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Document 62010CC0197

    Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 7 juillet 2011.
    Unió de Pagesos de Catalunya contre Administración del Estado.
    Demande de décision préjudicielle: Tribunal Supremo - Espagne.
    Politique agricole commune - Règlement (CE) nº 1782/2003 - Régime de paiement unique - Droits au paiement issus de la réserve nationale - Conditions d’octroi - Agriculteurs commençant à exercer une activité agricole - Caractère hypothétique de la question préjudicielle - Irrecevabilité.
    Affaire C-197/10.

    Recueil de jurisprudence 2011 I-08495

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:464

    CONCLUSIONS DE MME KOKOTT – AFFAIRE C-197/10

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    MME JULIANE KOKOTT

    présentées le 7 juillet 2011 (1)

    Affaire C‑197/10

    Unió de Pagesos de Catalunya

    contre

    Administración del Estado,

    Coordinadora de Organizaciones de Agricultores y Ganaderos – Iniciativa Rural del Estado Español,

    [demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Espagne)]

    «Politique agricole commune – Régime de paiement unique – Réserve nationale – Possibilité d’attribuer des quantités de référence aux nouveaux agriculteurs – Pouvoir d’appréciation des États membres – Attribution limitée aux jeunes agriculteurs – Licéité»





    I –    Introduction

    1.        La politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne a notamment pour but d’assurer un revenu équitable aux agriculteurs (2). À cet effet, l’Union prévoit dans son budget des postes à partir desquels des aides directes au revenu peuvent être attribuées aux agriculteurs. Les aides à l’origine attachées au produit ont été progressivement «découplées» depuis la réforme de 2003 et rassemblées en un «paiement unique». Le but recherché est que les agriculteurs soient guidés, dans le choix des produits à cultiver, non pas par l’aide, mais par le marché. Le montant du paiement unique auquel un agriculteur peut prétendre est notamment fonction (3) du montant des aides qu’il percevait avant la réforme. Les années 2000 à 2002 sont prises en compte à cet effet.

    2.        Afin que les nouveaux entrants puissent également bénéficier d’un droit au paiement unique, les États membres peuvent leur attribuer des montants de référence au titre d’une «réserve nationale», formée en particulier par la réduction des montants de référence alloués jusqu’alors aux bénéficiaires de l’aide. Dans ce cadre, le Tribunal Supremo (Espagne) demande à la Cour de l’éclairer sur la question de savoir si les États membres sont habilités à ne retenir, parmi les «nouveaux agriculteurs» (4), que les «jeunes» agriculteurs (âgés de moins de 40 ans) qui, lors de leur premier établissement, avaient déjà bénéficié d’une autre mesure de soutien de l’Union, à savoir l’«aide à l’installation» (5), allouée en faveur du développement rural.

    II – Le cadre juridique

    A –    Le droit de l’Union

    1.      Le règlement n° 1782/2003

    3.        Le règlement n° 1782/2003 (6) a en grande partie rassemblé en un paiement unique les aides directes au revenu des agriculteurs prévues dans le cadre de la PAC, qui étaient jusqu’alors couplées au produit.

    4.        En vertu du vingt-neuvième considérant dudit règlement, «[p]our établir le montant auquel un agriculteur doit pouvoir prétendre dans le cadre du nouveau régime, il convient de se référer aux montants qui lui ont été accordés au cours d’une période de référence. Une réserve nationale devrait être constituée en vue de tenir compte des situations particulières. Cette réserve peut être utilisée également pour faciliter la participation des nouveaux agriculteurs au régime. Le paiement unique devrait être fixé au niveau de l’exploitation».

    5.        L’article 33 du règlement n° 1782/2003, intitulé «Admissibilité au bénéfice de l’aide», dispose, sous son paragraphe 1:

    «Les agriculteurs ont accès au régime de paiement unique:

    […]

    c)      s’ils ont reçu un droit à paiement au titre de la réserve nationale ou d’un transfert.»

    6.        L’article 42 du même règlement prévoit, sous le titre «Réserve nationale»:

    «1.   Les États membres […] appliquent un pourcentage de réduction linéaire aux montants de référence afin de constituer une réserve nationale. Cette réduction ne peut être supérieure à 3 %.

    […]

    3.     Les États membres peuvent utiliser la réserve nationale pour octroyer, en priorité, les montants de référence aux agriculteurs qui commencent à exercer une activité agricole après le 31 décembre 2002 ou en 2002 mais sans percevoir de paiements directs cette année-là, selon des critères objectifs et de manière à assurer l’égalité de traitement entre les agriculteurs et à éviter des distorsions du marché et de la concurrence.

    4.     Les États membres utilisent la réserve nationale pour établir, selon des critères objectifs et de manière à assurer l’égalité de traitement entre les agriculteurs et à éviter des distorsions du marché et de la concurrence, les montants de référence pour les agriculteurs se trouvant dans une situation spéciale, que la Commission définit conformément à la procédure visée à l’article 144, paragraphe 2.

    5.     Les États membres peuvent utiliser la réserve nationale pour établir, selon des critères objectifs et de manière à assurer l’égalité de traitement entre les agriculteurs et à éviter des distorsions du marché et de la concurrence, les montants de référence pour les agriculteurs dans les zones soumises à des programmes de restructuration et/ou de développement concernant telle ou telle forme d’intervention publique en vue d’éviter que les terres agricoles ne soient abandonnées et/ou de compenser des désavantages spécifiques dont souffrent les agriculteurs dans ces zones.

    […]

    7.     Les États membres procèdent à des réductions linéaires des droits lorsque leur réserve nationale ne suffit pas à couvrir les cas visés aux paragraphes 3 et 4.

    […]»

    2.      Le règlement d’application n° 795/2004

    7.        En vertu de l’article 2, sous k), du règlement (CE) n° 795/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, portant modalités d’application du régime de paiement unique prévu par le règlement n° 1782/2003 (7), on entend par:

    «‘agriculteur commençant à exercer une activité agricole’ aux fins de l’article 37, paragraphe 2, et de l’article 42, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1782/2003, toute personne physique ou morale n’ayant jamais exercé d’activité agricole en son nom et à son propre compte ou n’ayant pas eu le contrôle d’une personne morale exerçant une activité agricole au cours des cinq années qui ont précédé le lancement de la nouvelle activité agricole.

    Dans le cas d’une personne morale, la personne ou les personnes physique(s) qui exerce(nt) le contrôle de la personne morale ne doit avoir pratiqué aucune activité agricole en son nom et à son propre compte ou n’ayant pas eu le contrôle d’une personne morale exerçant une activité agricole au cours des cinq années qui ont précédé le lancement de l’activité par la personne morale.»

    L’article 6, paragraphe 1, du même règlement d’application dispose:

    «Lorsqu’un État membre fait usage des facultés prévues à l’article 42, paragraphes 3 et 5, du règlement (CE) n° 1782/2003, les agriculteurs peuvent bénéficier, conformément aux conditions établies dans la présente section et conformément aux critères objectifs établis par l’État membre concerné, de droits au paiement issus de la réserve nationale.»

    3.      Le règlement n° 1698/2005

    8.        L’article 20 du règlement n° 1698/2005 (8), qui fait partie de son titre IV «Aide au développement rural», dispose:

    «L’aide en faveur de la compétitivité des secteurs agricole et forestier concerne:

    a)      des mesures visant à améliorer les connaissances et à renforcer le potentiel humain par:

    […]

    ii)      l’installation de jeunes agriculteurs

    […]»

    9.        L’article 22 de ce même règlement, intitulé «Installation de jeunes agriculteurs», dispose, sous son paragraphe 1:

    «L’aide prévue à l’article 20, point a) ii), est accordée aux personnes qui:

    a)      sont âgées de moins de 40 ans et s’installent pour la première fois dans une exploitation agricole comme chef d’exploitation;

    b)      possèdent les compétences et les qualifications professionnelles suffisantes;

    c)      présentent un plan de développement pour leurs activités agricoles.»

    B –    Le droit espagnol

    10.      Le décret royal 1470/2007, du 2 novembre 2007, relatif à la mise en œuvre des paiements directs à l’agriculture, édicté par le conseil de ministres espagnol sur proposition de la ministre de l’Agriculture, de la pêche et de l’alimentation (9) a pour objet, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, d’établir la réglementation de base applicable, notamment, au régime du paiement unique prévu par le règlement n° 1782/2003.

    L’article 9, paragraphe 2, dudit décret royal dispose:

    «Obtiennent des droits au paiement unique issus de la réserve nationale, à condition qu’ils répondent aux conditions prévues:

    […]

    b)      les jeunes agriculteurs qui ont effectué leur première installation dans le cadre d’un programme de développement rural établi sur le fondement du règlement (CE) n° 1698/2005, dans l’un des secteurs indiqués à l’annexe VI du règlement (CE) n° 1782/2003 […], à l’exception de la production de semences, et qui n’ont pas déjà bénéficié de droits au paiement unique au titre de la réserve nationale.»

    11.      Le décret royal 1470/2007 a été abrogé par le décret royal 1612/2008, du 3 octobre 2008, lui-même abrogé par le décret royal 1680/2009, du 13 novembre 2009, mais ses termes ont été repris dans les deux décrets qui lui ont succédé.

    III – Les faits au principal et la question préjudicielle

    12.      Selon la juridiction de renvoi, l’Unió de Pagesos de Catalunya est le syndicat agricole le plus représentatif de Catalogne.

    13.      Elle a formé (10) le 27 octobre 2008 auprès du Tribunal Supremo un recours visant à l’annulation, notamment, de l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007, en ce que celui-ci a introduit, pour les jeunes agriculteurs qui entendent bénéficier du paiement unique, une nouvelle condition non prévue à l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 qui est directement applicable. Or ledit article ne subordonne pas la possibilité, pour les jeunes agriculteurs, de bénéficier du paiement unique à l’attribution d’une aide à la première installation.

    14.      Le Tribunal Supremo partage le point de vue de l’Unió de Pagesos de Catalunya selon lequel l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 crée une situation d’inégalité qui a un effet discriminatoire pour les jeunes agriculteurs et va à l’encontre du principe de la primauté du droit de l’Union.

    15.      Estimant que le règlement du litige exige l’interprétation par la Cour de l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003, le Tribunal Supremo a sursis à statuer et posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

    «L’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007, qui subordonne la possibilité de bénéficier de droits au paiement unique au titre de la réserve nationale à la condition qu’il s’agisse de jeunes agriculteurs qui ont effectué leur première installation dans le cadre d’un programme de développement rural établi sur la base du règlement n° 1698/2005, est-il conforme à l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003?»

    16.      Ont pris part à la procédure devant la Cour la Coordinadora, les gouvernements espagnol, allemand, grec et autrichien, ainsi que la Commission. Le gouvernement autrichien a uniquement déposé des observations écrites, alors que les autres parties se sont exprimées aussi bien par écrit qu’oralement.

    IV – Analyse juridique

    A –    Sur la recevabilité de la question préjudicielle

    17.      Le Tribunal Supremo relève dans sa décision de renvoi, d’une part, qu’il n’a pas le moindre doute sur la nécessité de l’interprétation du règlement n° 1782/2003 pour le règlement du litige principal. Mais il indique, d’autre part, que l’acte attaqué, le décret royal 1470/2007, a été abrogé dans l’intervalle, et que son contenu a été incorporé dans les décrets royaux ultérieurs, de sorte que la disposition attaquée reste pertinente pour les autres recours qui pourraient lui être soumis à l’avenir sur cette même question.

    18.      Cela amène, en premier lieu, à s’interroger sur le point de savoir si une réponse de la Cour à la question préjudicielle est réellement nécessaire à la solution du litige principal, ou si elle pourrait n’avoir d’utilité que pour des procédures futures.

    19.      Ces interrogations sont encore nourries par les observations écrites du gouvernement espagnol. Celui-ci a fait valoir que, puisque le décret royal 1470/2007 a été abrogé dans l’intervalle, la question préjudicielle n’est plus pertinente aux fins de la décision à prendre sur le recours formé par l’Unió de Pagesos de Catalunya en vue de l’annulation de ce décret, et est donc irrecevable.

    20.      Le gouvernement espagnol invoque une jurisprudence constante du Tribunal Supremo selon laquelle le recours direct dirigé contre des dispositions générales sert à éliminer du corpus législatif les normes illégales prises par le législateur, et non pas à statuer sur des droits individuels. Cette jurisprudence indiquerait qu’un recours direct perd donc tout son sens si, au moment du prononcé, la disposition attaquée a déjà été éliminée du corpus législatif par un autre moyen.

    21.      Il ajoute que c’est dans la ligne même de cette jurisprudence que le Tribunal Supremo a jugé caduc un précédent recours formé par l’Unió de Pagesos de Catalunya contre le décret royal antérieur au décret royal 1470/2007 attaqué en l’espèce, qui l’a abrogé, et qu’il a clos la procédure. En outre, le Tribunal Supremo a clos la procédure sur le recours en annulation d’une autre association d’agriculteurs contre le décret royal 1470/2007, au motif qu’il avait été abrogé par le décret royal 1612/2008. Du point de vue du gouvernement espagnol, la procédure au principal est donc désormais sans objet et doit être close.

    22.      La Cour a alors demandé au Tribunal Supremo des éclaircissements (11) sur le point de savoir dans quelle mesure une réponse à la question préjudicielle est nécessaire pour statuer sur le litige principal.

    23.      Le Tribunal Supremo déclare, dans sa réponse, que l’annulation du décret royal 1470/2007 ne remet pas en cause la recevabilité de la question préjudicielle. Il répète à cet égard, d’une part, que les décrets qui lui ont succédé comportent les mêmes dispositions. D’autre part, sa jurisprudence à laquelle le gouvernement espagnol se réfère n’est pas pertinente en l’espèce, parce que l’abrogation ne s’est pas produite dans le courant de la procédure. Le recours de l’Unió de Pagesos de Catalunya reste donc, à son sens, actuel.

    24.      Selon une jurisprudence constante, la procédure préjudicielle prévue à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher (12).

    25.      Lorsqu’une question est soumise à la Cour à titre préjudiciel, on présume en principe qu’elle est pertinente aux fins de la décision à rendre dans le litige principal (13).

    26.      Le refus de la Cour de statuer sur une demande introduite par une juridiction nationale est néanmoins possible, uniquement s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique, ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (14).

    27.      La fonction confiée à la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle consiste en effet à contribuer à l’administration de la justice dans les États membres, et non à formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (15).

    28.      Dans la mesure où, dans sa réponse aux demandes d’éclaircissements de la Cour, le Tribunal Supremo justifie la nécessité de saisir celle-ci par le fait que les dispositions matérielles de l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007, abrogé dans l’intervalle, ont été reprises dans les décrets qui lui ont succédé, il renforce plutôt la première impression que la réponse à cette question n’est pas nécessaire à la solution du litige principal, mais pourrait ne devenir nécessaire que pour résoudre d’éventuels futurs recours contre les décrets ultérieurs. La question préjudicielle serait donc hypothétique et, par là même, irrecevable.

    29.      Le Tribunal Supremo a cependant aussi expliqué que sa jurisprudence selon laquelle les recours en annulation formés contre des décrets abrogés dans l’intervalle par d’autres voies sont sans objet n’est pas pertinente en l’espèce, parce que le décret royal 1470/2007 attaqué n’a pas été abrogé au cours de la procédure. Il en conclut que le recours dans le litige principal reste actuel. Des explications plus détaillées sur le fait que, en droit espagnol, des décrets déjà abrogés avant l’introduction d’un recours peuvent être jugés nuls, mais que cela n’est pas possible lorsqu’ils n’ont été abrogés qu’au cours de la procédure, auraient, certes, été souhaitables. Néanmoins, compte tenu de la déclaration claire du Tribunal Supremo selon laquelle le recours de l’Unió de Pagesos de Catalunya est toujours actuel, la question préjudicielle doit être considérée comme pertinente pour la solution du litige, et donc recevable.

    B –    La réponse à la question préjudicielle

    30.      La juridiction de renvoi souhaiterait savoir en substance, par sa question, s’il est compatible avec l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 qu’un État membre réserve la possibilité qui y est prévue d’accorder aux nouveaux agriculteurs des droits au paiement unique au titre de la réserve nationale aux seuls jeunes agriculteurs dont la première installation s’est effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural sur la base du règlement n° 1698/2005.

    1.      Arguments des parties

    31.      La Coordinadora, ainsi que les gouvernements espagnol, allemand et autrichien, proposent de répondre à cette question par l’affirmative.

    32.      Selon eux, l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 laisse aux États membres le pouvoir de décider s’ils attribuent aux nouveaux agriculteurs des aides au titre de la réserve nationale. Si un État membre fait usage de cette faculté, sa marge d’appréciation n’est restreinte que dans la mesure où il doit appliquer des critères objectifs, garantir l’égalité de traitement des agriculteurs, et éviter les distorsions du marché et de la concurrence. Dès lors que le Royaume d’Espagne applique à cet égard les critères prévus à l’article 22, paragraphe 1, du règlement n° 1698/2005 pour l’octroi d’aides à l’installation aux jeunes agriculteurs, ces exigences sont satisfaites. La marge d’appréciation conférée aux États membres pour l’utilisation de la réserve nationale a été admise par la Cour dès l’arrêt Elbertsen (16).

    33.      Le gouvernement espagnol fait en outre valoir qu’il y a lieu, aux fins de l’interprétation du règlement n° 1782/2003, de tenir compte de la réorientation de la PAC opérée par la réforme de 2003. Depuis cette réforme, les deux piliers sur lesquels la PAC s’appuyait jusqu’alors, à savoir le soutien des prix du marché et des revenus, d’une part, et le développement rural, d’autre part, ne sont plus clairement séparés, mais au contraire se complètent et se recoupent, le développement rural prenant désormais visiblement le pas (17). Selon le gouvernement espagnol, le lien établi par la réglementation litigieuse tient précisément compte de cette réalité.

    34.      En ce qui concerne le principe de l’égalité de traitement, le gouvernement autrichien précise que les jeunes agriculteurs au sens de l’article 22, paragraphe 1, du règlement n° 1698/2005 méritent particulièrement de percevoir une aide, et ne se trouvent donc pas dans la même situation que d’autres nouveaux agriculteurs. Une inégalité de traitement serait en tout état de cause objectivement justifiée, même dans des situations comparables, en particulier par l’objectif de favoriser le développement rural. Le gouvernement allemand ne voit pas là non plus de discrimination, mais c’est en définitive à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’en juger.

    35.      Le gouvernement allemand relève, en outre, que l’article 2, sous k), du règlement d’application n° 795/2004 ne comporte qu’une définition minimale des nouveaux entrants, parmi lesquels les États membres peuvent choisir selon des critères objectifs. Le pouvoir d’appréciation laissé aux États membres dans la détermination de ces critères est également mis en évidence par l’article 6, paragraphe 1, du règlement d’application n° 795/2004.

    36.      Le gouvernement grec partage, en principe, le point de vue de la Coordinadora et des autres gouvernements, mais estime néanmoins que la réglementation espagnole n’est pas compatible avec l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003, parce qu’elle ne prend en compte que les jeunes agriculteurs dont la première installation a bénéficié d’une aide dans le cadre du règlement n° 1698/2005, sans que l’on décèle de raisons objectives pour ne pas aider aussi les jeunes agriculteurs dont la première installation a bénéficié d’une aide au titre du règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements, qui l’a précédé.

    37.      La Commission est d’avis que l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 n’est pas compatible avec l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003, parce qu’il est contraire au principe de l’égalité de traitement. En effet, d’une part, il ne prend en considération que les nouveaux agriculteurs qui sont aussi de jeunes agriculteurs. D’autre part, une discrimination est aussi opérée entre les jeunes agriculteurs, dans la mesure où il est exigé que leur première installation se soit effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural, et qu’ils exercent dans des secteurs déterminés.

    2.      Analyse

    a)      Remarques liminaires

    38.      L’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 subordonne l’attribution de droits au paiement unique au titre de la réserve nationale à la réunion de quatre conditions.

    39.      En premier lieu, il doit s’agir de jeunes agriculteurs et, en deuxième lieu, leur première installation doit s’être effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural sur la base du règlement n° 1698/2005. Ainsi que cela ressort de la décision de renvoi, ces conditions renvoient à l’article 22 du règlement n° 1698/2005, selon lequel l’aide à l’installation prévue à l’article 20, sous a), ii), du même règlement pour les jeunes agriculteurs (18) est accordée aux personnes qui a) sont âgées de moins de 40 ans et s’installent pour la première fois dans une exploitation agricole comme chef d’exploitation, b) possèdent les compétences et les qualifications professionnelles suffisantes et c) présentent un plan de développement pour leurs activités agricoles.

    40.      En troisième lieu, l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 exige que le jeune agriculteur exerce dans un secteur déterminé, à savoir l’un de ceux énumérés à l’annexe VI du règlement n° 1782/2003, à l’exception de la production de semences. En quatrième lieu, le jeune agriculteur ne doit pas avoir déjà perçu de paiements au titre de la réserve nationale.

    41.      Aucune de ces quatre conditions n’est mentionnée à l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003, qui stipule que les États membres peuvent utiliser la réserve nationale pour octroyer, en priorité, les montants de référence aux agriculteurs qui commencent à exercer une activité agricole après le 31 décembre 2002 ou en 2002 mais sans percevoir de paiements directs cette année-là, selon des critères objectifs et de manière à assurer l’égalité de traitement entre les agriculteurs et à éviter des distorsions du marché et de la concurrence.

    42.      Bien que la juridiction nationale évoque dans sa décision de renvoi les quatre conditions contenues dans la réglementation espagnole, elle ne mentionne dans la question préjudicielle que les deux premières de ces conditions. C’est pourquoi nous nous concentrerons pour l’essentiel sur ces deux premières exigences, à savoir qu’il doit s’agir d’un jeune agriculteur, dont la première installation doit avoir déjà bénéficié d’une aide dans le cadre du règlement n° 1698/2005. La réponse à cette question peut rendre opportuns ou superflus des développements complémentaires sur les deux autres conditions.

    b)      Le pouvoir d’appréciation quant au «si»

    43.      Il convient tout d’abord de relever que, aux termes de l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003, les États membres ont le pouvoir de décider s’ils font ou non usage de la possibilité qui y est prévue. Cette disposition prévoit en effet explicitement que les États membres «peuvent» utiliser la réserve nationale pour octroyer, en priorité, des montants de référence aux nouveaux agriculteurs (19). Ceci est en outre confirmé par l’article 6, paragraphe 1, du règlement d’application n° 795/2004, qui dispose: «Lorsqu’un État membre fait usage des facultés prévues à l’article 42, paragraphes 3 et 5, du règlement (CE) n° 1782/2003».

    44.      Mais cela ne nous éclaire pas pour autant sur la question de savoir si, et le cas échéant dans quelle mesure, les États membres disposent aussi d’un pouvoir d’appréciation quant à l’établissement des modalités de cette attribution de montants de référence, en particulier en ce qui concerne la détermination du cercle de leurs bénéficiaires.

    c)      Sur le domaine d’application de l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003

    45.      Avant de pouvoir répondre à la question du pouvoir d’appréciation quant au «comment», il convient tout d’abord de délimiter plus précisément le domaine d’application de l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003. Ainsi qu’il ressort en effet de la demande préjudicielle, le Ministerio Fiscal (20) a soutenu, dans la procédure au principal, que la possibilité ménagée aux États membres à l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 d’attribuer des droits au titre de la réserve nationale ne se limite pas à la catégorie des nouveaux agriculteurs qui y est mentionnée, mais simplement que cette catégorie doit être prise en compte en priorité.

    46.      Le but de la réserve nationale, de même que l’économie de l’article 42 du règlement n° 1782/2003, plaident contre cette thèse.

    47.      Ainsi qu’il ressort du vingt-neuvième considérant du règlement n° 1782/2003, la réserve nationale sert à tenir compte des situations particulières, la réserve pouvant être utilisée également pour faciliter la participation des nouveaux agriculteurs au régime du paiement unique. Mais, si l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 ne concernait pas uniquement les nouveaux agriculteurs, mais tous les agriculteurs, les nouveaux agriculteurs devant simplement être pris en compte en priorité, le but particulier assigné à la réserve nationale serait négligé. En effet, contrairement à ses paragraphes 4 et 5, le paragraphe 3 de cet article ne comporterait aucune délimitation du groupe des bénéficiaires. Or, ainsi que le gouvernement grec le relève, la réserve nationale manquerait son but si elle était tout d’abord constituée par une réduction linéaire des montants de référence de tous les agriculteurs, puis était ensuite reversée à tous les agriculteurs.

    48.      L’expression «en priorité» renvoie bien plutôt, ainsi que le gouvernement allemand le relève à juste titre, au rapport mutuel entre les dispositions des paragraphes 3 à 5 de l’article 42 du règlement n° 1782/2003. En effet, alors que le paragraphe 4 de cet article impose impérativement aux États membres d’utiliser la réserve nationale pour les agriculteurs se trouvant dans une situation spéciale, lesdits paragraphes 3 et 5 leur laissent une option. La possibilité prévue à ce paragraphe 3 prévaut à cet égard sur celle visée audit paragraphe 5, qui concerne les agriculteurs dans certaines zones. Le paragraphe 7 du même article stipule à cet égard que les droits au titre de la réserve nationale doivent être réduits de manière linéaire lorsqu’elle ne suffit pas à couvrir les cas visés aux paragraphes 3 et 4 dudit article. Mais cela n’est pas prévu pour les cas visés à ce paragraphe 5; ils ne peuvent être pris en compte que lorsque la réserve nationale suffit pour les cas visés auxdits paragraphes 3 et 4.

    49.      L’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 se réfère donc exclusivement aux nouveaux agriculteurs au sens où ils sont définis dans ce règlement. C’est cette catégorie de personnes qui est encore restreinte par l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007, dans la mesure où cette disposition nationale ne retient que les jeunes agriculteurs dont la première installation a déjà bénéficié d’une aide dans le cadre du règlement n° 1698/2005.

    d)      Le pouvoir d’appréciation quant au «comment»

    50.      En ce qui concerne maintenant la licéité d’une telle réduction du cercle des bénéficiaires à l’échelle nationale, il convient tout d’abord d’observer que l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 laisse également aux États membres une certaine marge d’appréciation dans l’établissement des modalités concrètes de l’attribution de montants de référence au titre de la réserve nationale. Cela découle du fait que l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 comporte manifestement des lacunes à combler,← et que cette tâche incombe au moins en partie aux États membres.

    51.      L’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 charge en effet les États membres qui font usage de la possibilité qui y est prévue d’octroyer les montants de référence en appliquant des critères objectifs, en assurant l’égalité de traitement entre les agriculteurs, et en évitant des distorsions du marché et de la concurrence. L’article 6 du règlement d’application n° 795/2004 comporte, certes, certaines règles pour le calcul du nombre et de la valeur des droits de paiement à allouer à ce titre. Toutefois, cette disposition renvoie elle aussi aux critères objectifs à fixer par les États membres.

    52.      Si la tâche de déterminer les critères d’attribution aux nouveaux agriculteurs des montants de référence au titre de la réserve nationale incombe donc aux États membres, ils disposent logiquement à cet effet d’un certain pouvoir d’appréciation. C’est du reste ce qu’établit expressément le cinquième considérant du règlement d’application n° 795/2004.

    53.      On constate, ensuite, que l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 ne comporte aucun élément indiquant qu’il serait a priori interdit aux États membres d’opérer une sélection parmi les nouveaux agriculteurs. Le fait que le point k) de l’article 2, intitulé «Définitions», du règlement d’application n° 795/2004 explicite qui doit être considéré comme nouvel agriculteur ou, plus exactement, comme «agriculteur commençant à exercer une activité agricole» ne fait pas non plus opposition à ce que le pouvoir d’appréciation des États membres comprenne aussi la possibilité de ne pas permettre à tous les nouveaux agriculteurs de bénéficier de la réserve nationale.

    54.      Lorsqu’ils exercent leur pouvoir d’appréciation, les États membres doivent toutefois tenir compte, d’une part, des exigences et des dispositions précédemment exposées du règlement n° 1782/2003 et du règlement d’application n° 795/2004 et, d’autre part, de la jurisprudence pertinente. Selon celle-ci, les États membres, lorsqu’ils adoptent des mesures d’application d’une réglementation de l’Union, sont tenus d’exercer leur pouvoir discrétionnaire dans le respect, notamment, des principes généraux du droit de l’Union, parmi lesquels figurent les principes de proportionnalité et de non-discrimination (21). De plus, de telles mesures d’application doivent respecter les droits fondamentaux (22). En outre, une réglementation nationale adoptée dans le cadre de la PAC ne saurait être conçue ou appliquée de manière à compromettre les objectifs poursuivis par la PAC (23).

    i)      Sur l’existence de critères objectifs

    55.      Les critères de l’article 22 du règlement n° 1698/2005 sur lesquels s’appuie la réglementation espagnole présentement litigieuse, à savoir qu’il doit s’agir de personnes qui a) sont âgées de moins de 40 ans et s’installent pour la première fois dans une exploitation agricole comme chef d’exploitation, b) possèdent les compétences et les qualifications professionnelles suffisantes, et c) présentent un plan de développement pour leurs activités agricoles, sont sans aucun doute des critères objectifs, de sorte que la première condition de l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 doit être considérée comme remplie.

    ii)    Sur le principe de l’égalité de traitement

    56.      Il est plus malaisé de répondre à la question de savoir si la deuxième exigence de l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003, à savoir que l’égalité de traitement des agriculteurs est assurée, est suffisamment respectée.

    57.      Il convient en particulier de signaler, dans ce contexte, que l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge a le caractère d’un droit fondamental, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte des droits fondamentaux») (24), et qu’elle doit être respectée par les États membres, en vertu de l’article 51, paragraphe 1, de ladite charte, lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union (25).

    58.      Selon une jurisprudence constante (26), le principe de l’égalité de traitement ou de la non-discrimination, dont l’interdiction de la discrimination fondée sur l’âge n’est qu’une expression particulière (27), exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Les éléments qui caractérisent différentes situations et, ainsi, leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte qui institue la distinction en cause (28). Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (29).

    –       Sur la comparabilité des situations

    59.      Le régime de paiement unique instauré par le règlement n° 1782/2003 vise surtout, de même que les aides couplées au produit qu’il a rassemblées, à garantir un revenu équitable à la population agricole (30), ce qui fait partie, en vertu de l’article 39, paragraphe 1, sous b), TFUE (ancien article 33 CE), des buts de la PAC.

    60.      Au regard du but de l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003, qui est de permettre aux nouveaux agriculteurs de bénéficier du régime de paiement unique et de leur assurer ainsi un revenu équitable, la situation des jeunes agriculteurs dont la première installation s’est effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural sur la base du règlement n° 1698/2005 ne diffère pas de celle des autres nouveaux agriculteurs.

    61.      L’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 vise à mettre en application l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 et doit, par conséquent, fondamentalement poursuivre le même but.

    62.      Le gouvernement espagnol fait valoir, à cet égard, que l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 doit tenir compte du fait que la réserve nationale est limitée, de sorte qu’il faut nécessairement en restreindre l’accès. Dans la mesure où le décret royal procède à cette restriction en appliquant les critères de l’article 22 du règlement n° 1698/2005, il est conforme à la nouvelle orientation de la PAC, selon laquelle ce qui était jusqu’alors les deux piliers de la PAC, d’une part le soutien des prix du marché et des revenus et d’autre part le développement rural ne sont plus clairement séparés, mais au contraire se complètent et se recoupent, le pas visiblement pris par le développement rural pouvant être constaté.

    63.      Cependant, la prise en compte des buts du développement rural qu’il comporte ne peut pas conduire à ce que la situation des jeunes agriculteurs dont la première installation s’est effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural sur la base du règlement n° 1698/2005 diffère de la situation des autres nouveaux agriculteurs du point de vue du besoin d’obtenir une aide au revenu qui est au centre du règlement n° 1782/2003. Ces buts ne sont à prendre en compte que dans le cadre de la question, qui devra être examinée ci-après, de savoir s’il existe une raison objective à cette différence de traitement.

    –       Sur l’existence d’une raison objective à la différence de traitement

    64.      La réserve nationale, comme le gouvernement espagnol le relève justement, est limitée. Il découle de l’article 42, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1782/2003 que les ressources disponibles à cet effet ne peuvent pas dépasser un certain plafond. Son utilisation n’est en outre pas limitée, ainsi que cela ressort des paragraphes 4 et 5 du même article, à l’aide aux nouveaux agriculteurs. Il peut donc être utile, indépendamment des règles de priorité et de réduction prévues dans cet article, de restreindre la possibilité prévue à son paragraphe 3 de faire bénéficier les nouveaux agriculteurs du régime de paiement unique à une catégorie de personnes choisie.

    65.      Ainsi que le gouvernement autrichien le fait observer, le groupe de ceux qui ont déjà perçu une prime d’installation au titre des articles 20, sous a), ii), et 22 du règlement n° 1698/2005 mérite particulièrement d’être aidé, car ils réunissent du point de vue de leur personne et de leur exploitation des conditions laissant présager une activité agricole sérieuse et durable.

    66.      L’âge fait aussi partie de ces conditions, car on peut supposer, dans le cas de jeunes agriculteurs, qu’ils dirigeront leur exploitation agricole nouvellement fondée suffisamment longtemps pour que les investissements élevés que cela implique soient amortis et que l’activité agricole puisse être effectivement exercée durablement.

    67.      Pour ce qui est de la limite d’âge concrète de moins de 40 ans, le législateur doit disposer, tout comme dans le secteur de la politique de l’emploi et de la politique sociale (31), d’un pouvoir d’appréciation qui ne peut faire l’objet d’un contrôle que sur le point de savoir si la limite d’âge établie est manifestement inadaptée. Tel n’est pas le cas en l’espèce. On peut en effet supposer qu’une personne de moins de 40 ans va poursuivre son exploitation suffisamment longtemps pour pouvoir contribuer à une agriculture et un développement rural durables.

    68.      Le fait que l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 s’appuie sur les critères d’aide de l’article 22 du règlement n° 1698/2005 est en outre conforme, ainsi que le font valoir les gouvernements espagnol et autrichien, à la nouvelle orientation de la PAC. Ainsi qu’il ressort du vingt et unième considérant du règlement n° 1782/2003, l’objectif d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole est étroitement lié à la conservation des zones rurales. Ce règlement prévoit de surcroît le déplacement des aides vers le développement rural. Il instaure en effet un système obligatoire en vue de la réduction progressive des paiements directs (la «modulation»), afin de réaliser des économies permettant de financer des mesures de développement rural (32).

    69.      Par conséquent, en ne permettant qu’aux jeunes agriculteurs ayant déjà perçu une aide à l’installation dans le cadre du règlement n° 1698/2005 de bénéficier de la réserve nationale, la réglementation espagnole continue à contribuer au développement rural conformément aux objectifs généraux de la PAC. Les chances de succès des agriculteurs méritant une aide et ayant déjà bénéficié d’une aide dans le cadre de leur première installation en seront encore renforcées, ce qui garantit simultanément une utilisation judicieuse et cohérente des budgets d’aide de l’Union.

    70.      Il existe par conséquent une raison objective légitime qui peut en principe justifier la différence de traitement présentement en cause des agriculteurs dont la première installation s’est effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural sur la base du règlement n° 1698/2005, par rapport aux autres nouveaux agriculteurs.

    71.      Le gouvernement grec voit cependant une inégalité de traitement illicite dans le fait que l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 ne retient que les jeunes agriculteurs dont la première installation s’est effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural sur la base du règlement n° 1698/2005, et non pas ceux pour lesquels elle s’est effectuée sur la base du règlement n° 1257/1999, qui comporte les mêmes conditions.

    72.      Le régime d’aide établi par le règlement n° 1698/2005 a remplacé, à compter du 1er janvier 2007, le régime établi par le règlement n° 1257/1999 (33). Sans doute y a-t-il donc eu durant l’année 2007 de nouveaux et jeunes agriculteurs qui ont perçu une aide à la première installation dans le cadre du régime de soutien de l’Union au développement rural, mais au titre, non pas du règlement n° 1698/2005, comme l’exige l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007, mais du règlement antérieur n° 1257/1999, qui comportait pour l’essentiel les mêmes critères. Il convient de reconnaître, au crédit du gouvernement grec, qu’on ne perçoit pas dans quelle mesure la date de la première installation pourrait constituer une raison objective pour que ces agriculteurs ne puissent pas prétendre à la réserve nationale.

    73.      Interrogé à ce sujet, le gouvernement espagnol a déclaré à l’audience que le législateur espagnol est tenu, en vertu du droit national, de se référer au règlement actuel de l’Union, mais qu’il ne se produit aucune inégalité de traitement en fonction de la date de l’installation. La Coordinadora l’a également affirmé.

    74.      Il incombe à la juridiction nationale de vérifier si l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 n’entraîne effectivement pas l’inégalité de traitement présentement en cause. D’une part, on peut penser que les cas concernés ont déjà été pris en compte par des décrets antérieurs et, d’autre part, il n’est pas exclu que cette disposition soit appliquée de manière telle que la référence au règlement n° 1698/2005 soit aussi entendue comme une référence au règlement n° 1257/1999.

    75.      Indépendamment de cela, il appartient également à la juridiction de renvoi de vérifier s’il existe des circonstances qui font apparaître qu’il est disproportionné de restreindre la participation des nouveaux agriculteurs à la réserve nationale aux seuls jeunes agriculteurs dont la première installation s’est effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural sur la base du règlement n° 1698/2005 (ou, le cas échéant, du règlement n° 1257/1999). Le dossier ne fournit aucun élément à l’appui de cette thèse.

    76.      Sous réserve de la vérification à effectuer par la juridiction de renvoi, il convient donc de retenir que l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 respecte le principe de l’égalité de traitement.

    iii) Éviter les distorsions du marché et de la concurrence

    77.      En ce qui concerne enfin la troisième exigence de l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003, à savoir qu’il y a lieu d’éviter les distorsions du marché et de la concurrence, rien n’indique, et nul n’a avancé, que l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 entraîne de telles distorsions.

    e)      Conclusion

    78.      Puisque les autres exigences imposées par la jurisprudence dans l’exercice par les États membres du pouvoir d’appréciation qui leur est conféré pour la mise en œuvre du droit de l’Union ont déjà été prises en compte dans le cadre de la présente analyse, il convient de retenir, en conclusion, que, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 ne fait pas opposition à ce qu’un État membre réserve la possibilité qui y est prévue d’attribuer aux nouveaux agriculteurs des droits au paiement unique au titre de la réserve nationale aux seuls jeunes agriculteurs dont la première installation s’est effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural sur la base du règlement n° 1698/2005.

    f)      Sur les autres exigences de l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007

    79.      Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, l’article 9, paragraphe 2, sous b), du décret royal 1470/2007 exige également que le jeune agriculteur exerce dans un secteur déterminé, à savoir l’un de ceux énumérés à l’annexe VI du règlement n° 1782/2003, à l’exception de la production de semences. En outre, le jeune agriculteur ne doit pas avoir déjà perçu de paiements au titre de la réserve nationale.

    80.      L’analyse qui précède a montré que l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 laisse aux États membres une marge d’appréciation quant aux modalités concrètes de l’attribution aux nouveaux agriculteurs de droits de paiement au titre de la réserve nationale. Dans ce contexte, rien ne s’oppose a priori à ce qu’un État membre décide de ne retenir que certains secteurs agricoles. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, le cas échéant, si cela pourrait constituer une violation, en particulier, du principe de l’égalité de traitement. Le dossier ne comporte aucun élément à cet égard.

    81.      En ce qui concerne l’autre condition, qui veut que le jeune agriculteur n’ait encore perçu aucun paiement au titre de la réserve nationale, il semble conforme au but et à l’esprit de la réserve nationale qu’un tel agriculteur, qui relève déjà du régime de paiement unique, ne puisse pas bénéficier d’autres droits de paiement au titre de la réserve nationale, en qualité de «nouvel» agriculteur.

    V –    Conclusion

    82.      Nous proposons donc à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle posée par le Tribunal Supremo:

    «Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, l’article 42, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) n° 2019/93, (CE) n° 1452/2001, (CE) n° 1453/2001, (CE) n° 1454/2001, (CE) n° 1868/94, (CE) n° 1251/1999, (CE) n° 1254/1999, (CE) n° 1673/2000, (CEE) n° 2358/71 et (CE) n° 2529/2001, ne fait pas opposition à ce qu’un État membre réserve la possibilité qui y est prévue d’attribuer aux nouveaux agriculteurs des droits au paiement unique au titre de la réserve nationale aux seuls jeunes agriculteurs dont la première installation s’est effectuée dans le cadre d’un programme de développement rural sur la base du règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).


    1 – Langue originale: l’allemand.


    2 – Article 39, paragraphe 1, sous b), TFUE [ancien article 33, paragraphe 1, sous b), CE].


    3 – En vertu du règlement applicable ratione temporis à la présente affaire, le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) n° 2019/93, (CE) n° 1452/2001, (CE) n° 1453/2001, (CE) n° 1454/2001, (CE) n° 1868/94, (CE) n° 1251/1999, (CE) n° 1254/1999, (CE) n° 1673/2000, (CEE) n° 2358/71 et (CE) n° 2529/2001 (JO L 270, p. 1). Ce règlement a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil, du 19 janvier 2009, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, modifiant les règlements (CE) n° 1290/2005, (CE) n° 247/2006, (CE) n° 378/2007, et abrogeant le règlement (CE) n° 1782/2003 (JO L 30, p. 16).


    4 – La version allemande du règlement n° 1782/2003 emploie la formule assez abstraite d’«exploitant», alors que d’autres versions linguistiques utilisent des termes plus parlants, tels que «agricultor», «farmer», «agriculteur», «agricoltore» ou «landbouwer». Pour toutes les langues, selon la définition figurant à l’article 2, sous a), de ce règlement, la notion vise les personnes tant physiques que morales que les groupements de ces personnes. Pour une meilleure lisibilité, nous emploierons ci-après le terme «agriculteur».


    5 – En vertu du règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 277, p. 1).


    6 – Précité à la note en bas de page 3.


    7 – JO L 141, p. 1, ci-après le «règlement d’application n° 795/2004».


    8 – Précité (note en bas de page 5).


    9 – Publié au Boletín Oficial del Estado du 3 novembre 2007.


    10 – Selon les indications fournies par la Coordinadora de Organizaciones de Agricultores y Ganaderos – Iniciativa Rural del Estado Español (fédération des syndicats espagnols d’agriculteurs et d’éleveurs − initiative de l’État espagnol en faveur du développement rural, ci‑après la «Coordinadora»), partie à la procédure au principal et devant la Cour.


    11 – Au titre de l’article 104, paragraphe 5, du règlement de procédure de la Cour.


    12 – Arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C‑212/04, Rec. p. I‑6057, point 40), et du 24 mars 2009, Danske Slagterier (C‑445/06, Rec. p. I‑2119, point 65); ordonnance du 14 octobre 2010, Reinke (C‑336/08, point 13), ainsi que arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C-137/08, non encore publié au Recueil, point 37).


    13 – Arrêts du 16 décembre 2008, Cartesio (C‑210/06, Rec. p. I‑9641, point 67); du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, non encore publié au Recueil, point 27), ainsi que du 12 octobre 2010, Rosenbladt (C‑45/09, non encore publié au Recueil, point 33).


    14 – Idem.


    15 – Arrêts du 12 juin 2003, Schmidberger (C‑112/00, Rec. p. I‑5659, point 32); du 8 septembre 2009, Budĕjovický Budvar (C‑478/07, Rec. p. I‑7721, point 64), et du 11 mars 2010, Attanasio Group (C‑384/08, non encore publié au Recueil, point 28).


    16 – Arrêt du 22 octobre 2009 (C‑449/08, Rec. p. I‑10241).


    17 – Le gouvernement espagnol renvoie spécialement, à cet égard, au premier considérant du règlement n° 1698/2005, aux termes duquel «[i]l convient qu’une politique de développement rural accompagne et complète les politiques de soutien au marché et aux revenus menées dans le cadre de la politique agricole commune et contribue ainsi à la réalisation des objectifs de ladite politique visés dans le traité», ainsi qu’au cinquième considérant du règlement n° 1782/2003, selon lequel ce règlement prévoit une réduction progressive des aides directes et l’utilisation des économies réalisées pour financer des mesures relevant du développement rural.


    18 – La version allemande du règlement n° 1698/2005 emploie à cet égard l’expression «Junglandwirte» (agriculteurs débutants) mais, à l’exemple d’autres versions linguistiques, et pour mieux marquer la différence avec les «nouveaux» agriculteurs, nous les appellerons «jeunes agriculteurs».


    19 – La Cour a ainsi déjà jugé, au point 28 de l’arrêt Elbertsen (précité à la note 16), que l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 1782/2003 confère de manière expresse aux États membres la possibilité d’utiliser ou non la réserve nationale dans les situations visées à cette disposition.


    20 – Ministère public espagnol.


    21 – Arrêts du 20 juin 2002, Mulligan e.a. (C-313/99, Rec. p. I-5719, point 35); du 11 janvier 2007, Piek (C‑384/05, Rec. p. I‑289, point 34), ainsi que du 5 mai 2011, Kurt und Thomas Etling e.a. (C‑230/09 et C‑231/09, non encore publié au Recueil, point 74).


    22 – Arrêt Kurt und Thomas Etling e.a. (précité à la note 21, point 74); voir, également, ordonnance du 1er mars 2011, Chartry (C‑457/09, non encore publiée au Recueil, point 22).


    23 – Arrêt Kurt und Thomas Etling e.a. (précité à la note 21, point 75).


    24 – Voir point 77 des conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Kücükdeveci (arrêt du 19 janvier 2010, C‑555/07, non encore publié au Recueil).


    25 – Voir arrêts du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, non encore publié au Recueil, point 51), et du 22 décembre 2010, DEB (C‑279/09, non encore publié au Recueil, point 30).


    26 – Arrêts du 6 décembre 2005, ABNA e.a. (C-453/03, C-11/04, C-12/04 et C-194/04, Rec. p. I‑10423, point 63); du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C-127/07, Rec. p. I‑9895, point 23); du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a. (C‑558/07, Rec. p. I-5783, point 74), ainsi que du 1er mars 2011, Association belge des Consommateurs Test-Achats e.a. (C‑236/09, non encore publié au Recueil, point 28).


    27 – Arrêt Kücükdeveci (précité à la note 24, point 50).


    28 – Arrêts Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (précité à la note 26, point 26), et Test Achats (précité à la note 26, point 29), ainsi que du 17 mars 2011, AJD Tuna (C‑221/09, non encore publié au Recueil, point 93).


    29 – Arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (précité à la note 26, point 26).


    30 – Voir vingt-cinquième et vingt-septième considérants du règlement n° 73/2009, susmentionné à la note 3.


    31 – Arrêts du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa (C-411/05, Rec. p. I-8531, point 68), et du 12 janvier 2010, Petersen (C-341/08, non encore publié au Recueil, point 70). Voir également, à ce sujet, point 54 de nos conclusions dans l’affaire Ingeniørforeningen i Danmark (arrêt du 12 octobre 2010, C‑499/08, non encore publié au Recueil).


    32 – Voir cinquième considérant du règlement n° 1782/2003, ainsi que huitième et neuvième considérants du règlement n° 73/2009, susmentionné à la note en bas de page 3.


    33 – Voir articles 93, paragraphe 1, et 94, paragraphe 1, ainsi que soixante-dixième considérant du règlement n° 1698/2005.

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