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Document 62011CC0215

Conclusions de l’avocat général M. P. Mengozzi, présentées le 28 juin 2012.
Iwona Szyrocka contre SiGer Technologie GmbH.
demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Okręgowy we Wrocławiu (Pologne).
Règlement (CE) nº 1896/2006 – Procédure européenne d’injonction de payer – Demande d’injonction ne remplissant pas les conditions formelles prévues par la législation nationale – Nature exhaustive des conditions que doit remplir la demande – Possibilité de réclamer les intérêts ayant couru jusqu’à la date de paiement du principal.
Affaire C‑215/11.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:400

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 28 juin 2012 ( 1 )

Affaire C‑215/11

Iwona Szyrocka

contre

SiGer Technologie GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy we Wrocławiu (Pologne)]

«Procédure européenne d’injonction de payer — Règlement (CE) no 1896/2006 — Conditions formelles de la demande — Période pour laquelle des intérêts peuvent être réclamés — Période allant jusqu’à la date de paiement»

I – Introduction

1.

Dans la présente procédure, le Sąd Okręgowy we Wrocławiu (Pologne) a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle concernant l’interprétation du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer ( 2 ) (ci-après le «règlement»).

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

2.

L’article 1er du règlement dispose:

«1.   Le présent règlement a pour objet:

a)

de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer;

et

b)

d’assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.

2.   Le présent règlement n’empêche pas le demandeur de faire valoir une créance au sens de l’article 4 en recourant à une autre procédure prévue par le droit d’un État membre ou par le droit communautaire.»

3.

L’article 4 du règlement prévoit:

«Il est créé une procédure européenne d’injonction de payer pour le recouvrement de créances pécuniaires liquides et exigibles à la date à laquelle la demande d’injonction de payer européenne est introduite.»

4.

L’article 7 du règlement énonce:

«1.   Une demande d’injonction de payer européenne est introduite au moyen du formulaire type A figurant à l’annexe I.

2.   La demande comprend les éléments suivants:

[…]

b)

le montant de la créance, notamment le principal et, le cas échéant, les intérêts, les pénalités contractuelles et les frais;

c)

si des intérêts sont réclamés sur la créance, le taux d’intérêt et la période pour laquelle ces intérêts sont réclamés, sauf si des intérêts légaux sont automatiquement ajoutés au principal en vertu du droit de l’État membre d’origine;

d)

la cause de l’action, y compris une description des circonstances invoquées en tant que fondement de la créance et, le cas échéant, des intérêts réclamés;

e)

une description des éléments de preuve à l’appui de la créance;

[…]

3.   Dans la demande, le demandeur déclare qu’à sa connaissance les informations fournies sont exactes et reconnaît que toute fausse déclaration intentionnelle risque d’entraîner les sanctions prévues par le droit de l’État membre d’origine.

[…]»

5.

L’article 8 du règlement prescrit:

«La juridiction saisie d’une demande d’injonction de payer européenne examine, dans les meilleurs délais et en se fondant sur le formulaire de demande, si les conditions énoncées aux articles 2, 3, 4, 6 et 7 sont réunies et si la demande semble fondée. Cet examen peut être effectué au moyen d’une procédure automatisée.»

6.

L’article 9 du règlement prescrit:

«1.   Si les conditions énoncées à l’article 7 ne sont pas réunies, la juridiction met le demandeur en mesure de compléter ou de rectifier la demande, à moins que celle-ci soit manifestement non fondée ou irrecevable. La juridiction utilise à cet effet le formulaire type B figurant dans l’annexe II.

2.   Lorsque la juridiction demande au demandeur de compléter ou de rectifier la demande, elle fixe un délai qu’elle estime approprié au vu des circonstances. La juridiction peut proroger ce délai si elle le juge utile.»

7.

L’article 12 du règlement prévoit:

«1.   Si les conditions visées à l’article 8 sont réunies, la juridiction délivre l’injonction de payer européenne dans les meilleurs délais […] au moyen du formulaire type E figurant dans l’annexe V.

[…]

3.   Dans l’injonction de payer européenne, le défendeur est informé de ce qu’il a la possibilité:

a)

de payer au demandeur le montant figurant dans l’injonction de payer;

ou

b)

de s’opposer à l’injonction de payer en formant opposition auprès de la juridiction d’origine […]

4.   Aux termes de l’injonction de payer européenne, le défendeur est informé que:

a)

l’injonction a été délivrée sur le seul fondement des informations fournies par le demandeur et n’a pas été vérifiée par la juridiction;

b)

l’injonction deviendra exécutoire à moins qu’il ait été formé opposition auprès de la juridiction conformément à l’article 16;

c)

lorsqu’il a été formé opposition, la procédure se poursuit devant les juridictions compétentes de l’État membre d’origine conformément aux règles de la procédure civile ordinaire, sauf si le demandeur a expressément demandé qu’il soit mis un terme à la procédure dans ce cas.

[…]»

8.

L’article 16, paragraphe 3, du règlement dispose:

«Le défendeur indique dans l’opposition qu’il conteste la créance, sans être tenu de préciser les motifs de contestation.»

9.

L’article 17, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement, prévoit:

«Si une opposition est formée dans le délai prévu à l’article 16, paragraphe 2, la procédure se poursuit devant les juridictions compétentes de l’État membre d’origine conformément aux règles de la procédure civile ordinaire, sauf si le demandeur a expressément demandé qu’il soit mis un terme à la procédure dans ce cas.»

10.

L’article 25 du règlement énonce:

«1.   La somme des frais de justice afférents à une procédure européenne d’injonction de payer et à la procédure civile ordinaire qui y fait suite en cas d’opposition à l’injonction de payer européenne dans un État membre n’excède pas les frais de justice induits par une procédure civile ordinaire non précédée d’une procédure européenne d’injonction de payer dans ledit État membre.

2.   Aux fins du présent règlement, les frais de justice comprennent les frais et les droits à verser à la juridiction, dont le montant est fixé conformément au droit national.»

11.

L’article 26 du règlement, intitulé «Relation avec le droit procédural national», prescrit:

«Toute question procédurale non expressément réglée par le présent règlement est régie par le droit national.»

B – Le droit national

12.

Dans l’ordonnance de renvoi, le Sąd Okręgowy we Wrocławiu a cité de nombreuses dispositions du code de procédure civile polonais (ci-après le «c.p.c.») qui pourraient être prises en considération dans le cadre du présent litige, tels les articles 126, 128 et 187, paragraphe 1, qui prescrivent le contenu des actes de procédure et des demandes judiciaires et indiquent les actes à déposer aux fins de leur notification à l’autre partie, ainsi que les articles 130, paragraphe 1, et 394, paragraphe 1, point 1, qui réglementent la procédure à suivre en cas de vices de forme entachant la demande et les voies de recours contre les décisions judiciaires en la matière.

13.

La juridiction nationale a également mentionné l’article 481, paragraphe 1, du code civil polonais, en vertu duquel, si le débiteur acquitte tardivement une prestation pécuniaire, le créancier peut réclamer des intérêts moratoires, même s’il n’a subi aucun préjudice et si le retard résulte de circonstances non imputables au débiteur ( 3 ), ainsi que l’article 190 du c.p.c., qui permet de réclamer par la voie judiciaire des prestations futures qui se répètent lorsque la relation juridique qui lie les parties ne s’y oppose pas.

III – Les faits et les questions préjudicielles

14.

Mme Iwona Szyrocka, résidant en Pologne, a déposé le 23 février 2011, devant le Sąd Okręgowy we Wrocławiu, une demande d’injonction de payer européenne contre SiGer Technologie GmbH, dont le siège est établi à Tangermünde (Allemagne).

15.

Dans le cadre de cette procédure, les questions suivantes ont été soulevées:

l’examen précédant la délivrance d’une injonction de payer, au sens de l’article 8 du règlement, comprend-il également une appréciation du respect des conditions formelles prévues par le droit interne de l’État dans lequel la demande est déposée ou bien uniquement des conditions visées par le règlement en cause ( 4 )?

la créance portant sur les intérêts de retard doit-elle être déjà exigible à la date du dépôt de la demande d’injonction de payer européenne?

la partie doit-elle chaque fois indiquer dans la demande le montant des intérêts et peut-elle réclamer les intérêts dits «ouverts», c’est-à-dire les intérêts calculés jusqu’au moment du paiement de la créance pécuniaire qui fait l’objet de la demande?

sous quelle forme le juge doit-il octroyer ces intérêts, eu égard à la teneur du formulaire type E concernant l’injonction de payer européenne (annexe V du règlement)?

16.

La juridiction de renvoi, considérant que se posait un problème d’interprétation du règlement, a posé à la Cour les huit questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 7 du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer, doit-il être interprété en ce sens que:

a)

il règle de manière exhaustive toutes les conditions que doit remplir la demande européenne d’injonction de payer, ou

b)

faut-il considérer qu’il ne règle que les conditions minimales de cette demande, le droit national régissant alors toutes les autres conditions formelles non fixées par cette disposition?

2)

Au cas où la première question, sous b), appelle une réponse affirmative, si la demande ne remplit pas les conditions formelles prévues par le droit de l’État membre en cause (par exemple, absence de copie de la demande pour la partie adverse ou encore absence d’indication de la valeur de l’objet du litige), la partie demanderesse doit-elle être invitée à compléter le dossier au titre de la disposition de droit national, conformément à l’article 26 du règlement no 1896/2006 ou à l’article 9 de ce même règlement?

3)

L’article 4 du règlement no 1896/2006 doit-il être interprété en ce sens que les caractéristiques de la créance pécuniaire citées dans cette disposition, à savoir la liquidité et l’exigibilité de la créance au moment de la demande de délivrance d’une injonction de payer européenne, portent uniquement sur le montant principal de ladite créance ou également sur les intérêts moratoires?

4)

Une interprétation correcte de l’article 7, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1896/2006 implique-t-elle que, lorsque le droit de l’État membre concerné ne prévoit pas l’ajout automatique des intérêts, les montants suivants, outre la créance principale, peuvent être réclamés dans le cadre d’une procédure européenne d’injonction de payer:

a)

tous les intérêts, y compris les intérêts dits ‘ouverts’ (calculés à partir du jour de leur exigibilité indiqué par une date précise jusqu’au jour du paiement dont la date n’est pas déterminée, par exemple ‘à partir du 20 mars 2011 jusqu’au jour du paiement’);

b)

uniquement les intérêts dus à compter du jour de leur exigibilité indiqué par une date précise jusqu’au jour de l’introduction de la demande ou jusqu’au jour de la délivrance de l’injonction de payer;

c)

exclusivement les intérêts dus à compter du jour de leur exigibilité indiqué par une date précise jusqu’au jour de l’introduction de la demande?

5)

En cas de réponse affirmative à la quatrième question, sous a), comment la décision concernant les intérêts doit-elle être formulée dans le formulaire d’injonction de payer, conformément au règlement no 1896/2006?

6)

En cas de réponse affirmative à la quatrième question, sous b), qui doit indiquer le montant des intérêts: la partie concernée ou, d’office, la juridiction?

7)

En cas de réponse affirmative à la quatrième question, sous c), la partie concernée est-elle tenue d’indiquer dans la demande le montant des intérêts calculés?

8)

Au cas où le demandeur ne calcule pas le montant des intérêts dus jusqu’au jour de l’introduction de la demande, la juridiction doit-elle calculer ce montant d’office ou bien doit-elle inviter la partie concernée à compléter les informations faisant défaut dans la demande, conformément à l’article 9 du règlement no 1896/2006?»

IV – La procédure devant la Cour

17.

La Commission européenne et les gouvernements autrichien, portugais, du Royaume-Uni, finlandais et polonais ont déposé des observations écrites.

18.

La Commission et les gouvernements finlandais et polonais sont intervenus à l’audience du 18 avril 2012.

V – Concernant la première question préjudicielle

19.

Par la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser si les seules conditions de forme que doit respecter la demande d’injonction de payer européenne sont celles visées à l’article 7 du règlement, ou si, au contraire, il y a lieu de tenir compte également des autres conditions imposées par le droit national.

20.

Une analyse de la lettre du règlement montre que la procédure visant à obtenir une injonction de payer européenne et les procédures nationales analogues éventuelles sont indépendantes.

21.

Cette constatation découle, en premier lieu, du fait que le recours à la procédure européenne n’est, selon l’article 1er et le considérant 10 du règlement, qu’un instrument complémentaire et facultatif pour le demandeur, qui ne remplace ni n’harmonise les mécanismes de recouvrement de créances incontestées prévus par le droit national, mais qui s’applique parallèlement en tant qu’instrument supplémentaire de protection de ses droits.

22.

L’intéressé ne se voit donc pas interdire d’obtenir une injonction de payer grâce à une autre procédure prévue par la législation d’un État membre ou de l’Union.

23.

La considération figurant au point 20 se trouve renforcée, en deuxième lieu, par le considérant 16, en vertu duquel la juridiction délivre l’injonction sur la seule base des informations fournies dans le formulaire annexé au règlement, lequel est établi en mentionnant les éléments visés à l’article 7, sans que le droit de l’Union prévoie la possibilité d’en compléter le contenu à l’aide de sources externes.

24.

L’utilisation de formulaires types pour organiser les diverses phases de la procédure est prévue au considérant 11 afin d’en faciliter l’accès, d’en réduire les coûts et les délais et d’en uniformiser le déroulement.

25.

Ainsi, l’autonomie de la procédure européenne par rapport aux procédures nationales est encore plus manifeste, l’utilisation de ces formulaires permettant d’éviter les formalités et les différences qui en découlent et qui sont dues aux prescriptions nationales, ainsi que de mettre en œuvre une procédure en principe identique sur tout le territoire de l’Union et, par conséquent, distincte des procédures comparables en vigueur dans les États membres.

26.

Enfin, l’article 26 du règlement confirme également l’autonomie de la procédure européenne par rapport aux procédures nationales, car il prévoit que le droit national ne s’applique qu’aux questions procédurales non expressément réglées par le règlement.

27.

En effet, lorsque, pour certains aspects spécifiques de la procédure, le législateur a souhaité adjoindre la réglementation nationale à celle du règlement, il l’a indiqué expressément en renvoyant à ladite réglementation nationale ( 5 ).

28.

La disposition de l’article 26 et les renvois mentionnés au point 27 et à la note 5 ci-dessus ne pourraient s’expliquer si l’intention avait réellement été de compléter les dispositions du règlement, également pour les aspects qui y sont régis, par la réglementation des États membres, étant donné que, dans une telle situation, il n’eût pas été nécessaire de préciser que le droit national ne pouvait régir que les seules questions procédurales non réglées par le règlement, ni d’indiquer les situations dans lesquelles s’appliquait le droit des États membres.

29.

L’autonomie entre la procédure prévue par le droit de l’Union et la procédure nationale se trouve encore confirmée si l’on considère l’objectif du règlement, tel qu’il ressort des dispositions et du préambule de celui-ci.

30.

En effet, l’article 1er, paragraphe 1, précise explicitement l’objet du règlement et indique que celui-ci, en instituant une procédure d’injonction de payer, vise ( 6 ) à simplifier, à accélérer et à réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées ( 7 ), et à assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution ( 8 ).

31.

Le considérant 29 du règlement ajoute que l’objectif de ce dernier est d’instaurer, dans le respect du principe de proportionnalité, un mécanisme rapide et uniforme de recouvrement de ces créances, étant donné que, selon les considérants 6 et 8, les entraves à l’accès à une justice efficace dans les litiges transfrontaliers, ainsi que les distorsions de concurrence au sein du marché intérieur causées par l’inégale efficacité des outils procéduraux mis à la disposition des créanciers dans les différents États membres, ont rendu nécessaire la mise en place d’une législation de l’Union garantissant des conditions identiques aux créanciers et aux débiteurs dans l’ensemble de l’Union européenne ( 9 ), car les retards de paiement sont une des principales menaces pesant sur la pérennité des entreprises et provoquent de nombreuses pertes d’emplois.

32.

En conséquence, un ensemble unique de prescriptions procédurales communes minimales a été mis en place aux fins de l’obtention d’une injonction de payer européenne, laquelle ne peut toutefois aboutir à la réalisation de l’objectif indiqué aux points 30 et 31 ci-dessus que si l’autonomie de cette procédure est garantie par rapport aux procédures similaires déjà prévues par les États membres.

33.

En effet, si la réglementation en cause pouvait être complétée par les règles nationales, l’objectif du règlement s’en trouverait réduit à néant, étant donné qu’ainsi les procédures ne seraient ni harmonisées ni simplifiées mais que seraient créées autant de procédures différentes qu’il existe d’ordres juridiques des États membres, composées de surcroît de normes tant nationales qu’issues du droit de l’Union.

34.

Qui plus est, il est manifeste que l’égalité d’accès à la procédure pour tous les créanciers et tous les débiteurs de l’Union ne peut être effective que dans la mesure où il est garanti que les règles applicables peuvent être connues ex ante et de manière générale, sans devoir vérifier chaque fois concrètement quelle est la réglementation nationale en vigueur devant la juridiction saisie au moment où est prise la décision de déposer une demande d’injonction.

35.

Cette possibilité de connaître la réglementation applicable ne peut être effective que si la procédure à suivre non seulement est la plus simple possible, mais est dès le départ identique sur tout le territoire de l’Union (à l’exception des renvois qu’elle contient aux dispositions nationales).

36.

Il s’ensuit que le règlement doit être interprété, à la lumière de son libellé et de son objectif, de manière à maintenir l’autonomie de la procédure qu’il prévoit par rapport aux procédures en vigueur dans les différents États membres.

37.

Il convient en particulier de souligner que les seules conditions de procédure pour la délivrance de l’injonction de payer sont celles prévues à l’article 7 du règlement et que, si elles sont respectées, l’injonction de payer est délivrée sans que la réglementation nationale soit prise en considération, étant donné que cette injonction, en tant que mesure d’origine européenne et non étatique ( 10 ), vient s’ajouter aux instruments nationaux de recouvrement de créances sans les remplacer.

38.

En l’espèce, je suis d’avis que, si les conditions de forme de l’article 7 sont remplies, la délivrance de l’injonction de payer européenne ne saurait être refusée au seul motif du non-respect des autres conditions citées à l’audience et imposées par le droit national dans le cadre des procédures similaires, comme les conditions relatives au nombre de copies de la demande ou à l’indication de la valeur du litige dans la monnaie nationale.

39.

J’insiste surtout sur le fait que les éventuelles questions relatives aux dépens, évoquées par le gouvernement polonais à l’audience et dans ses observations écrites, ne sauraient empêcher l’octroi de la mesure demandée, étant entendu que le montant de ces dépens est en tout état de cause fixé sur le fondement du droit national, conformément à l’article 25 du règlement.

40.

En conséquence, j’invite la Cour à répondre à la première question préjudicielle en constatant que l’article 7 du règlement doit être interprété en ce sens qu’il règle de manière exhaustive toutes les conditions que doit remplir la demande d’injonction de payer européenne, à l’exception des points pour lesquels il est expressément renvoyé au droit national des États membres.

41.

Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il s’avère inutile d’examiner la deuxième question.

VI – Concernant les troisième et quatrième questions préjudicielles

42.

Par la troisième question préjudicielle, le Sąd Okręgowy we Wrocławiu souhaite savoir si l’article 4 du règlement doit être interprété en ce sens que les caractéristiques de la créance pécuniaire citées dans cette disposition, à savoir la liquidité et l’exigibilité de la créance au moment de la demande de délivrance d’une injonction de payer européenne, portent uniquement sur le montant principal de ladite créance ou également sur les intérêts moratoires.

43.

Par la quatrième question préjudicielle, le Sąd Okręgowy we Wrocławiu soulève une série de questions concernant les intérêts susceptibles d’être réclamés dans le cadre de la procédure en cause.

44.

En particulier, il souhaite savoir si, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, sous c), il est possible de réclamer, outre le montant principal de la créance:

a)

tous les intérêts, y compris les intérêts dits «ouverts», calculés à partir du jour de leur exigibilité, indiqué par une date précise, jusqu’au jour non précisé du paiement; ou

b)

uniquement les intérêts calculés à compter du jour de leur exigibilité, indiqué par une date précise, jusqu’au jour de l’introduction de la demande, ou jusqu’au jour de la délivrance de l’injonction de payer;

c)

exclusivement les intérêts calculés à compter du jour de leur exigibilité, indiqué par une date précise, jusqu’au jour de l’introduction de la demande.

45.

J’estime que ces deux questions doivent être traitées ensemble, car je considère que la juridiction nationale a en substance souhaité demander à la Cour si, à la lumière de l’ensemble des dispositions du règlement, et en particulier de ses articles 4 et 7, paragraphe 2, sous c), il est possible ou non de réclamer le paiement de tout type d’intérêts, y compris ceux dits ouverts, c’est-à-dire les intérêts calculés à partir du jour de leur exigibilité jusqu’au moment du paiement (en l’espèce, les intérêts moratoires).

46.

Avant toute chose, je note que le raisonnement de la juridiction de renvoi ne saurait être admis dans la mesure où celle-ci tire des conclusions différentes quant à la possibilité de réclamer les intérêts dits ouverts selon que l’article 4 du règlement est ou non interprété en ce sens que les caractéristiques de la créance pécuniaire qui y sont indiquées, à savoir la liquidité et l’exigibilité de la créance au moment de l’introduction de la demande d’injonction de payer européenne, portent exclusivement sur le montant principal ou également sur les intérêts moratoires ( 11 ).

47.

La raison en est, en premier lieu, que ledit article 4 ne serait ainsi pas interprété au regard des autres articles du règlement concernant les intérêts.

48.

En effet, l’article 4 du règlement prévoit qu’il est créé une procédure européenne d’injonction de payer pour le recouvrement de créances pécuniaires liquides et exigibles à la date de la demande et, en se référant de manière générale, par une formule particulièrement large, au terme de créance, il ne distingue pas expressément entre le capital et les intérêts.

49.

En plus de cette disposition, il convient également de prendre en considération l’article 7 du règlement, qui prévoit que la demande d’injonction de payer contient l’indication du «montant de la créance, notamment le principal et, le cas échéant, les intérêts, les pénalités contractuelles et les frais» [paragraphe 2, sous b)] et, si des intérêts sont réclamés sur la créance, le taux d’intérêt et la période pour laquelle ces intérêts sont réclamés [paragraphe 2, sous c)] ainsi que «la cause de l’action, y compris une description des circonstances invoquées en tant que fondement de la créance et, le cas échéant, des intérêts réclamés» [paragraphe 2, sous d)].

50.

Alors que l’article 4 évoque, en termes généraux, le contenu possible de la demande d’injonction de payer (le recouvrement de créances et, par conséquent, la prétention au paiement d’une somme d’argent), l’article 7 s’attache à décrire de manière formelle les éléments dont se compose la créance, en distinguant le capital, les intérêts, les pénalités et les frais [paragraphe 2, sous b)].

51.

En deuxième lieu, le raisonnement de la juridiction nationale, tel que visé au point 46, ne tient guère compte du fait que la possibilité de réclamer des intérêts, éventuellement aussi des intérêts ouverts, résulte de la nature même de la créance en capital et de la créance en intérêts, ainsi que des rapports entre les deux.

52.

En effet, les intérêts constituent une créance pécuniaire qui ne diffère de la créance en capital que par sa nature accessoire par rapport à cette dernière, dont elle dépend, ainsi que par le fait que son montant dépend de l’écoulement du temps, en fonction duquel il varie.

53.

Il n’existe aucune autre différence substantielle entre les deux créances [de sorte que l’article 7, lorsqu’il expose, au paragraphe 2, sous c) et d), que la demande d’injonction de payer a pour objet des créances pécuniaires composées des intérêts et du capital, n’établit une différence entre les deux que pour le seul motif que la demande relative aux intérêts est éventuelle] et, en principe, la créance en intérêts suit normalement la créance en principal, et les heurs et malheurs de celle-ci, si bien qu’il convient de conclure que des intérêts peuvent être demandés dans la mesure où il existe une créance en capital susceptible d’être réclamée en justice.

54.

La relation susvisée entre la créance en capital et celle en intérêts présente donc les caractéristiques suivantes:

1)

les intérêts sont dus au motif que le capital doit être acquitté (et est donc exigible) et que le paiement n’en a pas été effectué (s’agissant des intérêts moratoires, dans le délai convenu ou prévu par la loi);

2)

avec l’écoulement du temps, les droits accessoires s’incorporent à la créance principale et deviennent une partie déterminée de son montant.

55.

La réponse à la question concernant la possibilité de demander le paiement des intérêts, éventuellement aussi des intérêts ouverts, au moyen de l’injonction de payer européenne, ne peut donc dépendre de l’interprétation du seul article 4, ni du fait que ces accessoires sont considérés comme liquides et exigibles en vertu de ce même article 4.

56.

Il en va ainsi parce que les créances susceptibles d’être récupérées par voie judiciaire (que ce soit le capital, les intérêts, les pénalités ou les frais) doivent être identifiées sur le fondement des articles 4 et 7, pris ensemble, et, surtout, que l’éventuelle possibilité de réclamer des intérêts découle du lien, déjà évoqué, entre l’obligation principale (le capital) et l’obligation accessoire (les intérêts).

57.

Cela dit, il apparaît opportun d’examiner sur le fond la demande du Sąd Okręgowy we Wrocławiu concernant la faculté de réclamer, dans la procédure en cause, également les intérêts échus jusqu’au moment du paiement ou bien uniquement les intérêts dus au moment de l’introduction de la demande d’injonction ou de la délivrance de celle-ci.

58.

La réponse découle de l’analyse des articles et de l’objectif du règlement, ainsi que de l’appréciation de l’objet de la réglementation dans son ensemble et des caractéristiques de l’intervention de l’autorité saisie.

59.

En premier lieu, je souhaite faire valoir que l’article 7, précité, qui règle de manière générale les conditions formelles de la demande et prévoit expressément la possibilité de demander les intérêts, impose [paragraphe 2, sous c)] au créancier de mentionner le taux et la période pour laquelle ces intérêts sont réclamés, mais non d’indiquer la date précise jusqu’à laquelle ils sont réclamés.

60.

Le champ d’application de cette disposition ne se limite pas aux seuls intérêts dus jusqu’au moment de la demande ou de la délivrance de l’injonction de payer européenne et elle ne prescrit pas de quantifier avec exactitude les intérêts dus.

61.

Des considérations identiques valent pour l’article 4 qui doit être lu en combinaison avec l’article 7 aux fins d’identifier les créances susceptibles de faire l’objet d’une injonction de payer, comme je l’ai souligné dans les points 47 à 50 et 56.

62.

En conséquence, les dispositions du règlement qui identifient les créances susceptibles d’être récupérées par voie judiciaire, en prévoyant les modalités de rédaction de la demande, n’empêchent pas de réclamer également des intérêts ouverts, pour lesquels ne peuvent être indiqués ni la date jusqu’à laquelle ils sont réclamés ni le montant total définitif.

63.

L’appréciation de l’objectif du règlement vient également étayer cette conclusion.

64.

Comme je l’ai souligné lors de l’examen de la première question préjudicielle ( 12 ), le règlement introduit un corps de règles de nature procédurale uniforme, visant à créer des titres judiciaires portant sur des créances pécuniaires transfrontalières de faible importance, aptes à circuler au sein des États membres, dès lors que des normes minimales sont respectées, rendant superflue toute procédure intermédiaire de reconnaissance et d’exécution, ce qui a aussi pour résultat pratique de simplifier et d’accélérer le contentieux concerné (considérant 5 du règlement) et de permettre le recouvrement rapide et efficace des créances incontestées (considérant 6 du règlement).

65.

Si l’on retenait une interprétation du règlement excluant toute possibilité de réclamer, outre le capital, les intérêts dits ouverts, les conditions visées au point 64 ne seraient pas respectées.

66.

En fait, si l’on obligeait les créanciers à limiter leur demande au seul montant en capital, éventuellement majoré des intérêts déjà échus au moment de la demande ou, au maximum, au moment de la délivrance de l’injonction, ces créanciers seraient tenus d’introduire plusieurs demandes: une première demande pour obtenir le capital et les intérêts échus, les suivantes pour obtenir les intérêts relatifs à chaque période successive.

67.

La formation d’un titre judiciaire unique, apte à circuler au sein des États membres, serait ainsi plus difficile et le montant total de la créance se trouverait fractionné en ses différentes composantes, ce qui aboutirait à une multiplication des titres judiciaires favorisant l’augmentation des litiges et des délais et coûts y afférents, et rendrait plus compliqué le recouvrement des sommes dues, ne serait-ce que parce que plusieurs procédures seraient introduites au lieu d’une seule.

68.

De surcroît, le créancier pourrait être amené à demander au juge une injonction de payer sur le fondement du droit national des États membres, et non au titre du règlement en cause, lorsque, dans cette première hypothèse, comme c’est d’ailleurs le cas en Pologne selon la juridiction de renvoi, il est possible d’obtenir un titre portant sur l’ensemble de la créance, y compris les intérêts jusqu’à la date du paiement, étant entendu que, dans la deuxième hypothèse, seuls le montant principal et une partie des intérêts pourraient être demandés.

69.

Enfin, l’examen de l’objet du règlement dans son ensemble ainsi que des caractéristiques de l’intervention de l’autorité saisie conduit à la même conclusion que celle visée au point 62.

70.

Tout d’abord, comme je l’ai souligné aux points 20 et 36, le règlement a introduit une procédure uniforme et autonome par rapport aux procédures nationales, ayant pour objet la délivrance d’une injonction de payer, en organisant uniquement les aspects procéduraux liés à la délivrance d’une injonction de payer européenne, ainsi qu’il ressort également du livre vert sur une procédure européenne d’injonction de payer et sur des mesures visant à simplifier et à accélérer le règlement des litiges portant sur des montants de faible importance (mentionné au considérant 5 du règlement). Ce livre vert indique, dès le début, comme objectif l’instauration d’une procédure spécifique rapide et économique, disponible dans tous les États membres, pour le règlement des litiges qui sont censés n’être pas contestés.

71.

En deuxième lieu, la délivrance d’une injonction de payer européenne fait abstraction de tout examen du bien-fondé de la demande.

72.

À la lumière des articles 8 et 12, paragraphe 4, il suffit en effet de vérifier d’un point de vue formel que les conditions de procédure imposées par le règlement sont réunies, et que la créance existe, sur le fondement des informations fournies par le créancier dans le formulaire qu’il a déposé, sans vérification de la véracité des mentions qui y sont faites. C’est la raison pour laquelle, une fois délivrée l’injonction de payer, le débiteur est informé que l’injonction a été délivrée sur le seul fondement des informations fournies par le demandeur.

73.

La raison en est que, dans le cadre de la procédure européenne, la compétence du juge saisi n’est pas une compétence de pleine juridiction, laquelle n’appartiendra, le cas échéant, que de manière différée au juge statuant sur opposition; en conséquence, la nature de l’intervention des autorités saisies dépend du moment de leur intervention.

74.

Dans la phase non contradictoire, régie par la réglementation de l’Union, la juridiction examine uniquement la régularité formelle de la demande sur le fondement des allégations du créancier. Dans la procédure d’opposition, régie par le droit des États membres, et qui concerne l’établissement effectif de la prétendue créance, le juge exerce, au contraire, une compétence de pleine juridiction ( 13 ).

75.

La protection moindre éventuelle du débiteur dans la phase qui se termine par la délivrance de l’injonction de payer européenne résulte inévitablement de la nécessité de rendre cette procédure la plus simple et la plus uniforme possible. Cette protection moindre est contrebalancée, en premier lieu, par le fait que, au titre de l’article 16, paragraphe 3, du règlement, le débiteur peut former opposition sans être tenu d’en préciser les motifs, la procédure se poursuivant ensuite conformément aux règles de la procédure civile ordinaire, en vertu de l’article 17; en deuxième lieu, le créancier doit déclarer, conformément à l’article 7, paragraphe 3, que les informations fournies sont exactes et qu’il est conscient que toute fausse déclaration risque d’entraîner des sanctions ( 14 ).

76.

C’est donc uniquement à la suite d’une opposition que, comme la Commission l’a souligné lors de l’audience, la juridiction compétente procédera à un examen complet sur le fond des questions relatives au bien-fondé et au montant de la créance, en principal et en intérêts, y compris les intérêts ouverts, le cas échéant sur le fondement d’une analyse approfondie de la réglementation (ou des réglementations) de droit matériel régissant la relation contractuelle.

77.

Le règlement a donc pour objet des aspects procéduraux et porte sur les modalités d’obtention d’une injonction de payer qui puisse circuler au sein des États membres. Il ne comporte en revanche aucune disposition de droit matériel relative notamment à la question, pertinente en l’espèce, du type des intérêts susceptibles d’être réclamés.

78.

Sur la base des considérations qui précèdent, eu égard à la lettre du règlement, à l’objectif qui lui a été assigné ainsi qu’à l’objet de la réglementation en cause et aux caractéristiques de l’intervention de l’autorité saisie, il y a lieu d’affirmer qu’il convient d’appliquer le règlement (et le droit national dans la mesure où il y est renvoyé ou s’il s’agit d’aspects procéduraux non prévus par le règlement) en ce qui concerne la procédure visant à obtenir le titre judiciaire, alors que, s’agissant du type d’intérêts susceptibles d’être demandés (la même conclusion s’applique toutefois à toutes les composantes de la créance), c’est la norme de droit matériel régissant la relation juridique entre les parties qui devra logiquement s’appliquer.

79.

Si cette norme de droit matériel accorde au créancier la possibilité de demander des intérêts dits ouverts, celui-ci pourra les obtenir également au moyen de la procédure prévue par le règlement.

80.

Dans l’hypothèse où la législation concernée n’admet que les intérêts dus jusqu’au jour de la demande ou de la délivrance de l’injonction de payer, le créancier devra en revanche conformer sa demande à cette réglementation.

81.

Par conséquent, en l’espèce, le créancier ayant, conformément au droit matériel régissant la relation (le droit polonais selon l’ordonnance de renvoi), le droit d’obtenir aussi le paiement des intérêts dits ouverts, la juridiction de renvoi devra également octroyer ces intérêts lors de la délivrance de l’injonction de payer.

82.

De surcroît, rien ne permet de conclure qu’une créance comprenant des intérêts dits ouverts, conformément au droit matériel applicable au contrat (souvent choisi expressément par les parties ou dont celles-ci ont en tout cas connaissance auparavant), doive être réduite dans son montant à la suite du recours à la procédure prévue par le règlement en cause et en dépit de l’absence de toute disposition expresse en ce sens.

83.

Le gouvernement du Royaume-Uni est d’avis que les intérêts ne peuvent être réclamés que jusqu’au jour de la délivrance de l’injonction de payer.

84.

La raison en est que les instructions d’aide pour remplir la demande d’injonction de payer, figurant à l’annexe I du règlement, indiquent, en référence à la section 7 du formulaire de demande, exclusivement la procédure à suivre pour obtenir les intérêts jusqu’au jour de la décision de la juridiction statuant sur la demande du créancier (dans un souci d’exactitude, il est précisé qu’à cette fin la dernière case [jusqu’au] doit rester vierge).

85.

Un dernier argument venant étayer cette solution pourrait être déduit du fait que le formulaire de délivrance de l’injonction de payer (formulaire E à l’annexe V du règlement) permettrait à la juridiction saisie d’indiquer, à la rubrique «Intérêts», la date de délivrance de l’injonction si le créancier fait une demande en ce sens.

86.

À cet égard, je renvoie aux considérations qui précèdent et j’estime, à l’inverse du gouvernement du Royaume-Uni, que les instructions en question n’ont qu’une valeur purement exemplative des situations susceptibles de se produire en pratique.

87.

Je souligne que le formulaire de demande de l’injonction de payer permet d’adapter la demande en intérêts aux besoins concrets du créancier, en faisant abstraction de ces instructions.

88.

En effet, dans la section 7 du formulaire en cause, qui concerne les intérêts, il est possible de composer le code à insérer avec le chiffre 06 et la lettre E (signifiant «autre»), et ensuite de remplir l’espace prévu dans la même section, contenant l’indication «Préciser dans le cas du code 6 et/ou E» et, le cas échéant, la section 11 intitulée «Déclarations et informations complémentaires (si nécessaire)».

89.

Ainsi, le créancier peut, en toute confiance, demander les intérêts jusqu’à l’échéance souhaitée, le cas échéant jusqu’au moment du paiement, sans devoir les quantifier avec précision immédiatement.

90.

Cela ressort également du fait que le dispositif final du formulaire de demande de l’injonction de payer n’impose pas d’indiquer un montant précis, mais renvoie seulement au paiement du «montant du principal indiqué ci-dessus» (le capital), «majoré des intérêts», sans donc mentionner les termes «indiqué ci‑dessus» en ce qui concerne les intérêts.

91.

Si le dispositif du formulaire d’injonction de payer (formulaire E à l’annexe V du règlement) indique, en ce qui concerne les intérêts, le terme «Montant», je note que rien n’empêche la juridiction d’imposer au débiteur de payer non une somme précise calculée par référence à une date précisément indiquée, mais la «somme due au moment du paiement».

92.

Le gouvernement portugais adhère à la solution proposée par le gouvernement du Royaume-Uni, notamment au motif que l’article 12, paragraphe 3, sous a), du règlement prévoit que, dans l’injonction de payer, le débiteur est informé de ce qu’il a la possibilité de payer au demandeur le montant figurant dans l’injonction.

93.

À cet égard, je renvoie aux remarques précédemment formulées et souligne que, au moment de la réception de l’injonction notifiée, le destinataire est parfaitement en mesure de calculer lui-même, sur la base d’une simple opération mathématique, le montant dû au moment du paiement; au cas où il ne serait pas d’accord avec le montant déterminé en fonction du taux d’intérêt et de la date à partir de laquelle les intérêts sont dus, tels qu’indiqués dans l’injonction, il pourra faire opposition.

94.

De surcroît, la rédaction standard des formulaires précités et les instructions jointes ne sauraient priver le créancier du droit de demander tous les intérêts qui lui sont dus au moment du paiement, s’il détient ce droit au titre du droit matériel applicable à la relation contractuelle, étant entendu que l’analyse de l’ensemble du texte du règlement montre que rien ne vient exclure cette possibilité.

95.

La solution défendue par les gouvernements portugais et du Royaume-Uni, au contraire, mettrait manifestement en échec les objectifs poursuivis par le règlement, à savoir la simplification et l’accélération du règlement des litiges ainsi que le recouvrement rapide et efficace des créances incontestées, et pourrait amener les créanciers à privilégier le recours aux procédures d’injonction nationales, qui garantiraient la satisfaction intégrale de leurs demandes, par rapport à la procédure en cause.

96.

En conséquence, j’invite la Cour à répondre aux troisième et quatrième questions préjudicielles en déclarant que les articles 4 et 7, paragraphe 2, sous c), du règlement doivent être interprétés en ce sens que, dans la procédure européenne d’injonction de payer, il est possible de réclamer, outre le montant principal, tous les types d’intérêts susceptibles d’être demandés sur la base du droit matériel applicable à la relation contractuelle, et donc, selon la situation, tant les intérêts calculés à compter du jour de leur exigibilité, indiqué par une date bien précise, jusqu’au jour non précisé du paiement, que les intérêts calculés jusqu’au jour de l’introduction de la demande ou jusqu’au jour de la délivrance de l’injonction.

VII – La cinquième question préjudicielle

97.

Par la cinquième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en cas de réponse affirmative à la quatrième question, sous a), comment il convient de formuler, conformément au règlement, la décision concernant les intérêts dans le formulaire d’injonction de payer.

98.

À cet égard, je note que, à la fin du formulaire en question, se trouve une ligne spécialement prévue pour indiquer les intérêts, après celle réservée au capital.

99.

S’il est question d’intérêts dits ouverts et que ceux-ci peuvent être accordés au titre du droit matériel régissant le contrat, le juge, qui ne peut en quantifier le montant, se contentera d’ordonner, à l’endroit visé au point 98, à la rubrique «Intérêts», dans la colonne «Date», le paiement des intérêts dus jusqu’au moment de l’exécution, tout en indiquant le taux d’intérêt dans la colonne «Montant».

100.

Il est bien évident que toute autre manière d’indiquer les intérêts qui serait matériellement équivalente et qui expliciterait clairement la décision du juge doit également être considérée comme admissible (à cet égard, je renvoie aux solutions proposées dans leurs mémoires par la Commission ainsi que par les gouvernements polonais et autrichien).

101.

Dans les hypothèses [relevant également, selon le juge de renvoi, de la quatrième question préjudicielle, sous a), et de la cinquième question préjudicielle] dans lesquelles, en revanche, les intérêts sont demandés jusqu’au jour de l’introduction de la demande ou jusqu’au jour de la délivrance de l’injonction, le juge pourra calculer le montant en cause, pourvu qu’il en connaisse le taux et la période de référence, et indiquer aussi le montant dû à titre d’intérêts à l’endroit se trouvant à la fin du formulaire visé au point 98.

102.

En conséquence, je propose à la Cour de répondre à la cinquième question préjudicielle en constatant que, conformément au règlement, la décision concernant les intérêts peut être formulée de la manière suivante dans le formulaire d’injonction de payer:

s’il s’agit d’intérêts dits ouverts susceptibles d’être accordés en vertu du droit régissant le contrat, le juge indiquera, à l’endroit prévu à la fin du formulaire d’injonction de payer pour indiquer le montant à payer, à la rubrique «Intérêts», dans la colonne «Date», que lesdits intérêts sont dus jusqu’au jour de l’exécution, en précisant le taux d’intérêt dans la colonne «Montant», toute autre indication devant néanmoins également être considérée comme admissible, pourvu qu’elle soit matériellement équivalente et reflète clairement le contenu de la décision;

si les intérêts sont demandés jusqu’au jour de l’introduction de la demande ou de la délivrance de l’injonction, le juge pourra calculer le montant en cause et indiquera à l’endroit prévu à la fin du formulaire susvisé le montant des intérêts dus.

103.

À la lumière de la réponse apportée aux quatrième et cinquième questions préjudicielles, il ne s’avère pas utile de répondre aux sixième et septième questions.

VIII – La huitième question préjudicielle

104.

Par la huitième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si, au cas où le demandeur ne calcule pas le montant des intérêts dus jusqu’au jour de l’introduction de la demande, la juridiction saisie doit calculer ce montant d’office ou bien si elle doit inviter la partie concernée à compléter les informations faisant défaut dans la demande, conformément à l’article 9 du règlement.

105.

À cet égard, je renvoie aux considérations qui précèdent et j’insiste sur le fait que le créancier n’est pas tenu, sur le fondement de l’article 7 du règlement, sous peine d’irrecevabilité ou de rejet de la demande, de calculer le montant des intérêts, même s’il en a la possibilité.

106.

La juridiction pourra effectuer ce calcul pourvu que le demandeur ait fourni les éléments nécessaires à cette fin (devise, taux d’intérêt et moment à partir duquel les intérêts commencent à courir).

107.

Si les données nécessaires à l’établissement du décompte n’ont pas été indiquées, ou ne sont pas complètes, le juge mettra le demandeur en mesure, conformément à l’article 9 du règlement, de compléter ou de rectifier la demande dans un délai qu’il estimera raisonnable, à moins que la demande ne soit manifestement non fondée ou irrecevable ( 15 ).

108.

En conséquence, je propose à la Cour de répondre dans les termes suivants à la huitième question préjudicielle:

si le demandeur n’a pas calculé les intérêts jusqu’au jour de l’introduction de la demande, le juge effectuera ce calcul, pourvu que le créancier ait fourni les éléments nécessaires à cette fin;

si les données nécessaires au décompte sont absentes ou incomplètes, le juge mettra le demandeur en mesure, conformément à l’article 9 du règlement, de compléter ou de rectifier la demande dans un délai qu’il estimera raisonnable, à moins que la demande ne soit manifestement non fondée ou irrecevable.

IX – Conclusions

109.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre dans les termes suivants aux questions soulevées par le Sąd Okręgowy we Wrocławiu:

«1)

L’article 7 du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer, doit être interprété en ce sens qu’il règle de manière exhaustive toutes les conditions que doit remplir la demande d’injonction de payer européenne, à l’exception des points pour lesquels il est expressément renvoyé au droit national des États membres.

2)

Les articles 4 et 7, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1896/2006 doivent être interprétés en ce sens que, dans la procédure européenne d’injonction de payer, il est possible de réclamer, outre le montant principal, tous les types d’intérêts susceptibles d’être demandés sur la base du droit matériel applicable à la relation contractuelle, et donc, selon la situation, tant les intérêts calculés à compter du jour de leur exigibilité, indiqué par une date bien précise, jusqu’au jour non précisé du paiement, que les intérêts calculés jusqu’au jour de l’introduction de la demande ou jusqu’au jour de la délivrance de l’injonction.

3)

Conformément au règlement no 1896/2006, la décision concernant les intérêts peut être formulée de la manière suivante dans le formulaire d’injonction de payer:

a)

s’il s’agit d’intérêts dits ‘ouverts’ susceptibles d’être accordés en vertu du droit régissant le contrat, le juge indiquera, à l’endroit prévu à la fin du formulaire d’injonction de payer pour indiquer le montant à payer, à la rubrique ‘Intérêts’, dans la colonne ‘Date’, que lesdits intérêts sont dus jusqu’au jour de l’exécution, en précisant le taux d’intérêt dans la colonne ‘Montant’, toute autre indication devant néanmoins également être considérée comme admissible, pourvu qu’elle soit matériellement équivalente et reflète clairement le contenu de la décision;

b)

si les intérêts sont demandés jusqu’au jour de l’introduction de la demande ou de la délivrance de l’injonction, le juge pourra calculer le montant en cause et indiquera à l’endroit prévu à la fin du formulaire susvisé le montant des intérêts dus.

4)

Si le demandeur n’a pas calculé les intérêts jusqu’au jour de l’introduction de la demande, le juge effectuera ce calcul, pourvu que le créancier ait fourni les éléments nécessaires à cette fin.

5)

Si les données nécessaires au décompte sont absentes ou incomplètes, le juge mettra le demandeur en mesure, conformément à l’article 9 du règlement no 1896/2006, de compléter ou de rectifier la demande dans un délai qu’il estimera raisonnable, à moins que la demande ne soit manifestement non fondée ou irrecevable.»


( 1 )   Langue originale: l’italien.

( 2 )   JO L 399, p. 1.

( 3 )   Conformément aux informations fournies par la juridiction de renvoi au point 8 de son ordonnance, selon l’interprétation de cette disposition par le Sąd Najwyższy (Cour suprême polonaise) dans un avis du 5 avril 1991, l’obligation de payer des intérêts moratoires est une obligation à terme. La créance devient en effet exigible à l’expiration du délai de paiement et est majorée ensuite pour chaque jour de retard. La créance en intérêts naît donc à partir du premier jour de retard et le créancier acquiert, séparément pour chaque jour de retard de paiement, le droit correspondant. La prestation en intérêts est considérée comme une prestation périodique accessoire par rapport à celle en capital. Dans l’ordre juridique polonais, une action en paiement d’intérêts futurs jusqu’au jour du paiement est recevable, et elle peut être introduite avec celle afférente au capital.

( 4 )   Cette question résulte surtout du fait que la créancière n’avait pas indiqué la valeur du litige en devise polonaise (bien que cela fût nécessaire pour calculer les frais de justice à acquitter) et avait indiqué un code intérêts erroné à la section 7 du formulaire A relative aux intérêts, sans spécifier, par le symbole approprié, la période pour laquelle ils devaient être calculés. De surcroît, elle n’avait pas non plus précisé les montants sur lesquels les intérêts devaient être accordés.

( 5 )   Comme c’est le cas, par exemple, de l’article 7, paragraphe 3, relatif aux sanctions pour fausses déclarations indiquées dans la demande, de l’article 10, paragraphe 2, concernant les conséquences relatives à la partie de la demande initiale pour laquelle la juridiction nationale a considéré que les conditions de délivrance d’une injonction de payer n’étaient pas réunies, de l’article 11, paragraphe 3, qui reconnaît à l’intéressé, même en cas de rejet de sa demande, le droit de recourir à toute autre procédure disponible, et de l’article 12, paragraphe 5, selon lequel la juridiction veille à ce que l’injonction de payer soit notifiée au débiteur conformément au droit national.

( 6 )   Les mêmes objectifs sont également mentionnés au considérant 9.

( 7 )   Également grâce aux formulaires types utilisés pour le déroulement de la procédure, conformément aux considérants 11 et 16.

( 8 )   Du fait de la confiance réciproque dans l’administration de la justice des États membres, comme exposé au considérant 27.

( 9 )   En vertu du considérant 5, l’instauration d’une procédure européenne uniforme pour le recouvrement des créances incontestées vise précisément à simplifier et à accélérer le règlement des litiges portant sur des montants de faible importance.

( 10 )   Étant donné qu’elle est délivrée sur le fondement d’une réglementation procédurale commune aux États membres et introduite par un règlement.

( 11 )   Je ne suis donc pas d’accord avec ce qu’a déclaré la juridiction de renvoi au point 9 de la motivation de son ordonnance, selon lequel «[a]dmettre le point de vue selon lequel les caractéristiques de la créance indiquées à l’article 4 du règlement sont également applicables à la demande en paiement des intérêts impliquerait que le demandeur ne puisse exiger des intérêts que pour la période commençant à la date d’exigibilité de la créance jusqu’au jour de l’introduction de la demande au maximum. S’il en allait ainsi, la Cour ne devrait pas répondre aux autres questions posées par le juge de céans».

( 12 )   Voir, notamment, points 30 et 31.

( 13 )   J’estime que le règlement en cause a introduit un système d’injonction de payer pour ainsi dire pur (du moins en principe), c’est-à-dire un système dans lequel le juge délivre une injonction de payer sans apprécier le bien-fondé de la demande (dans les autres systèmes, dits «avec preuve», ce contrôle a lieu au contraire et le créancier doit donc fournir une preuve de sa créance). Dans les systèmes «purs», la protection apparemment moindre des droits du débiteur est compensée par l’extrême facilité avec laquelle celui-ci peut faire opposition à l’injonction de payer (sans devoir en indiquer les motifs).

( 14 )   Cette disposition rappelle l’institution de l’affidavit, typique des ordres juridiques de common law.

( 15 )   Sauf si des intérêts légaux sont automatiquement ajoutés au principal en vertu du droit de l’État membre d’origine, comme prévu à l’article 7, paragraphe 2, sous c).

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