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Document 62008TJ0540

Arrêt du Tribunal (troisième chambre) du 11 juillet 2014.
Esso Société anonyme française e.a. contre Commission européenne.
Concurrence – Ententes – Marché des cires de paraffine – Marché du gatsch – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition des marchés – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Durée de l’infraction – Égalité de traitement – Proportionnalité – Pleine juridiction.
Affaire T-540/08.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2014:630

Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Parties

Dans l’affaire T‑540/08,

Esso Société anonyme française, établie à Courbevoie (France),

Esso Deutschland GmbH, établie à Hambourg (Allemagne),

ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA , établie à Anvers (Belgique),

Exxon Mobil Corp., établie à West Trenton, New Jersey (États-Unis),

représentées par M. R. Subiotto, QC, M es  R. Snelders, L.‑P. Rudolf et M. Piergiovanni, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Castillo de la Torre, en qualité d’agent, assisté de M me  M. Gray, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2008) 5476 final de la Commission, du 1 er  octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.181 – Cires de bougie), ainsi qu’une demande de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz (rapporteur), président, M me  I. Labucka et M. D. Gratsias, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 mars 2011,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

Antécédents du litige et décision attaquée

Procédure administrative et adoption de la décision attaquée

1. Par la décision C (2008) 5476 final, du 1 er  octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.181 – Cires de bougie) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission des Communautés européennes a constaté que les requérantes, Esso Deutschland GmbH, Esso Société anonyme française (ci-après « Esso France »), ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA (ci-après « EMPC ») ainsi qu’Exxon Mobil Corp. (ci-après « EMC ») (ci-après, prises ensemble, « ExxonMobil » ou le « groupe ExxonMobil »), avaient, avec d’autres entreprises, enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), en participant à une entente sur le marché des cires de paraffine dans l’EEE et sur le marché allemand du gatsch.

2. Les destinataires de la décision attaquée sont, outre les requérantes, les sociétés suivantes : l’ENI SpA, H & R ChemPharm GmbH, la H & R Wax Company Vertrieb GmbH et Hansen & Rosenthal KG, Tudapetrol Mineralölerzeugnisse Nils Hansen KG, MOL Nyrt., Repsol YPF Lubricantes y Especialidades SA, Repsol Petróleo SA et Repsol YPF SA (ci-après, prises ensemble, « Repsol »), Sasol Wax GmbH, Sasol Wax. International AG, Sasol Holding in Germany GmbH et Sasol Ltd (ci-après, prises ensemble, « Sasol »), Shell Deutschland Oil GmbH, Shell Deutschland Schmierstoff GmbH, Deutsche Shell GmbH, la Shell International Petroleum Company Ltd, The Shell Petroleum Company Ltd, Shell Petroleum NV et The Shell Transport and Trading Company Ltd (ci-après, prises ensemble, « Shell »), RWE Dea AG et RWE AG (ci-après, prises ensemble, « RWE »), ainsi que Total SA et Total France SA (ci-après, prises ensemble, « Total ») (considérant 1 de la décision attaquée).

3. Les cires de paraffine sont fabriquées en raffinerie à partir de pétrole brut. Elles sont utilisées pour la production d’une variété de produits tels que des bougies, des produits chimiques, des pneus et des produits automobiles, ainsi que pour les industries du caoutchouc, de l’emballage, des adhésifs et du chewing-gum (considérant 4 de la décision attaquée).

4. Le gatsch est la matière première nécessaire à la fabrication de cires de paraffine. Il est produit dans les raffineries en tant que sous-produit de la production d’huiles de base à partir de pétrole brut. Il est également vendu aux clients finaux, par exemple aux producteurs de panneaux de particules (considérant 5 de la décision attaquée).

5. La Commission a commencé son enquête après que Shell Deutschland Schmierstoff l’a informée, par lettre du 17 mars 2005, de l’existence d’une entente en la saisissant d’une demande d’immunité en vertu de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3) (considérant 72 de la décision attaquée).

6. Les 28 et 29 avril 2005, la Commission a procédé, en application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n o  1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), à des vérifications sur place dans les locaux de « H & R/Tudapetrol », de l’ENI, de MOL, ainsi que dans ceux appartenant aux sociétés des groupes Sasol, ExxonMobil, Repsol et Total (considérant 75 de la décision attaquée).

7. Le 29 mai 2007, la Commission a adressé une communication des griefs aux sociétés figurant au point 1 ci-dessus, dont les requérantes (considérant 85 de la décision attaquée). Par lettre du 21 août 2007, les requérantes ont répondu à la communication des griefs.

8. Les 10 et 11 décembre 2007, la Commission a organisé une audition à laquelle les requérantes ont participé (considérant 91 de la décision attaquée).

9. Dans la décision attaquée, au vu des preuves dont elle disposait, la Commission a estimé que les destinataires, constituant la majorité des producteurs de cires de paraffine et de gatsch au sein de l’EEE, avaient pris part à une infraction unique, complexe et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, qui couvrait le territoire de l’EEE. Cette infraction consistait en des accords ou en des pratiques concertées portant sur la fixation des prix et sur l’échange et la divulgation d’informations sensibles sur le plan commercial affectant les cires de paraffine. En ce qui concerne RWE (par la suite Shell), ExxonMobil, MOL, Repsol, Sasol et Total, l’infraction affectant les cires de paraffine concernait également la répartition de clients ou de marchés. En outre, l’infraction commise par RWE, ExxonMobil, Sasol et Total portait également sur le gatsch vendu aux clients finals sur le marché allemand (considérants 2, 95, 328 et article 1 er de la décision attaquée).

10. Les pratiques infractionnelles se sont matérialisées lors des réunions anticoncurrentielles appelées « réunions techniques » ou parfois réunions « Blauer Salon » par les participants et lors des « réunions gatsch » dédiées spécifiquement aux questions relatives au gatsch.

11. Les amendes infligées en l’espèce ont été calculées sur la base des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n o  1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »), en vigueur au moment de la notification de la communication des griefs aux sociétés figurant au point 1 ci-dessus.

12. La décision attaquée comprend notamment les dispositions suivantes :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE] et, à partir du 1 er  janvier 1994, l’article 53 de l’accord EEE en participant, pendant les périodes indiquées, à un accord continu et/ou une pratique concertée dans le secteur des cires de paraffine dans le marché commun et, à partir du 1 er  janvier 1994, dans l’EEE :

[…]

Esso Deutschland GmbH : du 22 février 2001 au 20 novembre 2003 ;

Esso Société anonyme française : du 3 septembre 1992 au 20 novembre 2003 ;

ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA : du 30 novembre 1999 au 20 novembre 2003 ;

Exxon Mobil [Corp.] : du 30 novembre 1999 au 20 novembre 2003 ;

[…]

En ce qui concerne les entreprises suivantes, l’infraction concerne également, pour les périodes indiquées, le gatsch vendu à des clients finals sur le marché allemand :

[…]

Esso Deutschland GmbH : du 22 février 2001 au 18 décembre 2002 ;

Esso Société anonyme française : du 8 mars 1999 au 18 décembre 2002 ;

ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA : du 20 novembre 1999 au 18 décembre 2002 ;

Exxon Mobil [Corp.] : du 20 novembre 1999 au 18 décembre 2002 ;

[…]

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article 1 er  :

ENI SpA : 29 120 000 EUR ;

Esso Société anonyme française : 83 588 400 EUR,

dont conjointement et solidairement avec

ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA et Exxon Mobil [Corp.] pour 34 670 400 EUR dont conjointement et solidairement avec Esso Deutschland GmbH pour 27 081 600 EUR ;

Tudapetrol Mineralölerzeugnisse Nils Hansen KG : 12 000 000 EUR ;

Hansen & Rosenthal KG conjointement et solidairement avec H & R Wax Company Vertrieb GmbH : 24 000 000 EUR,

dont conjointement et solidairement avec

H & R ChemPharm GmbH pour 22 000 000 EUR ;

MOL Nyrt. : 23 700 000 EUR ;

Repsol YPF Lubricantes y Especialidades SA conjointement et solidairement avec Repsol Petróleo SA et Repsol YPF SA : 19 800 000 EUR ;

Sasol Wax GmbH : 318 200 000 EUR,

dont conjointement et solidairement avec

Sasol Wax International AG, Sasol Holding in Germany GmbH et Sasol Limited pour 250 700 000 EUR ;

Shell Deutschland Oil GmbH, Shell Deutschland Schmierstoff GmbH, Deutsche Shell GmbH, Shell International Petroleum Company Limited, The Shell Petroleum Company Limited, Shell Petroleum NV et The Shell Transport and Trading Company Limited : 0 EUR ;

RWE-Dea AG conjointement et solidairement avec RWE AG : 37 440 000 EUR ;

Total France SA conjointement et solidairement avec Total SA : 128 163 000 EUR. »

Fusion Exxon-Mobil et imputation de la responsabilité de l’infraction dans la décision attaquée

13. Le 30 novembre 1999, Exxon Corp. a acquis Mobil Corp. et a ultérieurement été rebaptisée EMC (ci-après la « fusion Exxon-Mobil »). Le 6 mai 2003, Mobil Oil Française (ci-après « Mobil France ») a été absorbée par Esso France.

14. La Commission a décrit l’imputation de la responsabilité des activités anticoncurrentielles aux différentes sociétés du groupe ExxonMobil notamment aux considérants 348 à 352 de la décision attaquée :

« 6.2.2 Le groupe ExxonMobil

(348) Il a été établi au chapitre 4 que pendant la période de sa participation, ExxonMobil a participé à la collusion par l’intermédiaire des salariés de Mobil [France] (et son [successeur juridique]) et d’Esso Deutschland.

(349) Mobil [France] a participé à l’entente par l’entremise de plusieurs de ses salariés, depuis le début de l’infraction [du 3 septembre 1992] jusqu’à la date à laquelle elle a cessé d’exister, à savoir le 6 mai 2003. Esso Deutschland a participé, par l’entremise de ses propres salariés, à partir, au moins, du 22 février 2001. Tout d’abord, la Commission entend considérer ces sociétés comme responsables de leur participation directe à l’entente.

[…]

(351) Mobil [France] a été absorbée par [Esso France le 6 mai 2003 …]

(352) En conséquence, [Esso France] doit être considérée comme responsable des activités [anticoncurrentielles de Mobil France exercées avant le 6 mai 2003]. »

15. La responsabilité d’EMPC a été retenue à partir de la fusion Exxon-Mobil, c’est-à-dire le 30 novembre 1999, sur la base du fait qu’elle était société mère d’Esso Deutschland et d’Esso France. La responsabilité d’EMC a été retenue à partir de la même date sur la base du fait qu’elle était la société mère d’EMPC (considérants 535 et 354 de la décision attaquée).

Calcul du montant de l’amende infligée aux requérantes

16. Dans la présente affaire, lors du calcul du montant de base de l’amende, la Commission a pris en compte une proportion de la valeur des ventes réalisée par le groupe ExxonMobil dans l’EEE et a ensuite multiplié le montant ainsi obtenu par un coefficient reflétant la durée de la participation à l’infraction de chacune des requérantes.

17. En premier lieu, la Commission a déterminé la valeur des ventes annuelle de cires de paraffine et de gatsch. Pour les cires de paraffine, la Commission a pris les recettes des années 2000 à 2002 du groupe ExxonMobil comme base de calcul d’une moyenne annuelle. Pour le gatsch, la Commission a pris les recettes de 2000 à 2001 du groupe ExxonMobil comme base de calcul d’une moyenne annuelle. Il en est résulté des montants de 19 790 382 euros pour les cires de paraffine et de 1 259 217 euros pour le gatsch. Les coefficients multiplicateurs appliqués à ces montants au titre de la gravité ont été de 18 % pour les cires de paraffine et de 15 % pour le gatsch.

18. La Commission a ensuite déterminé la durée de la participation à l’infraction des requérantes pour ce qui concerne les cires de paraffine et le gatsch. À cet égard, en ce qui concerne les cires de paraffine, la Commission a considéré qu’Esso France avait participé pendant une période correspondant à un coefficient multiplicateur de 11,5. Pour Esso Deutschland, ce coefficient a été de 3. Pour EMPC et pour EMC, il a été fixé à 4.

19. En deuxième lieu, en vertu du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, la Commission a ajouté à ces montants le montant additionnel dit « droit d’entrée », correspondant à 18 et à 15 % de la valeur des ventes respectivement pour les cires de paraffine et pour le gatsch.

20. En troisième lieu, aucune circonstance atténuante ou aggravante susceptible d’avoir une incidence sur le montant de l’amende n’a été relevée. Dès lors, les montants des amendes n’ont pas été modifiés à ce titre.

21. En quatrième lieu, la Commission a considéré qu’il convenait d’appliquer un coefficient multiplicateur au titre de la dissuasion, en raison de la taille importante du groupe ExxonMobil. En conséquence, un coefficient multiplicateur de 2 a été appliqué.

22. En cinquième lieu, la Commission a appliqué une réduction de 7 % du montant de l’amende du fait des informations fournies par les requérantes et de la coopération dont elles ont fait preuve par la suite dans le cadre de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes. Les montants des amendes ont ainsi finalement été fixés comme suit : pour Esso France, une amende d’un montant de 83 588 400 euros, dont 27 081 600 solidairement avec Esso Deutschland et 34 670 400 solidairement avec EMPC et EMC.

Procédure et conclusions des parties

23. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 2008, les requérantes ont introduit le présent recours.

24. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, il a invité les parties à répondre par écrit à certaines questions et à produire certains documents. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

25. Par courrier du 10 février 2011, la Commission a demandé au Tribunal de retirer du dossier certains passages de la réponse des requérantes aux questions écrites. Les requérantes se sont opposées à cette demande. Par ordonnance du 3 mai 2011, le Tribunal (troisième chambre) a joint ladite demande au fond.

26. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 21 mars 2011.

27. Eu égard aux liens factuels avec les affaires T‑541/08, Sasol e.a./Commission, T‑543/08, RWE et RWE Dea/Commission, T‑544/08, Hansen & Rosenthal et H & R Wax Company Vertrieb/Commission, T‑548/08, Total/Commission, T‑550/08, Tudapetrol/Commission, T‑551/08, H & R ChemPharm/Commission, T‑558/08 ENI/Commission, T‑562/08, Repsol YPF Lubricantes y especialidades e.a./Commission et T‑566/08, Total Raffinage et Marketing/Commission, et à la proximité des questions juridiques relevées, le Tribunal a décidé de ne prononcer l’arrêt dans la présente affaire qu’à la suite des audiences dans lesdites affaires connexes, dont la dernière a eu lieu le 3 juillet 2013.

28. Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler partiellement la décision attaquée ;

– réduire le montant de l’amende qui leur a été infligée ;

– condamner la Commission aux dépens.

29. La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner les requérantes aux dépens.

En droit

30. À l’appui de leur recours, les requérantes avancent deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit dans le calcul du montant de base de l’amende infligée à Esso France, dans la mesure où celui-ci ne refléterait pas le fait que, avant la fusion, Exxon ne participait pas à l’infraction. Le second moyen est tiré de la fixation prétendument erronée de la date de fin de la participation des requérantes aux volets de l’infraction relatifs aux cires de paraffine.

31. Le Tribunal estime utile de commencer son examen du présent recours par le second moyen.

Sur le second moyen, tiré d’une erreur de droit prétendument commise lors de la fixation de la date de fin de la participation des requérantes à l’infraction

Observations liminaires

32. Les requérantes estiment que la Commission a erronément établi que leur participation aux deux premiers volets de l’infraction, concernant les cires de paraffine, avait pris fin le 20 novembre 2003. Elles soulignent ne pas avoir participé aux réunions techniques qui se sont tenues après celle des 27 et 28 février 2003.

33. À cet égard, la Commission a considéré, dans la décision attaquée, ce qui suit :

« […]

(600) ExxonMobil déclare que la dernière réunion à laquelle l’un de ses représentants ait assisté est la réunion technique des 27 et 28 février à Munich. En réaction à l’invitation à la réunion […] du 15 janvier 2004 par M. [M.], de Sasol, M. [Hu.] d’ExxonMobil répond, entre autres : ‘Les points à l’ordre du jour semblent présenter un intérêt pour notre entreprise. Toutefois, il nous semble que ce groupe de concurrents se réunit sans le soutien d’une association professionnelle et n’a dès lors ni structure ni statut. Cette situation nous gêne et nous souhaiterions suggérer que ces réunions se déroulent sous la houlette de [European Wax Federation] soit au sein du comité technique, soit en tant que sous-comité distinct. ExxonMobil ne participera pas à cette réunion en l’absence du soutien d’une association professionnelle réglementaire.’ Ce courriel du 20 novembre 2003 a été envoyé à M. [M.], de Sasol, et adressé en copie aux supérieurs de M. [Hu.] au sein d’ExxonMobil. La Commission n’a aucune preuve qu’ExxonMobil a continué de participer à l’infraction après l’envoi de ce courriel. Aussi la Commission considère-t-elle qu’en vertu de ce courriel adressé à Sasol (l’organisateur de la majeure partie des réunions techniques), ExxonMobil s’est publiquement distanciée de l’entente.

(601) L’affirmation selon laquelle la participation d’ExxonMobil à l’infraction a pris fin après la réunion technique des 27 et 28 février 2003 ne saurait toutefois être acceptée. Il ne suffit pas de s’abstenir d’assister à des réunions pour mettre un terme à une participation. La distanciation publique requise par la jurisprudence n’est intervenue qu’avec le courriel de M. [Hu.], le 20 novembre 2003. Le fait que son abstention de participer aux réunions n’ait pas été perçue par les autres participants, et notamment par Sasol, comme une telle distanciation publique est démontré par le fait qu’ExxonMobil a continué à recevoir des invitations aux réunions techniques, ce qui a finalement provoqué l’envoi du courriel par M. [Hu.], le 20 novembre 2003. »

34. Les requérantes contestent cette appréciation. Elles allèguent qu’elles n’ont ni participé à, ni été informées des résultats, des réunions techniques qui s’étaient tenues après la réunion des 27 et 28 février 2003, au cours de laquelle M. T., leur représentant aux réunions techniques, avait officiellement informé les autres participants de son départ imminent d’ExxonMobil, sans avoir annoncé son successeur. De même, il n’existerait aucune preuve démontrant que les requérantes avaient eu connaissance, à la suite du détachement, puis du départ à la retraite, de M. T., de sa participation antérieure à l’infraction. Les éléments de preuve existants montreraient, au contraire, que M. T. a délibérément dissimulé le contenu anticoncurrentiel des réunions techniques à sa direction et à ses collègues.

35. Dès lors, elles font valoir que la Commission aurait dû retenir comme date de fin de la participation d’ExxonMobil à l’entente le 28 février 2003 la date de la dernière réunion à laquelle M. T. avait assisté ou, en tout état de cause, la date de son détachement auprès de Sasol, le 31 mars 2003, ou bien la date de son départ à la retraite, le 30 juin 2003.

Sur la nécessité d’une distanciation d’ExxonMobil à l’égard des activités de l’entente pour établir la fin de sa participation à l’infraction

36. Les requérantes avancent que la Commission a considéré erronément que, en l’espèce, une distanciation à l’égard des activités de l’entente était requise par la jurisprudence afin d’établir la cessation de la participation d’ExxonMobil à l’entente.

37. Cette argumentation est cependant contredite par la jurisprudence.

38. En effet, le Tribunal a jugé qu’il ne pouvait être conclu à la cessation définitive de l’appartenance d’une entreprise à l’entente que si elle s’était distanciée publiquement du contenu de l’entente (arrêts du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑329/01, Rec. p. II‑3255, point 246, et du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05, Rec. p. II‑1255, point 241).

39. Dès lors, cette argumentation doit être rejetée.

Sur la compréhension des autres membres de l’entente en ce qui concerne la prétendue distanciation d’ExxonMobil

40. Il convient de souligner que, selon la jurisprudence, la compréhension qu’ont les autres participants à une entente de l’intention de l’entreprise concernée est déterminante pour apprécier si cette dernière a entendu se distancier de l’accord illicite (arrêt de la Cour du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, Rec. p. I‑1843, point 120).

41. À cet égard, les requérantes font valoir que, lors de la réunion des 27 et 28 février 2003, M. T. a annoncé son départ, sans présenter de successeur en vue de la participation aux prochaines réunions. Elles se réfèrent également à la déclaration de Shell, selon laquelle, après le départ de M. T., M. S. de Sasol n’a plus envoyé de lettres d’augmentation de prix à ExxonMobil.

42. À titre liminaire, en ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués à cet égard, il convient de rappeler que le principe qui prévaut en droit de l’Union européenne est celui de la libre administration des preuves (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Dalmine/Commission, T‑50/00, Rec. p. II‑2395, point 72).

43. Quant à la valeur probante des différents éléments de preuve, le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (arrêt Dalmine/Commission, point 42 supra, point 72).

44. Selon les règles générales en matière de preuve, la crédibilité et, partant, la valeur probante d’un document dépendent de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et de son contenu (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95 et T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, points 1053 et 1838).

45. En outre, il convient de rappeler que l’interdiction de participer à des pratiques et à des accords anticoncurrentiels ainsi que, les sanctions que les contrevenants peuvent encourir étant notoires, il est usuel que les activités que ces pratiques et ces accords comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation qui y est afférente soit réduite au minimum. Dès lors, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle produise des pièces attestant de manière explicite une prise de contact entre les opérateurs concernés. Même si la Commission découvre de telles pièces, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 55 à 57 ; voir, également, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/02 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, Rec. p. II‑3567, points 64 et 65).

46. Cette jurisprudence est également applicable, par analogie, à la perception des autres membres de l’entente en ce qui concerne la prétendue distanciation publique et la participation continue d’une entreprise à ladite entente durant une période pendant laquelle cette dernière n’est pas présente aux réunions anticoncurrentielles. En effet, les autres participants à l’entente ne sont pas censés faire état de leur perception en ce qui concerne la participation continue d’un membre de l’entente dont le représentant n’assiste pas à certaines réunions anticoncurrentielles ou produire d’autres preuves contemporaines à cet égard, précisément parce qu’ils essaient de s’abstenir d’effectuer toute référence expresse aux arrangements anticoncurrentiels afin de réduire les preuves à leur charge au minimum. Dès lors, la perception des autres participants doit être déduite, le cas d’échéant, d’un faisceau d’indices et d’éléments de preuves indirects, dont la Commission et le Tribunal peuvent disposer.

47. En l’espèce, le Tribunal considère, sur la base des éléments figurant au dossier, qu’ExxonMobil ne s’est pas publiquement distanciée de l’entente selon la perception des autres participants avant sa lettre du 20 novembre 2003.

48. Premièrement, ainsi que la Commission le relève à juste titre dans la décision attaquée, Sasol a continué à envoyer les invitations aux réunions techniques jusqu’au 20 novembre 2003, date de la lettre de M. Hu. indiquant qu’ExxonMobil « ne participera[it] pas à cette réunion en l’absence du soutien d’une association professionnelle réglementaire », et qui a été retenue par la Commission comme date de fin de la participation d’ExxonMobil à l’entente. Si Sasol avait considéré qu’ExxonMobil ne faisait plus partie de l’entente après le départ de M. T., en raison du fait qu’il n’avait pas nommé de successeur, elle n’aurait plus envoyé d’invitations à ExxonMobil après le 31 mars 2003.

49. De plus, selon la réponse de Sasol du 18 décembre 2006 à une demande de renseignements de la Commission, le successeur de M. T., M. Hu., n’a jamais pris part aux réunions techniques, mais a eu des contacts bilatéraux au moins avec Sasol.

50. Deuxièmement, les requérantes ne sauraient valablement s’appuyer sur la déclaration de Shell du 16 juin 2006, selon laquelle, après le départ de M. T., M. S. de Shell n’a plus envoyé de lettres de tarification à ExxonMobil. Ainsi que la Commission le relève à juste titre, cette circonstance peut être également expliquée par l’absence de personne de confiance de M. S. auprès d’ExxonMobil après le départ de M. T. Dès lors, la déclaration évoquée par les requérantes ne constitue pas la preuve d’un changement de perception de Shell quant à la participation continue d’ExxonMobil à l’entente. En tout état de cause, ladite déclaration n’affecte aucunement la conclusion selon laquelle Sasol, organisateur des réunions techniques, a continué à percevoir ExxonMobil comme membre de l’entente, ainsi qu’il ressort des éléments réunis aux points 48 et 49 ci-dessus.

51. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’infraction complexe, unique et continue en cause consistait en des accords ou en des pratiques concertées portant sur la fixation des prix et l’échange et la divulgation d’informations sensibles sur le plan commercial, ainsi qu’en la répartition de clients ou de marchés. Le fait qu’ExxonMobil n’a plus reçu les lettres de tarification de Shell ne concerne qu’un seul aspect de l’infraction, à savoir un volet du mécanisme de contrôle des augmentations de prix sur lesquelles les participants se sont plusieurs fois accordés lors des réunions techniques. Le fait que Shell n’a plus régulièrement communiqué à ExxonMobil ses nouveaux prix ne démontre pas que, selon la perception des participants à l’entente, ExxonMobil ne s’estimait pas tenue par les engagements antérieurs qu’elle avait donnés dans le cadre de l’infraction complexe, unique et continue.

52. Troisièmement, il ressort de la déclaration sur l’honneur de M. Hu. que celui-ci a répondu à l’invitation à une réunion technique reçue de M. M. de Sasol le 26 juin 2003 en indiquant qu’il ne pouvait pas participer à la réunion suivante en raison d’un « conflit d’agenda ». De même, à l’invitation à la réunion du 24 septembre 2003, reçue de M. M. le 17 juillet 2003, il a répondu qu’il voyagerait vers la fin du mois de septembre et que « la réunion technique ne devrait pas être remise pour [lui] ».

53. Ces réactions de M. Hu. remettent également en cause la thèse des requérantes selon laquelle ExxonMobil a été perçue comme s’étant distanciée de l’entente après le départ de M. T., le 31 mars 2003. Premièrement, si les autres participants avaient perçu ExxonMobil comme n’étant plus membre de l’entente, son représentant n’aurait pas été destinataire de courriels visant à fixer la date de la prochaine réunion technique. Deuxièmement, il n’est pas raisonnable de considérer que, s’il avait été compris entre les participants à l’entente qu’ExxonMobil s’en était distanciée, M. Hu. aurait invoqué des « conflits d’agenda » dans un échange de courriels visant à trouver une date convenant à tous les participants, une telle attitude donnant l’impression aux autres membres qu’il était ouvert à la participation continue.

54. Dès lors, il y a lieu de confirmer l’analyse de la Commission selon laquelle, à défaut de distanciation publique, ExxonMobil avait été perçue par les autres participants comme membre de l’entente jusqu’au 20 novembre 2003.

Sur l’absence de connaissance par les employés d’ExxonMobil de la participation à l’infraction après le départ de M. T.

55. Les requérantes font valoir qu’aucune distanciation publique ne pouvait être exigée d’ExxonMobil, étant donné qu’il n’existe aucune preuve qu’ExxonMobil avait connaissance, à la suite du départ de M. T., de sa participation antérieure à l’infraction, et que les éléments de preuve existants démontrent, au contraire, que M. T. avait délibérément dissimulé le contenu anticoncurrentiel des réunions techniques à sa direction et à ses collègues.

– Sur les questions procédurales

56. Il y a lieu de rappeler que la Commission a déposé, en annexe de sa duplique, des preuves documentaires afin de réfuter les allégations des requérantes selon lesquelles M. T. était le seul employé d’ExxonMobil qui était au courant de la participation de cette dernière à l’infraction.

57. Dans leur réponse du 21 décembre 2010 aux questions écrites du Tribunal, les requérantes ont présenté des observations détaillées sur les éléments de preuve annexés à la duplique, même si lesdites questions ne portaient pas sur ce sujet.

58. En premier lieu, par courrier du 10 février 2011, la Commission a demandé au Tribunal de retirer du dossier certains passages de la réponse des requérantes aux questions écrites du Tribunal, tandis que les requérantes ont exprimé, dans leur lettre du 11 mars 2011, leur opposition au retrait partiel du dossier du document en cause.

59. Il convient de relever que, ainsi que la Commission le fait observer, dans leur réponse aux questions écrites du Tribunal, les requérantes ne se sont pas bornées à donner des réponses aux questions posées par le Tribunal et à expliquer le contexte de ces réponses, mais ont également répondu aux arguments avancés par la Commission dans sa duplique et aux preuves annexées à celle-ci.

60. Certes, une réponse écrite à la duplique n’est pas prévue dans le règlement de procédure. Cependant, étant donné que le Tribunal n’a pas eu l’opportunité de déterminer, avant l’audience, la recevabilité de chaque point de ladite réponse, les requérantes pouvaient être amenées à considérer que leur réponse serait versée au dossier dans son intégralité et, ainsi, à ne pas répéter à l’audience certains passages, même si elles en avaient la possibilité.

61. En outre, le Tribunal estime que les observations des requérantes concernant les éléments de preuves annexés à la duplique sont utiles du point de vue de la solution du litige. Dès lors, dans la mesure où le Tribunal aurait pu, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, inviter les requérantes à prendre position sur lesdites preuves, il peut, en raison de l’économie de procédure, décider de maintenir dans le dossier les observations en cause.

62. Dès lors, eu égard à la fois au critère du procès équitable et à l’économie de la procédure, le Tribunal décide de rejeter la demande de retrait de document de la Commission et de verser les réponses des requérantes aux questions du Tribunal au dossier dans leur intégralité.

63. En second lieu, dans ladite réponse aux questions écrites du Tribunal, les requérantes font valoir que la Commission aurait dû motiver la présentation tardive des preuves annexées à la duplique. À défaut d’une telle motivation, lesdites preuves seraient irrecevables.

64. Conformément à l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, si les parties peuvent faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique, elles doivent motiver le retard apporté à la présentation de ces offres.

65. En l’espèce, il y a lieu de souligner que, dans la réplique, les requérantes ont considérablement développé et étayé leur thèse selon laquelle ExxonMobil n’avait pas connaissance de l’entente après la date du départ de M. T. et selon laquelle aucun de leurs employés n’avait connaissance de l’entente après ladite date. Dès lors, la Commission ayant fait référence à ces arguments avancés dans la réplique lors de la présentation des éléments de preuve figurant en annexe de la duplique, les raisons pour lesquelles la Commission a soumis lesdits éléments pour la première fois dans sa duplique sont clairement compréhensibles. En outre, il y a lieu de souligner que, à l’audience, la Commission a davantage expliqué que les éléments de preuve annexés à la duplique avaient été soumis en réponse aux arguments des requérantes avancés dans la réplique et à l’annexe C 1 de celle-ci.

66. Dès lors, le Tribunal considère que la Commission a dûment motivé le dépôt tardif des éléments de preuve, de sorte qu’il convient de les déclarer recevables.

– Sur le fond

67. Les requérantes font référence à la déclaration sur l’honneur de M. Hu., l’employé d’ExxonMobil à qui M. T. rendait compte à l’époque. Il aurait déclaré que M. T. l’avait informé de l’existence de réunions techniques organisées par Sasol vers la fin du mois de mars 2003, lorsqu’il préparait son départ. M. T. n’aurait pas mentionné que des questions se rapportant au marché avaient également été discutées. M. Hu. aurait déclaré qu’il n’avait nommé aucun remplaçant pour M. T., mais qu’il avait d’abord envisagé d’assister lui-même à une des réunions, car il ne comprenait pas bien en quoi consistaient les discussions techniques qui se tenaient lors de ces réunions et souhaitait vérifier si cela « valait la peine » qu’ExxonMobil continue à y participer. M. Hu. aurait insisté sur le fait qu’il n’avait aucune raison de soupçonner, à l’époque, que ces réunions présentaient un contenu anticoncurrentiel ou que M. T. avait assisté régulièrement à des réunions anticoncurrentielles dont il aurait dû se distancier lui-même au nom d’ExxonMobil.

68. Il y a lieu de relever que l’allégation factuelle des requérantes est directement contredite par les éléments figurant au dossier, même si le Tribunal a décidé de ne pas prendre en compte certaines pièces déposées par la Commission en annexe de la duplique, eu égard aux explications fournies par les requérantes dans leur réponse aux questions écrites. En effet, il ressort du dossier que M. Hu. (gestionnaire des produits spéciaux pour certains États membres de l’Union chez Mobil entre 1996 et 2000 et gestionnaire des ventes de cires et d’émulsions de cire du groupe ExxonMobil sur plusieurs continents à partir de 2000), à qui M. T. rendait compte durant la période litigieuse, avait connaissance de la participation d’ExxonMobil à l’infraction.

69. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon un courriel de M. J. de Mobil du 28 juin 1999, adressé à un certain nombre de destinataires, dont MM. Hu. et P. d’ExxonMobil, concernant une réunion technique prévue pour le 9 juillet 1999 à Vienne (Autriche), « [Sü. de Sasol] essa[yait] de trouver un accord entre les fabricants afin d’offrir de resserrer les limites de production, pour créer des barrières à l’entrée du marché » et que « [l]’intérêt de Mobil [étai]t, à [s]on avis, de soutenir en principe l’approche de [M.] S[ü.] » (considérant 154 de la décision attaquée).

70. De même, par courrier électronique interne du 12 septembre 1997, M. Hu. a informé les destinataires de son intention d’appliquer l’augmentation de prix annoncée par M. Sü. de Sasol. Un des destinataires, M. Su. d’ExxonMobil, a répondu ce qui suit :

« [M]erci, bonne information. Souhaiterais/souhaiter[i]ons encourager les autres [à] suivre, aussi. »

71. Par courrier électronique du 10 octobre 2000, envoyé par M. Hu. à M. P. et à M. S. d’ExxonMobil, il a été indiqué que « le marché se prépar[ait] à une augmentation de prix de 15 DEM (niveau minimum de 140 marks allemands) à partir de janvier 2001 ». Dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal, les requérantes avancent une autre explication, selon laquelle M. Hu. a acquis l’information sur l’augmentation de prix envisagé non par des concurrents, mais par d’autres sources, en particulier par des clients. Cependant, une telle explication doit être rejetée. En effet, il n’est pas plausible que les clients d’ExxonMobil, ayant un intérêt dans le maintien de prix bas, lui aient communiqué un montant précis d’augmentation de prix (et un niveau minimal de prix), associés à une date précise.

72. Par courrier électronique du 13 novembre 2000, M. Hu. a informé M. K. d’ExxonMobil que « le message général sur le marché européen [étai]t une augmentation de 15 % ».

73. Le courrier électronique du 19 novembre 2000, envoyé par M. Hu. à M. P. d’ExxonMobil et mentionnant en objet « Augmentation du prix des cires », montre que le premier était au courant de l’échange de listes de prix entre concurrents. Selon ledit courrier électronique, « [M. C. d’ExxonMobil] a[vait] encore reçu un tas d’informations (lettres relatives aux cires) (EWF, [M. Sü], Total) ». Ce courrier électronique faisait partie d’une série de courriels, dont un courrier électronique antérieur de M. C. d’ExxonMobil, par lequel M. Hu. avait été informé que « Total et [M. Sü. de Sasol avaient] envoyé une lettre officielle aux clients (déjà reçue par [le]s clients [d’ExxonMobil]) afin de les informer de la prochaine hausse de prix le 1 er  janvier 2001 », et auquel M. Hu. avait répondu par courrier électronique ce qui suit : « Merci [M. C.], je le sais ».

74. Ces documents démontrent clairement que M. Hu. avait connaissance de la participation d’ExxonMobil à l’entente, puisqu’ils témoignent de la réception par M. Hu. de données commerciales des autres participants et de l’ajustement du comportement commercial d’ExxonMobil eu égard à ces informations.

75. Le Tribunal considère que la déclaration sur l’honneur de M. Hu., du 6 août 2007, ne saurait remettre en cause la constatation figurant au point 74 ci-dessus. En effet, ainsi que la Commission l’a relevé, ce document a été établi après la réception, par les requérantes, de la communication des griefs, aux fins de défendre leurs intérêts devant la Commission. Or, les documents trouvés lors des vérifications disposent d’une valeur probante supérieure aux déclarations, établies in tempore suspecto par les représentants ou anciens représentants des entreprises incriminées, qui visent à atténuer la responsabilité de celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, Rec. p. II‑3627, point 277, et du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié au Recueil, point 379).

76. En outre, ainsi qu’en témoignent les courriels des 10 octobre et 19 novembre 2000 (voir points 71 et 73 ci-dessus), M. Hu. a transmis suffisamment d’informations sur les prix des concurrents et leur comportement commercial à M. P. (gestionnaire des spécialités pour le territoire Europe, Afrique et Moyen Orient) pour permettre à ce dernier de comprendre la participation d’ExxonMobil aux pratiques anticoncurrentielles. Or, M. P. a continué à être employé par ExxonMobil jusqu’en 2005.

77. Enfin, les requérantes font valoir que le Tribunal ne saurait prendre en compte, lors de l’appréciation de la légalité de la décision attaquée, les preuves documentaires mentionnées aux points 69 à 73 ci-dessus, puisqu’elles ont été produites par la Commission en annexe à sa duplique, de sorte qu’elles constitueraient des preuves tardives.

78. Cet argument ne saurait prospérer.

79. En effet, premièrement, au considérant 154 de la décision attaquée, la Commission a fait référence au document mentionné au point 69 ci-dessus. Deuxièmement, l’ensemble des documents mentionnés aux points 69 à 73 ci‑dessus ont été retrouvés dans les locaux d’ExxonMobil et, de surcroît, faisaient partie du dossier auquel les requérantes avaient eu accès durant la procédure administrative, de sorte que leur contenu était connu de ces dernières. Ainsi, il ne s’agit pas d’informations nouvelles avancées par la Commission pour la première fois devant le Tribunal. Troisièmement, il y a lieu de souligner que, tandis que, dans leur réponse à la communication des griefs, les requérantes se sont concentrées sur la déclaration sur l’honneur de M. Hu., devant le Tribunal, et en particulier dans la réplique, elles ont considérablement développé et étayé leur thèse selon laquelle ExxonMobil n’avait pas connaissance de l’entente après la date du départ de M. T. et selon laquelle aucun de leurs employés n’avait connaissance de l’entente après ladite date. Or, le respect des droits de la défense de la Commission exige qu’il soit permis à celle-ci de réfuter les allégations factuelles présentées par les requérantes devant le Tribunal en se fondant sur des éléments appartenant au dossier administratif, auquel les requérantes avaient accès lors de la procédure devant la Commission.

80. Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter l’argument des requérantes selon lequel ExxonMobil n’avait pas connaissance de sa participation à l’entente après le départ de M. T.

81. En quatrième lieu, les requérantes font valoir que la participation de M. T. aux réunions techniques n’avait pas eu d’effets qui auraient pu persister au-delà de la dernière réunion technique à laquelle il avait participé, à savoir celle des 27 et 28 février 2003.

82. Premièrement, eu égard aux considérations développées aux points 74 à 80 ci-dessus, les arguments des requérantes avancés à cet égard doivent être rejetés dans le mesure où celles-ci se fondent sur l’allégation selon laquelle M. T. était le seul employé d’ExxonMobil qui avait connaissance de la participation de cette dernière à l’entente.

83. Deuxièmement, selon la jurisprudence, le comportement du concurrent loyal se caractérise par la manière autonome dont il détermine la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. Or, même si l’entreprise en cause ne participait pas aux activités de l’entente après une certaine date, il est permis de supposer qu’elle a tenu compte des informations déjà échangées avec ses concurrents, pour déterminer son comportement sur le marché (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 121 ; Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, point 162, et arrêt du Tribunal du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T‑62/02, Rec. p. II‑5057, point 39).

84. Or, le simple fait qu’ExxonMobil n’a pas participé aux réunions techniques entre le 28 février et 20 novembre 2003 ne l’a aucunement empêchée d’utiliser l’information sur les prix appliqués par ses concurrents qu’elle avait reçue lors des dizaines de réunions techniques précédentes, auxquelles elle avait assisté, et de profiter des accords de répartition des marchés et des clients mis en place lors des réunions techniques précédentes.

85. Dès lors, la Commission a valablement conclu, dans la décision attaquée, que la requérante avait participé à l’entente jusqu’au 20 novembre 2003.

86. Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le second moyen des requérantes.

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit résultant d’une absence de prise en compte, lors du calcul du montant de l’amende, de l’absence de participation d’Exxon à l’infraction avant la fusion

87. Les requérantes contestent le calcul du montant de l’amende infligée à Esso France au motif qu’il ne refléterait pas le fait que, avant la fusion Exxon-Mobil en novembre 1999, Exxon n’avait pas participé à l’infraction.

Observations liminaires

88. Selon le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, la Commission utilise, pour le calcul du montant de l’amende, normalement la valeur des ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction.

89. En l’espèce, la dernière année complète de l’infraction était l’année 2004 pour les entreprises ayant participé à l’entente jusqu’à sa fin, et 2002 en ce qui concerne ExxonMobil. Cependant, la Commission a retenu comme année de référence, non pas la dernière année complète de la participation à l’entente, mais la moyenne des trois dernières années complètes, en raison de l’élargissement de l’Union intervenue en 2004 (considérant 634 de la décision attaquée). La Commission a calculé la moyenne de la valeur des ventes des trois dernières années de participation à l’égard de tous les participants à l’entente.

90. En outre, la Commission a rejeté la demande des requérantes, présentée dans leur réponse à la communication des griefs, de tenir compte du fait qu’Exxon n’avait pas été impliquée dans l’infraction avant la fusion Exxon-Mobil, en affirmant ce qui suit :

« ExxonMobil demande à la Commission de diviser la période de participation d’ExxonMobil en une période préalable à la fusion et une période postérieure à la fusion et de ne tenir compte que des ventes réalisées par Mobil pendant la période préalable à la fusion afin de refléter le fait qu’Exxon ne participait pas à l’infraction. ExxonMobil allègue qu’en lieu et place de l’année 2002, la Commission devrait tenir compte du fait qu’entre 1992 et 2000, Exxon ne participait pas à l’infraction. La Commission ne partage pas ce point de vue. Les lignes directrices de 2006 […] disposent que, normalement, la dernière année complète de participation à l’infraction doit être prise en compte à titre d’année de référence, soit l’année 2002 en ce qui concerne ExxonMobil. ExxonMobil n’avance aucun argument expliquant pourquoi cela ne devrait pas être le cas. Compte tenu du fait qu’Exxon et Mobil ont fusionné en 1999, la Commission ne voit aucune raison de ne pas tenir compte de la valeur des ventes réalisées par ExxonMobil en 2002. Comme démontré au point 6.2.2, [voir considérants 348 à 352 de la décision attaquée] la responsabilité au titre de la participation de Mobil est liée à celle d’ExxonMobil et cette dernière est la société à laquelle est infligée l’amende et, par conséquent, c’est la valeur des ventes d’ExxonMobil qui doit être prise en compte. »

91. Sur la base de ces considérations, la Commission a retenu la moyenne de la valeur des ventes du groupe ExxonMobil durant les années 2000 à 2002 pour le calcul du montant de l’amende. Le montant de l’amende de toutes les requérantes, y compris celle d’Esso France, a été calculé sur la base de cette valeur des ventes.

Sur la légalité de la décision attaquée

92. Les requérantes font valoir que, lors du calcul du montant de l’amende infligée à Esso France, la Commission a commis une erreur en prenant en compte la valeur des ventes postérieures à la fusion du groupe ExxonMobil (la moyenne des années 2000 à 2002) et en la multipliant aussi par le nombre des années (de 1992 à 1999) durant lesquelles seule Mobil (par le biais de Mobil France, ultérieurement absorbée par Esso France) participait à l’entente, alors qu’Exxon n’en était pas membre.

93. Selon les requérantes, ce faisant, la Commission a infligé le même montant d’amende à Esso France, comme si Exxon avait réellement participé à l’infraction pendant la période d’un peu plus de sept années qui avait précédé la fusion (de 1992 à 1999). Cette approche serait incompatible avec les constatations de fait effectuées dans la décision attaquée. De plus, elle violerait les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que l’article 23, paragraphe 3, du règlement n o  1/2003 et les lignes directrices de 2006.

94. À titre liminaire, il convient de relever que, selon le paragraphe 6 des lignes directrices de 2006, la combinaison de la valeur des ventes « en relation » avec l’infraction et de la durée de cette dernière est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction.

95. Selon la jurisprudence, même si la Commission peut se fonder, en règle générale, sur la dernière année de participation à l’infraction comme période de référence pour le calcul de la valeur des ventes, un tel choix ne doit pas toujours être retenu. En effet, il convient de choisir une méthode de calcul qui permette de tenir compte de la taille et de la puissance économique de chaque entreprise concernée ainsi que de l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles, en fonction de la réalité économique telle qu’elle apparaissait à l’époque de la commission de l’infraction (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, et arrêt du Tribunal du 13 septembre 2010, Trioplast Industrier/Commission, T‑40/06, Rec. p. II‑4893, point 92).

96. En outre, dans la mesure où il y a lieu de se fonder sur le chiffre d’affaires des entreprises impliquées dans une même infraction en vue de déterminer les relations entre les amendes à infliger, il convient de délimiter la période à prendre en considération de manière que les chiffres obtenus soient aussi comparables que possible. Il en résulte qu’une entreprise déterminée ne saurait exiger que la Commission se fonde, à son égard, sur une période différente de celle généralement retenue qu’à la condition qu’elle démontre que le chiffre d’affaires qu’elle a réalisé au cours de cette dernière période ne constitue pas, pour des raisons qui lui sont propres, une indication de sa véritable taille et de sa puissance économique, ni de l’ampleur de l’infraction qu’elle a commise (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board/Commission, T‑319/94, Rec. p. II‑1331, point 42).

97. Les requérantes ne contestent pas que la moyenne du chiffre d’affaires d’ExxonMobil réalisé sur le marché cartellisé durant la période allant de 2000 à 2002 reflète correctement l’ampleur de l’infraction commise par celle-ci et son poids relatif dans l’entente, en ce qui concerne la période ayant suivi la fusion, c’est-à-dire entre novembre 1999 et novembre 2003 (quatre ans). Cependant, elles critiquent le fait que le montant de base calculé à partir de ce chiffre d’affaires a été multiplié par 11,5 en ce qui concerne Esso France et que, dès lors, la Commission a utilisé le chiffre d’affaires d’ExxonMobil postérieur à la fusion pour la période allant de septembre 1992 à novembre 1999 (sept ans et demi), quand Mobil participait seule à l’entente. Selon les requérantes, la valeur des ventes postérieures à la fusion du groupe ExxonMobil ne reflète pas le poids relatif de Mobil dans l’infraction en ce qui concerne la période allant de septembre 1992 à novembre 1999.

98. La Commission maintient que le chiffre d’affaires moyen d’ExxonMobil entre 2000 et 2002 reflète correctement le poids relatif d’ExxonMobil dans l’entente pendant une partie importante de la durée de celle-ci, à savoir la période ayant suivi la fusion, de sorte que ces chiffres auraient été représentatifs. En outre, elle se réfère à la large marge d’appréciation qu’elle détient lors du choix de la période de référence et à la jurisprudence en la matière.

99. En premier lieu, selon la jurisprudence, les critères de la gravité et de la durée de l’infraction, mentionnés à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n o  1/2003, laissent à la Commission une large marge d’appréciation lors du calcul du montant de l’amende, ce qui permet à celle-ci d’adopter des sanctions en tenant compte du degré d’illégalité du comportement en cause (arrêts du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 76, et du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 37).

100. En outre, lors de la fixation du montant des amendes telles que celle en cause en l’espèce, la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit, tout particulièrement les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité (arrêts Degussa/Commission, point 99 supra, points 77 et 79, et Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 99 supra, point 41).

101. En deuxième lieu, selon la jurisprudence, le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du Tribunal du 4 juillet 2006, Hoek Loos/Commission, T‑304/02, Rec. p. II‑1887, point 96).

102. Or, en l’espèce, ExxonMobil était dans une situation différente de celle des autres entreprises participant à l’entente, en ce que presque la moitié de sa production de cires de paraffine – la production d’Exxon – n’avait pas été affectée par l’entente avant la fusion Exxon-Mobil, intervenue en 1999. Cependant, la Commission a traitée d’une manière identique les autres participants à l’entente et elle, en ce qu’elle a pris en compte la moyenne de la valeur des ventes d’ExxonMobil réalisée durant les trois dernières années de sa participation.

103. Dès lors, la Commission a violé le principe d’égalité de traitement.

104. En troisième lieu, il convient d’examiner conjointement les griefs tirés de la violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n o  1/2003 et de celle du principe de proportionnalité.

105. Selon l’article 23, paragraphe 3, du règlement n o  1/2003, pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.

106. Selon la jurisprudence, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 13, et du 5 mai 1998, Royaume‑Uni/Commission, C‑180/96, Rec. p. I‑2265, point 96 ; arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Prym et Prym Consumer/Commission, T‑30/05, non publié au Recueil, point 223).

107. Dans le cadre des procédures engagées par la Commission pour sanctionner les violations des règles de concurrence, l’application de ce principe implique que les amendes ne doivent pas être démesurées par rapport aux objectifs visés, c’est-à-dire par rapport au respect de ces règles, et que le montant de l’amende infligée à une entreprise au titre d’une infraction en matière de concurrence doit être proportionné à l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte, notamment, de la gravité et de la durée de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Prym et Prym Consumer/Commission, point 106 supra, points 223 et 224, et la jurisprudence citée). En particulier, le principe de proportionnalité implique que la Commission doit fixer le montant de l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doit à ce sujet appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée (arrêts du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, points 226 à 228, et Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, point 38 supra, point 171).

108. Il y a lieu de rappeler que, selon le paragraphe 6 des lignes directrices de 2006, « la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction ». Une telle disposition comprend la justification de la méthode générale appliquée par la Commission en vertu desdites lignes directrices, consistant en la multiplication d’une partie déterminée de la valeur des ventes réalisée pendant la période de référence (18 % dans le cas d’espèce pour les cires de paraffine) par le nombre d’années de participation à l’infraction.

109. Le fait que, selon cette méthodologie, le montant de base est arithmétiquement proportionnel à la durée de participation à l’infraction (sauf la partie mineure constituée par le « droit d’entrée ») indique que, dans l’économie des lignes directrices de 2006, la combinaison de la valeur des ventes et de la durée doit constituer une valeur de remplacement à l’égard de toute la durée de la participation, et non seulement à l’égard de la dernière année complète de la participation ou « d’une partie importante » de celle-ci. Une telle constatation s’impose d’ailleurs sur la base de la jurisprudence citée au point 95 ci-dessus selon laquelle il convient de choisir une méthode de calcul qui permette de tenir compte de la taille et de la puissance économique de chaque entreprise concernée ainsi que de l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles, en fonction de la réalité économique telle qu’elle apparaissait à l’époque de la commission de l’infraction.

110. Or, le montant de base calculé à partir de la valeur des ventes durant la période de référence, multipliée par le coefficient au titre de la durée, ne donne une valeur de remplacement adéquate, reflétant la réalité économique durant toute la durée de l’infraction, que si son composant constituant le point de départ – la valeur des ventes – est à tout le moins approximativement représentatif de toute la durée de l’infraction.

111. Certes, la marge d’appréciation que la Commission détient lors du calcul du montant de l’amende lui permet de prendre en compte, dans des circonstances habituelles, la dernière année de participation à l’infraction comme période de référence. En effet, une telle solution générale est justifiée, puisque ladite marge d’appréciation permet à la Commission de ne pas tenir compte de toute fluctuation de la valeur des ventes au cours des années de l’infraction et qu’une augmentation de la valeur des ventes peut être le résultat de l’entente elle-même.

112. Cependant, dans le cas où une fusion est intervenue durant l’entente, à laquelle, avant la fusion, seulement une des parties participait, la valeur des ventes de l’entité résultant de la fusion pendant la dernière année complète, multipliée par le nombre d’années de participation non seulement de l’entité résultant de la fusion, mais également de la partie qui, avant la fusion, participait seule à l’entente, ne saurait constituer une « valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction » pour toute la durée de la participation. En effet, en multipliant la valeur des ventes de l’entité résultant de la fusion aussi par le nombre d’années pendant lesquelles seulement une des parties à la fusion a participé à l’infraction, la Commission augmente artificiellement le montant de base de l’amende d’une façon qui ne reflète pas la réalité économique durant les années précédant la fusion.

113. Or, tel a été le cas en l’espèce, la Commission ayant calculé le montant de base servant à la détermination du montant de l’amende d’Esso France, en multipliant la valeur des ventes du groupe ExxonMobil réalisée durant la période allant de 2000 à 2002 par un nombre d’années comprenant celles pendant lesquelles seule Mobil participait à l’entente (de 1992 à 1999). Le montant de base ainsi obtenu est disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction, parce qu’il ne reflète pas adéquatement l’importance économique de l’infraction commise par Mobil France avant la fusion, ni son poids relatif dans l’entente.

114. Dès lors, la Commission a violé l’article 23, paragraphe 3, du règlement n o  1/2003 et le principe de proportionnalité.

115. Les autres arguments de la Commission ne sauraient remettre en cause les considérations développées aux points 103 et 114 ci-dessus.

116. En premier lieu, la Commission fait valoir qu’elle a tenu compte de la fusion Exxon-Mobil lors du calcul du montant de l’amende, puisque des coefficients reflétant des durées plus courtes ont été appliqués pour Esso Deutschland, EMC et EMPC.

117. Cependant, il y a lieu de relever que la valeur des ventes d’ExxonMobil prise en compte par la Commission aux fins du calcul du montant de l’amende d’Esso France inclut la valeur des ventes liée à l’activité « hydrocires », héritée d’Exxon, qui n’a pas été impliquée dans l’entente avant la fusion Exxon-Mobil.

118. Dès lors, le présent argument doit être rejeté.

119. En deuxième lieu, il convient d’examiner les arguments de la Commission tirés de la jurisprudence en la matière.

120. Premièrement, à l’audience, la Commission a fait référence à l’arrêt du 3 mars 2011, Siemens et VA Tech Transmission & Distribution/Commission (T‑122/07 à T‑124/07, Rec. p. II‑793, points 124 et 127), dans lequel le Tribunal a confirmé l’approche de celle-ci retenant la valeur des ventes de l’entreprise née à la suite de la fusion de Reyrolle Ltd, de Schneider Electric High Voltage SA et de Nuova Magrini Galileo SpA, réalisée durant le dernier exercice complet de l’infraction, pour le calcul du montant de départ à l’égard de toutes ces sociétés, même si leur fusion n’était intervenue que deux ans après le début de leur participation à l’infraction.

121. À cet égard, il suffit de relever que, ainsi que les requérantes l’ont fait observer à bon droit, Reyrolle, Schneider Electric High Voltage et Nuova Magrini Galileo avaient participé séparément à l’entente avant la fusion (arrêt Siemens et VA Tech Transmission & Distribution/Commission, point 120 supra, point 19), contrairement à Exxon en l’espèce. Le Tribunal considère que cette circonstance constitue une différence factuelle très importante, de sorte que ledit arrêt ne saurait être utilement invoqué par la Commission dans la présente affaire.

122. Deuxièmement, la Commission fait référence à l’arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (T‑175/05, non publié au Recueil, points 139 à 146), qui concerne également une entente au cours de laquelle les parties requérantes avaient acquis une société qui n’avait pas participé à l’entente avant la concentration.

123. Il convient de rappeler la teneur de l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 122 supra, qui a été rendu dans l’affaire dite de l’« acide monochloracétique » (ci‑après l’« AMCA »), dans laquelle la Commission a appliqué les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n o  17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices de 1998 »).

124. Le Tribunal a jugé, au point 143 de l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 122 supra, que la prise en compte du chiffre d’affaires réalisé par chacune des entreprises au cours de l’année de référence, à savoir la dernière année complète de la période d’infraction retenue, permettait d’apprécier la taille et la puissance économique de chaque entreprise ainsi que l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles, ces éléments étant pertinents pour apprécier la gravité de l’infraction commise par chaque entreprise.

125. Ensuite, le Tribunal a confirmé l’analyse de la Commission, ayant classé Akzo Nobel dans la première catégorie des contrevenants, pour laquelle le montant de base de l’amende avait été fixé à 30 millions d’euros, avant Hoechst, classée dans la deuxième catégorie, pour laquelle le montant de base de l’amende avait été fixé à 21 millions d’euros et qui était le plus grand producteur d’AMCA pour la majeure partie de la durée de sa participation (de 1984 à 1994). En effet, Akzo avait participé à l’entente de 1984 à 1999, mais ce n’est que, en 1994, après sa fusion avec Nobel Industrier, laquelle ayant participé à l’entente à partir de 1993, qu’Akzo Nobel est devenue le producteur le plus important d’AMCA, avant Hoechst.

126. À cet égard, force est de constater que la méthode générale suivie par la Commission en vertu des lignes directrices de 2006 diffère substantiellement de celle appliquée en vertu des lignes directrices de 1998.

127. En effet, il n’existait aucune disposition dans les lignes directrices de 1998 qui imposât à la Commission de prendre en compte la valeur des ventes des entreprises concernées sur le marché cartellisé. Le montant de départ de l’amende devait être fixé eu égard à la gravité de l’infraction, à « la capacité économique effective des auteurs d’infraction de créer un dommage important aux autres opérateurs », au « poids spécifique, et donc [à] l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence », d’une façon qu’il « assure un caractère suffisamment dissuasif » pour l’entreprise concernée.

128. Dès lors, les lignes directrices de 1998 laissaient une marge d’appréciation beaucoup plus importante à la Commission lors de la détermination du montant de départ de l’amende, détermination qu’elle a souvent effectuée en classant les entreprises participant à l’entente en plusieurs catégories en fonction notamment de leurs parts de marché respectives. En revanche, dans les lignes directrices de 2006, la Commission s’est imposée une méthode impliquant que le montant de base soit arithmétiquement proportionnel à la valeur des ventes, puisque ledit montant équivaut à « une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction », auquel est ajouté une somme dite « droit d’entrée » comprise entre 15 et 25 % de la valeur des ventes, afin de dissuader les entreprises de participer aux accords les plus graves.

129. Par conséquent, la solution retenue dans l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 122 supra, à l’égard de l’application des lignes directrices de 1998, n’est pas transposable en l’espèce, eu égard à la différence de la méthodologie appliquée par la Commission dans la décision attaquée, adoptée sur la base des lignes directrices de 2006.

130. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier moyen et d’annuler la décision attaquée à l’égard d’Esso France en ce qui concerne le calcul de la valeur des ventes pour les cires de paraffine, sans examiner les autres griefs et arguments des requérantes. Les conséquences qu’il convient d’en tirer pour la détermination du montant de l’amende seront examinées aux points 134 et suivants ci-après.

131. Il convient de rejeter le recours pour le surplus.

Sur l’exercice de la compétence de pleine juridiction et sur la détermination du montant final de l’amende

132. Il convient de rappeler que le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement n o  1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou de l’astreinte infligée. Le contrôle prévu par les traités implique donc, conformément aux exigences du droit à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que le juge de l’Union exerce un contrôle tant de droit que de fait et qu’il a le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision attaquée et de modifier le montant des amendes (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, points 60 à 62, et arrêt du Tribunal du 21 octobre 2003, General Motors Nederland et Opel Nederland/Commis sion, T‑368/00, Rec. p. II‑4491, point 181).

133. Il appartient, dès lors, au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier, à la date à laquelle il adopte sa décision, si les parties requérantes se sont vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité et la durée de l’infraction en cause, de sorte que lesdites amendes revêtent un caractère proportionné par rapport aux critères prévus à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n o  1/2003 (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Aristrain/Commission, T‑156/94, Rec. p. II‑645, points 584 à 586, et du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 93). Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et de rappeler que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire.

134. Afin de remédier aux illégalités commises par la Commission, relevées aux points 103 et 114 ci-dessus, il convient de se fonder sur des valeurs de ventes distinctes pour ce qui est des périodes antérieures et postérieures à la fusion Exxon-Mobil.

135. En ce qui concerne la participation d’Esso France à l’infraction durant la période comprise entre le 3 septembre 1992 et le 29 novembre 1999, à défaut des données disponibles pour l’année 1999, il convient de prendre en compte la valeur des ventes d’Esso France réalisée en 2000 et de la multiplier par le coefficient de 7,5 afin de refléter la durée de cette partie de l’infraction.

136. En ce qui concerne la participation d’Esso France à l’infraction à la suite de la fusion Exxon-Mobil, entre le 30 novembre 1999 et le 20 novembre 2003, il convient de prendre en compte la valeur des ventes du groupe ExxonMobil, telle que fixée par la Commission dans la décision attaquée, c’est-à-dire la moyenne de la valeur des ventes réalisée durant les années 2000 à 2002. Ensuite, il y a lieu de multiplier ce montant par un coefficient de 4, afin de tenir compte de la durée de cette partie de l’infraction.

137. Les autres éléments du calcul du montant de l’amende restent inchangés. En particulier, le Tribunal constate que, en vertu du paragraphe 30 des lignes directrices de 2006, la Commission a appliqué un coefficient multiplicateur de 2 au titre de la dissuasion, en raison de la taille importante du groupe ExxonMobil, qu’elle a fixé en prenant en compte uniquement le rapport entre la valeur des ventes et le chiffre d’affaires total d’ExxonMobil, tout en assurant la proportionnalité avec les coefficients multiplicateurs appliqués aux autres entreprises participant à l’entente, et sans fixer un montant minimal d’amende au titre de la dissuasion (voir considérants 712 et 713 de la décision attaquée). Dans ces circonstances, et à défaut d’arguments et d’éléments allant en sens contraire, le Tribunal considère qu’il convient de procéder de la même manière et d’appliquer, en raison de la taille du groupe ExxonMobil, un coefficient multiplicateur de 2 au montant de base de l’amende infligée à Esso France, tel que calculé selon la méthode décrite aux points 135 et 136 ci-dessus. Il s’ensuit que le montant de l’amende infligée à Esso France à l’article 2 de la décision attaquée doit être fixé à 62 712 895 euros.

138. En tout état de cause, le Tribunal estime, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, que le montant de l’amende ainsi fixé est approprié, compte tenu de la gravité et de la durée de l’infraction commise par Esso France.

Sur les dépens

139. Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

140. En l’espèce, le premier moyen des requérantes, concernant les erreurs commises par la Commission lors du calcul du montant de l’amende infligée à Esso France, en ce qui concerne la période de participation antérieure à la fusion Exxon-Mobil, a été accueilli par le Tribunal. L’argumentation relative à ce moyen constituait la partie majeure de la requête, dont la taille était d’ailleurs considérablement inférieure au nombre de pages maximal des mémoires, telle que fixée au point 15 des instructions pratiques aux parties devant le Tribunal. En revanche, l’argumentation avancée dans le cadre du second moyen, au soutien de la réduction du montant de l’amende à l’égard de la période de la participation à l’entente postérieure à la fusion Exxon-Mobil, a été intégralement rejetée. Or, le montant de l’amende solidairement infligée à Esso Deutschland, à EMPC et à EMC se rapporte uniquement à cette seconde période. Dès lors, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supporte ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Esso France et que Esso Deutschland, EMPC et EMC supportent leur propres dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1) Le montant de l’amende infligée à Esso Société anonyme française à l’article 2 de la décision C (2008) 5476 final de la Commission, du 1 er  octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.181 – Cires de bougie), est fixé à 62 712 895 euros.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) La Commission européenne supportera ses propres dépens et ceux exposés par Esso Société anonyme française.

4) Esso Deutschland GmbH, ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA et Exxon Mobil Corp. supporteront leurs propres dépens.

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ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

11 juillet 2014 ( *1 )

«Concurrence — Ententes — Marché des cires de paraffine — Marché du gatsch — Décision constatant une infraction à l’article 81 CE — Fixation des prix et répartition des marchés — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 — Durée de l’infraction — Égalité de traitement — Proportionnalité — Pleine juridiction»

Dans l’affaire T‑540/08,

Esso Société anonyme française, établie à Courbevoie (France),

Esso Deutschland GmbH, établie à Hambourg (Allemagne),

ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA, établie à Anvers (Belgique),

Exxon Mobil Corp., établie à West Trenton, New Jersey (États-Unis),

représentées par M. R. Subiotto, QC, Mes R. Snelders, L.‑P. Rudolf et M. Piergiovanni, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Castillo de la Torre, en qualité d’agent, assisté de Mme M. Gray, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2008) 5476 final de la Commission, du 1er octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.181 – Cires de bougie), ainsi qu’une demande de réduction du montant de l’amende infligée aux requérantes,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. D. Gratsias, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 mars 2011,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige et décision attaquée

Procédure administrative et adoption de la décision attaquée

1

Par la décision C (2008) 5476 final, du 1er octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.181 – Cires de bougie) (ci-après la «décision attaquée»), la Commission des Communautés européennes a constaté que les requérantes, Esso Deutschland GmbH, Esso Société anonyme française (ci-après «Esso France»), ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA (ci-après «EMPC») ainsi qu’Exxon Mobil Corp. (ci-après «EMC») (ci-après, prises ensemble, «ExxonMobil» ou le «groupe ExxonMobil»), avaient, avec d’autres entreprises, enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), en participant à une entente sur le marché des cires de paraffine dans l’EEE et sur le marché allemand du gatsch.

2

Les destinataires de la décision attaquée sont, outre les requérantes, les sociétés suivantes : l’ENI SpA, H&R ChemPharm GmbH, la H&R Wax Company Vertrieb GmbH et Hansen & Rosenthal KG, Tudapetrol Mineralölerzeugnisse Nils Hansen KG, MOL Nyrt., Repsol YPF Lubricantes y Especialidades SA, Repsol Petróleo SA et Repsol YPF SA (ci-après, prises ensemble, «Repsol»), Sasol Wax GmbH, Sasol Wax. International AG, Sasol Holding in Germany GmbH et Sasol Ltd (ci-après, prises ensemble, «Sasol»), Shell Deutschland Oil GmbH, Shell Deutschland Schmierstoff GmbH, Deutsche Shell GmbH, la Shell International Petroleum Company Ltd, The Shell Petroleum Company Ltd, Shell Petroleum NV et The Shell Transport and Trading Company Ltd (ci-après, prises ensemble, «Shell»), RWE Dea AG et RWE AG (ci-après, prises ensemble, «RWE»), ainsi que Total SA et Total France SA (ci-après, prises ensemble, «Total») (considérant 1 de la décision attaquée).

3

Les cires de paraffine sont fabriquées en raffinerie à partir de pétrole brut. Elles sont utilisées pour la production d’une variété de produits tels que des bougies, des produits chimiques, des pneus et des produits automobiles, ainsi que pour les industries du caoutchouc, de l’emballage, des adhésifs et du chewing-gum (considérant 4 de la décision attaquée).

4

Le gatsch est la matière première nécessaire à la fabrication de cires de paraffine. Il est produit dans les raffineries en tant que sous-produit de la production d’huiles de base à partir de pétrole brut. Il est également vendu aux clients finaux, par exemple aux producteurs de panneaux de particules (considérant 5 de la décision attaquée).

5

La Commission a commencé son enquête après que Shell Deutschland Schmierstoff l’a informée, par lettre du 17 mars 2005, de l’existence d’une entente en la saisissant d’une demande d’immunité en vertu de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3) (considérant 72 de la décision attaquée).

6

Les 28 et 29 avril 2005, la Commission a procédé, en application de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), à des vérifications sur place dans les locaux de «H&R/Tudapetrol», de l’ENI, de MOL, ainsi que dans ceux appartenant aux sociétés des groupes Sasol, ExxonMobil, Repsol et Total (considérant 75 de la décision attaquée).

7

Le 29 mai 2007, la Commission a adressé une communication des griefs aux sociétés figurant au point 1 ci-dessus, dont les requérantes (considérant 85 de la décision attaquée). Par lettre du 21 août 2007, les requérantes ont répondu à la communication des griefs.

8

Les 10 et 11 décembre 2007, la Commission a organisé une audition à laquelle les requérantes ont participé (considérant 91 de la décision attaquée).

9

Dans la décision attaquée, au vu des preuves dont elle disposait, la Commission a estimé que les destinataires, constituant la majorité des producteurs de cires de paraffine et de gatsch au sein de l’EEE, avaient pris part à une infraction unique, complexe et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, qui couvrait le territoire de l’EEE. Cette infraction consistait en des accords ou en des pratiques concertées portant sur la fixation des prix et sur l’échange et la divulgation d’informations sensibles sur le plan commercial affectant les cires de paraffine. En ce qui concerne RWE (par la suite Shell), ExxonMobil, MOL, Repsol, Sasol et Total, l’infraction affectant les cires de paraffine concernait également la répartition de clients ou de marchés. En outre, l’infraction commise par RWE, ExxonMobil, Sasol et Total portait également sur le gatsch vendu aux clients finals sur le marché allemand (considérants 2, 95, 328 et article 1er de la décision attaquée).

10

Les pratiques infractionnelles se sont matérialisées lors des réunions anticoncurrentielles appelées «réunions techniques» ou parfois réunions «Blauer Salon» par les participants et lors des «réunions gatsch» dédiées spécifiquement aux questions relatives au gatsch.

11

Les amendes infligées en l’espèce ont été calculées sur la base des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les «lignes directrices de 2006»), en vigueur au moment de la notification de la communication des griefs aux sociétés figurant au point 1 ci-dessus.

12

La décision attaquée comprend notamment les dispositions suivantes :

«Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE] et, à partir du 1er janvier 1994, l’article 53 de l’accord EEE en participant, pendant les périodes indiquées, à un accord continu et/ou une pratique concertée dans le secteur des cires de paraffine dans le marché commun et, à partir du 1er janvier 1994, dans l’EEE :

[…]

Esso Deutschland GmbH : du 22 février 2001 au 20 novembre 2003 ;

Esso Société anonyme française : du 3 septembre 1992 au 20 novembre 2003 ;

ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA : du 30 novembre 1999 au 20 novembre 2003 ;

Exxon Mobil [Corp.] : du 30 novembre 1999 au 20 novembre 2003 ;

[…]

En ce qui concerne les entreprises suivantes, l’infraction concerne également, pour les périodes indiquées, le gatsch vendu à des clients finals sur le marché allemand :

[…]

Esso Deutschland GmbH : du 22 février 2001 au 18 décembre 2002 ;

Esso Société anonyme française : du 8 mars 1999 au 18 décembre 2002 ;

ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA : du 20 novembre 1999 au 18 décembre 2002 ;

Exxon Mobil [Corp.] : du 20 novembre 1999 au 18 décembre 2002 ;

[…]

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article 1er :

ENI SpA : 29120000 EUR ;

Esso Société anonyme française : 83588400 EUR,

dont conjointement et solidairement avec

ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA et Exxon Mobil [Corp.] pour 34670400 EUR dont conjointement et solidairement avec Esso Deutschland GmbH pour 27081600 EUR ;

Tudapetrol Mineralölerzeugnisse Nils Hansen KG : 12000000 EUR ;

Hansen & Rosenthal KG conjointement et solidairement avec H&R Wax Company Vertrieb GmbH : 24000000 EUR,

dont conjointement et solidairement avec

H&R ChemPharm GmbH pour 22000000 EUR ;

MOL Nyrt. : 23700000 EUR ;

Repsol YPF Lubricantes y Especialidades SA conjointement et solidairement avec Repsol Petróleo SA et Repsol YPF SA : 19800000 EUR ;

Sasol Wax GmbH : 318200000 EUR,

dont conjointement et solidairement avec

Sasol Wax International AG, Sasol Holding in Germany GmbH et Sasol Limited pour 250700000 EUR ;

Shell Deutschland Oil GmbH, Shell Deutschland Schmierstoff GmbH, Deutsche Shell GmbH, Shell International Petroleum Company Limited, The Shell Petroleum Company Limited, Shell Petroleum NV et The Shell Transport and Trading Company Limited : 0 EUR ;

RWE-Dea AG conjointement et solidairement avec RWE AG : 37440000 EUR ;

Total France SA conjointement et solidairement avec Total SA : 128163000 EUR.»

Fusion Exxon-Mobil et imputation de la responsabilité de l’infraction dans la décision attaquée

13

Le 30 novembre 1999, Exxon Corp. a acquis Mobil Corp. et a ultérieurement été rebaptisée EMC (ci-après la «fusion Exxon-Mobil»). Le 6 mai 2003, Mobil Oil Française (ci-après «Mobil France») a été absorbée par Esso France.

14

La Commission a décrit l’imputation de la responsabilité des activités anticoncurrentielles aux différentes sociétés du groupe ExxonMobil notamment aux considérants 348 à 352 de la décision attaquée :

«6.2.2 Le groupe ExxonMobil

(348)

Il a été établi au chapitre 4 que pendant la période de sa participation, ExxonMobil a participé à la collusion par l’intermédiaire des salariés de Mobil [France] (et son [successeur juridique]) et d’Esso Deutschland.

(349)

Mobil [France] a participé à l’entente par l’entremise de plusieurs de ses salariés, depuis le début de l’infraction [du 3 septembre 1992] jusqu’à la date à laquelle elle a cessé d’exister, à savoir le 6 mai 2003. Esso Deutschland a participé, par l’entremise de ses propres salariés, à partir, au moins, du 22 février 2001. Tout d’abord, la Commission entend considérer ces sociétés comme responsables de leur participation directe à l’entente.

[…]

(351)

Mobil [France] a été absorbée par [Esso France le 6 mai 2003 …]

(352)

En conséquence, [Esso France] doit être considérée comme responsable des activités [anticoncurrentielles de Mobil France exercées avant le 6 mai 2003].»

15

La responsabilité d’EMPC a été retenue à partir de la fusion Exxon-Mobil, c’est-à-dire le 30 novembre 1999, sur la base du fait qu’elle était société mère d’Esso Deutschland et d’Esso France. La responsabilité d’EMC a été retenue à partir de la même date sur la base du fait qu’elle était la société mère d’EMPC (considérants 535 et 354 de la décision attaquée).

Calcul du montant de l’amende infligée aux requérantes

16

Dans la présente affaire, lors du calcul du montant de base de l’amende, la Commission a pris en compte une proportion de la valeur des ventes réalisée par le groupe ExxonMobil dans l’EEE et a ensuite multiplié le montant ainsi obtenu par un coefficient reflétant la durée de la participation à l’infraction de chacune des requérantes.

17

En premier lieu, la Commission a déterminé la valeur des ventes annuelle de cires de paraffine et de gatsch. Pour les cires de paraffine, la Commission a pris les recettes des années 2000 à 2002 du groupe ExxonMobil comme base de calcul d’une moyenne annuelle. Pour le gatsch, la Commission a pris les recettes de 2000 à 2001 du groupe ExxonMobil comme base de calcul d’une moyenne annuelle. Il en est résulté des montants de 19790382 euros pour les cires de paraffine et de 1259217 euros pour le gatsch. Les coefficients multiplicateurs appliqués à ces montants au titre de la gravité ont été de 18 % pour les cires de paraffine et de 15 % pour le gatsch.

18

La Commission a ensuite déterminé la durée de la participation à l’infraction des requérantes pour ce qui concerne les cires de paraffine et le gatsch. À cet égard, en ce qui concerne les cires de paraffine, la Commission a considéré qu’Esso France avait participé pendant une période correspondant à un coefficient multiplicateur de 11,5. Pour Esso Deutschland, ce coefficient a été de 3. Pour EMPC et pour EMC, il a été fixé à 4.

19

En deuxième lieu, en vertu du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, la Commission a ajouté à ces montants le montant additionnel dit «droit d’entrée», correspondant à 18 et à 15 % de la valeur des ventes respectivement pour les cires de paraffine et pour le gatsch.

20

En troisième lieu, aucune circonstance atténuante ou aggravante susceptible d’avoir une incidence sur le montant de l’amende n’a été relevée. Dès lors, les montants des amendes n’ont pas été modifiés à ce titre.

21

En quatrième lieu, la Commission a considéré qu’il convenait d’appliquer un coefficient multiplicateur au titre de la dissuasion, en raison de la taille importante du groupe ExxonMobil. En conséquence, un coefficient multiplicateur de 2 a été appliqué.

22

En cinquième lieu, la Commission a appliqué une réduction de 7 % du montant de l’amende du fait des informations fournies par les requérantes et de la coopération dont elles ont fait preuve par la suite dans le cadre de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes. Les montants des amendes ont ainsi finalement été fixés comme suit : pour Esso France, une amende d’un montant de 83588400 euros, dont 27081600 solidairement avec Esso Deutschland et 34 670 400 solidairement avec EMPC et EMC.

Procédure et conclusions des parties

23

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 2008, les requérantes ont introduit le présent recours.

24

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, il a invité les parties à répondre par écrit à certaines questions et à produire certains documents. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

25

Par courrier du 10 février 2011, la Commission a demandé au Tribunal de retirer du dossier certains passages de la réponse des requérantes aux questions écrites. Les requérantes se sont opposées à cette demande. Par ordonnance du 3 mai 2011, le Tribunal (troisième chambre) a joint ladite demande au fond.

26

Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 21 mars 2011.

27

Eu égard aux liens factuels avec les affaires T‑541/08, Sasol e.a./Commission, T‑543/08, RWE et RWE Dea/Commission, T‑544/08, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, T‑548/08, Total/Commission, T‑550/08, Tudapetrol/Commission, T‑551/08, H&R ChemPharm/Commission, T‑558/08 ENI/Commission, T‑562/08, Repsol YPF Lubricantes y especialidades e.a./Commission et T‑566/08, Total Raffinage et Marketing/Commission, et à la proximité des questions juridiques relevées, le Tribunal a décidé de ne prononcer l’arrêt dans la présente affaire qu’à la suite des audiences dans lesdites affaires connexes, dont la dernière a eu lieu le 3 juillet 2013.

28

Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler partiellement la décision attaquée ;

réduire le montant de l’amende qui leur a été infligée ;

condamner la Commission aux dépens.

29

La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner les requérantes aux dépens.

En droit

30

À l’appui de leur recours, les requérantes avancent deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit dans le calcul du montant de base de l’amende infligée à Esso France, dans la mesure où celui-ci ne refléterait pas le fait que, avant la fusion, Exxon ne participait pas à l’infraction. Le second moyen est tiré de la fixation prétendument erronée de la date de fin de la participation des requérantes aux volets de l’infraction relatifs aux cires de paraffine.

31

Le Tribunal estime utile de commencer son examen du présent recours par le second moyen.

Sur le second moyen, tiré d’une erreur de droit prétendument commise lors de la fixation de la date de fin de la participation des requérantes à l’infraction

Observations liminaires

32

Les requérantes estiment que la Commission a erronément établi que leur participation aux deux premiers volets de l’infraction, concernant les cires de paraffine, avait pris fin le 20 novembre 2003. Elles soulignent ne pas avoir participé aux réunions techniques qui se sont tenues après celle des 27 et 28 février 2003.

33

À cet égard, la Commission a considéré, dans la décision attaquée, ce qui suit :

«[…]

(600)

ExxonMobil déclare que la dernière réunion à laquelle l’un de ses représentants ait assisté est la réunion technique des 27 et 28 février à Munich. En réaction à l’invitation à la réunion […] du 15 janvier 2004 par M. [M.], de Sasol, M. [Hu.] d’ExxonMobil répond, entre autres : ‘Les points à l’ordre du jour semblent présenter un intérêt pour notre entreprise. Toutefois, il nous semble que ce groupe de concurrents se réunit sans le soutien d’une association professionnelle et n’a dès lors ni structure ni statut. Cette situation nous gêne et nous souhaiterions suggérer que ces réunions se déroulent sous la houlette de [European Wax Federation] soit au sein du comité technique, soit en tant que sous-comité distinct. ExxonMobil ne participera pas à cette réunion en l’absence du soutien d’une association professionnelle réglementaire.’ Ce courriel du 20 novembre 2003 a été envoyé à M. [M.], de Sasol, et adressé en copie aux supérieurs de M. [Hu.] au sein d’ExxonMobil. La Commission n’a aucune preuve qu’ExxonMobil a continué de participer à l’infraction après l’envoi de ce courriel. Aussi la Commission considère-t-elle qu’en vertu de ce courriel adressé à Sasol (l’organisateur de la majeure partie des réunions techniques), ExxonMobil s’est publiquement distanciée de l’entente.

(601)

L’affirmation selon laquelle la participation d’ExxonMobil à l’infraction a pris fin après la réunion technique des 27 et 28 février 2003 ne saurait toutefois être acceptée. Il ne suffit pas de s’abstenir d’assister à des réunions pour mettre un terme à une participation. La distanciation publique requise par la jurisprudence n’est intervenue qu’avec le courriel de M. [Hu.], le 20 novembre 2003. Le fait que son abstention de participer aux réunions n’ait pas été perçue par les autres participants, et notamment par Sasol, comme une telle distanciation publique est démontré par le fait qu’ExxonMobil a continué à recevoir des invitations aux réunions techniques, ce qui a finalement provoqué l’envoi du courriel par M. [Hu.], le 20 novembre 2003.»

34

Les requérantes contestent cette appréciation. Elles allèguent qu’elles n’ont ni participé à, ni été informées des résultats, des réunions techniques qui s’étaient tenues après la réunion des 27 et 28 février 2003, au cours de laquelle M. T., leur représentant aux réunions techniques, avait officiellement informé les autres participants de son départ imminent d’ExxonMobil, sans avoir annoncé son successeur. De même, il n’existerait aucune preuve démontrant que les requérantes avaient eu connaissance, à la suite du détachement, puis du départ à la retraite, de M. T., de sa participation antérieure à l’infraction. Les éléments de preuve existants montreraient, au contraire, que M. T. a délibérément dissimulé le contenu anticoncurrentiel des réunions techniques à sa direction et à ses collègues.

35

Dès lors, elles font valoir que la Commission aurait dû retenir comme date de fin de la participation d’ExxonMobil à l’entente le 28 février 2003 la date de la dernière réunion à laquelle M. T. avait assisté ou, en tout état de cause, la date de son détachement auprès de Sasol, le 31 mars 2003, ou bien la date de son départ à la retraite, le 30 juin 2003.

Sur la nécessité d’une distanciation d’ExxonMobil à l’égard des activités de l’entente pour établir la fin de sa participation à l’infraction

36

Les requérantes avancent que la Commission a considéré erronément que, en l’espèce, une distanciation à l’égard des activités de l’entente était requise par la jurisprudence afin d’établir la cessation de la participation d’ExxonMobil à l’entente.

37

Cette argumentation est cependant contredite par la jurisprudence.

38

En effet, le Tribunal a jugé qu’il ne pouvait être conclu à la cessation définitive de l’appartenance d’une entreprise à l’entente que si elle s’était distanciée publiquement du contenu de l’entente (arrêts du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T-329/01, Rec. p. II-3255, point 246, et du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T-446/05, Rec. p. II-1255, point 241).

39

Dès lors, cette argumentation doit être rejetée.

Sur la compréhension des autres membres de l’entente en ce qui concerne la prétendue distanciation d’ExxonMobil

40

Il convient de souligner que, selon la jurisprudence, la compréhension qu’ont les autres participants à une entente de l’intention de l’entreprise concernée est déterminante pour apprécier si cette dernière a entendu se distancier de l’accord illicite (arrêt de la Cour du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C-510/06 P, Rec. p. I-1843, point 120).

41

À cet égard, les requérantes font valoir que, lors de la réunion des 27 et 28 février 2003, M. T. a annoncé son départ, sans présenter de successeur en vue de la participation aux prochaines réunions. Elles se réfèrent également à la déclaration de Shell, selon laquelle, après le départ de M. T., M. S. de Sasol n’a plus envoyé de lettres d’augmentation de prix à ExxonMobil.

42

À titre liminaire, en ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués à cet égard, il convient de rappeler que le principe qui prévaut en droit de l’Union européenne est celui de la libre administration des preuves (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Dalmine/Commission, T-50/00, Rec. p. II-2395, point 72).

43

Quant à la valeur probante des différents éléments de preuve, le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (arrêt Dalmine/Commission, point 42 supra, point 72).

44

Selon les règles générales en matière de preuve, la crédibilité et, partant, la valeur probante d’un document dépendent de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et de son contenu (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95 et T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, points 1053 et 1838).

45

En outre, il convient de rappeler que l’interdiction de participer à des pratiques et à des accords anticoncurrentiels ainsi que, les sanctions que les contrevenants peuvent encourir étant notoires, il est usuel que les activités que ces pratiques et ces accords comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation qui y est afférente soit réduite au minimum. Dès lors, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle produise des pièces attestant de manière explicite une prise de contact entre les opérateurs concernés. Même si la Commission découvre de telles pièces, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec. p. I-123, points 55 à 57 ; voir, également, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/02 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, Rec. p. II‑3567, points 64 et 65).

46

Cette jurisprudence est également applicable, par analogie, à la perception des autres membres de l’entente en ce qui concerne la prétendue distanciation publique et la participation continue d’une entreprise à ladite entente durant une période pendant laquelle cette dernière n’est pas présente aux réunions anticoncurrentielles. En effet, les autres participants à l’entente ne sont pas censés faire état de leur perception en ce qui concerne la participation continue d’un membre de l’entente dont le représentant n’assiste pas à certaines réunions anticoncurrentielles ou produire d’autres preuves contemporaines à cet égard, précisément parce qu’ils essaient de s’abstenir d’effectuer toute référence expresse aux arrangements anticoncurrentiels afin de réduire les preuves à leur charge au minimum. Dès lors, la perception des autres participants doit être déduite, le cas d’échéant, d’un faisceau d’indices et d’éléments de preuves indirects, dont la Commission et le Tribunal peuvent disposer.

47

En l’espèce, le Tribunal considère, sur la base des éléments figurant au dossier, qu’ExxonMobil ne s’est pas publiquement distanciée de l’entente selon la perception des autres participants avant sa lettre du 20 novembre 2003.

48

Premièrement, ainsi que la Commission le relève à juste titre dans la décision attaquée, Sasol a continué à envoyer les invitations aux réunions techniques jusqu’au 20 novembre 2003, date de la lettre de M. Hu. indiquant qu’ExxonMobil «ne participera[it] pas à cette réunion en l’absence du soutien d’une association professionnelle réglementaire», et qui a été retenue par la Commission comme date de fin de la participation d’ExxonMobil à l’entente. Si Sasol avait considéré qu’ExxonMobil ne faisait plus partie de l’entente après le départ de M. T., en raison du fait qu’il n’avait pas nommé de successeur, elle n’aurait plus envoyé d’invitations à ExxonMobil après le 31 mars 2003.

49

De plus, selon la réponse de Sasol du 18 décembre 2006 à une demande de renseignements de la Commission, le successeur de M. T., M. Hu., n’a jamais pris part aux réunions techniques, mais a eu des contacts bilatéraux au moins avec Sasol.

50

Deuxièmement, les requérantes ne sauraient valablement s’appuyer sur la déclaration de Shell du 16 juin 2006, selon laquelle, après le départ de M. T., M. S. de Shell n’a plus envoyé de lettres de tarification à ExxonMobil. Ainsi que la Commission le relève à juste titre, cette circonstance peut être également expliquée par l’absence de personne de confiance de M. S. auprès d’ExxonMobil après le départ de M. T. Dès lors, la déclaration évoquée par les requérantes ne constitue pas la preuve d’un changement de perception de Shell quant à la participation continue d’ExxonMobil à l’entente. En tout état de cause, ladite déclaration n’affecte aucunement la conclusion selon laquelle Sasol, organisateur des réunions techniques, a continué à percevoir ExxonMobil comme membre de l’entente, ainsi qu’il ressort des éléments réunis aux points 48 et 49 ci-dessus.

51

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’infraction complexe, unique et continue en cause consistait en des accords ou en des pratiques concertées portant sur la fixation des prix et l’échange et la divulgation d’informations sensibles sur le plan commercial, ainsi qu’en la répartition de clients ou de marchés. Le fait qu’ExxonMobil n’a plus reçu les lettres de tarification de Shell ne concerne qu’un seul aspect de l’infraction, à savoir un volet du mécanisme de contrôle des augmentations de prix sur lesquelles les participants se sont plusieurs fois accordés lors des réunions techniques. Le fait que Shell n’a plus régulièrement communiqué à ExxonMobil ses nouveaux prix ne démontre pas que, selon la perception des participants à l’entente, ExxonMobil ne s’estimait pas tenue par les engagements antérieurs qu’elle avait donnés dans le cadre de l’infraction complexe, unique et continue.

52

Troisièmement, il ressort de la déclaration sur l’honneur de M. Hu. que celui-ci a répondu à l’invitation à une réunion technique reçue de M. M. de Sasol le 26 juin 2003 en indiquant qu’il ne pouvait pas participer à la réunion suivante en raison d’un «conflit d’agenda». De même, à l’invitation à la réunion du 24 septembre 2003, reçue de M. M. le 17 juillet 2003, il a répondu qu’il voyagerait vers la fin du mois de septembre et que «la réunion technique ne devrait pas être remise pour [lui]».

53

Ces réactions de M. Hu. remettent également en cause la thèse des requérantes selon laquelle ExxonMobil a été perçue comme s’étant distanciée de l’entente après le départ de M. T., le 31 mars 2003. Premièrement, si les autres participants avaient perçu ExxonMobil comme n’étant plus membre de l’entente, son représentant n’aurait pas été destinataire de courriels visant à fixer la date de la prochaine réunion technique. Deuxièmement, il n’est pas raisonnable de considérer que, s’il avait été compris entre les participants à l’entente qu’ExxonMobil s’en était distanciée, M. Hu. aurait invoqué des «conflits d’agenda» dans un échange de courriels visant à trouver une date convenant à tous les participants, une telle attitude donnant l’impression aux autres membres qu’il était ouvert à la participation continue.

54

Dès lors, il y a lieu de confirmer l’analyse de la Commission selon laquelle, à défaut de distanciation publique, ExxonMobil avait été perçue par les autres participants comme membre de l’entente jusqu’au 20 novembre 2003.

Sur l’absence de connaissance par les employés d’ExxonMobil de la participation à l’infraction après le départ de M. T.

55

Les requérantes font valoir qu’aucune distanciation publique ne pouvait être exigée d’ExxonMobil, étant donné qu’il n’existe aucune preuve qu’ExxonMobil avait connaissance, à la suite du départ de M. T., de sa participation antérieure à l’infraction, et que les éléments de preuve existants démontrent, au contraire, que M. T. avait délibérément dissimulé le contenu anticoncurrentiel des réunions techniques à sa direction et à ses collègues.

– Sur les questions procédurales

56

Il y a lieu de rappeler que la Commission a déposé, en annexe de sa duplique, des preuves documentaires afin de réfuter les allégations des requérantes selon lesquelles M. T. était le seul employé d’ExxonMobil qui était au courant de la participation de cette dernière à l’infraction.

57

Dans leur réponse du 21 décembre 2010 aux questions écrites du Tribunal, les requérantes ont présenté des observations détaillées sur les éléments de preuve annexés à la duplique, même si lesdites questions ne portaient pas sur ce sujet.

58

En premier lieu, par courrier du 10 février 2011, la Commission a demandé au Tribunal de retirer du dossier certains passages de la réponse des requérantes aux questions écrites du Tribunal, tandis que les requérantes ont exprimé, dans leur lettre du 11 mars 2011, leur opposition au retrait partiel du dossier du document en cause.

59

Il convient de relever que, ainsi que la Commission le fait observer, dans leur réponse aux questions écrites du Tribunal, les requérantes ne se sont pas bornées à donner des réponses aux questions posées par le Tribunal et à expliquer le contexte de ces réponses, mais ont également répondu aux arguments avancés par la Commission dans sa duplique et aux preuves annexées à celle-ci.

60

Certes, une réponse écrite à la duplique n’est pas prévue dans le règlement de procédure. Cependant, étant donné que le Tribunal n’a pas eu l’opportunité de déterminer, avant l’audience, la recevabilité de chaque point de ladite réponse, les requérantes pouvaient être amenées à considérer que leur réponse serait versée au dossier dans son intégralité et, ainsi, à ne pas répéter à l’audience certains passages, même si elles en avaient la possibilité.

61

En outre, le Tribunal estime que les observations des requérantes concernant les éléments de preuves annexés à la duplique sont utiles du point de vue de la solution du litige. Dès lors, dans la mesure où le Tribunal aurait pu, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, inviter les requérantes à prendre position sur lesdites preuves, il peut, en raison de l’économie de procédure, décider de maintenir dans le dossier les observations en cause.

62

Dès lors, eu égard à la fois au critère du procès équitable et à l’économie de la procédure, le Tribunal décide de rejeter la demande de retrait de document de la Commission et de verser les réponses des requérantes aux questions du Tribunal au dossier dans leur intégralité.

63

En second lieu, dans ladite réponse aux questions écrites du Tribunal, les requérantes font valoir que la Commission aurait dû motiver la présentation tardive des preuves annexées à la duplique. À défaut d’une telle motivation, lesdites preuves seraient irrecevables.

64

Conformément à l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, si les parties peuvent faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique, elles doivent motiver le retard apporté à la présentation de ces offres.

65

En l’espèce, il y a lieu de souligner que, dans la réplique, les requérantes ont considérablement développé et étayé leur thèse selon laquelle ExxonMobil n’avait pas connaissance de l’entente après la date du départ de M. T. et selon laquelle aucun de leurs employés n’avait connaissance de l’entente après ladite date. Dès lors, la Commission ayant fait référence à ces arguments avancés dans la réplique lors de la présentation des éléments de preuve figurant en annexe de la duplique, les raisons pour lesquelles la Commission a soumis lesdits éléments pour la première fois dans sa duplique sont clairement compréhensibles. En outre, il y a lieu de souligner que, à l’audience, la Commission a davantage expliqué que les éléments de preuve annexés à la duplique avaient été soumis en réponse aux arguments des requérantes avancés dans la réplique et à l’annexe C 1 de celle-ci.

66

Dès lors, le Tribunal considère que la Commission a dûment motivé le dépôt tardif des éléments de preuve, de sorte qu’il convient de les déclarer recevables.

– Sur le fond

67

Les requérantes font référence à la déclaration sur l’honneur de M. Hu., l’employé d’ExxonMobil à qui M. T. rendait compte à l’époque. Il aurait déclaré que M. T. l’avait informé de l’existence de réunions techniques organisées par Sasol vers la fin du mois de mars 2003, lorsqu’il préparait son départ. M. T. n’aurait pas mentionné que des questions se rapportant au marché avaient également été discutées. M. Hu. aurait déclaré qu’il n’avait nommé aucun remplaçant pour M. T., mais qu’il avait d’abord envisagé d’assister lui-même à une des réunions, car il ne comprenait pas bien en quoi consistaient les discussions techniques qui se tenaient lors de ces réunions et souhaitait vérifier si cela «valait la peine» qu’ExxonMobil continue à y participer. M. Hu. aurait insisté sur le fait qu’il n’avait aucune raison de soupçonner, à l’époque, que ces réunions présentaient un contenu anticoncurrentiel ou que M. T. avait assisté régulièrement à des réunions anticoncurrentielles dont il aurait dû se distancier lui-même au nom d’ExxonMobil.

68

Il y a lieu de relever que l’allégation factuelle des requérantes est directement contredite par les éléments figurant au dossier, même si le Tribunal a décidé de ne pas prendre en compte certaines pièces déposées par la Commission en annexe de la duplique, eu égard aux explications fournies par les requérantes dans leur réponse aux questions écrites. En effet, il ressort du dossier que M. Hu. (gestionnaire des produits spéciaux pour certains États membres de l’Union chez Mobil entre 1996 et 2000 et gestionnaire des ventes de cires et d’émulsions de cire du groupe ExxonMobil sur plusieurs continents à partir de 2000), à qui M. T. rendait compte durant la période litigieuse, avait connaissance de la participation d’ExxonMobil à l’infraction.

69

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon un courriel de M. J. de Mobil du 28 juin 1999, adressé à un certain nombre de destinataires, dont MM. Hu. et P. d’ExxonMobil, concernant une réunion technique prévue pour le 9 juillet 1999 à Vienne (Autriche), «[Sü. de Sasol] essa[yait] de trouver un accord entre les fabricants afin d’offrir de resserrer les limites de production, pour créer des barrières à l’entrée du marché» et que «[l]’intérêt de Mobil [étai]t, à [s]on avis, de soutenir en principe l’approche de [M.] S[ü.]» (considérant 154 de la décision attaquée).

70

De même, par courrier électronique interne du 12 septembre 1997, M. Hu. a informé les destinataires de son intention d’appliquer l’augmentation de prix annoncée par M. Sü. de Sasol. Un des destinataires, M. Su. d’ExxonMobil, a répondu ce qui suit :

«[M]erci, bonne information. Souhaiterais/souhaiter[i]ons encourager les autres [à] suivre, aussi.»

71

Par courrier électronique du 10 octobre 2000, envoyé par M. Hu. à M. P. et à M. S. d’ExxonMobil, il a été indiqué que «le marché se prépar[ait] à une augmentation de prix de 15 DEM (niveau minimum de 140 marks allemands) à partir de janvier 2001». Dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal, les requérantes avancent une autre explication, selon laquelle M. Hu. a acquis l’information sur l’augmentation de prix envisagé non par des concurrents, mais par d’autres sources, en particulier par des clients. Cependant, une telle explication doit être rejetée. En effet, il n’est pas plausible que les clients d’ExxonMobil, ayant un intérêt dans le maintien de prix bas, lui aient communiqué un montant précis d’augmentation de prix (et un niveau minimal de prix), associés à une date précise.

72

Par courrier électronique du 13 novembre 2000, M. Hu. a informé M. K. d’ExxonMobil que «le message général sur le marché européen [étai]t une augmentation de 15 %».

73

Le courrier électronique du 19 novembre 2000, envoyé par M. Hu. à M. P. d’ExxonMobil et mentionnant en objet «Augmentation du prix des cires», montre que le premier était au courant de l’échange de listes de prix entre concurrents. Selon ledit courrier électronique, «[M. C. d’ExxonMobil] a[vait] encore reçu un tas d’informations (lettres relatives aux cires) (EWF, [M. Sü], Total)». Ce courrier électronique faisait partie d’une série de courriels, dont un courrier électronique antérieur de M. C. d’ExxonMobil, par lequel M. Hu. avait été informé que «Total et [M. Sü. de Sasol avaient] envoyé une lettre officielle aux clients (déjà reçue par [le]s clients [d’ExxonMobil]) afin de les informer de la prochaine hausse de prix le 1er janvier 2001», et auquel M. Hu. avait répondu par courrier électronique ce qui suit : «Merci [M. C.], je le sais».

74

Ces documents démontrent clairement que M. Hu. avait connaissance de la participation d’ExxonMobil à l’entente, puisqu’ils témoignent de la réception par M. Hu. de données commerciales des autres participants et de l’ajustement du comportement commercial d’ExxonMobil eu égard à ces informations.

75

Le Tribunal considère que la déclaration sur l’honneur de M. Hu., du 6 août 2007, ne saurait remettre en cause la constatation figurant au point 74 ci-dessus. En effet, ainsi que la Commission l’a relevé, ce document a été établi après la réception, par les requérantes, de la communication des griefs, aux fins de défendre leurs intérêts devant la Commission. Or, les documents trouvés lors des vérifications disposent d’une valeur probante supérieure aux déclarations, établies in tempore suspecto par les représentants ou anciens représentants des entreprises incriminées, qui visent à atténuer la responsabilité de celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T-59/02, Rec. p. II-3627, point 277, et du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié au Recueil, point 379).

76

En outre, ainsi qu’en témoignent les courriels des 10 octobre et 19 novembre 2000 (voir points 71 et 73 ci-dessus), M. Hu. a transmis suffisamment d’informations sur les prix des concurrents et leur comportement commercial à M. P. (gestionnaire des spécialités pour le territoire Europe, Afrique et Moyen Orient) pour permettre à ce dernier de comprendre la participation d’ExxonMobil aux pratiques anticoncurrentielles. Or, M. P. a continué à être employé par ExxonMobil jusqu’en 2005.

77

Enfin, les requérantes font valoir que le Tribunal ne saurait prendre en compte, lors de l’appréciation de la légalité de la décision attaquée, les preuves documentaires mentionnées aux points 69 à 73 ci-dessus, puisqu’elles ont été produites par la Commission en annexe à sa duplique, de sorte qu’elles constitueraient des preuves tardives.

78

Cet argument ne saurait prospérer.

79

En effet, premièrement, au considérant 154 de la décision attaquée, la Commission a fait référence au document mentionné au point 69 ci-dessus. Deuxièmement, l’ensemble des documents mentionnés aux points 69 à 73 ci‑dessus ont été retrouvés dans les locaux d’ExxonMobil et, de surcroît, faisaient partie du dossier auquel les requérantes avaient eu accès durant la procédure administrative, de sorte que leur contenu était connu de ces dernières. Ainsi, il ne s’agit pas d’informations nouvelles avancées par la Commission pour la première fois devant le Tribunal. Troisièmement, il y a lieu de souligner que, tandis que, dans leur réponse à la communication des griefs, les requérantes se sont concentrées sur la déclaration sur l’honneur de M. Hu., devant le Tribunal, et en particulier dans la réplique, elles ont considérablement développé et étayé leur thèse selon laquelle ExxonMobil n’avait pas connaissance de l’entente après la date du départ de M. T. et selon laquelle aucun de leurs employés n’avait connaissance de l’entente après ladite date. Or, le respect des droits de la défense de la Commission exige qu’il soit permis à celle-ci de réfuter les allégations factuelles présentées par les requérantes devant le Tribunal en se fondant sur des éléments appartenant au dossier administratif, auquel les requérantes avaient accès lors de la procédure devant la Commission.

80

Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter l’argument des requérantes selon lequel ExxonMobil n’avait pas connaissance de sa participation à l’entente après le départ de M. T.

81

En quatrième lieu, les requérantes font valoir que la participation de M. T. aux réunions techniques n’avait pas eu d’effets qui auraient pu persister au-delà de la dernière réunion technique à laquelle il avait participé, à savoir celle des 27 et 28 février 2003.

82

Premièrement, eu égard aux considérations développées aux points 74 à 80 ci-dessus, les arguments des requérantes avancés à cet égard doivent être rejetés dans le mesure où celles-ci se fondent sur l’allégation selon laquelle M. T. était le seul employé d’ExxonMobil qui avait connaissance de la participation de cette dernière à l’entente.

83

Deuxièmement, selon la jurisprudence, le comportement du concurrent loyal se caractérise par la manière autonome dont il détermine la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. Or, même si l’entreprise en cause ne participait pas aux activités de l’entente après une certaine date, il est permis de supposer qu’elle a tenu compte des informations déjà échangées avec ses concurrents, pour déterminer son comportement sur le marché (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 121 ; Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 162, et arrêt du Tribunal du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T-62/02, Rec. p. II-5057, point 39).

84

Or, le simple fait qu’ExxonMobil n’a pas participé aux réunions techniques entre le 28 février et 20 novembre 2003 ne l’a aucunement empêchée d’utiliser l’information sur les prix appliqués par ses concurrents qu’elle avait reçue lors des dizaines de réunions techniques précédentes, auxquelles elle avait assisté, et de profiter des accords de répartition des marchés et des clients mis en place lors des réunions techniques précédentes.

85

Dès lors, la Commission a valablement conclu, dans la décision attaquée, que la requérante avait participé à l’entente jusqu’au 20 novembre 2003.

86

Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le second moyen des requérantes.

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit résultant d’une absence de prise en compte, lors du calcul du montant de l’amende, de l’absence de participation d’Exxon à l’infraction avant la fusion

87

Les requérantes contestent le calcul du montant de l’amende infligée à Esso France au motif qu’il ne refléterait pas le fait que, avant la fusion Exxon-Mobil en novembre 1999, Exxon n’avait pas participé à l’infraction.

Observations liminaires

88

Selon le paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, la Commission utilise, pour le calcul du montant de l’amende, normalement la valeur des ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction.

89

En l’espèce, la dernière année complète de l’infraction était l’année 2004 pour les entreprises ayant participé à l’entente jusqu’à sa fin, et 2002 en ce qui concerne ExxonMobil. Cependant, la Commission a retenu comme année de référence, non pas la dernière année complète de la participation à l’entente, mais la moyenne des trois dernières années complètes, en raison de l’élargissement de l’Union intervenue en 2004 (considérant 634 de la décision attaquée). La Commission a calculé la moyenne de la valeur des ventes des trois dernières années de participation à l’égard de tous les participants à l’entente.

90

En outre, la Commission a rejeté la demande des requérantes, présentée dans leur réponse à la communication des griefs, de tenir compte du fait qu’Exxon n’avait pas été impliquée dans l’infraction avant la fusion Exxon-Mobil, en affirmant ce qui suit :

«ExxonMobil demande à la Commission de diviser la période de participation d’ExxonMobil en une période préalable à la fusion et une période postérieure à la fusion et de ne tenir compte que des ventes réalisées par Mobil pendant la période préalable à la fusion afin de refléter le fait qu’Exxon ne participait pas à l’infraction. ExxonMobil allègue qu’en lieu et place de l’année 2002, la Commission devrait tenir compte du fait qu’entre 1992 et 2000, Exxon ne participait pas à l’infraction. La Commission ne partage pas ce point de vue. Les lignes directrices de 2006 […] disposent que, normalement, la dernière année complète de participation à l’infraction doit être prise en compte à titre d’année de référence, soit l’année 2002 en ce qui concerne ExxonMobil. ExxonMobil n’avance aucun argument expliquant pourquoi cela ne devrait pas être le cas. Compte tenu du fait qu’Exxon et Mobil ont fusionné en 1999, la Commission ne voit aucune raison de ne pas tenir compte de la valeur des ventes réalisées par ExxonMobil en 2002. Comme démontré au point 6.2.2, [voir considérants 348 à 352 de la décision attaquée] la responsabilité au titre de la participation de Mobil est liée à celle d’ExxonMobil et cette dernière est la société à laquelle est infligée l’amende et, par conséquent, c’est la valeur des ventes d’ExxonMobil qui doit être prise en compte.»

91

Sur la base de ces considérations, la Commission a retenu la moyenne de la valeur des ventes du groupe ExxonMobil durant les années 2000 à 2002 pour le calcul du montant de l’amende. Le montant de l’amende de toutes les requérantes, y compris celle d’Esso France, a été calculé sur la base de cette valeur des ventes.

Sur la légalité de la décision attaquée

92

Les requérantes font valoir que, lors du calcul du montant de l’amende infligée à Esso France, la Commission a commis une erreur en prenant en compte la valeur des ventes postérieures à la fusion du groupe ExxonMobil (la moyenne des années 2000 à 2002) et en la multipliant aussi par le nombre des années (de 1992 à 1999) durant lesquelles seule Mobil (par le biais de Mobil France, ultérieurement absorbée par Esso France) participait à l’entente, alors qu’Exxon n’en était pas membre.

93

Selon les requérantes, ce faisant, la Commission a infligé le même montant d’amende à Esso France, comme si Exxon avait réellement participé à l’infraction pendant la période d’un peu plus de sept années qui avait précédé la fusion (de 1992 à 1999). Cette approche serait incompatible avec les constatations de fait effectuées dans la décision attaquée. De plus, elle violerait les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 et les lignes directrices de 2006.

94

À titre liminaire, il convient de relever que, selon le paragraphe 6 des lignes directrices de 2006, la combinaison de la valeur des ventes «en relation» avec l’infraction et de la durée de cette dernière est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction.

95

Selon la jurisprudence, même si la Commission peut se fonder, en règle générale, sur la dernière année de participation à l’infraction comme période de référence pour le calcul de la valeur des ventes, un tel choix ne doit pas toujours être retenu. En effet, il convient de choisir une méthode de calcul qui permette de tenir compte de la taille et de la puissance économique de chaque entreprise concernée ainsi que de l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles, en fonction de la réalité économique telle qu’elle apparaissait à l’époque de la commission de l’infraction (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C-291/98 P, Rec. p. I-9991, et arrêt du Tribunal du 13 septembre 2010, Trioplast Industrier/Commission, T-40/06, Rec. p. II-4893, point 92).

96

En outre, dans la mesure où il y a lieu de se fonder sur le chiffre d’affaires des entreprises impliquées dans une même infraction en vue de déterminer les relations entre les amendes à infliger, il convient de délimiter la période à prendre en considération de manière que les chiffres obtenus soient aussi comparables que possible. Il en résulte qu’une entreprise déterminée ne saurait exiger que la Commission se fonde, à son égard, sur une période différente de celle généralement retenue qu’à la condition qu’elle démontre que le chiffre d’affaires qu’elle a réalisé au cours de cette dernière période ne constitue pas, pour des raisons qui lui sont propres, une indication de sa véritable taille et de sa puissance économique, ni de l’ampleur de l’infraction qu’elle a commise (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Fiskeby Board/Commission, T-319/94, Rec. p. II-1331, point 42).

97

Les requérantes ne contestent pas que la moyenne du chiffre d’affaires d’ExxonMobil réalisé sur le marché cartellisé durant la période allant de 2000 à 2002 reflète correctement l’ampleur de l’infraction commise par celle-ci et son poids relatif dans l’entente, en ce qui concerne la période ayant suivi la fusion, c’est-à-dire entre novembre 1999 et novembre 2003 (quatre ans). Cependant, elles critiquent le fait que le montant de base calculé à partir de ce chiffre d’affaires a été multiplié par 11,5 en ce qui concerne Esso France et que, dès lors, la Commission a utilisé le chiffre d’affaires d’ExxonMobil postérieur à la fusion pour la période allant de septembre 1992 à novembre 1999 (sept ans et demi), quand Mobil participait seule à l’entente. Selon les requérantes, la valeur des ventes postérieures à la fusion du groupe ExxonMobil ne reflète pas le poids relatif de Mobil dans l’infraction en ce qui concerne la période allant de septembre 1992 à novembre 1999.

98

La Commission maintient que le chiffre d’affaires moyen d’ExxonMobil entre 2000 et 2002 reflète correctement le poids relatif d’ExxonMobil dans l’entente pendant une partie importante de la durée de celle-ci, à savoir la période ayant suivi la fusion, de sorte que ces chiffres auraient été représentatifs. En outre, elle se réfère à la large marge d’appréciation qu’elle détient lors du choix de la période de référence et à la jurisprudence en la matière.

99

En premier lieu, selon la jurisprudence, les critères de la gravité et de la durée de l’infraction, mentionnés à l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, laissent à la Commission une large marge d’appréciation lors du calcul du montant de l’amende, ce qui permet à celle-ci d’adopter des sanctions en tenant compte du degré d’illégalité du comportement en cause (arrêts du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T-279/02, Rec. p. II-897, point 76, et du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T-69/04, Rec. p. II-2567, point 37).

100

En outre, lors de la fixation du montant des amendes telles que celle en cause en l’espèce, la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit, tout particulièrement les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité (arrêts Degussa/Commission, point 99 supra, points 77 et 79, et Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, point 99 supra, point 41).

101

En deuxième lieu, selon la jurisprudence, le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du Tribunal du 4 juillet 2006, Hoek Loos/Commission, T-304/02, Rec. p. II-1887, point 96).

102

Or, en l’espèce, ExxonMobil était dans une situation différente de celle des autres entreprises participant à l’entente, en ce que presque la moitié de sa production de cires de paraffine – la production d’Exxon – n’avait pas été affectée par l’entente avant la fusion Exxon-Mobil, intervenue en 1999. Cependant, la Commission a traitée d’une manière identique les autres participants à l’entente et elle, en ce qu’elle a pris en compte la moyenne de la valeur des ventes d’ExxonMobil réalisée durant les trois dernières années de sa participation.

103

Dès lors, la Commission a violé le principe d’égalité de traitement.

104

En troisième lieu, il convient d’examiner conjointement les griefs tirés de la violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 et de celle du principe de proportionnalité.

105

Selon l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.

106

Selon la jurisprudence, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331/88, Rec. p. I-4023, point 13, et du 5 mai 1998, Royaume‑Uni/Commission, C-180/96, Rec. p. I-2265, point 96 ; arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Prym et Prym Consumer/Commission, T‑30/05, non publié au Recueil, point 223).

107

Dans le cadre des procédures engagées par la Commission pour sanctionner les violations des règles de concurrence, l’application de ce principe implique que les amendes ne doivent pas être démesurées par rapport aux objectifs visés, c’est-à-dire par rapport au respect de ces règles, et que le montant de l’amende infligée à une entreprise au titre d’une infraction en matière de concurrence doit être proportionné à l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte, notamment, de la gravité et de la durée de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Prym et Prym Consumer/Commission, point 106 supra, points 223 et 224, et la jurisprudence citée). En particulier, le principe de proportionnalité implique que la Commission doit fixer le montant de l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doit à ce sujet appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée (arrêts du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T-43/02, Rec. p. II-3435, points 226 à 228, et Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, point 38 supra, point 171).

108

Il y a lieu de rappeler que, selon le paragraphe 6 des lignes directrices de 2006, «la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée est considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction». Une telle disposition comprend la justification de la méthode générale appliquée par la Commission en vertu desdites lignes directrices, consistant en la multiplication d’une partie déterminée de la valeur des ventes réalisée pendant la période de référence (18 % dans le cas d’espèce pour les cires de paraffine) par le nombre d’années de participation à l’infraction.

109

Le fait que, selon cette méthodologie, le montant de base est arithmétiquement proportionnel à la durée de participation à l’infraction (sauf la partie mineure constituée par le «droit d’entrée») indique que, dans l’économie des lignes directrices de 2006, la combinaison de la valeur des ventes et de la durée doit constituer une valeur de remplacement à l’égard de toute la durée de la participation, et non seulement à l’égard de la dernière année complète de la participation ou «d’une partie importante» de celle-ci. Une telle constatation s’impose d’ailleurs sur la base de la jurisprudence citée au point 95 ci-dessus selon laquelle il convient de choisir une méthode de calcul qui permette de tenir compte de la taille et de la puissance économique de chaque entreprise concernée ainsi que de l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles, en fonction de la réalité économique telle qu’elle apparaissait à l’époque de la commission de l’infraction.

110

Or, le montant de base calculé à partir de la valeur des ventes durant la période de référence, multipliée par le coefficient au titre de la durée, ne donne une valeur de remplacement adéquate, reflétant la réalité économique durant toute la durée de l’infraction, que si son composant constituant le point de départ – la valeur des ventes – est à tout le moins approximativement représentatif de toute la durée de l’infraction.

111

Certes, la marge d’appréciation que la Commission détient lors du calcul du montant de l’amende lui permet de prendre en compte, dans des circonstances habituelles, la dernière année de participation à l’infraction comme période de référence. En effet, une telle solution générale est justifiée, puisque ladite marge d’appréciation permet à la Commission de ne pas tenir compte de toute fluctuation de la valeur des ventes au cours des années de l’infraction et qu’une augmentation de la valeur des ventes peut être le résultat de l’entente elle-même.

112

Cependant, dans le cas où une fusion est intervenue durant l’entente, à laquelle, avant la fusion, seulement une des parties participait, la valeur des ventes de l’entité résultant de la fusion pendant la dernière année complète, multipliée par le nombre d’années de participation non seulement de l’entité résultant de la fusion, mais également de la partie qui, avant la fusion, participait seule à l’entente, ne saurait constituer une «valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction» pour toute la durée de la participation. En effet, en multipliant la valeur des ventes de l’entité résultant de la fusion aussi par le nombre d’années pendant lesquelles seulement une des parties à la fusion a participé à l’infraction, la Commission augmente artificiellement le montant de base de l’amende d’une façon qui ne reflète pas la réalité économique durant les années précédant la fusion.

113

Or, tel a été le cas en l’espèce, la Commission ayant calculé le montant de base servant à la détermination du montant de l’amende d’Esso France, en multipliant la valeur des ventes du groupe ExxonMobil réalisée durant la période allant de 2000 à 2002 par un nombre d’années comprenant celles pendant lesquelles seule Mobil participait à l’entente (de 1992 à 1999). Le montant de base ainsi obtenu est disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction, parce qu’il ne reflète pas adéquatement l’importance économique de l’infraction commise par Mobil France avant la fusion, ni son poids relatif dans l’entente.

114

Dès lors, la Commission a violé l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 et le principe de proportionnalité.

115

Les autres arguments de la Commission ne sauraient remettre en cause les considérations développées aux points 103 et 114 ci-dessus.

116

En premier lieu, la Commission fait valoir qu’elle a tenu compte de la fusion Exxon-Mobil lors du calcul du montant de l’amende, puisque des coefficients reflétant des durées plus courtes ont été appliqués pour Esso Deutschland, EMC et EMPC.

117

Cependant, il y a lieu de relever que la valeur des ventes d’ExxonMobil prise en compte par la Commission aux fins du calcul du montant de l’amende d’Esso France inclut la valeur des ventes liée à l’activité «hydrocires», héritée d’Exxon, qui n’a pas été impliquée dans l’entente avant la fusion Exxon-Mobil.

118

Dès lors, le présent argument doit être rejeté.

119

En deuxième lieu, il convient d’examiner les arguments de la Commission tirés de la jurisprudence en la matière.

120

Premièrement, à l’audience, la Commission a fait référence à l’arrêt du 3 mars 2011, Siemens et VA Tech Transmission & Distribution/Commission (T-122/07 à T-124/07, Rec. p. II-793, points 124 et 127), dans lequel le Tribunal a confirmé l’approche de celle-ci retenant la valeur des ventes de l’entreprise née à la suite de la fusion de Reyrolle Ltd, de Schneider Electric High Voltage SA et de Nuova Magrini Galileo SpA, réalisée durant le dernier exercice complet de l’infraction, pour le calcul du montant de départ à l’égard de toutes ces sociétés, même si leur fusion n’était intervenue que deux ans après le début de leur participation à l’infraction.

121

À cet égard, il suffit de relever que, ainsi que les requérantes l’ont fait observer à bon droit, Reyrolle, Schneider Electric High Voltage et Nuova Magrini Galileo avaient participé séparément à l’entente avant la fusion (arrêt Siemens et VA Tech Transmission & Distribution/Commission, point 120 supra, point 19), contrairement à Exxon en l’espèce. Le Tribunal considère que cette circonstance constitue une différence factuelle très importante, de sorte que ledit arrêt ne saurait être utilement invoqué par la Commission dans la présente affaire.

122

Deuxièmement, la Commission fait référence à l’arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (T‑175/05, non publié au Recueil, points 139 à 146), qui concerne également une entente au cours de laquelle les parties requérantes avaient acquis une société qui n’avait pas participé à l’entente avant la concentration.

123

Il convient de rappeler la teneur de l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 122 supra, qui a été rendu dans l’affaire dite de l’«acide monochloracétique» (ci‑après l’«AMCA»), dans laquelle la Commission a appliqué les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices de 1998»).

124

Le Tribunal a jugé, au point 143 de l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 122 supra, que la prise en compte du chiffre d’affaires réalisé par chacune des entreprises au cours de l’année de référence, à savoir la dernière année complète de la période d’infraction retenue, permettait d’apprécier la taille et la puissance économique de chaque entreprise ainsi que l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles, ces éléments étant pertinents pour apprécier la gravité de l’infraction commise par chaque entreprise.

125

Ensuite, le Tribunal a confirmé l’analyse de la Commission, ayant classé Akzo Nobel dans la première catégorie des contrevenants, pour laquelle le montant de base de l’amende avait été fixé à 30 millions d’euros, avant Hoechst, classée dans la deuxième catégorie, pour laquelle le montant de base de l’amende avait été fixé à 21 millions d’euros et qui était le plus grand producteur d’AMCA pour la majeure partie de la durée de sa participation (de 1984 à 1994). En effet, Akzo avait participé à l’entente de 1984 à 1999, mais ce n’est que, en 1994, après sa fusion avec Nobel Industrier, laquelle ayant participé à l’entente à partir de 1993, qu’Akzo Nobel est devenue le producteur le plus important d’AMCA, avant Hoechst.

126

À cet égard, force est de constater que la méthode générale suivie par la Commission en vertu des lignes directrices de 2006 diffère substantiellement de celle appliquée en vertu des lignes directrices de 1998.

127

En effet, il n’existait aucune disposition dans les lignes directrices de 1998 qui imposât à la Commission de prendre en compte la valeur des ventes des entreprises concernées sur le marché cartellisé. Le montant de départ de l’amende devait être fixé eu égard à la gravité de l’infraction, à «la capacité économique effective des auteurs d’infraction de créer un dommage important aux autres opérateurs», au «poids spécifique, et donc [à] l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence», d’une façon qu’il «assure un caractère suffisamment dissuasif» pour l’entreprise concernée.

128

Dès lors, les lignes directrices de 1998 laissaient une marge d’appréciation beaucoup plus importante à la Commission lors de la détermination du montant de départ de l’amende, détermination qu’elle a souvent effectuée en classant les entreprises participant à l’entente en plusieurs catégories en fonction notamment de leurs parts de marché respectives. En revanche, dans les lignes directrices de 2006, la Commission s’est imposée une méthode impliquant que le montant de base soit arithmétiquement proportionnel à la valeur des ventes, puisque ledit montant équivaut à «une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction», auquel est ajouté une somme dite «droit d’entrée» comprise entre 15 et 25 % de la valeur des ventes, afin de dissuader les entreprises de participer aux accords les plus graves.

129

Par conséquent, la solution retenue dans l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 122 supra, à l’égard de l’application des lignes directrices de 1998, n’est pas transposable en l’espèce, eu égard à la différence de la méthodologie appliquée par la Commission dans la décision attaquée, adoptée sur la base des lignes directrices de 2006.

130

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le premier moyen et d’annuler la décision attaquée à l’égard d’Esso France en ce qui concerne le calcul de la valeur des ventes pour les cires de paraffine, sans examiner les autres griefs et arguments des requérantes. Les conséquences qu’il convient d’en tirer pour la détermination du montant de l’amende seront examinées aux points 134 et suivants ci-après.

131

Il convient de rejeter le recours pour le surplus.

Sur l’exercice de la compétence de pleine juridiction et sur la détermination du montant final de l’amende

132

Il convient de rappeler que le contrôle de légalité des décisions adoptées par la Commission est complété par la compétence de pleine juridiction qui est reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou de l’astreinte infligée. Le contrôle prévu par les traités implique donc, conformément aux exigences du droit à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que le juge de l’Union exerce un contrôle tant de droit que de fait et qu’il a le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision attaquée et de modifier le montant des amendes (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C-3/06 P, Rec. p. I-1331, points 60 à 62, et arrêt du Tribunal du 21 octobre 2003, General Motors Nederland et Opel Nederland/Commission, T-368/00, Rec. p. II-4491, point 181).

133

Il appartient, dès lors, au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, d’apprécier, à la date à laquelle il adopte sa décision, si les parties requérantes se sont vu infliger une amende dont le montant reflète correctement la gravité et la durée de l’infraction en cause, de sorte que lesdites amendes revêtent un caractère proportionné par rapport aux critères prévus à l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Aristrain/Commission, T-156/94, Rec. p. II-645, points 584 à 586, et du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T-220/00, Rec. p. II-2473, point 93). Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et de rappeler que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire.

134

Afin de remédier aux illégalités commises par la Commission, relevées aux points 103 et 114 ci-dessus, il convient de se fonder sur des valeurs de ventes distinctes pour ce qui est des périodes antérieures et postérieures à la fusion Exxon-Mobil.

135

En ce qui concerne la participation d’Esso France à l’infraction durant la période comprise entre le 3 septembre 1992 et le 29 novembre 1999, à défaut des données disponibles pour l’année 1999, il convient de prendre en compte la valeur des ventes d’Esso France réalisée en 2000 et de la multiplier par le coefficient de 7,5 afin de refléter la durée de cette partie de l’infraction.

136

En ce qui concerne la participation d’Esso France à l’infraction à la suite de la fusion Exxon-Mobil, entre le 30 novembre 1999 et le 20 novembre 2003, il convient de prendre en compte la valeur des ventes du groupe ExxonMobil, telle que fixée par la Commission dans la décision attaquée, c’est-à-dire la moyenne de la valeur des ventes réalisée durant les années 2000 à 2002. Ensuite, il y a lieu de multiplier ce montant par un coefficient de 4, afin de tenir compte de la durée de cette partie de l’infraction.

137

Les autres éléments du calcul du montant de l’amende restent inchangés. En particulier, le Tribunal constate que, en vertu du paragraphe 30 des lignes directrices de 2006, la Commission a appliqué un coefficient multiplicateur de 2 au titre de la dissuasion, en raison de la taille importante du groupe ExxonMobil, qu’elle a fixé en prenant en compte uniquement le rapport entre la valeur des ventes et le chiffre d’affaires total d’ExxonMobil, tout en assurant la proportionnalité avec les coefficients multiplicateurs appliqués aux autres entreprises participant à l’entente, et sans fixer un montant minimal d’amende au titre de la dissuasion (voir considérants 712 et 713 de la décision attaquée). Dans ces circonstances, et à défaut d’arguments et d’éléments allant en sens contraire, le Tribunal considère qu’il convient de procéder de la même manière et d’appliquer, en raison de la taille du groupe ExxonMobil, un coefficient multiplicateur de 2 au montant de base de l’amende infligée à Esso France, tel que calculé selon la méthode décrite aux points 135 et 136 ci-dessus. Il s’ensuit que le montant de l’amende infligée à Esso France à l’article 2 de la décision attaquée doit être fixé à 62 712 895 euros.

138

En tout état de cause, le Tribunal estime, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, que le montant de l’amende ainsi fixé est approprié, compte tenu de la gravité et de la durée de l’infraction commise par Esso France.

Sur les dépens

139

Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

140

En l’espèce, le premier moyen des requérantes, concernant les erreurs commises par la Commission lors du calcul du montant de l’amende infligée à Esso France, en ce qui concerne la période de participation antérieure à la fusion Exxon-Mobil, a été accueilli par le Tribunal. L’argumentation relative à ce moyen constituait la partie majeure de la requête, dont la taille était d’ailleurs considérablement inférieure au nombre de pages maximal des mémoires, telle que fixée au point 15 des instructions pratiques aux parties devant le Tribunal. En revanche, l’argumentation avancée dans le cadre du second moyen, au soutien de la réduction du montant de l’amende à l’égard de la période de la participation à l’entente postérieure à la fusion Exxon-Mobil, a été intégralement rejetée. Or, le montant de l’amende solidairement infligée à Esso Deutschland, à EMPC et à EMC se rapporte uniquement à cette seconde période. Dès lors, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la Commission supporte ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Esso France et que Esso Deutschland, EMPC et EMC supportent leur propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le montant de l’amende infligée à Esso Société anonyme française à l’article 2 de la décision C (2008) 5476 final de la Commission, du 1er octobre 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.181 – Cires de bougie), est fixé à 62 712 895 euros.

 

2)

Le recours est rejeté pour le surplus.

 

3)

La Commission européenne supportera ses propres dépens et ceux exposés par Esso Société anonyme française.

 

4)

Esso Deutschland GmbH, ExxonMobil Petroleum and Chemical BVBA et Exxon Mobil Corp. supporteront leurs propres dépens.

 

Czúcz

Labucka

Gratsias

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juillet 2014.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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