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Document 62007CC0478

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 5 février 2009.
Budĕjovický Budvar, národní podnik contre Rudolf Ammersin GmbH.
Demande de décision préjudicielle: Handelsgericht Wien - Autriche.
Traités bilatéraux entre États membres - Protection dans un État membre d'une indication de provenance géographique d'un autre État membre - Dénomination 'Bud' - Utilisation de la marque American Bud - Articles 28 CE et 30 CE - Règlement (CE) nº 510/2006 - Régime communautaire de protection des indications géographiques et des appellations d'origine - Adhésion de la République tchèque - Mesures transitoires - Règlement (CE) nº 918/2004 - Champ d'application du régime communautaire - Caractère exhaustif.
Affaire C-478/07.

Recueil de jurisprudence 2009 I-07721

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2009:52

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 5 février 2009 ( 1 )

Affaire C-478/07

Budějovický Budvar, národní podnik

contre

Rudolf Ammersin GmbH

«Traités bilatéraux entre États membres — Protection dans un État membre d’une indication de provenance géographique d’un autre État membre — Dénomination ‘ Bud ’ — Utilisation de la marque American Bud — Articles 28 CE et 30 CE — Règlement (CE) n o  510/2006 — Régime communautaire de protection des indications géographiques et des appellations d’origine — Adhésion de la République tchèque — Mesures transitoires — Règlement (CE) n o  918/2004 — Champ d’application du régime communautaire — Caractère exhaustif»

I — Introduction

1.

Au cours des 100 dernières années, la brasserie américaine Anheuser-Busch Inc. et la brasserie tchèque Budějovický Budvar se sont affrontées dans une kyrielle de procès pour l’attribution de l’usage exclusif des dénominations Budweiser et Bud.

2.

Le litige au principal se déroule à présent en Autriche devant le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne), qui en l’an 2001 avait saisi la Cour d’une question préjudicielle dans le cadre du même conflit, question à laquelle la Cour a répondu par un arrêt du 18 novembre 2003 , dénommé ci-après « l’arrêt Bud I » ( 2 ) .

3.

Après un long périple à travers les instances judiciaires supérieures, l’affaire est revenue — sans avoir été résolue — devant la juridiction viennoise, qui a décidé de poser de nouvelles questions préjudicielles avant de se prononcer.

4.

Par sa première question, dont la rédaction est relativement complexe, elle demande l’interprétation de différents passages de l’arrêt Bud I, notamment en ce qui concerne les conditions que doit remplir une indication géographique simple pour être compatible avec l’article 28 CE.

5.

Les deuxième et troisième questions portent en substance sur la polémique concernant l’exclusivité du règlement (CE) n o  510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006 , relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires  ( 3 ) . Le Handelsgericht Wien, qui, de manière surprenante, part de l’hypothèse d’une indication géographique qualifiée, s’interroge sur la validité d’une protection nationale de ce type de dénominations ou d’une protection bilatérale étendue par convention à un autre État membre, à la lumière de deux circonstances distinctes: d’une part, l’absence de demande d’enregistrement communautaire de la dénomination et, d’autre part, l’absence d’inscription dans le traité d’adhésion d’un État membre de l’indication géographique et qualifiée en question, contrairement à d’autres indications employées pour cette boisson.

II — Cadre juridique

A — Le droit international

6.

L’article 1 er , paragraphe 2, de l’arrangement de Lisbonne concernant la protection des appellations d’origine et leur enregistrement international  ( 4 ) dispose que les pays parties audit accord  ( 5 ) s’engagent à protéger, sur leurs territoires, les appellations d’origine des produits des autres pays de l’ « Union particulière » , reconnues à ce titre dans le pays d’origine et enregistrées au bureau international visé dans la convention instituant l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (ci-après l’ « OMPI » ).

7.

L’article 2, paragraphe 1, de l’arrangement de Lisbonne définit l’ « appellation d’origine » comme étant « la dénomination géographique d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus exclusivement ou essentiellement au milieu géographique, comprenant les facteurs naturels et les facteurs humains » . L’appellation d’origine « Bud » a été enregistrée à l’OMPI le 10 mars 1975 sous le n o  598 pour de la bière, en application de l’arrangement de Lisbonne.

B — La convention bilatérale

8.

Le 11 juin 1976 , la République d’Autriche et la République socialiste tchécoslovaque ont conclu un traité relatif à la protection des indications de provenance, des appellations d’origine et des autres appellations indiquant la provenance de produits agricoles et industriels  ( 6 ) (ci-après la « convention bilatérale » ).

9.

Conformément à son article 2, on utilise les termes indications géographiques, appellations d’origine et autres appellations indiquant la provenance, aux fins de ladite convention, pour toutes les indications se rapportant directement ou indirectement à l’origine des produits.

10.

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la convention bilatérale, « les appellations tchécoslovaques énumérées dans l’accord qui devra être conclu en vertu de l’article 6 sont réservées dans la République d’Autriche exclusivement aux produits tchécoslovaques » . L’article 5, paragraphe 1, partie B, point 2, mentionne les bières parmi les catégories des produits tchèques en question bénéficiant de la protection instituée par la convention; et l’annexe B de l’accord précité, à laquelle fait référence l’article 6 de la convention, inclut la dénomination Bud dans les appellations tchécoslovaques pour des produits agricoles et industriels (sous la rubrique « bière » ).

11.

Par la loi constitutionnelle n o  4/1993, du 15 décembre 1992 , la République tchèque a confirmé qu’elle assumerait les droits et obligations existant en vertu du droit international dans le chef de la République socialiste tchécoslovaque à la date d’extinction de cette dernière.

C — La réglementation communautaire

1.  Le règlement n o  510/2006

12.

Ce nouveau règlement relatif aux indications géographiques et aux appellations d’origine reprend en substance les dispositions du règlement (CEE) n o  2081/92  ( 7 ) , auxquelles il déroge et qu’il remplace.

13.

Il énonce dans son sixième considérant qu’ « il convient de prévoir une approche communautaire concernant les appellations d’origine et les indications géographiques » afin de garantir des conditions de concurrence égale entre les bénéficiaires de ces indications ainsi qu’une meilleure crédibilité des produits en cause aux yeux des consommateurs.

14.

L’article 2 décrit ce que l’on entend par « appellation d’origine » et par « indication géographique » aux fins du règlement. Aux termes de son paragraphe 1:

a)

L’ « appellation d’origine » consiste dans le « nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays, et

dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et

dont la production, la transformation et l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée » .

b)

L’ « indication géographique » se limite au « nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays, et

dont une qualité déterminée, la réputation ou d’autres caractéristiques peuvent être attribuées à cette origine géographique, et

dont la production et/ou la transformation et/ou l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée » .

15.

Pour qu’une expression puisse être utilisée comme appellation d’origine ou comme indication géographique, il n’est pas indispensable qu’elle constitue un toponyme, puisque l’article 2, paragraphe 2, du règlement n o  510/2006 prévoit que les « dénominations traditionnelles » , géographiques ou non, désignant un produit agricole ou une denrée alimentaire qui remplit les conditions prévues au paragraphe 1 relèvent également de cette catégorie.

16.

Les articles 5 à 7 du règlement n o  510/2006 régissent la « procédure normale » d’enregistrement des appellations d’origine et des indications géographiques, procédure qui se compose de deux étapes successives, la première devant le gouvernement national et la seconde devant la Commission.

17.

Selon l’article 5 du règlement n o  510/2006, les demandes d’enregistrement sont adressées à l’État membre concerné, qui transmet la documentation à la Commission des Communautés européennes si les exigences du règlement sont remplies.

18.

L’article 5, paragraphe 6, dudit règlement confère aux États membres la possibilité d’accorder à la dénomination une protection transitoire au niveau national, conformément au règlement. Cette protection transitoire commence à la date du dépôt de la demande devant la Commission et cesse à compter de la date à laquelle une décision relative à l’inscription dans le registre communautaire est prise. Les conséquences de la protection nationale transitoire « sont de la seule responsabilité de l’État membre concerné » dans le cas où la dénomination ne serait pas enregistrée.

2.  Le règlement (CE) n o  918/2004

19.

En 2004, l’adhésion à l’Union européenne de dix nouveaux États a imposé l’adoption de certaines mesures transitoires dans le domaine des appellations d’origine et des indications géographiques.

20.

C’est à cette finalité que répond le règlement (CE) n o  918/2004  ( 8 ) , dont l’article 1 er autorise la République tchèque, la République d’Estonie, la République de la Chypre, la République de la Lettonie, la République de la Lituanie, la République de la Hongrie, la République de Malte, la République de la Pologne, la République de la Slovénie et la République de la Slovaquie à maintenir la protection nationale des appellations d’origine et des indications géographiques existant au 30 avril 2004 au sens du règlement n o  2081/92:

jusqu’au 31 octobre 2004 , en règle générale;

ou, lorsque la Commission est saisie d’une demande d’enregistrement, jusqu’à ce qu’une décision à cet égard soit adoptée.

21.

Cet article 1 er prévoit également, dans son troisième alinéa, que « [l]es conséquences d’une telle protection dans le cas où la dénomination n’est pas enregistrée au niveau communautaire sont de la seule responsabilité de l’État membre concerné » .

3.  L’acte d’adhésion  ( 9 )

22.

L’annexe II de l’acte d’adhésion a étendu la protection communautaire à trois dénominations de bière provenant de la ville tchèque de České Budějovice par leur enregistrement comme indications géographiques protégées:

Budějovické pivo;

Českébudějovické pivo;

Budějovický měšt’anský var.

III — Le litige au principal, ses origines et la question préjudicielle

A — Brève histoire d’un long différend

23.

La lutte pour l’usage exclusif des dénominations Budweiser et Bud a été à l’origine de sévères batailles qui, depuis plus d’un siècle, opposent l’entreprise tchèque Budějovický Budvar (Budweiser Budvar, ci-après « Budvar » ) à la société américaine Anheuser-Busch.

24.

La brasserie Budvar  ( 10 ) est sise dans la ville de České Budějovice, célèbre pour sa tradition brassicole séculaire  ( 11 ) . Depuis 1795, les entreprises qui ont fusionné ultérieurement pour constituer l’actuelle société Budvar produisent et commercialisent de la bière comportant les indications « Budweis » ( 12 ) , « Budweiser Bier » ( 13 ) , « Budvar » ou « Budbräu » ( 14 ) . La marque « Budweiser » a été enregistrée en 1895.

25.

Comme la plupart des brasseurs de Saint Louis (Missouri), les Anheuser-Busch étaient d’origine allemande  ( 15 ) . Il n’est donc guère surprenant que, conscients de la réputation de la bière de Budweis, ils aient résolu en 1876 de lancer sur le marché américain une bière légère dénommée « Budweiser » , suivie ultérieurement d’une autre bière portant le nom abrégé « Bud » . Ils ont adopté non seulement la dénomination de la boisson tchèque, mais également la recette qui s’inspirait des méthodes de fabrication utilisées en Bohême  ( 16 ) , et ont paraphrasé le surnom de « the beer of kings » (la bière des rois), employé à Budweis, en apposant sur les étiquettes de la bière américaine l’expression « the king of beers » (la reine des bières). En février 1906, l’Office américain des brevets a rejeté la demande de reconnaissance de la marque « Budweiser » déposée par Anheuser-Busch au motif qu’elle avait un caractère géographique. L’année suivante toutefois, il en a admis l’enregistrement aux États-Unis pour une période de dix ans.

26.

L’accroissement des échanges commerciaux des deux côtés de l’Atlantique a engendré un conflit dont les premiers épisodes judiciaires remontent à 1880. Depuis lors, les procès relatifs à l’emploi des dénominations Budweiser et Bud se sont succédé dans de nombreux pays  ( 17 ) , avec des résultats très divers  ( 18 ) .

27.

La juridiction communautaire n’est pas restée à l’écart de cette stratégie contentieuse globale. Les représentants des deux entreprises (ou les distributeurs de leurs produits) ont saisi fréquemment les instances européennes pour dénoncer la violation du droit communautaire.

28.

À plusieurs reprises, Anheuser-Busch a demandé l’enregistrement des signes Budweiser et Bud en tant que marques communautaires (dans leurs variantes verbale et figurative et pour différents groupes). L’opposition de Budvar, qui alléguait des droits antérieurs, a donné lieu à une série de décisions de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (ci-après l’ « OHMI » ) et aux recours correspondants devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes.

29.

Ainsi, par sa décision du 3 décembre 2003 ( 19 ) , la deuxième chambre de recours de l’OHMI a accueilli l’opposition de Budvar à l’enregistrement de Budweiser en tant que marque communautaire de la classe 32 (bières, …). Cette décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal; toutefois, Anheuser-Busch ayant retiré sa demande d’enregistrement, cette affaire a fait l’objet d’un non-lieu à statuer  ( 20 ) .

30.

Au contraire, par décisions des 14 et 28 juin et du 1 er  septembre 2006  ( 21 ) , la deuxième chambre de recours de l’OHMI a autorisé l’enregistrement du terme Bud en tant que marque communautaire en dépit de l’opposition de Budvar, qui avait invoqué les traités bilatéraux entre la République d’Autriche et la Tchécoslovaquie et l’enregistrement de la dénomination litigieuse auprès de l’OMPI en tant qu’appellation d’origine, conformément à l’arrangement de Lisbonne, avec effet en France, en Italie et au Portugal  ( 22 ) . La chambre de recours a considéré qu’il était difficile de concevoir que le signe Bud puisse être considéré comme étant une appellation d’origine ou une indication géographique indirecte, en estimant que les preuves fournies par Budvar quant à l’usage de l’appellation d’origine Bud, en particulier en Autriche, en France et au Portugal, étaient insuffisantes. Elle a déclaré également que la simple utilisation du signe Bud ne peut constituer simultanément l’usage d’une marque et d’une indication de provenance, car l’une et l’autre remplissent des fonctions différentes et incompatibles. Dans son récent arrêt du 16 décembre 2008 ( 23 ) , le Tribunal a annulé ces décisions de l’OHMI.

31.

La Cour, elle aussi, a déjà rendu deux arrêts dans le cadre du contentieux général qui oppose la société tchèque Budvar et la société américaine Anheuser-Busch. Il s’agit, d’une part, de l’arrêt du 16 novembre 2004 , Anheuser-Busch  ( 24 ) , et, d’autre part, de l’arrêt Bud I de 2003, précité.

32.

Dans le premier de ces arrêts, qui concerne la branche finlandaise de cette longue saga, la Cour s’est prononcée sur le régime applicable à l’usage d’une marque enregistrée et d’un nom commercial potentiellement inconciliables, notamment à la lumière de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce  ( 25 ) (ci-après l’ « accord ADPIC » ). On ne peut tirer aucune conséquence de cette décision aux fins des questions posées dans la présente affaire.

33.

L’arrêt Bud I, en revanche, a un lien beaucoup plus direct avec la présente affaire, car il marque l’ouverture du chapitre autrichien, davantage centré sur les indications géographiques que sur le droit des marques.

B — Le litige au principal

1. La base factuelle de la première question préjudicielle

34.

Les faits à l’origine de cette bataille judiciaire en Autriche remontent à 1999, date à laquelle Budvar a demandé au Handelsgericht Wien d’enjoindre à Rudolf Ammersin GmbH (entreprise qui commercialise en Autriche la bière de marque américaine Bud, ci-après « Ammersin » ) de s’abstenir d’utiliser, sur le territoire autrichien, la dénomination Bud ou des dénominations semblables prêtant à confusion, sauf s’il s’agit de produits de Budvar. Elle a invoqué essentiellement la convention bilatérale entre la République d’Autriche et la République socialiste tchécoslovaque en vertu de laquelle l’appellation Bud (visée à l’annexe B de l’accord précité) ne peut être utilisée en Autriche que pour les marchandises d’origine tchèque.

35.

Parallèlement, Budvar avait saisi le Landesgericht Salzburg d’un recours identique, mais dirigé contre Josef Sigl KG, importateur exclusif de la bière américaine Bud en Autriche. Dans ce second procès et, plus précisément, dans le pourvoi formé contre une ordonnance de mesures provisoires, l’Oberster Gerichtshof a rendu, le 1 er  février 2000 , une ordonnance dans laquelle il a non seulement confirmé les mesures provisoires décidées en appel, mais également jugé que la protection de l’appellation Bud prévue par la convention bilatérale était compatible avec l’article 28 CE au motif qu’elle relève de la protection de la propriété industrielle et commerciale au sens de l’article 30 CE. Il a considéré que la dénomination Bud est une indication géographique « simple » (parce qu’il n’existe pas de lien entre les caractéristiques du produit et sa provenance) et « indirecte » (parce qu’elle ne constitue pas en tant que telle un nom géographique mais un qualificatif apte à informer le consommateur du lieu d’origine du produit) bénéficiant d’une « protection absolue » , c’est-à-dire indépendante de tout risque de confusion ou de tromperie.

2. L’arrêt Bud I

36.

C’est dans ces conditions que le Handelsgericht Wien a décidé, le 26 février 2001 , de surseoir à statuer et de poser à la Cour quatre questions préjudicielles, auxquelles celle-ci a répondu dans l’arrêt Bud I, précité.

37.

Les troisième et quatrième questions portaient sur la validité de la convention bilatérale en République tchèque (il ne faut pas oublier que le traité avait été conclu par l’ancienne Tchécoslovaquie) et sur les effets de l’article 307 CE.

38.

Les deux premières questions déférées à la Cour en 2001 revêtent une importance plus grande aux fins du présent litige, et la Cour y a répondu de la manière suivante:

« 1)

L’article 28 CE et le règlement (CEE) n o  2081/92 […] ne s’opposent pas à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers, qui confère à une indication de provenance géographique simple et indirecte de ce pays tiers une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre.

2)

L’article 28 CE s’oppose à l’application d’une disposition d’un traité bilatéral conclu entre un État membre et un pays tiers qui confère à une dénomination ne se référant ni directement ni indirectement dans ce pays à la provenance géographique du produit qu’elle désigne une protection dans l’État membre importateur qui est indépendante de tout risque de tromperie et qui permet d’empêcher l’importation d’une marchandise légalement commercialisée dans un autre État membre. »

39.

En application des points 101 et 107 de l’arrêt, la juridiction de renvoi devait vérifier si la dénomination Bud désigne l’origine du produit ou s’y réfère « selon les conditions de fait et les conceptions prévalant en République tchèque » .

3. Les événements postérieurs à l’arrêt Bud I

40.

À la suite de la réponse de la Cour, le Handelsgericht Wien a rejeté, par jugement du 8 décembre 2004 , les prétentions de Budvar au motif que la population tchèque n’associait pas la dénomination Bud à une région ou à un endroit déterminés, y compris la ville de České Budějovice, et ne pensait pas non plus qu’elle désignait des produits ou des services provenant d’un site déterminé, de sorte qu’elle ne pouvait pas être qualifiée d’indication géographique. Suivant l’arrêt de la Cour, la juridiction viennoise a jugé que la protection de cette dénomination devait être réputée incompatible avec l’article 28 CE.

41.

Bien que la juridiction d’appel ait confirmé ce jugement de première instance, le litige était loin d’être clos.

42.

Dans une ordonnance du 29 novembre 2005 , l’Oberster Gerichtshof a annulé les décisions antérieures et renvoyé l’affaire devant le Handelsgericht Wien pour qu’il statue à nouveau après une procédure complémentaire. Appliquant les critères énoncés aux points 54 et 101 de l’arrêt Bud I, la juridiction suprême autrichienne est parvenue à la conclusion que, même s’il est vrai que la dénomination Bud ne constitue pas un nom géographique, elle n’en est pas moins apte à informer les consommateurs de ce que le produit ainsi désigné provient d’un endroit, d’une région ou d’un pays déterminés, en laissant ouvert le point de savoir si les consommateurs voient dans la dénomination Bud associée à la bière une indication d’origine. En conséquence, l’Oberster Gerichtshof a jugé que la question de savoir si la dénomination litigieuse représente une indication géographique simple ou indirecte n’avait pas encore été tranchée.

43.

Saisie à nouveau de l’affaire, la juridiction de première instance a rejeté à nouveau, par jugement du 23 mars 2006 , les prétentions de Budvar. Se fondant sur un sondage d’opinion produit par Ammersin, elle a déclaré que la population tchèque n’associait pas la dénomination Bud à un lieu, à une région ou à un pays déterminés, et ne pensait pas non plus que la bière Bud ait un lieu d’origine précis (en particulier České Budějovice).

44.

La demanderesse a alors saisi une nouvelle fois l’Oberlandesgericht Wien, qui a annulé le jugement attaqué et renvoyé l’affaire à la juridiction commerciale de première instance, en lui recommandant de réaliser, conformément à la proposition de Budvar, un sondage d’opinion auprès de catégories pertinentes de la population pour vérifier si les consommateurs tchèques associaient la dénomination Bud à la bière; si, en établissant ce lien (par eux-mêmes ou parce que l’expert le leur a suggéré), ils comprenaient cette dénomination comme indiquant que la bière provient d’un lieu, d’une région ou d’un pays déterminés; et, en cas de réponse affirmative, pour qu’ils précisent avec quel lieu, quelle région ou quel pays ils opèrent cette association.

45.

En abordant cette affaire pour la troisième fois consécutive, le Handelsgericht Wien a jugé nécessaire d’adresser une dernière question préjudicielle à la Cour pour qu’elle clarifie certains aspects de l’arrêt Bud I dont l’interprétation a suscité des doutes dans les milieux judiciaires autrichiens, en tenant compte des changements matériels et juridiques importants survenus depuis l’arrêt de 2003 et, en particulier, de l’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne, de la protection d’une série de dénominations de bière provenant de České Budějovice en tant qu’indications géographiques dans le traité d’adhésion et de la décision — annulée entre-temps par le Tribunal — de la deuxième chambre de recours de l’OHMI du 14 juin 2006 , précitée, dont les motifs énoncent que la dénomination Bud invoquée par la partie demanderesse ne peut pas constituer en même temps une marque et une indication géographique.

C — Les questions préjudicielles

46.

En application de l’article 234 CE, le Handelsgericht Wien a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

« 1)

Pour admettre la compatibilité avec l’article 28 CE de la protection d’une dénomination comme indication géographique, laquelle n’est, dans le pays d’origine, ni le nom d’un lieu ni celui d’une région, la Cour a, dans son arrêt du 18 novembre 2003 , […] posé les exigences d’après lesquelles une telle dénomination doit:

selon les conditions de fait et

les conceptions prévalant dans le pays d’origine, désigner une région ou un endroit du territoire de cet État

et sa protection doit être justifiée au regard des critères de l’article 30 CE.

Ces exigences signifient-elles:

1.1

que la dénomination remplit, en tant que telle, une fonction concrète d’indication géographique d’un endroit déterminé ou d’une région déterminée ou suffit-il que la dénomination associée au produit qui en est revêtu soit apte à indiquer aux consommateurs que ce produit provient d’un endroit déterminé ou d’une région déterminée du territoire du pays d’origine;

1.2

que les trois conditions constituent des conditions cumulatives devant être examinées séparément;

1.3

qu’il convient de mener un sondage auprès des consommateurs pour déterminer les conceptions prévalant dans le pays d’origine et — en cas de réponse affirmative — qu’un degré faible, moyen ou élevé de notoriété et de reconnaissance est requis pour la protection;

1.4

que la dénomination a été effectivement utilisée en tant qu’indication géographique dans le pays d’origine par plusieurs entreprises, et pas uniquement par une seule, et que l’utilisation comme marque par une seule et unique entreprise va à l’encontre de la protection?

2)

La circonstance qu’une dénomination n’ait été ni notifiée dans le délai de six mois prévu dans le règlement (CE) n o  918/2004 de la Commission, du 29 avril 2004 , relatif à des dispositions transitoires en matière de protection des appellations d’origine et des indications géographiques des produits agricoles et des denrées alimentaires du fait de l’adhésion de la République tchèque, de l’Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie, ni d’aucune manière déposée dans le cadre du règlement (CE) n o  510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006 , relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, a-t-elle pour effet d’invalider une protection nationale existante ou, en tout état de cause, une protection étendue bilatéralement à un autre État membre si la dénomination constitue, selon le droit national de l’État d’origine, une indication géographique qualifiée?

3)

La circonstance que, dans le cadre du traité d’adhésion entre les États membres de l’Union européenne et un nouvel État membre, cet État membre ait, en vertu du règlement (CE) n o  510/2006, revendiqué la protection de plusieurs indications géographiques qualifiées d’une denrée alimentaire, a-t-elle pour conséquence que l’on ne doit plus maintenir une protection nationale conférée à une autre dénomination désignant le même produit ou, en tout état de cause, une protection étendue bilatéralement à un autre État membre et que, dans cette mesure, le règlement (CE) n o  510/2006 a un effet définitif? »

IV — La procédure devant la Cour de justice

47.

La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 25 octobre 2007 .

48.

Ont déposé des observations écrites la demanderesse et la défenderesse au principal, les gouvernements tchèque et grec ainsi que la Commission.

49.

Ont comparu à l’audience du 2 décembre 2008 les représentants de Budějovický Budvar National Corporation, Rudolf Ammersin GmbH, la République tchèque, la République hellénique et la Commission pour présenter leurs observations orales.

V — Analyse des questions préjudicielles

A — Deux considérations préalables

50.

Le présent renvoi préjudiciel présente deux particularités qu’il convient d’examiner préalablement.

1. L’exégèse d’un arrêt antérieur

51.

La première singularité réside dans le fait que le Handelsgericht Wien demande à la Cour de clarifier la teneur de certains passages de l’arrêt Bud I.

52.

La circonstance que l’objet du renvoi soit, en partie, non une règle communautaire mais une décision de la Cour n’entraîne pas à mon sens de problèmes de recevabilité. En effet, la Cour a accepté, dans le passé, de répondre aux demandes de cette nature que des juridictions nationales lui avaient soumises par voie préjudicielle; c’est le cas par exemple des arrêts du 16 mars 1978 , Robert Bosch  ( 26 ) , et du 16 décembre 1992 , B & Q  ( 27 ) .

53.

Cela étant, cette demande d’interprétation d’une décision précédente a pour origine l’opinion différente que maintiennent à cet égard deux juridictions autrichiennes entre lesquelles existe un rapport hiérarchique. Face à l’insistance de l’Oberster Gerichtshof et de l’Oberlandesgericht Wien quant à la manière d’administrer et d’apprécier la preuve d’un aspect du procès (la perception que l’on a en République tchèque de la dénomination Bud), le Handelsgericht Wien a renvoyé l’affaire à la Cour, peut-être dans l’espoir qu’elle lui donne raison ou que, à tout le moins, elle mette fin aux dissensions latentes entre les juridictions nationales.

54.

Toutefois, la Cour ne devrait pas accepter un tel rôle. Dans son arrêt Bud I, elle a expressément confié cette appréciation au juge national et rien ne justifie qu’elle modifie à présent sa position, ni qu’elle fournisse des critères différents ou des précisions supplémentaires à celles qu’elle a apportées dans le passé.

2. Il y a modification de l’hypothèse de départ

55.

La seconde particularité de la présente affaire réside dans le fait que l’hypothèse sur laquelle se fonde la juridiction de renvoi change dans les trois questions préjudicielles. Dans la première, la juridiction viennoise interroge la Cour sur les critères qu’il convient de retenir pour que Bud soit considéré comme une indication géographique « simple et indirecte » , compatible avec l’article 28 CE, tandis que les deuxième et troisième questions sont fondées sur l’idée que la dénomination en question constitue une indication géographique « qualifiée » en vertu du droit interne de l’État d’origine.

56.

La distinction entre indications géographiques simples et qualifiées est largement admise dans la doctrine  ( 28 ) et dans la jurisprudence  ( 29 ) .

57.

Les indications géographiques simples n’exigent pas que les produits présentent un attribut spécial ou une certaine renommée liés au site dont ils proviennent, mais elles doivent être suffisantes pour identifier ce site. Au contraire, sont réputées qualifiées les indications qui servent à désigner un produit possédant une qualité, une réputation ou une autre caractéristique en rapport avec son origine; outre ce lien territorial, elles présentent également une autre caractéristique, de moindre intensité que celle que revêtent les appellations d’origine, lesquelles sont réservées aux produits dont les singularités sont imputables à des facteurs naturels ou humains inhérents à leur lieu de provenance. La réglementation communautaire protège uniquement les appellations d’origine et les indications géographiques qualifiées.

58.

Dans l’arrêt Bud I, la Cour a estimé que la dénomination Bud est une indication géographique simple  ( 30 ) non visée dans le règlement n o  2081/92, et a fixé les conditions auxquelles sa protection serait conforme au droit communautaire sur le territoire national ou celles requises pour qu’elle s’étende à un État tiers. En exprimant de nouveaux doutes sur la rédaction de cet arrêt, la juridiction de renvoi réitère sa perception initiale de la dénomination litigieuse comme indication géographique simple. Il est donc surprenant qu’immédiatement après elle pose deux questions inspirées d’une éventuelle qualification de Bud en tant qu’indication géographique qualifiée comprise dans le champ d’application du règlement communautaire.

59.

L’entreprise demanderesse voit dans cette incohérence une cause d’irrecevabilité de la première question préjudicielle.

60.

Selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national saisi du litige d’apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour sur le fondement de l’article 234 CE  ( 31 ) . Toutefois, la Cour a admis que, dans des cas exceptionnels, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie à titre préjudiciel par une juridiction nationale afin de vérifier sa propre compétence  ( 32 ) . Tel est le cas lorsque le problème soumis à la Cour est de nature purement hypothétique  ( 33 ) , car l’esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques  ( 34 ) .

61.

Le Handelsgericht Wien lui-même reconnaît indirectement dans son ordonnance le caractère hypothétique de la première question, en indiquant que, si en l’an 2000 (date à laquelle les questions préjudicielles à l’origine de l’arrêt Bud I ont été posées) « il était présumé que la dénomination ‘ Bud ’ constituait une indication géographique simple et indirecte » , tout a changé depuis lors; en effet, « s’agissant de la question de la compatibilité avec l’article 28 CE de la protection de l’indication géographique indirecte » , la Cour a, dans l’arrêt Bud I, « renvoyé à la situation dans le pays d’origine, donc en République tchèque » ; en outre, « en République tchèque la dénomination ‘ Bud ’ est juridiquement protégée comme indication d’origine » .

62.

En dépit de ces affirmations catégoriques, le sens que l’on attribue en République tchèque à la dénomination « Bud » suscite un débat toujours ouvert, autour duquel tourne en réalité tout le litige au principal. La réponse à la première question préjudicielle pourrait contribuer à déterminer si la condition de la désignation territoriale, indispensable pour que la dénomination puisse être considérée comme une indication géographique, est remplie. S’il existe en plus un lien qualitatif, ou toute autre raison permettant de la considérer comme une appellation d’origine en République tchèque, la réponse de la Cour à la deuxième et à la troisième question serait d’une très grande utilité.

63.

Par conséquent, même si dans une autre situation il serait indispensable que les faits de l’affaire soient établis et que les problèmes de pur droit national soient tranchés au moment du renvoi à la Cour  ( 35 ) , il y a lieu de déclarer recevables les trois questions préjudicielles posées en l’espèce.

B — Sur la première question préjudicielle

64.

Par sa première question préjudicielle, le Handelsgericht Wien soumet à la Cour de justice certains doutes relatifs aux passages de l’arrêt Bud I dans lesquels la Cour s’est prononcée sur « les conditions requises pour admettre la compatibilité avec l’article 28 CE de la protection d’une dénomination comme indication géographique qui n’est, dans le pays d’origine, ni le nom d’un lieu ni celui d’une région » .

65.

Il s’agit en particulier des points 101 et 107 de l’arrêt, dans lesquels la Cour invite la juridiction de renvoi à vérifier si, « selon les conditions de fait et les conceptions prévalant en République tchèque » , la dénomination Bud désigne une région ou un endroit du territoire de cet État. S’il en était ainsi et que la protection nationale était « justifiée au regard des critères de l’article 30 CE » , son extension au territoire d’un État membre serait conforme au droit communautaire; dans le cas contraire, il y aurait violation de l’article 28 CE.

1. Sur la manière de vérifier l’association de la dénomination Bud à un lieu déterminé

66.

La juridiction viennoise se demande, en premier lieu, si la dénomination en tant que telle doit remplir une fonction d’indication géographique concrète d’un endroit ou d’une région ou s’il suffit qu’elle indique au consommateur que le produit en cause a une provenance déterminée.

67.

Au point 101 de l’arrêt Bud I, la Cour conseille à la juridiction de renvoi de vérifier si la dénomination Bud « désigne » une région ou un endroit, ce qui signifierait, dans une première approximation, qu’elle correspond à un toponyme. Mais le point 107 dément cette idée, en évoquant une désignation directe ou indirecte; de plus, cette décision repose sur l’hypothèse que Bud est une indication géographique « simple et indirecte » ( 36 ) .

68.

Les indications géographiques et les appellations d’origine proprement dites ne consistent pas toujours en des noms géographiques: elles sont « directes » lorsque tel est le cas, et « indirectes » dans le cas contraire, dès lors qu’elles informent à tout le moins le consommateur que la denrée alimentaire à laquelle elles se réfèrent provient d’un lieu, d’une région ou d’un pays déterminés. Le règlement n o  510/2006 lui-même admet cette dernière possibilité en mentionnant, en son article 2, paragraphe 2, les « dénominations traditionnelles » , même si elles ne sont pas toponymiques  ( 37 ) .

69.

Par conséquent, pour satisfaire aux exigences de l’arrêt Bud I, il suffit que le terme identifie le lieu d’origine du produit. En l’espèce, il faut rechercher si la dénomination Bud indique aux citoyens tchèques que la bière portant cette appellation provient de la ville de České Budějovice; ce qui ne signifie pas que le nom remplisse ce rôle d’indication géographique lorsqu’il figure à côté du produit en cause, et seulement dans cette hypothèse.

70.

Certaines objections de la défenderesse sont pertinentes. Aux points 25 et 26 de ses observations, Ammersin maintient que sa concurrente Budvar emploie de facto le terme Bud comme marque et non comme indication géographique  ( 38 ) , élément qui pourrait troubler l’appréciation objective de la fonction que remplit réellement le vocable Bud; en effet, « les buveurs de bière savent souvent — tout comme les automobilistes, par exemple — à quel endroit ou dans quelle région et, en tout état de cause, dans quel pays — est fabriqué(e) la bière ou le véhicule qu’ils ont acheté(e) » , ce qui ne doit pas conduire à confondre ces marques avec des indications de provenance. Ammersin cite certains exemples très parlants, comme celui de Coca-Cola ou de Volkswagen: la plupart des Américains savent que les boissons de la marque Coca-Cola sont produites à Atlanta, et de nombreux Allemands associent la marque Volkswagen à la ville de Wolfsburg, mais ni l’une ni l’autre de ces marques n’en deviennent pour autant des indications géographiques.

71.

Indépendamment du fait que le public tchèque puisse deviner la provenance de la « bière Bud » , il y a lieu de vérifier si cette dénomination Bud est suffisamment claire pour évoquer un produit, la bière, et son origine, la ville de České Budějovice.

72.

De même que les substantifs « cava » ou « grappa » évoquent les berceaux espagnol et italien, respectivement, d’un vin mousseux et d’une liqueur et que le terme « feta » désigne un fromage grec  ( 39 ) , si l’on comprenait que Bud représente une indication géographique, le consommateur tchèque devrait lier cette expression à un lieu précis et à la fabrication de bière.

2. Sur le point de savoir s’il s’agit de trois exigences indépendantes

73.

Dans la deuxième partie de sa première question préjudicielle, le Handelsgericht Wien demande si l’arrêt Bud I, en affirmant que tout dépend des « conditions de fait et [d]es conceptions prévalant en République tchèque » , ainsi que du point de savoir si la protection de la dénomination Bud dans cet État est justifiée au regard des critères de l’article 30 CE, « vise à opérer une différenciation telle que trois critères différents sont à examiner ou s’il convient seulement d’entendre par là que les consommateurs tchèques associent à la dénomination « Bud » (en liaison ou non avec le produit qui en est revêtu, en fonction de la réponse à la première question) un lieu, une région ou un pays déterminés » .

74.

Cette dernière interprétation est plus correcte. La rédaction de l’arrêt Bud I semble s’inspirer du point 12 de l’arrêt Exportur, précité, selon lequel la protection des indications de provenance est déterminée par le droit du pays d’importation ainsi que « par les conditions de fait et les conceptions existant dans ce pays » . Toutefois, dans l’affaire Bud I, il faut prendre en considération les circonstances du pays d’origine des produits (la République tchèque) et non celles du pays d’importation (l’Autriche), car dans cette décision la Cour a clarifié la question de savoir si la protection conférée à la dénomination Bud dans le premier de ces États s’étendait au deuxième État en vertu d’une convention bilatérale.

75.

Par conséquent, le point 101 signifie que les consommateurs tchèques doivent associer Bud à un lieu ou à une région déterminés dans les conditions exposées dans la réponse à la première question, point 1, sans qu’il soit besoin de « faits » spécifiques.

76.

Si cette condition était réalisée, il conviendrait de vérifier que la dénomination Bud n’a pas acquis de caractère générique dans l’État d’origine, condition à laquelle la jurisprudence subordonne la classification d’une indication de provenance sous la rubrique de la « propriété industrielle » de l’article 30 CE  ( 40 ) . Dans cette hypothèse, sa protection serait justifiée à la lumière des critères de cette disposition.

3. Sur la nécessité de réaliser un sondage

77.

Dans la troisième partie de la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour de quel est le mécanisme approprié « pour déterminer les conceptions [de la dénomination en cause] prévalant dans le pays d’origine » et, en particulier, s’il convient de mener un sondage.

78.

La jurisprudence a saisi cette possibilité de recourir à un sondage d’opinion tant pour constater le caractère trompeur d’une indication publicitaire  ( 41 ) que pour établir le caractère distinctif d’une marque  ( 42 ) . Dans les deux hypothèses, la Cour a précisé que la décision d’employer l’un ou l’autre instrument appartient au juge national, cette décision devant être adoptée conformément au droit de l’État membre concerné.

79.

Par conséquent, en application du principe d’autonomie procédurale, il appartient aux juridictions nationales de décider également dans le cas d’espèce et conformément à leurs propres règles s’il convient de demander un rapport d’expertise ou de commander un sondage d’opinion afin de se renseigner sur l’aptitude de la dénomination Bud à indiquer la provenance de la bière, ainsi que de fixer le pourcentage de consommateurs jugé suffisamment significatif à cet effet.

4. Sur l’utilisation de la dénomination Bud par une seule entreprise

80.

Dans la quatrième et dernière partie de la première question préjudicielle, le Handelsgericht Wien demande si l’arrêt Bud I exige qu’une indication géographique soit utilisée comme telle dans le pays d’origine par plusieurs entreprises, de sorte que son utilisation en tant que marque par une seule entreprise serait contraire à la protection.

81.

Les doutes de la juridiction nationale naissent du fait que « la dénomination ‘ Bud ’ est une marque enregistrée en République tchèque pour le compte de la partie demanderesse » , qui est d’ailleurs la seule société à l’utiliser dans ce pays, bien qu’il soit « dans la nature d’une indication de provenance d’être utilisée par tous les producteurs autorisés d’une certaine région » .

82.

Les indications géographiques et les marques sont des notions distinctes, quoique voisines. Elles protègent toutes deux la réputation commerciale d’un article d’éventuelles usurpations illicites d’un tiers, en fournissant des indications quant à son origine, géographique et entrepreneuriale, respectivement. Elles se distinguent en ce que la marque garantit un intérêt privé, celui de son titulaire, tandis que l’indication géographique protège les intérêts de tous les producteurs établis dans la zone correspondante.

83.

À mon sens, cette nuance n’implique pas qu’une indication géographique doive être utilisée simultanément par différentes sociétés de la région pour conserver sa validité, laquelle dépend d’autres facteurs. Du moins, je ne pense pas que l’on puisse découvrir cette idée, comme semble le suggérer la juridiction de renvoi, dans le point 101 de l’arrêt Bud I, qui mentionne l’obligation de rechercher les « conditions de fait » prévalant en République tchèque en ce qui concerne la dénomination litigieuse.

84.

Toutefois, il ne s’agit en l’occurrence ni d’une marque ni d’une indication géographique enregistrée dans le cadre communautaire. En conséquence, c’est au droit interne, à la lumière du traité bilatéral, qu’il appartient de déterminer le nombre de personnes qui en pratique doivent utiliser la dénomination en cause pour qu’elle demeure effective.

85.

Il en est de même de la question de savoir si l’utilisation de la dénomination Bud en tant que marque par une seule entreprise porterait atteinte à sa protection en tant qu’indication géographique.

86.

La réglementation communautaire prévoit certaines règles pour résoudre les conflits éventuels entre indications géographiques et marques, règles qui laissent transparaître une certaine préférence pour les premières, peut-être parce qu’elles protègent l’intérêt public qui réside dans la possibilité pour les consommateurs de connaître la provenance et les caractéristiques des marchandises  ( 43 ) . Ainsi, l’article 14 du règlement n o  510/2006 prévoit que l’enregistrement de marques correspondant à des appellations d’origine ou à des indications géographiques protégées est refusé, tandis que les marques enregistrées antérieurement ou acquises par l’usage de la bonne foi coexistent avec les indications enregistrées ultérieurement selon le droit communautaire. La réglementation communautaire en matière de marques interdit également de recourir à des signes qui sont de nature à induire le public en erreur sur la provenance géographique du produit  ( 44 ) .

87.

En l’espèce toutefois, ce conflit éventuel entre l’usage de la marque Bud et sa reconnaissance en tant qu’indication géographique doit être tranché par la juridiction nationale, conformément au traité bilatéral.

C — Sur la deuxième question préjudicielle

88.

Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction autrichienne désire vérifier si, dans l’hypothèse où une dénomination n’a pas été notifiée à la Commission aux fins de son enregistrement communautaire, une protection nationale existante ou une protection étendue bilatéralement à un autre État membre perdent leur validité dès lors que l’on est en présence d’une indication géographique qualifiée en vertu du droit interne de l’État d’origine (en l’occurrence la République tchèque)  ( 45 ) .

89.

En somme, la juridiction de renvoi demande à la Cour de se prononcer sur l’exclusivité du régime de protection communautaire des indications géographiques et des appellations d’origine, un des points les plus discutés dans ce domaine, et que la jurisprudence n’a tranché que partiellement à ce jour.

90.

S’agissant des dénominations qui ne présentent aucun lien territorial, c’est-à-dire qui ne désignent ni directement ni indirectement la provenance géographique du produit, l’arrêt Bud I a déclaré que leur protection était contraire à l’article 28 CE. Il n’existe donc pas de protection nationale de telles dénominations  ( 46 ) . Le droit communautaire ne les protège pas davantage.

91.

Quant aux indications géographiques simples, il ressort de ce même arrêt Bud I et de l’arrêt Warsteiner Brauerai  ( 47 ) que leur protection au niveau national est conforme à l’article 28 CE, parce qu’elle relève des exceptions de l’article 30 CE au titre de la « propriété industrielle » . Les indications de cette nature ne relèvent pas du règlement n o  510/2006 (qui exige que le terme ait une signification topographique et, de plus, que les produits aient un attribut spécial ou une renommée imputable au lieu dont ils proviennent).

92.

Restent les appellations d’origine et les indications géographiques qualifiées, qui remplissent les critères de la réglementation communautaire et, partant, peuvent être enregistrées et bénéficier de la garantie du règlement n o  510/2006. Toutefois, si elles ne sont pas enregistrées dans la Communauté, il est douteux que les États membres puissent les protéger dans le cadre d’un système propre ou que le règlement précité revête un caractère exhaustif et interdise toute intervention de l’État dans son champ d’application formel et matériel.

93.

La question est complexe  ( 48 ) . Elle a trait en dernière analyse au débat relatif à la « préemption » communautaire et au point de savoir dans quelle mesure et dans quelles hypothèses les compétences concurrentes des États membres dans une matière ont pu être déplacées par l’action du législateur communautaire  ( 49 ) .

94.

La discussion est d’autant plus confuse en l’espèce que la réglementation nationale s’appliquerait sous le couvert de l’article 30 CE. Ainsi que l’a déclaré itérativement la jurisprudence, cette disposition n’a pas pour objet de « réserver certaines matières à la compétence exclusive des États membres, mais admet que les législations nationales fassent exception au principe de la libre circulation dans la mesure où cela est et demeure justifié pour atteindre les objectifs visés à cet article » ( 50 ) . Mais le recours aux exceptions de l’article 30 CE peut cesser d’être justifié si une règle communautaire veille déjà aux mêmes intérêts que la règle nationale, une fois que l’harmonisation est réalisée  ( 51 ) .

95.

Le règlement n o  510/2006 ne résout pas entièrement le problème, ce qui a favorisé la division de la doctrine  ( 52 ) et l’adoption de positions divergentes par les États membres.

96.

À mon sens, l’exclusivité du système communautaire semble plus cohérente avec la rédaction et la finalité de la réglementation communautaire, ainsi qu’avec la jurisprudence de la Cour.

1.  Le libellé du règlement n o  510/2006 et du règlement n o  918/2004

97.

À la différence du droit des marques, où l’on a opté clairement pour un double système de garantie, national et communautaire  ( 53 ) , sur le terrain des indications géographiques le législateur européen s’est borné à adopter un règlement en vue de leur protection communautaire, sans harmoniser parallèlement les régimes nationaux éventuels.

98.

Il se peut que cette stratégie réglementaire différente soit sous-tendue par l’idée selon laquelle on ne peut maintenir de règles étatiques potentiellement applicables dans le champ d’application propre du règlement communautaire. Le texte du règlement n o  510/2006 comporte certaines données.

99.

L’article 5, paragraphe 6, de ce règlement est assez révélateur, encore qu’il faille lui apporter certaines précisions.

100.

Cette disposition prescrit que, à compter de la date de dépôt d’une demande d’enregistrement auprès de la Commission, « [à] titre provisoire uniquement, l’État membre peut accorder au niveau national une protection à la dénomination » au titre du règlement (premier alinéa). Plus loin, elle ajoute que « [l]a protection nationale transitoire cesse d’exister à la date à laquelle une décision sur l’enregistrement est prise » (troisième alinéa), pour préciser ensuite que « les conséquences de la protection nationale transitoire, dans le cas où la dénomination ne serait pas enregistrée conformément au présent règlement, sont de la seule responsabilité de l’État membre concerné » (quatrième alinéa).

101.

Dans son arrêt Warsteiner Brauerei, précité, la Cour a jugé que cet article 5, paragraphe 6  ( 54 ) , « est […] sans rapport avec la question de savoir si les États membres peuvent accorder, sur leurs territoires nationaux respectifs, une protection selon leurs droits nationaux à des dénominations géographiques dont ils ne demandent pas l’enregistrement au titre du règlement n o  2081/92 ou qui ne remplissent pas les conditions pour bénéficier de la protection prévue par ce règlement » (point 53).

102.

Il est vrai que l’article 5, paragraphe 6, du règlement n o  510/2006 ne se prononce pas sur l’exclusivité dudit règlement et se borne à couvrir les éventualités pouvant surgir avant l’adoption de la décision communautaire d’enregistrement, mais cette circonstance n’empêche pas d’invoquer la disposition précitée comme instrument herméneutique, puisqu’une disposition de cette nature n’aurait aucun sens si les États membres pouvaient conserver leurs propres régimes dans le cadre du règlement communautaire, dans la mesure où la dénomination resterait couverte par la règle nationale durant la période transitoire.

103.

Cette approche selon laquelle la protection nationale des indications géographiques qualifiées ne subsiste que provisoirement semble inspirer les dispositions transitoires relatives à la protection des appellations d’origine et des indications géographiques des produits agricoles et des denrées alimentaires des nouveaux États membres, contenues dans le règlement n o  918/2004.

104.

L’article 1 er de ce règlement autorise la République tchèque et les autres États ayant adhéré à l’Union européenne en 2004 à proroger jusqu’au 31 octobre 2004« [l]a protection nationale des appellations d’origine et des indications géographiques au sens du règlement [CE] n o  2081/1992, […] existante au 30 avril 2004» , en ajoutant, de manière parallèle aux dispositions de l’article 5, paragraphe 6, du règlement n o  510/2006 que, « lorsqu’une demande d’enregistrement … a été transmise à la Commission » , cette protection peut être maintenue jusqu’à ce qu’une décision à cet effet soit prise.

105.

Cette règle, qui est plus claire que l’article 5 du règlement n o  510/2006, ne vise pas seulement à proroger l’efficacité d’un régime national lorsqu’une demande d’enregistrement a été déposée jusqu’à ce que l’on se soit prononcé sur cette demande, mais indique également expressément que les systèmes en vigueur dans les États membres à la date d’adhésion ne sont maintenus que jusqu’au 31 octobre 2004 , de sorte que, une fois l’une et l’autre dates écoulées, il n’existe pas de protection étatique parallèle à celle du règlement communautaire et produisant ses effets dans le même champ d’application matériel.

106.

À mon sens, la conclusion précédente n’est pas démentie par la disposition selon laquelle « [l]es conséquences d’une telle protection dans le cas où la dénomination n’est pas enregistrée au niveau communautaire sont de la seule responsabilité de l’État membre concerné » (ni par la disposition parallèle de l’article 5, paragraphe 6, quatrième alinéa, du règlement n o  510/2006). Cet alinéa mentionne les conséquences du régime national durant la période transitoire si l’indication demandée n’était pas enregistrée, et non celles qui découlent du maintien de la réglementation étatique au-delà de cette période transitoire.

2. La finalité de la réglementation communautaire et les travaux préparatoires

107.

Les objectifs du règlement n o  510/2006 ne peuvent être atteints qu’au moyen d’un instrument européen unique de protection des appellations d’origine et des indications géographiques.

108.

Depuis ses origines, cette réglementation a répondu à la nécessité de suivre une « approche communautaire » en la matière.

109.

C’est ce qui ressort des sixième et septième considérants du règlement n o  2081/92, qui constatent que « la volonté de protéger des produits agricoles ou denrées alimentaires identifiables quant à leur origine géographique a conduit certains États membres à la création d’ ‘ appellations d’origine contrôlée ’» . Considérant que ces pratiques nationales « sont actuellement disparates » , les auteurs du règlement ont préconisé une « approche communautaire » dans la mesure où « un cadre de règles communautaires comportant un régime de protection permettra aux indications géographiques et aux appellations d’origine de se développer du fait que ce cadre garantira, à travers une approche plus uniforme, des conditions de concurrence égale entre les producteurs de produits bénéficiant de ces mentions et qu’il conduira à une meilleure crédibilité de ces produits aux yeux des consommateurs » (le sixième considérant du nouveau règlement n o  510/2006 est rédigé en termes très similaires).

110.

Par conséquent, la réglementation communautaire recherche une garantie de qualité identique pour tous les consommateurs dans les limites du traité CE, un objectif difficile à atteindre si l’on traite différemment, même sur un territoire restreint, des dénominations ayant des caractéristiques identiques à celles inscrites dans le registre communautaire  ( 55 ) .

111.

C’est probablement pour cette raison que l’on a tant insisté dans les considérants de ces deux règlements sur l’opportunité d’homogénéiser le régime des indications géographiques qualifiées, surtout lorsque aucune directive d’harmonisation d’éventuels systèmes nationaux n’a été adoptée parallèlement. Si l’on avait voulu perpétuer leur validité, sans préjudice de cette « uniformité » , on aurait procédé à une harmonisation, comme cela s’est produit pour les marques.

112.

Les travaux préparatoires du règlement n o  2081/92 fournissent également certains indices de la volonté du législateur communautaire.

113.

La position de la Commission a toujours été claire. Dans sa proposition de 1990  ( 56 ) , elle a souligné que la protection communautaire devait remplacer les mécanismes nationaux de protection, critère qu’elle a confirmé ultérieurement dans ses diverses interventions devant la Cour. En revanche, le Comité économique et social européen a exprimé dans son avis sa préférence pour la coexistence des deux niveaux  ( 57 ) .

114.

Les dissensions se sont poursuivies au cours du processus de négociation, mais le Conseil a finalement décidé d’écarter toute référence expresse à la subsistance des régimes nationaux. Toutefois, il a laissé entendre que le règlement avait un caractère exclusif en exigeant, dans le douzième considérant dudit règlement, que, « pour bénéficier d’une protection dans tout État membre, les indications géographiques et les appellations d’origine doivent être enregistrées au niveau communautaire » .

3. La jurisprudence

115.

Bien que la Cour, comme je l’ai indiqué auparavant, ne se soit pas encore prononcée sur cet aspect, certaines décisions annonçaient l’idée d’une exhaustivité de la réglementation communautaire.

116.

Les arrêts Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola  ( 58 ) et Chiciak e.a.  ( 59 ) soulignent les limitations qui s’imposent aux États membres à partir du moment où ils demandent à la Commission d’enregistrer une dénomination.

117.

Dans l’arrêt Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, la Cour a déclaré que l’argument selon lequel la protection accordée par un État membre à une appellation d’origine subsiste après son enregistrement pour autant qu’elle a une portée supérieure à la protection communautaire est contredit par le texte même du règlement, « qui ne permet aux États membres de maintenir la protection nationale d’une dénomination que jusqu’à la date à laquelle une décision est prise sur son enregistrement comme dénomination protégée au niveau communautaire » .

118.

Dans l’arrêt Chiciak e.a., la Cour a jugé qu’un État membre ne peut modifier une appellation d’origine pour laquelle il a demandé l’enregistrement conformément au règlement ni la protéger au niveau national, tout en liant précisément le souci d’uniformisation du règlement à son caractère exclusif en ce qu’il dispose « qu’il a pour objet d’assurer une protection uniforme dans la Communauté des dénominations géographiques » ; la Cour ajoute qu’ « il y a lieu de constater que cette protection uniforme provient de l’enregistrement, effectué conformément aux règles spécifiquement prévues par le règlement » (point 25). À cet égard, la Cour a précisé que le règlement n o  2081/92 a instauré « l’obligation d’enregistrement communautaire des dénominations géographiques pour que ces dernières puissent bénéficier d’une protection dans tout État membre » , en définissant le cadre communautaire appelé à régir cette protection à l’avenir (point 26).

119.

On retrouve une déclaration similaire au point 50 de l’arrêt Warsteiner Brauerei, précité. Il y a lieu de mentionner également le point 49 de cette décision, aux termes duquel « l’objectif poursuivi par le règlement n o  2081/92 ne saurait être mis en cause par l’application, à côté dudit règlement, de règles nationales de protection d’indications de provenance géographique qui n’entrent pas dans son champ d’application » . Cette affirmation signifie a contrario qu’une réglementation nationale en matière d’indications géographiques qualifiées, auxquelles s’étend le règlement communautaire, pourrait bel et bien mettre en péril la réalisation du but de la règle européenne.

120.

Par conséquent, la jurisprudence semble avoir repris la suggestion, contenue dans le douzième considérant, susmentionné, du règlement n o  2081/92, selon laquelle l’enregistrement communautaire revêt un caractère obligatoire.

121.

Or, si l’enregistrement est obligatoire pour les dénominations comprises dans le champ d’application du règlement, lequel revêt de plus un caractère exclusif, une indication présentant ces caractéristiques qui n’aurait pas été communiquée en vue de son enregistrement communautaire dans le délai imparti restera sans protection; en effet, il n’existe pas de protection parallèle nationale, puisque ledit régime national est devenu caduc.

4. Sur la subsistance d’une protection étendue bilatéralement à un autre État membre

122.

Si le régime créé par le règlement communautaire est incompatible avec le maintien d’une protection nationale dans le même domaine, son extension à d’autres États membres doit être écartée à plus forte raison.

123.

Cette idée est corroborée par l’article 5, paragraphe 6, du règlement n o  510/2006, dont le cinquième alinéa prescrit que les mesures de protection accordées à titre provisoire par les États membres aux dénominations dont la demande d’enregistrement communautaire est en cours « ne produisent leurs effets que sur le plan national et ne doivent pas affecter les échanges intracommunautaires » .

124.

Cette disposition entend éviter la suspension de la protection des dénominations comprises dans le champ d’application du règlement après le dépôt d’une demande d’enregistrement communautaire. Toutefois, elle limite l’efficacité de la garantie nationale transitoire d’un point de vue temporel et territorial, conformément à la volonté d’ « uniformiser » le traitement des indications géographiques au sein de l’Union européenne.

125.

L’ « approche communautaire » du règlement n o  510/2006 implique non seulement la disparition de tout système national d’indications géographiques qualifiées, mais également, a fortiori, l’inapplicabilité de tout accord bilatéral entre deux États membres aux fins de leur protection indépendamment du règlement. La subsistance d’un réseau de conventions intraeuropéennes se superposant à la réglementation communautaire introduirait une opacité incompatible avec les objectifs de ce mécanisme.

126.

Toutefois, la République tchèque fait valoir que toute argumentation en faveur de l’exclusivité du règlement n o  510/2006 reviendrait à nier les obligations internationales des pays adhérents, en particulier dans le contexte de la protection dans les États membres de l’Union de Lisbonne, ce qui constituerait une violation de l’article 307 CE  ( 60 ) .

127.

Toutefois, l’article 307 CE ne peut pas être invoqué valablement dans la présente affaire, où l’on ne discute plus des droits d’aucun État membre étranger à l’Union. C’est ce qui ressort du libellé dudit article, selon lequel « [l]es droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1 er  janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés » par les dispositions du traité CE. Ainsi que l’a rappelé la Cour dans son arrêt Matteucci  ( 61 ) , l’article 307 CE (ancien article 234 du traité CE) ne fait aucune référence aux « conventions conclues uniquement entre États membres » . On ne peut donc pas l’invoquer à propos d’un accord auquel sont parties uniquement deux États membres (même s’ils ne l’étaient pas au moment de la signature de l’accord), et qui ne présente aucun lien avec un État tiers.

5. Corollaire

128.

En la matière, le législateur communautaire a opté non pour la voie de la reconnaissance mutuelle, mais pour celle de la centralisation des instruments de protection communautaire. Un tel mécanisme n’a de sens que si le sceau de l’ « indication géographique protégée » a une signification concrète qui puisse être associée à la qualité et qui soit égale pour tous les consommateurs, objectif inaccessible dans l’hypothèse d’une coexistence de la réglementation européenne et d’autres systèmes de portée territoriale variable, mais applicables à des dénominations ayant les mêmes caractéristiques.

129.

J’estime que le règlement n o  510/2006 écarte toute protection nationale ou bilatérale d’indications géographiques qualifiées comprises dans son champ d’application. En conséquence, une dénomination se trouvant dans ce champ et qui n’a pas été notifiée à la Commission ne peut être protégée par un ou plusieurs États membres de manière indépendante, et demeure sans défense; mais cette circonstance ne découle pas uniquement, comme semble le suggérer la formulation de la question préjudicielle, de l’absence d’enregistrement de l’indication, mais du caractère exclusif du système communautaire.

D — Sur la troisième question préjudicielle

130.

Par sa troisième question, le Handelsgericht Wien demande si la circonstance que la protection de diverses indications géographiques qualifiées pour la bière de la ville de České Budějovice a été intégrée dans le traité d’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne a une incidence sur la validité des systèmes de protection nationale et bilatérale d’une autre dénomination désignant le même produit.

131.

La réponse à cette dernière question préjudicielle est inutile si la thèse du caractère exclusif du règlement n o  510/2006 est retenue; en effet, toute protection nationale ou conventionnelle relevant de son champ d’application doit cesser, que d’autres indications relatives à une denrée alimentaire aient ou non été inscrites sur le registre communautaire.

132.

Sans préjudice des considérations qui précèdent, la réponse à cette question requiert une analyse de l’arrêt Chiciak e.a., précité, dans lequel une affaire présentant une certaine similitude avec le présent litige a été tranchée.

133.

Par décret du 14 mai 1991 , le gouvernement français avait institué l’appellation d’origine « Époisses de Bourgogne » pour un type de fromages provenant de cette région, en demandant à la Commission de l’enregistrer conformément au règlement n o  2081/92. En 1995, il a modifié le décret en vue d’enregistrer comme appellation d’origine contrôlée le terme « Époisses » . Dans l’arrêt Chiciak e.a., la Cour a jugé qu’un État membre ne peut adopter de dispositions pour modifier une appellation d’origine dont l’enregistrement a été demandé conformément au règlement communautaire ni non plus la protéger au niveau national.

134.

Cette décision a limité les pouvoirs dont dispose un État membre en ce qui concerne une indication géographique notifiée à la Commission aux fins de son enregistrement. Le règlement communautaire permet que subsiste dans l’État concerné une protection transitoire pour cette dénomination (limitée dans le temps et sur le plan territorial, comme je l’ai exposé auparavant); la Cour ajoute dans l’arrêt susmentionné que les autorités nationales ne peuvent pas changer l’indication notifiée.

135.

Cela étant, dans l’affaire « Époisses » , la conduite étatique censurée par la Cour a été la modification d’une dénomination dont l’enregistrement était en cours, de sorte que l’arrêt ne serait pas, en principe, directement applicable en cas de protection d’une dénomination désignant le même lieu de provenance que d’autres dénominations déjà inscrites, pour le même produit, dans la Communauté.

136.

L’idée selon laquelle il faut restreindre le champ d’action des États membres en la matière sous-tend l’arrêt Chiciak e.a., mais il serait inutile de l’interpréter aussi largement, étant donné le caractère indiscutablement exclusif que revêt, à mon sens, le règlement.

137.

Par conséquent, l’application de la jurisprudence Chiciak e.a. à la présente affaire ne serait appropriée que si la dénomination Bud constituait une partie ou une abréviation de l’une des indications géographiques protégées dans la Communauté pour la bière de České Budějovice (Budějovické pivo, Českébudějovické pivo et Budějovický měšt’anský var, selon le traité d’adhésion)  ( 62 ) . Mais ce problème doit être résolu par les juridictions nationales.

138.

En conséquence, le fait qu’une dénomination, à la différence d’autres dénominations concernant la même denrée alimentaire ayant la même provenance, n’ait pas été inscrite sur la liste du traité d’adhésion aux fins de sa protection communautaire ne constitue pas, en principe, un obstacle à sa protection nationale ou bilatérale, à moins qu’il ne s’agisse d’une version abrégée ou d’une partie de l’une des indications géographiques notifiées. Cela étant, cette assertion est dépourvue de conséquences pratiques, compte tenu du caractère exclusif que revêt le règlement n o  510/2006.

VI — Conclusion

139.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Handelsgericht Wien:

« 1)

Les exigences énoncées par la Cour dans son arrêt du 18 novembre 2003 , Budějovický Budvar, pour admettre la compatibilité avec l’article 28 CE de la protection d’une dénomination comme indication géographique qui n’est, dans le pays d’origine, ni le nom d’un lieu ni celui d’une région:

1.1

signifient que la dénomination doit être suffisamment claire pour faire penser à un produit et à son origine;

1.2

ne sont pas trois exigences distinctes devant être examinées séparément;

1.3

n’imposent pas la réalisation d’un sondage d’opinion et ne déterminent pas non plus le résultat qui devrait être obtenu pour justifier la protection;

1.4

n’impliquent pas que, en pratique, la dénomination soit utilisée dans le pays d’origine en tant qu’indication géographique par plusieurs entreprises, et ne préjugent pas de son utilisation en tant que marque par une seule entreprise.

2)

Lorsqu’une dénomination n’a pas été notifiée à la Commission dans le cadre du règlement (CE) n o  510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006 , relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, une protection nationale existante ou une protection étendue bilatéralement à un autre État membre perdent leur validité si la dénomination constitue une indication géographique qualifiée en vertu du droit de l’État d’origine, compte tenu du caractère exclusif du règlement n o  510/2006 quant aux indications comprises dans son champ d’application.

3)

La circonstance que la protection de diverses indications géographiques qualifiées pour une denrée alimentaire en vertu du règlement n o  510/2006 soit introduite dans le traité d’adhésion entre les États membres de l’Union européenne et un nouvel État membre n’empêche pas le maintien d’une protection nationale existante ou d’une protection étendue bilatéralement à un autre État membre pour une dénomination différente du même produit, pour autant que cette dernière soit une abréviation ou une partie de l’une des indications géographiques protégées dans la Communauté pour le même produit. Le règlement n o  510/2006 n’a pas d’effet exclusif à cet égard, sans préjudice de la réponse à la deuxième question préjudicielle. »


( 1 ) Langue originale: l’espagnol.

( 2 ) Arrêt Budějovický Budvar ( C-216/01, Rec. p. I-13617 ).

( 3 ) JO L 93, p. 12 .

( 4 ) Adopté le 31 octobre 1958 , révisé à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifié le 28 septembre 1979 ( Recueil des traités des Nations unies , vol. 828, n o  13172, p. 205).

( 5 ) À l’heure actuelle, 26 pays, dont la République tchèque, composent l’ « Union de Lisbonne » (http: //www.wipo.int/treaties/fr).

( 6 ) Cette convention a été publiée au Bundesgesetzblatt für die Republik Österreich du 19 février 1981 (BGBL, n. 75/1981) et est entrée en vigueur le 26 février 1981 pour une durée indéterminée.

( 7 ) Règlement du Conseil, du 14 juillet 1992 , relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires ( JO L 208, p. 1 ).

( 8 ) Règlement de la Commission, du 29 avril 2004 , relatif à des dispositions transitoires en matière de protection des appellations d’origine et des indications géographiques des produits agricoles et des denrées alimentaires du fait de l’adhésion de la République tchèque, de l’Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie ( JO L 163, p. 88 ).

( 9 ) Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République Slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne ( JO 2003, L 236, p. 33 ).

( 10 ) Son nom complet est « Budějovický Budvar, národný podnik, Budweiser Budvar, National Corporation, Budweiser Budvar, entreprise nationale » , qui signifie « brasserie Bud de Budweis, entreprise nationale » .

( 11 ) Selon certains, elle remonterait au XIII e siècle, lorsque le roi de Bohême Přemysl Otakar II a fondé cette localité, en accordant à ses habitants le privilège de produire de la bière (O’Connor, B., « Case C-216/01 Budějovický Budvar, Judgement of the Court of Justice of 18 november 2003» , European Business Organization Law Review 5, 2004, p. 581 ).

( 12 ) Nom allemand de České Budějovice.

( 13 ) En langue tchèque, « Budějovické pivo » , qui signifie « bière de Budweis » .

( 14 ) Qui veut dire « brasserie Bud » .

( 15 ) Anheuser a pour origine une société antérieure, Bavarian brewery, créée en 1852. Cette dernière a été rebaptisée ultérieurement Anheuser-Busch, après que M. Adolphus Busch, gendre du propriétaire de la compagnie, et lui aussi immigrant allemand, eut intégré la société. Ces données historiques peuvent être consultées, avec d’autres, sur les sites www.anheuser-busch.com/History.html et www.budweiser.com.

( 16 ) C’est ce qui ressort des déclarations faites par M. Busch lui-même en 1894, au cours du procès opposant Anheuser-Busch et Fred Miller Brewing Company: « L’idée était simplement de brasser une bière dont la qualité, la couleur, l’arôme et le goût seraient comparables à la bière alors fabriquée à Budweis ou en Bohême […] La bière Budweiser est brassée selon le procédé utilisé à Budweis en Bohême » (O’Connor, op. cit., p. 582).

( 17 ) O’Connor (op. cit., p. 585) ne recense pas moins de 44 procès distincts aux quatre coins du monde.

( 18 ) Dans certains cas, les tribunaux ont attribué à Anheuser-Busch le droit exclusif d’utiliser le nom Bud, alors que, dans d’autres cas, c’est l’entreprise tchèque qui l’a emporté. En Angleterre, la Cour d’appel de Londres a opté en 2002 pour une solution de compromis, en autorisant les deux compagnies à se servir des marques litigieuses. Dans le même sens, la Cour suprême japonaise a jugé en 2004 que tant les producteurs tchèques que les producteurs américains pouvaient appeler leurs bières Budweiser (O’Connor, op. cit., p. 586). Les particularités du procès qui a eu lieu au Portugal méritent, elles aussi, d’être relevées. La décision de la Cour suprême portugaise du 23 juillet 2001 refusant à Anheuser-Busch la possibilité d’enregistrer la marque Budweiser au Portugal au motif qu’il s’agissait d’une appellation d’origine protégée par un accord bilatéral conclu en 1986 entre la République Portugaise et la Tchécoslovaquie a été attaquée devant la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a jugé que l’arrêt attaqué ne viole pas l’article 1 er du protocole n o  1 de la convention européenne des droits de l’homme (voir Cour eur. D.H., arrêt Anheuser-Busch Inc./Portugal, du 11 janvier 2007 , non encore publié au Recueil des arrêts et décisions , paragraphe 87).

( 19 ) Affaires R 1000/2001-2 et R 1024/2001-2.

( 20 ) Arrêt du 12 juin 2007 , Budějovický Budvar et Anheuser-Busch/OHMI (AB GENUINE Budweiser KING OF BEERS ( T-57/04 et T-71/04, Rec. p. II-1829 , point 228).

( 21 ) Affaires R 234/2005-2, R 241/2005-2, R 802/2004-2 et R 305/2005-2.

( 22 ) Toutefois, les tribunaux portugais, italiens et français ont annulé les enregistrements du terme Bud en tant qu’appellation d’origine sur le fondement dudit arrangement de Lisbonne.

( 23 ) Arrêt Budějovický Budvar/OHMI ( T-225/06, T-255/06, T-257/06 et T-309/06, Rec. p. II-3555 ).

( 24 ) C-245/02, Rec. p. I-10989 .

( 25 ) Cet accord figure à l’annexe I C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce et a été approuvé au nom de la Communauté par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994 ( JO L 336, p. 1 ).

( 26 ) 135/77, Rec. p. 855 .

( 27 ) C-169/91, Rec. p. I-6635 .

( 28 ) Entre autres, Cortés Martín, J. M., La protección de las indicaciones geográficas en el comercio internacional e intracomunitario, ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation, Madrid, 2003, p. 347.

( 29 ) Arrêts du 10 novembre 1992 , Exportur ( C-3/91, Rec. p. I-5529 , point 11); du 7 novembre 2000 , Warsteiner Brauerei ( C-312/98, Rec. p. I-9187 , points 43 et 44), ainsi que Bud I, point 54.

( 30 ) Parce que c’est ainsi que l’avait qualifiée le juge de renvoi, en vertu d’une décision antérieure de la Cour suprême autrichienne.

( 31 ) Arrêts du 16 juillet 1992 , Meilicke ( C-83/91, Rec. p. I-4871 , point 23); du 18 mars 2004 , Siemens et ARGE Telekom ( C-314/01, Rec. p. I-2549 , point 34); du 22 novembre 2005 , Mangold ( C-144/04, Rec. p. I-9981 , point 34); du 18 juillet 2007 , Lucchini ( C-119/05, Rec. p. I-6199 , point 43), et du 6 novembre 2008 , Trespa International ( C-248/07, Rec. p. I-8221 , point 32).

( 32 ) Arrêt du 16 décembre 1981 , Foglia ( 244/80, Rec. p. 3045 , point 21).

( 33 ) Arrêts du 13 mars 2001 , PreussenElektra ( C-379/98, Rec. p. I-2099 , point 39); du 22 janvier 2002 , Canal Satélite Digital ( C-390/99, Rec. p. I-607 , point 19); du 5 février 2004 , Schneider ( C-380/01, Rec. p. I-1389 , point 22), et du 12 juin 2008 , Gourmet Classic ( C-458/06, Rec. p. I-4207 , point 25).

( 34 ) Arrêts Foglia, précité, points 18 et 20; du 3 février 1983 , Robards ( 149/82, Rec. p. 171 , point 19); Meilike, précité, point 64, et du 18 décembre 2007 , ZF Zefeser ( C-62/06, Rec. p. I-11995 , point 15).

( 35 ) Arrêt du 10 mars 1981 , Irish Creamery Milk Suppliers Association e.a. ( 36/80 et 71/80, Rec. p. 735 , point 6).

( 36 ) Arrêt précité, point 54.

( 37 ) Le règlement n o  2081/92 ne les autorisait (du moins expressément) que pour les appellations d’origine.

( 38 ) Question que j’examine de manière plus approfondie ci-après.

( 39 ) À cet égard, voir mes conclusions dans l’affaire Canadane Cheese Trading et Kouri, présentées le 24 juin 1997 , point 73 (arrêt du 8 août 1997 , C-317/95, Rec. p. I-4681 ); ainsi que dans l’affaire Allemagne et Danemark/Commission, présentées le 10 mai 2005 , point 188 (arrêt du 25 octobre 2005 , C-465/02 et C-466/02, Rec. p. I-9115 ).

( 40 ) Arrêts Bud I, point 99; Exportur, précité, point 37, et du 4 mars 1999 , Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola ( C-87/97, Rec. p. I-1301 , point 20). Sur le caractère générique d’une dénomination, on pourra consulter mes conclusions dans l’affaire Allemagne et Danemark/Commission, susmentionnées, points 46 à 49.

( 41 ) Arrêts du 16 juillet 1998 , Gut Springenheide et Tusky ( C-210/96, Rec. p. I-4657 , point 35), et du 13 janvier 2000 , Estée Lauder ( C-220/98, Rec. p. I-117 , point 31).

( 42 ) Arrêt du 4 mai 1999 , Windsurfing Chiemsee ( C-108/97 et C-109/97, Rec. p. I-2779 , point 53).

( 43 ) Resinek, N., « Geographical indications and trademarks: Coexistence or ‘ first in time, first in right ’ principle? » , European intellectual property review , vol. 29 (2007), n o  11, p. 446 à 455; von Mühlendhal, A., « Geographical indications and trademarks in the European Union: conflict or coexistence » , Festskrift till Marianne Levin , 2008, p. 401 à 410; et Martínez Gutiérrez, A., « La tutela comunitaria de las denominaciones geográficas protegidas ante las marcas registradas » , Noticias de la Unión Europea , an XIX (2003), n o  219, p. 27 à 36.

( 44 ) Articles 3, paragraphe 1, sous c) et g), et 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988 , rapprochant les législations des États membres sur les marques ( JO L 40, p. 1 ). Pour davantage de précisions sur l’interprétation de ces dispositions, voir arrêt Windsurfing Chiemsee, précité (note 42). À propos des conflits entre les marques et les indications de provenance, voir arrêt du 7 janvier 2004 , Gerolsteiner Brunnen ( C-100/02, Rec. p. I-691 ).

( 45 ) L’ordonnance de renvoi déclare littéralement qu’ « une dénomination n’a été ni notifiée dans le délai de six mois prévu dans le règlement (CE) n o  918/2004, ni d’aucune manière déposée dans le cadre du règlement (CE) n o  510/2006 » . Ce délai, qui figurait à l’article 17 de l’ancien règlement n o  2081/92, a commencé à courir dès son entrée en vigueur et a disparu, comme il est logique, dans le nouveau règlement n o  510/2006. Le règlement n o  918/2004, à son tour, mentionne uniquement la transmission d’une demande d’enregistrement « au titre du règlement (CE) n o  2081/92 […] avant le 31 octobre 2004» . Toutefois, cette disposition ne fait pas obstacle à la possibilité de recourir à la procédure ordinaire d’enregistrement, qui n’est soumise à aucun délai, prévue par le nouveau règlement n o  510/2006. C’est la raison pour laquelle je ne fais aucune allusion à ce délai de six mois dans mes considérations relatives au maintien des régimes nationaux.

( 46 ) Voir, également, arrêt du 7 mai 1997 , Pistre e.a. ( C-321/94 à C-324/94, Rec. p. I-2343 , points 35 et 36).

( 47 ) Précité (note 29).

( 48 ) Je partage sur ce point l’opinion exprimée par l’avocat général Jacobs au point 41 de ses conclusions du 25 mai 2000 dans l’affaire Warsteiner Brauerei. Toutefois, la possibilité d’une cœxistence du règlement communautaire avec des régimes nationaux ayant le même champ d’application ne se posait pas dans cette affaire, qui portait uniquement sur la légalité d’un système national d’indications géographiques simples, ne relevant manifestement pas du règlement.

( 49 ) Ainsi que le déclare Weatherill, S., la Cour joue un rôle important dans la délimitation de la portée de cette « exclusion » éventuelle, mais sa fonction ne consiste pas à choisir entre les mérites de deux régimes normatifs concurrents, mais à interpréter la règle communautaire pour déterminer si elle a occupé l’ensemble du champ d’action (Weatherill, S., « Beyond preemption? Shared competence and constitutional change in the European Community » , Legal Issues of the Maastricht Treaty, éd. Wiley, 1999, p. 18).

( 50 ) Arrêt du 5 octobre 1977 , Tedeschi ( 5/77, Rec. p. 1555 , point 34).

( 51 ) La jurisprudence en offre divers exemples dans le domaine de la politique agricole commune: arrêts Tedeschi, précité, point 35; du 5 avril 1979 , Ratti ( 148/78, Rec. p. 1629 , point 36); du 8 novembre 1979 , Denkavit ( 251/78, Rec. p. 3369 , point 14); du 20 septembre 1988 , Moormann ( 190/87, Rec. p. 4689 , point 10), et du 5 octobre 1994 , Centre d’insémination de la Crespelle ( C-323/93, Rec. p. I-5077 , point 31).

( 52 ) La défenderesse au principal cite plus de dix auteurs qui ont défendu le principe de l’application exclusive du système communautaire d’indications géographiques qualifiées. Il y a également de nombreuses opinions contraires. Cortés Martin, J. M., op. cit., p. 452, réalise un ample résumé des différentes positions doctrinales.

( 53 ) Ainsi, on a instauré un système communautaire en adoptant le règlement (CE) n o  40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993 , sur la marque communautaire ( JO 1994, L 11, p. 1 ), et procédé parallèlement à l’harmonisation des législations nationales par la première directive 89/104.

( 54 ) L’arrêt fait référence à l’article 5, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement n o  2081/92, en vigueur à l’époque, dont le contenu a été reproduit à l’article 5, paragraphe 6, du règlement n o  510/2006.

( 55 ) Selon López Escudero, M., le règlement n o  2081/92 a créé « un marché intérieur des dénominations géographiques […] une protection de la dénomination qui produit des effets sur l’ensemble du territoire communautaire et qui est beaucoup plus favorable aux producteurs que la protection conférée par des règles nationales […] En adoptant le règlement n o  2081/92, la Communauté européenne a instauré un système de protection spécial des dénominations géographiques afin de réduire les entraves au commerce intracommunautaire causées par les disparités entre les systèmes nationaux existants » , entraves qui sont censées être éliminées (López Escudero, M., « Parmigiano, feta, époisse, y otros manjares en Luxemburgo Luxembourg — Las denominaciones geográficas ante el TJCE » . Une communauté de droit, Festschrift für Gil Carlos Rodriguez Iglesias , BWV 2003, p. 410 et 419).

( 56 ) Proposition de la Commission, SEC(90) 2415 ( JO 1991, C 30 ).

( 57 ) JO C 269, p. 63 .

( 58 ) Arrêt précité (note 40), point 18.

( 59 ) Arrêt du 9 juin 1998 ( C-129/97 et C-130/97, Rec. p. I-3315 ).

( 60 ) De manière surprenante, la Commission également cite cet article dans ses observations, en déclarant que le règlement s’oppose à ce que la protection litigieuse soit étendue au territoire d’un autre État membre, « sous réserve de l’article 307 CE » . Interrogée sur ce point à l’audience, elle a répondu que ce membre de phrase a été introduit pour préserver d’éventuelles situations dans lesquelles un État membre se verrait obligé de maintenir des traités conclus avec des États tiers antérieurement à son adhésion. Tel est le cas des États tiers qui sont parties à l’arrangement de Lisbonne.

( 61 ) Arrêt du 27 septembre 1988 ( 235/87, Rec. p. 5589 , point 21).

( 62 ) La défenderesse au principal nie cette possibilité. En tout cas, la circonstance, également alléguée par Ammersin, selon laquelle la dénomination « Bud » bénéficiait déjà d’une protection avant l’adhésion est dénuée de pertinence à cet effet.

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