, qu’elles tendent à un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (51) .

    55. L’article 47 est également pertinent dans la présente affaire, parce qu’il garantit l’équité des audiences qui vise à protéger les intérêts des entreprises qui ont participé à l’entente. Je considère qu’il ne devrait, en principe, pas être donné accès aux déclarations présentées par un candidat à la clémence qui contribue volontairement à sa propre incrimination (52) . Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination est établi depuis longtemps en droit de l’UE (53) et il est directement opposable aux autorités nationales de la concurrence chargées de mettre en œuvre les règles de l’UE (54) .

    56. Il est vrai que les programmes de clémence ne garantissent pas une immunité contre les actions en paiement de dommages et intérêts (55) et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne s’applique pas dans un contexte de droit privé. Néanmoins, les raisons de politique publique et d’équité à l’égard des parties qui ont procédé à des déclarations d’auto-incrimination dans le cadre d’une procédure de clémence pèsent lourd face à l’accès au dossier d’une procédure judiciaire en droit de la concurrence lorsque la partie qui en bénéficie a agi comme témoin de l’autorité de la concurrence chargée des poursuites.

    4. Application à la présente affaire

    57. La Cour a jugé que le droit de l’UE oblige les États membres à veiller à ce que la législation nationale ne «sape» pas le droit à une protection juridictionnelle effective (56) ; les personnes concernées ne sauraient être empêchées de faire valoir leurs droits devant les juridictions nationales. L’interdiction autrichienne de donner accès aux dossiers des procédures devant le tribunal de la concurrence en l’absence de l’accord de l’ensemble des parties produit-elle le même effet?

    58. La Cour a jugé que la communication à des tiers de documents échangés entre la Commission et des entreprises durant des procédures de contrôle des concentrations porterait atteinte, en principe, à la fois à la protection des objectifs des activités d’enquête et à celle des intérêts commerciaux des entreprises impliquées dans une telle procédure, même si la procédure de contrôle était déjà clôturée (57) . Toutefois, au niveau de l’UE, les principes de ce type (58) sont en concurrence avec les règles d’accès aux documents et avec l’obligation de transparence, telles que prévues à la fois par la législation et le droit primaire de l’UE (59) .

    59. Par conséquent, la Cour a développé un corpus jurisprudentiel incluant des affaires relevant du domaine de l’accès aux documents détenus par la Commission dans le cadre des enquêtes en matière de concurrence (60) qui impose essentiellement de mettre en balance les intérêts de cette nature, en évaluant leurs mérites respectifs par rapport à chaque document demandé. Cela signifie que, au niveau de l’UE, une interdiction absolue d’accès aux documents de la Commission réunis dans le cadre des enquêtes en matière d’entente est inconcevable.

    60. Ces principes, développés dans le contexte de l’accès aux documents détenus par la Commission, ne sont pas directement transposables au niveau national. Toutefois, ils fournissent un contexte, un cadre et une perspective pour l’appréciation de la conformité de l’interdiction absolue prévue par le droit autrichien au principe de l’effet utile.

    61. De manière similaire et comme cela résulte de l’arrêt Pfleiderer, il convient de tenir dûment compte de l’impératif de protection des procédures de clémence. Conformément au point 26 de la communication de la Commission sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l’application des articles 81 et 82 du traité CE (61), «[…] [l]a Commission s’abstiendra, par conséquent, de transmettre aux juridictions nationales des renseignements fournis volontairement par l’auteur d’une demande de clémence sans avoir obtenu l’accord de celui-ci», bien que, comme je l’ai déjà indiqué, la clémence accordée par la Commission ne donne aucune garantie dans le contexte des actions civiles en réparation de dommages (62) .

    62. Des considérations de ce type valent également pour apprécier la conformité de l’article 39, paragraphe 2, du KartG, en particulier lorsque les actions civiles en réparation de dommages jouent un rôle complémentaire dans l’Union européenne (63) dans la mise en œuvre du droit de la concurrence. Cela étant, le droit des parties, constaté dans la jurisprudence Courage et Crehan et Manfredi e.a., de demander des dommages et intérêts aux opérateurs économiques qui ont violé le droit de la concurrence de l’UE ne devrait pas, selon moi, être étendu au point de mettre en péril l’efficacité des mécanismes de mise en œuvre du droit public, qu’ils soient européens ou nationaux.

    63. La disposition autrichienne a été défendue en invoquant l’argument selon lequel le législateur autrichien a procédé au nécessaire exercice de mise en balance des intérêts publics et des intérêts privés en concurrence et a considéré qu’il était approprié de donner la primauté absolue à l’intérêt public lié à la mise en œuvre effective des règles de concurrence. Selon moi, à l’exception de certaines situations en dehors du domaine du droit de la concurrence, un exercice de mise en balance qui ne laisse aucune place à l’un des intérêts en concurrence est néanmoins incompatible avec le principe de proportionnalité.

    64. Par conséquent, j’estime qu’une règle législative qui prévoirait une protection absolue des participants à un programme de clémence, mais qui exigerait une mise en balance des intérêts des autres participants à une pratique restrictive et de ceux qui s’en prétendent victimes serait plus appropriée du point de vue de la proportionnalité. En Autriche, le champ de protection de la confidentialité des dossiers du tribunal de la concurrence ne se limite pas aux secrets d’affaires des entreprises participantes. En outre, je considère que, à l’exception des entreprises bénéficiant de la clémence, la participation à une restriction illicite de concurrence ne constitue pas un secret d’affaires digne d’être protégé par le droit de l’UE (64) .

    65. Par conséquent, une interdiction absolue d’accès aux dossiers du tribunal en l’absence de l’accord des parties constitue, selon moi, un obstacle disproportionné au droit d’accès à la justice garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux et notamment lorsque, comme cela résulte du dossier de la présente affaire, les décisions du tribunal de la concurrence ne sont pas rendues publiques.

    66. J’estime que ce qui est exigé en vertu de l’impératif de l’effet utile, c’est une possibilité pour le juge national statuant sur la demande d’accès d’un tiers au dossier du tribunal de procéder à un exercice de mise en balance du type de celui esquissé dans l’arrêt Pfleiderer. Un tel exercice permettrait au juge national de comparer l’ensemble des intérêts en concurrence, tels que la protection des secrets d’affaires des entreprises ayant participé à la restriction face à l’obligation pour les États membres, au titre de l’article 19, paragraphe 1, TUE, de fournir les «voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union». Le législateur national peut réglementer les facteurs à prendre en compte au titre de cet exercice de mise en balance, mais il ne saurait empêcher qu’il ait lieu, excepté peut-être pour les informations fournies par des entreprises bénéficiant de la clémence.

    67. Cela étant, il est constant dans la jurisprudence de la Cour que, «si le traité CE a institué un certain nombre d’actions directes qui peuvent être exercées, le cas échéant, par des personnes privées devant le juge communautaire, il n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue du maintien du droit communautaire, des voies de droit autres que celles établies par le droit national. […] Il n’en irait autrement que s’il ressortait de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours permettant, même de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit communautaire» (65) .

    68. Par conséquent, le tribunal de la concurrence est tenu, lorsqu’il procède à son évaluation, de tenir dûment compte des moyens alternatifs de réunir des éléments de preuve offerts par le droit autrichien. Cela inclut, par exemple, les règles de procédure sur la divulgation des documents dans le contexte des procédures civiles ou des règles régissant l’accès aux documents administratifs de l’autorité fédérale de la concurrence ainsi que les articles 219, paragraphe 2, et 273 du code de procédure civile, avant de décider, le cas échéant, quelles parties de son dossier doivent être communiquées à des tiers afin de se conformer à la protection juridictionnelle effective dans le contexte des actions en réparation de dommages, au sens de la jurisprudence Courage et Crehan et Manfredi e.a., dirigées contre les opérateurs économiques dont il a été établi qu’ils ont violé l’article 101 TFUE. Il convient de procéder au même exercice pour estimer les dommages (66) .

    69. En conclusion, dans les limites des paramètres que le législateur national peut établir et sous réserve qu’ils respectent les principes du droit de l’UE développés précédemment, il doit exister une certaine latitude pour mettre en balance l’intérêt public à la mise en œuvre effective des règles de concurrence et l’intérêt privé des victimes d’infractions à ces mêmes règles.

    70. Je propose donc à la Cour de répondre à la première question que le principe de la protection juridictionnelle effective, appliqué à la lumière de l’article 19, paragraphe 1, TUE, fait obstacle à une disposition du droit national de la concurrence telle que l’article 39, paragraphe 2, du KartG, qui interdit de donner accès, sans l’accord des parties, aux dossiers du tribunal de la concurrence aux tiers désireux d’introduire des actions en indemnisation contre les participants à l’entente.

    V – Conclusion

    71. En conclusion, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles de l’Oberlandesgericht Wien:

    «1) Le principe de la protection juridictionnelle effective prévu par le droit de l’Union européenne, appliqué à la lumière de l’article 19, paragraphe 1, TUE, fait obstacle à une disposition du droit national de la concurrence qui subordonne l’accès aux documents détenus par une juridiction nationale et réunis dans le cadre de procédure de droit de la concurrence impliquant l’application du droit de la concurrence de l’Union européenne, aux tiers non parties à ces procédures désireux d’introduire des actions en indemnisation contre les participants à un accord qui a fait l’objet d’une procédure de droit de la concurrence, à la condition que toutes les parties à la procédure donnent leur accord. La réponse ne sera différente que si le droit national offre pour établir la preuve de la violation du droit de la concurrence de l’Union européenne et la détermination du dommage des voies alternatives qui fournissent une protection juridique effective concernant le droit d’introduire une action civile en indemnisation pour violation de ces dispositions et se conformer à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

    2) Le principe d’équivalence prévu par le droit de l’Union européenne ne fait pas obstacle à une disposition du droit national qui subordonne l’accès aux documents détenus par une juridiction nationale et réunis dans le cadre de procédures de droit de la concurrence impliquant l’application du droit de la concurrence de l’Union européenne, aux tiers non parties à ces procédures, à la condition absolue que toutes les parties donnent leur accord lorsque la règle s’applique indistinctement aux procédures de droit de la concurrence purement nationales, mais diffère des dispositions nationales applicables à l’accès des tiers aux documents judiciaires dans le contexte d’autres catégories de procédures, notamment les procédures civiles contentieuses ou gracieuses et les procédures pénales.»

    (1) .

    (2)  – Arrêt du 14 juin 2011 (C-360/09, Rec. p. I-5161).

    (3)  – Voir arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C-453/99, Rec. p. I-6297), et du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C-295/04 à C-298/04, Rec. p. I-6619).

    (4)  – Voir, par exemple, arrêt du 1 er  décembre 1998, Levez (C-326/96, Rec. p. I-7835).

    (5)  – Voir, en ce sens, point 3 des conclusions de l’avocat général Mazák dans l’affaire Pfleiderer, précitée.

    (6)  – JO 2003, L 1, p. 1.

    (7)  – L’article 219, paragraphe 2, de la ZPO ne s’applique pas aux procédures du droit de la concurrence.

    (8)  – Dans sa demande d’accès aux documents, l’association a fait référence au [Kartellakt], 29 Kt 5/09.

    (9)  – Arrêts Courage et Crehan ainsi que Manfredi e.a., précités note 3.

    (10)  – Comme l’indique la page de garde des présentes conclusions, ASK Chemicals GmbH s’appelait auparavant Ashland-Südchemie-Kernfest GmbH et ASK Chemicals Austria GmbH était auparavant Ashland Südchemie Hantos Ges.m.b.H.

    (11)  – Arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C-482/01 et C-493/01, Rec. p. I-5257, point 42 et jurisprudence citée).

    (12)  – Ibidem (point 45).

    (13)  – Au niveau de l’UE, je mentionnerai 1) les documents de la Commission, 2) le dossier du Tribunal et 3) les preuves produites devant une juridiction nationale statuant sur les conséquences au regard du droit civil d’une restriction de la concurrence illégale. Voir, également, arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission (C-514/07 P, C-528/07 P et C-532/07 P, Rec. p. I-8533). Aux points 79 à 82, la Cour souligne que les activités judiciaires sont exclues du droit d’accès aux documents garanti par le règlement (CE) n o  1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), ainsi que les obligations de transparence de l’article 255 CE (désormais article 15, paragraphe 3, TFUE). Les conclusions présentées par l’avocat général Maduro dans cette affaire (points 21 à 39) explorent les différentes approches nationales et internationales d’accès aux documents des juridictions.

    (14)  – Voir, par exemple, ECN Working Group, Co-operation Issues and Due Process «Decision Making Powers», rapport du 31 octobre 2012. Aux pages 5 et 6, le rapport indique qu’il existe trois modèles institutionnels de mise en œuvre de la concurrence dans l’Union européenne: 1) le modèle administratif moniste dans lequel une autorité administrative unique instruit les affaires et prend les décisions de mise en œuvre. Dans certains ordres juridiques, l’autorité n’a pas la compétence pour infliger des amendes, 2) le modèle administratif dualiste dans lequel l’instruction des affaires et l’adoption des décisions sont réparties entre deux organes. L’un est chargé d’instruire les affaires qui sont ensuite transmises à l’autre chargé de prendre une décision, et 3) le modèle judiciaire dans lequel un tribunal statue soit au fond et sur les amendes, soit uniquement sur les secondes, les décisions au fond étant laissées à l’autorité de la concurrence. Il est expliqué, à la page 9 du rapport, que la République d’Autriche relève du premier des deux modèles judiciaires, c’est-à-dire du modèle strictement judiciaire.

    (15)  – Le tribunal de la concurrence utilise le numéro de dossier reproduit à la note 8 supra. L’association est enregistrée comme intervenante dans la présente procédure.

    (16)  – Arrêt du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a. (C-591/10, point 31).

    (17)  – Ibidem (point 31).

    (18)  – Arrêt Littlewoods Retail e.a., précité note 16 (point 31), citant l’arrêt du 29 octobre 2009, Pontin (C-63/08, Rec. p. I-10467).

    (19)  – Arrêt du 8 septembre 2011, Rosado Santana (C-177/10, Rec. p. I-7907, point 90 et jurisprudence citée).

    (20)  – Par exemple arrêts Rosado Santana, précité (point 91), et du 19 juin 2003, Pasquini (C-34/02, Rec. p. I-6515, points 64 à 73).

    (21)  – Arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C-118/08, Rec. p. I-635, point 46).

    (22)  – Arrêt Pasquini, précité note 20 (point 59).

    (23)  – Arrêt précité note 3 (point 26).

    (24)  – Arrêt précité note 3 (point 78).

    (25)  – Point 20. La Cour a observé, au point 21 de l’arrêt Pfleiderer, que ni la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43) ni la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17), qui portent toutes deux sur la clémence, ne sont contraignantes pour les États membres. Au point 22 de cet arrêt, la Cour indique que, dans le cadre du réseau européen de la concurrence, un programme modèle en matière de clémence, visant à l’harmonisation de certains éléments des programmes nationaux en la matière, a été également élaboré et adopté au cours de l’année 2006. Toutefois, ce programme modèle n’a pas non plus d’effet contraignant à l’égard des juridictions des États membres.

    (26)  – Arrêt Pfleiderer, précité note 2 (point 23).

    (27)  – Ibidem (point 24 et jurisprudence citée).

    (28)  – Ibidem (points 25 et 26). J’adhère en outre aux observations de l’avocat général Mazák, au point 34 de ses conclusions dans l’affaire Pfleiderer, selon lesquelles, «lorsqu’un État membre, par l’intermédiaire d’une ou plusieurs de ses autorités de concurrence, met en œuvre un programme de clémence afin d’assurer l’application efficace de l’article 101 TFUE, il doit, malgré l’autonomie procédurale dont il dispose dans l’application de cette disposition, veiller à ce que le programme soit mis en place et fonctionne de façon efficace».

    (29)  – Ibidem (point 30).

    (30)  – Ibidem (point 31).

    (31)  – Arrêt du 14 décembre 1995 (C-430/93 et C-431/93, Rec. p. I-4705, point 19).

    (32)  – Voir point 22 des conclusions présentées par l’avocat général Mazák.

    (33)  – Italique ajouté.

    (34)  – À l’instar de ce qui a été jugé, par exemple dans l’arrêt du 22 décembre 2010, DEB (C-279/09, Rec. p. I-13849), dans lequel la Cour a considéré qu’une réglementation nationale qui subordonnait l’exercice de l’action en responsabilité d’un État membre au paiement d’une avance sur frais, en l’absence d’aide légale, pouvait violer le droit d’accès à la justice. L’appréciation du point de savoir si tel était le cas en l’occurrence a été laissée à la juridiction nationale.

    (35)  – Arrêt du 11 septembre 2003, Safalero (C-13/01, Rec. p. I-8679, point 54).

    (36)  – Voir conclusions présentées par l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Mono Car Styling (arrêt du 16 juillet 2009, C-12/08, Rec. p. I-6653, point 84, citant les points 38 à 40 de l’arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, Rec. p. I-2271).

    (37)  – Voir, par analogie, arrêt DEB, précité note 34.

    (38)  – Arrêts du 3 février 2000, Dounias (C-228/98, Rec. p. I-577, point 69 et jurisprudence citée); du 29 avril 2004, Pusa (C-224/02, Rec. p. I-5763, point 44), et du 24 avril 2008, Arcor (C-55/06, Rec. p. I-2931, point 191 et jurisprudence citée). Voir également, concernant les règles de preuve, arrêts du 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron (C-526/04, Rec. p. I-7529, points 52 à 57), et du 1 er  juillet 2010, Speranza (C-35/09, Rec. p. I-6581, point 47).

    (39)  – Arrêt Dounias, précité note 38 (point 71).

    (40)  – Ibidem.

    (41)  – Voir point 50 des conclusions de l’avocat général Jacobs présentées le 23 septembre 1999 dans l’affaire Dounias (arrêt précité note 38).

    (42)  – Voir, par exemple, arrêts du 10 avril 2003, Steffensen (C-276/01, Rec. p. I-3735), et du 6 novembre 2012, Otis e.a. (C-199/11).

    (43)  – Arrêt du 15 avril 2010, Barth (C-542/08, Rec. p. I-3189, point 40).

    (44)  – Voir, par exemple, arrêt du 1 er  décembre 1998, Levez, précité note 4 (point 32), dans lequel le dol d’un employeur concernant la rémunération des employés de sexe masculin exerçant le même travail a été considéré comme ayant «provoqué» le retard avec lequel M me  Levez avait introduit son action.

    (45)  – Voir, de manière classique, arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595).

    (46)  – Arrêt Otis e.a., précité note 42 (point 48).

    (47)  – Ibidem (point 49).

    (48)  – Voir point 33 des conclusions de l’avocat général Darmon présentées le 29 mai 1991 dans l’affaire Verholen e.a. (arrêt du 11 juillet 1991, C-87/90 à C-89/90, Rec. p. I-3757).

    (49)  – Arrêt DEB, précité note 34 (point 45, citant Cour eur. D. H., arrêt Steel et Morris c. Royaume-Uni du 15 février 2005, Recueil des arrêts et décisions 2005-II, § 59).

    (50) – Ibidem (point 45).

    (51)  – Ibidem (point 47, citant Cour eur. D. H., arrêts Tolstoy-Miloslavsky c. Royaume-Uni du 13 juillet 1995, série A n o  316-B, § 59 à 67, et Kreuz c. Pologne du 19 juin 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-VI, § 54 et 55). Voir, également, point 38 des conclusions de l’avocat général Sharpston présentées le 30 novembre 2006 dans l’affaire Unibet (précitée note 36).

    (52) – Voir point 46 des conclusions de l’avocat général Mazák présentées le 16 décembre 2010 dans l’affaire Pfleiderer (arrêt précité note 2).

    (53)  – Voir, de manière classique, arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission (155/79, Rec. p. 1575).

    (54)  – Constaté de nouveau récemment dans l’arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T-135/09, point 128 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (C-550/07 P, Rec. p. I-8301).

    (55) – Voir point 39 de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17): «Le fait qu’une entreprise bénéficie d’une immunité d’amende ou d’une réduction de son montant ne la protège pas des conséquences en droit civil de sa participation à une infraction à l’article 81 du traité CE».

    (56)  – Voir arrêt Mono Car Styling (précité note 36, point 49 et jurisprudence citée).

    (57)  – Arrêt du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob (C-404/10 P, points 123 et 124).

    (58)  – On peut ajouter à cela, par exemple, la notion connexe de protection des secrets d’affaires. Arrêts du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C-305/05, Rec. p. I-5305), et du 29 mars 2012, Interseroh Scrap and Metals Trading (C-1/11).

    (59)  – Voir, en particulier, règlement (CE) n o  1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43).

    (60)  – Par exemple, arrêts Commission/Éditions Odile Jacob, précité note 57, et du 22 mai 2012, EnBW Energie Baden -Württemberg/Commission (T-344/08).

    (61)  – JO 2004, C 101, p. 54.

    (62)  – Il convient de relever que le Tribunal a récemment jugé nécessaire de permettre aux parties de consulter au greffe les dossiers de la Commission lorsque leurs arguments reposaient sur des informations communiquées par une entreprise dans le cadre d’une procédure de clémence. Voir arrêt du 14 novembre 2012, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi Energia/Commission (T-140/09).

    (63)  – Voir observations, Commission Staff Working Paper accompanying the White Paper on Damages actions for breach of the EC antitrust rules, SEC(2008) 404, point 2, p. 7 (disponible uniquement en anglais).

    (64)  – Voir observations concernant les secrets d’affaires au point 33 de mes conclusions dans l’affaire Westbahn Management (arrêt du 22 novembre 2012, C–136/11). La Commission a toujours publié les décisions dans lesquelles elle applique le droit de l’UE, sans dévoiler, là où c’était nécessaire, les éléments constituant des secrets d’affaires.

    (65)  – Arrêt Unibet (précité note 36, points 40 et 41 ainsi que jurisprudence citée).

    (66)  – L’avocat général Sharpston a fait valoir que des problèmes pratiques de quantification sont insuffisants pour rendre une action en indemnisation «en pratique impossible ou excessivement difficile». Voir point 49 de ses conclusions dans l’affaire Unibet. Selon moi, il s’agit là d’une question de degré de difficulté qui doit être appréciée par la juridiction nationale à la lumière de l’article 19, paragraphe 1, TUE.

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