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Document 62011CC0028

Conclusions de l’avocat général M. N. Jääskinen, présentées le 8 mars 2012.
Eurogate Distribution GmbH contre Hauptzollamt Hamburg-Stadt.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Finanzgericht Hamburg.
Code des douanes communautaire — Règlement (CEE) no 2913/92 — Article 204, paragraphe 1, sous a) — Régime de l’entrepôt douanier — Naissance de la dette douanière du fait de l’inexécution d’une obligation — Inscription tardive dans la comptabilité matières des informations relatives à l’enlèvement de la marchandise de l’entrepôt douanier.
Affaire C-28/11.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:131

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 8 mars 2012 ( 1 )

Affaire C‑28/11

Eurogate Distribution GmbH

contre

Hauptzollamt Hamburg-Stadt

[demande de décision préjudicielleformée par le Finanzgericht Hamburg (Allemagne)]

«Code des douanes communautaire — Entrepôt douanier — Règlement (CEE) no 2913/92 — Article 204 — Naissance de la dette douanière du fait de l’inexécution d’une obligation — Inscription tardive dans la comptabilité matières»

I – Introduction

1.

Le régime de l’entrepôt douanier, prévu par le code des douanes ( 2 ), permet le stockage dans un entrepôt douanier de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits d’importation.

2.

La gestion d’un entrepôt douanier privé, qui est un régime douanier économique suspensif, nécessite une autorisation et elle est soumise à certaines conditions ( 3 ). La personne désignée par les autorités douanières doit notamment tenir une comptabilité matières de toutes les marchandises placées sous le régime de l’entrepôt douanier. Cette comptabilité doit, à tout moment, faire apparaître l’état du stock des marchandises placées sous le régime de l’entrepôt douanier.

3.

Dans l’affaire au principal, Eurogate Distribution GmbH (ci-après «Eurogate Distribution») a été autorisée à gérer un entrepôt douanier privé. Il est constant que les marchandises stockées dans l’entrepôt douanier en question ont reçu une nouvelle destination douanière admise, du fait de leur réexportation, de sorte que le régime douanier a été régulièrement apuré ( 4 ).

4.

Toutefois, il est apparu qu’Eurogate Distribution n’a pas respecté son obligation d’inscrire le départ des marchandises dans la comptabilité matières au moment de la sortie des marchandises de l’entrepôt douanier, mais qu’elle n’y a procédé que bien après.

5.

Sur la base de cette constatation, le Hauptzollamt Hamburg-Stadt (ci-après le «Hauptzollamt») a imposé des droits de douane sur le fondement de l’article 204 du code des douanes à l’égard des marchandises inscrites tardivement dans la comptabilité matières.

6.

Saisi d’un recours introduit par Eurogate Distribution à l’encontre de l’avis d’imposition, le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg) (Allemagne) a saisi la Cour d’une question préjudicielle afin de savoir si la violation de l’obligation d’inscrire la sortie de la marchandise de l’entrepôt douanier dans le programme informatique prévu à cet effet, même si la marchandise a reçu une nouvelle destination douanière admise lors de l’apurement du régime douanier, faisait naître une dette douanière sur la base de l’article 204, paragraphe 1, sous a), du code des douanes.

7.

À l’instar de l’affaire Döhler Neuenkirchen (C‑262/10), pendante devant la Cour, dans laquelle je rendrai mes conclusions ce jour également, qui concerne la présentation tardive du décompte d’apurement dans le cadre d’un régime de perfectionnement actif, la présente affaire permettra à la Cour de préciser les conditions de naissance de la dette douanière en vertu de l’article 204 du code des douanes. Bien que les faits et le manquement susceptible de faire naître une dette en application dudit article soient différents dans ces deux affaires, force est de constater que celles-ci portent sur l’interprétation de la même disposition légale et qu’elles concernent toutes les deux des régimes douaniers suspensifs, à savoir le régime du perfectionnement actif dans l’affaire C‑262/10 et celui de l’entrepôt douanier dans l’affaire C‑28/11.

II – Le cadre juridique

A – Le code des douanes

8.

Il ressort de l’article 4 du code des douanes que, aux fins dudit code, on entend par «dette douanière à l’importation» l’obligation pour une personne de payer les droits à l’importation, qui s’appliquent à des marchandises déterminées selon les dispositions communautaires en vigueur. La destination douanière d’une marchandise vise notamment le placement de la marchandise sous un régime douanier ou sa réexportation hors du territoire douanier de la Communauté européenne. Un régime douanier, quant à lui, vise notamment l’entrepôt douanier.

9.

Le régime de l’entrepôt douanier est un régime suspensif constituant un régime douanier économique au sens de l’article 84, paragraphe 1, sous a) et b), du code des douanes.

10.

Il ressort de l’article 98, paragraphes 1 et 2, du code des douanes que le régime de l’entrepôt douanier permet le stockage dans un entrepôt douanier de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits d’importation. L’expression «entrepôt douanier» désigne tout lieu agréé par les autorités douanières et soumis à leur contrôle, dans lequel des marchandises peuvent être stockées dans des conditions énoncées par ce code.

11.

Selon l’article 99 dudit code, l’entrepôt privé est un entrepôt douanier réservé à l’entreposage de marchandises par l’entreposeur. L’entreposeur est la personne autorisée à gérer l’entrepôt douanier. L’entrepositaire est la personne liée par la déclaration de placement des marchandises sous le régime de l’entrepôt douanier ou celle à laquelle les droits et obligations de cette première personne ont été transférés.

12.

L’article 105, premier alinéa, du code des douanes dispose:

«La personne désignée par les autorités douanières doit tenir, dans la forme agréée par ces autorités, une comptabilité matières de toutes les marchandises placées sous le régime de l’entrepôt douanier. […]»

13.

L’article 107 du code des douanes prévoit:

«Les marchandises placées sous le régime de l’entrepôt douanier doivent, dès leur introduction dans l’entrepôt douanier être prises en charge dans la comptabilité matières prévue à l’article 105.»

14.

Le titre VII du code des douanes, intitulé «Dette douanière», contient, à son chapitre 2, les dispositions relatives à la naissance de la dette douanière.

15.

L’article 201 du code des douanes énonce la règle de principe dans les termes suivants:

«1.   Fait naître une dette douanière à l’importation:

a)

la mise en libre pratique d’une marchandise passible de droits à l’importation

ou

b)

le placement d’une telle marchandise sous le régime de l’admission temporaire en exonération partielle des droits à l’importation.

2.   La dette douanière naît au moment de l’acceptation de la déclaration en douane en cause.

[…]»

16.

L’article 204 du code des douanes prévoit une catégorie résiduelle dans les termes suivants:

«1.   Fait naître une dette douanière à l’importation:

a)

l’inexécution d’une des obligations qu’entraîne pour une marchandise passible de droits à l’importation son séjour en dépôt temporaire ou l’utilisation du régime douanier sous lequel elle a été placée

ou

[…]

dans des cas autres que ceux visés à l’article 203, à moins qu’il ne soit établi que ces manquements sont restés sans conséquence réelle sur le fonctionnement correct du dépôt temporaire ou du régime douanier considéré.

2.   La dette douanière naît soit au moment où cesse d’être remplie l’obligation dont l’inexécution fait naître la dette douanière, soit au moment où la marchandise a été placée sous le régime douanier considéré lorsqu’il apparaît a posteriori que l’une des conditions fixées pour le placement de ladite marchandise sous ce régime ou pour l’octroi du droit à l’importation réduit ou nul en raison de l’utilisation de la marchandise à des fins particulières n’était pas réellement satisfaite.

[…]»

B – Le règlement d’application

17.

Le code des douanes est complété par le règlement d’application (CEE) no 2454/93 ( 5 ).

18.

Les articles 529 et 530 du règlement d’application contiennent des dispositions relatives à la tenue d’une comptabilité matières dans l’entrepôt douanier.

19.

L’article 529, paragraphe 1, dudit règlement dispose:

«La comptabilité matières doit, à tout moment, faire apparaître l’état du stock des marchandises placées sous le régime de l’entrepôt douanier. L’entreposeur dépose au bureau de contrôle, dans les délais fixés par les autorités douanières, un relevé de ce stock.»

20.

Selon l’article 530, paragraphe 3, du règlement d’application:

«Les inscriptions dans la comptabilité matières relatives à l’apurement du régime s’effectuent au plus tard au moment de la sortie des marchandises de l’entrepôt douanier ou des installations de stockage.»

21.

L’article 859 du règlement d’application énonce les cas dans lesquels l’inexécution d’une obligation visée à l’article 204, paragraphe 1, du code des douanes n’entraîne pas la naissance d’une dette douanière au motif que les manquements sont restés sans conséquence réelle sur le fonctionnement correct du dépôt temporaire ou du régime douanier considéré ( 6 ).

III – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

22.

Eurogate Distribution est autorisée à gérer un entrepôt douanier privé depuis 2006. La comptabilité matières relative à cet entrepôt douanier est tenue, conformément à l’autorisation, à l’aide d’un programme informatique.

23.

En tant qu’entreposeur, Eurogate Distribution a introduit dans son entrepôt douanier privé des marchandises non communautaires provenant de ses clients en vue de les réexpédier hors du territoire de l’Union européenne. Lors de l’enlèvement des marchandises de l’entrepôt douanier, des déclarations en douane ont été établies pour leur réexportation, lesdites marchandises ayant effectivement été exportées hors du territoire douanier.

24.

À l’occasion d’un contrôle douanier, il a cependant été constaté que les sorties des marchandises litigieuses n’ont été inscrites dans la comptabilité matières qu’au terme d’un délai de 11 à 126 jours après leur sortie effective, c’est-à-dire à une date trop tardive selon l’article 105, premier alinéa, du code des douanes, lu en combinaison avec les articles 529, paragraphe 1, et 530, paragraphe 3, du règlement d’application.

25.

Par avis d’imposition du 1er juillet 2008, le Hauptzollamt a imposé des droits à l’importation avec la taxe sur la valeur ajoutée correspondante sur les marchandises inscrites tardivement. Eurogate Distribution a formé une réclamation.

26.

Suite à une remise d’une partie des droits, octroyée par avis du 11 août 2009, le Hauptzollamt a, pour le reste, par décision du 8 décembre 2009, rejeté comme non fondée la réclamation d’Eurogate Distribution, au motif que les inscriptions tardives dans la comptabilité matières devaient être considérées comme une violation des obligations qui incombaient à Eurogate Distribution dans le cadre du régime de l’entrepôt douanier et que, par conséquent, ce manquement avait donné naissance à une dette douanière sur la base de l’article 204, paragraphe 1, sous a), du code des douanes. À cet égard, la juridiction de renvoi relève que la négligence manifeste commise par Eurogate Distribution ne permettrait pas de considérer que ladite violation est restée sans conséquence sur le fonctionnement correct du régime douanier, de sorte que, en l’espèce, les conditions de l’article 859 du règlement d’application ne seraient pas remplies.

27.

Eurogate Distribution a alors introduit un recours devant le Finanzgericht Hamburg en vue d’obtenir l’annulation de l’avis d’imposition du 1er juillet 2008, tel que modifié par l’avis du 11 août 2009 et confirmé par la décision du 8 décembre 2009, en faisant notamment valoir que les inscriptions tardives des sorties de l’entrepôt douanier dans la comptabilité matières ne constitueraient pas une violation de ses obligations au sens de l’article 204, paragraphe 1, sous a), du code des douanes, dans la mesure où cette obligation d’inscription, qui résulterait des dispositions combinées de l’article 105 du code des douanes et de l’article 530, paragraphe 3, du règlement d’application, ne devrait être exécutée qu’après l’apurement du régime de l’entrepôt douanier.

28.

Le Hauptzollamt conteste cette analyse au motif que la comptabilité matières ne serait pas une obligation applicable après l’apurement du régime considéré. Ladite inscription comptable devrait, au contraire, s’effectuer pendant le régime de l’entrepôt douanier ou bien au moment même de l’apurement dudit régime. Selon le Hauptzollamt, la procédure de l’entrepôt douanier n’aurait cessé, en l’espèce, qu’après la sortie des marchandises non communautaires, lors de leur mainlevée pour le régime du transit en tant que nouvelle destination douanière.

29.

La juridiction de renvoi estime que la thèse selon laquelle la violation de l’obligation d’inscription immédiate de la sortie des marchandises dans la comptabilité matières ferait naître une dette douanière soulève des doutes.

30.

À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que, selon l’analyse proposée par une partie de la doctrine allemande sur le fondement du libellé de l’article 204, paragraphe 1, sous a), du code des douanes, il peut être soutenu que, en l’espèce, la violation de l’obligation a lieu «pendant» l’utilisation du régime douanier, et ne serait pas «entraînée» par ladite utilisation, de sorte qu’aucune dette douanière n’aurait pris naissance. Par ailleurs, dans la mesure où les marchandises auraient déjà reçu une nouvelle destination douanière au moment de leur sortie de l’entrepôt douanier et où la violation de l’obligation n’affecterait donc plus le statut des marchandises, la juridiction de renvoi se demande si une dette douanière peut encore vraiment prendre naissance et si certaines violations du régime ne devraient pas être sanctionnées d’une autre manière.

31.

Estimant que la solution du litige dont il est saisi dépend de l’interprétation du droit de l’Union, le Finanzgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Convient-il d’interpréter l’article 204, paragraphe 1, sous a), [du code des douanes] en ce sens que, dans le cas d’une marchandise non communautaire placée sous le régime de l’entrepôt douanier et ayant reçu une nouvelle destination douanière lors de l’apurement dudit régime, la violation de l’obligation d’inscrire la sortie de la marchandise de l’entrepôt douanier dans le programme informatique prévu à cet effet dès l’apurement du régime de l’entrepôt douanier, et non à une date nettement ultérieure, fait naître une dette douanière pour la marchandise concernée?»

32.

Des observations écrites ont été déposées par Eurogate Distribution, le gouvernement tchèque et la Commission européenne.

33.

Eurogate Distribution, le gouvernement italien et la Commission étaient représentés lors de l’audience commune avec l’affaire C‑262/10, qui s’est tenue le 1er décembre 2011.

IV – Analyse

34.

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si l’article 204, paragraphe l, sous a), du code des douanes doit être interprété en ce sens que l’inexécution de l’obligation d’inscrire l’enlèvement d’une marchandise non communautaire de l’entrepôt douanier dans la comptabilité matières prévue à cet effet, et ce au plus tard au moment de la sortie de ladite marchandise, fait naître une dette douanière pour la marchandise concernée.

35.

La Cour est donc appelée à préciser quelles sont les conditions à respecter, dans le cadre du régime de l’entrepôt douanier, dont la violation fait naître une dette douanière.

36.

Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un non-respect complet des dispositions applicables, et encore moins d’un refus de coopération avec les autorités douanières. En effet, le régime de l’entrepôt douanier s’est déroulé correctement dans l’affaire au principal, sauf en ce qui concerne l’obligation de procéder aux inscriptions dans la comptabilité matières dans les plus brefs délais.

37.

Compte tenu de la connexité de la présente affaire avec l’affaire C‑262/10, il me paraît opportun, afin d’éviter des répétitions, de me référer à mes conclusions dans cette dernière affaire.

38.

Pour les raisons exposées dans ladite affaire Döhler Neuenkirchen (points 35 à 37), je constate que la naissance d’une dette douanière est la conséquence objective de la survenance des faits générateurs énoncés par le code des douanes consistant soit en une mise en libre pratique régulière, soit en un manquement à des obligations.

39.

En ce qui concerne plus particulièrement la comptabilité matières, l’obligation de tenir une comptabilité matières des marchandises placées sous le régime de l’entrepôt douanier privé, prévue à l’article 105 du code des douanes, doit être considérée comme une obligation essentielle. En effet, l’article 529, paragraphe 1, du règlement d’application précise que «la comptabilité matières doit, à tout moment, faire apparaître l’état du stock des marchandises placées sous le régime de l’entrepôt douanier».

40.

Il s’ensuit que, lorsque les éléments nécessaires à l’application correcte du régime du contrôle douanier, au sens de l’article 529 du règlement d’application, font défaut, l’obligation de tenue d’une comptabilité matières ne peut pas être considérée comme remplie. Il en résulte un manquement à une obligation essentielle du régime du contrôle douanier ( 7 ).

41.

La Cour a récemment eu l’occasion, dans l’arrêt Groupe Limagrain Holding, précité, de se prononcer sur la fonction de la comptabilité matières dans le cadre du bénéfice du paiement à l’avance d’une restitution à l’exportation. Dans cet arrêt, ledit bénéfice était subordonné, notamment, à la preuve que les produits pour lesquels une déclaration de paiement avait été présentée avaient été placés et étaient restés sous contrôle douanier jusqu’à leur exportation. La Cour a observé que la soumission de ces produits au régime du contrôle douanier avait pour finalité de garantir l’identité des produits visés dans la déclaration de paiement et des produits effectivement exportés. En l’absence d’exécution régulière de la mise sous le régime de l’entrepôt douanier, la preuve que les marchandises visées dans la déclaration de paiement d’une avance ont réellement été exportées ne peut être rapportée de manière satisfaisante. La Cour a assimilé à un retrait du contrôle douanier l’hypothèse où il n’a pas été satisfait à l’obligation de tenir, conformément à la réglementation douanière de l’Union, une comptabilité matières des produits placés sous ce contrôle. Dans les deux cas, les autorités douanières sont privées de la possibilité de contrôler le circuit emprunté par les produits concernés et, par conséquent, de s’assurer du respect des conditions liées au système de paiement à l’avance de restitution à l’exportation ( 8 ).

42.

Contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Groupe Limagrain Holding, précité, où aucune comptabilité matières n’avait été tenue, dans la présente affaire, une telle comptabilité a bien été tenue, quoique avec un retard compris entre une dizaine de jours et plus de 100 jours. Il semble par ailleurs que les autorités douanières aient néanmoins reçu des déclarations relatives à la nouvelle destination douanière des marchandises, en vue d’apurer le régime de l’entrepôt douanier. Pour autant, il ne ressort pas de la législation applicable que, dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal, une déclaration douanière puisse remplacer l’exécution correcte de l’obligation de tenue d’une comptabilité matières dans le cadre du régime de l’entrepôt douanier.

43.

En outre, je note que la juridiction de renvoi a qualifié les faits à l’origine de l’affaire au principal non pas de «soustraction à la surveillance douanière» relevant de l’article 203 du code des douanes, mais d’«inexécution d’une obligation» au sens de l’article 204 dudit code. En l’absence de toute question relative au champ d’application respectif desdits articles, il convient de partir du postulat que c’est l’article 204 du code des douanes qu’il convient d’appliquer ( 9 ).

44.

Par ailleurs, il y a lieu de relever que l’inscription tardive dans la comptabilité matières ne compte pas parmi les événements susceptibles d’être considérés comme «restés sans conséquence réelle» sur le fonctionnement correct du régime douanier considéré, car un tel événement ne figure pas dans la liste exhaustive de l’article 859 du règlement d’application ( 10 ).

45.

Eurogate Distribution fait aussi valoir le caractère manifestement excessif de la conséquence attachée à une simple irrégularité commise par négligence, dans la mesure où la législation allemande lierait la naissance de la dette douanière et la perception d’une taxe sur la valeur ajoutée à l’importation. Pour ma part, j’observe que la question du lien qu’opérerait la législation allemande entre la perception de droits de douane et l’imposition d’une taxe sur la valeur ajoutée à l’importation ne fait pas l’objet du renvoi préjudiciel. Dès lors, il ne me faut pas aborder cette question davantage, quand bien même les interrogations soulevées par la Commission quant à la conformité dudit lien au droit de l’Union en matière de taxe sur la valeur ajoutée ne me semblent pas dénuées de pertinence.

46.

Il convient, en tout état de cause, de reprendre deux observations figurant dans les conclusions relatives à l’affaire C‑262/10.

47.

En premier lieu, l’obligation de payer des droits de douane dans un tel cas constitue non pas une sanction administrative, fiscale ou pénale, mais la simple conséquence de la constatation de l’absence de réunion des conditions requises aux fins de l’obtention de l’avantage résultant de l’application du régime de l’entrepôt douanier, ce qui rend inapplicable la suspension et justifie, par conséquent, l’imposition des droits de douane ( 11 ). À cet égard, je me réfère aux points 55 à 59 de mes conclusions dans l’affaire C‑262/10.

48.

En deuxième lieu, je note que, aux fins du code des douanes, une dette douanière ne correspond pas à la notion de dette douanière «économique», selon laquelle une dette douanière naît uniquement à l’égard des marchandises mises en libre pratique. Dès lors, la question de savoir si les marchandises concernées ont finalement été mises en libre pratique, ou non, n’est pas pertinente. Il s’ensuit que des droits de douane peuvent aussi être perçus sur des marchandises qui ont effectivement quitté le territoire de l’Union ( 12 ).

V – Conclusion

49.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par le Finanzgericht Hamburg:

«L’article 204, paragraphe l, sous a), du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) no 648/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, doit être interprété en ce sens que, dans le cas d’une marchandise non communautaire, l’inexécution de l’obligation d’inscrire l’enlèvement de la marchandise de l’entrepôt douanier dans la comptabilité matières prévue à cet effet, et ce au plus tard au moment de la sortie de cette marchandise de l’entrepôt douanier, fait naître une dette douanière pour ladite marchandise, même si la même marchandise a été réexportée.»


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Règlement du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 648/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (JO L 117, p. 13, ci-après le «code des douanes»). Le code des douanes a été abrogé par le règlement (CE) no 450/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, établissant le code des douanes communautaire (code des douanes modernisé) (JO L 145, p. 1, ci-après le «code des douanes modernisé»), dont certaines dispositions sont entrées en vigueur le 24 juin 2008. Compte tenu de la date des faits du litige au principal, celui-ci demeure régi par les règles énoncées dans le code des douanes.

( 3 ) Voir articles 84, paragraphe 1, 85 et 87 du code des douanes.

( 4 ) Voir article 89, paragraphe 1, du code des douanes.

( 5 ) Règlement de la Commission du 2 juillet 1993 fixant certaines dispositions d’application du règlement no 2913/92 (JO L 253, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 993/2001 de la Commission, du 4 mai 2001 (JO L 141, p. 1, ci-après le «règlement d’application»).

( 6 ) Je précise que, selon la juridiction de renvoi, les conditions d’application de cette disposition ne sont pas réunies en l’espèce.

( 7 ) Voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2011, Groupe Limagrain Holding (C-402/10, Rec. p. I-10827, points 33 à 37).

( 8 ) Arrêt Groupe Limagrain Holding, précité (points 43 à 46).

( 9 ) S’agissant du champ d’application respectif des articles 203 et 204 du code des douanes, voir arrêt du 12 février 2004, Hamann International (C-337/01, Rec. p. I-1791, point 28).

( 10 ) Le caractère exhaustif de l’énumération contenu dans cette disposition a été confirmé par la Cour dans l’arrêt du 11 novembre 1999, Söhl & Söhlke (C-48/98, Rec. p. I-7877, point 43).

( 11 ) Voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke (C-110/99, Rec. p. I-11569, point 56), et du 4 juin 2009, Pometon (C-158/08, Rec. p. I-4695, point 28).

( 12 ) Même si les droits de douane ont notamment pour but de protéger la production domestique contre la concurrence extérieure («Wirtschaftszollgedanke» en langue allemande), il n’en reste pas moins que l’application des règles en la matière est mécanique et formelle, ce qui peut conduire à des situations dans lesquelles des droits de douane sont imposés alors qu’aucune protection n’est requise, en l’absence de mise en libre pratique des marchandises concernées. Voir Willemoes Jørgensen, C., Toldskuldens opståen og ophør, Copenhague, Jurist- og Økonomforbundets Forlag, 2009, p. 148, ainsi que arrêt du 29 avril 2004, British American Tobacco (C-222/01, Rec. p. I-4683, point 55).

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