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Document 62010CJ0072

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 16 février 2012.
Procédures pénales contre Marcello Costa et Ugo Cifone.
Demandes de décision préjudicielle, introduites par la Corte suprema di cassazione.
Liberté d’établissement — Libre prestation des services — Jeux de hasard — Collecte de paris sur des événements sportifs — Exigence d’une concession — Conséquences à tirer d’une violation du droit de l’Union dans l’attribution des concessions — Attribution de 16 300 concessions additionnelles — Principe d’égalité de traitement et obligation de transparence — Principe de sécurité juridique — Protection des titulaires des concessions antérieures — Réglementation nationale — Distances minimales obligatoires entre points de collecte de paris — Admissibilité — Activités transfrontalières assimilables à celles faisant l’objet de la concession — Interdiction par la réglementation nationale — Admissibilité.
Affaires jointes C-72/10 et C-77/10.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:80

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

16 février 2012 ( *1 )

«Liberté d’établissement — Libre prestation des services — Jeux de hasard — Collecte de paris sur des événements sportifs — Exigence d’une concession — Conséquences à tirer d’une violation du droit de l’Union dans l’attribution des concessions — Attribution de 16300 concessions additionnelles — Principe d’égalité de traitement et obligation de transparence — Principe de sécurité juridique — Protection des titulaires des concessions antérieures — Réglementation nationale — Distances minimales obligatoires entre points de collecte de paris — Admissibilité — Activités transfrontalières assimilables à celles faisant l’objet de la concession — Interdiction par la réglementation nationale — Admissibilité»

Dans les affaires jointes C-72/10 et C-77/10,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Corte suprema di cassazione (Italie), par décisions du 10 novembre 2009, parvenues à la Cour le 9 février 2010, dans les procédures pénales contre

Marcello Costa (C-72/10),

Ugo Cifone (C-77/10),

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, MM. K. Schiemann (rapporteur), L. Bay Larsen, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 juin 2011,

considérant les observations présentées:

pour M. Costa, par Me D. Agnello, avvocatessa,

pour M. Cifone, par Mes D. Agnello, R. Jacchia, A. Terranova, F. Ferraro, A. Aversa, A. Piccinini, F. Donati et A. Dossena avvocati,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Arena, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement belge, par Mmes L. Van den Broeck et M. Jacobs, en qualité d’agents, assistées de Me P. Vlaemminck, advocaat, et Me A. Hubert, avocat,

pour le gouvernement espagnol, par M. F. Diéz Moreno, en qualité d’agent,

pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et P. Mateus Calado, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. E. Traversa et Mme S. La Pergola, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 octobre 2011,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 43 CE et 49 CE.

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de procédures pénales engagées contre MM. Costa et Cifone, gérants de centres de transmission de données (ci-après les «CTD») contractuellement liés à la société de droit anglais Stanley International Betting Ltd (ci-après «Stanley»), pour non-respect de la législation italienne régissant la collecte de paris, notamment du décret royal no 773, portant approbation du texte unique des lois en matière de sécurité publique (Regio decreto no 773 — Testo unico delle leggi di pubblica sicurezza), du 18 juin 1931 (GURI no 146, du 26 juin 1931), tel que modifié par l’article 37, paragraphe 4, de la loi no 388, du 23 décembre 2000 (supplément ordinaire à la GURI no 302, du 29 décembre 2000, ci-après le «décret royal»). Lesdites demandes s’insèrent dans des cadres juridiques et factuels semblables à ceux ayant donné lieu aux arrêts du 21 octobre 1999, Zenatti (C-67/98, Rec. p. I-7289); du 6 novembre 2003, Gambelli e.a. (C-243/01, Rec. p. I-13031); du 6 mars 2007, Placanica e.a. (C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Rec. p. I-1891), ainsi que du 13 septembre 2007, Commission/Italie (C-260/04, Rec. p. I-7083).

Le cadre juridique

3

La législation italienne prescrit, en substance, que l’exercice des activités de collecte et de gestion des paris suppose l’obtention d’une concession sur appel d’offres et d’une autorisation de police. Toute infraction à cette législation est passible de sanctions pénales.

Les concessions

4

Jusqu’aux modifications de la législation applicable intervenues en 2002, les opérateurs constitués sous la forme de sociétés de capitaux dont les actions sont cotées sur les marchés réglementés ne pouvaient se voir attribuer une concession pour les jeux de hasard. Ces opérateurs étaient par conséquent exclus des appels d’offres en vue de l’attribution de concessions qui ont eu lieu en 1999. L’illégalité de cette exclusion au regard des articles 43 CE et 49 CE a été constatée notamment dans l’arrêt Placanica e.a., précité.

5

Le décret-loi no 223, du 4 juillet 2006, portant dispositions urgentes pour la relance économique et sociale, pour la maîtrise et la rationalisation des dépenses publiques, et interventions en matière de recettes fiscales et de lutte contre la fraude fiscale, converti par la loi no 248, du 4 août 2006 (GURI no 18, du 11 août 2006, ci-après le «décret Bersani»), a procédé à une réforme du secteur des jeux en Italie, destinée à assurer sa mise en conformité avec les exigences découlant du droit de l’Union.

6

L’article 38 du décret Bersani, intitulé «Mesures de lutte contre le jeu illégal», prévoit, à son paragraphe 1, l’adoption, avant le 31 décembre 2006, d’une série de dispositions «en vue de lutter contre la diffusion du jeu irrégulier et illégal et contre l’évasion et la fraude fiscales dans le secteur du jeu, ainsi que de garantir la protection des joueurs».

7

L’article 38, paragraphes 2 et 4, du décret Bersani établit les nouvelles modalités de distribution des jeux de hasard afférents, d’une part, aux événements autres que les courses de chevaux et, d’autre part, aux courses de chevaux. En particulier:

il est prévu d’ouvrir au moins 7000 nouveaux points de vente pour les jeux de hasard afférents aux événements autres que les courses de chevaux et au moins 10000 nouveaux points de vente pour les jeux de hasard afférents aux courses de chevaux;

le nombre maximal de points de vente par commune est fixé en fonction du nombre d’habitants et en tenant compte des points de vente pour lesquels une concession a déjà été accordée à la suite de l’appel d’offres de 1999;

les nouveaux points de vente doivent respecter une distance minimale par rapport à ceux pour lesquels une concession a déjà été accordée à la suite de l’appel d’offres de 1999;

l’administration autonome des monopoles de l’État (ci-après l’«AAMS»), agissant sous la tutelle du ministère de l’Économie et des Finances, est chargée de la «définition des modalités de protection» des titulaires de concessions accordées à la suite de l’appel d’offres de 1999.

Les autorisations de police

8

Le système de concessions est lié à un système de contrôles de sécurité publique régi par le décret royal. En vertu de l’article 88 de celui-ci, une autorisation de police peut être accordée exclusivement à ceux qui détiennent une concession ou une autorisation d’un ministère ou d’une autre entité à laquelle la loi réserve la faculté d’organiser ou d’exploiter des paris.

Les sanctions pénales

9

Le fait d’organiser des jeux, y compris par voie télématique ou téléphonique, sans être titulaire de la concession ou de l’autorisation de police obligatoires constitue en Italie un délit pénal passible d’une peine de détention pouvant atteindre trois années en vertu de l’article 4 de la loi no 401, du 13 décembre 1989, portant intervention dans le secteur du jeu et des paris clandestins et protection du bon déroulement des compétitions sportives (GURI no 294, du 18 décembre 1989), telle que modifiée par l’article 37, paragraphe 5, de la loi no 388, du 23 décembre 2000 (supplément ordinaire à la GURI no 302, du 29 décembre 2000, ci-après la «loi no 401/89»).

Les litiges au principal et la question préjudicielle

Stanley et sa situation en Italie

10

Stanley est autorisée à opérer comme collecteur de paris au Royaume-Uni en vertu d’une licence délivrée par les autorités de Liverpool. Stanley accepte des paris à cote fixe sur de larges gammes d’événements, sportifs et non sportifs, nationaux et internationaux.

11

Stanley opère en Italie par l’intermédiaire de plus de 200 agences, sous forme de CTD. Les CTD sont des locaux ouverts au public dans lesquels des parieurs peuvent conclure des paris sportifs par voie télématique en accédant à un serveur de Stanley situé au Royaume-Uni ou dans un autre État membre, payer leurs mises et, le cas échéant, percevoir leurs gains. Les CTD sont gérés par des opérateurs indépendants liés contractuellement à Stanley. Stanley opère en Italie exclusivement par l’intermédiaire de ces points physiques de vente au détail et n’est dès lors pas un opérateur de jeux de hasard par Internet.

12

Il est constant que, eu égard au mode opérationnel de Stanley, c’est en principe à Stanley qu’incombe l’obligation d’obtenir une concession pour l’exercice des activités de collecte et de gestion des paris en Italie, ce qui permettrait aux CTD d’exercer leurs activités.

13

Stanley, qui faisait partie d’un groupe coté sur les marchés réglementés, a été exclue, en violation du droit de l’Union, de l’appel d’offres ayant abouti à l’attribution, en 1999, de 1000 concessions pour la commercialisation de paris sur des compétitions sportives autres que les courses de chevaux, valables pour une période de six années et renouvelables pour six autres années.

14

Les dispositions du décret Bersani ont été mises en œuvre par des procédures d’appel d’offres lancées par l’AAMS au cours de l’année 2006. Le 28 août 2006, deux avis de marché ont été publiés en application des paragraphes 2 et 4 de l’article 38 du décret Bersani, mettant en concours des concessions pour 500 points de vente spécialisés de jeux hippiques et 9500 points de vente non spécialisés de jeux hippiques, outre la création de réseaux de jeux hippiques à distance, ainsi que pour 1900 points de vente spécialisés de jeux sportifs et 4400 points de vente non spécialisés de jeux sportifs, outre la création de réseaux de jeux sportifs à distance. Ces avis ont aussi été publiés, le 30 août 2006, au Journal officiel de l’Union européenne (procédures nos 2006/S-163-175655 et 2006/S-164-176680). La date limite pour présenter les offres a été fixée au 20 octobre 2006 pour tous les types de concessions.

15

La documentation concernant les appels d’offres incluait notamment un cahier des charges comprenant huit annexes ainsi que le projet de convention entre l’AAMS et l’adjudicataire de la concession concernant des jeux de hasard afférents aux événements autres que les courses de chevaux (ci-après le «projet de convention»).

16

Ledit cahier des charges subordonnait la participation à l’appel d’offres, d’une part, en vertu de son article 13, à la constitution d’une garantie bancaire provisoire et, d’autre part, en vertu de son article 14, à l’engagement de constituer une garantie bancaire définitive couvrant les obligations découlant de la concession.

17

En vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du projet de convention, l’AAMS est tenue de prononcer la déchéance de la concession dans l’hypothèse où seraient «prononcées à l’égard des concessionnaires, du représentant légal ou des administrateurs du concessionnaire des mesures conservatoires ou des décisions de renvoi devant la juridiction de jugement pour toutes les hypothèses de délits visées par la loi no 55 du 19 mars 1990, ainsi que pour toutes les autres hypothèses de délits susceptibles de porter atteinte aux relations de confiance avec l’AAMS».

18

L’article 23, paragraphe 3, du projet de convention stipule par ailleurs que l’AAMS «prononce la déchéance de la concession, après en avoir immédiatement suspendu les effets à titre conservatoire, lorsque le concessionnaire commercialise, lui-même ou par l’intermédiaire d’une société qui lui est liée — quelle que soit la nature du lien — sur le territoire italien ou au moyen de sites télématiques situés en dehors du territoire national, des jeux assimilables à des jeux publics ou à d’autres jeux gérés par l’AAMS ou des jeux prohibés par l’ordre juridique italien».

19

En vertu de l’article 23, paragraphe 6, du projet de convention, la garantie bancaire constituée par le concessionnaire est acquise à l’AAMS en cas de déchéance de la concession, et cela sans préjudice du droit de l’AAMS de demander réparation d’un préjudice ultérieur.

20

À la suite de la publication des avis de marché, Stanley a de nouveau manifesté son intérêt en vue d’obtenir une concession pour la collecte et la gestion de paris et a obtenu de l’AAMS le support informatique nécessaire pour présenter une offre. Stanley a ensuite demandé à l’AAMS des explications sur certaines de ces dispositions qui auraient pu constituer de possibles obstacles à sa participation à l’appel d’offres et dont l’interprétation ne lui semblait pas claire à certains égards.

21

Par courrier du 21 septembre 2006, Stanley a demandé à l’AAMS si son modèle opérationnel, reposant sur des CTD qui lui sont affiliés, était considéré par l’AAMS comme violant les principes et les dispositions figurant dans la documentation de l’appel d’offres, en particulier à l’article 23, paragraphe 3, du projet de convention, de sorte que la participation à ces procédures et son éventuelle issue positive pourraient faire obstacle à la poursuite de cette activité, et si la poursuite de celle-ci pouvait renfermer une cause de révocation, de déchéance ou de suspension des concessions éventuellement attribuées.

22

Dans sa réponse datée du 6 octobre 2006, l’AAMS a considéré que la participation aux adjudications était subordonnée à la renonciation, en Italie, à l’exercice des activités transfrontalières, tout en affirmant, en particulier, que le nouveau système permettait aux candidats adjudicataires de mettre en place des réseaux de vente qui pouvaient également revêtir un caractère national. Elle a cependant attiré l’attention sur le fait que ces réseaux tendaient «naturellement à remplacer les anciens réseaux potentiels et, dans ces circonstances, les dispositions visées à l’article 23 du projet de convention [constituaient] une protection correcte des investissements réalisés par ces mêmes concessionnaires».

23

En réponse à ce courrier, Stanley a demandé à l’AAMS, le 10 octobre 2006, de reconsidérer sa situation «en modifiant les clauses de l’appel d’offres, et en particulier l’article 23 du projet de convention, de façon à ce que la soussignée puisse participer à la sélection, sans être contrainte de renoncer à l’exercice de sa liberté fondamentale de prestation de services transfrontaliers».

24

Stanley a également transmis, le 12 octobre 2006, la question supplémentaire suivante à l’AAMS:

«Dans l’hypothèse où Stanley déciderait de renoncer à l’exploitation de ses services transfrontaliers en Italie et de participer aux procédures d’appels d’offres, les opérateurs actuels de son réseau — ayant un caractère national — pourraient-ils être affectés personnellement par la perte de leurs propres habilitations; en cas de réponse négative, ces mêmes opérateurs devraient-ils satisfaire à des critères d’habilitation supplémentaires ou, à l’inverse, pourraient-ils se limiter à adhérer au projet de convention type prévu par l’AAMS?»

25

Le 17 octobre 2006, Stanley a signalé qu’elle n’avait pas reçu de réponse à ses demandes d’explications des 10 et 12 octobre 2006, réponse dont elle avait besoin en urgence pour pouvoir décider si elle participerait ou non aux appels d’offres. Le 18 octobre 2006, l’AAMS a rejeté de manière définitive les demandes d’explications de Stanley, laquelle a, par conséquent, décidé de ne pas participer à l’appel d’offres.

26

Stanley a sollicité l’annulation des avis et des actes relatifs aux procédures d’appels d’offres devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio par le recours no 10869/2006, du 27 novembre 2006, lequel est actuellement pendant.

27

Les appels d’offres se sont achevés au cours du mois de décembre 2006 avec l’attribution de quelque 14000 nouvelles concessions.

Les procédures impliquant les gestionnaires des CTD de Stanley

28

Nonobstant le fait que Stanley ne soit pas devenue titulaire d’une concession pour la collecte et la gestion de paris, MM. Costa et Cifone ont sollicité l’autorisation de police prévue à l’article 88 du décret royal pour exercer leur activité en tant que gestionnaires de CTD.

L’affaire Costa (C-72/10)

29

À l’époque des faits au principal, M. Costa était gestionnaire d’un CTD à Rome (Italie) en vertu d’un contrat daté du 27 mai 2008.

30

À la suite de sa demande d’autorisation de police, la police d’État de Rome a procédé, le 8 octobre 2008, à des contrôles au CTD de M. Costa et a constaté le délit d’exercice abusif de paris prévu à l’article 4 de la loi no 401/89, plus précisément la collecte de paris sur les événements sportifs mis en œuvre sans la concession et l’autorisation de police nécessaires.

31

Par décision du 27 janvier 2009, le giudice per le indagini preliminari (juge des enquêtes préliminaires) du Tribunale di Roma a décidé de relaxer M. Costa «au motif que les faits ne sont plus constitutifs d’un délit». Selon cette juridiction, il ressortait d’un arrêt de la Corte suprema di cassazione concernant une affaire similaire que la législation pénale italienne était contraire au droit de l’Union et ne devait, par conséquent, pas être appliquée (arrêt du 27 mai 2008 dans l’affaire no 27532/08).

32

Le parquet a formé un pourvoi en cassation devant la Corte suprema di cassazione dans lequel il soutient que la réglementation nationale en matière de concessions et d’autorisations de police est compatible avec le droit de l’Union, et relève que, en l’absence d’une mesure de refus de concession des autorités italiennes susceptible de recours devant le juge administratif, M. Costa ne peut en tout état de cause invoquer des violations du droit de l’Union commises par la République italienne et demander la non-application d’une réglementation à laquelle il s’était volontairement soustrait.

L’affaire Cifone (C-77/10)

33

À l’époque des faits au principal, M. Cifone était gestionnaire d’un CTD à Molfetta dans la province de Bari (Italie). Une demande d’autorisation de police avait été présentée le 26 juillet 2007 au préfet de police de Bari.

34

Le 7 novembre 2007, une plainte a été déposée au parquet près le Tribunale di Trani par une société concurrente, détentrice d’une concession délivrée par l’AAMS en vertu du décret Bersani. L’objet de cette plainte était de mettre en œuvre l’action pénale à l’encontre de plusieurs intermédiaires exerçant dans la province de Bari, accusés de délit d’exercice abusif de paris prévu à l’article 4 de la loi no 401/89, parmi lesquels figurait M. Cifone.

35

Le 20 octobre 2007, la Guardia di finanza di Molfetta (police financière de Molfetta) a procédé, à son initiative, à la mise sous séquestre provisoire des équipements et des locaux du CTD de M. Cifone.

36

Le ministère public a confirmé la régularité de ladite mise sous séquestre et a demandé au giudice per le indagini preliminari du Tribunale di Trani d’ordonner la mise sous séquestre pénal préventif des locaux et des équipements de toutes les personnes mises en examen, dont M. Cifone. Par une décision du 26 mai 2008, ce tribunal a prononcé la mise sous séquestre préventif pour violation, notamment, de l’article 4 de la loi no 401/89, décision confirmée par le Tribunale del riesame di Bari dans une ordonnance des 10 et 14 juillet 2008.

37

Le 9 septembre 2008, M. Cifone a formé un pourvoi en cassation devant la juridiction de renvoi à l’encontre de l’ordonnance des 10 et 14 juillet 2008. M. Cifone demande que la réglementation nationale ne soit pas appliquée, y compris ses effets en matière pénale, au motif que celle-ci, en confirmant la validité des concessions précédentes et en prévoyant des limites de localisation des nouveaux points de vente afin de favoriser ceux existants de même que des hypothèses de déchéance de la concession gravement discriminatoires, est contraire au droit de l’Union.

La question préjudicielle

38

Tant dans l’affaire Costa que dans l’affaire Cifone, la Corte suprema di cassazione a constaté qu’il existait des doutes en ce qui concerne l’interprétation de l’étendue de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services et, notamment, «la possibilité que cette étendue soit limitée par un ordre juridique interne, qui présente des caractéristiques qui sont ou apparaissent discriminatoires et qui entraînent ou semblent entraîner un effet d’exclusion».

39

Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione a décidé de surseoir à statuer dans les deux procédures et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Quelle est l’interprétation à donner aux articles 43 CE et 49 CE concernant la liberté d’établissement et la libre prestation des services dans le secteur des paris sur les événements sportifs, aux fins de déterminer si les dispositions précitées du traité autorisent ou non une réglementation nationale instituant un régime de monopole en faveur de l’État et un système de concessions et d’autorisations qui, dans le cadre d’un nombre déterminé de concessions, prévoit:

a)

l’existence d’une tendance générale à la protection des titulaires des concessions octroyées à une époque antérieure, sur la base d’une procédure qui a illégalement exclu une partie des opérateurs;

b)

la présence de dispositions qui garantissent de fait le maintien des positions commerciales acquises sur la base d’une procédure qui a illégalement exclu une partie des opérateurs (comme [...] [l’obligation] pour de nouveaux concessionnaires d’installer leurs guichets à [une distance minimale] de ceux déjà existants), et

c)

la fixation d’hypothèses de déchéance de la concession et d’acquisition de garanties d’un montant très élevé, hypothèses parmi lesquelles figure celle où le concessionnaire exploite directement ou indirectement des activités transfrontalières de jeux assimilables à celles faisant l’objet de la concession?»

40

Par ordonnance du président de la Cour du 6 avril 2010, les affaires C-72/10 et C-77/10 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur la recevabilité de la question préjudicielle

41

Le gouvernement italien met en cause la recevabilité de la question préjudicielle.

42

En premier lieu, il estime que cette question est hypothétique. Selon lui, une éventuelle déclaration de l’incompatibilité de la nouvelle réglementation italienne découlant du décret Bersani avec le droit de l’Union n’affecte pas les personnes mises en cause dans les litiges au principal, dès lors que Stanley a volontairement décidé de ne pas prendre part aux appels d’offres de 2006 régis par cette nouvelle réglementation. Il laisse entendre que les caractéristiques d’un régime de concession auquel Stanley n’a pas participé ne peuvent influer sur la situation pénale de MM. Costa et Cifone.

43

À cet égard, il convient de constater qu’il ressort d’une jurisprudence constante qu’un État membre ne peut appliquer une sanction pénale pour une formalité administrative non remplie lorsque l’accomplissement de cette formalité est refusé ou rendu impossible par l’État membre concerné en violation du droit de l’Union (arrêt Placanica e.a., précité, point 69). Étant donné que la question préjudicielle vise précisément à établir si les conditions auxquelles l’attribution d’une concession était soumise en vertu de la législation nationale, et qui ont eu pour conséquence que Stanley a renoncé à participer à l’appel d’offres en cause au principal, étaient contraires au droit de l’Union, la pertinence de cette question pour la résolution des litiges pendants devant la juridiction de renvoi ne saurait être remise en cause.

44

En second lieu, le gouvernement italien considère que la question préjudicielle est irrecevable parce qu’elle serait excessivement générale.

45

À cet égard, il est vrai que la précision, voire l’utilité, tant des observations présentées par les gouvernements des États membres et les autres parties intéressées que de la réponse de la Cour peut dépendre du caractère suffisamment détaillé des indications concernant le contenu et les objectifs de la législation nationale applicable au litige au principal. Toutefois, eu égard à la séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, il doit être considéré comme suffisant que l’objet des litiges au principal ainsi que ses enjeux principaux pour l’ordre juridique de l’Union ressortent de la demande de décision préjudicielle afin de permettre aux États membres de présenter leurs observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice et de participer efficacement à la procédure devant cette dernière (arrêt du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C-42/07, Rec. p. I-7633, point 41). Dans les affaires au principal, la décision de renvoi satisfait à ces exigences.

46

Il convient par conséquent d’écarter les objections soulevées par le gouvernement italien quant à la recevabilité des demandes de décision préjudicielle.

Sur la question préjudicielle

47

Par sa question, la juridiction de renvoi soulève deux problèmes qu’il convient d’examiner séparément.

48

D’une part, elle est appelée à juger si les mesures prises par le législateur afin de remédier à l’exclusion illégale d’opérateurs, tels que Stanley, de l’appel d’offres de 1999 sont conformes au droit de l’Union. Si, à première vue, l’attribution d’environ 16000 nouvelles concessions prévue par le décret Bersani lui apparaît conforme aux exigences imposées par la Cour au point 63 de l’arrêt Placanica e.a., précité, la juridiction de renvoi s’interroge toutefois sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la protection offerte par certains aspects du nouveau régime aux positions commerciales des opérateurs ayant obtenu une concession au terme de l’appel d’offres de 1999 contre la concurrence potentielle d’opérateurs illégalement exclus dudit appel d’offres de 1999, et qui en 2006 auraient pu, pour la première fois, participer à un appel d’offres en vue de l’attribution de concessions. À cet égard, la juridiction de renvoi cite, en particulier, l’obligation prévue à l’article 38, paragraphes 2 et 4, du décret Bersani selon laquelle les nouveaux concessionnaires doivent s’installer à une distance minimale de ceux déjà existants.

49

D’autre part, la juridiction de renvoi relève que, alors que le motif d’exclusion de l’appel d’offres de 1999 critiqué dans l’arrêt Placanica e.a., précité, a été éliminé par des modifications de la législation applicable intervenues en 2002, une série de nouvelles restrictions a été introduite à la suite de l’adoption du décret Bersani, en particulier au moyen d’hypothèses de déchéance de la concession et d’acquisition de garanties prévues à l’article 23 du projet de convention. La juridiction de renvoi se demande si ces nouvelles restrictions sont compatibles avec le droit de l’Union.

Sur la protection des positions commerciales acquises par les opérateurs s’étant vu adjuger des concessions au terme de l’appel d’offres de 1999

50

Par la première partie de sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre qui a, en violation du droit de l’Union, exclu une catégorie d’opérateurs de l’attribution de concessions pour l’exercice d’une activité économique, et qui cherche à remédier à cette violation en mettant en concours un nombre important de nouvelles concessions, protège les positions commerciales acquises par les opérateurs existants en prévoyant notamment des distances minimales entre les implantations des nouveaux concessionnaires et celles des opérateurs existants.

51

Il convient d’emblée de rappeler que, ainsi que la Cour l’a jugé au point 63 de l’arrêt Placanica e.a., précité, il appartient à l’ordre juridique national de prévoir des modalités procédurales qui assurent la sauvegarde des droits des opérateurs illégalement exclus du premier appel d’offres, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité).

52

Au même point de l’arrêt Placanica e.a., précité, la Cour a ensuite considéré que tant une révocation et la redistribution des anciennes concessions que la mise en concours d’un nombre adéquat de nouvelles concessions pourraient être des solutions appropriées. Ces solutions sont toutes deux en principe susceptibles de remédier, tout au moins pour le futur, à l’exclusion illégale de certains opérateurs en leur permettant d’exercer leur activité sur le marché sous les mêmes conditions que les opérateurs existants.

53

Tel n’est cependant pas le cas si les positions commerciales acquises par les opérateurs existants sont protégées par la législation nationale. Le fait même que les opérateurs existants aient pu commencer leur activité quelques années plus tôt que les opérateurs illégalement exclus, et ainsi pu s’établir sur le marché avec une certaine renommée et une clientèle fidélisée, leur confère un avantage concurrentiel indu. Octroyer aux opérateurs existants des avantages concurrentiels additionnels par rapport aux nouveaux concessionnaires a pour conséquence de maintenir et de renforcer les effets de l’exclusion illégale de ces derniers de l’appel d’offres de 1999, et constitue ainsi une nouvelle violation des articles 43 CE et 49 CE ainsi que du principe d’égalité de traitement. Une telle mesure rend par ailleurs excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union à des opérateurs illégalement exclus de l’appel d’offres de 1999 et ne satisfait donc pas au principe d’effectivité.

54

Il convient de rappeler, dans ce contexte, que les autorités publiques qui octroient des concessions en matière de jeux de hasard sont tenues de respecter les règles fondamentales des traités, notamment les articles 43 CE et 49 CE, les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle (voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 2010, Sporting Exchange, C-203/08, Rec. p. I-4695, point 39, ainsi que du 9 septembre 2010, Engelmann, C-64/08, Rec. p. I-8219, point 49 et jurisprudence citée).

55

Sans nécessairement impliquer une obligation de procéder à un appel d’offres, ladite obligation de transparence, qui s’applique lorsque la concession concernée est susceptible d’intéresser une entreprise située dans un État membre autre que celui dans lequel cette concession est attribuée, impose à l’autorité concédante de garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture de la concession à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’attribution (arrêts précités Commission/Italie, point 24 et jurisprudence citée; Sporting Exchange, points 40 et 41, ainsi que Engelmann, point 50).

56

L’attribution de telles concessions doit par conséquent être fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales (voir, en ce sens, arrêt Engelmann, précité, point 55 et jurisprudence citée).

57

Le principe d’égalité de traitement impose par ailleurs que tous les soumissionnaires potentiels disposent des mêmes chances et implique donc qu’ils soient soumis aux mêmes conditions. Tel est d’autant plus le cas dans une situation telle que celle des affaires au principal où une violation du droit de l’Union de la part du pouvoir adjudicateur concerné a déjà eu pour conséquence une inégalité de traitement de certains opérateurs.

58

En ce qui concerne plus spécifiquement l’obligation pour les nouveaux concessionnaires de s’installer à une distance minimale de ceux déjà existants, prévue à l’article 38, paragraphes 2 et 4, du décret Bersani, cette mesure a pour effet de protéger les positions commerciales acquises par les opérateurs déjà installés au détriment des nouveaux concessionnaires qui sont contraints de s’établir en des lieux commercialement moins intéressants que ceux occupés par les premiers. Une telle mesure implique donc une discrimination à l’encontre des opérateurs exclus de l’appel d’offres de 1999.

59

Pour ce qui est d’une éventuelle justification de cette inégalité de traitement, il ressort d’une jurisprudence constante que des motifs de nature économique, tels que l’objectif de garantir aux opérateurs ayant obtenu des concessions lors de l’appel d’offres de 1999 la continuité, la stabilité financière ou un juste rendement des investissements réalisés, ne sauraient être admis en tant que raisons impérieuses d’intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité (arrêts Commission/Italie, précité, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que du 11 mars 2010, Attanasio Group, C-384/08, Rec. p. I-2055, points 53 à 56).

60

Par ailleurs, le gouvernement italien ne saurait utilement se prévaloir, dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, de l’objectif invoqué visant à assurer une distribution uniforme des points de vente des jeux de hasard sur le territoire national afin, d’une part, d’éviter l’exposition à un excès d’offre pour les consommateurs qui vivent près de ces établissements de paris et, d’autre part, de prévenir le risque que les consommateurs vivant à des endroits moins bien desservis optent pour des jeux clandestins.

61

Il est vrai que ces objectifs ayant trait, d’une part, à la réduction des occasions de jeu et, d’autre part, à la lutte contre la criminalité en assujettissant les opérateurs actifs dans ce secteur à un contrôle et en canalisant les activités de jeux de hasard dans les circuits ainsi contrôlés, sont parmi ceux reconnus par la jurisprudence comme étant de nature à justifier des restrictions aux libertés fondamentales dans le secteur des jeux de hasard (arrêt Placanica e.a., précité, points 46 et 52).

62

Toutefois, en ce qui concerne le premier de ces objectifs, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 63 de ses conclusions, et ainsi qu’il a été constaté par la Cour au point 54 de l’arrêt Placanica e.a., précité, le secteur des jeux de hasard en Italie a longtemps été marqué par une politique d’expansion dans le but d’augmenter les recettes fiscales et aucune justification ne saurait par conséquent être tirée dans ce contexte des objectifs de limitation de la propension au jeu des consommateurs ou de limitation de l’offre de jeux. Dans la mesure où le décret Bersani a encore augmenté de façon significative le nombre d’occasions de jeu par rapport à l’époque examinée dans l’affaire Placanica e.a., cette conclusion s’applique avec encore plus de force dans la situation actuelle du secteur.

63

Ensuite, en ce qui concerne le second des objectifs invoqués, il ressort d’une jurisprudence constante que les restrictions imposées par les États membres doivent satisfaire au principe de proportionnalité et qu’une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si les moyens mis en œuvre sont cohérents et systématiques (arrêt Placanica e.a., précité, points 48 et 53).

64

Or, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 67 de ses conclusions, les règles sur les distances minimales ont été imposées uniquement aux nouveaux concessionnaires, à l’exclusion de ceux déjà établis. Dès lors, même si un régime de distance minimale entre points de vente pourrait en soi être justifié, il ne saurait être admis que de telles restrictions soient appliquées dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, où elles désavantageraient uniquement les nouveaux concessionnaires entrant sur le marché.

65

En tout état de cause, un régime de distance minimale entre points de vente ne pourrait être justifié que si de telles règles, ce qu’il appartiendrait à la juridiction nationale de vérifier, n’avaient pas pour véritable objectif de protéger les positions commerciales des opérateurs existants plutôt que celui, invoqué par le gouvernement italien, de canaliser la demande pour les jeux de hasard dans des circuits contrôlés. Par ailleurs, il incomberait, le cas échéant, à la juridiction de renvoi de vérifier que l’obligation de respecter des distances minimales, qui empêche l’implantation de points de vente additionnels dans des zones fortement fréquentées par le public, est vraiment de nature à atteindre l’objectif invoqué et aura effectivement pour conséquence que les nouveaux opérateurs choisiront de s’établir à des endroits peu fréquentés et assureront ainsi une couverture nationale.

66

Il convient, par conséquent, de répondre à la première partie de la question posée que les articles 43 CE et 49 CE ainsi que les principes d’égalité de traitement et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre qui a, en violation du droit de l’Union, exclu une catégorie d’opérateurs de l’attribution de concessions pour l’exercice d’une activité économique, et qui cherche à remédier à cette violation en mettant en concours un nombre important de nouvelles concessions, protège les positions commerciales acquises par les opérateurs existants en prévoyant notamment des distances minimales entre les implantations des nouveaux concessionnaires et celles des opérateurs existants.

Sur les nouvelles restrictions introduites à la suite de l’adoption du décret Bersani

67

Par la seconde partie de sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un cadre réglementaire national, tel que celui en cause dans les affaires au principal, qui prévoit la déchéance de la concession pour les activités de collecte et de gestion des paris ainsi que la perte de garanties pécuniaires établies afin d’obtenir une telle concession, dans l’hypothèse où

soit une procédure pénale serait initiée à l’encontre du titulaire de la concession, de son représentant légal ou de son administrateur pour des délits «susceptibles de porter atteinte aux relations de confiance avec l’AAMS», ainsi que prévu à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du projet de convention;

soit le titulaire de la concession commercialiserait, sur le territoire national ou au moyen de sites télématiques situés en dehors du territoire national, des jeux de hasard assimilables à ceux gérés par l’AAMS ou des jeux de hasard prohibés par l’ordre juridique national, ainsi que prévu à l’article 23, paragraphe 3, du projet de convention.

68

Il ressort à cet égard des documents soumis à la Cour que, bien que ledit article 23 du projet de convention prévoie formellement des hypothèses de déchéance de la concession, ces hypothèses de déchéance constituent en pratique aussi des conditions d’accès à une concession en raison du fait qu’un opérateur qui ne les satisfait pas au moment de l’octroi de la concession se verrait immédiatement déchu de sa concession. Étant donné que, eu égard au mode opérationnel de Stanley, c’est à Stanley qu’incombe en principe l’obligation d’obtenir une concession, ce qui permettrait aux CTD, tels que ceux gérés par MM. Costa et Cifone, d’exercer leurs activités, tout obstacle à l’octroi d’une concession à Stanley restreint automatiquement aussi les activités de ces derniers.

Observations liminaires

69

Il convient de rappeler, à titre liminaire, que les articles 43 CE et 49 CE exigent la suppression de toute restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, même si cette restriction s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

70

Il est constant qu’une législation nationale, telle que celle en cause dans les affaires au principal, qui subordonne l’exercice d’une activité économique à l’obtention d’une concession et prévoit diverses hypothèses de déchéance de la concession constitue une entrave aux libertés ainsi garanties par les articles 43 CE et 49 CE.

71

De telles restrictions peuvent toutefois être admises au titre des mesures dérogatoires expressément prévues aux articles 45 CE et 46 CE ou justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition qu’elles respectent les exigences découlant de la jurisprudence de la Cour quant à leur proportionnalité. Un certain nombre de raisons impérieuses d’intérêt général, telles que les objectifs de protection des consommateurs, de prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu ainsi que de prévention de troubles à l’ordre social en général, ont été admises à cet égard par la jurisprudence (arrêt Placanica e.a., précité, points 45, 46 et 48).

72

Il découle, par ailleurs, des dispositions et des principes cités au point 54 du présent arrêt que, lors de l’attribution de concessions telles que celles dans les affaires au principal, l’autorité concédante est tenue à une obligation de transparence consistant notamment à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture de la concession à la concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’attribution (arrêts précités Commission/Italie, point 24 et jurisprudence citée; Sporting Exchange, points 40 et 41, ainsi que Engelmann, point 50).

73

Le principe de transparence, qui est un corollaire du principe d’égalité, a, dans ce contexte, essentiellement pour but d’assurer que tout opérateur intéressé peut décider de soumissionner à des appels d’offres sur le fondement de l’ensemble des informations pertinentes et de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Il implique que toutes les conditions et les modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque, de façon, d’une part, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, d’autre part, à encadrer le pouvoir discrétionnaire de l’autorité concédante et de mettre celle-ci en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant la procédure en cause (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C-496/99 P, Rec. p. I-3801, point 111, ainsi que du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a., C-250/06, Rec. p. I-11135, points 45 et 46).

74

Le principe de sécurité juridique exige, par ailleurs, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a., C-17/03, Rec. p. I-4983, point 80 et jurisprudence citée).

75

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner la seconde partie de la question préjudicielle.

Sur la déchéance de la concession en raison de l’ouverture d’une procédure pénale

76

Comme le relève M. l’avocat général au point 93 de ses conclusions, l’exclusion d’opérateurs dont les gestionnaires ont fait l’objet de condamnations pénales peut en principe être considérée comme une mesure justifiée par l’objectif de la lutte contre la criminalité. Ainsi que la Cour l’a jugé itérativement, les jeux de hasard comportent en effet des risques particulièrement élevés de délits et de fraudes compte tenu de l’importance des sommes qu’ils permettent de collecter et des gains qu’ils peuvent offrir aux joueurs (arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 63).

77

La déchéance de la concession constitue toutefois une mesure particulièrement grave pour le concessionnaire, a fortiori dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, où elle entraîne automatiquement, en vertu de l’article 23, paragraphe 6, du projet de convention, la perte d’une garantie pécuniaire importante ainsi que d’éventuelles obligations de réparation de dommages subis par l’AAMS.

78

Afin de permettre à tout soumissionnaire potentiel d’évaluer avec certitude le risque que de telles sanctions lui seront appliquées, de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur et, enfin, de garantir le respect du principe de sécurité juridique, il est par conséquent nécessaire que les circonstances dans lesquelles lesdites sanctions seront appliquées soient formulées de manière claire, précise et univoque.

79

La référence, figurant à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du projet de convention, aux «délits visés par la loi no 55 du 19 mars 1990», qui concerne des délits mafieux ainsi que d’autres formes de criminalité comportant un danger grave pour la société, apparaît, sous réserve d’une vérification de la part de la juridiction de renvoi, satisfaire à cette exigence. En revanche, et également sous réserve d’une vérification de la part de la juridiction de renvoi, tel n’apparaît pas être le cas en ce qui concerne la référence de cette même disposition à «toutes les autres hypothèses de délits susceptibles de porter atteinte aux relations de confiance avec l’AAMS». Il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner si un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent aurait été en mesure de comprendre la portée exacte de cette référence.

80

Dans le cadre de cet examen, elle devra notamment tenir compte, d’une part, du fait que les soumissionnaires potentiels disposaient d’un délai inférieur à deux mois pour examiner les documents relatifs à l’appel d’offres et, d’autre part, de l’attitude de l’AAMS à la suite des demandes de clarification qui lui ont été adressées par Stanley.

81

En tout état de cause, il ressort d’une jurisprudence constante que les restrictions imposées par la réglementation nationale ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (arrêt Gambelli e.a., précité, point 72). S’il peut, par conséquent, sous certaines conditions, s’avérer justifié de prendre des mesures préventives à l’encontre d’un opérateur de jeux de hasard soupçonné, sur le fondement d’indices probants, d’être impliqué dans des activités criminelles, une exclusion du marché par la déchéance de la concession devrait, en principe, être considérée comme proportionnée à l’objectif de lutte contre la criminalité seulement si elle est fondée sur un jugement ayant autorité de chose jugée et concernant un délit suffisamment grave. Une législation prévoyant, même de façon temporaire, l’exclusion d’opérateurs du marché pourrait être considérée comme proportionnée seulement à condition de prévoir un recours en justice efficace ainsi qu’un dédommagement du préjudice subi au cas où, par la suite, cette exclusion se révélerait injustifiée.

82

Il apparaît, par ailleurs, sous réserve d’une vérification de la part de la juridiction de renvoi, que le motif de déchéance figurant à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du projet de convention a fait obstacle, en pratique, à la participation aux appels d’offres de 2006 d’opérateurs, tels que Stanley, dont les représentants faisaient à cette époque l’objet de procédures pénales engagées avant le prononcé de l’arrêt Placanica e.a., précité, qui ont abouti à des décisions de relaxe à un stade ultérieur.

83

Il convient de rappeler, dans ce contexte, qu’il ressort de l’arrêt Placanica e.a., précité, que la République italienne ne saurait appliquer des sanctions pénales pour l’exercice d’une activité organisée de collecte de paris sans concession ou autorisation de police à des personnes liées à un opérateur qui avait été exclu des appels d’offres pertinents en violation du droit de l’Union (point 70 de l’arrêt). Cet arrêt fut prononcé le 6 mars 2007, soit quatre mois après le délai du 20 octobre 2006 fixé pour la soumission de candidatures dans l’appel d’offres prévu par le décret Bersani.

84

Par conséquent, dans la mesure où des procédures pénales engagées à l’encontre d’un opérateur, tel que Stanley, ou de ses représentants ou administrateurs, qui, à la lumière notamment de l’arrêt Placanica e.a., précité, se sont révélées ultérieurement dénuées de fondement légal, étaient pendantes au moment de l’appel d’offres prévu par le décret Bersani, de façon à rendre pratiquement impossible la participation d’un tel opérateur à cet appel d’offres sous peine de se voir immédiatement déchu de sa concession en raison desdites procédures, il doit être considéré que le nouvel appel d’offres n’a pas effectivement remédié à l’exclusion dudit opérateur de l’appel d’offres antérieur critiqué dans l’arrêt Placanica e.a., précité.

85

Partant, et pour les mêmes raisons que celles énoncées dans cet arrêt, des sanctions pour l’exercice d’une activité organisée de collecte de paris sans concession ou sans autorisation de police ne sauraient être appliquées à des personnes, telles que MM. Costa et Cifone, liées à un opérateur, tel que Stanley, qui avait été exclu des appels d’offres antérieurs en violation du droit de l’Union, même après le nouvel appel d’offres prévu par le décret Bersani.

86

Compte tenu de la réponse à apporter à cette partie de la question au regard des considérations susvisées, il n’est pas nécessaire d’examiner si, et le cas échéant dans quelle mesure, la disposition contestée porte atteinte, ainsi que le font valoir MM. Costa et Cifone, à la présomption d’innocence qui fait partie des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui est énoncée à l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Sur la déchéance de la concession en raison de la commercialisation de jeux de hasard au moyen de sites télématiques situés en dehors du territoire national

87

Ainsi que le démontrent tant les échanges entre Stanley et l’AAMS, résumés aux points 21 à 26 du présent arrêt, que le fait que M. l’avocat général se soit vu contraint de présenter, aux points 72 à 89 de ses conclusions, deux solutions alternatives fondées sur des hypothèses d’interprétation radicalement différentes de l’article 23, paragraphe 3, du projet de convention, cette dernière disposition manque de clarté.

88

Il existe en effet une incertitude quant à l’objectif et à l’effet de cette disposition, qui pourraient être soit d’empêcher qu’un concessionnaire commercialise activement sur le territoire italien des jeux de hasard autres que ceux pour lesquels il détient une concession, soit d’empêcher toute activité transfrontalière en matière de jeux de hasard, en particulier une activité exercée sur un mode opérationnel tel que celui de Stanley avec un recours à des CTD.

89

À cet égard, certes l’interprétation des dispositions du droit national incombe, dans le cadre du système de coopération établi à l’article 267 TFUE, aux juridictions nationales et non à la Cour (arrêt Placanica e.a., précité, point 36). Toutefois, il découle de la jurisprudence citée aux points 72 à 74 du présent arrêt que le droit de l’Union requiert que les conditions et les modalités d’un appel d’offres tel que celui en cause dans les affaires au principal soient formulées de manière claire, précise et univoque. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne l’article 23, paragraphe 3, du projet de convention, et cela même à la lumière des explications additionnelles fournies par l’AAMS à la demande de Stanley.

90

Force est de constater qu’il ne saurait être reproché à un opérateur, tel que Stanley, d’avoir renoncé à présenter une candidature pour une concession en l’absence de toute sécurité juridique, tant que l’incertitude demeurait sur la conformité du mode opérationnel de cet opérateur avec les dispositions de la convention à souscrire lors de l’attribution d’une concession. Dans la mesure où un tel opérateur avait été exclu de l’appel d’offres antérieur critiqué dans l’arrêt Placanica e.a., précité, en violation du droit de l’Union, il doit être considéré que le nouvel appel d’offres n’a pas effectivement remédié à ladite exclusion dudit opérateur.

91

À la lumière de l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la seconde partie de la question posée que les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que des sanctions soient appliquées pour l’exercice d’une activité organisée de collecte de paris sans concession ou sans autorisation de police à des personnes liées à un opérateur qui avait été exclu d’un appel d’offres en violation du droit de l’Union, même après le nouvel appel d’offres destiné à remédier à cette violation du droit de l’Union, dans la mesure où cet appel d’offres et l’attribution conséquente de nouvelles concessions n’ont pas effectivement remédié à l’exclusion illégale dudit opérateur de l’appel d’offres antérieur.

92

Il découle des articles 43 CE et 49 CE, du principe d’égalité de traitement, de l’obligation de transparence ainsi que du principe de sécurité juridique que les conditions et les modalités d’un appel d’offres, tel que celui en cause dans les affaires au principal, et notamment les dispositions prévoyant la déchéance de concessions octroyées au terme d’un tel appel d’offres, telles que celles figurant à l’article 23, paragraphes 2, sous a), et 3, du projet de convention, doivent être formulées de manière claire, précise et univoque, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

93

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

1)

Les articles 43 CE et 49 CE ainsi que les principes d’égalité de traitement et d’effectivité doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre qui a, en violation du droit de l’Union, exclu une catégorie d’opérateurs de l’attribution de concessions pour l’exercice d’une activité économique, et qui cherche à remédier à cette violation en mettant en concours un nombre important de nouvelles concessions, protège les positions commerciales acquises par les opérateurs existants en prévoyant notamment des distances minimales entre les implantations des nouveaux concessionnaires et celles des opérateurs existants.

 

2)

Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que des sanctions soient appliquées pour l’exercice d’une activité organisée de collecte de paris sans concession ou sans autorisation de police à des personnes liées à un opérateur qui avait été exclu d’un appel d’offres en violation du droit de l’Union, même après le nouvel appel d’offres destiné à remédier à cette violation du droit de l’Union, dans la mesure où cet appel d’offres et l’attribution conséquente de nouvelles concessions n’ont pas effectivement remédié à l’exclusion illégale dudit opérateur de l’appel d’offres antérieur.

 

3)

Il découle des articles 43 CE et 49 CE, du principe d’égalité de traitement, de l’obligation de transparence ainsi que du principe de sécurité juridique que les conditions et les modalités d’un appel d’offres, tel que celui en cause dans les affaires au principal, et notamment les dispositions prévoyant la déchéance de concessions octroyées au terme d’un tel appel d’offres, telles que celles figurant à l’article 23, paragraphes 2, sous a), et 3, du projet de convention entre l’administration autonome des monopoles de l’État et l’adjudicataire de la concession concernant des jeux de hasard afférents aux événements autres que les courses de chevaux, doivent être formulées de manière claire, précise et univoque, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’italien.

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