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Document 62008CC0075

Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 22 janvier 2009.
The Queen, à la demande de Christopher Mellor contre Secretary of State for Communities and Local Government.
Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) - Royaume-Uni.
Directive 85/337/CEE - Évaluation des incidences de projets sur l'environnement - Obligation de rendre publique la motivation d'une décision de ne pas soumettre un projet à une évaluation.
Affaire C-75/08.

Recueil de jurisprudence 2009 I-03799

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2009:32

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 22 janvier 2009 ( 1 )

Affaire C-75/08

The Queen, à la demande de:

Christopher Mellor

contre

Secretary of State for Communities and Local Government

«Directive 85/337/CEE — Évaluation des incidences de projets sur l’environnement — Obligation de rendre publique la motivation d’une décision de ne pas soumettre un projet à une évaluation»

I — Introduction

1.

Dans la présente affaire, la Cour est saisie, une fois de plus, de l’interprétation de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement ( 2 ) (ci-après la «directive EIE»). Il est ici toutefois question de la rédaction issue de la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement et modifiant, en ce qui concerne la participation du public et l’accès à la justice, les directives 85/337 et 96/61/CE du Conseil ( 3 ), sur laquelle la Cour ne s’est jusqu’ici que rarement penchée.

2.

Il s’agit, en particulier, de déterminer si la décision de ne pas procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement doit être motivée et de déterminer de quelle manière devrait se présenter, le cas échéant, cette nécessaire motivation.

II — Cadre juridique

3.

L’article 2, paragraphe 1, de la directive EIE fixe l’objectif de celle-ci:

«Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences. Ces projets sont définis à l’article 4.»

4.

L’article 3 décrit l’objet de l’évaluation des incidences de l’environnement:

«L’évaluation des incidences sur l’environnement identifie, décrit et évalue de manière appropriée, en fonction de chaque cas particulier et conformément aux articles 4 à 11, les effets directs et indirects d’un projet sur les facteurs suivants:

l’homme, la faune et la flore,

le sol, l’eau, l’air, le climat et le paysage,

les biens matériels et le patrimoine culturel,

l’interaction entre les facteurs visés aux premier, deuxième et troisième tirets.»

5.

L’article 4, paragraphes 1 et 2, définit en substance quels projets doivent être évalués:

«1.   Sous réserve de l’article 2, paragraphe 3, les projets énumérés à l’annexe I sont soumis à une évaluation, conformément aux articles 5 à 10.

2.   Sous réserve de l’article 2, paragraphe 3, les États membres déterminent, pour les projets énumérés à l’annexe II:

a)

sur la base d’un examen cas par cas,

ou

b)

sur la base des seuils ou critères fixés par l’État membre,

si le projet doit être soumis à une évaluation conformément aux articles 5 à 10.

Les États membres peuvent décider d’appliquer les deux procédures visées aux points a) et b).

3.   Pour l’examen cas par cas ou la fixation des seuils ou critères fixés en application du paragraphe 2, il est tenu compte des critères de sélection pertinents fixés à l’annexe III.

4.   Les États membres s’assurent que les décisions prises par les autorités compétentes en vertu du paragraphe 2 sont mises à la disposition du public.»

6.

L’annexe II, point 10, sous b), a pour objet les travaux d’aménagement urbain.

7.

L’annexe III cite, à titre d’exemple, en tant que critères de la décision sur la nécessité d’une évaluation des incidences sur l’environnement, les différentes caractéristiques du projet, sa localisation et son éventuel impact.

III — Faits et demande de décision préjudicielle

8.

Dans le litige au principal, il est question du projet d’aménagement d’une ancienne base navale située dans une région désignée comme zone au paysage exceptionnel. Il est prévu d’y ériger un hôpital. Un premier permis a été attaqué avec succès du fait que la nécessité de procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement n’avait pas été examinée.

9.

Dans le cadre d’une procédure administrative subséquente, le conseil de la collectivité locale compétente a rendu un avis sur la nécessité de procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement. Selon lui, un tel examen ne serait pas nécessaire au motif qu’il n’y aurait pas lieu de s’attendre à des incidences graves sur l’environnement.

10.

M. Christopher Mellor, le requérant dans le litige au principal, a contesté cet avis. Selon lui, notamment, un reposoir de chauve-souris serait détruit. À la suite de cela, la collectivité locale a révisé son appréciation.

11.

Par lettre du 4 décembre 2006, la ministre de l’Environnement du Royaume-Uni a toutefois finalement publié une décision selon laquelle une évaluation des incidences sur l’environnement ne serait pas nécessaire. Elle a motivé cette décision par le fait que le projet ne serait pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement en raison de facteurs tels que sa nature, sa dimension ou sa localisation. Elle n’a pas fait état de motifs plus spécifiques.

12.

M. Mellor a exercé un recours contre cette décision. La Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) est saisie de ce litige en deuxième instance et a soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

En vertu de l’article 4 de la directive 85/337/CEE du Conseil, modifiée par les directives 97/11/CE et 2003/35/CE (ci-après la ‘directive’), les États membres doivent-ils mettre à la disposition du public les motifs d’une décision concluant qu’il n’est pas nécessaire qu’un projet relevant de l’annexe II soit soumis à une évaluation conformément aux articles 5 à 10 de la directive?

2)

Si la réponse à la première question est affirmative, le contenu de la lettre de la Secretary of State du 4 décembre 2006 satisfait-il à cette obligation?

3)

Si la réponse à la deuxième question est négative, quelle est la portée de l’obligation de motivation dans ce contexte?»

IV — Appréciation juridique

A — Sur le contexte de la demande de décision préjudicielle

13.

Le litige au principal porte sur l’examen préalable du point de savoir si un projet donné doit être soumis à une évaluation des incidences sur l’environnement.

14.

En vertu de l’article 4, paragraphe 2, et de l’annexe II, point 10, sous b), de la directive EIE, les États membres doivent déterminer, sur la base d’un examen au cas par cas ou sur la base des seuils ou critères fixés par eux, s’il convient d’examiner les incidences sur l’environnement des projets de travaux d’aménagement urbain. En vertu de la jurisprudence constante, l’article 4, paragraphe 2, de la directive EIE confère une marge d’appréciation aux États membres. Celle-ci trouve toutefois ses limites dans l’obligation, énoncée à l’article 2, paragraphe 1, de soumettre à une étude d’impacts les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ( 4 ).

15.

Les États membres doivent notamment tenir compte de la nature, la dimension et la localisation du projet afin de déterminer si celui-ci est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ( 5 ). À cet égard, la directive EIE s’attache à une appréciation globale des incidences sur l’environnement des projets ou de leur modification ( 6 ). Il convient de prendre en considération tant les effets directs des travaux envisagés eux-mêmes que les incidences sur l’environnement susceptibles d’être provoquées par l’utilisation et l’exploitation des ouvrages issus de ces travaux ( 7 ).

16.

Dans la présente affaire, les autorités compétentes sont parvenues, dans le cadre d’un examen au cas par cas, à la conclusion que, au regard de facteurs tels que sa nature, sa dimension ou sa localisation, le projet n’était pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement. Une évaluation des incidences sur l’environnement ne serait donc pas nécessaire.

17.

Selon M. Mellor, cette décision doit être annulée au motif qu’elle ne serait pas, ou tout au moins insuffisamment, motivée.

B — Sur la première question préjudicielle

18.

Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si la décision de ne pas procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement doit être motivée.

19.

Alors que l’article 9 de la directive EIE prévoit qu’en cas d’autorisation d’un projet à la suite d’une évaluation des incidences sur l’environnement, il doit être mis à la disposition du public des informations détaillées, en revanche, en ce qui concerne le rejet d’une évaluation des incidences sur l’environnement, l’article 4, paragraphe 4, de la directive EIE exige seulement que la décision de rejet soit publiée.

20.

Ainsi que le souligne le Royaume-Uni, la directive EIE n’exige par conséquent pas expressément que la décision par laquelle une évaluation des incidences sur l’environnement est écartée soit motivée. Par contre, il est exact que, en ce qui concerne d’autres décisions, ladite directive prévoit expressément une obligation de les motiver.

Sur l’arrêt du 10 juin 2004, Commission/Italie

21.

La Cour a toutefois d’ores et déjà jugé qu’une décision par laquelle l’autorité nationale compétente estime que les caractéristiques d’un projet n’exigent pas qu’il soit soumis à une évaluation de ses incidences sur l’environnement doit contenir ou être accompagnée de tous les éléments permettant de contrôler qu’elle est fondée sur une vérification préalable adéquate, effectuée conformément aux exigences de la directive EIE ( 8 ).

22.

Le Royaume-Uni fait toutefois, à juste titre, valoir que cette constatation de la Cour ne constitue qu’un obiter dictum. La procédure en manquement en cause n’avait pas pour objet l’éventuelle insuffisance de motivation d’une décision de ne pas procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement. Bien au contraire, ce que la Commission critiquait était le fait que la nécessité de procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement n’aurait pas été examinée.

23.

En conséquence, les parties n’avaient à l’époque pas présenté d’observations concernant une éventuelle obligation de motivation et d’autres États membres, tel le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, n’avaient aucune raison d’intervenir à la procédure pour contester une supposée obligation de motivation. Il convient donc, en dépit de l’existence de l’arrêt du 10 juin 2004, Commission/Italie, d’examiner la question de la nécessité d’une motivation.

L’obligation de motivation en droit primaire

24.

L’article 253 CE exige que les décisions soient motivées. Comme le fait notamment observer M. Mellor, le droit à une bonne administration, visé à l’article 41, paragraphe 2, troisième tiret, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 9 ), englobe l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions. Dans la mesure où le traité de Lisbonne n’est toujours pas ratifié, la Charte ne produit certes pas en soi des effets juridiques contraignants comparables à ceux du droit primaire. Néanmoins, en tant que source de référence juridique, elle fournit des indications sur les droits fondamentaux ( 10 ) dont il convient de tenir compte en interprétant le droit communautaire ( 11 ).

25.

Il résulte toutefois déjà du libellé de l’article 41, paragraphe 1, de la charte, de même que de l’article 253 CE, que l’obligation de motivation qui y est visée s’applique aux institutions de la Communauté. Cette obligation ne peut donc pas d’emblée être étendue aux organes nationaux, même lorsque ceux-ci appliquent le droit communautaire ( 12 ).

Sur les principes d’effectivité et d’équivalence

26.

En principe, les États membres fixent la procédure d’application du droit communautaire lorsque ce dernier ne prévoit pas de règles spécifiques. Il existe certes des dispositions relatives à la motivation des décisions des États membres prises en application de certaines dispositions du droit communautaire ( 13 ), ce également dans le domaine du droit de l’environnement ( 14 ), mais il n’existe justement pas de disposition particulière en ce qui concerne la motivation des décisions préalables.

27.

Il n’en reste pas moins que les États membres ne disposent pas d’une entière liberté lorsqu’ils adoptent des règles procédurales concernant l’application du droit communautaire. Les règles procédurales ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et elles ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) ( 15 ).

28.

Rien ne laisse apparaître que le fait de renoncer à une obligation de motivation constitue un traitement moins favorable par rapport aux situations purement internes. Toutefois, la question se pose de savoir si les limites du principe d’effectivité ont été respectées. Une expression concrète du principe d’effectivité est celui d’une protection juridictionnelle effective. Ce principe exige que les droits conférés par le droit communautaire puissent être invoqués en justice. Il convient, notamment, que les juridictions puissent exercer un contrôle sur la décision par laquelle une autorité refuse le bénéfice d’un tel droit. Le contrôle doit donc s’étendre à la motivation de la décision ( 16 ).

29.

C’est dans ce contexte qu’il convient de placer les constatations relatives à l’obligation de motivation opérées dans l’arrêt rendu le 10 juin 2004 dans l’affaire Commission/Italie. La Cour souligne que, dans le litige tranché à l’époque, sans les renseignements demandés, il aurait été impossible de contrôler si la vérification préalable de la nécessité de procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement avait ou non été effectuée ( 17 ).

30.

Cet argument est convaincant. Si les renseignements nécessaires font défaut dans une décision, il est a posteriori à tout le moins très difficile de déterminer si l’organe décideur a même examiné les effets possibles sur l’environnement d’un projet. Il subsisterait, dans ce cas, des doutes quant au point de savoir si seule une décision prise pour d’autres motifs a été confirmée dans le cadre de la procédure judiciaire.

31.

En outre, l’obligation de motivation permet au particulier de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile pour lui de saisir une juridiction ( 18 ). Dans la présente affaire, une motivation permettrait de faire apparaître quels risques pour l’environnement ont été pris compte. Un recours permettrait de contester soit une appréciation erronée desdits risques, soit l’absence de prise en considérations d’autres risques présentant une pertinence.

32.

Le fait de motiver n’intervient en outre pas uniquement dans l’intérêt du citoyen, mais engendre un premier autocontrôle par l’administration elle-même et peut être de nature à pacifier les rapports avec les citoyens. En effet, dès lors que la motivation convainc, elle met fin à des conflits existants et empêche des litiges inutiles.

33.

À cet égard, la Cour a récemment jugé que les autorités nationales sont tenues de motiver une décision par laquelle elles refusent le bénéfice d’un droit conféré par le droit communautaire ( 19 ). L’article 41 de la Charte des droits fondamentaux ne comprend donc, dans cette mesure, pas uniquement des règles relatives à la bonne administration des institutions, mais est également l’expression d’un principe général du droit que les autorités nationales sont tenues de respecter lorsqu’elles appliquent le droit communautaire ( 20 ).

34.

En résumé, il convient de retenir que les États membres doivent faire connaître la motivation d’une décision par laquelle ils refusent le bénéfice d’un droit conféré par le droit communautaire.

Sur une éventuelle violation du droit

35.

Il convient donc de vérifier si le fait de renoncer à procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement peut être considéré comme un refus au bénéfice d’un droit conféré par le droit communautaire.

36.

Dans le présent contexte, le fait de refuser le bénéfice d’un droit ne peut pas être compris en ce sens qu’il faudrait concrètement que le droit à une évaluation des incidences sur l’environnement existe. Dans ce cas, l’obligation de motivation serait en pratique inopérante. En effet, indépendamment de toute motivation, il est illicite de refuser le bénéfice d’un droit réellement existant.

37.

En effet, la motivation doit permettre d’exercer un contrôle sur une décision jugeant qu’un droit en principe conféré par la Communauté n’existe pas dans le cas concret. C’est pour cette raison que l’administration est déjà tenue de motiver une décision lorsque la Communauté a conféré au particulier des positions juridiques que cette décision est susceptible d’affecter.

38.

Dans le litige au principal, les droits du maître d’ouvrage ne sont pas limités. En effet, celui-ci avait demandé une procédure d’autorisation sans évaluation des incidences sur l’environnement. À son égard, la décision n’a donc pas à être motivée.

39.

Cependant, les droits des tiers présentent également une pertinence au regard de l’obligation de motivation. En effet, dans le cadre de procédures communautaires, l’exigence de motivation doit être appréciée également en fonction de l’intérêt que d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications ( 21 ). Ainsi, une motivation est nécessaire lorsque, dans des affaires en matière de concurrence, la Commission ne soulève pas d’objections à l’encontre d’une concentration d’entreprise ( 22 ) ou d’une aide ( 23 ).

40.

Ces critères doivent également s’appliquer aux décisions adoptées par les autorités des États membres en application du droit communautaire. Renoncer à une évaluation des incidences sur l’environnement ne concerne obligatoirement pas seulement le maître d’ouvrage, mais également les tiers, tout au moins dans la mesure où ces derniers peuvent en principe exiger qu’il soit procédé à une telle évaluation.

41.

La Cour a déjà jugé que des tiers peuvent bénéficier du droit à ce qu’il soit procédé à une évaluation des incidences sur l’environnement. Lorsque la marge d’appréciation conférée par les articles 4, paragraphe 2, et 2, paragraphe 1, de la directive EIE est outrepassée par les autorités législatives ou administratives d’un État membre, les particuliers peuvent les invoquer devant la juridiction d’un État membre à l’encontre des autorités nationales. Dans un tel cas, il appartient aux autorités d’un État membre de prendre, dans le cadre de leurs compétences, toutes les mesures nécessaires, générales ou particulières, pour que les projets soient examinés, afin de déterminer s’ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement et, dans l’affirmative, qu’ils soient soumis à une étude d’incidences ( 24 ).

42.

En outre, l’article 10 bis de la directive EIE prévoit désormais que les membres du public concerné ou d’organisations non gouvernementales peuvent, sous certaines conditions, exiger un contrôle juridictionnel de décisions relevant des dispositions de la directive EIE relatives à la participation du public. Ce droit serait menacé si ces requérants ne pouvaient pas également attaquer une décision de ne pas appliquer les règles relatives à la participation du public.

43.

En conséquence, aux articles 4, paragraphe 2, 2, paragraphe 1, et 10 bis de la directive EIE, la Communauté confère un droit au particulier. Dès lors que la décision de ne pas procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement porte atteinte à ce droit, elle doit être motivée.

Sur les conséquences juridiques du défaut de motivation

44.

Il convient d’ajouter que le principe d’effectivité n’exige pas d’harmoniser dans les ordres juridiques des différents États membres les conséquences juridiques d’un défaut de motivation. Les États membres ne sont notamment pas tenus d’adopter les règles applicables au défaut de motivation par les institutions.

45.

Dans l’ordre communautaire, la motivation d’un acte doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief. L’absence de motivation, ou son insuffisance manifeste, ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge communautaire ( 25 ). Cela correspond d’ailleurs à la délimitation stricte, en fait et en droit, de l’objet du litige dans le régime des moyens d’attaque et de défense. Dès lors que le requérant ne peut en règle générale pas étendre l’objet de son recours ( 26 ), l’égalité des armes en matière procédurale serait menacée si l’institution défenderesse pouvait simplement ( 27 ) compléter sa motivation au cours de la procédure contentieuse.

46.

Il ne serait néanmoins pas exclu, dans le cadre d’un droit procédural autrement structuré, de traiter de manière plus souple la réparation des vices de motivation. Cela est notamment envisageable lorsque l’objet du litige est ouvert par exemple au regard des moyens au soutien du recours, à savoir les exceptions pouvant être soulevées à l’encontre de la décision attaquée, ou encore dans la mesure où les demandes additionnelles en cours de procédure sont recevables. Il s’agit toutefois ici de questions relevant du droit procédural national.

Réponse à la première question

47.

Par conséquent, en vertu de l’article 4 de la directive EIE, les États membres doivent mettre à la disposition du public les motifs d’une décision concluant qu’il n’est pas nécessaire qu’un projet relevant de l’annexe II soit soumis à une évaluation conformément aux articles 5 à 10 de ladite directive.

C — Sur les deuxième et troisième questions

48.

Dans la mesure où la Cour ne peut pas exercer de contrôle sur le point de savoir si la ministre de l’Environnement a suffisamment motivé sa décision, les deuxième et troisième questions doivent être lues comme demandant quelles sont les exigences à l’égard de la motivation d’une décision par laquelle il est renoncé à procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement, et notamment s’il suffit de n’énumérer que les critères au regard desquels il n’y a pas lieu de s’attendre à des effets notables sur l’environnement.

49.

La teneur de la motivation doit être adaptée à la finalité de l’obligation de motivation. À cet égard, dans l’arrêt du 10 juin 2004, Commission/Italie déjà évoqué ci-dessus, la Cour a jugé que la décision par laquelle il est renoncé à procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement doit contenir ou être accompagnée de tous les éléments permettant de contrôler qu’elle est fondée sur une vérification préalable adéquate, effectuée conformément aux exigences de la directive EIE ( 28 ). Ce qui importe donc est que les motifs avancés montrent qu’une vérification préalable adéquate a été effectuée.

50.

En ce qui concerne l’étendue d’une vérification préalable adéquate, il convient de rappeler que la directive EIE s’attache à une appréciation globale des incidences sur l’environnement des projets et que les États membres doivent notamment tenir compte de la nature, la dimension et la localisation du projet afin de déterminer si celui-ci est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ( 29 ).

51.

Lorsque l’absence d’effets notables sur l’environnement est manifeste, une phrase peut suffire pour démontrer qu’une telle vérification a été effectuée. En revanche, lorsque plusieurs effets possibles donnés font déjà l’objet d’une discussion, des explications plus détaillées sont nécessaires pour établir que ces effets ont été examinés de manière adéquate. À cet égard, la jurisprudence relative à l’obligation de motivation du droit primaire peut offrir des pistes. Ainsi, il convient d’exposer de manière suffisante les motifs pour lesquels des éléments de fait et de droit d’ores et déjà évoqués dans le cadre de la procédure d’examen préalable écartent la possibilité d’effets notables sur l’environnement. Il n’est cependant pas nécessaire de prendre position sur des éléments clairement secondaires ou d’anticiper des objections potentielles ( 30 ).

52.

À cet égard, deux éléments en particulier sont soulevés dans le litige au principal, à savoir, d’une part, le lieu de situation du projet dans une région désignée, en vertu du droit national, comme zone au paysage exceptionnel et, d’autre part, la destruction possible d’un habitat de chauve-souris invoquée par M. Mellor dans le cadre de la procédure administrative. Ces deux éléments se réfèrent à la localisation du projet. En vertu de l’article 4, paragraphe 3, et de l’annexe III, point 2, de la directive EIE, il convient de prendre en considération la sensibilité environnementale de ce lieu géographique. Ce faisant, il y a lieu de tenir compte en particulier de quelques points expressément énumérés.

53.

La beauté du paysage du lieu de situation du projet, à savoir des considérations d’ordre esthétique, n’est que partiellement appréhendée par la notion de sensibilité environnementale: l’annexe III, point 2, troisième tiret, sous h), cite les paysages importants du point de vue historique, culturel et archéologique. Tant qu’aucun de ces trois points de vue n’est pertinent, l’esthétique n’est pas vraiment un critère écologique, mais plutôt une question de goût. Dans ce cas, une éventuelle atteinte au paysage ne constitue pas un indice important de possibles incidences notables sur l’environnement. Cet élément aurait alors une signification mineure, de sorte qu’il ne serait possible de s’abstenir d’y faire référence.

54.

En revanche, une éventuelle destruction d’un reposoir de chauve-souris est une question de capacité de charge de l’environnement naturel, au sens de l’annexe III, point 2, troisième tiret, de la directive EIE. Certes, ces reposoirs ne sont expressément visés que, lorsqu’en vertu du point e), ils font partie de zones protégées et notamment celles visées par la directive habitat ( 31 ). Toutefois, en vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous d), et de l’annexe IV de la directive habitat, les États membres doivent assurer un système de protection stricte de tous les reposoirs de chauve-souris, car il s’agit là de sites de reproduction et/ou d’aires de repos d’une espèce strictement protégée ( 32 ). Il ne serait permis qu’à certaines conditions très limitées de détruire des reposoirs de chauve-souris ( 33 ). Il s’ensuit que la destruction de reposoirs de chauve-souris constitue en principe un effet notable sur l’environnement qui nécessite une évaluation des incidences sur l’environnement ( 34 ).

55.

Par conséquent, la décision par laquelle il est renoncé à procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement doit contenir ou être accompagnée de tous les éléments permettant de contrôler qu’elle est fondée sur une vérification préalable adéquate, effectuée conformément aux exigences de la directive EIE. Ainsi, il convient d’exposer de manière suffisante les motifs pour lesquels des éléments de fait et de droit d’ores et déjà évoqués dans le cadre de la procédure d’examen préalable écartent la possibilité d’effets notables sur l’environnement.

V — Conclusion

56.

Je propose donc à la Cour de répondre comme suit à la demande de décision préjudicielle:

«1)

En vertu de l’article 4 de la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, telle que modifiée par la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement, et modifiant, en ce qui concerne la participation du public et l’accès à la justice, les directives 85/337 et 96/61/CE du Conseil, les États membres doivent mettre à la disposition du public les motifs d’une décision concluant qu’il n’est pas nécessaire qu’un projet relevant de l’annexe II soit soumis à une évaluation conformément aux articles 5 à 10 de ladite directive.

2)

Cette décision par laquelle il est renoncé à procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement doit contenir ou être accompagnée de tous les éléments permettant de contrôler qu’elle est fondée sur une vérification préalable adéquate, effectuée conformément aux exigences de la directive 85/337. Ainsi, il convient d’exposer de manière suffisante les motifs pour lesquels des éléments de fait et de droit d’ores et déjà évoqués dans le cadre de la procédure d’examen préalable écartent la possibilité d’effets notables sur l’environnement.»


( 1 ) Langue originale: l’allemand.

( 2 ) JO L 175, p. 40.

( 3 ) JO L 156, p. 17.

( 4 ) Voir, sur les rédactions antérieures de la directive, arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a. (C-72/95, Rec. p. I-5403, point 50); du 21 septembre 1999, Commission/Irlande (C-392/96, Rec. p. I-5901, point 64); du 29 avril 2004, Commission/Portugal (C-117/02, Rec. p. I-5517, point 82); du 2 juin 2005, Commission/Italie (C-83/03, Rec. p. I-4747, point 19); du 8 septembre 2005, Commission/Espagne (C-121/03, Rec. p. I-7569, point 87); du 16 mars 2006, Commission/Espagne (C-332/04, point 76); du 28 février 2008, Abraham e.a. (C-2/07, Rec. p. I-1197, points 37 et 42), et du 25 juillet 2008, Ecologistas en Acción-CODA (C-142/07, Rec. p. I-6097, point 38).

( 5 ) Voir arrêts précités, du 16 mars 2006, Commission/Espagne (point 76), et Abraham e.a. (point 38).

( 6 ) Voir arrêt Abraham e.a. (précité, point 42).

( 7 ) Ibidem, point 43.

( 8 ) Arrêt du 10 juin 2004, Commission/Italie (C-87/02, Rec. p. I-5975, point 49).

( 9 ) La Charte a été solennellement proclamée une première fois le 7 décembre 2000 à Nice (voir JO C 364, p. 1), puis à nouveau le 12 décembre 2007 à Strasbourg (voir JO C 303, p. 1).

( 10 ) Voir arrêts du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C-540/03, Rec. p. I-5769, point 38), et du 13 mars 2007, Unibet (C-432/05, Rec. p. I-2271, point 37).

( 11 ) Voir arrêts du 24 mars 1994, Bostock (C-2/92, Rec. p. I-955, point 16); du 18 mai 2000, Rombi et Arkopharma (C-107/97, Rec. p. I-3367, point 65); du 6 novembre 2003, Lindqvist (C-101/01, Rec. p. I-12971, point 87), et Parlement/Conseil (précité, point 105). Voir, également, article 52, paragraphe 5, de la Charte des droits fondamentaux.

( 12 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 juin 2003, Commission/France (C-233/00, Rec. p. I-6625, point 109).

( 13 ) Voir, par exemple, en ce qui concerne l’expulsion des citoyens de l’Union, article 30, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77).

( 14 ) Voir, par exemple, en ce qui concerne le refus de mettre à disposition des informations en matière d’environnement, article 4, paragraphe 5, deuxième phrase, de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil (JO L 41, p. 26), ou encore en ce qui concerne l’autorisation d’un projet à la suite d’une évaluation des incidences sur l’environnement, article 9, paragraphe 1, deuxième tiret, de la directive EIE.

( 15 ) Voir arrêts du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a. (C-147/01, Rec. p. I-11365, point 103); du 7 janvier 2004, Wells (C-201/02, Rec. p. I-723, point 67); du 19 septembre 2006, i-21 Germany et Arcor (C-392/04 et C-422/04, Rec. p. I-8559, point 57), et du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C-35/05, Rec. p. I-2425, point 37).

( 16 ) Voir arrêts du 15 octobre 1987, Heylens e.a. (222/86, Rec. p. 4097, point 15), et du 15 février 2007, BVBA Management, Training en Consultancy (C-239/05, Rec. p. I-1455, point 36).

( 17 ) Arrêt précité.

( 18 ) Voir arrêt Heylens e.a. (précité) et mes conclusions du 27 janvier 2005 dans l’affaire Housieaux (arrêt du 21 avril 2005, C-186/04, Rec. p. I-3299), point 32.

( 19 ) Voir, en ce qui concerne le droit des marques, arrêt BVBA Management, Training en Consultancy (précité, point 36). Voir, également, conclusions de l’avocat général Poiares Maduro du 15 février 2007 dans l’affaire Tele2 Telecommunication (arrêt du 21 février 2008, C-426/05, Rec. p. I-685), point 49; de l’avocat général Sharpston du 6 juillet 2006 dans l’affaire BVBA Management, Training en Consultancy (précitée), point 40, et mes conclusions dans l’affaire Housieaux (précitées).

( 20 ) Voir, en ce qui concerne d’autres exigences en matière de bonne administration dans le cadre de l’application du droit communautaire par les États membres, arrêt du 21 juin 2007, Laub (C-428/05, Rec. p. I-5069, point 25), et conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer du 27 novembre 2007 dans l’affaire SECAP et Santorso (arrêt du 15 mai 2008, C-147/06 et C-148/06, Rec. p. I-3565), points 49 et suiv.

( 21 ) Voir arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C-413/06 P, Rec. p. I-4951, point 166).

( 22 ) Ibidem, points 171 et suiv.

( 23 ) Voir arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France (C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 64), et du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a. (C-341/06 P et C-342/06 P, Rec. p. I-4777, point 89).

( 24 ) Voir arrêt du 16 septembre 1999, WWF e.a. (C-435/97, Rec. p. I-5613, point 71).

( 25 ) Voir arrêts du 26 novembre 1981, Michel/Parlement (195/80, Rec. p. 2861, point 22); du 26 septembre 2002, Espagne/Commission (C-351/98, Rec. p. I-8031, point 84); du 22 janvier 2004, Mattila/Conseil et Commission (C-353/01 P, Rec. p. I-1073, point 32); du 29 avril 2004, IPK-München/Commission (C-199/01 P et C-200/01 P, Rec. p. I-4627, point 66), et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, point 463), ainsi qu’arrêts du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil (T-228/02, Rec. p. II-4665, point 139), et du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil (T-256/07, Rec. p. II-3019, point 182).

( 26 ) Voir article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure ainsi qu’arrêt du 30 septembre 1982, Amylum/Conseil (108/81, Rec. p. 3107, points 24 et suiv.), et, en ce qui concerne la procédure en manquement, mes conclusions du 29 janvier 2004 dans l’affaire Commission/Pays-Bas (arrêt du 24 juin 2004, C-350/02, Rec. p. I-6213), points 31 et suiv.

( 27 ) Toutefois, les possibilités de réparer le vice dans des conditions exceptionnelles ont été laissées ouvertes dans l’arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. p. I-6351, point 350).

( 28 ) Voir arrêt précité à la note 8.

( 29 ) Voir ci-dessus, point 15.

( 30 ) Voir, outre les arrêts précités à la note 23, Commission/Sytraval et Brink’s France, et Chronopost et La Poste/UFEX e.a., arrêts du 25 octobre 2005, Allemagne et Danemark/Commission (C-465/02 et C-466/02, Rec. p. I-9115, point 106), et Bertelsman et Sony Corporation of America/Impala (précité, point 167).

( 31 ) Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7).

( 32 ) Voir arrêts du 20 octobre 2005, Commission/Royaume-Uni (C-6/04, Rec. p. I-9017, point 79); du 10 janvier 2006, Commission/Allemagne (C-98/03, Rec. p. I-53, point 55), et du 11 janvier 2007, Commission/Irlande (C-183/05, Rec. p. I-137, point 47).

( 33 ) Voir, par exemple, en ce qui concerne les exceptions au régime de protection au regard de la chasse aux loups, arrêt du 14 juin 2007, Commission/Finlande (C-342/05, Rec. p. I-4713, points 25 et suiv.).

( 34 ) Voir arrêt du 11 janvier 2007, Commission/Irlande (précité, points 34 et suiv.).

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