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Document 62008CC0440

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 27 octobre 2009.
F. Gielen contre Staatssecretaris van Financiën.
Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.
Fiscalité directe - Article 43 CE - Contribuable non-résident - Entrepreneur - Droit à déduction en faveur des travailleurs indépendants - Critère horaire - Discrimination entre les contribuables résidents et non-résidents - Option d’assimilation.
Affaire C-440/08.

Recueil de jurisprudence 2010 I-02323

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2009:661

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 27 octobre 2009 ( 1 )

Affaire C-440/08

F. Gielen

contre

Staatssecretaris van Financiën

«Fiscalité directe — Article 43 CE — Contribuable non-résident — Entrepreneur — Droit à déduction en faveur des travailleurs indépendants — Critère horaire — Discrimination entre les contribuables résidents et non-résidents — Option d’assimilation»

1. 

Le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) soumet à la Cour de justice une question préjudicielle relative à la conformité avec l’article 43 CE d’une déduction de l’impôt sur les revenus néerlandais qui entraîne une discrimination des contribuables non-résidents, bien que ceux-ci aient la possibilité, au préalable, de choisir entre le régime fiscal des contribuables résidents et le leur.

2. 

La présente affaire offre à la Cour l’occasion d’établir si, à la lumière de sa jurisprudence en matière de fiscalité directe, un droit d’option en matière d’imposition neutralise un traitement discriminatoire. Toutefois, comme je l’exposerai plus loin, le fait que les résidents et les non-résidents soient placés sur un pied d’égalité peut dissimuler une tromperie, car, dans certains cas, on peut affirmer, en paraphrasant le cochon propagandiste de La Ferme des animaux, que tous les contribuables européens sont égaux, mais que certains sont plus égaux que d’autres ( 2 ).

3. 

La question préjudicielle posée fournit un bon exemple de cette déformation orwellienne.

I — Le cadre juridique

A — La réglementation communautaire

4.

L’article 43 CE proclame la liberté d’établissement des entreprises et des professionnels dans l’ensemble de la Communauté européenne:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un autre État membre.

La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux.»

B — La réglementation néerlandaise

5.

Aux Pays-Bas, l’impôt sur les revenus est régi par la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus (Wet op de Inkomstenbelastingen 2001). Selon l’article 2.1 de cette loi, les personnes physiques qui ne résident pas dans cet État membre sont soumises audit impôt pour autant qu’elles perçoivent des revenus sur le territoire néerlandais.

6.

L’article 7.2 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus décrit le revenu imposable comme suit:

«1.

Le revenu imposable du fait d’un travail et d’un logement aux Pays-Bas est le revenu du fait d’un travail et d’un logement aux Pays-Bas diminué des pertes du fait d’un travail et d’un logement, calculées conformément aux règles du chapitre 3.

2.

Le revenu imposable du fait d’un travail et d’un logement aux Pays-Bas est le montant cumulé constitué:

a)

du bénéfice imposable tiré d’une entreprise néerlandaise, c’est-à-dire l’ensemble des avantages retirés d’une entreprise ou d’une partie d’entreprise exploitée dans un établissement stable aux Pays-Bas ou grâce à un représentant stable établi aux Pays-Bas (entreprise néerlandaise)

[…]»

7.

La déduction applicable à l’entrepreneur est définie par l’article 3.74 de ladite loi, mais l’article 3.76 précise que la déduction accordée aux travailleurs indépendants est ouverte à ceux qui fournissent un nombre minimal d’heures. Le montant de cette déduction dépend du bénéfice. Il est calculé conformément à un tableau dégressif figurant dans la loi.

8.

Aux termes de l’article 3.6 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus, on entend par «critère horaire»:

«[…] la prestation, durant l’année [de] calendrier, d’au moins 1225 heures de travail au profit d’une ou de plusieurs entreprises dont le contribuable retire un bénéfice en tant qu’entrepreneur […]»

9.

Bien que la législation nationale ne le mentionne pas expressément, la juridiction de renvoi considère que seules sont comptabilisées dans ce volume horaire les heures durant lesquelles un contribuable non-résident exerce des activités dans un établissement situé aux Pays-Bas. Il ressort du dossier que, en vertu de l’article 9 de l’arrêté de 2001 préventif de la double imposition (Besluit voorkoming dubbele belasting 2001), les contribuables résidant aux Pays-Bas peuvent inclure dans le calcul total les heures travaillées tant dans cet État membre qu’à l’étranger.

10.

L’article 2.5 de ladite loi introduit un régime fiscal optionnel pour les entrepreneurs non-résidents, selon les modalités suivantes:

«Le contribuable résident qui ne réside pas aux Pays-Bas durant toute l’année calendrier et le contribuable non-résident qui, en tant que résident d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’un État tiers désigné par arrêté ministériel, avec lequel [le Royaume des] Pays-Bas a signé une convention préventive de la double imposition qui prévoit un échange d’informations, est imposable dans ledit État européen ou tiers, peuvent choisir d’être soumis aux dispositions de la présente loi applicables aux contribuables résidents. Un arrêté ministériel peut prescrire les éléments de preuves exigés dans le cadre de l’application de la présente disposition. […]»

II — Les faits

11.

M. Gielen est un travailleur indépendant et réside en Allemagne, son pays d’origine, où il exploite, avec deux autres personnes, une entreprise de culture en serre. Cette entreprise dispose aux Pays-Bas d’un établissement stable où sont cultivées des plantes ornementales.

12.

En 2001, M. Gielen a déclaré aux Pays-Bas 11577 euros de revenus provenant de son établissement néerlandais. Ayant consacré moins de 1225 heures à ses activités aux Pays-Bas, il ne satisfaisait pas à l’exigence de l’article 3.6 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus et, par conséquent, s’est vu refuser le droit de déduire de ses bénéfices imposables les 6084 euros auxquels il aurait pu prétendre du fait de ses revenus obtenus dans cet État membre.

13.

La décision de l’administration fiscale refusant à M. Gielen le droit à déduction ayant été rendue, l’intéressé a introduit une réclamation administrative qui a été rejetée, de sorte qu’il a formé un recours juridictionnel devant le Rechtbank te Breda (tribunal de Breda), qui l’a également déclaré non fondé. M. Gielen a interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc), qui a fait partiellement droit aux prétentions du demandeur en estimant que M. Gielen pouvait prétendre à la déduction en cause, bien qu’il n’eût pas travaillé les 1225 heures minimales requises aux Pays-Bas, mais a calculé le montant en question à partir du pourcentage correspondant aux bénéfices réalisés par l’intéressé aux Pays-Bas par rapport à l’ensemble de ses revenus. Sur cette base, le Gerechtshof te ’s-Hertogenbosch a réduit à 11188 euros l’assiette de l’impôt.

14.

M. Gielen s’est pourvu en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden contre l’arrêt rendu en appel, insistant sur son droit à la déduction intégrale de 6084 euros à laquelle il aurait pu prétendre en fonction de ses revenus aux Pays-Bas. À son tour, l’administration défenderesse a formé un pourvoi incident en cassation défendant la thèse opposée.

15.

Le 4 octobre 2007, l’avocat général près le Hoge Raad der Nederlanden, M. Overgaauw, a présenté ses conclusions, dans lesquelles il s’est rangé aux arguments de M. Gielen, estimant qu’un non-résident qui se voit refuser la comptabilisation des heures de travail effectuées dans un autre État membre aux fins d’une déduction fiscale est victime d’une discrimination contraire au droit communautaire. Il ajoutait que le régime fiscal néerlandais permet aux entrepreneurs non-résidents comme M. Gielen de choisir le régime des résidents, en vertu duquel toutes les heures travaillées, tant aux Pays-Bas que dans d’autres États de l’Union, lui seraient créditées. Cette option corrigerait la discrimination susmentionnée et préserverait sa compatibilité avec le traité CE.

III — La question préjudicielle et la procédure devant la Cour

16.

À la lumière des allégations des parties ainsi que des conclusions de l’avocat général Overgaauw, la troisième chambre du Hoge Raad der Nederlanden a sursis à statuer et, par ordonnance du 12 septembre 2008, a posé la question préjudicielle suivante à la Cour:

«L’article 43 CE doit-il être interprété de telle manière qu’il ne s’oppose pas à l’application d’une disposition de la législation fiscale d’un État membre au bénéfice qu’un ressortissant d’un autre État membre (contribuable étranger) a réalisé dans une partie de son entreprise située dans le premier État membre si, lorsqu’on l’interprète d’une certaine manière, cette disposition crée effectivement une discrimination contraire en soi à l’article 43 CE entre les contribuables nationaux et les contribuables étrangers, mais que le contribuable étranger concerné a eu la possibilité de choisir d’être traité comme un contribuable national et que, pour des raisons personnelles, il n’a pas fait usage de cette possibilité?»

17.

La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 6 octobre 2008.

18.

Ont déposé des observations écrites M. Gielen, les gouvernements néerlandais, allemand, estonien, portugais et suédois ainsi que la Commission des Communautés européennes.

19.

Le représentant de M. Gielen ainsi que les agents des gouvernements néerlandais, allemand, estonien, portugais, suédois et de la Commission ont comparu à l’audience qui s’est tenue le 17 septembre 2009 afin d’exposer oralement leurs allégations.

IV — Recevabilité

20.

M. Gielen et le gouvernement portugais soutiennent que les interrogations du Hoge Raad der Nederlanden revêtent un caractère hypothétique et qu’elles relèvent uniquement de l’interprétation du droit national, tâche qui incombe exclusivement aux juridictions des États membres.

21.

En vertu d’une jurisprudence constante, il appartient au juge national, qui est saisi du litige, d’apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour au titre de l’article 234 CE ( 3 ). Toutefois, la Cour a accepté, dans des circonstances exceptionnelles, d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence ( 4 ). Tel est le cas lorsque le problème soumis à la Cour est de nature purement hypothétique ( 5 ), car l’esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques ( 6 ).

22.

Comme je l’ai indiqué plus haut, la question débattue devant le Hoge Raad der Nederlanden porte sur les effets d’un choix régi par la législation néerlandaise. M. Gielen a opté pour l’une des deux possibilités qui lui étaient ouvertes (celle relative aux non-résidents) et dénonce la situation désavantageuse dans laquelle il se trouve par rapport à celle des contribuables résidant aux Pays-Bas. Bien que l’alternative offerte au demandeur ne puisse être évaluée que dans le cadre d’une application «hypothétique» des règles néerlandaises, pour réaliser un «test» d’égalité, il est nécessaire d’avoir recours à un paramètre de référence ( 7 ). Lorsqu’est évaluée une discrimination prévue dans une règle juridique, la comparaison s’effectue en confrontant cette règle à d’autres dispositions. Pour compléter le raisonnement, le paramètre de référence est toujours appliqué «en hypothèse», sans toutefois conférer au litige un caractère «hypothétique».

23.

En outre, je ne pense pas qu’un paramètre de référence erroné ait été utilisé pour étayer la comparaison entre résidents et non-résidents. Cet aspect relève de l’appréciation du caractère discriminatoire, qu’il conviendra de développer en abordant le fond, car, en tant que tel, il affecte non pas la pertinence de la question préjudicielle, mais bien l’examen détaillé à effectuer sous cet angle.

24.

Par conséquent, je recommande à la Cour de déclarer recevable la question préjudicielle posée.

V — Analyse de la question préjudicielle

25.

Cette analyse doit être menée en deux phases.

26.

En premier lieu, M. Gielen affirme que l’impossibilité de comptabiliser les heures travaillées en Allemagne, aux fins de l’obtention d’une déduction de l’assiette de l’impôt néerlandais sur les revenus, constitue une limitation qui ne vaut aux Pays-Bas que pour les non-résidents relevant du statut qui leur est propre. Les États membres ayant déposé des observations dans la présente procédure préjudicielle, ainsi que M. Gielen et la Commission, ont défendu des opinions divergentes sur ce point.

27.

En second lieu, les doutes du Hoge Raad der Nederlanden portent essentiellement sur la justification invoquée par le gouvernement néerlandais. Les travailleurs indépendants qui ne résident pas aux Pays-Bas, mais qui réalisent des bénéfices sur le territoire de cet État membre, ont la possibilité d’opter pour le régime applicable aux contribuables résidents. Ainsi, M. Gielen aurait pu choisir le second régime et comptabiliser les heures travaillées en Allemagne. Il a librement décidé de ne pas le faire, de sorte qu’il n’a subi aucune discrimination découlant de la législation en cause, puisque la différence de traitement dont il a fait l’objet résulte de son propre choix.

28.

La juridiction de renvoi ne nourrit aucun doute quant au fait que la déduction litigieuse revêt un caractère discriminatoire pour les non-résidents aux Pays-Bas et qu’elle est donc contraire à l’article 43 CE. Si la Cour acceptait cette prémisse, elle examinerait uniquement les effets de l’option prévue par la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus. Néanmoins, tous les participants à la présente procédure préjudicielle ne partagent pas le point de vue du Hoge Raad der Nederlanden. De surcroît, comme l’indique à juste titre le gouvernement allemand, si la limitation visant les heures travaillées à l’étranger était conforme au droit communautaire, il n’y aurait aucun sens à se prononcer sur le régime optionnel d’imposition en cause.

29.

En somme, il y a lieu de déterminer si le système de déductions prévu aux Pays-Bas pour les travailleurs indépendants non-résidents est compatible avec l’article 43 CE. Si la réponse était négative, il conviendrait d’examiner de manière plus approfondie le régime optionnel de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus, qui habilite les non-résidents à opter pour le statut fiscal des résidents.

A — La déduction accordée aux travailleurs indépendants et le caractère discriminatoire de la comptabilisation des heures effectuées par les non-résidents

30.

Selon une jurisprudence constante de la Cour, la règle de l’égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat ( 8 ). Ainsi, que ce soit dans sa dimension directe ou indirecte, la discrimination consiste en l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien en l’application de la même règle à des situations différentes ( 9 ).

31.

À partir de l’arrêt Schumacker ( 10 ), la Cour a insisté sur le fait que, en matière d’impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont pas comparables ( 11 ). Le revenu perçu sur le territoire d’un État par un non-résident ne constitue le plus souvent qu’une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence. Par ailleurs, la capacité contributive personnelle du non-résident, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s’apprécier le plus aisément à l’endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux ( 12 ). Ce lieu correspond en général à la résidence habituelle de la personne concernée.

32.

Cette affirmation a conduit la Cour à admettre que le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde au résident n’est pas discriminatoire, puisque ces deux catégories de contribuables ne se trouvent pas dans une situation comparable ( 13 ).

33.

Les principes rappelés ci-dessus ne donnent pas un chèque en blanc aux États membres, pas plus qu’ils ne les habilitent à instaurer des régimes ouvertement discriminatoires à l’encontre des contribuables non-résidents. Bien au contraire, ladite jurisprudence Schumacker entendait éviter des mesures nationales réservant un traitement différencié aux non-résidents se trouvant dans une situation semblable à celle des résidents ( 14 ). L’affaire Schumacker paraît très significative à cet égard, car elle concernait un ressortissant belge résidant en Belgique qui avait perçu la quasi-totalité de ses revenus en Allemagne. La Cour avait considéré que, dès lors que M. Schumacker se trouvait dans un contexte identique à celui d’un travailleur résidant en Allemagne et que sa situation personnelle et familiale ne pouvait pas être examinée, il avait subi une discrimination. Les arrêts Wielockx, Gschwind ou Meindl sont fondés sur le même raisonnement ( 15 ).

34.

Il découle de cette jurisprudence qu’une inégalité devient licite lorsque la situation personnelle et familiale varie sensiblement entre les résidents et les non-résidents. En revanche, la discrimination est illégale si la différence concerne des déductions directement liées à l’activité ayant généré les revenus imposables ( 16 ). A contrario, la Cour admet les règles fiscales nationales qui encouragent, récompensent ou pénalisent, au moyen d’une politique fiscale, toute activité économique liée à la situation personnelle des contribuables ( 17 ). En application de cette distinction, il est expressément admis que les États membres bénéficient d’une marge de manœuvre plus restreinte lorsqu’une activité économique déterminée est protégée, indépendamment de la situation personnelle de ceux qui l’exercent. Toutefois, la jurisprudence garantit que la souveraineté fiscale de chaque État membre est sauvegardée lorsque l’obstacle concerne la situation personnelle du contribuable, élément que chaque autorité doit apprécier en fonction de critères territoriaux. Cette analyse, qui n’est pas exempte de difficultés ( 18 ), a sa propre logique, car les compétences en matière fiscale demeurent entre les mains de chaque État et la Cour ne souhaite pas s’ingérer dans un aspect aussi délicat, qui influe directement sur les finances des États membres ( 19 ).

35.

Peuvent invoquer la déduction prévue à l’article 3.74 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus tant les non-résidents que les résidents. Les premiers doivent accomplir un minimum annuel de 1225 heures aux Pays-Bas, alors que les seconds doivent tenir compte non seulement des heures travaillées dans cet État membre, mais également des heures effectuées dans d’autres États. Il s’agit là d’une inégalité de traitement évidente, que le gouvernement néerlandais reconnaît. Cependant, certains États refusent d’assimiler la situation des non-résidents à celle des résidents et soutiennent que la discrimination en cause est compatible avec l’article 43 CE.

36.

Je ne partage pas ce point de vue.

37.

La déduction en litige poursuit un objectif que le Royaume des Pays-Bas décrit de la façon suivante dans la présente procédure: l’imposition sur les revenus des travailleurs indépendants doit s’appliquer à ceux qui exercent leurs activités à titre principal ( 20 ). Le droit fiscal néerlandais a élaboré, pour les travailleurs indépendants, un régime d’imposition qui récompense ceux qui s’engagent de manière significative dans une activité entrepreneuriale. Pour que ce résultat soit garanti, un seuil d’heures doit être franchi.

38.

Un non-résident qui travaille en tant qu’indépendant aux Pays-Bas, où il est imposé, doit accomplir un nombre minimal d’heures pour pouvoir réclamer la déduction de l’article 3.74 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus. Il doit également fournir ce nombre d’heures pour démontrer que son activité principale est de nature entrepreneuriale ( 21 ). Ainsi que la Commission l’a indiqué à juste titre dans ses observations, le critère horaire prévu par la législation néerlandaise n’entend pas conditionner ou évaluer la situation personnelle ou familiale du contribuable, mais s’assurer du fait que ceux qui pratiquent une activité spécifique (en l’occurrence un travail indépendant) soient sincères ( 22 ). En exigeant que le temps stipulé soit travaillé aux Pays-Bas, la règle nationale ne contribue pas à clarifier le type d’activité en cause.

39.

L’article 3.74 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus a trait à la nature de la prestation imposée et non aux déterminants personnels ou familiaux du contribuable, de sorte que la situation d’un travailleur indépendant non-résident est comparable à celle d’un travailleur indépendant résident, tout au moins en ce qui concerne la déduction fiscale dont il est question dans ladite disposition.

40.

Par conséquent, j’estime que le Royaume des Pays-Bas fait subir une discrimination aux travailleurs indépendants non-résidents en les empêchant (à la différence des résidents) de comptabiliser le temps travaillé dans un autre État afin d’établir le caractère significatif de leur activité économique.

41.

Dans ce contexte, il convient de déterminer si la discrimination est justifiée au motif que le contribuable non-résident a pu opter volontairement pour le régime fiscal des résidents.

42.

Tel est le nœud gordien de la présente question préjudicielle.

B — Le régime d’imposition optionnel destiné aux non-résidents et son rôle en tant que mécanisme de neutralisation d’une discrimination

43.

Comme je l’ai expliqué plus haut, le Hoge Raad der Nederlanden considère que les déductions instaurées pour les travailleurs indépendants par la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus impliquent une discrimination. M. Gielen ainsi que les gouvernements néerlandais et suédois partagent ce point de vue. Il existe néanmoins des divergences quant à la principale interrogation dans cette affaire en ce qui concerne la possibilité offerte par la réglementation néerlandaise aux entrepreneurs non-résidents d’être imposés comme des résidents et de ne pas subir le traitement discriminatoire allégué.

44.

Sur ce point, tous les États membres qui ont déposé des observations s’accordent à défendre la thèse dite de la «neutralisation», en vertu de laquelle le droit d’option permet au contribuable de soupeser les avantages et les inconvénients de chaque régime. Si l’intéressé préfère un régime discriminatoire qu’il aurait pu éviter en choisissant le second terme de l’alternative, il n’y a pas lieu de dénoncer l’inégalité qui en découle. L’avocat général près le Hoge Raad der Nederlanden s’est également prononcé en ce sens dans le litige au principal.

45.

M. Gielen et la Commission adoptent une approche différente pour résoudre la question préjudicielle et se focalisent, entre autres moyens, sur les charges administratives imposées à un travailleur indépendant non-résident qui souhaite opter pour le régime des résidents.

1. Le droit d’option en tant qu’instrument de validation d’une illégalité

46.

La présente affaire soulève un délicat problème relatif au principe d’égalité. En termes plus abstraits, le Hoge Raad der Nederlanden demande à la Cour si une discrimination illicite peut devenir licite lorsqu’elle a été librement choisie par la victime. Ce dilemme prend un relief particulier dans le domaine fiscal, où le contribuable a souvent le choix entre plusieurs régimes qui, dans certains cas, contiennent des éléments pouvant s’avérer défavorables ( 23 ).

47.

Celui qui subit une discrimination normative ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’une personne qui se voit infliger une discrimination singularisée ou de fait. Lorsque le législateur ou l’administration tracent un cadre juridique général et stable, ils étudient une vaste gamme de possibilités et jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire. Toutefois, l’auteur d’une décision individuelle ou d’une pratique de fait se retranche normalement derrière un cadre juridique plus défini et concret. En conséquence, le législateur se voit conférer un pouvoir plus important et cet éventail d’options qui lui est reconnu ne peut donner lieu à une discrimination que dans des circonstances particulièrement graves ( 24 ). La simple réglementation implique toujours un traitement différencié, car la règle est normalement appliquée à certains sujets et non à tous ( 25 ). Cette distinction ne viole pas en soi le principe d’égalité, pas plus que ne l’enfreint un régime qui offre plusieurs options et, en définitive, des statuts juridiques distincts.

48.

Les États membres ayant participé à la présente procédure préjudicielle soutiennent que celui qui choisit librement de se soumettre à une règle ne peut ensuite la dénoncer. Ainsi, lorsque le droit confère à une personne la faculté d’opter entre plusieurs règles, parmi lesquelles figure une règle discriminatoire, cette faculté remédie à la violation du principe d’égalité. En d’autres termes, si une personne subit une discrimination dans le cadre d’un régime qu’elle a accepté sans réserves, la préférence exprimée neutralise l’inégalité de traitement. Par conséquent, il suffirait au législateur de concéder une marge d’appréciation à quelqu’un pour pouvoir ensuite adopter à son encontre des dispositions ouvertement discriminatoires en toute impunité.

49.

À la différence de ceux qui défendent l’effet neutralisant du droit d’option, j’estime que les doutes du Hoge Raad der Nederlanden se situent sur un plan plus abstrait qui permet, sans tenir compte des caractéristiques de la présente affaire, de résoudre la question posée.

50.

Le raisonnement des États membres repose donc sur la prémisse erronée selon laquelle un choix est possible entre une option légale et une autre, illégale.

51.

Selon un proverbe bien admis, il n’y a pas d’inégalité dans l’illégalité ( 26 ). Par exemple, si une administration fiscale commet une erreur et liquide, dans le cas d’une société, un impôt inférieur à celui dont elle est redevable, les concurrents ne pourront pas alléguer un traitement discriminatoire et, en conséquence, exiger un calcul fiscal semblable. Ainsi, lorsqu’une personne se décide pour une option légale ou une autre, illégale, ce simple choix ne rend pas non plus égalitaire ce qui est discriminatoire.

52.

Réfutant cette allégation, le gouvernement portugais invoque l’adage de droit romain non venire contra factum proprium, que reflète le principe selon lequel il faut tenir compte des «propres actes» de l’intéressé («doctrina de los actos propios», en droit espagnol). Il convient de préciser toutefois que cet adage a toujours été utilisé dans le contexte de la légalité. Si l’égalité dans l’illégalité ne saurait être admise, les actes de l’intéressé contraires au droit ne doivent pas non plus se voir accorder une valeur juridique, car cela aurait pour effet de valider un acte illégal, ce qui est inacceptable pour l’ordre juridique.

53.

En outre, le choix est offert à tous les entrepreneurs indépendants, le Royaume des Pays-Bas n’ayant pas mentionné d’autres exigences à satisfaire pour bénéficier de ce mécanisme. Dans ces circonstances, il apparaît d’autant plus difficile de reconnaître un effet neutralisant à cette possibilité de choix «brute», inconditionnelle et ouverte à tout entrepreneur, sans qu’il soit tenu compte des particularités inhérentes aux différentes catégories d’entrepreneurs indépendants ( 27 ).

54.

La question préjudicielle déférée pourrait être considérée comme résolue à ce stade. Néanmoins, dans l’hypothèse où la Cour estimerait que le choix susmentionné valide une discrimination en la dotant d’un caractère licite, j’étudierai la comparabilité des situations respectives des résidents étrangers faisant usage du droit d’option et des véritables résidents néerlandais.

2. Les conséquences du choix du régime des résidents pour le contribuable

55.

Selon le gouvernement néerlandais, si M. Gielen avait opté pour le régime d’imposition des résidents, sa dette fiscale aurait été assimilée à celle d’une personne ayant son domicile fiscal effectif aux Pays-Bas. Le représentant de M. Gielen ne partage pas ce point de vue et décèle, tant en matière de gestion que d’imposition, des disparités manifestes qui réduisent le régime optionnel à une fausse solution alternative.

56.

Il convient d’analyser maintenant ces dernières allégations.

a) Les coûts de la gestion administrative

57.

M. Gielen et la Commission mentionnent les frais de gestion inhérents à une déclaration de revenus effectuée dans le cadre du régime des résidents.

58.

Cette mention est extrapolable à la plupart des systèmes fiscaux des États membres, car il existe un principe, largement consolidé en droit fiscal international, selon lequel il appartient à chaque État d’imposer les revenus perçus sur son territoire (principe de territorialité). Ce principe est mis en œuvre par l’attribution de pouvoirs fiscaux tant à l’État de résidence (imposition dans l’État de résidence) qu’à l’État sur le territoire duquel s’exerce l’activité imposable (imposition dans l’État de la source) ( 28 ). Le premier est l’endroit où la capacité contributive personnelle du contribuable, résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus, s’apprécie le plus aisément, sans préjudice de l’application ultérieure de mécanismes correcteurs destinés à éviter la double imposition (principe de l’imposition à la source). Seuls sont déclarés et imposés dans le second État, étranger au contexte individuel du contribuable, les revenus perçus à cet endroit.

59.

Il apparaît évident que le premier cas exige du contribuable des efforts de preuve plus importants auprès de l’administration fiscale.

60.

Sur la base de cette prémisse, M. Gielen pourrait accepter le régime fiscal de résident aux Pays-Bas au moyen de la fiction instaurée par le législateur néerlandais, même si cela ne le dispenserait pas de l’obligation d’effectuer une déclaration en Allemagne conformément au régime des résidents (allemand, cette fois). Ainsi, le domicile de M. Gielen se situant en Allemagne, il doit y déclarer ses revenus globaux, ce qui se produirait également aux Pays-Bas s’il choisissait le statut de résident prévu par la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus néerlandais. Une fois les déclarations effectuées dans chaque État, il serait procédé à l’ajustement correspondant dans chacun d’entre eux, en vertu du principe de territorialité.

61.

Le régime fiscal des travailleurs indépendants résidents expose le contribuable non-résident à des frais supplémentaires que ne supporte pas nécessairement le contribuable résident. Alors que la personne dont le domicile est situé aux Pays-Bas ne déclare que des revenus globaux et paie l’impôt à l’étranger au titre des revenus qu’elle y perçoit, un contribuable tel que M. Gielen devrait déclarer ses revenus globaux dans deux États membres, en adaptant ses normes comptables à deux ordres juridiques nationaux et en supportant les coûts de gestion administrative imposés par deux administrations fiscales qui, de surcroît, utilisent des langues différentes ( 29 ). Il est manifeste qu’un débiteur fiscal comme M. Gielen, qui ne vit pas aux Pays-Bas, ne se trouve pas dans la même situation qu’un contribuable qui est imposé et qui réside dans cet État membre.

62.

La Cour a fait preuve de sévérité à l’égard des charges administratives que les États membres font peser sur les contribuables non-résidents. Le risque que ces mesures représentent pour le bon fonctionnement du marché intérieur a conduit la juridiction communautaire à admettre tacitement que l’obligation d’un non-résident de se conformer aux règles comptables de l’État où il perçoit ses revenus est susceptible de constituer un obstacle contraire à l’article 43 CE ( 30 ).

63.

Toutefois, dans la présente affaire, le point de savoir si les charges administratives qui découlent de l’option prévue à l’article 2.5 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus sont contraires aux libertés de circulation n’a pas été débattu. Cette appréciation démontre simplement qu’un travailleur indépendant non-résident, bien qu’ayant la possibilité d’être imposé conformément au régime des résidents, ne jouit pas des mêmes avantages. M. Gielen et la Commission se sont exprimés en ce sens, mais ni le Royaume des Pays-Bas ni les autres États membres n’ont suffisamment réfuté cet argument dans leurs observations écrites et orales.

b) Le montant de la dette fiscale

64.

Lors de l’audience dans la présente procédure préjudicielle, le gouvernement néerlandais a réitéré que les revenus qui constituent, dans le cadre du régime des résidents, la base imposable aux fins de l’application de la déduction prévue à l’article 2.5 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus sont les revenus globaux du contribuable, ce qui signifie que, si M. Gielen avait opté pour le régime des résidents, il n’aurait pas déclaré le montant de 11577 euros perçu aux Pays-Bas, mais celui de 88849 euros tiré durant l’année de ses deux établissements (l’un néerlandais, l’autre allemand). Ainsi, la déduction pertinente concerne les revenus plus élevés et s’établit à 2984 euros. Le calcul ne se termine pas là, car M. Gielen ne pourrait déduire de sa base imposable que la part correspondant aux bénéfices réalisés aux Pays-Bas.

65.

Selon le représentant de M. Gielen, pour calculer la déduction finale, il convient de diviser les revenus perçus aux Pays-Bas par les bénéfices globaux et de multiplier le résultat par la déduction applicable, ce qui donne, en chiffres, l’opération suivante:

(11577/88849) x 2984 = 389 euros

66.

Or, toujours selon M. Gielen, une personne résidant aux Pays-Bas qui est imposée sur l’ensemble de ses revenus, indépendamment de leur origine néerlandaise ou étrangère, ne calcule pas au prorata le montant de la déduction, mais retranche le montant intégral appliqué à la base imposable. Cette discrimination est justifiée par le fait que M. Gielen, même s’il était imposé conformément au régime des résidents, ne devrait être assujetti qu’au titre des revenus perçus aux Pays-Bas, de sorte que le calcul au prorata intervient pour que le contribuable non-résident ne bénéficie pas d’un statut plus favorable que celui des véritables résidents.

67.

Le gouvernement néerlandais a décrit lors de l’audience une méthode de calcul alternative, en vertu de laquelle les déductions financières accordées à un véritable résident et à un non-résident ayant opté pour le régime des résidents sont identiques. Toutefois, bien que le représentant de M. Gielen ait insisté sur le fait que cette méthode est erronée et que le résultat final diffère en fonction des deux catégories de contribuables, la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants pour trancher cette discussion, car elle ne doit pas s’immiscer dans le contrôle de la légalité fiscale néerlandaise, ce qui dépasserait largement son domaine de compétence.

68.

Je considère donc qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si le montant de la dette fiscale est le même dans les deux cas de figure étudiés.

69.

En dépit de l’incertitude que nous venons de décrire, il est difficile d’imaginer que les situations soient comparables.

70.

Comme l’a expliqué l’agent du gouvernement néerlandais à l’audience, bien que la dette fiscale coïncide, les règles applicables varient pour l’une et l’autre catégories de contribuables. De plus, conformément à ce que la Commission a indiqué, et comme je l’ai déjà exposé aux points 57 à 63 des présentes conclusions, le fait d’effectuer deux déclarations au titre des revenus globaux, l’une aux Pays-Bas et l’autre en Allemagne, implique une lourde charge, en particulier lorsque les revenus perçus aux Pays-Bas sont peu élevés. Ainsi, il n’a pas été remédié à la discrimination initiale analysée aux points 30 à 42 des présentes conclusions, car le contribuable non-résident n’est pas assimilé au contribuable résident, même s’il opte pour le régime fiscal de ce dernier.

c) Corollaire provisoire

71.

Le contribuable étranger qui préfère être imposé conformément aux règles applicables aux résidents n’est pas placé dans une situation équivalente à celle des nationaux. Cette absence d’homogénéité interdit de considérer que la faculté prévue à l’article 2.5 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus neutralise les discriminations illégales inhérentes à l’un des termes de l’alternative. Cette constatation est renforcée lorsqu’elle est envisagée dans une optique plus générale, en particulier à la lumière de la jurisprudence de la Cour.

3. Le droit d’option et la jurisprudence Schumacker

72.

Le gouvernement néerlandais affirme que l’impôt sur les revenus néerlandais, en offrant la possibilité de choisir entre le régime des résidents et celui des non-résidents, est conforme à l’arrêt Schumacker, précité, et va même au-delà des principes posés par la Cour dans cette affaire ( 31 ).

73.

Je désapprouve cette idée, qui repose sur une interprétation erronée dudit arrêt.

74.

Cet arrêt a déclaré que, lorsqu’un non-résident ne perçoit pas de revenu significatif dans l’État de sa résidence et tire l’essentiel de ses ressources d’une activité exercée dans un autre État, ces revenus ne peuvent pas être imposés dans l’État d’emploi plus lourdement que ceux d’un résident qui accomplit la même tâche. L’arrêt Schumacker, précité, est donc sous-tendu par la comparabilité des situations, car un individu qui travaille à titre pratiquement exclusif dans un État autre que celui de sa résidence doit bénéficier, dans l’État de l’employeur, d’un traitement équivalent à celui d’un résident. Lorsqu’une comparaison de cette nature est possible, le système fiscal de l’État d’accueil doit tenir compte de la situation personnelle et familiale du travailleur non-résident, en particulier lorsque ces éléments ne sont pas non plus pris en considération dans l’État de sa résidence ( 32 ).

75.

Il n’est pas possible de se fonder sur l’arrêt Schumacker, précité, pour justifier la neutralisation d’une discrimination telle que celle dont M. Gielen a été victime. Cette jurisprudence possède un champ d’application spécifique, qui n’est pas celui du litige au principal, et relève de paramètres — ceux d’un travailleur dont la situation personnelle et familiale n’est pas prise en compte — qui l’éloignent du cas de figure examiné en l’espèce. En conséquence, il n’y a pas lieu d’affirmer, comme le fait le Royaume des Pays-Bas, que l’article 2.5 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus s’avère plus protecteur que la jurisprudence Schumacker.

76.

En outre, l’application maximaliste de l’arrêt Schumacker, précité, défendue par le Royaume des Pays-Bas aurait des effets pervers. Le présent litige en atteste. Il n’est pas non plus concevable d’admettre que, en adoptant des régimes fiscaux optionnels en faveur des non-résidents, un État puisse approuver toutes discriminations qu’il estime opportunes, sous prétexte qu’un simple choix neutralise l’inégalité de traitement. Si la Cour acceptait la thèse du gouvernement néerlandais, il conviendrait d’instaurer des garde-fous pour freiner l’expansion des discriminations constatées au détriment des non-résidents et les réduire à un périmètre scrupuleusement délimité. Ces sauvegardes étant difficiles à envisager, j’estime qu’il importe de rejeter l’idée selon laquelle l’alternative en cause exercerait une fonction de validation.

4. Réflexion finale

77.

Je n’achèverai pas les présentes conclusions sans souligner le fait que, en l’espèce, le régime optionnel créé par l’article 2.5 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus n’est pas contesté. En dépit de tout ce qui précède, il y a lieu de relever que les appréciations portées ont pour but d’évaluer l’effet neutralisant du régime optionnel sur une discrimination constatée au détriment des non-résidents.

78.

Il convient d’insister sur cette précaution, car le système mis en place par le Royaume des Pays-Bas présente des avantages évidents ( 33 ). Selon des avis compétents, permettre à un contribuable d’être imposé sur l’intégralité de ses revenus tant dans l’État de sa résidence que dans l’État de la source peut entraîner des conséquences optimales, en particulier dans le cadre de l’imposition transnationale des personnes physiques ( 34 ). Au regard des différents modèles fiscaux en vigueur dans les États membres, le système néerlandais comporte des éléments positifs que je ne nie pas. Il ne s’agit pas non plus de remettre en question la légalité de ce modèle, le débat étant limité à l’effet neutralisant de ce système. Dans ce seul contexte, l’article 2.5 de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus s’avère insuffisant pour justifier la discrimination illégale que subissent les non-résidents tels que M. Gielen.

VI — Conclusion

79.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Hoge Raad der Nederlanden:

«L’article 43 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle nationale créant une discrimination au détriment des travailleurs indépendants non-résidents, y compris lorsque le contribuable étranger a eu la possibilité, dont il n’a pas fait usage, d’opter pour le régime des travailleurs indépendants résidents.»


( 1 ) Langue originale: l’espagnol.

( 2 ) Orwell, G., La Ferme des animaux, éd. Gallimard, coll. Folio, Paris, 1984, traduit de l’anglais par Jean Queval, p. 21, raconte que le fameux commandement final, qui déforme les sept premiers et les refond en un seul, est placé dans la bouche du cochon Brille-Babil («Squealer»), qui «forçait l’attention par sa voix perçante et son œil malin. On remarquait aussi ses joues rebondies et la grande vivacité de ses mouvements. Brille-Babil, enfin, était un causeur éblouissant qui, dans les débats épineux, sautillait sur place et battait l’air de la queue. Cet art exerçait son plein effet au cours de discussion. On s’accordait à dire que Brille-Babil pourrait bien vous faire prendre des vessies pour des lanternes».

( 3 ) Arrêts du 16 juillet 1992, Meilicke (C-83/91, Rec. p. I-4871, point 23); du 18 mars 2004, Siemens et ARGE Telekom (C-314/01, Rec. p. I-2549, point 34); du 22 novembre 2005, Mangold (C-144/04, Rec. p. I-9981, point 34); du 18 juillet 2007, Lucchini (C-119/05, Rec. p. I-6199, point 43), et du 6 novembre 2008, Trespa International (C-248/07, Rec. p. I-8221, point 32).

( 4 ) Arrêt du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045, point 21).

( 5 ) Arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra (C-379/98, Rec. p. I-2099, point 39); du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C-390/99, Rec. p. I-607, point 19); du 5 février 2004, Schneider (C-380/01, Rec. p. I-1389, point 22), et du 12 juin 2008, Gourmet Classic (C-458/06, Rec. p. I-4207, point 25).

( 6 ) Arrêts Foglia, précité (points 18 et 20); du 3 février 1983, Robards (149/82, Rec. p. 171, point 19); Meilicke, précité (point 64), et du 18 décembre 2007, ZF Zefeser (C-62/06, Rec. p. I-11995, point 15).

( 7 ) Tridimas, T., The General Principles of EU Law, 2e éd., Oxford University Press, Oxford, 2006, p. 81 à 83.

( 8 ) Arrêts du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11); du 21 novembre 1991, Le Manoir (C-27/91, Rec. p. I-5531, point 10); du 11 août 1995, Wielockx (C-80/94, Rec. p. I-2493, point 16), et du 27 novembre 1997, Meints (C-57/96, Rec. p. I-6689, point 44).

( 9 ) Arrêts Wielockx, précité (point 17); du 7 mai 1998, Lease Plan (C-390/96, Rec. p. I-2553, point 34); du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C-156/98, Rec. p. I-6857, point 84), et du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C-524/04, Rec. p. I-2107, point 46).

( 10 ) Arrêt du 14 février 1995 (C-279/93, Rec. p. I-225).

( 11 ) Arrêts Schumacker, précité (point 31); du 12 mai 1998, Gilly (C-336/96, Rec. p. I-2793, point 49), et du 9 novembre 2006, Turpeinen (C-520/04, Rec. p. I-10685, point 26).

( 12 ) Arrêts Schumacker, précité (points 31 et 32); du 14 septembre 1999, Gschwind (C-391/97, Rec. p. I-5451, point 22); du 16 mai 2000, Zurstrassen (C-87/99, Rec. p. I-3337, point 21); du 12 juin 2003, Gerritse (C-234/01, Rec. p. I-5933, point 43); du 1er juillet 2004, Wallentin (C-169/03, Rec. p. I-6443, point 15); du 6 juillet 2006, Conijn (C-346/04, Rec. p. I-6137, point 20), et du 25 janvier 2007, Meindl (C-329/05, Rec. p. I-1107, point 23).

( 13 ) Arrêt Schumacker, précité (point 34).

( 14 ) Dans les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Gschwind, précité, j’exprimais également cette idée, et ajoutais au point 42 que l’arrêt Schumacker, précité, «n’a pas entendu en finir avec le principe généralement admis par le droit fiscal international, incorporé dans le droit des États membres par le biais du modèle de convention de l’OCDE en matière de double imposition, et selon lequel il appartient à l’État de résidence d’imposer l’assujetti de façon globale, en tenant compte des éléments relevant de sa situation personnelle et familiale».

( 15 ) Arrêts précités.

( 16 ) Arrêts du 8 mai 1990, Biehl (C-175/88, Rec. p. I-1779, point 16); Schumacker, précité (point 36); Gerritse, précité (points 27 et 28); du 3 octobre 2006, FKP Scorpio Konzertproduktionen (C-290/04, Rec. p. I-9461, point 42); du 15 février 2007, Centro Equestre da Lezíria Grande (C-345/04, Rec. p. I-1425, point 23), ainsi que du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a. (C-11/07, Rec. p. I-6845, point 50).

( 17 ) Jurisprudence citée dans la note précédente et Almendral, V., «La tributación del no residente comunitario: entre la armonización fiscal y el derecho tributario internacional», EUI Working Papers LAW 2008/25, p. 17 à 21 et 23 à 26.

( 18 ) Comme le souligne Almendral, V., op. cit., p. 21, la jurisprudence reste en suspens, la Cour ne voulant pas ou ne pouvant pas opérer une distinction objective entre la déduction liée aux revenus et la déduction personnelle.

( 19 ) La Cour reconnaît la compétence des États membres en matière de fiscalité directe, pour autant qu’elle s’exerce dans le respect du droit communautaire: arrêts du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer (C-250/95, Rec. p. I-2471, point 19); du 26 octobre 1999, Eurowings Luftverkehr (C-294/97, Rec. p. I-7447, point 32); du 28 octobre 1999, Vestergaard (C-55/98, Rec. p. I-7641, point 15); du 14 décembre 2000, AMID (C-141/99, Rec. p. I-11619, point 19), et du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C-446/03, Rec. p. I-10837, point 29).

( 20 ) Ainsi que l’agent du gouvernement néerlandais l’a confirmé lors de l’audience.

( 21 ) M. Gielen se réfère aux conclusions présentées par l’avocat général près le Hoge Raad der Nederlanden dans la procédure au principal, au point 6.2.3 desquelles il est indiqué que le «critère horaire ne peut être dissocié des avantages accordés aux entrepreneurs […]. En bref, l’historique de la loi révèle que le but du critère horaire est d’empêcher que de ‘faux’ entrepreneurs bénéficient des avantages accordés aux entrepreneurs ou, formulé de façon positive: de s’assurer que seuls les ‘vrais’ entrepreneurs puissent avoir recours aux avantages accordés aux entrepreneurs».

( 22 ) Point 10 des observations de la Commission.

( 23 ) Wouters, J., «The Principle of Non-discrimination in European Community Law», European Community Tax Review, no 2, 1999, p. 102; Peters, C., et Snellaars, M., «Non-discrimination and Tax Law: Structure and Comparison of the Various Non-discrimination Clauses», European Community Tax Review, no 1, 2001, p. 13, et Zalasinski, A., «The Limits of the EC Concept of ‘Direct Tax Restriction on Free Movement Rights’, the Principles of Equality and Ability to Pay, and the Interstate Fiscal Equity», Intertax, vol. 37, no 5, p. 283.

( 24 ) La Cour l’a reconnu tôt dans sa jurisprudence: voir, entre autres, arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, points 89 et 90); du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil (C-84/94, Rec. p. I-5755, point 58); du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf (C-248/95 et C-249/95, Rec. p. I-4475); du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech (C-284/95, Rec. p. I-4301, point 37), et Bettati (C-341/95, Rec. p. I-4355, point 35); du 19 novembre 1998, Royaume-Uni/Conseil (C-150/94, Rec. p. I-7235, point 53); du 15 décembre 2005, Grèce/Commission (C-86/03, Rec. p. I-10979, point 88), ainsi que du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C-127/07, Rec. p. I-9895, point 57).

( 25 ) Comme l’écrit l’avocat général Poiares Maduro dans ses conclusions dans l’affaire Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., ayant donné lieu à l’arrêt précité, «[i]l est […] de la nature même de l’expérimentation législative d’entrer en tension avec le principe d’égalité» (point 46). Voir également Rubio Llorente, F., «Juez y ley desde el punto de vista del principio de igualdad», La forma del poder, éd. CEPC, Madrid, 1997, p. 642.

( 26 ) García Prats, A., Imposición directa, no discriminación y derecho comunitario, éd. Tecnos, Madrid, 1998, p. 222 à 224.

( 27 ) Voir, en ce sens, les conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire HSBC Holdings et Vidacos Nominees (arrêt du 1er octobre 2009, C-569/07, Rec. p. I-9047, points 71 et 72).

( 28 ) Pistone, P., The Impact of Community Law on Tax Treaties: Issues and Solutions, éd. Kluwer, La Haye-Londres-New York, 2002, p. 197 à 200.

( 29 ) Sur l’aspect linguistique, l’agent du gouvernement néerlandais a reconnu, lors de l’audience, que l’administration fiscale de son pays accepte des documents et des communications rédigés dans des «langues courantes», distinctes du néerlandais, mais toujours de manière informelle et sans aucune garantie légale. À cet effet, l’agent n’a fourni aucune information sur la situation réelle d’une personne qui doit s’adresser aux autorités néerlandaises dans une langue autre que le néerlandais. En revanche, le représentant de M. Gielen a déclaré à la Cour que, aux Pays-Bas, quiconque prend contact avec les services fiscaux doit le faire dans la langue officielle de cet État membre, ce qui me paraît plus crédible.

( 30 ) Arrêt Futura Participations et Singer, précité (point 25).

( 31 ) Cette prise de position du gouvernement néerlandais se retrouve également dans les observations de M. Gielen, où il est rappelé que les travaux préparatoires de la loi de 2001 relative à l’impôt sur les revenus ont une justification analogue, à savoir la mise en œuvre de l’arrêt Schumacker, précité, et l’octroi aux non-résidents d’un régime fiscal plus favorable que celui qui était examiné dans cette affaire [MvT Kamerstukken (documents parlementaires) II 1998/1999, no 3, p. 79 et 80 (citation extraite des observations de M. Gielen, p. 11)].

( 32 ) Lenaerts, K., et Bernardeau, L., «L’encadrement communautaire de la fiscalité directe», Cahiers de droit européen, nos 1 et 2, 2007, p. 77 à 80.

( 33 ) Le régime néerlandais qui nous intéresse ici prévoit une option inconditionnelle pour les travailleurs indépendants non-résidents. Toutefois, plusieurs États membres ont adopté des mécanismes d’option tels que le système néerlandais, mais en les réservant aux contribuables qui perçoivent un pourcentage élevé de leurs revenus dans un État membre de la Communauté autre que celui de leur résidence. Cette mesure a été encouragée par la Commission dans sa recommandation 94/79/CE, du 21 décembre 1993, relative à l’imposition de certains revenus obtenus par des non-résidents dans un État membre autre que celui de leur résidence (JO 1994, L 39, p. 22), qui indique qu’un contribuable non-résident devrait pouvoir opter pour le régime des résidents s’il perçoit plus de 75% de ses revenus dans l’État de la source.

( 34 ) Terra, B. J. M., et Wattel, P. J., European Tax Law, 4e éd., éd. Kluwer, Deventer, 2005, p. 80 à 82.

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