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Document 62008CJ0570

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 21 octobre 2010.
Symvoulio Apochetefseon Lefkosias contre Anatheoritiki Archi Prosforon.
Demande de décision préjudicielle: l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias - Chypre.
Marchés publics - Directive 89/665/CEE - Article 2, paragraphe 8 - Instance responsable des procédures de recours, de nature non juridictionnelle - Annulation de la décision du pouvoir adjudicateur de retenir une offre - Possibilité pour le pouvoir adjudicateur de se pourvoir, contre cette annulation, devant une instance juridictionnelle.
Affaire C-570/08.

Recueil de jurisprudence 2010 I-10131

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2010:621

Affaire C-570/08

Symvoulio Apochetefseon Lefkosias

contre

Anatheoritiki Archi Prosforon

(demande de décision préjudicielle, introduite par

l'Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias (Chypre))

«Marchés publics — Directive 89/665/CEE — Article 2, paragraphe 8 — Instance responsable des procédures de recours, de nature non juridictionnelle — Annulation de la décision du pouvoir adjudicateur de retenir une offre — Possibilité pour le pouvoir adjudicateur de se pourvoir, contre cette annulation, devant une instance juridictionnelle»

Sommaire de l'arrêt

Rapprochement des législations — Procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux — Directive 89/665 — Obligation pour les États membres de prévoir une procédure de recours — Accès aux procédures de recours

(Directive du Conseil 89/665, art. 2, § 8)

L’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50, doit être interprété en ce sens qu’il ne crée pas, dans le chef des États membres, l’obligation de prévoir, également en faveur des pouvoirs adjudicateurs, une voie de recours à caractère juridictionnel contre les décisions des instances de base, de nature non juridictionnelle, responsables des procédures de recours en matière de passation des marchés publics.

En premier lieu, selon les quatrième et septième considérants de la directive 89/665, les «entreprises communautaires» sont explicitement désignées comme étant les acteurs en matière d’introduction des recours concernant les procédures de passation des marchés publics. En deuxième lieu, l’article 1er, paragraphe 3, de cette directive, par la formulation suivant laquelle les procédures de recours sont accessibles «au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public», définit le cercle des personnes auxquelles un droit de recours doit obligatoirement être ouvert sur le fondement de cette directive. En troisième lieu, il ressort du septième considérant de la même directive que le législateur de l’Union est conscient de l’éventualité selon laquelle certaines infractions pourraient ne pas être corrigées dans les cas où les entreprises n’introduiraient pas de recours contre des décisions illégales ou erronées, étant entendu que de telles décisions pourraient être également adoptées par des instances responsables de procédures de recours de nature non juridictionnelle. Or, pour remédier à une telle situation, l’article 3 de ladite directive prévoit un pouvoir général d’intervention de la Commission, conformément à la procédure établie dans cette disposition.

Par ailleurs, compte tenu de l’autonomie procédurale dont bénéficient les États membres, il convient de considérer que ces derniers ne sont pas empêchés d’étendre, le cas échéant, aux pouvoirs adjudicateurs le cercle des personnes auxquelles sont accessibles les procédures de recours, dans les cas où les décisions des pouvoirs adjudicateurs seraient annulées par des instances de base de nature non juridictionnelle.

(cf. points 24-26, 36, 38 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

21 octobre 2010 (*)

«Marchés publics – Directive 89/665/CEE – Article 2, paragraphe 8 – Instance responsable des procédures de recours, de nature non juridictionnelle – Annulation de la décision du pouvoir adjudicateur de retenir une offre – Possibilité pour le pouvoir adjudicateur de se pourvoir, contre cette annulation, devant une instance juridictionnelle»

Dans l’affaire C‑570/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias (Chypre), par décision du 27 novembre 2008, parvenue à la Cour le 22 décembre 2008, dans la procédure

Symvoulio Apochetefseon Lefkosias

contre

Anatheoritiki Archi Prosforon,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, D. Šváby, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur) et J. Malenovský, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 mars 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour le Symvoulio Apochetefseon Lefkosias, par Mes A. Aimilianidis et P. Christofidis, dikigoroi,

–        pour l’Anatheoritiki Archi Prosforon, par M. K. Lykourgos, Mmes A. Pantazi-Lamprou et M. Theoklitou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. Konstantinidis et I. Chatzigiannis, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er juin 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992 (JO L 209, p. 1, ci-après la «directive 89/665»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Symvoulio Apochetefseon Lefkosias (Office d’assainissement des eaux usées de Nicosie, ci-après le «Symvoulio»), personne morale de droit public ayant la qualité de pouvoir adjudicateur, à l’Anatheoritiki Archi Prosforon (Autorité de révision des offres), organe administratif chargé de l’examen des recours introduits contre des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs en matière d’offres, au sujet du droit du Symvoulio d’introduire, auprès d’une instance de nature juridictionnelle, un recours contre une décision adoptée par l’Anatheoritiki Archi Prosforon.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Au premier considérant de la directive 89/665, il est constaté que les directives en matière de marchés publics ne contiennent pas de dispositions spécifiques permettant d’en garantir l’application effective.

4        Selon le troisième considérant de cette directive:

«[…] l’ouverture des marchés publics à la concurrence communautaire nécessite un accroissement substantiel des garanties de transparence et de non-discrimination et […] il importe, pour qu’elle soit suivie d’effets concrets, qu’il existe des moyens de recours efficaces et rapides en cas de violation du droit communautaire en matière de marché public ou des règles nationales transposant ce droit».

5        Le quatrième considérant de ladite directive énonce:

«[…] dans certains États membres, l’absence de moyens de recours efficaces ou l’insuffisance des moyens existants dissuadent les entreprises communautaires de tenter leur chance dans l’État du pouvoir adjudicateur concerné; […] il convient dès lors que les États membres concernés remédient à cette situation».

6        Le septième considérant de la même directive est libellé comme suit:

«[…] lorsque les entreprises n’introduisent pas de recours, certaines infractions pourraient ne pas être corrigées, à moins qu’un mécanisme spécifique ne soit mis en place».

7        Le huitième considérant de la directive 89/665 précise:

«[…] il importe, en conséquence, que la Commission puisse, lorsqu’elle considère qu’une violation claire et manifeste a été commise au cours d’une procédure de passation de marché public, intervenir auprès des autorités compétentes de l’État membre et du pouvoir adjudicateur concernés afin que des mesures appropriées soient prises en vue de la correction rapide de toute violation alléguée».

8        L’article 1er de cette directive dispose:

«1.      Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives 71/305/CEE, 77/62/CEE et 92/50/CEE […], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[…]

3.      Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux [ou de services] déterminé et ayant été ou risquent d’être lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention d’introduire un recours.»

9        L’article 2, paragraphes 7 et 8, premier alinéa, de la directive 89/665 est libellé comme suit:

«7.      Les États membres veillent à ce que les décisions prises par les instances responsables des procédures de recours puissent être exécutées de manière efficace.

8.      Lorsque les instances responsables des procédures de recours ne sont pas de nature juridictionnelle, leurs décisions doivent toujours être motivées par écrit. En outre, dans ce cas, des dispositions doivent être prises pour garantir les procédures par lesquelles toute mesure présumée illégale prise par l’instance de base compétente ou tout manquement présumé dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel ou d’un recours auprès d’une autre instance qui soit une juridiction au sens de l’article [267 TFUE] et qui soit indépendante par rapport au pouvoir adjudicateur et à l’instance de base.»

10      L’article 3 de ladite directive prévoit le pouvoir d’intervention de la Commission lorsque, avant la conclusion d’un contrat, celle‑ci considère que, au cours de la procédure de passation d’un marché public, une violation claire et manifeste des règles pertinentes de l’Union a été commise.

 La réglementation nationale

11      L’article 146, paragraphe 1, de la Constitution chypriote (ci-après la «Constitution») confère à l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias (Cour suprême de la République de Chypre) la compétence exclusive pour se prononcer à titre juridictionnel sur la légalité des décisions ou des omissions des organes administratifs.

12      Aux termes de l’article 146, paragraphe 2, de la Constitution:

«Le recours est ouvert à toute personne dont un intérêt légitime et actuel, dont elle dispose personnellement ou en tant que membre d’une communauté, est lésé directement par la décision, l’acte ou l’abstention.»

13      La loi 101 (I)/2003, relative à la passation des marchés publics de fournitures, de travaux et de services, vise à adapter la législation chypriote à la réglementation pertinente de l’Union, y compris la directive 89/665. L’article 60 de cette loi, telle que modifiée par la loi 181 (I)/2004, dispose:

«Si l’intéressé s’estime lésé par la décision prise par l’Autorité de révision des offres, il peut saisir l’Anotato Dikastirio [tis Kypriakis Dimokratias] d’un recours au titre de l’article 146 de la Constitution. Ce recours est également ouvert au pouvoir adjudicateur s’il apparaît, sur la base d’éléments appropriés, que la décision de l’Autorité de révision des offres a été injuste vis‑à‑vis dudit pouvoir.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

14      Le Symvoulio opère en qualité de pouvoir adjudicateur dans le cadre de procédures de passation de marchés publics, au sens de la loi 101 (I)/2003.

15      L’Anatheoritiki Archi Prosforon a été créée dans le cadre de l’adaptation du droit chypriote à la réglementation de l’Union en matière de marchés publics et, en particulier, avec la directive 89/665. Elle constitue donc une instance responsable des procédures de recours, au sens de l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665, de nature non juridictionnelle, et exerce ses compétences sur le fondement des dispositions de la loi susvisée.

16      Sur recours introduit par une entreprise, l’Anatheoritiki Archi Prosforon a annulé, le 14 février 2006, la décision par laquelle le Symvoulio avait retenu l’offre présentée par une entreprise concurrente. Par recours déposé devant la chambre compétente de l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias le 31 mars 2006, le Symvoulio a demandé l’annulation de la décision susvisée de l’Anatheoritiki Archi Prosforon.

17      Alors que la procédure était en cours, l’assemblée plénière de l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias a prononcé, le 17 décembre 2007, dans le cadre d’une autre affaire en matière de marchés publics, un arrêt déclarant que l’article 146 de la Constitution devait être interprété en ce sens qu’il ne confère pas un intérêt légitime aux pouvoirs adjudicateurs pour exercer un recours contre une décision d’annulation adoptée par l’Anatheoritiki Archi Prosforon, et que l’application de l’article 60 de la loi 101 (I)/2003 devait être écartée.

18      Cette position de l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias, qui constitue désormais une jurisprudence constante, est fondée sur la considération selon laquelle la décision de l’Anatheoritiki Archi Prosforon ne constitue pas une décision de l’administration, indépendante de la procédure dans laquelle le pouvoir adjudicateur concerné est lui‑même impliqué. Cette décision concernerait donc non pas un quelconque intérêt évoqué par le pouvoir adjudicateur, mais l’intérêt public lié au déroulement légal des procédures globales régissant les marchés publics. Le pouvoir adjudicateur et l’Anatheoritiki Archi Prosforon seraient, aux fins de la procédure en question, des éléments d’un même mécanisme administratif, si bien qu’il y aurait lieu d’appliquer le principe général selon lequel un organe d’une administration ne peut faire valoir un intérêt légitime à l’encontre d’un autre organe de la même administration et, en substance, être en litige avec celui‑ci.

19      La chambre de l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias, saisie par le Symvoulio dans l’affaire au principal, relève que la position susmentionnée de l’assemblée plénière de cette même juridiction a été adoptée uniquement sur le fondement de l’article 146 de la Constitution, sans que la question de l’application et de l’interprétation du droit de l’Union ait été soulevée.

20      Or, cette chambre fait observer que l’article 60 de la loi 101 (I)/2003, laquelle assure la transposition en droit national de la réglementation de l’Union en matière de marchés publics, s’applique indépendamment de l’interprétation de l’article 146 de la Constitution, lequel doit par conséquent être interprété de manière conforme au droit de l’Union. Étant donné qu’une interprétation de l’article 2, paragraphe 8, premier alinéa, de la directive 89/665, aux fins de répondre à la question soulevée dans le cadre de la procédure au principal, n’a pas encore fait l’objet de la jurisprudence de la Cour, la chambre de céans considère qu’il est indispensable, afin que soient assurées une interprétation et une application uniformes du droit de l’Union, de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle.

21      La même chambre souligne également que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’existence de la décision susmentionnée de l’assemblée plénière de l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias ne la prive pas de la faculté d’apprécier, de manière discrétionnaire, la nécessité d’adresser une demande de décision préjudicielle à la Cour (arrêt de la Cour du 16 janvier 1974, Rheinmühlen‑Düsseldorf, 166/73, Rec. p. 33, point 4).

22      Par suite de ces considérations, la chambre de l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias saisie du litige au principal a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Dans quelle mesure l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665[…] reconnaît-il aux pouvoirs adjudicateurs le droit d’introduire un recours juridictionnel contre des décisions d’annulation prises par des instances responsables des procédures de recours, lorsque ces instances ne sont pas de nature juridictionnelle?»

 Sur la question préjudicielle

23      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665 doit être interprété en ce sens qu’il crée, dans le chef des États membres, l’obligation de prévoir, également en faveur des pouvoirs adjudicateurs, une voie de recours à caractère juridictionnel contre les décisions des instances de base, de nature non juridictionnelle, responsables des procédures de recours en matière de passation des marchés publics.

24      À la lumière d’un examen tout d’abord littéral des dispositions de la directive 89/665, il convient, aux fins de répondre à cette question, de constater, en premier lieu, que, aux quatrième et septième considérants de cette directive, les «entreprises communautaires» sont explicitement désignées comme étant les acteurs en matière d’introduction des recours concernant les procédures de passation des marchés publics.

25      Il y a lieu de relever, en deuxième lieu, que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, par la formulation suivant laquelle les procédures de recours sont accessibles «au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public», définit le cercle des personnes auxquelles un droit de recours doit obligatoirement être ouvert sur le fondement de cette directive.

26      En troisième lieu, il convient de souligner, au soutien des considérations exposées au point précédent du présent arrêt, que, ainsi qu’il ressort du septième considérant de la directive 89/665, le législateur de l’Union était conscient de l’éventualité selon laquelle certaines infractions pourraient ne pas être corrigées dans les cas où les entreprises n’introduiraient pas de recours contre des décisions illégales ou erronées, étant entendu que de telles décisions pourraient être également adoptées par des instances responsables de procédures de recours de nature non juridictionnelle. Or, pour remédier à une telle situation, l’article 3 de la directive 89/665 prévoit un pouvoir général d’intervention de la Commission, conformément à la procédure établie dans cette disposition.

27      Dès lors, le libellé des dispositions de la directive 89/665 ne comporte aucun élément susceptible de conduire à la conclusion que le législateur de l’Union aurait également voulu considérer les pouvoirs adjudicateurs comme des acteurs en matière d’introduction de recours dans le cadre des procédures de passation des marchés publics. Les dispositions de l’article 2, paragraphe 8, de cette directive doivent, ainsi, être considérées comme constituant une exigence spécifique, comportant des garanties déterminées, imposée aux États membres lorsque les instances de base, responsables des procédures de recours, ne sont pas de nature juridictionnelle et ne modifient pas le cercle des personnes auxquelles un droit de recours est ouvert en vertu de ladite directive.

28      Cette conclusion est corroborée par l’objectif de la directive 89/665.

29      Les premier et troisième considérants de cette directive énoncent, en effet, l’objectif poursuivi lors de l’adoption de celle-ci, en relation avec l’objectif poursuivi par les directives qui comportent des dispositions de fond en matière de marchés publics. L’objectif de ces dernières directives étant l’ouverture des marchés publics à la concurrence, au sein de l’Union, dans des conditions de transparence et de non‑discrimination, et lesdites directives ne contenant pas de dispositions spécifiques permettant de garantir leur application effective, la directive 89/665 remplit cette fonction en prévoyant l’obligation pour les États membres d’instituer des procédures de recours efficaces et rapides.

30      Dès lors, la raison d’être de la directive 89/665 est de permettre, par l’instauration de procédures de recours adéquates, la bonne application des dispositions de fond du droit de l’Union en matière de marchés publics, lesquelles visent à assurer, pour les opérateurs économiques établis dans les États membres, l’ouverture à la concurrence non faussée et la plus large possible (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2007, Bayerischer Rundfunk e.a., C‑337/06, Rec. p. I‑11173, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée).

31      Les considérations figurant au point 29 du présent arrêt sont, en outre, confortées par les dispositions de la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (JO L 335, p. 31). Cette directive, quoique non applicable ratione temporis aux faits de l’affaire au principal, contient toutefois des éléments utiles aux fins de l’interprétation du système établi par la directive 89/665, dans la mesure où elle ne modifie pas ce système, mais vise, aux termes de son troisième considérant, à apporter à cette dernière directive «les précisions indispensables pour atteindre les résultats recherchés par le législateur communautaire».

32      Ainsi, les «soumissionnaires concernés» et les «opérateurs économiques» sont cités, notamment aux quatrième, sixième, septième, quatorzième et vingt-septième considérants de la directive 2007/66, en tant que personnes couvertes par la protection juridictionnelle effective voulue par cette directive et en tant qu’acteurs en matière d’introduction des recours.

33      En outre, il importe de souligner que l’article 1er de la directive 89/665, telle que modifiée par la directive 2007/66, est dorénavant intitulé «Champ d’application et accessibilité des procédures de recours», tandis que l’article 2 de celle-ci est intitulé «Exigences en matière de procédures de recours». Se trouve ainsi confirmée la considération selon laquelle l’obligation imposée aux États membres, aux termes de l’article 2, paragraphe 8, dorénavant paragraphe 9, de la directive 89/665, de prévoir un recours juridictionnel contre les décisions des instances responsables des procédures de recours de nature non juridictionnelle, constitue une exigence spécifique de ladite directive et ne fait pas entrer les pouvoirs adjudicateurs dans le cercle des acteurs relevant de son champ d’application.

34      Au surplus, l’article 3 de la directive 89/665, telle que modifiée par la directive 2007/66, est dorénavant intitulé «Mécanisme correcteur» et confirme le pouvoir général d’intervention de la Commission en cas de violation grave du droit de l’Union.

35      Il s’ensuit que l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665 n’exige pas des États membres qu’ils prévoient une voie de recours à caractère juridictionnel également en faveur des pouvoirs adjudicateurs.

36      Eu égard, toutefois, à l’obligation faite aux États membres à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 d’assurer le droit de recours «au moins» à toutes les personnes définies dans cette disposition, et compte tenu également de l’autonomie procédurale dont bénéficient les États membres, il convient de considérer que ces derniers ne sont pas empêchés d’étendre, le cas échéant, aux pouvoirs adjudicateurs le cercle des personnes auxquelles sont accessibles les procédures de recours au sens de la disposition susvisée, dans les cas où les décisions des pouvoirs adjudicateurs seraient annulées par des instances de base de nature non juridictionnelle.

37      L’argument selon lequel une telle interprétation serait susceptible d’aboutir à une application non uniforme du droit de l’Union ne peut être accueilli, dans la mesure où la directive 89/665, ainsi qu’il ressort, notamment, de son article 1er, paragraphe 3, ne vise pas une harmonisation complète des règles nationales pertinentes.

38      Il convient, par conséquent, de répondre à la question posée que l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665 doit être interprété en ce sens qu’il ne crée pas, dans le chef des États membres, l’obligation de prévoir, également en faveur des pouvoirs adjudicateurs, une voie de recours à caractère juridictionnel contre les décisions des instances de base, de nature non juridictionnelle, responsables des procédures de recours en matière de passation des marchés publics. Toutefois, cette disposition n’empêche pas les États membres de prévoir, le cas échéant, dans leurs ordres juridiques respectifs, une telle voie de recours en faveur des pouvoirs adjudicateurs.

 Sur les dépens

39      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, doit être interprété en ce sens qu’il ne crée pas, dans le chef des États membres, l’obligation de prévoir, également en faveur des pouvoirs adjudicateurs, une voie de recours à caractère juridictionnel contre les décisions des instances de base, de nature non juridictionnelle, responsables des procédures de recours en matière de passation des marchés publics. Toutefois, cette disposition n’empêche pas les États membres de prévoir, le cas échéant, dans leurs ordres juridiques respectifs, une telle voie de recours en faveur des pouvoirs adjudicateurs.

Signatures


* Langue de procédure: le grec.

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