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Document 62010CC0177

Conclusions de l'avocat général Sharpston présentées le 12 mai 2011.
Francisco Javier Rosado Santana contre Consejería de Justicia y Administración Pública de la Junta de Andalucía.
Demande de décision préjudicielle: Juzgado de lo Contencioso-Administrativo nº 12 de Sevilla - Espagne.
Politique sociale - Directive 1999/70/CE - Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée - Clause 4 - Application de l’accord-cadre dans le domaine de la fonction publique - Principe de non-discrimination.
Affaire C-177/10.

Recueil de jurisprudence 2011 I-07907

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:301

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 12 mai 2011 (1)

Affaire C‑177/10

Francisco Javier Rosado Santana

contre

Consejería de Justicia y Administración Pública de la Junta de Andalucía

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 12 de Sevilla (Espagne)]

«Politique sociale – Travail à durée déterminée – Fonction publique – Principe de non-discrimination – Agents temporaires»





1.        Par la présente demande de décision préjudicielle, la Cour est de nouveau invitée à interpréter l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 entre la Confédération européenne des syndicats (CES), l’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE) et le Centre européen des entreprises à participation publique (CEEP), figurant en annexe à la directive 1999/70/CE (2) (ci-après l’«accord-cadre»).

2.        La question spécifique que pose la présente affaire concerne la compatibilité avec la clause 4 de l’accord-cadre d’une disposition des règles régissant un exercice de promotion des fonctionnaires. La disposition en cause imposait aux candidats d’avoir travaillé un certain temps en qualité de fonctionnaire de carrière (au sens de fonctionnaire titulaire ou permanent) avant d’acquérir le droit d’être promus selon cette procédure. Les fonctionnaires dont l’expérience antérieure avait été acquise sous un contrat à durée déterminée étaient de ce fait dépourvus de ce droit.

I –    Le cadre juridique

A –    La législation de l’Union

3.        Le deuxième considérant du préambule de l’accord-cadre dispose:

«Les parties au présent accord [CES, UNICE et CEEP] reconnaissent que les contrats à durée indéterminée sont et resteront la forme générale de relations de travail entre employeurs et travailleurs. Elles reconnaissent également que les contrats de travail à durée déterminée répondent, dans certaines circonstances, à la fois aux besoins des employeurs et à ceux des travailleurs.»

4.        La clause 1 de l’accord-cadre dispose:

«Le présent accord-cadre a pour objet:

a)      d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination;

[…]»

5.        La clause 3 de l’accord-cadre prévoit:

«Aux termes du présent accord, on entend par:

1.      ‘travailleur à durée déterminée’, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé.

2.      ‘travailleur à durée indéterminée comparable’, un travailleur ayant un contrat ou une relation de travail à durée indéterminée dans le même établissement, et ayant un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte des qualifications/compétences. […]»

6.        La clause 4 de l’accord-cadre, intitulée «Principe de non‑discrimination», dispose:

«1.      Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.

[…]

4.      Les critères de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont justifiés par des raisons objectives.»

7.        La clause 8, paragraphe 5, de l’accord-cadre prévoit:

«La prévention et le règlement des litiges et plaintes résultant de l’application du présent accord sont traités conformément à la législation, aux conventions collectives et aux pratiques nationales.»

B –    Le droit national

8.        La décision de renvoi indique que, outre la directive et l’accord-cadre, M. Rosado Santana invoque, d’une part, l’article 14 de la Constitution espagnole, qui consacre le principe de l’égalité de traitement, et, d’autre part, l’article 1er de la loi 70/1978, du 26 décembre 1978, sur la reconnaissance des services antérieurs dans l’administration publique, qui dispose:

«1.      Les fonctionnaires titulaires de l’administration de l’État, de l’administration locale, institutionnelle, de la justice, des tribunaux du travail et de la Sécurité sociale bénéficient de la reconnaissance de la totalité des périodes de service qu’ils ont accomplies indistinctement pour ces administrations avant la constitution des catégories, échelons ou postes concernés, ou avant qu’il y aient accédé, ainsi que de la période de stage pour les fonctionnaires ayant subi avec succès les épreuves d’entrée dans l’administration publique.

2.      Sont considérées comme des périodes de service effectif toutes les périodes indistinctement accomplies dans les secteurs de l’administration publique visés au paragraphe précédent, qu’elles aient été accomplies en qualité d’agent employé (à durée déterminée ou intérimaire) ou en régime de contrat administratif ou de travail, que ces contrats aient ou non été conclus par écrit.»

9.        La décision de renvoi relève ensuite que la possibilité d’appliquer la loi 70/1978 est contestée dans la procédure au principal par la Junta de Andalucía (gouvernement autonome d’Andalousie) (Espagne) (ci-après la «Junta»), au motif que la jurisprudence nationale dispose que cette législation ne s’applique pas aux procédures de sélection de fonctionnaires basées sur le mérite.

10.      Dans ses observations écrites, le gouvernement espagnol affirme également que la loi 70/1978 est inapplicable. Il vise, pour sa part, la vingt-deuxième disposition additionnelle de loi 30/1984, du 2 août 1984, portant réforme de la fonction publique espagnole. Cette disposition définit certains critères d’éligibilité à la promotion du groupe D au groupe C dans le cadre du système de carrière de la fonction publique espagnole. Ces critères comprennent une ancienneté de dix ans en qualité de fonctionnaire titulaire dans le groupe D. Selon la Junta, la disposition en cause trouve son expression spécifique, au sein de la législation de la communauté autonome d’Andalousie, dans le décret 2/2002, du 9 janvier 2002, dont l’article 32, paragraphe 2, a une teneur équivalente.

11.      Le gouvernement espagnol mentionne également la loi 7/2007, du 12 avril 2007, portant adoption du statut de base des agents publics. L’article 10 de cette loi s’applique aux fonctionnaires temporaires et contient des dispositions concernant leur nomination, la nature de leurs fonctions et la fin de celles-ci (3).

12.      La décision de renvoi évoque ensuite la jurisprudence de la Cour constitutionnelle espagnole. Il apparaît que celle-ci a déclaré que les différences de rémunération entre fonctionnaires temporaires et titulaires occupant les mêmes fonctions peuvent ne pas être contraires au principe d’égalité de traitement, tel que défini à l’article 14 de la Constitution espagnole. Des traitements juridiques différents sont ainsi susceptibles d’être constitutionnels.

13.      Enfin, la décision de renvoi relève qu’une grande part des juridictions espagnoles (mais pas toutes) estime que, lorsqu’un avis public d’une procédure de recrutement fixe les règles régissant, notamment, l’éligibilité, celles-ci constituent la «loi» de cette procédure. Si un candidat ne conteste pas ces règles dans les délais impartis, il ne peut plus invoquer par la suite leur illégalité pour contester le résultat en ce qui le concerne.

14.      Selon les observations écrites du gouvernement espagnol, il découle de cette jurisprudence qu’il existe deux, et seulement deux, possibilités ouvertes à un candidat souhaitant contester une procédure de sélection dans le cadre d’un recrutement dans la fonction publique. Si le candidat souhaite contester les conditions applicables à la procédure de sélection en cause, il doit introduire un recours visant ces conditions. Si, en revanche, il entend contester la manière selon laquelle cette procédure a été menée, son recours doit viser le déroulement de celle-ci. Il lui est cependant impossible de contester les conditions applicables à la procédure de sélection indirectement, sous la forme d’un recours ostensiblement dirigé contre son déroulement. En vertu de la loi 29/1998, du 13 juillet 1998, relative aux litiges en matière de contentieux administratif, dans des circonstances telles que celles au principal, un recours visant les conditions régissant la procédure de sélection devait être formé dans les deux mois suivant la date de publication de l’avis de concours. En l’espèce, un recours aurait donc dû être introduit avant le 17 mars 2008.

II – Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

15.      M. Rosado Santana, le requérant au principal, s’est engagé pour la première fois dans une relation de travail avec la Junta le 19 mai 1989, lorsqu’il a été engagé sous contrat à durée déterminée. Cette relation a pris fin le 27 mai 2005. Le 28 mai 2005, il est devenu fonctionnaire titulaire au titre d’un contrat à durée indéterminée.

16.      La décision de renvoi indique que, par avis du 17 décembre 2007 de la Consejería de Justicia y Administración Pública (ministère de la Justice et de l’Administration publique) de la Junta, il a été annoncé l’organisation d’épreuves de sélection pour l’accès des fonctionnaires, par le système de promotion interne, à la catégorie générale des administrateurs de cette administration publique (ci-après l’«avis de concours»). La clause 2, paragraphe 1, sous b), de l’avis de concours indiquait que les candidats étaient tenus de «détenir ou être en mesure d’obtenir le titre de Bachiller Superior [baccalauréat] […] ou, à défaut, justifier d’une ancienneté de dix années comme fonctionnaire titulaire dans les catégories appartenant au groupe D, ou de cinq années après avoir suivi le cours spécifique auquel se réfère l’ordonnance, du 4 juillet 2002, de l’Instituto Andaluz de la Administración Pública [Institut andalou d’administration publique], portant avis de concours de qualification pour l’accès par promotion interne aux catégories du groupe C à partir des catégories du groupe D de l’Administración General de la Junta de Andalucía [Administration générale de la Junta] […]»

17.      Dans les présentes conclusions, je désignerai le critère d’éligibilité relatif à l’ancienneté de dix années comme fonctionnaire titulaire dans un poste relevant du groupe D par l’expression «critère contesté».

18.      Bien que la décision de renvoi n’expose pas l’intégralité du libellé de la clause 2, paragraphe 1, sous b), de l’avis de concours, les observations écrites présentées par la Junta prétendent le faire. Selon ces observations, cette clause est ensuite libellée comme suit:

«[…] les services […] accomplis en qualité de fonctionnaire titulaire auprès d’autres administrations publiques […] seront pris en compte, aux fins de l’ancienneté […]. Toutefois, ne seront pas pris en considération les services antérieurs reconnus accomplis en qualité de personnel intérimaire ou contractuel auprès de toute administration publique ou les autres services antérieurs similaires.»

19.      L’avis de concours a été publié au Boletín Oficial de la Junta de Andalucía (Journal officiel de la Junta) du 16 janvier 2008.

20.      Même si la décision de renvoi n’est pas tout à fait claire à cet égard, il apparaît que M. Rosado Santana aurait satisfait au critère contesté en raison de ses fonctions auprès de la défenderesse depuis le 19 mai 1989, mis à part le fait que l’avis exigeait que ces fonctions aient été exercées en qualité de fonctionnaire titulaire. Les autres critères d’éligibilité prévus par l’avis de concours ne sont pas pertinents en l’espèce.

21.      M. Rosado Santana a néanmoins demandé à passer les épreuves de sélection en cause, et sa demande a été acceptée. Il a participé à la procédure de concours, laquelle se composait de deux phases. Il a été reçu et son nom a donc été inscrit sur la liste des candidats retenus publiée le 12 novembre 2008.

22.      Le 2 février 2009, un avis de vacance a été publié. M. Rosado Santana a dûment postulé pour un poste et présenté les documents demandés. Le 25 mars 2009, cependant, le Secretaría General para la Administración Pública (Secrétariat général de l’administration publique) de la Junta a adopté une décision annulant son classement en tant que candidat retenu. Le motif donné pour justifier l’annulation était que M. Rosado Santana ne satisfaisait à aucun des critères d’éligibilité définis au point 16 des présentes conclusions. En particulier, il ne répondait pas au critère contesté, au motif que la période au cours de laquelle il avait servi en tant que fonctionnaire temporaire ne devait pas être prise en compte pour déterminer si ce critère avait été rempli.

23.      Le 8 juin 2009, M. Rosado Santana a formé un recours devant le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 12 de Sevilla [tribunal du contentieux administratif n° 12 de Séville], en vue de contester la décision annulant son classement en tant que candidat retenu. Il a notamment contesté la validité du critère en cause, du fait qu’il exigeait de manière erronée que les fonctions en cause aient été exercées en qualité de fonctionnaire titulaire.

24.      Le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 12 de Sevilla a soumis à la Cour, à titre préjudiciel, les questions suivantes:

«1)      La directive […] doit-elle être interprétée en ce sens que, dans le cas où la Cour constitutionnelle d’un pays membre de l’Union européenne se serait prononcée en estimant qu’il pourrait ne pas être anticonstitutionnel d’établir des droits différents pour les agents employés et les fonctionnaires titulaires de ce pays, ceci devrait nécessairement impliquer d’exclure que la disposition précitée du droit communautaire puisse être applicable dans le cadre de sa fonction publique?

2)      Cette directive doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle fait opposition à ce qu’un organe juridictionnel national interprète les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination d’une manière qui exclue généralement de leur champ d’application l’égalité entre agents employés et fonctionnaires titulaires?

3)      La clause 4 [de l’accord-cadre] doit-[elle] être interprétée en ce sens qu’[elle] fait opposition à ce que les périodes de service accomplies en régime intérimaire ne soient pas prises en compte comme ancienneté acquise lors de l’accès au statut d’agent titulaire, et concrètement aux fins de rémunération, classement ou progression dans la carrière du fonctionnaire?

4)      La clause précitée oblige-t-elle à donner de la réglementation nationale une interprétation qui n’exclue pas du décompte des périodes de service accomplies par le personnel fonctionnaire les périodes accomplies en vertu d’un contrat temporaire?

5)      La clause précitée doit-elle être interprétée en ce sens que, bien qu’un avis public de vacance d’emploi ait été publié et n’ait pas été contesté par l’intéressé, le juge national a l’obligation d’examiner s’il est contraire à la réglementation [de l’Union], et doit-il, dans ce cas, s’abstenir d’appliquer cet avis ou la disposition nationale sur laquelle il s’appuie, pour autant qu’elle contredit ladite clause?»

25.      Des observations écrites ont été présentées par le gouvernement espagnol, la Junta et la Commission européenne. Aucune audience n’a été demandée, ni tenue.

III – Sur la recevabilité

26.      La Junta a soulevé deux objections générales quant à la recevabilité dans ses observations écrites.

27.      Dans la première d’entre elles, la Junta soutient que la décision de renvoi ne satisfait pas aux conditions exigées par la jurisprudence de la Cour. En particulier, la juridiction de renvoi n’a pas précisé le cadre juridique national qui s’applique aux questions soumises ni les raisons l’ayant conduite à choisir une disposition du droit de l’Union déterminée. Elle n’a pas non plus démontré le lien entre cette disposition et les règles nationales ou la situation factuelle qui constituent le contexte du litige. Il convient par conséquent de déclarer la décision de renvoi irrecevable.

28.      Je ne partage pas ce point de vue.

29.      Selon une jurisprudence constante, la procédure établie à l’article 267 TFUE se fonde sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. Il appartient, en effet, au seul juge national d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (4).

30.      L’examen de la décision de renvoi montre que la juridiction nationale expose la législation nationale invoquée par M. Rosado Santana dans le cadre de l’affaire soumise à son examen. Par implication nécessaire, cette juridiction doit examiner ces dispositions pertinentes pour les questions renvoyées. Elle poursuit en présentant les éléments de la jurisprudence nationale l’ayant amenée à avoir des doutes quant à l’application précise de la directive dans sa juridiction nationale compte tenu de cette jurisprudence. Il apparaît clairement en tout état de cause que, dans une procédure préjudicielle, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier quelles dispositions du droit national sont applicables dans l’affaire au principal (5).

31.      En ce qui concerne les raisons ayant amené la juridiction nationale à faire référence à la directive et à l’accord-cadre ainsi que le lien entre ces dispositions et le litige au principal, la décision de renvoi indique clairement, sans aucun doute, pourquoi les dispositions de la directive sont pertinentes à l’égard de la situation de fait qu’elle décrit.

32.      Compte tenu de ces éléments, il convient, selon moi, de rejeter la première exception.

33.      Par sa deuxième exception, la Junta soutient, si j’entends bien, que les questions préjudicielles posées sont irrecevables au motif que la clause 4 de l’accord-cadre ne saurait s’appliquer dans les circonstances auxquelles se rapportent ces questions. Le litige au principal concerne non pas des «conditions d’emploi» aux fins de la clause 4 de l’accord-cadre, mais plutôt un critère de participation à la procédure de concours dans laquelle M. Rosado Santana s’est engagé.

34.      Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que, dès lors que celle-ci se trouve saisie d’une demande d’interprétation du droit de l’Union qui n’est pas manifestement sans rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, elle doit y répondre (6).

35.      Aux points 51 et suivants des présentes conclusions, je traiterai la question de savoir ce que signifie l’expression «conditions d’emploi». Je considère toutefois que la deuxième exception d’irrecevabilité de la Junta est manifestement mal conçue. Il ne fait aucun doute que l’applicabilité de la clause 4 de l’accord-cadre, y compris l’interprétation à donner à l’expression «conditions d’emploi», est pertinente à l’égard des questions soulevées dans le cadre du litige au principal.

36.      L’exception d’irrecevabilité soulevée par la Junta doit, dès lors, être rejetée.

IV – Sur le fond

37.      La juridiction nationale soumet cinq questions dans la décision de renvoi. La première porte sur l’interaction du droit national et du droit de l’Union. Les deuxième, troisième et quatrième questions concernent chacune l’applicabilité et l’interprétation de la directive et, notamment, de la clause 4 de l’accord-cadre. La cinquième question soulève des difficultés concernant la disposition de voies de recours en droit national en cas de violation du droit de l’Union.

38.      Du fait que la question de la pertinence des première et cinquième questions dépend des réponses données par la Cour à l’égard de l’applicabilité et de l’interprétation de la directive, je traiterai tout d’abord les deuxième, troisième et quatrième questions. J’examinerai ensuite la première question, avant d’aborder, finalement, la cinquième question.

A –    Sur les deuxième, troisième et quatrième questions

39.      Par ces questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande essentiellement à la Cour de se prononcer sur l’applicabilité et l’interprétation de la directive ainsi que, notamment, de la clause 4 de l’accord-cadre, aux circonstances apparaissant dans l’affaire au principal.

40.      La juridiction nationale souhaite notamment savoir si un avis de concours, tel que celui dans l’affaire au principal, qui rend le droit à une promotion dans la fonction publique dépendant d’une période de service en qualité de fonctionnaire titulaire et exclut expressément les périodes effectuées en tant que fonctionnaire temporaire, enfreint la clause 4 de l’accord-cadre.

1.      Applicabilité de la directive à l’affaire au principal

a)      Fonctionnaires

41.      La jurisprudence de la Cour fait clairement apparaître que le fait que la relation de travail de M. Rosado Santana ait été engagée avec un organisme du secteur public n’a pas d’incidence sur l’application de la directive et de l’accord-cadre en l’espèce. Il ressort du libellé de ces actes, comme de leur contexte, que les dispositions qu’ils contiennent peuvent s’appliquer à un contrat de travail à durée déterminée et à des contrats conclus avec les autorités publiques et des organismes du secteur public (7). De la même manière, le fait qu’un poste puisse être classifié comme «réglementé» par le droit national n’est pas pertinent à l’égard de l’application de ces actes (8).

42.      Contrairement à l’argument avancé par la Junta à l’égard de la deuxième question, il en découle que les fonctionnaires temporaires et titulaires doivent être considérés comme «comparables» aux fins de la clause 4 de l’accord-cadre.

b)      Applicabilité de la directive et de l’accord-cadre à une personne ayant cessé d’être un travailleur à durée déterminée

43.      Le gouvernement espagnol soutient dans ses observations écrites que la directive et l’accord-cadre ne sauraient s’appliquer à une personne, telle que M. Rosado Santana, qui présente sa demande en tant que fonctionnaire titulaire, c’est-à-dire en tant que membre du personnel permanent. Au soutien de cette argumentation, il cite les points 28 et 30 de l’arrêt Del Cerro Alonso (9), dans lesquels la Cour a constaté que la directive et l’accord-cadre s’appliquent «à l’ensemble des travailleurs fournissant des prestations rémunérées dans le cadre d’une relation de travail à durée déterminée les liant à leur employeur», en observant ensuite que, dès lors que «l’affaire au principal port[ait] sur la comparaison entre un membre du personnel statutaire temporaire et un membre du personnel statutaire fixe», la requérante au principal «relev[ait] du champ d’application de la directive […] et de celui de l’accord-cadre». Étant donné que la comparaison que M. Rosado Santana vise à établir dans cette affaire s’opère entre lui-même, en tant que fonctionnaire titulaire, et d’autres fonctionnaires titulaires, il ne saurait être question de l’application de la directive et de l’accord-cadre à son égard.

44.      La Commission préconise une approche semblable.

45.      Une telle ligne de raisonnement me semble mal interpréter la jurisprudence et adopter une approche de l’interprétation de la directive et de l’accord-cadre sans rapport avec leur objet.

46.      Afin d’interpréter la directive et l’accord-cadre correctement, il est nécessaire de prendre en considération le contexte dans lequel ils ont été édictés. Ainsi, la Cour a dit pour droit dans son arrêt Impact (10) que «l’accord-cadre, en particulier sa clause 4, poursuit […] un but qui participe des objectifs fondamentaux inscrits à l’article [151], premier alinéa, [TFUE] […] et aux points 7 et 10, premier alinéa, de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs à laquelle renvoie [l’article 151 TFUE], et qui sont liés à l’amélioration des conditions de vie et de travail ainsi qu’à l’existence d’une protection sociale adéquate des travailleurs, en l’occurrence des travailleurs à durée déterminée. […] Eu égard à ces objectifs, la clause 4 de l’accord-cadre doit être comprise comme exprimant un principe de droit social [de l’Union] qui ne saurait être interprété de manière restrictive» (11).

47.      La question posée dans l’affaire au principal traite du droit de voir prises en compte des périodes effectuées en tant que travailleur à durée déterminée dans le calcul du droit à la promotion au même titre qu’un travailleur permanent comparable dans une relation de travail avec le même employeur.

48.      Une interprétation aussi large de la clause 4 de l’accord-cadre peut-elle se justifier?

49.      Selon moi, une telle interprétation n’est pas simplement une interprétation possible. Elle constitue la seule interprétation qui satisfasse à l’exigence que la disposition soit interprétée d’une manière qui ne soit pas restrictive. Le fait que M. Rosado Santana soit à présent dans une relation de travail permanente avec la Junta n’a pas d’incidence, de quelque manière que ce soit, sur l’argument avancé en son nom. Ce qui revêt une importance capitale, en revanche, est la question de savoir si le fait de ne pas prendre en compte les périodes effectuées en tant que travailleur à durée déterminée dans le calcul de son droit à la promotion uniquement en raison de la nature déterminée de la durée de sa relation de travail constituerait une discrimination aux fins de la clause 4 de l’accord-cadre.

50.      Une approche plus restrictive desservirait l’ensemble de la finalité de la clause 4 de l’accord-cadre. Elle rendrait possible une des formes de discrimination que l’adoption de la directive et l’accord-cadre visaient précisément à éviter.

–       ‘Condition d’emploi’

51.      Afin que s’applique la clause 4 de l’accord-cadre, la condition en cause doit être une «condition d’emploi».

52.      La jurisprudence de la Cour fait clairement comprendre qu’il convient également de donner une large interprétation à cette expression (12).

53.      Dans la présente affaire, le fait que M. Rosado Santana ait droit à une promotion constitue un incident de sa relation de travail en tant que fonctionnaire titulaire. En d’autres termes, à condition qu’il respecte les exigences (valables) imposées par la Junta, en tant qu’autorité qui l’emploie, à cet égard, il peut prétendre à un avancement, avec tous les avantages que cela implique, en même temps que ses collègues et les autres candidats qui se trouvent dans une situation semblable.

54.      Un tel droit peut-il être considéré comme une condition d’emploi aux fins de la clause 4 de l’accord-cadre?

55.      À mon sens, la réponse est clairement «oui». La relation de travail est caractérisée par un droit, d’une part, et une obligation correspondante, d’autre part. Il n’existe, à cet égard, aucune différence par rapport aux règles régissant le paiement d’une rémunération en contrepartie des services rendus (13).

2.      Raisons objectives

56.      La clause 4 de l’accord-cadre permet expressément un traitement différent des travailleurs à durée déterminée et des travailleurs permanents comparables lorsqu’une telle différence de traitement est justifiée par des raisons objectives.

57.      L’expression «raisons objectives» n’est pas définie dans la directive ou l’accord-cadre. Elle a, cependant, été interprétée dans la jurisprudence de la Cour.

58.      Dans son arrêt Del Cerro Alonso (14), la Cour a déclaré que la notion devait être entendue de la même façon que la notion de «raisons objectives» figurant à la clause 5 de l’accord-cadre, qui avait déjà été traité par la jurisprudence (15). Par sa jurisprudence relative à ladite clause 5, la Cour a considéré que la «notion de ‘raisons objectives’ doit être entendue comme visant des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée et, partant, de nature à justifier dans ce contexte particulier l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs. Ces circonstances peuvent résulter notamment de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles de tels contrats ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre» (16). Elle a poursuivi en ajoutant que «le recours à des contrats de travail à durée déterminée sur le seul fondement d’une telle disposition générale, sans rapport avec le contenu concret de l’activité considérée, ne permet pas de dégager des critères objectifs et transparents aux fins de vérifier si le renouvellement de tels contrats répond effectivement à un besoin véritable, est apte à atteindre l’objectif poursuivi et est nécessaire à cet effet» (17).

59.      Appliquant ce raisonnement à la clause 4 de l’accord-cadre, la Cour a constaté, dans l’arrêt Del Cerro Alonso, précité, que «[la notion de raisons objectives] doit être comprise comme n’autorisant pas de justifier une différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée par le fait que cette dernière est prévue par une norme nationale générale et abstraite, telle une loi ou une convention collective. Au contraire, ladite notion requiert que l’inégalité de traitement en cause soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets, caractérisant la condition d’emploi dont il s’agit, dans le contexte particulier dans lequel elle s’insère et sur le fondement de critères objectifs et transparents, afin de vérifier si cette inégalité répond à un besoin véritable, est apte à atteindre l’objectif poursuivi et est nécessaire à cet effet» (18).

60.      Ultérieurement, dans l’arrêt Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres (19), la Cour, de nouveau appelée à interpréter la clause 4 de l’accord-cadre, a dit pour droit que «[les éléments précis et concrets dont il s’agit] peuvent résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre. […] En revanche, le recours à la seule nature temporaire du travail du personnel de l’administration publique n’est pas conforme à ces exigences et n’est donc pas susceptible de constituer une raison objective au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre. Une différence de traitement en ce qui concerne les conditions d’emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée ne saurait être justifiée par un critère qui, de manière générale et abstraite, se réfère à la durée même de l’emploi. Admettre que la seule nature temporaire d’une relation de travail suffit pour justifier une telle différence viderait de leur substance les objectifs de la directive […] et de l’accord-cadre […]. Au lieu d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée et de promouvoir l’égalité de traitement recherchée tant par [la directive] que par l’accord-cadre, le recours à un tel critère reviendrait à pérenniser le maintien d’une situation défavorable aux travailleurs à durée déterminée» (20).

61.      Contrairement à ce que soutient le gouvernement espagnol dans ses observations écrites, il s’ensuit que le fait que la relation de travail sous un contrat à durée déterminée est, par définition, temporaire ne saurait constituer une «raison objective» aux fins de la clause 4, paragraphe 1, de l’accord-cadre, justifiant une différence de traitement. Il s’ensuit également que, en excluant des périodes de service accomplies en qualité de travailleur à durée déterminée, ainsi que l’a fait l’avis de sélection en ce qui concerne M. Rosado Santana, ledit avis n’a pas répondu aux exigences de la clause 4, paragraphe 1, de l’accord-cadre à l’égard de la notion de «raison objective».

62.      Cette considération ne signifie pas qu’il ne puisse jamais exister de circonstances dans lesquelles la notion de «raison objective» peut s’appliquer à une différence de traitement entre les fonctionnaires temporaires et les fonctionnaires titulaires. Le gouvernement espagnol consacre une partie relativement importante de ses observations écrites à la description des différences sous-jacentes, qu’il considère comme étant inhérentes, entre fonctionnaires temporaires et titulaires. Parmi celles-ci figurent, selon le gouvernement espagnol, les différences liées à la manière selon laquelle les différentes catégories de fonctionnaires sont recrutées, les qualifications requises et la nature des fonctions exercées.

63.      Dans la mesure où ces différences se contentent de refléter la nature provisoire de la relation de travail dans laquelle un fonctionnaire temporaire est engagé, ces arguments ne sauraient parvenir à justifier une différence de traitement aux fins de la clause 4, paragraphe 1, de l’accord-cadre. Dans la mesure, cependant, où ces différences peuvent illustrer des conditions objectives concernant l’exercice de promotion dans des cas spécifiques, ces différences sont susceptibles d’être justifiées.

64.      Pour illustrer ce point en termes concrets, il est sans doute possible de concevoir des circonstances où le poste à pourvoir exige une expérience particulière que seul un fonctionnaire titulaire peut avoir obtenue. Cela pourrait, par exemple, découler du fait que cette expérience préalable ne peut s’acquérir que dans des postes auxquels des fonctionnaires titulaires sont nommés. Bien que le deuxième considérant du préambule à l’accord-cadre rappelle que les contrats à durée indéterminée constituent la forme général de relation de travail entre employeurs et travailleurs, ni la directive ni l’accord-cadre n’édictent une obligation générale de prévoir, le cas échéant, la transformation en contrats à durée indéterminée des contrats de travail à durée déterminée (21).

65.      Le point de savoir si des raisons objectives aux fins de la clause 4, paragraphe 1, de l’accord-cadre existent dans un cas particulier constitue une question de fait qui dépendra des circonstances spécifiques de l’exercice de promotion en cause. Il convient d’aborder la question au cas par cas, eu égard à l’ensemble des éléments susceptibles d’être pertinents, y compris, en particulier, la nature de l’expérience nécessaire sur le poste à pourvoir.

66.      Dans l’affaire au principal, cependant, il est clair que, en disposant simplement que des périodes de service en tant que fonctionnaire temporaire ne devaient pas être prises en compte, la procédure de sélection n’aurait jamais pu bénéficier de l’exemption en cause. De tels motifs sont, naturellement, susceptibles d’avoir existé. Cependant, même en ce cas, ceux-ci n’ont pas été exprimés avec la transparence qui est essentielle si l’exemption doit reposer sur eux.

67.      L’ensemble des considérations précédentes m’amène à considérer que l’avis de concours a contrevenu à la clause 4 de l’accord-cadre.

68.      Je considère donc qu’il conviendrait de répondre aux deuxième, troisième et quatrième questions que la clause 4 de l’accord-cadre est violée lorsqu’un avis de concours, tel que celui visé dans l’affaire au principal, rend l’éligibilité à une promotion dans la fonction publique dépendante d’une période de service en tant que fonctionnaire titulaire et exclut expressément des périodes effectuées en qualité de fonctionnaire temporaire, sans définir des raisons objectives pour fonder une telle exclusion.

B –    Sur la première question

69.      Dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi indique que la Cour constitutionnelle espagnole a déclaré qu’il est susceptible de ne pas être contraire aux dispositions sur l’égalité de traitement prévues à l’article 14 de la Constitution nationale que des fonctionnaires temporaires et des fonctionnaire titulaires soient traités différemment en dépit du fait qu’ils puissent exercer les mêmes fonctions.

70.      Ainsi que je comprends la question posée par la juridiction de renvoi, celle-ci demande en substance si l’adoption par une des juridictions suprêmes de cet État membre d’une définition de l’égalité de traitement doit primer sur une définition différente de la même notion au titre du droit de l’Union, dans un domaine où le juge national est tenu d’appliquer le droit de l’Union. Dans l’hypothèse où ce dernier serait obligé d’adopter la définition de la Cour constitutionnelle espagnole, la solution serait (ou pourrait être) que la directive et l’accord-cadre ne soient pas considérés comme s’appliquant à la fonction publique de cet État membre.

71.      Dans la mesure où il est demandé si la directive et l’accord-cadre s’appliquent aux fonctionnaires, j’ai déjà traité cette question aux points 41 et suivants des présentes conclusions.

72.      Si l’on considère que la question est de savoir si le juge national peut être obligé d’appliquer une définition de l’égalité de traitement qui diffère de la définition prévue par le droit de l’Union, et accorde moins de droits que celle-ci, la réponse doit manifestement être «non».

73.      Ce point ressort clairement d’une jurisprudence constante de la Cour.

74.      En appliquant le droit interne dans le cadre d’une directive de l’Union, les juridictions nationales sont tenues d’interpréter ce droit, dans la mesure du possible, compte tenu du libellé et de la finalité de la directive en cause ainsi que – du fait que l’accord-cadre fait partie intégrante de la directive (22) – de l’accord-cadre. L’exigence d’une interprétation du droit national conforme au droit de l’Union est en effet inhérente au système du traité FUE en ce qu’elle permet aux juridictions nationales d’assurer, dans le cadre de leurs compétences, la pleine effectivité du droit de l’Union lorsqu’elles tranchent les litiges dont elles sont saisies (23). Le principe suivant lequel le droit national doit être interprété conformément au droit de l’Union requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne, aux fins de garantir la pleine effectivité de la directive et de l’accord-cadre et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie (24).

75.      Il en résulte que le juge national est tenu d’appliquer l’interprétation de la directive et de l’accord-cadre fournie par la Cour, même lorsque la Cour constitutionnelle de l’État membre en cause a dit pour droit que des différences de traitement entre les fonctionnaires temporaires et titulaires ne sont pas (ou sont susceptibles de ne pas être) contraires à la Constitution de cet État membre.

76.      Compte tenu de ce qui précède, je considère qu’il convient de répondre à la première question que le juge national est tenu d’appliquer l’interprétation de la directive et de l’accord-cadre donnée par la Cour, même si la Cour constitutionnelle espagnole a dit pour droit que des différences de traitement entre fonctionnaires temporaires et titulaires ne sont pas (ou sont susceptibles de ne pas être) contraires à la Constitution de cet État membre.

C –    Sur la cinquième question

77.      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, et en particulier la clause 4 de l’accord-cadre, l’oblige à examiner les règles de fond de la procédure de concours sans tenir compte d’un empêchement procédural, comme le fait de ne pas former un recours dans les délais impartis.

78.      Le recours au principal de M. Rosado Santana est fondé sur l’argument que, du fait que le critère contesté imposait une expérience de dix années en tant que fonctionnaire titulaire, l’avis de concours avait contrevenu au droit de l’Union. Ses droits ont ainsi été violés. J’ai déjà indiqué que je partage ce point de vue. Toutefois, il ressort de la décision de renvoi que, lorsque M. Rosado Santana a formé son recours, le délai de deux mois prévu par l’avis de concours avait déjà expiré.

79.      Un délai à peine de forclusion de cette nature peut-il être invoqué si le fondement du recours est la violation de droits tirés du droit de l’Union?

80.      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (25).

81.      Les États membres portent toutefois la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, une protection effective de ces droits (26). Les modalités procédurales de ces recours ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de droit interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (27).

82.      Le principe d’équivalence suppose que la règle litigieuse s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l’Union et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables (28). Bien qu’aucun élément de la décision de renvoi ne laisse entendre que ce principe a été violé dans l’affaire au principal, il appartient à la juridiction nationale de vérifier la situation (29).

83.      En ce qui concerne le principe d’effectivité, il est de jurisprudence constante que la fixation de délais de recours raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à l’exigence d’effectivité dans la mesure où elle constitue une application du principe fondamental de la sécurité juridique. La Cour a également jugé qu’il appartient aux États membres de déterminer ces délais en rapport avec, notamment, l’importance pour les intéressés des décisions à prendre, la complexité des procédures et de la législation à appliquer, le nombre de personnes susceptibles d’être concernées et les autres intérêts publics ou privés qui doivent être pris en considération (30).

84.      Le délai de deux mois prévu par la législation nationale rend-il l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union excessivement difficile?

85.      Il est évident que le délai en cause est court.

86.      Eu égard, cependant, aux intérêts à prendre en considération dans une procédure de sélection de la nature de celle visée dans l’affaire au principal, je ne considère pas ce délai si court, en soi, qu’il viole les principes susmentionnés. Ainsi que le gouvernement espagnol le souligne dans ses observations écrites, les intérêts des autres candidats participant à la procédure de concours et de la Junta elle-même, en tant qu’organisme responsable de la bonne administration de la procédure, sont pertinents. Toute mise en cause de la procédure de sélection est susceptible d’exercer un effet perturbateur et de porter préjudice. Il convient de relever que, dans l’arrêt Bulicke (31), la Cour a expressément approuvé une période à peine de forclusion similaire relative à la formation de recours en discrimination dans le cadre d’un contrat de travail.

87.      Peut-on soutenir que le moment auquel le délai de deux mois a commencé à courir (c’est-à-dire à partir de la date de publication de l’avis de concours au Boletín Oficial de la Junta de Andalucía) est contraire au principe d’effectivité? Ce principe impose-t-il que le délai doive commencer à un moment ultérieur, par exemple à la date à laquelle M. Rosado Santana a été informé de son inéligibilité à la promotion?

88.      Je ne le pense pas.

89.      Il me semble que les intérêts des parties dans leur ensemble peuvent être mieux servis par une exigence que les recours soient formés rapidement et, en tout état de cause, avant que la procédure de concours ne commence à se dérouler. En imposant cette règle, les responsables de l’organisation du concours seront en mesure d’examiner tout recours et, le cas échéant, de différer le commencement du reste de la procédure et de prendre toute autre mesure qui pourrait s’avérer nécessaire afin d’examiner le recours. Les participants à la procédure agiront ainsi en ayant connaissance du fait que, une fois engagée, celle-ci ne sera pas prolongée ou invalidée par le besoin d’examiner des contestations ultérieures de sa légalité.

90.      J’estime donc que le critère d’effectivité a été satisfait dans l’affaire au principal.

91.      En parvenant à cette conclusion, je suis consciente qu’elle laisse de côté l’éventualité que M. Rosado Santana ait été mal traité et, le cas échéant, traité de manière injustifiée, à la suite de la série d’évènements ayant suivi sa participation à la procédure de concours. Lui notifier qu’il a été retenu après cette procédure et l’informer par la suite qu’il n’avait pas le droit de postuler pour un poste est, pour le formuler de la plus aimable manière, malheureux.

92.      Le fil des évènements ne ressort pas tout à fait clairement de la décision de renvoi. Si M. Rosado Santana s’est vu donner une indication par la Junta, que ce soit expressément ou de manière implicite, que sa candidature répondait aux exigences de l’avis de concours, toute indication ultérieure en sens contraire représenterait, à première vue, une lacune d’ordre administratif de la part de la Junta et/ou un changement de position par rapport à celle initialement adoptée. Il se peut qu’il existe des principes de droit administratif espagnol pouvant s’avérer utiles dans de telles circonstances pour empêcher une administration de revenir sur son indication initiale (à laquelle M. Rosado Santana s’était manifestement fié en se présentant lui-même à la procédure de sélection, et tout au long de celle-ci). Cet aspect relève, toutefois, de la compétence du juge national.

93.      Il en découle que, d’après moi, une telle lacune ne représenterait pas une violation du principe d’effectivité ou des droits conférés par le droit de l’Union. Son incidence devrait, en conséquence, être appréciée par le juge national en vertu des dispositions nationales pertinentes, lesquelles relèvent uniquement de sa compétence.

94.      Je considère par conséquent qu’il convient de répondre à la cinquième question que le juge national n’a pas l’obligation d’examiner les règles substantielles de la procédure de concours dans l’hypothèse de l’existence d’un empêchement procédural valide. Afin de respecter les exigences du droit de l’Union, un tel empêchement doit être conforme aux principes d’équivalence et d’effectivité. Un délai de deux mois courant à partir de la date de publication d’un avis de concours, du type de celui en cause dans l’affaire au principal, n’est pas contraire au principe d’effectivité.

V –    Conclusion

95.      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je considère qu’il convient que la Cour réponde aux questions soumises à titre préjudiciel par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 12 de Sevilla comme suit:

«1)      La clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 entre la Confédération européenne des syndicats (CES), l’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE) et le Centre européen des entreprises à participation publique (CEEP), figurant en annexe à la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, est violée lorsqu’un avis de concours, tel que celui visé dans l’affaire au principal, rend le droit à une promotion dans la fonction publique dépendant d’une période de service en tant que fonctionnaire titulaire et exclut expressément des périodes effectuées en tant que fonctionnaire temporaire, sans présenter des raisons objectives permettant de fonder une telle exclusion.

2)      Le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 12 de Sevilla est tenu d’appliquer l’interprétation de la directive 1999/70 et de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée figurant en annexe de ladite directive présentée par la Cour de justice de l’Union européenne, même si la Cour constitutionnelle espagnole a constaté que des différences de traitement entre fonctionnaires temporaires et titulaires ne sont pas (ou ne sont pas susceptibles d’être) contraires à la Constitution de cet État membre.

3)      Le juge national n’a pas l’obligation d’examiner les règles substantielles de la procédure de concours dans l’hypothèse de l’existence d’un empêchement procédural valide. Afin de respecter les exigences du droit de l’Union, un tel empêchement doit être conforme aux principes d’équivalence et d’effectivité. Une limitation de temps de deux mois courant à partir de la date de publication d’un avis de concours, de la même nature que celui en cause dans l’affaire au principal, n’est pas contraire au principe d’effectivité.»


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Directive du Conseil du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO L 175, p. 43, ci-après la «directive»).


3 – Les éléments fournis par le gouvernement espagnol dans ses observations ne permettent pas d’établir si cette loi contient également des dispositions régissant les effets d’un changement de statut parmi les fonctionnaires temporaires et titulaires.


4 – Voir, notamment, arrêts du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C-305/05, Rec. p. I-5305, point 18), ainsi que du 18 novembre 2010, Kleist (C-356/09, non encore publié au Recueil, point 44).


5 –      Voir, à cet égard, ordonnance du 12 juin 2008, Vassilakis e.a. (C-364/07, point 77).


6 – Arrêt du 27 octobre 1993, Enderby (C-127/92, Rec. p. I-5535, point 12).


7 –      Voir, notamment, arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler e.a. (C-212/04, Rec. p. I-6057, points 54 à 57); du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso (C-307/05, Rec. p. I‑7109, point 25), ainsi que du 22 décembre 2010, Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres (C-444/09 et C-456/09, non encore publié au Recueil, point 38).


8 –      Voir, à cet égard, arrêt Del Cerro Alonso (précité à la note 7, point 29).


9 – Précité.


10 – Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C-268/06, Rec. p. I-2483).


11 – Points 112 et 114. Voir, également, arrêt Del Cerro Alonso (précité à la note 7, point 38).


12 – Voir, en ce sens, arrêts Del Cerro Alonso (précité à la note 7, points 31 et suiv.), ainsi que Impact (précité à la note 10, point 115).


13 –      Il est évident que des conditions relatives à la «paie», au sens d’une rémunération payée pour des services rendus, relèvent de la définition des «conditions d’emploi» en vertu de la clause 4 de l’accord-cadre (voir arrêts Del Cerro Alonso, précité à la note 7, point 41, et Impact, précité à la note 10, point 126).


14 – Précité.


15 – Point 56.


16 – Voir arrêts Adeneler e.a. (précité à la note 7, points 69 et 70), ainsi que Del Cerro Alonso (précité à la note 7, point 53).


17 – Voir arrêts Adeneler e.a. (précité à la note 7, point 74), ainsi que Del Cerro Alonso (précité à la note 7, point 55).


18 – Points 57 et 58.


19 – Précité.


20 –      Points 55 à 57.


21 – Voir, en ce sens, arrêts Adeneler e.a. (précité à la note 7, point 91), ainsi que du 23 avril 2009, Angelidaki e.a. (C-378/07 à C-380/07, Rec. p. I-3071, point 183).


22 – Voir, en ce sens, point 87 des conclusions présentées par l’avocat général Kokott dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Impact, précité.


23 – Voir, notamment, arrêt Impact (précité à la note 10, points 98 et 99 ainsi que jurisprudence citée).


24 – Voir, en ce sens, arrêt Impact (précité à la note 10, point 101 ainsi que jurisprudence citée).


25 – Voir, notamment, arrêt Impact (précité à la note 10, point 44 et jurisprudence citée), ainsi que Angelidaki e.a. (précité à la note 21, point 173).


26 – Voir, notamment, arrêt Impact (précité à la note 10, point 45 et jurisprudence citée).


27 – Ibidem (point 46 et jurisprudence citée).


28 – Voir arrêt du 8 juillet 2010, Bulicke (C‑246/09, non encore publié au Recueil, point 26 et jurisprudence citée).


29 – Voir, en ce sens, arrêt Bulicke (précité à la note 28, point 28 et jurisprudence citée).


30 – Ibidem (point 36).


31 – Précité.

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