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Document 62010CC0378

Conclusions de l'avocat général Jääskinen présentées le 15 décembre 2011.
VALE Építési kft.
Demande de décision préjudicielle: Legfelsőbb Bíróság - Hongrie.
Articles 49 TFUE et 54 TFUE - Liberté d’établissement - Principes d’équivalence et d’effectivité - Transformation transfrontalière - Refus de l’inscription au registre.
Affaire C-378/10.

Recueil de jurisprudence 2012 -00000

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:841

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 15 décembre 2011 ( 1 )

Affaire C‑378/10

VALE Építési kft

[demande de décision préjudicielleformée par le Magyar Köztársaság Legfelsőbb Bíróság (Hongrie)]

«Liberté d’établissement — Articles 49 TFUE et 54 TFUE — Déplacement du siège social d’une société relevant d’un État membre vers un autre État membre avec changement du droit national applicable (‘reconstitution transfrontalière d’une société de capitaux’) — Réglementation nationale ne permettant pas d’inscrire au registre national des sociétés, en tant que prédécesseur en droit d’une société, une société constituée dans un autre État membre — Réglementation nationale permettant l’inscription d’une telle mention si ledit prédécesseur est une société constituée en Hongrie»

I – Introduction

1.

La présente procédure de renvoi préjudiciel a trait à la problématique de la mobilité transfrontalière des sociétés au sein du marché unique. La demande soumise à la Cour porte sur l’interprétation des articles 43 CE et 48 CE — qui sont devenus les articles 49 TFUE et 54 TFUE — et a été présentée dans le cadre d’une procédure gracieuse faisant suite au déplacement transfrontalier d’une société de droit italien vers la Hongrie moyennant le transfert de son siège social, impliquant sa radiation du registre italien des sociétés, un changement du droit applicable et la reconstitution de celle-ci en une société de droit hongrois qui prétend être le successeur universel de ladite société italienne.

2.

La réglementation hongroise en cause dans cette affaire permet d’inscrire dans le registre national des sociétés, en tant que prédécesseur en droit d’une société, une société constituée en Hongrie. Par contre, ladite réglementation ne permet pas l’inscription d’une telle mention si le prédécesseur est une société constituée dans un autre État membre, comme c’est le cas dans l’affaire au principal.

3.

La présente affaire s’inscrit dans une lignée d’arrêts de la Cour relatifs au droit européen des sociétés, tels que les arrêts Daily Mail and General Trust, Centros, Überseering, Inspire Art, SEVIC Systems et Cartesio ( 2 ). Elle présente néanmoins un aspect novateur dès lors que la Cour est invitée à se prononcer sur l’étendue des obligations d’un État membre d’accueil en cas de «reconstitution transfrontalière d’une société de capitaux» ( 3 ).

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

Ni le droit primaire ni le droit dérivé de l’Union ne comportent de dispositions régissant la reconstitution transfrontalière d’une société d’un État membre ou encore le transfert international du siège statutaire d’une telle société ( 4 ).

5.

Toutefois, le règlement (CE) no 2157/2001 du Conseil, du 8 octobre 2001, relatif au statut de la société européenne (SE) ( 5 ), prévoit à son article 8 des dispositions détaillées concernant le transfert du siège statutaire d’une SE. De même, le règlement (CE) no 1435/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, relatif au statut de la société coopérative européenne (SEC) ( 6 ), ouvre aux coopératives européennes une possibilité de transfert de leur siège statutaire. En outre, la directive 2005/56/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux ( 7 ), institue un cadre juridique aux fins de telles fusions.

B – Le droit national

6.

Les dispositions essentielles du droit national se trouvent dans deux instruments ( 8 ).

7.

Il s’agit, d’une part, de la loi no V de 2006, concernant la publicité relative aux sociétés, la procédure juridictionnelle d’enregistrement des sociétés et la mise en liquidation volontaire (A cégnyilvánosságról, a bírósági cégeljárásról és a végelszámolásról szóló 2006. évi V. törvény) ( 9 ) (ci-après la «loi relative à l’enregistrement des sociétés»). Les dispositions pertinentes de cette loi figurent aux articles 24 à 29 et 57, paragraphe 4.

8.

Il s’agit, d’autre part, de la loi no IV de 2006, relative aux sociétés commerciales (A gazdasági társaságokról szóló 2006. évi IV. törvény) ( 10 ) (ci-après la «loi relative aux sociétés commerciales»). Les dispositions pertinentes de cette loi aux fins de la présente affaire figurent notamment aux articles 3, 69, paragraphe 1, 71, 73, 74 et 75.

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

9.

VALE Costruzioni Srl (ci-après «VALE Costruzioni»), société à responsabilité limitée de droit italien, a été inscrite au registre des sociétés de Rome (Italie) le 16 novembre 2000.

10.

Le 3 février 2006, VALE Costruzioni a demandé à être radiée dudit registre en indiquant son intention de transférer son siège social et son activité en Hongrie, et de cesser son activité en Italie.

11.

Conformément à cette demande, l’autorité chargée de la tenue du registre à Rome a procédé à la radiation de VALE Costruzioni le 13 février 2006. Comme cela ressort du dossier, il est inscrit au registre, sous l’intitulé «Radiation et transfert du siège», que «la société a déménagé en Hongrie». L’extrait du registre italien des sociétés montre que VALE Costruzioni a désigné la Hongrie comme le pays de son siège social, en indiquant l’adresse située à Budapest (Hongrie).

12.

Le 14 novembre 2006, à savoir neuf mois plus tard, à Rome, le directeur de VALE Costruzioni et une autre personne physique ont approuvé les statuts de VALE Építési kft (ci-après «VALE Építési»), société à responsabilité limitée de droit hongrois, en vue d’une inscription au registre des sociétés en Hongrie. Le préambule de l’acte constitutif indique que «la société initialement établie en Italie selon le droit italien a décidé de transférer son siège en Hongrie et d’opérer selon le droit hongrois». Conformément à l’acte constitutif, la moitié du capital social a été libéré dans la mesure requise, selon la loi hongroise, et versé le 14 décembre 2006 sur le compte ouvert au nom de VALE Építési en Hongrie. L’acte constitutif situe le siège social à la même adresse à Budapest.

13.

Le 19 janvier 2007, le représentant de VALE Építési a introduit une demande auprès du Fővárosi Bíróság (tribunal métropolitain de Budapest, Hongrie) opérant comme cégbíróság (tribunal des sociétés) en vue de l’enregistrement de la société selon le droit hongrois. Dans sa demande, il a mentionné VALE Costruzioni comme prédécesseur en droit de VALE Építési.

14.

Ledit tribunal, chargé en premier ressort de la tenue du registre, a rejeté la demande d’enregistrement formée par VALE Építési. Le Fővárosi Ítélőtábla (cour régionale de Budapest), saisie sur appel de ladite société, a confirmé cette ordonnance de rejet. Aux termes de sa décision, la société constituée et enregistrée en Italie ne peut pas, en vertu des règles hongroises applicables aux sociétés, transférer son siège social en Hongrie et ne peut pas s’y faire enregistrer sous la forme demandée. Selon cette juridiction, conformément à la loi relative à l’enregistrement des sociétés, il n’est pas possible de mentionner en tant que prédécesseur en droit une société qui n’est pas hongroise. Seules peuvent figurer dans le registre des sociétés les mentions énumérées aux articles 24 à 29 de ladite loi.

15.

VALE Építési a introduit un pourvoi en cassation devant le Magyar Köztársaság Legfelsőbb Bírósága (Cour suprême de la République de Hongrie), c’est-à-dire la juridiction de renvoi. VALE Építési a fait valoir que la décision attaquée violait les dispositions directement applicables des articles 43 CE et 48 CE dès lors que celle-ci n’opérerait aucune distinction entre, d’une part, le transfert international du siège social d’une société, lequel n’impliquerait ni la modification de la personnalité juridique d’origine de la société ni un changement de la loi applicable, et, d’autre part, la transformation internationale d’une société, laquelle impliquerait un tel changement.

16.

Selon la juridiction de renvoi, la difficulté pratique de la présente affaire réside dans la circonstance que le registre des sociétés est organisé selon un système de «cases», le contenu des diverses cases étant déterminé par les articles 24 à 29 de la loi relative à l’enregistrement des sociétés. Une entreprise souhaitant exercer son droit d’établissement non pas en transférant son siège social en Hongrie, mais en créant une nouvelle société hongroise, et souhaitant indiquer dans les statuts qu’elle a précédemment opéré dans un autre État membre, ne pourrait faire référence à cette circonstance qu’en indiquant la date de la transformation. À cet égard, la juridiction de renvoi confirme l’appréciation du Fővárosi Bíróság en relevant qu’un transfert du siège social impliquant une reconstitution de la société selon le droit hongrois et la mention de son auteur italien, comme le demande VALE Építési, ne peut pas être considéré, en droit hongrois, comme une transformation.

17.

Dans ces circonstances, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’État membre d’accueil doit-il prendre en considération les articles 43 [CE] et 48 CE lorsqu’une société constituée dans un autre État membre (l’État d’origine) y transfère son siège social, tout en étant radiée — pour ce motif — du registre des sociétés de l’État membre d’origine, que les actionnaires de la société approuvent le nouvel acte constitutif dressé en conformité avec le droit de l’État d’accueil et que la société demande son inscription dans le registre des sociétés de l’État membre d’accueil conformément au droit de celui-ci?

2)

Si la première question doit recevoir une réponse affirmative, faut-il interpréter les articles 43 [CE] et 48 CE en ce sens qu’y est contraire une réglementation ou pratique d’un État membre (d’accueil) qui dénie à une société régulièrement constituée selon le droit d’un autre État membre (d’origine) le droit de transférer son siège social dans l’État d’accueil et d’y continuer son activité selon le droit de cet État?

3)

Est-il important, pour répondre à la deuxième question, de tenir compte du motif pour lequel l’État membre d’accueil refuse à la société demanderesse l’inscription au registre, et plus particulièrement

du fait que la société demanderesse mentionne la société constituée dans l’État membre d’origine, et radiée du registre des sociétés de celui-ci, en tant que prédécesseur en droit dans son acte constitutif reçu dans l’État d’accueil et demande que ledit prédécesseur soit mentionné dans le registre des sociétés de l’État d’accueil comme son propre prédécesseur en droit?

du point de savoir si, en cas de transformation internationale intracommunautaire, l’État d’accueil a l’obligation de tenir compte, lorsqu’il examine une demande d’enregistrement d’une société, de l’acte de l’État membre d’origine par lequel le fait du transfert du siège social a été consigné dans le registre des sociétés dudit État membre, et, s’il doit en tenir compte, dans quelle mesure?

4)

L’État membre d’accueil peut-il examiner une demande d’enregistrement introduite dans cet État par une société réalisant une transformation internationale intracommunautaire en appliquant les règles de son droit interne concernant la transformation des sociétés au niveau national, c’est-à-dire en exigeant de la société que celle-ci réunisse toutes les conditions que son droit interne impose en cas de transformation nationale (par exemple, la préparation d’un bilan et d’un inventaire des actifs), ou bien les articles 43 [CE] et 48 CE obligent-ils cet État à distinguer la transformation internationale intracommunautaire et la transformation au niveau national, et, si tel est le cas, dans quelle mesure?»

IV – La procédure devant la Cour

18.

La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 28 juillet 2010. Des observations écrites ont été déposées par VALE Építési, les gouvernements hongrois et allemand, l’Irlande, les gouvernements italien, autrichien et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission et l’Autorité de surveillance AELE.

19.

Afin de compléter les éléments du dossier, la Cour a adressé au gouvernement italien et au représentant de VALE Építési des questions pour réponses écrites relatives à la portée des dispositions du droit italien ainsi qu’aux faits de l’espèce. Les réponses ont été enregistrées au greffe de la Cour le 22 juillet 2011.

20.

VALE Építési, les gouvernements hongrois et allemand, l’Irlande, les gouvernements italien, autrichien et du Royaume-Uni ainsi que la Commission et l’Autorité de surveillance AELE ont été représentés à l’audience, qui s’est tenue le 14 septembre 2011.

V – Analyse

A – Propos introductifs

21.

Par ses questions, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le droit de l’Union s’applique, et dans l’affirmative avec quels effets, au cas d’un transfert du siège social, voire d’une transformation, d’une société de capitaux légalement constituée dans un État membre A et ensuite radiée d’un registre des sociétés dans ledit État membre, en vue d’un transfert et d’un enregistrement dans un État membre B, avec changement du droit applicable. Dès lors que les dispositions du droit hongrois n’autorisent pas l’enregistrement d’une telle société avec mention d’une société d’un autre État membre comme son prédécesseur juridique, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la solution à apporter au regard des dispositions du droit de l’Union relatives à la liberté d’établissement.

22.

Au vu de la problématique soumise à la Cour, je propose de traiter les questions en deux parties, la première ayant trait à l’applicabilité des articles 49 TFUE et 54 TFUE ( 11 ) en matière de transformation des sociétés, la seconde partie portant sur les effets des dispositions relatives à la liberté d’établissement sur les dispositions nationales susceptibles de constituer des restrictions à la liberté d’établissement.

23.

Toutefois, trois points méritent d’emblée d’être abordés avant d’entamer l’analyse des questions préjudicielles. En premier lieu, certaines parties ont fait état de doutes quant à la recevabilité du renvoi préjudiciel. En deuxième lieu, il me paraît indispensable de clarifier la terminologie à employer. En troisième lieu, une dernière question préalable essentielle porte sur l’existence juridique de VALE Costruzioni au moment de l’introduction de la demande d’enregistrement en Hongrie.

B – Sur la recevabilité

24.

Dans leurs observations écrites, le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que l’Autorité de surveillance AELE relèvent, en ce qui concerne les deux dernières questions, que la décision de renvoi contient des lacunes susceptibles d’engendrer l’irrecevabilité des questions posées. En effet, ladite décision ne préciserait pas les conséquences juridiques attachées en droit italien à la radiation de VALE Costruzioni du registre des sociétés. Le gouvernement hongrois ainsi que la Commission font valoir qu’il ne ressortirait pas de ladite décision si VALE Costruzioni a ou non exercé une activité économique après sa radiation. Les gouvernements hongrois, autrichien et du Royaume-Uni remarquent par ailleurs que les statuts de VALE Építési ont été approuvés par des personnes en partie différentes des associés de VALE Costruzioni. Enfin, selon l’Irlande, il ne serait pas clair si le transfert du siège «social» vise le siège statutaire ou le siège réel.

25.

Pour autant, la recevabilité des questions préjudicielles ne me semble pas susciter de doutes. Cela résulte, selon moi, de la jurisprudence de la Cour selon laquelle, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 12 ). Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 13 ).

26.

Or, tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce. En dépit des imprécisions de la décision de renvoi quant aux particularités du droit italien, il me semble que la Cour dispose de suffisamment d’éléments pour pouvoir statuer. Les questions posées s’insèrent correctement dans le cadre juridique et factuel et portent sur un problème réel susceptible d’avoir des conséquences transversales pour l’ensemble du marché unique. En outre, ces questions n’ont pas encore fait l’objet d’une réponse précise de la Cour.

27.

Par ailleurs, la problématique des conséquences juridiques attachées à la radiation d’une société de capitaux du registre italien des sociétés, fait expressément mentionné par la juridiction nationale, semble particulièrement complexe et loin d’une interprétation univoque.

C – Sur la qualification précise à donner au cas d’espèce

28.

Il me paraît essentiel de préciser la terminologie à employer pour définir la nature de l’acte d’établissement de VALE Építési par des personnes ayant exercé une activité économique sous la forme d’une société à responsabilité limitée en droit italien, à savoir VALE Costruzioni, souhaitant voir VALE Építési venir aux droits de VALE Costruzioni. À cet égard, la première question qui se pose est de savoir s’il existe des cas de figure comparables en droit interne hongrois.

29.

Il ressort du dossier qu’une société hongroise à responsabilité limitée peut évidemment transférer son siège d’une localité à l’autre à l’intérieur du pays. Dans un tel cas, ni la forme juridique ni la loi applicable ne changent, et la personne juridique reste la même.

30.

En outre, selon le droit hongrois, «une société commerciale peut être constituée par transformation (c’est-à-dire par changement de forme sociale, par fusion et par scission)» ( 14 ). Une société à responsabilité limitée peut être transformée, par exemple, en une société par actions. Lors d’un tel changement de forme sociale, une nouvelle personne juridique est créée, mais elle est le successeur universel de la personne juridique transformée qui perd sa capacité juridique au moment de la transformation ( 15 ). Selon la législation hongroise, le changement de forme sociale peut aussi s’opérer par transfert du siège à l’intérieur du pays ( 16 ).

31.

L’opération effectuée dans le cas d’espèce se différencie d’un transfert du siège au niveau national, en ce que sa mise en œuvre nécessite la constitution d’une nouvelle personne juridique et la radiation de la société existante, dès lors que la législation hongroise ne prévoit pas un transfert transfrontalier du siège d’une société constituée à l’étranger.

32.

En outre, la juridiction de renvoi souligne que, selon le droit hongrois, le cas de figure de la mobilité d’une société, tel que celui de l’affaire au principal, ne saurait être qualifié de «transformation d’une société» puisque le droit hongrois des sociétés ne connaît que les trois formes de transformation susmentionnées.

33.

De surcroît, en droit de l’Union, VALE Costruzioni et VALE Építési ont la même forme sociale, à savoir celle d’une société à responsabilité limitée ( 17 ). Il est clair qu’il n’est nul besoin, dans l’ordre juridique national, de prévoir la transformation d’une société à responsabilité limitée en une société de même type, s’il ne s’agit pas d’une fusion ou d’une scission.

34.

Eu égard aux considérations qui précèdent, il me semble utile de qualifier l’opération réalisée en l’espèce de «reconstitution transfrontalière d’une société». Une telle opération implique un transfert du siège social avec changement de la loi applicable (ce changement résultant de la nécessité de constituer une nouvelle société selon le droit de l’État membre d’accueil pour pouvoir continuer les activités de la société initiale) ainsi que la radiation de la société initiale dans le pays d’origine.

35.

Je note, en outre, que l’objectif poursuivi en l’espèce par les sociétés et leurs associés aurait également pu être atteint en procédant à une fusion transfrontalière, par laquelle VALE Costruzioni aurait fusionné avec VALE Építési conformément à la directive 2005/56 ( 18 ).

D – Sur l’existence juridique de VALE Costruzioni en vertu du droit italien

1. Observations liminaires

36.

Ainsi que la Cour l’a souligné à plusieurs reprises, une société n’a d’existence qu’à travers la législation nationale qui en détermine la constitution et le fonctionnement ( 19 ). Dans cette optique, il s’agit ici de la transformation d’une société à responsabilité limitée de droit italien en une société de droit hongrois. Toutefois, une telle transformation n’est prévue ni par la législation actuelle de l’Union ( 20 ) ni par le droit hongrois.

37.

Il importe de souligner que la partie demanderesse dans le cadre de la procédure d’enregistrement en Hongrie est une société hongroise en formation (à savoir VALE Építési) qui, semble-t-il, possède une capacité limitée pour agir sur le plan procédural, bien qu’elle ne soit pas enregistrée. En outre, selon les informations données lors de l’audience par le représentant de VALE Építési, ladite société hongroise posséderait des actifs correspondant à une partie du capital social requis pour l’enregistrement ainsi qu’une direction et des associés, qui ne sont toutefois pas identiques à ceux de la société italienne.

38.

Or, dès lors que VALE Costruzioni a été radiée du registre des sociétés en Italie, c’est la question de l’existence même d’un prédécesseur de VALE Építési qui se trouve posée.

39.

Eu égard à la nécessité de clarifier un certain nombre d’éléments de droit national, VALE Építési et le gouvernement italien ont été invités par la Cour à se prononcer sur des questions supplémentaires.

2. Positions de VALE Építési et du gouvernement italien

40.

La première question adressée par la Cour au gouvernement italien avait trait aux conditions devant être remplies par une société italienne qui souhaite se transformer, moyennant le transfert du siège statutaire, en société relevant du droit d’un autre État membre. Dans sa réponse, ledit gouvernement confirme que le droit italien admet le déplacement du siège légal d’une société constituée en Italie vers un autre État. Selon le droit italien, le transfert du siège statutaire ne produit d’effets que s’il est effectué dans le respect de la réglementation des deux États membres concernés. Selon ledit gouvernement, la société ne continue à exister en tant que personne morale de droit italien que si les États entre lesquels elle se déplace s’accordent sur les conséquences d’une telle opération. Lorsque le transfert du siège s’accompagne du souhait de la société de ne plus relever du droit italien, la radiation du registre ne peut intervenir qu’après que l’immatriculation de la société a été effectuée à l’étranger ( 21 ).

41.

La deuxième question formulée par la Cour au gouvernement italien portait sur les effets, en droit italien, de la radiation d’une société du registre. Selon ledit gouvernement, à la suite de la réforme du droit italien des sociétés intervenue en 2003, la radiation des sociétés de capitaux comporte un effet extinctif. Toutefois, la question continue à se poser lorsque des rapports juridiques ou des actifs subsistent ou apparaissent après la radiation. Il est toutefois possible de procéder à l’annulation de la radiation de la société de capitaux, ce qui implique que la société concernée continue d’être considérée comme active, jusqu’à preuve du contraire. Le gouvernement italien a précisé lors de l’audience que la mention actuellement inscrite dans le registre des sociétés «a été transférée en Hongrie» pourrait être annulée avec effet rétroactif, par une requête en annulation des associés, si cette radiation de la société du registre était fondée sur une décision illégale. Dans cette hypothèse, le problème concernant l’existence ou l’inexistence de VALE Costruzioni aurait alors nécessairement disparu.

42.

La question adressée à VALE Építési portait en particulier sur les éléments démontrant la volonté, de la part de VALE Costruzioni, de procéder à une transformation. Dans sa réponse, VALE Építési souligne itérativement que la transformation et le transfert du siège social en Hongrie de VALE Costruzioni reposent sur une intention d’exercer de façon réelle et permanente une activité économique. VALE Építési fait valoir que cette décision, prise par VALE Costruzioni en bonne et due forme, bien avant sa radiation du registre des sociétés, prouve une intention constante et explicite des associés qui n’est pas affectée par le laps de temps relativement important qui s’est écoulé entre la radiation de VALE Costruzioni en Italie et la demande d’enregistrement de VALE Építési en Hongrie.

3. Appréciation

43.

Compte tenu des éléments qui précèdent, il est possible d’analyser la situation sous deux angles différents.

44.

D’une part, VALE Costruzioni n’existe plus au sens du droit italien et le transfert accepté par le droit italien ne peut pas être achevé dès lors que la société n’existe plus. Toutefois, se posent alors les questions de savoir à qui appartiennent les actifs de la société, notamment le capital libéré en vue de l’inscription en Hongrie, et qui porte la responsabilité des obligations de la société à l’égard des tiers ( 22 ). Il convient notamment de s’interroger sur la nature du rapport entre les associés de la société radiée.

45.

D’autre part, VALE Építési n’existe pas encore en tant que personne morale en droit hongrois, puisque l’enregistrement en Hongrie de cette société a été refusé. Cependant, cette société en formation a eu la qualité juridique requise pour agir comme partie devant la juridiction nationale ainsi que devant la Cour.

46.

Ces deux aspects sont susceptibles de donner lieu à des débats métaphysiques, fondés sur les théories classiques concernant l’existence et la nature des personnes morales, portant notamment sur la continuité de leurs identités dans le temps en cas de transformation ou de succession. Il me semble cependant que, aux fins de l’application des dispositions du droit de l’Union sur la liberté d’établissement, les réalités de la vie économique pratique devraient avoir davantage de poids que les aspects théoriques du droit des personnes morales.

47.

À cet égard, j’aimerais rappeler la formule de l’avocat général Darmon dans l’affaire Daily Mail and General Trust au sujet de la finalité du droit d’établissement, selon laquelle s’établir «c’est s’intégrer à une économie nationale» et que «[l]a notion d’établissement est, elle-même, essentiellement économique. Elle implique, toujours, un lien économique effectif» ( 23 ). De plus, ainsi que l’avocat général La Pergola l’a constaté dans l’affaire Centros, «[l]e droit d’établissement est essentiel aux fins de la mise en œuvre des objectifs préfigurés par le traité [CE], qui entend garantir, indistinctement à tous les citoyens communautaires, la liberté d’entreprise économique à travers les instruments apprêtés par le droit national, en leur assurant la chance de s’insérer sur le marché» et il «s’agit de protéger l’opportunité d’une initiative économique et, ensemble avec elle, la liberté commerciale de se servir des instruments prévus à cette fin dans les ordres juridiques des États membres» ( 24 ).

48.

Dans le cas de VALE Costruzioni, il est question d’une entité économique constituée en vertu du droit italien par les associés, de leurs engagements mutuels, des actifs sociaux et d’un objectif social de poursuite de l’activité de VALE Costruzioni en Hongrie, sous la forme d’une société correspondante de droit hongrois. Quand bien même cette entité aurait perdu sa personnalité morale selon le droit italien et son successeur ne l’aurait pas encore acquise selon le droit hongrois, VALE Építési ou ses associés devraient pouvoir invoquer la liberté d’établissement en Hongrie en vue d’y continuer une activité économique, telle que définie dans les statuts de la société radiée et dans les statuts de celle en formation.

49.

Cet aspect tenant à l’intention des associés me semble primordial dans l’analyse de l’applicabilité de la liberté d’établissement ( 25 ). C’est non pas la société italienne, probablement inexistante en l’état, mais capable de renaître, mais bien la société hongroise en formation et les personnes physiques qui s’y sont associées qui invoquent la liberté d’établissement.

50.

Cela étant acquis, il importe peu de savoir, aux fins de l’applicabilité de la liberté d’établissement, si VALE Costruzioni a continué à exister après février 2006 ou si VALE Costruzioni a cessé d’exister d’une manière précoce à cause d’une inscription éventuellement erronée, qui aurait été effectuée dans le registre des sociétés de Rome. En tout état de cause, il existe des personnes physiques, ressortissantes d’un État membre, qui ont exercé la liberté d’établissement dans un État membre et qui ont toujours une intention de l’exercer dans l’autre. Dès lors, la situation relève soit de l’article 54 TFUE, soit de l’article 49 TFUE.

51.

S’agissant de l’applicabilité desdites dispositions du traité FUE, je tiens à préciser que la nationalité des associés ne devrait pas jouer un rôle décisif: s’il s’agit de ressortissants italiens, l’élément transfrontalier vers la Hongrie est présent et, même s’il s’agissait de ressortissants hongrois, la solution serait identique, puisque, dans ce cas de figure, les associés rapatrieraient l’entreprise d’Italie vers leur pays d’origine.

52.

En revanche, la continuité de l’existence juridique de la première société au moment de la naissance juridique de la société destinée à lui succéder en droit revêt un autre aspect tenant aux conditions fixées par l’État membre d’accueil afin que la société en formation puisse être considérée comme le successeur de la première société. La législation italienne ainsi que les dispositions analogues du droit de l’Union ( 26 ) partent du principe selon lequel la succession n’est possible que si le successeur existe avant que le prédécesseur ne perde sa capacité juridique. La portée de ce principe doit être appréciée dans le cadre des troisième et quatrième questions.

E – Sur l’applicabilité de la liberté d’établissement dans la présente affaire (première et deuxième questions)

53.

La mobilité des sociétés au sein du marché unique peut prendre des formes multiples, telles que la création de filiales ou de succursales, le transfert du siège ou la fusion transfrontalière. La problématique du droit des sociétés relève, d’une part, de la liberté d’établissement, sur le plan du droit primaire, et, d’autre part, d’une mise en œuvre législative plus spécifique, sur le plan du droit dérivé.

54.

Il est notoire que l’harmonisation législative en ce domaine est loin d’être aboutie dans l’Union européenne. Toutefois, le législateur de l’Union est déjà intervenu dans les domaines spécifiques.

55.

Ainsi, par exemple, le règlement no 2157/2001 ( 27 ) prévoit qu’une société européenne peut transférer son siège statutaire d’un État membre vers un autre État membre en conservant sa personnalité juridique, sans qu’un tel transfert ne donne lieu à la création d’une nouvelle personne morale. Toutefois, un tel transfert comporte nécessairement un changement en ce qui concerne le droit national applicable à cette société. De même, le règlement no 1435/2003 ( 28 ) permet un tel transfert du siège statutaire pour les coopératives européennes. De surcroît, la directive 2005/56 vise des situations où une société fusionne avec une société constituée dans un autre État membre.

56.

Le phénomène du transfert du siège n’est donc pas étranger au droit de l’Union. Naturellement, la possibilité prévue par les actes législatifs susmentionnés ne s’applique qu’aux types de sociétés relevant desdits actes. Il n’en demeure pas moins qu’une telle possibilité existe et que l’approche proposée par le législateur de l’Union est assez cohérente dans les trois domaines.

57.

S’agissant de la transformation d’une personne morale d’un ordre juridique à un autre, hormis les trois cas de figure susmentionnés, il n’existe aucune disposition au niveau de l’Union. Par conséquent, en l’état actuel du droit de l’Union, il appartient aux États membres de réglementer les modalités relatives à une telle transformation. À cet égard, il convient de rappeler que l’article 293 CE imposait aux États membres d’engager entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d’assurer, en faveur de leurs ressortissants, la reconnaissance mutuelle des sociétés, le maintien de la personnalité juridique en cas de transfert du siège d’un État membre à un autre et la possibilité de fusion de sociétés relevant de législations nationales différentes. Or, l’article 293 CE a été abrogé par le traité de Lisbonne, de sorte que le droit primaire ne prévoit plus de possibilité de conclure des conventions entre les États membres sur la reconnaissance mutuelle des sociétés.

58.

Cependant, en dépit de différentes difficultés juridiques tenant au droit des sociétés, au droit fiscal national ainsi qu’au droit international privé, c’est à la Cour qu’il est en revenu de donner les principales impulsions afin de faire évoluer le droit de l’Union en matière de sociétés, par ses arrêts de principe ouvrant la voie à une mobilité transfrontalière des sociétés.

59.

Ainsi, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement garantissent le droit d’établissement dans un autre État membre non seulement aux ressortissants de l’Union en application de l’article 49 TFUE, mais également aux sociétés définies à l’article 54 TFUE. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, ces dispositions visent notamment à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, mais elles s’opposent aussi à toute entrave à l’établissement, dans un autre État membre, d’un ressortissant d’un État membre ou d’une société constituée en conformité avec la législation d’un État membre ( 29 ).

60.

En effet, les États membres sont tenus, notamment depuis l’arrêt Überseering, précité, de reconnaître les sociétés valablement constituées en vertu de la législation de leur État membre de provenance, même en l’absence de lien matériel avec cet État. Une fois valablement créée, cette entité est censée pouvoir exercer la liberté d’établissement au sein de l’Union ( 30 ).

61.

Cette mobilité, consacrée par la jurisprudence, peut trouver sa limite dans des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité FUE. Toutefois, de telles mesures ne sont admissibles que si elles remplissent quatre conditions, à savoir qu’elles s’appliquent de manière non discriminatoire, qu’elles se justifient par des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif légitime qu’elles poursuivent et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ( 31 ).

62.

Ladite limite se matérialise également dans la notion d’abus de droit que les États membres peuvent préciser et mettre en œuvre ( 32 ).

63.

Indépendamment de l’interprétation très large des dispositions relatives à la liberté d’établissement, qui constitue une notion autonome du droit de l’Union, une autre limite à la mobilité des sociétés découle des règles en vertu desquelles la société en question a été constituée et dont la Cour souligne la pertinence. Dans l’affaire Überseering, elle a ainsi souligné que les modalités du transfert de siège sont déterminées par la législation nationale conformément à laquelle ladite société a été constituée ( 33 ).

64.

Dans l’arrêt Cartesio, la Cour a également jugé qu’«un État membre dispose ainsi de la faculté de définir tant le lien de rattachement qui est exigé d’une société pour que celle-ci puisse être considérée comme constituée selon son droit national et susceptible, à ce titre, de bénéficier du droit d’établissement que celui requis pour maintenir cette qualité ultérieurement. Cette faculté englobe la possibilité, pour cet État membre, de ne pas permettre à une société relevant de son droit national de conserver cette qualité lorsqu’elle entend se réorganiser dans un autre État membre par le déplacement de son siège sur le territoire de ce dernier, rompant ainsi le lien de rattachement que prévoit le droit national de l’État membre de constitution» ( 34 ).

65.

Ce qui est ainsi visé, c’est toutefois une situation dans laquelle aucun changement du droit applicable n’intervient. Or, ainsi que la Cour l’a également souligné dans l’arrêt Cartesio, un cas de transfert du siège d’une société constituée selon le droit d’un État membre dans un autre État membre, sans changement du droit dont elle relève, doit être distingué de celui relatif au déplacement d’une société relevant d’un État membre vers un autre État membre avec changement du droit national applicable, la société se transformant alors en une forme de société relevant du droit national de l’État membre dans lequel elle se déplace ( 35 ). Dans ce dernier cas, la faculté évoquée dans l’arrêt Cartesio ne saurait, en particulier, justifier que l’État membre de constitution, en imposant la dissolution et la liquidation de cette société, empêche celle-ci de se transformer en une société de droit national de l’autre État membre, pour autant que ce dernier droit le permette ( 36 ).

66.

Il s’ensuit qu’un changement du droit applicable a nécessairement une incidence sur l’applicabilité de la liberté d’établissement.

67.

S’agissant, en revanche, de l’État membre d’accueil, il importe de souligner la solution consacrée dans l’arrêt SEVIC Systems, relatif à un refus discriminatoire d’enregistrement d’une fusion transfrontière, alors même que la législation nationale prévoyait la possibilité de l’inscription des fusions nationales. Selon la Cour, «le champ d’application du droit d’établissement couvre toute mesure qui permet, ou même ne fait que faciliter, l’accès à un État membre autre que celui d’établissement et l’exercice d’une activité économique dans cet État, en rendant possible la participation des opérateurs économiques intéressés à la vie économique dudit État membre, aux mêmes conditions que celles applicables aux opérateurs nationaux» ( 37 ).

68.

Comme le souligne l’Autorité de surveillance AELE, il conviendrait de reconnaître aux sociétés, au sein du marché unique, la faculté de choisir librement le droit des sociétés qui leur est applicable. Une telle liberté de choix permettrait aux sociétés de choisir les conditions économiques les plus favorables et le système de droit des sociétés le plus avantageux ( 38 ). En effet, les sociétés souhaitent généralement transférer leur siège statutaire vers un autre État membre afin de bénéficier d’un meilleur accès à des financements et à des réductions de coûts. De surcroît, il est possible que la majeure partie des activités d’une société soit désormais réalisée dans un autre État membre. La reconstitution transfrontalière d’une société, alliée à un changement de droit applicable, constitue ainsi une modalité particulière d’exercice de la liberté d’établissement comparable à des opérations de fusion transfrontalière. Une telle reconstitution relève donc des activités économiques pour lesquelles les États membres sont tenus au respect de la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE.

69.

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que les articles du traité FUE relatifs à la liberté d’établissement s’appliquent à une reconstitution transfrontalière d’une société impliquant un changement du droit applicable, le transfert du siège social ainsi que la constitution d’une société conformément au droit de l’État membre d’accueil qui assume les droits et les obligations de ladite société en tant que successeur juridique. Il appartiendra à la juridiction nationale d’apprécier si les dispositions et les pratiques nationales en cause sont susceptibles d’entraver ladite liberté fondamentale, ce qui à mes yeux semble être le cas.

F – Sur les restrictions et leur justification (troisième et quatrième questions)

70.

La Cour a constaté, au point 112 de l’arrêt Cartesio, que la transformation d’une société en une société de droit d’un autre État membre est possible, «pour autant que ce droit le permette» ( 39 ). Il me semble évident que la Cour vise, par l’expression «ce droit», le droit de l’État membre d’accueil. Peut-on interpréter l’arrêt en ce sens que l’État membre d’accueil pourrait d’une façon arbitraire, soit interdire, soit permettre l’opération dans laquelle le siège social d’une société de capitaux et la loi applicable changent? À mon avis, tel n’est pas le cas.

71.

Je voudrais rappeler ici que le cas de figure de l’espèce combine, dans un cadre transfrontalier, des éléments de deux opérations permises et reconnues au niveau national en droit hongrois: le déplacement d’une société et la transformation d’une société en une autre sous forme de succession juridique universelle entre ces deux entités. La législation hongroise permet expressément que le déplacement et la transformation s’inscrivent dans le cadre d’une opération unique ( 40 ).

72.

Je considère que le principe de non-discrimination tel que la Cour l’a appliqué dans l’arrêt SEVIC Systems, précité, exige que l’État membre d’accueil permette en principe une reconstitution transfrontalière d’une société.

73.

L’État d’accueil peut certes imposer à la société de reconstituer toutes les conditions qui, selon le droit national, sont applicables aux situations analogues. Toutefois, il ne saurait appliquer des règles internes qui sont susceptibles d’empêcher la reconstitution transfrontalière pour la seule raison que le droit national des sociétés n’a pas envisagé une telle opération transfrontalière. Cela vaut tout particulièrement pour les entraves découlant des modalités d’inscription de mentions dans le registre national pertinent. Au point 30 dudit arrêt SEVIC Systems, la Cour a jugé que le fait de refuser de manière générale, dans un État membre, l’inscription au registre du commerce d’une fusion entre une société établie dans cet État et une société dont le siège est situé dans un autre État membre avait pour résultat d’empêcher la réalisation de fusions transfrontalières alors même que les intérêts liés aux raisons impérieuses d’intérêt général telles que la protection des intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des salariés ainsi que la préservation de l’efficacité des contrôles fiscaux et de la loyauté des transactions commerciales ne seraient pas menacés. En tout état de cause, une telle règle irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visant à protéger lesdits intérêts.

74.

Par conséquent, il convient, selon moi, d’interpréter la condition mentionnée au point 112 de l’arrêt Cartesio, précité, en ce sens que l’État d’accueil avait, dans l’affaire au principal, la possibilité de faire application de dispositions nationales relatives à la constitution et à la transformation d’une société à responsabilité limitée et d’imposer de la sorte à VALE Építési les obligations prévues par son droit interne dans de tels cas.

75.

Il incombe donc à VALE Építési de satisfaire à l’ensemble des conditions que la législation nationale impose à une société à responsabilité limitée en ce qui concerne, par exemple, le capital social, les associés et le contenu des statuts. De surcroît, l’État membre d’accueil peut exiger, pour pouvoir vérifier le transfert des actifs et des passifs à la nouvelle société, une continuité comptable entre les sociétés et requérir que le bilan d’ouverture de la société à constituer corresponde au bilan de clôture de la société prédécesseur. Il me semble également que ledit État membre peut demander que les actifs et les passifs de la société soient recensés et vérifiés par un réviseur afin de s’assurer du respect des règles relatives au capital social.

76.

En outre, je considère, tout comme la Commission, que l’État membre peut aussi faire application de règles spécifiques aux situations transfrontalières, dans la mesure où cela est justifié par la spécificité desdites situations, pour autant que ces règles ne soient ni discriminatoires ni disproportionnées. Ainsi, lorsque, en droit national, les mentions inscrites au registre des sociétés sont opposables aux tiers de bonne foi et ont un effet constitutif, tout en engageant la responsabilité sans faute de l’État en cas d’inexactitude, il n’y a pas lieu de faire application de ces principes aux données provenant des autorités d’autres États membres, dont l’exactitude ne peut être vérifiée par l’État membre d’accueil.

77.

La question primordiale est donc de savoir si la société en formation peut exiger que la société de l’autre État membre soit mentionnée comme son prédécesseur juridique. Il me semble qu’il convient de répondre par l’affirmative à cette question, pour autant que ladite société soit en mesure de prouver que la succession a été autorisée par la législation de l’État membre d’origine. En effet, je considère qu’une transmission des actifs entre la société prédécesseur et la société en formation ne peut avoir lieu qu’en vertu de l’ordre juridique d’origine.

78.

En revanche, s’agissant des créances et autres obligations de la société prédécesseur, je partage l’avis de l’Autorité de surveillance AELE selon lequel une mention dans le registre hongrois des sociétés de la succession juridique est de nature à protéger les créanciers, dès lors que l’arrêt Cartesio, précité, a rendu possible la «disparition» d’une société d’un État membre sans aucune liquidation. Le droit national de l’État d’accueil doit permettre à une société de faire connaître son statut de successeur d’une autre société, ce qui implique que la société en formation reprenne l’ensemble des droits et des obligations de la société qui l’a précédée ( 41 ).

79.

Toutefois, une telle transmission universelle n’est pas possible si la société prédécesseur a déjà perdu sa personnalité morale au moment de l’enregistrement de la société successeur. Dans cette hypothèse, le titulaire des droits et des obligations de la société prédécesseur seraient soit une société de fait dépourvue de personnalité juridique soit les associés pris collectivement, voire individuellement. Un tel cas de figure ne permet pas une succession juridique universelle entres les deux sociétés. Il s’ensuit, selon moi, en l’espèce, que les autorités hongroises ne sont pas tenues de reconnaître VALE Építési comme successeur juridique de VALE Costruzioni, à moins que la radiation de VALE Costruzioni du registre des sociétés en Italie n’ait été annulée au préalable.

VI – Conclusion

80.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Magyar Köztársaság Legfelsőbb Bíróság:

«1)

Les articles 49 TFUE et 54 TFUE sont applicables à un cas de ‘reconstitution transfrontalière d’une société’, c’est-à-dire lorsqu’une société constituée dans un État membre (État membre d’origine) transfère son siège social vers un autre État membre (État membre d’accueil), tout en étant radiée — pour ce motif — du registre des sociétés de l’État membre d’origine, que les actionnaires de la société approuvent l’acte constitutif de la nouvelle société dressé en conformité avec le droit de l’État membre d’accueil et que cette dernière société demande son inscription au registre des sociétés de l’État membre d’accueil conformément au droit de ce dernier.»

2)

Les articles 49 TFUE et 54 TFUE s’opposent à une réglementation ou à une pratique d’un État membre d’accueil qui dénie à une société régulièrement constituée selon le droit d’un autre État membre d’origine le droit de transférer son siège social dans l’État d’accueil et d’y continuer son activité sous la forme d’une société constituée selon le droit de cet État, à moins que cette restriction ne s’applique de manière non discriminatoire, se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général, est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

3)

En cas de reconstitution transfrontalière d’une société, la société concernée est tenue de prouver dans sa demande d’enregistrement, par des moyens dignes de foi et en s’appuyant sur des pièces justificatives authentifiées, que la société constituée dans l’autre État membre doit être considérée comme son prédécesseur en droit. Le fait que la société demande l’inscription de ce prédécesseur en droit dans le registre des sociétés de l’État membre d’accueil ne constitue pas en tant que tel un motif valable de rejet de sa demande d’inscription au registre des sociétés.

4)

En cas de reconstitution transfrontalière d’une société, les États membres peuvent prescrire l’application des dispositions du droit national des sociétés relatives aux transferts de siège social ainsi qu’aux transformations nationales, pour autant que celles-ci s’appliquent de manière non discriminatoire, se justifient par des raisons impérieuses d’intérêt général, soient propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Les États membres peuvent toutefois également prescrire l’application de dispositions spécifiques aux situations transfrontalières, pour autant que lesdites dispositions ne fassent pas peser sur les sociétés souhaitant exercer leur liberté d’établissement une charge plus lourde qu’en cas de transfert de siège ou de transformation à caractère national.»


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust (81/87, Rec. p. 5483); du 9 mars 1999, Centros (C-212/97, Rec. p. I-1459); du 5 novembre 2002, Überseering (C-208/00, Rec. p. I-9919); du 30 septembre 2003, Inspire Art (C-167/01, Rec. p. I-10155); du 13 décembre 2005, SEVIC Systems (C-411/03, Rec. p. I-10805), et du 16 décembre 2008, Cartesio (C-210/06, Rec. p. I-9641).

( 3 ) Dans les présentes conclusions, je me référerai à l’opération à l’origine de l’affaire au principal comme constitutive d’«une reconstitution transfrontalière d’une société de capitaux». Les raisons de cette qualification seront exposées ultérieurement.

( 4 ) Pour rappel, dans sa communication du 21 mai 2003 concernant la modernisation du droit des sociétés [COM(2003) 284 final], la Commission des Communautés européenne faisait part de son intention d’élaborer une proposition pour une quatorzième directive relative au transfert du siège d’un État membre vers un autre et a lancé, à cet égard, une consultation publique qui a été clôturée le 15 avril 2004. Or, la Commission n’a pas encore adopté, à ce jour, une telle proposition.

( 5 ) JO L 294, p. 1.

( 6 ) JO L 207, p. 1.

( 7 ) JO L 310, p. 1.

( 8 ) La teneur de ces instruments est exposée, dans la mesure où elle apparaît pertinente, dans les points suivants.

( 9 ) Magyar Közlöny 2006/1 (I. 4.), 4 janvier 2006, p. 99.

( 10 ) Magyar Közlöny 2006/1 (I. 4.), 4 janvier 2006, p. 24.

( 11 ) Nouvelle numérotation à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

( 12 ) Voir, entre autres, arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a. (C-395/08 et C-396/08, Rec. p. I-5119, point 18 ainsi que jurisprudence citée).

( 13 ) Eu égard à une jurisprudence constante, voir, notamment, arrêts du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C-222/05 à C-225/05, Rec. p. I-4233, point 22); du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C-188/10 et C-189/10, Rec. p. I-5667, point 27), ainsi que Bruno e.a., précité (point 19).

( 14 ) Voir article 3, paragraphe 3, de la loi relative aux sociétés commerciales.

( 15 ) Voir article 70, paragraphe 1, de la loi relative aux sociétés commerciales. Selon l’article 57, paragraphe 3, de la loi relative à l’enregistrement des sociétés, «[d]ans le cas d’un changement de forme sociale, la transformation de la société est déclarée au tribunal des sociétés dans le ressort territorial duquel est situé le siège social du prédécesseur en droit dans un délai de soixante jours à compter de la signature ou de l’adoption de l’acte constitutif. La déclaration est accompagnée d’une demande de radiation du prédécesseur». Or, il semble ressortir du libellé de ce texte que le changement de forme sociale est conçu plus comme une succession universelle entre deux personnes juridiques ayant la même identité que comme une transformation de la forme juridique d’une seule et même personne juridique.

( 16 ) Voir article 57, paragraphe 4, de la loi relative à l’enregistrement des sociétés.

( 17 ) En ce qui concerne le régime de telles sociétés au niveau européen, voir, par exemple, De Kluiver, H.-J., «Europe and the Private Company — An Introduction», dans De Kluiver, H.-J., et Van Gerven, W. M. (éd.), The European private company?, Maklu, Anvers, 1995, p. 23. J’observe qu’une telle forme entre dans le champ d’application de la première directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO L 65, p. 8, voir son article 1er), mais est exclue du champ de la deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO L 26, p. 1, voir également son article 1er).

( 18 ) La technique de la fusion transfrontalière est fréquemment utilisée aux États-Unis pour changer, d’un État fédéral à un autre, de loi applicable à une entreprise, voir Armour, J., et Ringe, W.-G., «European Company Law 1999-2010: Renaissance and Crisis», Common Market Law Review, vol. 48 (2011), no 1, p. 125 à 174, notamment p. 161 à 162.

( 19 ) Arrêts précités Daily Mail and General Trust (point 19) et Cartesio (point 104).

( 20 ) Voir COM(2003) 284 final.

( 21 ) Force est de constater que cet ordre chronologique ne semble pas avoir été respecté par les autorités italiennes en l’espèce.

( 22 ) Cette question apparaît particulièrement pertinente lorsque la société n’a pas été liquidée. Selon l’arrêt Cartesio, précité (point 112), la République italienne n’a pas pu requérir la liquidation comme une condition préalable du transfert du siège social s’accompagnant d’un changement de la loi applicable.

( 23 ) Voir points 3 et 5 des conclusions de l’avocat général Darmon dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Daily Mail and General Trust, précité.

( 24 ) Voir point 20 des conclusions de l’avocat général La Pergola dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Centros, précité.

( 25 ) Je rappelle que les statuts de VALE Építési ont été approuvés par des associés en partie différents de ceux de VALE Costruzioni.

( 26 ) Voir article 8 du règlement no 2157/2001, selon lequel la radiation du registre ne s’effectue qu’après la nouvelle immatriculation. Voir aussi, mutatis mutandis, article 13 de la directive 2005/56.

( 27 ) Voir article 8 dudit règlement.

( 28 ) Voir article 7 dudit règlement.

( 29 ) Voir en ce sens, notamment, arrêt Daily Mail and General Trust, précité (points 15 et 16).

( 30 ) Arrêts précités Centros (point 26); Überseering (point 95), et Inspire Art (point 137).

( 31 ) Voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2009, Commission/Autriche (C‑564/07, point 31 et jurisprudence citée).

( 32 ) Voir arrêts du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C-196/04, Rec. p. I-7995, point 51 et jurisprudence citée); Centros, précité (point 24), ainsi que Inspire Art, précité (point 136).

( 33 ) Arrêt Überseering, précité (point 70).

( 34 ) Arrêt Cartesio, précité (point 110).

( 35 ) Ibidem (point 111).

( 36 ) Ibidem (point 112).

( 37 ) Arrêt SEVIC Systems, précité (point 18).

( 38 ) Voir, en ce sens, étude d’impact de la directive sur le transfert transfrontalier du siège statutaire [SEC(2007) 1707, p. 11].

( 39 ) Arrêt Cartesio, précité (point 112).

( 40 ) Article 57 de la loi relative à l’enregistrement des sociétés.

( 41 ) En ce qui concerne les effets d’une telle déclaration en matière fiscale, l’appréciation doit prendre en compte, d’une part, la prévention de l’abus de droit et, d’autre part, la jurisprudence de la Cour relative aux entraves fiscales à la liberté d’établissement.

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