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Document 62007TJ0038

Arrêt du Tribunal (première chambre) du 13 juillet 2011.
Shell Petroleum NV, Shell Nederland BV et Shell Nederland Chemie BV contre Commission européenne.
Concurrence - Ententes - Marché du caoutchouc butadiène et du caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion - Décision constatant une infraction à l’article 81 CE - Imputabilité du comportement infractionnel - Amendes - Gravité de l’infraction - Circonstances aggravantes.
Affaire T-38/07.

Recueil de jurisprudence 2011 II-04383

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2011:355

Affaire T-38/07

Shell Petroleum NV e.a.

contre

Commission européenne

« Concurrence — Ententes — Marché du caoutchouc butadiène et du caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion — Décision constatant une infraction à l’article 81 CE — Imputabilité du comportement infractionnel — Amendes — Gravité de l’infraction — Circonstances aggravantes »

Sommaire de l'arrêt

1.      Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Imputation — Société mère et filiales — Unité économique — Critères d'appréciation

(Art. 81 CE et 82 CE)

2.      Concurrence — Règles communautaires — Infractions — Imputation — Société mère et filiales — Unité économique — Critères d'appréciation

(Art. 81 CE et 82 CE)

3.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances aggravantes — Récidive — Notion

(Art. 81 CE et 82 CE; communication de la Commission 98/C 9/03, point 2)

4.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Caractère dissuasif de l'amende

(Art. 81 CE et 82 CE; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 4)

5.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Mesure de la capacité effective à causer un préjudice sur le marché affecté

(Art. 81 CE et 82 CE; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 1 à 4 et 6)

6.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Appréciation selon la nature de l'infraction — Infractions très graves

(Art. 81 CE et 82 CE; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 1 et 2)

7.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Respect du principe de proportionnalité

(Art. 81 CE et 82 CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A)

1.      En cas d'infraction aux règles de la concurrence, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction.

Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché.

(cf. points 53-54)

2.      La Commission peut présumer que, du fait de la détention directe ou indirecte de la totalité du capital de ses filiales, une société mère exerce une influence déterminante sur leur comportement. Il incombe à la société mère de renverser cette présomption en démontrant que lesdites filiales déterminent leur politique commerciale de façon autonome, de sorte à ne pas constituer, avec elle, une entité économique unique et, donc, une seule entreprise au sens de l’article 81 CE.

Plus particulièrement, il incombe à la société mère de soumettre tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre ses filiales et elle-même qu'elle considère comme étant de nature à démontrer qu’elles ne constituent pas une entité économique unique. Lors de son appréciation, le Tribunal doit en effet tenir compte de l’ensemble des éléments soumis, dont le caractère et l’importance peuvent varier selon les caractéristiques propres à chaque cas d’espèce.

À cet égard, ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés. Ainsi, l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère ne nécessite pas la preuve que la société mère influe sur la politique de sa filiale dans le domaine spécifique ayant fait l’objet de l’infraction.

En particulier, le fait que la société mère ne soit qu’une holding non opérationnelle, intervenant très peu dans la gestion de ses filiales, ne saurait suffire pour exclure qu’elle exerce une influence déterminante sur le comportement desdites filiales en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe. En effet, dans le contexte d’un groupe de sociétés, une société holding qui coordonne notamment les investissements financiers au sein du groupe a vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et a pour fonction d’en assurer l’unité de direction, notamment par le biais de ce contrôle budgétaire.

(cf. points 66-68, 70)

3.      Le point 2 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA vise, comme exemple de circonstances aggravantes, la récidive de la même ou des mêmes entreprises pour une infraction de même type. La notion de récidive, telle qu’elle est comprise dans un certain nombre d’ordres juridiques nationaux, implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires. Une éventuelle récidive figure parmi les éléments à prendre en considération lors de l’analyse de la gravité d'une infraction aux règles de concurrence.

La Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant des amendes, tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, le contexte de celle-ci et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’il soit nécessaire de se rapporter à une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte. Le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive font partie dudit pouvoir de la Commission et cette dernière ne saurait être liée par un éventuel délai de prescription pour un tel constat.

À cet égard, la répétition par une entreprise d’un comportement infractionnel, notamment peu de temps après l’adoption d'une décision antérieure elle-même adoptée moins de dix ans après une première décision, témoigne d’une propension de l'entreprise concernée à ne pas tirer les conséquences appropriées du constat à son égard d’une infraction aux règles de concurrence, de sorte que la Commission peut se fonder à bon droit sur de telles décisions antérieures aux fins de constater la récidive, et cela sans violer le principe de sécurité juridique.

De plus, les mesures adoptées par l'entreprise concernée en vue de respecter le droit de la concurrence ne sauraient affecter la réalité de l’infraction commise et la récidive constatée par la Commission. Ainsi, l’adoption d’un programme de mise en conformité par l’entreprise concernée n’oblige pas la Commission à octroyer une réduction du montant de l’amende en raison de cette circonstance. En outre, il est impossible de déterminer le degré d’efficacité des mesures internes prises par une entreprise pour prévenir la réitération d’infractions au droit de la concurrence.

Dans le même sens, la coopération de l'entreprise concernée durant la procédure administrative ne saurait non plus enlever son caractère de circonstance aggravante à sa récidive.

Enfin, s'agissant du caractère proportionné d'une majoration de l'amende pour récidive, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation dans la fixation du montant de l’amende et elle n’est pas tenue d’appliquer une formule mathématique précise. De plus, la Commission doit, en vue de déterminer le montant de l’amende, veiller au caractère dissuasif de son action. Or, la récidive est une circonstance qui justifie une augmentation considérable du montant de base de l’amende. En effet, la récidive constitue la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée n’a pas été suffisamment dissuasive. Par ailleurs, la Commission peut, en fixant un taux de majoration au titre de la récidive, prendre en considération les indices tendant à confirmer la propension de l’entreprise concernée à s’affranchir des règles de concurrence, y compris le temps qui s’est écoulé entre les infractions en cause.

(cf. points 90-93, 95-98)

4.      Lorsque la Commission inflige une amende à une entreprise pour infraction aux règles de la concurrence et fixe le montant de celle-ci en appliquant un coefficient multiplicateur différent de celui utilisé pour calculer le montant d'une amende infligée à cette même entreprise dans une autre décision, le principe d'égalité de traitement n'est pas violé dès lors que les deux décisions reposent chacune sur des situations factuelles différentes.

Le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l’article 81 CE constitue, en effet, un des moyens qui lui sont attribués en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire, mission qui comprend le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises. Il s’ensuit que, pour apprécier la gravité d’une infraction en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté. Cela exige que le montant de l’amende soit modulé afin de tenir compte de l’impact recherché sur l’entreprise à laquelle elle est infligée, et ce afin que l’amende ne soit pas rendue négligeable, ou au contraire excessive, notamment au regard de la capacité financière de l’entreprise en question, conformément aux exigences tirées, d’une part, de la nécessité d’assurer l’effectivité de l’amende et, d’autre part, du respect du principe de proportionnalité. Une entreprise de grande dimension, disposant de ressources financières considérables par rapport à celles des autres membres d’une entente, peut mobiliser plus facilement les fonds nécessaires pour le paiement de son amende, ce qui justifie, en vue d’un effet dissuasif suffisant de cette dernière, l’imposition, notamment par l’application d’un multiplicateur, d’une amende proportionnellement plus élevée que celle sanctionnant la même infraction commise par une entreprise qui ne dispose pas de telles ressources.

En outre, la prise en compte du chiffre d'affaires global de chaque entreprise faisant partie d'une entente est pertinente pour fixer le montant de l'amende. L’objectif de dissuasion que la Commission est en droit de poursuivre lors de la fixation du montant d’une amende vise à assurer le respect par les entreprises des règles de concurrence fixées par le traité pour la conduite de leurs activités au sein de la Communauté ou de l’Espace économique européen. Il s’ensuit que le facteur de dissuasion qui peut être inclus dans le calcul de l’amende est évalué en prenant en compte une multitude d’éléments, et non pas la seule situation particulière de l’entreprise concernée. Ce principe s’applique, notamment, lorsque la Commission a déterminé un multiplicateur de dissuasion dont est affectée l’amende infligée à une entreprise.

Par ailleurs, la Commission dispose, dans le domaine de la fixation du montant des amendes, d’un large pouvoir d’appréciation et elle n’est pas liée par les appréciations qu’elle a portées antérieurement. Il s’ensuit que l'entreprise concernée ne saurait invoquer la politique décisionnelle de la Commission devant le juge de l’Union.

Enfin, en tout état de cause, le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié.

(cf. points 119-122, 125-126, 129, 136)

5.      Les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA distinguent les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves (point 1 A, premier et deuxième alinéas, des lignes directrices). Par ailleurs, la différenciation effectuée entre entreprises consiste à déterminer, conformément au point 1 A, troisième, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, la contribution individuelle de chaque entreprise, en termes de capacité économique effective, au succès de l’entente en vue de son classement dans la catégorie appropriée.

La contribution individuelle de chaque entreprise, en termes de capacité économique effective, au succès de l’entente, doit être distinguée de l’impact concret de l’infraction visé au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices. Dans ce dernier cas, l’impact concret de l’infraction est pris en compte, lorsqu’il est mesurable, pour procéder à la classification de l’infraction en infraction peu grave, grave ou très grave. La contribution individuelle de chaque entreprise est prise en considération, quant à elle, pour pondérer les montants déterminés en fonction de la gravité de l’infraction.

Même en l’absence d’impact concret mesurable de l’infraction, la Commission peut décider, conformément au point 1 A, troisième, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, et après avoir qualifié l’infraction de peu grave, grave ou très grave, de procéder à une différenciation entre les entreprises concernées.

Par ailleurs, la Commission peut fixer le montant de départ de l’amende à un niveau plus élevé pour les entreprises ayant une part de marché relativement plus importante que les autres sur le marché concerné. Elle tient ainsi compte de l’influence effective que chaque entreprise exerce sur ce marché. En effet, cet élément est l’expression du niveau de responsabilité plus élevé des entreprises ayant une part de marché relativement plus importante que les autres sur le marché concerné pour les dommages causés à la concurrence et, en fin de compte, aux consommateurs en concluant une entente secrète.

(cf. points 146, 149-150, 154)

6.      Il résulte de la description des infractions très graves dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA que des accords ou des pratiques concertées visant notamment à la fixation d’objectifs de prix ou à la répartition de parts de marché peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de « très grave », sans que la Commission soit tenue de démontrer un impact concret de l’infraction sur le marché. De même, les ententes horizontales en matière de prix font partie des infractions les plus graves au droit de la concurrence et peuvent donc, à elles seules, être qualifiées de très graves.

(cf. point 166)

7.      Le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché. Dans le contexte du calcul des amendes pour infraction aux règles de concurrence, le principe de proportionnalité implique que la Commission doit fixer l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doit à ce sujet appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée.

(cf. point 175)







ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

13 juillet 2011 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché du caoutchouc butadiène et du caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Imputabilité du comportement infractionnel – Amendes – Gravité de l’infraction – Circonstances aggravantes »

Dans l’affaire T‑38/07,

Shell Petroleum NV, établie à La Haye (Pays-Bas),

Shell Nederland BV, établie à La Haye,

Shell Nederland Chemie BV, établie à Rotterdam (Pays-Bas),

représentées initialement par Mes T. Snoep et J. Brockhoff, puis par Mes Snoep et S. Chamalaun, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. M. Kellerbauer, V. Bottka et Mme J. Samnadda, puis par MM. Kellerbauer et Bottka, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande visant à l’annulation, pour ce qui concerne Shell Petroleum NV et Shell Nederland BV, de la décision C (2006) 5700 final de la Commission, du 29 novembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/F/38.638 – Caoutchouc butadiène et caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion), ou, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction de l’amende infligée à Shell Petroleum, Shell Nederland et Shell Nederland Chemie BV,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. F. Dehousse (rapporteur), faisant fonction de président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. N. Wahl, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par décision C (2006) 5700 final, du 29 novembre 2006 (Affaire COMP/F/38.638 – Caoutchouc butadiène et caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion, ci-après la « décision attaquée »), la Commission des Communautés européennes a constaté que plusieurs entreprises avaient enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en participant à une entente sur le marché des produits susmentionnés.

2        Les entreprises destinataires de la décision attaquée sont :

–        Bayer AG, établie à Leverkusen (Allemagne) ;

–        The Dow Chemical Company, établie à Midland, Michigan (États-Unis) (ci-après « Dow Chemical ») ;

–        Dow Deutschland Inc., établie à Schwalbach (Allemagne) ;

–        Dow Deutschland Anlagengesellschaft mbH (anciennement Dow Deutschland GmbH & Co. OHG), établie à Schwalbach ;

–        Dow Europe, établie à Horgen (Suisse) ;

–        Eni SpA, établie à Rome (Italie) ;

–        Polimeri Europa SpA, établie à Brindisi (Italie) (ci-après « Polimeri ») ;

–        Shell Petroleum NV, établie à La Haye (Pays-Bas) ;

–        Shell Nederland BV, établie à La Haye ;

–        Shell Nederland Chemie BV, établie à Rotterdam (Pays-Bas) ;

–        Unipetrol a.s., établie à Prague (République tchèque) ;

–        Kaučuk a.s., établie à Kralupy nad Vltavou (République tchèque) ;

–        Trade-Stomil sp. z o.o., établie à Łódź (Pologne) (ci-après « Stomil »).

3        Dow Deutschland, Dow Deutschland Anlagengesellschaft et Dow Europe sont entièrement contrôlées, directement ou indirectement, par Dow Chemical (ci-après, prises ensemble, « Dow ») (considérants 16 à 21 de la décision attaquée).

4        L’activité d’Eni pour les produits concernés était initialement assurée par EniChem Elastomeri Srl, indirectement contrôlée par Eni, par l’intermédiaire de sa filiale EniChem SpA (ci-après « EniChem SpA »). Le 1er novembre 1997, EniChem Elastomeri a été fusionnée dans EniChem SpA. ENI contrôlait 99,97 % d’EniChem SpA. Le 1er janvier 2002, EniChem SpA a transféré son activité chimique stratégique (y inclus l’activité liée au caoutchouc butadiène et au caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion) à sa filiale, détenue à 100 %, Polimeri. Eni contrôle directement et intégralement Polimeri depuis le 21 octobre 2002. À compter du 1er mai 2003, EniChem SpA a changé son nom en Syndial SpA (considérants 26 à 32 de la décision attaquée). La Commission utilise, dans la décision attaquée, la dénomination « EniChem » en référence à toute société détenue par Eni (ci-après « EniChem ») (considérant 36 de la décision attaquée).

5        Shell Nederland Chemie est une filiale de Shell Nederland, qui est elle-même entièrement contrôlée par Shell Petroleum (considérants 38 à 40 de la décision attaquée).

6        Kaučuk a été créée en 1997, à la suite de la fusion entre Kaučuk Group a.s. et Chemopetrol Group a.s. Le 21 juillet 1997, Unipetrol a acquis l’intégralité des actifs, droits et obligations des entreprises fusionnées. Unipetrol détient 100 % des parts de Kaučuk (considérants 45 et 46 de la décision attaquée). Par ailleurs, selon la décision attaquée, Tavorex s.r.o. (ci-après « Tavorex »), établie en République tchèque, représentait Kaučuk (et son prédécesseur Kaučuk Group) à l’exportation de 1991 au 28 février 2003. Toujours selon la décision attaquée, Tavorex représentait Kaučuk, depuis 1996, lors des réunions de l’Association européenne du caoutchouc synthétique (considérant 49 de la décision attaquée).

7        Stomil, selon la décision attaquée, représentait le producteur polonais Chemical Company Dwory S.A. (ci-après « Dwory ») dans ses activités à l’exportation depuis 30 ans environ, jusqu’à 2001 au moins. Toujours selon la décision attaquée, Stomil a représenté Dwory, entre 1997 et 2000, lors des réunions de l’Association européenne du caoutchouc synthétique (considérant 51 de la décision attaquée).

8        La période retenue pour la durée de l’infraction s’étend du 20 mai 1996 au 28 novembre 2002 (pour Bayer, Eni et Polimeri), du 20 mai 1996 au 31 mai 1999 (pour Shell Petroleum, Shell Nederland et Shell Nederland Chemie), du 1er juillet 1996 au 28 novembre 2002 (pour Dow Chemical), du 1er juillet 1996 au 27 novembre 2001 (pour Dow Deutschland), du 16 novembre 1999 au 28 novembre 2002 (pour Unipetrol et Kaučuk), du 16 novembre 1999 au 22 février 2000 (pour Stomil), du 22 février 2001 au 28 février 2002 (pour Dow Deutschland Anlagengesellschaft) et du 26 novembre 2001 au 28 novembre 2002 (pour Dow Europe) (considérants 476 à 485 et article 1er du dispositif de la décision attaquée).

9        Le caoutchouc butadiène (ci-après le « CB ») et le caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion (ci-après le « CSB ») sont des caoutchoucs synthétiques essentiellement utilisés dans la production de pneumatiques. Ces deux produits sont substituables entre eux et aussi avec d’autres caoutchoucs synthétiques ainsi qu’avec le caoutchouc naturel (considérants 3 à 6 de la décision attaquée).

10      En plus des producteurs visés par la décision attaquée, d’autres producteurs situés en Asie et en Europe de l’Est ont vendu des quantités limitées de CB et de CSB sur le territoire de l’EEE. Par ailleurs, une partie importante du CB est produite directement par les grands fabricants de pneumatiques (considérant 54 de la décision attaquée).

11      Le 20 décembre 2002, Bayer a pris contact avec les services de la Commission et a exprimé son souhait de coopérer au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération »), s’agissant du CB et du CSB. Pour ce qui est du CSB, Bayer a fourni une déclaration orale décrivant les activités de l’entente. Cette déclaration orale a été enregistrée sur cassette (considérant 67 de la décision attaquée).

12      Le 14 janvier 2003, Bayer a fourni une déclaration orale décrivant les activités de l’entente pour ce qui est du CB. Cette déclaration orale a été enregistrée sur cassette. Bayer a également fourni des procès-verbaux de réunions du comité CB de l’Association européenne du caoutchouc synthétique (considérant 68 de la décision attaquée).

13      Le 5 février 2003, la Commission a notifié à Bayer sa décision de lui accorder une immunité conditionnelle d’amende (considérant 69 de la décision attaquée).

14      Le 27 mars 2003, la Commission a entrepris une visite de vérification, au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), dans les locaux de Dow Deutschland & Co. (considérant 70 de la décision attaquée).

15      Entre le mois de septembre 2003 et le mois de juillet 2006, la Commission a adressé aux entreprises visées par la décision attaquée plusieurs demandes d’information au titre de l’article 11 du règlement n° 17 et de l’article 18 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1) (considérant 71 de la décision attaquée).

16      Le 16 octobre 2003, Dow Deutschland et Dow Deutschland & Co. ont rencontré les services de la Commission et ont exprimé leur souhait de coopérer au titre de la communication sur la coopération. Lors de cette réunion, une présentation orale des activités de l’entente pour le CB et le CSB a été fournie. Cette présentation orale a été enregistrée. Un dossier contenant des documents relatifs à l’entente a également été remis (considérant 72 de la décision attaquée).

17      Le 4 mars 2005, Dow Deutschland a été informée de l’intention de la Commission de lui accorder une réduction d’amende se situant entre 30 et 50 % (considérant 73 de la décision attaquée).

18      Le 7 juin 2005, la Commission a ouvert la procédure et a adressé une première communication des griefs aux entreprises destinataires de la décision attaquée – à l’exception d’Unipetrol – ainsi qu’à Dwory. La première communication des griefs a également été adoptée à l’encontre de Tavorex, mais ne lui a pas été notifiée, dans la mesure où Tavorex était en faillite depuis le mois d’octobre 2004. La procédure la concernant a donc été clôturée (considérants 49 et 74 de la décision attaquée).

19      Les entreprises concernées ont déposé des observations écrites relatives à cette première communication des griefs (considérant 75 de la décision attaquée). Elles ont également eu accès au dossier, sous forme d’un CD-ROM, et aux déclarations orales et aux documents y afférents dans les locaux de la Commission (considérant 76 de la décision attaquée).

20      Le 3 novembre 2005, la Manufacture française des pneumatiques Michelin (ci-après « Michelin ») a demandé à intervenir. Elle a fourni des commentaires écrits le 13 janvier 2006 (considérant 78 de la décision attaquée).

21      Le 6 avril 2006, la Commission a adopté une seconde communication des griefs adressée aux entreprises destinataires de la décision attaquée. Les entreprises concernées ont déposé des observations écrites à cet égard (considérant 84 de la décision attaquée).

22      Le 12 mai 2006, Michelin a déposé plainte au titre de l’article 5 du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18) (considérant 85 de la décision attaquée).

23      Le 22 juin 2006, les entreprises destinataires de la décision attaquée, à l’exception de Stomil, ainsi que Michelin ont pris part à l’audition devant la Commission (considérant 86 de la décision attaquée).

24      En l’absence d’éléments de preuve suffisants de la participation de Dwory à l’entente, la Commission a décidé de clôturer la procédure à son égard (considérant 88 de la décision attaquée). La Commission a également décidé de clôturer la procédure à l’égard de Syndial (considérant 89 de la décision attaquée).

25      Par ailleurs, alors que deux numéros d’affaires distincts (un pour le CB et un pour le CSB) avaient été initialement utilisés (COMP/E-1/38.637 et COMP/E-1/38.638), la Commission a utilisé, après la première communication des griefs, un numéro unique (COMP/F/38.638) (considérants 90 et 91 de la décision attaquée).

26      La procédure administrative a abouti à l’adoption par la Commission, le 29 novembre 2006, de la décision attaquée.

27      Aux termes de l’article 1er du dispositif de la décision attaquée, les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 CE et l’article 53 EEE, en participant, pendant les périodes indiquées, à un accord unique et continu dans le cadre duquel elles sont convenues de fixer des objectifs de prix, de partager des clients par des accords de non-agression et d’échanger des informations sensibles relatives aux prix, aux concurrents et aux clients dans les secteurs du CB et du CSB :

a)      Bayer, du 20 mai 1996 au 28 novembre 2002 ;

b)       Dow Chemical, du 1er juillet 1996 au 28 novembre 2002 ; Dow Deutschland, du 1er juillet 1996 au 27 novembre 2001 ; Dow Deutschland Anlagengesellschaft, du 22 février 2001 au 28 février 2002 ; Dow Europe, du 26 novembre 2001 au 28 novembre 2002 ;

c)       Eni, du 20 mai 1996 au 28 novembre 2002 ; Polimeri, du 20 mai 1996 au 28 novembre 2002 ;

d)       Shell Petroleum, du 20 mai 1996 au 31 mai 1999 ; Shell Nederland, du 20 mai 1996 au 31 mai 1999 ; Shell Nederland Chemie, du 20 mai 1996 au 31 mai 1999 ;

e)       Unipetrol, du 16 novembre 1999 au 28 novembre 2002 ; Kaučuk, du 16 novembre 1999 au 28 novembre 2002 ;

f)       Stomil, du 16 novembre 1999 au 22 février 2000.

28      Sur la base des constatations factuelles et des appréciations juridiques effectuées dans la décision attaquée, la Commission a imposé aux entreprises concernées des amendes dont le montant a été calculé suivant la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») ainsi que dans la communication sur la coopération.

29      L’article 2 du dispositif de la décision attaquée inflige les amendes suivantes :

a)       Bayer : 0 euro ;

b)       Dow Chemical : 64,575 millions d’euros, dont :

i)      60,27 millions d’euros solidairement avec Dow Deutschland ;

ii)      47,355 millions d’euros solidairement avec Dow Deutschland Anlagengesellschaft et Dow Europe ;

c)       Eni et Polimeri, solidairement : 272,25 millions d’euros ;

d)      Shell Petroleum, Shell Nederland et Shell Nederland Chemie, solidairement : 160,875 millions d’euros ;

e)      Unipetrol et Kaučuk, solidairement : 17,55 millions d’euros ;

f)      Stomil : 3,8 millions d’euros.

30      L’article 3 du dispositif de la décision attaquée ordonne aux entreprises énumérées à l’article 1er de mettre immédiatement fin, si elles ne l’ont pas déjà fait, aux infractions visées à ce même article et de s’abstenir désormais de tout acte ou comportement décrit à l’article 1er ainsi que de toute mesure ayant un objet ou un effet équivalent.

 Procédure et conclusions des parties

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 février 2007, Shell Petroleum, Shell Nederland et Shell Nederland Chemie (ci-après, prises ensemble, « Shell ») ont introduit le présent recours.

32      Par décision du président du Tribunal du 2 avril 2009, M. N. Wahl a été désigné pour compléter la chambre à la suite de l’empêchement d’un de ses membres.

33      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

34      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 12 octobre 2009.

35      Shell Petroleum conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler intégralement la décision attaquée en ce qu’elle lui est adressée ;

–        à titre subsidiaire :

–        annuler l’article 2, sous d), de la décision attaquée,

–        ou réduire le montant de l’amende en ce qu’il est inapproprié ;

–        condamner la Commission aux dépens.

36      Shell Nederland conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler intégralement la décision attaquée en ce qu’elle lui est adressée ;

–        à titre subsidiaire :

–        annuler l’article 2, sous d), de la décision attaquée,

–        ou réduire le montant de l’amende en ce qu’il est inapproprié ;

–        condamner la Commission aux dépens.

37      Shell Nederland Chemie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 2, sous d), de la décision attaquée ou réduire le montant de l’amende en ce qu’il est inapproprié ;

–        condamner la Commission aux dépens.

38      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

39      Shell invoque quatre moyens au soutien de ses conclusions. Par son premier moyen, Shell conteste le fait que la Commission a imputé l’infraction à Shell Petroleum et à Shell Nederland. Par son deuxième moyen, Shell conteste la majoration de 50 % du montant de base de l’amende, appliquée pour récidive. Par son troisième moyen, Shell considère que la Commission a commis une erreur dans l’application d’un coefficient multiplicateur à finalité dissuasive. Par son quatrième moyen, Shell soutient que la Commission a commis une erreur dans la fixation du montant de départ de l’amende.

40      À titre liminaire, Shell relève que, dans ses écritures, la Commission indique qu’elle ne conteste aucun des faits exposés dans la décision attaquée, notamment son degré d’implication dans l’entente. De même, renvoyant à la décision attaquée et aux déclarations de Bayer, la Commission indiquerait que Shell a joué un rôle prédominant dans les discussions visant à fixer les prix à la fois du CS et du CSB. Ces allégations laisseraient entendre que Shell admettrait avoir joué un rôle prédominant dans l’infraction. Or, tel ne serait pas le cas, même si Shell reconnaît que Shell Nederland Chemie a violé l’article 81 CE. Shell aurait notamment contesté les affirmations de Bayer durant la procédure administrative. Par ailleurs, la Commission ne tirerait aucune conclusion en droit des affirmations de Bayer.

1.     Sur les conclusions tendant à l’annulation partielle de la décision attaquée

 Sur le premier moyen, tiré de l’imputation illégale de l’infraction à Shell Petroleum et à Shell Nederland

41      Shell considère que la Commission a enfreint l’article 81 CE, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 en imputant l’infraction à Shell Petroleum et à Shell Nederland.

42      Le premier moyen de Shell se décompose en trois branches. Dans le cadre de la première branche, Shell considère que la Commission a appliqué un critère erroné d’appréciation de la responsabilité d’une société mère. Dans le cadre de la deuxième branche, Shell soutient que, en tout état de cause, Shell Petroleum et Shell Nederland ont réfuté la présomption qui existait à leur encontre. Dans le cadre de la troisième branche, Shell tire les conséquences de l’erreur qu’aurait commise la Commission.

 Sur la première branche, tirée de l’application erronée des conditions d’imputabilité de l’infraction

–       Arguments des parties

43      Shell soutient que l’imputation de la responsabilité de l’infraction à Shell Nederland et à Shell Petroleum méconnaît le fait que Shell Nederland Chemie (qui a participé directement à l’infraction) possède une personnalité juridique propre.

44      Suivant l’arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission (T‑31/99, Rec. p. II‑1881, point 60), la Commission devrait répondre à deux questions. Tout d’abord, quelle entreprise, au sens de l’article 81 CE, a commis l’infraction ? Ensuite, quelle personne physique ou morale est destinataire de la décision et peut se voir imputer l’infraction ? La notion d’unité économique serait pertinente pour la première question. Elle ne le serait pas pour la seconde. Si la notion d’entreprise devait être décisive pour imputer une responsabilité, une infraction commise par une société appartenant à un groupe serait toujours et automatiquement imputée à la société mère située la plus en amont dans l’organigramme du groupe.

45      Selon Shell, les agissements des filiales ne peuvent être rattachés à la société mère qu’en présence de « certaines circonstances » (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, Rec. p. 619, point 135). Cela signifierait que la société mère doit avoir effectivement fait usage de son influence décisive sur la filiale en ce qui concerne le comportement de cette dernière (arrêts de la Cour Imperial Chemical Industries/Commission, précité, point 137 ; du 14 juillet 1972, Geigy/Commission, 52/69, Rec. p. 787, point 45, et du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 16). L’arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission (107/82, Rec. p. 3151, point 50) ne témoignerait pas d’une approche différente à cet égard. La Cour aurait constaté, dans cette affaire, l’existence de « certaines circonstances » permettant d’imputer la responsabilité de l’infraction à la société mère. Par ailleurs, au point 29 de l’arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, ci-après l’« arrêt Stora »), la Cour aurait considéré que le Tribunal pouvait légitimement supposer que la société mère exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, « particulièrement après » avoir constaté que, lors de la procédure administrative, la société mère s’était elle-même présentée comme étant le seul interlocuteur de la Commission. Shell en conclut qu’il n’existe pas de présomption selon laquelle une société mère exerce une influence déterminante sur sa filiale, en l’absence d’autres éléments de preuve.

46      Pour Shell, une infraction commise par une filiale détenue à 100 % ne peut être imputée à une société mère qu’en cas d’existence de circonstances spécifiques démontrant que ladite société mère a réellement exercé son influence sur le comportement de la filiale. Il appartiendrait à la Commission de démontrer cette circonstance et de fournir les preuves pertinentes en ce sens. Shell ajoute que l’arrêt du Tribunal du 26 avril 2007, Bolloré e.a./Commission (T‑109/02, T‑118/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02, T‑132/02 et T‑136/02, Rec. p. II‑947), confirme que la détention à 100 % du capital d’une filiale par la société mère n’entraîne pas automatiquement le renversement de la charge de la preuve, mais que l’imputation à la société mère du comportement d’une filiale détenue à 100 % ne se justifie que si certaines circonstances établissent que ladite société mère a effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

47      En imputant l’infraction à Shell Petroleum et à Shell Nederland sur le seul fondement de la présomption que, en raison de leur participation directe ou indirecte à 100 % dans Shell Nederland Chemie, elles exerçaient une influence déterminante sur le comportement de cette dernière, sans se fonder sur des éléments de fait de nature à établir ladite influence, la Commission aurait violé les principes établis par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal.

48      La Commission conclut au rejet de la première branche du premier moyen. Elle considère, en substance, que, lorsqu’une société mère détient 100 % du capital d’une filiale, il existe une présomption que la société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

–       Appréciation du Tribunal

49      La Commission indique, dans la décision attaquée, qu’une société mère peut être considérée comme responsable du comportement illégal d’une filiale dès lors que cette dernière ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché. La Commission se réfère, à cet égard, notamment, au concept d’entreprise en droit de la concurrence (considérants 333 et 334 de la décision attaquée). La Commission indique, par ailleurs, qu’elle peut présumer qu’une filiale détenue à 100 % applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par sa société mère, sans devoir vérifier si la société mère a effectivement exercé ce pouvoir. Il reviendrait à la société mère ou à la filiale de renverser cette présomption en fournissant des éléments de preuve établissant que la filiale a déterminé de façon autonome son comportement sur le marché au lieu d’appliquer les instructions de sa société mère, de sorte qu’elles échappaient à l’application du concept d’entreprise (considérant 335 de la décision attaquée).

50      Ensuite, la Commission retient que Shell Nederland Chemie est responsable pour sa participation directe à l’infraction. Elle précise que, pendant la durée de l’infraction, Shell Nederland Chemie était détenue à 100 % par Shell Nederland, elle-même détenue à 100 % par Shell Petroleum. Il pourrait dès lors être présumé que la société mère a exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Cette présomption serait renforcée, en l’espèce, par les liens unissant ces trois sociétés susmentionnées. La Commission en conclut que la décision attaquée doit être adressée à Shell Nederland Chemie, Shell Nederland et Shell Petroleum, lesquelles doivent être tenues solidairement responsables de l’infraction (considérants 402 à 412 de la décision attaquée).

51      La première branche du premier moyen soulevé par Shell repose, en substance, sur le postulat juridique selon lequel il n’existerait pas de présomption qu’une société mère détenant 100 % du capital de sa filiale exerce une influence déterminante sur son comportement.

52      Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le droit communautaire de la concurrence vise les activités des entreprises et que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. La Cour a également précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. L’infraction au droit communautaire de la concurrence doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et la communication des griefs doit être adressée à cette dernière. Il importe également que la communication des griefs indique en quelle qualité une personne juridique se voit reprocher les faits allégués (voir arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, points 54 à 57, et la jurisprudence citée).

53      Par ailleurs, il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. En effet, il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens de la jurisprudence mentionnée précédemment. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 52 supra, points 58 et 59, et la jurisprudence citée).

54      Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles communautaires de la concurrence, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché. S’il est vrai que la Cour a évoqué, aux points 28 et 29 de l’arrêt Stora, point 45 supra, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d’autres circonstances, telles que l’absence de contestation de l’influence exercée par la société mère sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés durant la procédure administrative, il n’en demeure pas moins que de telles circonstances n’ont été relevées par la Cour que dans le but d’exposer l’ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement et non pas pour subordonner la mise en œuvre de la présomption mentionnée précédemment à la production d’indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une influence de la société mère (voir arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 52 supra, points 60 à 62, et la jurisprudence citée).

55      Il en découle que, contrairement à ce que soutient Shell, il existe une présomption réfragable selon laquelle une société mère détenant 100 % du capital de sa filiale exerce une influence déterminante sur son comportement. Le postulat juridique de Shell est donc erroné.

56      Au vu de ces éléments, la première branche du premier moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la deuxième branche, tirée des réfutations de présomption avancées par Shell Petroleum et Shell Nederland

–       Arguments des parties

57      Même si le Tribunal devait considérer que la Commission était fondée à imputer l’infraction à Shell Nederland et à Shell Petroleum sur la base de la présomption dont l’existence a été contestée dans le cadre de la première branche du présent moyen, Shell estime que cette présomption a été réfutée. L’arrêt AEG-Telefunken/Commission, point 45 supra, confirmerait que les critères décisifs pour imputer la responsabilité du comportement infractionnel d’une filiale à une société mère sont la détention du capital, le fait de donner des instructions et la conscience de l’infraction.

58      Renvoyant aux réponses à la première et à la seconde communication des griefs, qu’elle a jointes en annexe, Shell soutient que, durant la période concernée par l’infraction, ni Shell Nederland ni Shell Petroleum n’ont exercé, dans les faits, une influence décisive sur le comportement de Shell Nederland Chemie.

59      S’agissant de Shell Nederland, elle serait une société sous holding qui, à l’époque de l’infraction, détenait des actions dans plus de 20 filiales. Elle n’aurait pas été en mesure, matériellement, d’exercer une influence déterminante sur les opérations commerciales de toutes ces filiales.

60      S’agissant de Shell Petroleum, elle aurait été, au moment de l’infraction, l’une des deux principales sociétés holding du groupe, détenant, directement ou indirectement, une participation de 95 % ou plus dans plus de 500 sociétés sous holding. Shell fournit, à cet égard, une liste des 283 participations directes détenues par Shell Petroleum au 31 décembre 1996. Le rôle de Shell Petroleum à l’égard de ses filiales se serait limité à fixer des objectifs financiers, à créer des synergies en termes de coûts entre les différentes activités et à tracer une stratégie globale et générale. Shell fournit, à cet égard, un guide de référence de la structure organisationnelle du groupe qui précise, notamment, que « «[l]es sociétés holding du groupe s’occupent principalement des questions de financement global et de celles liées à l’exercice des droits des actionnaires » et « encaissent des dividendes […], mais ne sont pas elles-mêmes engagées dans une quelconque activité opérationnelle ». Aucune responsabilité ne pourrait donc être imputée à la société mère, alors que cette dernière ne faisait qu’arrêter les grandes lignes de la stratégie générale du groupe, sans exercer d’influence déterminante sur les activités de la filiale présente sur le marché où l’infraction a été commise.

61      Selon Shell, à l’époque de l’infraction, les sociétés opérationnelles appartenant au domaine des activités chimiques, dont Shell Nederland Chemie, opéraient de manière essentiellement autonome, tout en recevant le soutien des sociétés de services relevant de ce même domaine d’activités (en l’occurrence Shell Chemicals Europe Ltd et Shell Chemicals Ltd). Dans ce contexte, les rôles de Shell Nederland et de Shell Petroleum auraient été très limités.

62      Le rôle limité de Shell Nederland et de Shell Petroleum à l’égard de Shell Nederland Chemie se refléterait également dans les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration de ces deux sociétés qui se sont tenues durant la période couverte par l’infraction. Shell a produit ces procès-verbaux devant le Tribunal. Les activités relatives au CS et au CSB seraient mentionnées de façon très brève. Shell ajoute qu’elle est recevable à produire ces procès-verbaux devant le Tribunal, dans la mesure où ils ne viennent qu’étayer les arguments déjà avancés durant la procédure administrative. Par ailleurs, le fait que la question de la cession des activités relatives au CS et au CSB ait été débattue par le conseil d’administration de Shell Nederland ne saurait en aucun cas constituer une preuve que cette société – et encore moins Shell Petroleum – était impliquée dans la conduite opérationnelle des entreprises concernées, notamment Shell Nederland Chemie.

63      Shell ajoute que l’arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission (T‑11/89, Rec. p. II‑757, point 312), visé par la Commission dans ses écritures, concernait Shell International Chemical Company Ltd, c’est-à-dire l’une des sociétés de services qui assistait les sociétés opérationnelles du groupe, et non, comme en l’espèce, une simple société holding qui n’exerçait aucune influence sur le comportement commercial de la société opérationnelle impliquée dans l’infraction.

64      Enfin, le dossier de la Commission ne contiendrait aucun élément de preuve dont il ressortirait que, à l’exception des deux employés de Shell Nederland Chemie impliqués dans l’infraction, un membre du personnel du groupe Shell, et encore moins des sociétés Shell Nederland et Shell Petroleum, était impliqué dans l’infraction, voire était informé de celle-ci. Si une personne au sein de Shell Petroleum ou de Shell Nederland avait été informée de l’infraction, elle aurait immédiatement agi en conséquence. Shell ajoute qu’il est incontestable que Shell Petroleum et Shell Nederland auraient été en position d’exercer une influence déterminante sur Shell Nederland Chemie pour faire cesser l’infraction si elles en avaient eu connaissance. Cela ne signifierait toutefois pas qu’elles ont effectivement influé sur le comportement de Shell Nederland Chemie sur le marché concerné au cours de la période de l’infraction.

65      La Commission conclut au rejet de la deuxième branche du premier moyen. Elle considère, en substance, que les éléments avancés par Shell ne sont pas suffisants pour renverser la présomption qui existe en l’espèce.

–       Appréciation du Tribunal

66      Pour les raisons exposées dans le cadre de la première branche du premier moyen, la Commission pouvait présumer que, du fait de la détention directe ou indirecte de la totalité du capital de ses filiales, Shell Petroleum exerçait une influence déterminante sur leur comportement.

67      Il incombait dès lors à Shell de renverser cette présomption en démontrant que lesdites filiales déterminaient leur politique commerciale de façon autonome, de sorte à ne pas constituer, avec elle, une entité économique unique et, donc, une seule entreprise au sens de l’article 81 CE.

68      Plus particulièrement, il incombait à Shell de soumettre tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre ses filiales et elle-même qu’elle considérait comme étant de nature à démontrer qu’elles ne constituaient pas une entité économique unique. Lors de son appréciation, le Tribunal doit en effet tenir compte de l’ensemble des éléments soumis, dont le caractère et l’importance peuvent varier selon les caractéristiques propres à chaque cas d’espèce (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, point 65).

69      Il y a lieu de constater, à cet égard, que les éléments avancés par Shell visent essentiellement à soutenir que, compte tenu du rôle assigné aux sociétés Shell Nederland et Shell Petroleum, celles-ci n’auraient pas pu exercer d’influence déterminante sur les opérations commerciales de Shell Nederland Chemie, en particulier sur le marché où l’infraction a été commise. Plus spécifiquement, aucun des employés de Shell Nederland et de Shell Petroleum n’aurait été impliqué dans l’infraction, ni même n’en aurait eu connaissance.

70      Or, ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens susmentionné, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés. Ainsi, l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère ne nécessite pas la preuve que la société mère influe sur la politique de sa filiale dans le domaine spécifique ayant fait l’objet de l’infraction (arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 68 supra, points 58 et 83). En particulier, le fait que Shell Petroleum ne soit qu’une holding non opérationnelle, intervenant très peu dans la gestion de ses filiales, ne saurait suffire pour exclure qu’elle exerce une influence déterminante sur le comportement desdites filiales en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe. En effet, dans le contexte d’un groupe de sociétés, une société holding qui coordonne notamment les investissements financiers au sein du groupe a vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et a pour fonction d’en assurer l’unité de direction, notamment par le biais de ce contrôle budgétaire (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Arkema/Commission, T‑168/05, non publié au Recueil, point 76).

71      À titre surabondant, il convient de relever que la Commission retient, dans la décision attaquée, que la présomption pesant sur les sociétés mères est renforcée en l’espèce par les liens unissant Shell Nederland Chemie et, respectivement, Shell Nederland et Shell Petroleum. En particulier, la Commission relève que certains employés de Shell Nederland Chemie rendaient compte à d’autres employés de Shell Nederland et de Shell Petroleum. Shell n’a pas contesté ces éléments devant le Tribunal.

72      Enfin, l’affirmation de Shell selon laquelle, si une personne au sein de Shell Petroleum ou de Shell Nederland avait été informée de l’infraction, elle aurait immédiatement agi en conséquence, n’est pas de nature à démontrer l’autonomie de Shell Nederland Chemie. Au contraire, cette affirmation est de nature à étayer la présomption selon laquelle les sociétés mères exerçaient, en l’espèce, une influence déterminante sur le comportement de leurs filiales.

73      Il résulte de ces éléments que les arguments de Shell ne sont pas susceptibles de remettre en cause le fait que Shell Petroleum et ses filiales pouvaient être considérées comme une seule entité économique. Par conséquent, la deuxième branche du premier moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la troisième branche, relative aux conséquences de l’erreur commise par la Commission

–       Arguments des parties

74      Shell souligne que l’annulation de la décision attaquée, en ce qu’elle est adressée à Shell Nederland ou à Shell Petroleum, aurait une incidence sur le montant de l’amende.

75      Si le Tribunal devait annuler la décision attaquée, en ce qu’elle est adressée à Shell Nederland et à Shell Petroleum, ou à Shell Petroleum seulement, lesdites annulations auraient une incidence sur l’application, par la Commission, d’un coefficient multiplicateur dissuasif (fondé dans la décision attaquée sur le chiffre d’affaires de Shell Petroleum) et d’une majoration pour récidive. En conséquence, l’amende devrait être réduite à l’égard de Shell Nederland Chemie, ou de Shell Nederland Chemie et de Shell Nederland, suivant les cas.

76      Par ailleurs, si le Tribunal devait annuler la décision attaquée, en ce qu’elle est adressée à Shell Nederland et à Shell Petroleum, le montant de l’amende à infliger à Shell Nederland Chemie ne pourrait excéder 10 % de son chiffre d’affaires réalisé lors de l’exercice social précédant l’adoption de la décision attaquée.

77      La Commission conclut au rejet de la troisième branche du premier moyen. Compte tenu des arguments développés dans le cadre des première et deuxième branches, elle considère qu’elle n’a pas commis d’erreur en imputant l’infraction à Shell Nederland et à Shell Petroleum et en déterminant, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, le montant de l’amende sur la base du chiffre d’affaires de l’entreprise à laquelle était imputée l’infraction.

–       Appréciation du Tribunal

78      La troisième branche du premier moyen soulevé par Shell repose sur l’hypothèse selon laquelle le Tribunal accueillerait la première ou la deuxième branche du même moyen.

79      Dès lors que les première et deuxième branches du premier moyen soulevé par Shell ont été rejetées comme étant non fondées, il y a lieu de rejeter, comme non fondée, la troisième branche du même moyen.

80      Partant, il y a lieu de rejeter dans son ensemble le premier moyen soulevé par Shell.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la majoration injustifiée du montant de base de l’amende pour récidive

81      Shell considère que la Commission a enfreint l’article 81 CE et l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003 en majorant de 50 %, pour récidive, le montant de base de l’amende qui lui a été infligée.

82      Le deuxième moyen de Shell se décompose en deux branches. Dans le cadre de la première branche, Shell considère que la Commission a violé les principes de sécurité juridique et de proportionnalité. Dans le cadre de la seconde branche, Shell fait valoir que la Commission a manqué à l’obligation de motivation qui lui incombe au titre de l’article 253 CE.

 Sur la première branche, tirée de la violation des principes de sécurité juridique et de proportionnalité

–       Arguments des parties

83      Shell reconnaît que ni l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 ni les lignes directrices ne prévoient un délai maximal permettant à la Commission de constater qu’une entreprise a récidivé. Toutefois, renvoyant à l’arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission (C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331), et aux conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous cet arrêt (Rec. p. I‑1337), Shell soutient que la Commission aurait dû prendre en compte tous les éléments pertinents du cas d’espèce.

84      À cet égard, premièrement, Shell souligne que les infractions retenues dans la décision 86/398/CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.149 – Polypropylène) (JO L 230, p. 1, ci-après la « décision Polypropylène ») et la décision 94/599/CE de la Commission, du 27 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.865 – PVC) (JO L 239, p. 14, ci-après la « décision PVC II »), visées par la Commission pour fonder son analyse relative à la récidive, ont été commises il y a plus de 20 ans et ont cessé à la fin de l’année 1983. Par ailleurs, les deux décisions initiales de la Commission dans ces deux affaires remonteraient à la seconde moitié des années 80.

85      Deuxièmement, Shell aurait démontré à la Commission qu’elle avait modifié son comportement à la suite des infractions ayant donné lieu aux décisions Polypropylène et PVC II. En particulier, Shell aurait instauré en 1992 un programme visant au respect des règles interdisant les ententes. Shell renvoie, à cet égard, à plusieurs documents fournis à la Commission durant la procédure administrative, qui décrivent la structure, l’organisation et le contenu du programme mis en place. Shell ne tolérerait pas les infractions aux règles de concurrence commises par ses employés et prendrait de sérieuses mesures disciplinaires en cas de survenance de telles infractions. L’établissement d’un programme de déontologie à la suite des infractions précédentes et la mise en œuvre stricte dudit programme feraient clairement apparaître que Shell n’a pas ignoré les amendes qui lui avaient été infligées antérieurement, mais, au contraire, qu’elle a déployé tous les efforts possibles pour éviter la survenance dans le futur de pareilles infractions. Elle souligne que la présente infraction est imputable à des comportements malveillants de la part de deux employés qui ont agi de manière autonome, lesquels, de surcroît, auraient suivi une formation relative au respect des règles de concurrence. Shell souligne, à cet égard, qu’il existe une différence entre la responsabilité d’une entreprise dans le cadre d’une infraction – ce que Shell ne conteste nullement s’agissant de Shell Nederland Chemie – et la majoration de l’amende pour récidive. La mise en place, notamment, de programmes visant au respect des règles de concurrence ne reviendrait pas, comme le soutiendrait la Commission, à affranchir les sociétés mères de leur responsabilité.

86      Troisièmement, l’engagement sincère de Shell de se conformer à la réglementation sur la concurrence serait également illustré par le fait qu’elle n’a cessé de collaborer avec la Commission tout au long de l’enquête. Shell serait allée au-delà du devoir de coopération qui est normalement exigé dans ce type de procédure. En particulier, bien qu’elle ait vendu ses activités relatives au CB et au CSB à Dow Chemical en 1999, que l’un des employés concernés ait pris sa retraite en 1997 et que l’autre ait quitté momentanément l’entreprise, Shell aurait mené des enquêtes approfondies pour apporter de nombreux éléments à la Commission. Celle-ci aurait d’ailleurs fait un usage abondant de la réponse de Shell à la première communication des griefs, en particulier pour étayer son dossier dans le cadre de la seconde communication des griefs. Dans la décision attaquée, elle retiendrait également de longs passages des déclarations effectuées par Shell à titre d’éléments de preuve de l’infraction. Shell aurait collaboré la plupart du temps à un moment où « l’introduction d’une demande de clémence ne lui [permettait] pas de se prévaloir d’une attente légitime quant aux conséquences de son admission des faits » (considérant 318 de la décision attaquée). Shell ajoute que, dans ses écritures, la Commission tente de minimiser sa coopération au cours de la procédure administrative. Toutefois, compte tenu du contexte de l’affaire, de la cession des activités relatives au CB et au CSB à Dow Chemical en 1999 et de la découverte tardive de l’infraction en interne, Shell considère qu’elle a offert une pleine coopération à la Commission. De même, après réception de la première communication des griefs, Shell aurait reconnu l’infraction commise par Shell Nederland Chemie. En outre, Shell tient à souligner que la question de la prise en compte de sa coopération dans le cadre de la majoration pour récidive est distincte de celle relative à l’application de la communication sur la coopération.

87      La réunion exceptionnelle des circonstances de l’espèce, qui la distinguerait notamment de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Groupe Danone/Commission, point 83 supra, aurait dû conduire la Commission à conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments confirmant la tendance de Shell à s’affranchir des règles de concurrence.

88      Pour l’ensemble de ces raisons, Shell considère qu’une majoration de 50 % du montant de base de l’amende, pour récidive, doit être considérée comme étant disproportionnée et contraire au principe de sécurité juridique. En conséquence, la décision attaquée devrait être annulée à cet égard ou, à titre subsidiaire, le montant de l’amende à infliger à Shell devrait être réduit.

89      La Commission conclut au rejet de la première branche du deuxième moyen. Elle considère, en substance, que les éléments de la présente affaire justifiaient l’application d’une majoration de 50 % du montant de base de l’amende pour récidive.

–       Appréciation du Tribunal

90      Le point 2 des lignes directrices vise, comme exemple de circonstances aggravantes, la « récidive de la même ou des mêmes entreprises pour une infraction de même type ».

91      La notion de récidive, telle qu’elle est comprise dans un certain nombre d’ordres juridiques nationaux, implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires (arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 617, et du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 284).

92      Une éventuelle récidive figure parmi les éléments à prendre en considération lors de l’analyse de la gravité de l’infraction en cause (arrêts de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 91, et Groupe Danone/Commission, point 83 supra, point 26).

93      La Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le choix des éléments à prendre en considération aux fins de la détermination du montant des amendes, tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, le contexte de celle-ci et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’il soit nécessaire de se rapporter à une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte. Le constat et l’appréciation des caractéristiques spécifiques d’une récidive font partie dudit pouvoir de la Commission et cette dernière ne saurait être liée par un éventuel délai de prescription pour un tel constat (arrêt Groupe Danone/Commission, point 83 supra, points 37 et 38).

94      En l’espèce, la Commission relève, dans la décision attaquée, que Shell a déjà été destinataire de décisions de la Commission en matière d’entente (voir décisions Polypropylène et PVC II, point 84 ci-dessus). Cela prouverait que les premières amendes n’ont pas été suffisantes pour que Shell modifie son comportement. La Commission en conclut que cette récidive constitue une circonstance aggravante justifiant une augmentation de 50 % du montant de base de l’amende de Shell (considérant 487 de la décision attaquée).

95      Premièrement, il y a lieu de relever que l’infraction constatée dans la décision attaquée a débuté un peu plus de dix ans après l’adoption de la décision Polypropylène et moins de deux ans après l’adoption de la décision PVC II. La répétition par Shell d’un comportement infractionnel, notamment peu de temps après l’adoption de la décision PVC II, cette dernière décision ayant elle-même été adoptée moins de dix ans après la décision Polypropylène, témoigne d’une propension de Shell à ne pas tirer les conséquences appropriées du constat à son égard d’une infraction aux règles communautaires de concurrence (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 355, et du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec. p. II‑881, point 464). Dès lors, la Commission pouvait se fonder à bon droit sur les décisions Polypropylène et PVC II aux fins de constater la récidive de Shell dans le cadre de la présente affaire, et cela sans violer le principe de sécurité juridique invoqué par Shell.

96      Deuxièmement, s’agissant des mesures adoptées par Shell en vue de respecter le droit de la concurrence, elles ne sauraient affecter la réalité de l’infraction commise et la récidive constatée en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949, point 52). Ainsi, l’adoption d’un programme de mise en conformité par l’entreprise concernée n’oblige pas la Commission à octroyer une réduction du montant de l’amende en raison de cette circonstance (arrêts du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, points 266 et 267, et BASF et UCB/Commission, précité, point 52). En outre, il convient de relever qu’il est impossible de déterminer le degré d’efficacité des mesures internes prises par une entreprise pour prévenir la réitération d’infractions au droit de la concurrence (arrêt du Tribunal 8 octobre 2008, Carbone‑Lorraine/Commission, T‑73/04, Rec. p. II‑2661, point 144). En l’espèce, il y a lieu de souligner que les mesures adoptées par Shell ne l’ont pas conduite à dénoncer l’entente, puisqu’elle n’a accepté de coopérer qu’une fois informée de l’existence de griefs à son endroit.

97      Troisièmement, dans le même sens, la coopération de Shell durant la procédure administrative ne saurait enlever son caractère de circonstance aggravante à sa récidive. Dès lors, les arguments avancés par Shell à cet égard sont inopérants.

98      Enfin, s’agissant de l’argument de Shell selon lequel la majoration appliquée serait disproportionnée, il y a lieu de rappeler que, dans la fixation du montant de l’amende, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation et qu’elle n’est pas tenue d’appliquer une formule mathématique précise. De plus, la Commission doit, en vue de déterminer le montant de l’amende, veiller au caractère dissuasif de son action. Or, la récidive est une circonstance qui justifie une augmentation considérable du montant de base de l’amende. En effet, la récidive constitue la preuve de ce que la sanction antérieurement imposée n’a pas été suffisamment dissuasive (arrêts du Tribunal Michelin/Commission, point 91 supra, point 293 ; du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 95 supra, point 348, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, Rec. p. II‑1333, point 398). Par ailleurs, il doit être relevé que la Commission peut, en fixant un taux de majoration au titre de la récidive, prendre en considération les indices tendant à confirmer la propension de l’entreprise concernée à s’affranchir des règles de concurrence, y compris le temps qui s’est écoulé entre les infractions en cause (arrêt du Tribunal du 6 mai 2009, Outokumpu et Luvata/Commission, T‑122/04, Rec. p. II‑1135, point 62). En l’espèce, il y a lieu de relever, tout d’abord, que l’infraction en cause est la troisième du même type pour laquelle Shell a fait l’objet d’une décision de la Commission. En particulier, il y a lieu de relever que les infractions en cause dans les décisions Polypropylène et PVC II avaient pour objet, à l’instar de celle à l’origine de la présente affaire, la fixation d’objectifs de prix ou la répartition de parts de marché. Par ailleurs, comme indiqué au point 95 ci-dessus, l’infraction en cause a débuté moins de deux ans après l’adoption de la décision PVC II. Or, malgré l’adoption de cette décision, Shell a réitéré, à brève échéance, un comportement infractionnel. Dans ces circonstances, aucun des éléments invoqués ne permet de considérer que l’augmentation du montant de base de l’amende de 50 % afin d’orienter le comportement de Shell vers le respect des règles de concurrence est disproportionnée.

99      Au vu de ces éléments, la première branche du deuxième moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la seconde branche, tirée d’un défaut de motivation

–       Arguments des parties

100    Si le Tribunal devait considérer que la majoration de 50 % du montant de base de l’amende n’enfreint pas les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, Shell fait valoir, à titre subsidiaire, que la Commission a manqué à l’obligation de motivation qui lui incombe au titre de l’article 253 CE.

101    Shell souligne, à cet égard, qu’elle avait indiqué, dans sa réponse à la seconde communication des griefs, qu’une majoration du montant de base de l’amende pour récidive serait inutile et déraisonnable, eu égard à l’instauration et à la mise en œuvre stricte d’un programme concernant le respect de la législation sur la concurrence.

102    Or, dans la décision attaquée, la Commission s’abstiendrait de répondre aux arguments invoqués par Shell. Au lieu de cela, aux considérants 488 et 489 de la décision attaquée, la Commission traiterait plusieurs autres questions qui n’auraient pas été soulevées par Shell. Cette dernière considère que la Commission a, en fait, répondu à des arguments soulevés par certaines des entreprises appartenant à son groupe dans le cadre d’une autre affaire. Shell renvoie, à cet égard, aux considérants 337 et 338 de la décision C (2006) 4090 final de la Commission, du 13 octobre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE (affaire COMP/F/38.456 – Bitume – Pays-Bas, ci-après la « décision Bitume »), jointe en annexe de la requête. Le fait que la Commission ne soit pas tenue, le cas échéant, de répondre à tous les arguments des parties ne modifierait pas cette conclusion.

103    La circonstance que la Commission ait complètement ignoré les arguments que Shell a effectivement avancés dans ses réponses aux première et seconde communications des griefs et dans ses observations préalables à l’audition et ait, en revanche, traité les arguments invoqués dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à la décision Bitume équivaudrait à un défaut de motivation contraire à l’article 253 CE. En conséquence, la décision attaquée devrait être annulée à cet égard.

104    La Commission conclut au rejet de la seconde branche du deuxième moyen. Elle considère, en substance, que la décision attaquée satisfait aux exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation.

–       Appréciation du Tribunal

105    La motivation d’une décision individuelle doit faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de la motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a été adopté (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63).

106    Les exigences de la formalité substantielle que constitue cette obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, point 73, et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 463).

107    En l’espèce, il suffit de constater que la Commission a clairement identifié, au considérant 487 de la décision attaquée, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de retenir la circonstance aggravante de récidive à l’égard de Shell. Par ailleurs, s’agissant des mesures adoptées par Shell en vue de respecter le droit de la concurrence, elles ne sont pas pertinentes aux fins d’apprécier l’existence de l’infraction et de la récidive (voir point 96 ci-dessus). Dès lors, le fait que la Commission n’ait pas répondu aux arguments soulevés par Shell à cet égard durant la procédure administrative ne saurait entacher la décision attaquée d’un défaut de motivation. En outre, il y a lieu de rappeler que la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés, mais qu’il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêt Arkema/Commission, point 70 supra, point 127, et la jurisprudence citée). Enfin, s’agissant du fait que la Commission aurait fait mention de motifs étrangers à l’entente relative au CB et au CSB, il suffit de constater que cette circonstance, à la supposer établie, n’est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée dès lors que celle-ci était motivée à suffisance de droit, comme il vient d’être constaté.

108    Au vu de ces éléments, la seconde branche du deuxième moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée et, partant, le deuxième moyen dans son ensemble.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’application erronée d’un coefficient multiplicateur à finalité dissuasive

109    Shell considère que la Commission a enfreint l’article 81 CE et l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003 en appliquant un coefficient multiplicateur pour déterminer le montant de départ de l’amende.

110    Le troisième moyen de Shell se décompose en deux branches. Dans le cadre de la première branche, Shell considère que la Commission a violé les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité. Dans le cadre de la seconde branche, Shell fait valoir que la Commission a manqué à l’obligation de motivation qui pèse sur elle.

 Sur la première branche, tirée de la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité

–       Arguments des parties

111    Shell rappelle que la Commission a appliqué un coefficient multiplicateur de trois afin de déterminer le montant de départ de l’amende pour ce qui la concerne (considérant 474 de la décision attaquée). Pour ce faire, la Commission aurait utilisé le chiffre d’affaires de Shell Petroleum pour l’année 2005, à savoir le montant de 246,549 milliards d’euros.

112    Or, dans la décision Bitume la Commission se serait fondée, pour l’essentiel, sur le même chiffre d’affaires de Shell Petroleum pour l’année 2005, mais aurait décidé d’appliquer un coefficient multiplicateur de deux.

113    Cette différence serait constitutive d’une atteinte aux principes d’égalité de traitement et de proportionnalité. Shell indique, à cet égard, que les situations caractérisant la présente affaire et celle ayant donné lieu à la décision Bitume sont comparables, dès lors que les deux décisions ont été adoptées en 2006 à deux mois et demi d’intervalle, que l’infraction a été imputée à Shell Petroleum et que le coefficient multiplicateur est fondé sur le chiffre d’affaires mondial de cette dernière, afin de s’assurer que, compte tenu de sa taille, l’amende ait un effet suffisamment dissuasif. Dans la mesure où, dans les deux cas, le choix du coefficient multiplicateur à appliquer devrait se fonder sur la taille de l’entreprise et que l’entreprise à sanctionner est la même, un tel traitement différencié ne serait pas objectivement justifié. Shell ajoute que le principe d’égalité de traitement trouve à s’appliquer, même dans l’hypothèse où la Commission aurait correctement appliqué les lignes directrices. En outre, la situation de l’espèce serait exceptionnelle et, pour cette raison, n’aurait pas encore été abordée par le juge de l’Union.

114    La brève référence faite par la Commission aux « circonstances de l’espèce » ne saurait justifier une différence de traitement. Dès lors que la Commission décide de majorer le niveau de l’amende, en tant qu’étape séparée dans le calcul du montant de base de l’amende, le choix du coefficient multiplicateur devrait se fonder exclusivement sur la taille de l’entreprise qu’elle entend sanctionner. La raison qui sous-tendrait ce raisonnement serait qu’une entreprise dotée de ressources financières considérables peut plus aisément mobiliser les fonds nécessaires pour s’acquitter de l’amende qui lui est infligée. À cet égard, contrairement à ce que soutiendrait la Commission dans ses écritures, Shell serait également, ainsi que l’énoncerait la décision Bitume, l’entreprise la plus importante ayant commis une infraction. De plus, des « différences relatives de taille globale » entre les entreprises ayant participé à l’infraction dans les deux affaires ne sauraient justifier l’application de coefficients multiplicateurs différents à l’égard de Shell. En effet, dans les deux cas, les entreprises à l’égard desquelles aurait été appliqué un coefficient multiplicateur égal à un auraient eu un chiffre d’affaires inférieur à dix milliards d’euros. Dans les deux cas, la plus grande entreprise dont la participation à l’infraction a été constatée serait Shell, avec un chiffre d’affaires d’un montant de 246,549 milliards d’euros.

115    Pour ces raisons, la décision attaquée devrait être annulée ou, à titre subsidiaire, le montant de l’amende à infliger à Shell devrait être réduit en appliquant un coefficient multiplicateur de deux au lieu de trois.

116    En outre, renvoyant au premier moyen, Shell ajoute que l’application d’un coefficient multiplicateur de trois à l’amende à infliger à Shell Nederland Chemie est disproportionnée et enfreint le principe d’égalité de traitement, si l’infraction ne peut être imputée à Shell Nederland ou à Shell Petroleum. Dans un tel cas, le choix du coefficient multiplicateur devrait se fonder sur le chiffre d’affaires net mondial de Shell Nederland pour l’année 2005 (25,041 milliards d’euros) ou sur celui de Shell Nederland Chemie pour la même année (1,186 milliard d’euros). Cela impliquerait qu’aucun coefficient multiplicateur ne devrait être appliqué à l’amende à infliger à Shell Nederland Chemie ou à Shell Nederland Chemie et Shell Nederland, ou, tout au plus, un facteur de 1,5.

117    La Commission conclut au rejet de la première branche du troisième moyen. Elle considère, en substance, que les coefficients multiplicateurs sont utilisés pour tenir compte des différences relatives de taille globale et que le coefficient multiplicateur appliqué en l’espèce pour Shell n’est pas disproportionné.

–       Appréciation du Tribunal

118    Les lignes directrices prévoient que, mis à part la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché et l’étendue géographique de celui-ci, il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices).

119    Le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l’article 81 CE constitue un des moyens qui lui sont attribués en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire, mission qui comprend le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises. Il s’ensuit que, pour apprécier la gravité d’une infraction en vue de déterminer le montant de l’amende, la Commission doit veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, points 105 et 106 ; arrêts ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 44 supra, point 166, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 95 supra, point 169).

120    Cela exige que le montant de l’amende soit modulé afin de tenir compte de l’impact recherché sur l’entreprise à laquelle elle est infligée, et ce afin que l’amende ne soit pas rendue négligeable, ou au contraire excessive, notamment au regard de la capacité financière de l’entreprise en question, conformément aux exigences tirées, d’une part, de la nécessité d’assurer l’effectivité de l’amende et, d’autre part, du respect du principe de proportionnalité. Une entreprise de grande dimension, disposant de ressources financières considérables par rapport à celles des autres membres d’une entente, peut mobiliser plus facilement les fonds nécessaires pour le paiement de son amende, ce qui justifie, en vue d’un effet dissuasif suffisant de cette dernière, l’imposition, notamment par l’application d’un multiplicateur, d’une amende proportionnellement plus élevée que celle sanctionnant la même infraction commise par une entreprise qui ne dispose pas de telles ressources (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, points 241 et 243 ; voir, également, arrêts ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 44 supra, point 170, et BASF/Commission, point 96 supra, point 235).

121    Il importe d’ajouter que la Cour a souligné, en particulier, la pertinence de la prise en compte du chiffre d’affaires global de chaque entreprise faisant partie d’une entente pour fixer le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Sarrió/Commission, point 106 supra, points 85 et 86, et du 14 juillet 2005, Acerinox/Commission, C‑57/02 P, Rec. p. I‑6689, points 74 et 75 ; voir, également, arrêt de la Cour du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C‑289/04 P, Rec. p. I‑5859, point 17).

122    Enfin, il convient de souligner que l’objectif de dissuasion que la Commission est en droit de poursuivre lors de la fixation du montant d’une amende vise à assurer le respect par les entreprises des règles de concurrence fixées par le traité pour la conduite de leurs activités au sein de la Communauté ou de l’EEE. Il s’ensuit que le facteur de dissuasion qui peut être inclus dans le calcul de l’amende est évalué en prenant en compte une multitude d’éléments, et non pas la seule situation particulière de l’entreprise concernée. Ce principe s’applique, notamment, lorsque la Commission a déterminé un « multiplicateur de dissuasion » dont est affectée l’amende infligée à une entreprise (voir, en ce sens, arrêt Showa Denko/Commission, point 121 supra, points 23 et 24).

123    En l’espèce, la Commission a retenu, tout d’abord, dans la décision attaquée, que, au sein de la catégorie des infractions très graves, l’échelle des sanctions permettait de déterminer le montant des amendes à un niveau qui leur assurait un caractère suffisamment dissuasif, en tenant compte de la taille de chaque entreprise. Ensuite, se fondant sur les chiffres d’affaires mondiaux des entreprises concernées, réalisés lors de l’année 2005, la Commission a relevé qu’il existait une grande différence de taille entre Kaučuk (2,718 milliards d’euros de chiffre d’affaires) et Stomil (38 millions d’euros de chiffre d’affaires), d’une part, et les autres entreprises concernées, d’autre part, en particulier Bayer (27,383 milliards d’euros de chiffre d’affaires), à savoir la première des entreprises de grande taille visées par la décision attaquée. Sur cette base, et compte tenu des circonstances de l’espèce, la Commission a considéré qu’aucun coefficient multiplicateur à finalité dissuasive ne devait être imposé à Kaučuk et à Stomil et, s’agissant de Bayer, qu’un coefficient multiplicateur de 1,5 était approprié. Enfin, toujours sur ce fondement, et compte tenu des circonstances de l’espèce, la Commission a imposé des coefficients multiplicateurs de 1,75 à Dow (37,221 milliards d’euros de chiffre d’affaires), de 2 à EniChem (73,738 milliards d’euros de chiffre d’affaires) et de 3 à Shell (246,549 milliards d’euros de chiffre d’affaires) (considérant 474 de la décision attaquée).

124    Les arguments de Shell reposent essentiellement sur le fait que le coefficient multiplicateur appliqué en l’espèce n’aurait pas dû dépasser celui retenu dans la décision Bitume, compte tenu du respect du principe d’égalité de traitement.

125    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission dispose, dans le domaine de la fixation du montant des amendes, d’un large pouvoir d’appréciation et qu’elle n’est pas liée par les appréciations qu’elle a portées antérieurement (arrêt de la Cour du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, Rec. p. I‑1843, point 82). Il s’ensuit que Shell ne saurait invoquer la politique décisionnelle de la Commission devant le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Bank der österreichischen Sparkassen/Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 123).

126    En tout état de cause, il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du 28 juin 1990, Hoche, C‑174/89, Rec. p. I‑2681, point 25 ; arrêt du Tribunal du 5 décembre 2006, Westfalen Gassen Nederland/Commission, T‑303/02, Rec. p. II‑4567, point 152).

127    Or, en l’espèce, Shell n’est pas fondée à soutenir que les situations en cause seraient identiques. Il est certes exact que le chiffre d’affaires global de chaque entreprise est un élément pertinent pour l’application d’un coefficient multiplicateur à finalité dissuasive et que, à cet égard, le chiffre d’affaires de Shell retenu dans la décision Bitume est identique à celui retenu dans la décision attaquée. Toutefois, il y a également lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a commencé par déterminer les coefficients multiplicateurs à finalité dissuasive applicables à Kaučuk et Stomil, en considérant que, compte tenu des circonstances de l’espèce, aucun coefficient ne devait leur être appliqué. Sur cette base, et procédant à une comparaison des tailles relatives des entreprises concernées, la Commission a déterminé le coefficient multiplicateur à finalité dissuasive applicable aux autres entreprises et, notamment, à Shell. Il en résulte que la fixation, en l’espèce, des coefficients multiplicateurs à finalité dissuasive procède, d’une part, de la prise en compte du chiffre d’affaires global de chaque entreprise, mais aussi, d’autre part, de la taille relative de chaque entreprise. Or, la taille relative des entreprises concernées par la décision attaquée est différente de celle des entreprises concernées par la décision Bitume. Par ailleurs, il résulte de la décision attaquée que les coefficients multiplicateurs ont été fixés en commençant par les entreprises de plus petite taille. Shell n’a pas fait valoir d’arguments spécifiques pour contester la méthode choisie par la Commission, ni les coefficients retenus à cet égard. Enfin, s’agissant de l’argument de Shell selon lequel elle était, au vu de la décision attaquée ainsi que de la décision Bitume, l’entreprise la plus importante, il convient de relever, d’abord, que l’écart de chiffre d’affaires global entre Shell et l’entreprise la précédant était beaucoup plus important dans la présente affaire, comme il ressort de la décision attaquée, et, ensuite, que les coefficients multiplicateurs ayant servi de base à la comparaison relative entre les entreprises concernées étaient différents dans les deux décisions.

128    À titre surabondant, il convient de relever que, s’agissant de l’affaire ayant donné lieu à la décision Bitume, la Commission a retenu, comme dans la présente espèce, que l’infraction en cause était très grave (considérant 316 de la décision Bitume). Toutefois, la Commission a également relevé, dans la décision Bitume, que l’infraction en cause ne concernait qu’un seul État membre, que la valeur du marché était relativement faible (à savoir 62 millions d’euros pour 2001, dernière année complète de l’infraction) et que le nombre de participants à l’entente était élevé (quatorze entreprises) (considérant 317 de la décision Bitume). Ces circonstances ne sont pas présentes en l’espèce.

129    Dès lors, le grief pris d’une violation du principe d’égalité de traitement ne saurait être retenu.

130    Dans la mesure où le grief de Shell visant à contester la proportionnalité du coefficient multiplicateur retenu repose également sur une comparaison avec la décision Bitume et à défaut d’arguments plus circonstanciés, il y a lieu de le rejeter pour les mêmes motifs.

131    Au vu de ces éléments, la première branche du troisième moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la seconde branche, tirée d’un défaut de motivation

–       Arguments des parties

132    Si le Tribunal devait considérer que l’application d’un coefficient multiplicateur de trois n’enfreint pas les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, Shell fait valoir, à titre subsidiaire, que la Commission a manqué à l’obligation de motivation qui lui incombe au titre de l’article 253 CE. En effet, en faisant référence aux « circonstances de l’espèce » pour appliquer ledit coefficient multiplicateur, la Commission s’abstiendrait d’indiquer quelles sont ces dernières, en quoi elles sont susceptibles de justifier l’application d’un coefficient multiplicateur de trois et dans quelle mesure elles diffèrent de celles de l’affaire ayant donné lieu à la décision Bitume, de telle sorte que ces deux affaires mériteraient un traitement différent du point de vue de la dissuasion. Shell en conclut que la décision attaquée doit être annulée.

133    La Commission conclut au rejet de la seconde branche du troisième moyen. Elle indique, en particulier, qu’il existe des différences objectives entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à la décision Bitume. La Commission n’aurait donc pas été tenue d’indiquer les motifs pour lesquels le montant choisi pour le calcul de l’amende n’était pas le même dans la présente affaire.

–       Appréciation du Tribunal

134    En tenant compte de la jurisprudence rappelée aux points 105 et 106 ci-dessus, il y a lieu de relever, en l’espèce, que la Commission a indiqué que, pour assurer un caractère suffisamment dissuasif à l’amende, elle prendrait en considération la taille de chaque entreprise. Sur cette base, la Commission a utilisé les chiffres d’affaires globaux de l’année 2005 des entreprises concernées. Par ailleurs, la Commission a effectué une comparaison de la taille respective des différentes entreprises aux fins de la fixation des coefficients multiplicateurs à finalité dissuasive. Plus spécifiquement, s’agissant de Shell, la Commission a indiqué que le chiffre d’affaires global de cette entreprise représentait plusieurs fois celui de n’importe laquelle des autres entreprises concernées. Il en résulte que les éléments ayant permis à la Commission de fixer le coefficient multiplicateur de l’amende infligée à Shell ressortent clairement de la décision attaquée.

135    Le fait que la Commission ait visé, par ailleurs, les « circonstances de l’espèce » ne saurait infirmer cette conclusion. En effet, il ne résulte pas de la décision attaquée que la Commission ait visé explicitement d’autres éléments que les chiffres d’affaires globaux et la taille relative des entreprises concernées pour fixer les coefficients multiplicateurs à finalité dissuasive, ce que la Commission a d’ailleurs confirmé lors de l’audience. En outre, l’expression « circonstances de l’espèce » peut parfaitement être comprise comme visant, justement, les chiffres d’affaires globaux et la taille relative des entreprises concernées.

136    Enfin, s’agissant de la référence à l’affaire ayant donné lieu à la décision Bitume, et dès lors que cette affaire et la présente espèce reposent sur des situations factuelles différentes, notamment en ce qui concerne la taille relative des entreprises concernées (voir points 127 et 128 ci-dessus), il y a lieu de considérer que la Commission n’avait aucune obligation d’indiquer les raisons pour lesquelles le coefficient multiplicateur à finalité dissuasive n’était pas identique.

137    Au vu de ces éléments, la seconde branche du troisième moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée et, partant, le troisième moyen dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la fixation erronée du montant de départ de l’amende

138    Shell considère que la Commission a enfreint l’article 81 CE et l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003 en fixant de façon erronée le montant de départ de l’amende pour ce qui la concerne.

139    Le quatrième moyen de Shell se décompose en quatre branches. Dans le cadre de la première branche, Shell considère que la Commission a fait une application injustifiée d’un traitement différencié des montants de départ des amendes. Dans le cadre de la deuxième branche, Shell fait valoir que les montants de départ des amendes choisis par la Commission sont inexacts. Dans le cadre de la troisième branche, Shell indique que le montant de départ retenu à son égard méconnaît les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement. Dans le cadre de la quatrième branche, Shell soutient que la Commission a manqué à l’obligation de motivation qui pèse sur elle.

 Sur la première branche, tirée de l’application injustifiée d’un traitement différencié des montants de départ de l’amende

–       Arguments des parties

140    Shell soutient que, selon le considérant 466 de la décision attaquée, la Commission a appliqué un traitement différencié des montants de départ des amendes pour « tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise, et donc de l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence ». La Commission serait toutefois en contradiction avec sa position, exprimée au considérant 462 de la décision attaquée, selon laquelle « il est impossible de mesurer l’impact réel sur le marché de l’EEE du complexe d’accords qui constituent l’infraction » et, par conséquent, elle « ne tiendra pas compte de l’impact sur le marché pour déterminer les amendes applicables en l’espèce ». Comme la Commission l’admettrait dans ses écritures, le traitement différencié des montants de départ des amendes se fonderait sur le fait que la « capacité économique réelle » de « porter un préjudice important à la concurrence » est plus élevée quand les volumes de vente (et la part de marché correspondante) d’une entreprise donnée, sur le marché pertinent, sont plus élevés.

141    Shell rappelle, à cet égard, les éléments d’informations qu’elle a transmis à la Commission durant la procédure administrative, démontrant l’absence d’impact sur le marché. Ni dans la seconde communication des griefs ni dans la décision attaquée, la Commission ne produirait une quelconque preuve spécifique démontrant que les accords ou les pratiques concernées aient eu un impact sur le marché.

142    Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle « les accords anticoncurrentiels ont été mis en œuvre par les producteurs et cette mise en œuvre a effectivement eu un impact sur le marché » (considérant 462 de la décision attaquée) demeurerait pour l’essentiel non fondée. Il n’existerait aucune preuve spécifique, mentionnée dans la décision attaquée ou figurant au dossier, démontrant que les accords ou les pratiques concernées aient été mis en œuvre et aient eu un impact sur le marché.

143    La Commission n’aurait donc pas pu établir une différence entre les montants de départ des amendes, afin de prendre en considération l’impact réel de l’infraction sur la concurrence. La Commission aurait été tenue, à l’inverse, de choisir le même montant de départ de l’amende pour tous les destinataires de la décision attaquée, sur la base de la nature objective de l’infraction. En l’espèce, Shell relève que la Commission a fixé, pour Stomil, un montant initial de l’amende de 5,5 millions d’euros. Rien ne justifierait d’établir un montant de départ de l’amende plus élevé pour Shell.

144    En tout état de cause, en fixant les montants de départ des amendes, la Commission aurait accordé un poids trop important à l’impact présumé – mais non établi – qu’a eu chaque participant à l’entente sur l’infraction. Comme la Commission le reconnaîtrait elle-même au considérant 461 de la décision attaquée, la gravité objective de l’infraction serait l’élément majeur à prendre en considération pour l’établissement du montant de départ de l’amende. Or, en l’espèce, la Commission aurait choisi pour Shell un montant de départ de l’amende cinq fois plus élevé que celui qu’elle a fixé pour l’amende infligée à Stomil. Pour l’ensemble de ces raisons, l’amende infligée à Shell devrait être réduite de manière substantielle.

145    La Commission conclut au rejet de la première branche du quatrième moyen. Elle indique, en particulier, que Shell semble confondre traitement différencié et constatation de l’impact de l’infraction.

–       Appréciation du Tribunal

146    Les lignes directrices distinguent les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves (point 1 A, premier et deuxième alinéas, des lignes directrices). Par ailleurs, la différenciation effectuée entre entreprises consiste à déterminer, conformément au point 1 A, troisième, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, la contribution individuelle de chaque entreprise, en termes de capacité économique effective, au succès de l’entente en vue de son classement dans la catégorie appropriée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au Recueil, point 225 ; voir, également, arrêt Hoechst/Commission, point 95 supra, point 360).

147    En l’espèce, après avoir retenu que l’infraction en cause était très grave (considérant 464 de la décision attaquée), la Commission a opéré un traitement différencié entre les entreprises concernées sur la base de leurs chiffres d’affaires cumulés concernant le CB et le CSB pour l’année 2001, dernière année complète de l’infraction, sauf pour Shell (1998) et Stomil (1999). La Commission a classé les entreprises concernées en cinq catégories, Shell se situant dans la troisième (27,5 millions d’euros de montant de départ de l’amende) (considérants 465 à 473 de la décision attaquée).

148    Shell soutient à titre principal, en substance, que la Commission a commis une erreur en tenant compte du poids spécifique de chaque entreprise, et donc de l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence, alors que, dans le même temps, elle indiquait qu’il était impossible de mesurer l’impact réel de l’infraction.

149    Or, la contribution individuelle de chaque entreprise, en termes de capacité économique effective, au succès de l’entente, doit être distinguée de l’impact concret de l’infraction visé au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices. Dans ce dernier cas, l’impact concret de l’infraction est pris en compte, lorsqu’il est mesurable, pour procéder à la classification de l’infraction en infraction peu grave, grave ou très grave. La contribution individuelle de chaque entreprise est prise en considération, quant à elle, pour pondérer les montants déterminés en fonction de la gravité de l’infraction.

150    Dès lors, même en l’absence d’impact concret mesurable de l’infraction, la Commission peut décider, conformément au point 1 A, troisième, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, et après avoir qualifié l’infraction de peu grave, grave ou très grave, de procéder à une différenciation entre les entreprises concernées.

151    Il y a donc lieu de rejeter les arguments soulevés par Shell à cet égard.

152    S’agissant des arguments soulevés à titre subsidiaire, Shell considère, en substance, que la Commission a accordé trop d’importance au « poids spécifique » des entreprises membres de l’entente, par rapport à la gravité de l’infraction. Dès lors, la différenciation opérée par la Commission entre les entreprises concernées, alors que la gravité de l’infraction est identique pour toutes, ne serait pas justifiée.

153    Il y a lieu de considérer que, par ses arguments, Shell soulève, en fait, une violation du principe d’égalité de traitement. Or, Shell ne conteste pas l’existence de différences, parfois même considérables, entre les entreprises concernant leurs chiffres d’affaires respectifs pour le CB et le CSB, pour les années retenues par la Commission. Par ailleurs, il résulte clairement du point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices, que la Commission peut pondérer le montant de l’amende pour tenir compte du poids spécifique du comportement infractionnel de chaque entreprise.

154    Dès lors, en fixant le montant de départ de l’amende à un niveau plus élevé pour les entreprises ayant une part de marché relativement plus importante que les autres sur le marché concerné, la Commission a tenu compte de l’influence effective que l’entreprise exerçait sur ce marché. En effet, cet élément est l’expression du niveau de responsabilité plus élevé des entreprises ayant une part de marché relativement plus importante que les autres sur le marché concerné pour les dommages causés à la concurrence et, en fin de compte, aux consommateurs en concluant une entente secrète (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, point 230).

155    Dans ces conditions, les arguments soulevés par Shell à titre subsidiaire doivent être rejetés.

156    Au vu de ces éléments, la première branche du quatrième moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la deuxième branche, tirée de la fixation inexacte des montants de départ des amendes

–       Arguments des parties

157    Si le Tribunal devait considérer que la Commission était fondée à appliquer un traitement différencié aux montants de départ des amendes, Shell fait valoir que, en tout état de cause, les montants choisis par la Commission, et, notamment, le montant de départ choisi pour Shell, sont contraires aux lignes directrices. En particulier, Shell soutient que la Commission aurait dû classer la présente infraction comme grave, au sens des lignes directrices, et non pas comme très grave.

158    Ainsi, Shell indique que l’infraction concernée ne constituait pas, strictement parlant, une entente organisée par laquelle des entreprises concurrentes s’accordent sur des prix de vente et sur des répartitions de parts de marché, supervisent réciproquement leur politique en matière de prix et de vente, mettent en œuvre un mécanisme de compensation afin de veiller au respect de l’entente et sanctionnent les comportements s’écartant des prix cibles. Au contraire, les accords en cause auraient été conclus dans un cadre informel, habituellement à l’occasion d’échanges bilatéraux ou trilatéraux, plutôt que dans le cadre d’une réunion officielle regroupant l’ensemble du groupe des participants. En outre, l’infraction n’aurait pas eu d’impact sur le marché. À cet égard, Shell relève que les considérants 134 à 159 de la décision attaquée, visés par la Commission dans ses écritures, ne prouveraient nullement que l’entente a été mise en œuvre. Au contraire, l’absence de sanction et le fait que les entreprises concernées se critiquaient pour ne pas avoir respecté les accords en cause ne feraient que renforcer la conclusion selon laquelle ces accords n’ont pas été effectivement mis en œuvre.

159    Par ailleurs, renvoyant à trois décisions antérieures de la Commission dans d’autres affaires, Shell considère que la Commission a classé dans la catégorie des infractions graves des infractions présentant un degré de sophistication au moins équivalent à celui de l’infraction en cause.

160    Shell en conclut que, en cas d’infraction grave, le montant de départ de l’amende ne peut excéder 20 millions d’euros. En ayant fixé le montant de départ de l’amende infligée à Shell à 27,5 millions d’euros, la Commission aurait donc enfreint les lignes directrices.

161    La Commission conclut au rejet de la deuxième branche du quatrième moyen. Elle souligne, en particulier, que les ententes secrètes, comme celle de l’espèce, constituent les infractions les plus graves, de sorte qu’il est correct de qualifier la présente infraction de très grave. Par ailleurs, il ne serait pas nécessaire d’apprécier la mise en œuvre ou l’impact d’une entente afin de constater l’existence d’une infraction très grave.

–       Appréciation du Tribunal

162    La gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (arrêts de la Cour Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 106 supra, point 465, et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 241).

163    Figurent parmi les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité des infractions le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement de l’entente, le profit qu’elles ont pu tirer de celle-ci, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de la Communauté (voir arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec. p. I‑829, point 130, et la jurisprudence citée).

164    Par ailleurs, les lignes directrices énoncent, notamment, que l’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Les infractions sont ainsi classées en trois catégories, permettant de distinguer les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves (point 1 A, premier et deuxième alinéas, des lignes directrices).

165    En l’espèce, la Commission, dans la décision attaquée, retient, tout d’abord, que les entreprises concernées ont conclu des accords portant sur des objectifs de prix ainsi que sur le partage du marché et ont échangé des données commerciales sensibles. Pour la Commission, ces pratiques sont, par leur nature, des infractions très graves (considérant 461 et article 1er du dispositif de la décision attaquée). Ensuite, la Commission indique qu’il n’est pas possible de mesurer l’impact concret de l’entente sur le marché de l’EEE. La Commission ajoute également que, même s’il n’est pas possible de mesurer l’impact concret de l’entente, les accords en cause ont été mis en œuvre par les entreprises concernées et ont eu, dès lors, un effet sur le marché. La Commission conclut en précisant qu’elle ne tiendra pas compte de l’impact sur le marché aux fins de déterminer le montant des amendes (considérant 462 de la décision attaquée). Enfin, la Commission relève que l’infraction couvre l’ensemble du territoire de l’EEE (considérant 463 de la décision attaquée). Pour ces raisons, la Commission considère que l’infraction en cause peut être qualifiée de très grave (considérant 464 de la décision attaquée).

166    Premièrement, il convient de constater que, dans le cadre de son recours, Shell ne remet pas en cause l’objet infractionnel de l’entente, tel que repris dans la décision attaquée, en particulier à l’article 1er de son dispositif. À cet égard, il résulte de la description des infractions très graves dans les lignes directrices que des accords ou des pratiques concertées visant notamment, comme en l’espèce, à la fixation d’objectifs de prix ou à la répartition de parts de marché peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de « très grave », sans que la Commission soit tenue de démontrer un impact concret de l’infraction sur le marché (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, point 75 ; voir, également, arrêts du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, point 178, et Hoechst/Commission, point 95 supra, point 345). De même, il est de jurisprudence constante que les ententes horizontales en matière de prix font partie des infractions les plus graves au droit communautaire de la concurrence et peuvent donc, à elles seules, être qualifiées de très graves (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, point 103, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 95 supra, point 147).

167    La Commission n’a donc pas commis d’erreur en retenant que les pratiques en cause étaient, par leur nature, des infractions très graves.

168    Deuxièmement, contrairement à ce que soutient Shell en substance, il y a lieu de considérer que, compte tenu de la multiplicité et de la simultanéité des objectifs poursuivis par l’entente, et quand bien même cette dernière aurait été caractérisée par un faible degré de formalisme, elle n’en témoignerait pas moins d’un niveau élevé d’élaboration (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 95 supra, point 149).

169    Troisièmement, s’agissant de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission invoquée par Shell, il suffit de relever que Shell n’a pas démontré en quoi la situation factuelle et juridique ayant donné lieu à l’adoption de la décision attaquée serait comparable à celle des décisions antérieures invoquées. Au surplus, il convient de relever que les données circonstancielles des affaires, notamment les pratiques anticoncurrentielles concernées, ne sont pas identiques.

170    Au vu de ces éléments, la deuxième branche du quatrième moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la troisième branche, tirée de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement

–       Arguments des parties

171    À supposer que l’infraction doive être classée comme très grave, au sens des lignes directrices, Shell soutient que le montant de départ de l’amende de 27,5 millions d’euros est disproportionné et contraire au principe d’égalité de traitement. Compte tenu du caractère non structuré de l’entente et de l’absence d’impact sur le marché, Shell soutient que les montants de départ des amendes fixés pour EniChem (55 millions d’euros), premier acteur du marché, et pour elle (27,5 millions d’euros) ne peuvent pas être justifiés en recourant uniquement au classement de l’infraction en tant qu’infraction très grave et en se référant simplement à la taille du marché géographique en cause (Shell renvoie, à cet égard, aux considérants 465 à 473 de la décision attaquée).

172    La nature disproportionnée du montant de départ de l’amende de 55 millions d’euros, infligée à EniChem, serait d’autant plus évidente en comparant ce montant avec les montants de départ fixés par la Commission dans des affaires similaires portant sur l’application de l’article 81 CE, dans lesquelles l’infraction aurait été beaucoup plus systématique et structurée ou dans lesquelles il aurait existé des preuves manifestes que ladite infraction avait eu un impact sur le marché. Shell renvoie, à cet égard, à trois décisions rendues par la Commission.

173    Compte tenu de ces éléments, les montants de départ des amendes de 55 millions d’euros pour EniChem et de 27,5 millions d’euros pour Shell seraient manifestement disproportionnés et contraires au principe d’égalité de traitement.

174    La Commission conclut au rejet de la troisième branche du quatrième moyen. Elle relève que les montants de départ des amendes infligées dans les affaires mentionnées par Shell résultent d’éléments spécifiques à chaque cas. Le fait que, par le passé, la Commission a appliqué des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau, dans les limites fixées par le règlement n° 1/2003, comme le rappellerait la jurisprudence (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, point 119 supra ; arrêts du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, point 95 supra ; BASF et UCB/Commission, point 96 supra, et du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897). En l’espèce, la Commission considère que la fixation du montant de départ de l’amende de Shell était proportionnée.

–       Appréciation du Tribunal

175    Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché (voir arrêts du Tribunal du 19 juin 1997, Air Inter/Commission, T‑260/94, Rec. p. II‑997, point 144, et la jurisprudence citée, et du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98, Rec. p. II‑4653, point 201). Dans le contexte du calcul des amendes, le principe de proportionnalité implique que la Commission doit fixer l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doit à ce sujet appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Tate & Lyle e.a./Commission, point 166 supra, point 106 ; du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, points 416 à 418, et du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 1541).

176    En l’espèce, premièrement, il convient de rappeler que l’infraction en cause a été considérée, à juste titre, comme étant très grave par la Commission (voir points 162 à 170 ci-dessus). À cet égard, il y a lieu de souligner que les entreprises concernées sont convenues de fixer des objectifs de prix, de partager des clients par des accords de non-agression et d’échanger des informations sensibles relatives aux prix, aux concurrents et aux clients. Par ailleurs, l’entente en cause couvrait l’ensemble du territoire de l’EEE.

177    Deuxièmement, il y a lieu de rappeler que, au titre du point 1 A des lignes directrices, le montant envisageable de l’amende pour une infraction très grave est supérieur à 20 millions d’euros et de relever que le montant de départ de l’amende retenu pour Shell découle d’un certain nombre d’éléments, notamment du montant des ventes de CB et de CSB réalisées par cette entreprise sur le territoire de l’EEE en 1998 (à savoir 86,66 millions d’euros) (considérant 470 de la décision attaquée).

178    Troisièmement, il y a lieu de relever que le montant de l’amende fixé pour Shell ne dépasse pas le plafond de 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent prévu par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, cette limite visant à éviter que l’entreprise concernée soit placée dans l’impossibilité de payer l’amende en cause (voir, en ce sens, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, point 119 supra, point 119).

179    Quatrièmement, s’agissant du caractère non structuré de l’entente et de l’absence d’impact sur le marché, il y a lieu de rappeler que ces éléments ne sont pas de nature à remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle l’infraction en cause était très grave (voir points 162 à 170 ci-dessus). En outre, il y a lieu de rappeler que l’appréciation de la gravité de l’infraction doit faire l’objet d’une évaluation globale en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents du cas d’espèce. Dans la présente affaire, compte tenu des éléments avancés par la Commission dans la décision attaquée et des éléments repris aux points 176 à 178 ci-dessus, le Tribunal considère que les circonstances alléguées par Shell, à les supposer avérées, ne permettent pas de conclure que le montant de départ de l’amende retenu par la Commission serait disproportionné.

180    Dans ces conditions, et à défaut d’arguments plus circonstanciés, rien ne permet de considérer que le montant de départ de l’amende de 27,5 millions d’euros retenu pour Shell serait contraire au principe de proportionnalité.

181    Quant à la circonstance que les montants de départ des amendes retenus en l’espèce seraient plus élevés que ceux retenus dans d’autres affaires portant sur l’application de l’article 81 CE et que, de ce fait, le principe d’égalité de traitement aurait été violé, il y a lieu de rappeler que la Commission dispose dans le domaine de la fixation du montant des amendes d’un large pouvoir d’appréciation et qu’elle n’est pas liée par les appréciations qu’elle a portées antérieurement. Il s’ensuit que Shell ne saurait invoquer la politique décisionnelle de la Commission devant le juge de l’Union (voir, en ce sens, la jurisprudence citée au point 125 ci-dessus). En outre et à titre surabondant, Shell n’a pas démontré en quoi la situation factuelle et juridique ayant donné lieu à l’adoption de la décision attaquée serait comparable à celle des décisions antérieures invoquées.

182    Au vu de ces éléments, la troisième branche du quatrième moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la quatrième branche, tirée d’un défaut de motivation

–       Arguments des parties

183    À supposer que la Commission n’ait pas enfreint les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en fixant le montant de départ de l’amende, Shell soutient que la brève référence faite par la Commission au classement de l’infraction en tant qu’infraction très grave et à la taille du marché géographique en cause ne suffit pas à expliquer le choix d’un montant de départ beaucoup plus élevé que ceux retenus dans les autres affaires récentes comparables.

184    En conséquence, la décision attaquée devrait être annulée à cet égard ou, à titre subsidiaire, le montant de l’amende à infliger à Shell devrait être réduit de manière à tenir compte de la nature non structurée de l’infraction et de son absence d’impact sur le marché.

185    La Commission conclut au rejet de la quatrième branche du quatrième moyen. Elle rappelle que les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction. La Commission aurait rempli ces exigences aux considérants 465 à 473 de la décision attaquée. En outre, la Commission n’aurait pas à justifier sa décision par comparaison avec d’autres décisions antérieures.

–       Appréciation du Tribunal

186    Tenant compte de la jurisprudence rappelée aux points 105 et 106 ci-dessus, il suffit de constater, en l’espèce, que les considérants 461 à 464 de la décision attaquée contiennent les éléments d’appréciation qui ont permis à la Commission de considérer que l’infraction en cause était très grave. Par ailleurs, pour les raisons exprimées dans le cadre de la troisième branche du présent moyen, les décisions antérieures invoquées par Shell au soutien de ses prétentions ne permettent pas de remettre en cause la légalité de la décision attaquée. Dès lors, pour les mêmes motifs, la Commission n’était pas tenue de motiver le fait que les montants de départ des amendes retenus dans la présente espèce étaient plus élevés que ceux retenus dans des affaires ayant donné lieu à des décisions antérieures.

187    Au vu de ces éléments, la quatrième branche du quatrième moyen soulevé par Shell doit être rejetée comme étant non fondée et, partant, le quatrième moyen dans son ensemble.

188    Dès lors, les moyens tendant à l’annulation partielle de la décision attaquée doivent être rejetés dans leur ensemble.

2.     Sur les conclusions tendant à la réformation du montant de l’amende

189    Dans la mesure où les moyens invoqués par Shell sont avancés au soutien de ses chefs de conclusions tendant à la réformation du montant de l’amende, il suffit de constater que, ainsi qu’il ressort de ce qui précède, ces moyens ne sont pas fondés et qu’ils ne sauraient, par voie de conséquence, conduire à une réduction du montant de l’amende. Ces chefs de conclusions doivent donc être rejetés.

190    Partant, le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

191    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Shell Petroleum NV, Shell Nederland BV et Shell Nederland Chemie BV sont condamnées aux dépens.

Dehousse

Wiszniewska-Białecka

Wahl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 juillet 2011.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Sur les conclusions tendant à l’annulation partielle de la décision attaquée

Sur le premier moyen, tiré de l’imputation illégale de l’infraction à Shell Petroleum et à Shell Nederland

Sur la première branche, tirée de l’application erronée des conditions d’imputabilité de l’infraction

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, tirée des réfutations de présomption avancées par Shell Petroleum et Shell Nederland

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche, relative aux conséquences de l’erreur commise par la Commission

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré de la majoration injustifiée du montant de base de l’amende pour récidive

Sur la première branche, tirée de la violation des principes de sécurité juridique et de proportionnalité

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la seconde branche, tirée d’un défaut de motivation

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur le troisième moyen, tiré de l’application erronée d’un coefficient multiplicateur à finalité dissuasive

Sur la première branche, tirée de la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la seconde branche, tirée d’un défaut de motivation

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur le quatrième moyen, tiré de la fixation erronée du montant de départ de l’amende

Sur la première branche, tirée de l’application injustifiée d’un traitement différencié des montants de départ de l’amende

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, tirée de la fixation inexacte des montants de départ des amendes

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche, tirée de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la quatrième branche, tirée d’un défaut de motivation

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

2.  Sur les conclusions tendant à la réformation du montant de l’amende

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.

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