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Document 62007CC0173

Conclusions de l'avocat général Sharpston présentées le 6 mars 2008.
Emirates Airlines - Direktion für Deutschland contre Diether Schenkel.
Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Frankfurt am Main - Allemagne.
Transport aérien - Règlement (CE) nº 261/2004 - Indemnisation des passagers en cas d’annulation d’un vol - Champ d’application - Article 3, paragraphe 1, sous a) - Notion de ‘vol’.
Affaire C-173/07.

Recueil de jurisprudence 2008 I-05237

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2008:145

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 6 mars 2008 ( 1 )

Affaire C-173/07

Emirates Airlines — Direktion für Deutschland

contre

Diether Schenkel

«Transport aérien — Règlement (CE) no 261/2004 — Indemnisation des passagers en cas d’annulation d’un vol — Champ d’application — Article 3, paragraphe 1, sous a) — Notion de ‘vol’»

1. 

Le règlement (CE) no 261/2004 ( 2 ) prévoit une indemnisation à verser aux passagers aériens en cas d’annulation d’un vol. Cependant, ceci ne s’applique pas aux passagers au départ d’un pays tiers vers un État membre voyageant avec un transporteur non communautaire. L’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (Allemagne) demande en substance à la Cour si un vol retour depuis un pays tiers vers un État membre doit être considéré comme faisant partie d’un vol au départ de cet État membre, à tout le moins lorsque les vols aller et retour ont été réservés en même temps.

La réglementation applicable

Le règlement no 261/2004

2.

Le règlement no 261/2004 vise à augmenter la protection des passagers aériens dans la Communauté européenne ( 3 ). Il annule le règlement (CEE) no 295/91 ( 4 ), qui se contentait de prévoir, pour les seuls vols réguliers, un remboursement ou un réacheminement, des services gratuits et des niveaux minimaux d’indemnisation des passagers en cas de refus d’embarquement. La nouvelle réglementation couvre l’ensemble des vols commerciaux et vise les annulations et les retards de vol en plus des refus d’embarquement. Elle prévoit une indemnisation des passagers non seulement en cas de refus d’embarquement, mais également en cas d’annulation de leur vol.

3.

Le premier considérant du règlement no 261/2004 indique que l’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers et tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

4.

Le sixième considérant de ce règlement indique que «[l]a protection accordée aux passagers partant d’un aéroport situé dans un État membre devrait être étendue à ceux qui quittent un aéroport situé dans un pays tiers à destination d’un aéroport situé dans un État membre, lorsque le vol est assuré par un transporteur communautaire» ( 5 ).

5.

L’article 3, dudit règlement intitulé «Champ d’application», définit le champ d’application personnel du règlement no 261/2004. Le paragraphe 1 de cet article 3, dispose que ce règlement s’applique

«a)

aux passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité;

b)

aux passagers au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers et à destination d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité, à moins que ces passagers ne bénéficient de prestations ou d’une indemnisation et d’une assistance dans ce pays tiers, si le transporteur aérien effectif qui réalise le vol est un transporteur communautaire».

6.

Il convient de faire observer ici une différence entre la plupart des versions linguistiques de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 et sa version allemande, qui est à la base de la question déférée par la juridiction de renvoi.

7.

La plupart desdites versions utilise une construction similaire à l’expression «passagers au départ d’un aéroport» qui apparaît dans la version française de l’article 3, paragraphe 1, sous a) et b) ( 6 ), du règlement no 261/2004. Cependant, la version allemande de cette disposition inclut le mot «vol», ce qui donne l’expression «passagers qui embarquent sur un vol dans des aéroports» ( 7 ).

8.

Ainsi que le gouvernement français le fait remarquer à juste titre dans ses observations, la différence de libellé entre la version allemande et les autres versions linguistiques de ladite disposition n’affecte pas le sens réel de celle-ci. L’embarquement sur un vol est le préliminaire normal au départ. Lorsqu’on parle de passagers au départ d’un aéroport, on entend clairement qu’ils le sont en embarquant sur un vol.

9.

En vertu de l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004, les passagers dont le vol est annulé ont, dans certaines circonstances, droit à une indemnisation de la part du transporteur aérien conformément à l’article 7 de ce règlement.

10.

L’article 7, paragraphe 1 dudit règlement, précise le montant de l’indemnisation auquel les passagers ont droit en cas de refus d’embarquement ou d’annulation de leur vol. En vertu du point c) de cette disposition, les passagers ont droit à 600 euros pour les vols de plus de 3500 km qui ne sont pas intracommunautaires.

11.

L’article 12, paragraphe 1 du règlement no 261/2004, prévoit que celui-ci s’applique sans préjudice du droit d’un passager à une indemnisation complémentaire, dont peut être déduite l’indemnisation octroyée en vertu de ce règlement.

12.

Enfin, l’article 17 dudit règlement dispose:

«La Commission fait rapport au Parlement européen et au Conseil, au plus tard le 1er janvier 2007, sur le fonctionnement et les résultats du présent règlement, en particulier en ce qui concerne:

[…]

l’extension éventuelle du champ d’application du présent règlement aux passagers liés par contrat à un transporteur communautaire ou ayant réservé un vol qui fait partie d’un circuit à forfait relevant de la directive 90/314/CEE [ ( 8 )], qui partent d’un aéroport situé dans un pays tiers à destination d’un aéroport situé dans un État membre, sur des vols qui ne sont pas assurés par des transporteurs aériens communautaires,

[…]»

La convention de Montréal

13.

La convention de Montréal ( 9 ), dont la Communauté est signataire, modernise et consolide la convention de Varsovie ( 10 ). Elle vise, entre autres, à protéger les intérêts des consommateurs dans le cadre du transport aérien international et à fournir une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation ( 11 ).

14.

L’article 1er, paragraphe 1, de la convention de Montréal prévoit que celle-ci s’applique au transport aérien international. Les paragraphes 2 et 3 de cet article, disposent:

«2.   Au sens de la présente convention, l’expression ‘transport international’ s’entend de tout transport dans lequel, d’après les stipulations des parties, le point de départ et le point de destination, qu’il y ait ou non interruption de transport ou transbordement, sont situés soit sur le territoire de deux États parties, soit sur le territoire d’un seul État partie si une escale est prévue sur le territoire d’un autre État, même si cet État n’est pas un État partie. […]

3.   Le transport à exécuter par plusieurs transporteurs successifs est censé constituer pour l’application de la présente convention un transport unique lorsqu’il a été envisagé par les parties comme une seule opération, qu’il ait été conclu sous la forme d’un seul contrat ou d’une série de contrats […]» ( 12 )

La procédure au principal et le renvoi devant la Cour

15.

M. Schenkel a réservé un voyage aller et retour au cours du mois de mars 2006 depuis Düsseldorf vers Manille, via Dubaï, avec Emirates Airlines (ci-après «Emirates») ( 13 ). Emirates n’est pas un transporteur communautaire.

16.

Le vol retour depuis Manille du 12 mars 2006 a été annulé. M. Schenkel est rentré en avion en Allemagne deux jours plus tard.

17.

Il a ensuite introduit un recours devant l’Amstgericht Frankfurt am Main, réclamant une indemnisation de 600 euros pour l’annulation dudit vol, en invoquant les articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004.

18.

La question de savoir si M. Schenkel a droit à cette indemnisation dépend de la question de savoir s’il relève du champ d’application personnel du règlement no 261/2004, tel que défini à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement.

19.

Devant l’Amstgericht Frankfurt am Main, M. Schenkel a soutenu que les vols aller et retour faisaient tous deux partie d’un seul vol. Par conséquent, l’annulation concernerait un vol qui a débuté en Allemagne ( 14 ). Emirates a soutenu que les vols aller et retour devaient être considérés comme deux vols distincts. En tant que transporteur non communautaire, elle n’était donc pas tenue de verser une indemnisation pour le vol retour annulé en provenance de Manille.

20.

L’Amstgericht Frankfurt am Main a fait droit au recours de M. Schenkel. Il a jugé que le terme «vol», tel qu’utilisé à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004, (dans sa version allemande), englobait à la fois le vol aller et le vol retour, à tout le moins si les deux étaient réservés en même temps.

21.

Emirates a interjeté appel devant la juridiction de renvoi.

22.

La juridiction de renvoi aurait tendance à considérer, d’une part, puisque le règlement no 261/2004 a pour objectif la protection des consommateurs, les vols aller et retour d’un voyage comme étant un vol unique s’ils sont réservés en même temps. Elle fait observer que, au regard des conventions de Varsovie et de Montréal, le transport assuré par des transporteurs successifs constitue un transport international unique lorsqu’il a été envisagé par les parties comme une seule opération, par exemple lorsque les deux parties d’un voyage aller et retour sont réservées simultanément. Le règlement no 261/2004complète ces conventions en prévoyant une indemnisation immédiate pour les passagers confrontés à une annulation de vol. La protection garantie par ce règlement serait inférieure à celle des conventions si les vols aller et retour réservés en même temps ne devaient pas être considérés comme un vol unique.

23.

D’autre part, la juridiction de renvoi fait observer que le terme «vol» est utilisé ailleurs dans ledit règlement pour désigner la partie d’un voyage aérien réalisée depuis un endroit vers une destination particulière.

24.

Par conséquent, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La disposition de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du [règlement no 261/2004] doit-elle être interprétée en ce sens qu’un ‘vol’ englobe le voyage aller et retour par avion depuis le lieu de départ jusqu’au lieu de destination, en tout état de cause lorsque le voyage aller et le voyage retour ont été réservés en même temps?»

25.

Emirates, M. Schenkel, la République française, la République hellénique, la République de Pologne, le Royaume de Suède et la Commission ont présenté des observations écrites. Aucune procédure orale n’ayant été demandée, il n’y a pas eu d’audience.

Appréciation

26.

Ainsi que je l’ai indiqué ( 15 ), le mot «vol» n’apparaît pas dans la plupart des versions linguistiques de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004. C’est pourquoi je vais reformuler la question posée par la juridiction de renvoi. Cette dernière cherche à savoir, en substance, si des personnes voyageant sur un vol retour depuis un pays tiers vers un État membre sont des «passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre» au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004 lorsque, en toute hypothèse, les vols aller et retour ont été réservés en même temps. Si tel est le cas, ce règlement trouve à s’appliquer et de tels passagers ont à première vue droit à une indemnisation si le vol retour est annulé.

27.

Étant donné que le mot «vol» est absent de la plupart des versions linguistiques de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse contextuelle de l’utilisation du mot «vol» dans d’autres dispositions de ce règlement.

28.

M. Schenkel fait valoir que l’expression «embarquer sur un vol» («Antreten eines Fluges») serait normalement comprise comme désignant toutes les parties d’un vol, y compris le vol retour. L’expression «au départ» (ou une expression similaire) utilisée dans les autres versions linguistiques du règlement no 261/2004 se réfère au début de l’ensemble du voyage. De plus, les vols aller et retour d’un voyage sont généralement réservés en tant qu’opération unique et le passager reçoit un seul billet.

29.

De l’avis de M. Schenkel, si le terme «vol» utilisé à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, dans sa version allemande, désignait uniquement une section effectuée dans la Communauté, cela compromettrait l’objectif du règlement, à savoir garantir un niveau élevé de protection des passagers. Les passagers se verraient refuser une protection en dehors de la Communauté, là où ils en ont le plus besoin. Les conventions de Varsovie et de Montréal considèrent un voyage aller et retour comme étant un vol depuis un point A vers un point B et retour. Si le législateur communautaire avait voulu s’écarter de ces conventions en réduisant la notion de vol à une partie d’un voyage, il aurait précisé ses intentions.

30.

Toutes les autres parties qui ont présenté des observations écrites sont d’accord pour dire que les vols aller et retour ne constituent pas un «vol» unique au sens du règlement no 261/2004.

L’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004

31.

Le sens naturel des expressions «embarquer sur un vol dans des aéroports» et «au départ d’un aéroport» visées à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, respectivement, dans sa version allemande et dans ses autres versions linguistiques, est qu’elles concernent toutes les deux un voyage aérien aller particulier. Si l’on envisage le voyage retour d’un voyage aller et retour, le départ du vol aller initial est du passé. Une personne embarquant sur un vol retour depuis Singapour vers Rome n’est normalement pas désignée comme «embarquant sur un vol» depuis Rome. Elle n’est pas non plus «au départ» de Rome.

32.

Si le législateur communautaire avait eu l’intention de faire couvrir par les expressions utilisées dans les différentes versions linguistiques de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 le vol retour, il aurait été facile de rédiger cette disposition différemment. Un alinéa aurait pu expliquer que l’ensemble d’un voyage aller et retour doit être apprécié par rapport au point de départ du vol qui est son premier composant.

33.

L’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 proposée par M. Schenkel exige i) que l’on traite un voyage aller et retour comme un vol unique et ii) que l’on traite ce vol comme étant «à destination» du point de départ original. En termes de protection accordée à un passager, ceci semble avoir l’effet suivant : un passager commençant son voyage aller et retour depuis un aéroport communautaire (en direction d’un pays tiers et retour) sera couvert sur les deux sections du trajet, aller et retour, indépendamment du transporteur. Cependant, un passager commençant son voyage aller et retour dans un pays tiers (en direction d’un aéroport communautaire et retour) sera dépourvu de protection en vertu du règlement no 261/2004. Même s’il vole sur un transporteur communautaire, il ne volera pas à destination«d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité».

34.

Il aurait été possible de rédiger la réglementation communautaire de sorte à accorder la protection la plus complète aux passagers commençant leur déplacement dans l’Union européenne, aux dépens de ceux commençant leur déplacement dans un pays tiers. Ceci n’a toutefois pas été le choix du législateur.

35.

La signification évidente du texte est plutôt qu’il couvre l’ensemble des vols au départ «d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité» [l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004 ne couvre les vols à l’arrivée que lorsqu’ils sont assurés par un transporteur communautaire].

L’objectif du règlement no 261/2004

36.

Il est évident que le règlement no 261/2004 cherche à garantir un niveau élevé de protection pour des passagers aériens et à augmenter les niveaux de protection fixés par le règlement no 295/91.

37.

Il est tout aussi clair que l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 limite la portée de cette protection. Tous les passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre sont couverts. Les passagers au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers, voyageant vers un aéroport situé dans un État membre, ne sont couverts que s’ils volent avec un transporteur communautaire ( 16 ).

38.

Les travaux préparatoires indiquent que la portée adéquate de la nouvelle réglementation proposée en ce qui concerne les vols en provenance d’aéroports situés dans des pays tiers et à destination de la Communauté a fait l’objet d’un examen spécifique.

39.

En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la proposition originale de la Commission ( 17 ), les passagers au départ d’un pays tiers en direction d’un État membre devaient être couverts s’ils étaient liés par un contrat à un transporteur communautaire ou à un organisateur de voyages pour un forfait proposé à la vente sur le territoire de la Communauté.

40.

Un document ultérieur du Conseil, publié à la suite de discussions qui se sont tenues à la fois au sein du Comité des représentants permanents et du groupe de travail du Conseil, présentant la proposition modifiée de règlement, indique qu’une des deux «questions majeures en suspens» concernait, précisément, la portée du règlement en ce qui concerne les vols en provenance de pays tiers, tels que définis désormais à l’article 3, paragraphe 1, sous b) du règlement no 261/2004 ( 18 ). Une longue note de bas de page concernant le texte de cette disposition (déjà identique au texte finalement adopté) indique que certains États membres étaient favorables à une extension supplémentaire de la protection offerte aux passagers embarquant sur un vol vers une destination au sein de la Communauté dans un aéroport situé dans un pays tiers, alors que d’autres y étaient opposés; et que les éventuels problèmes d’extraterritorialité, d’inapplicabilité et de discrimination entre passagers étaient (diversement) débattus ( 19 ).

41.

La semaine suivante, la Présidence a présenté un texte non modifié, entre autres, dudit article 3, paragraphe 1, sous b). Cependant, elle a demandé aux délégations de réfléchir à la possibilité d’introduire dans le procès-verbal du Conseil une déclaration des États membres concernant ce qui était à cette étape l’article 19 du règlement (intitulé «Rapport»), invitant la Commission, au moment de rédiger le rapport envisagé dans cet article, de se concentrer en particulier sur la possibilité d’élargir la portée du règlement en ce qui concerne les vols en provenance d’aéroports de pays tiers et à destination de la Communauté ( 20 ).

42.

En décembre 2002, le Conseil est parvenu à un accord politique concernant sa position commune sur la proposition de règlement, et la suggestion d’une déclaration dans le procès-verbal du Conseil a été transformée en une modification de la proposition du texte de l’article 19 ( 21 ). Le règlement tel que publié exige dûment de la Commission qu’elle établisse un rapport «en particulier en ce qui concerne […] l’extension éventuelle du champ d’application du présent règlement aux passagers liés par contrat à un transporteur communautaire ou ayant réservé un vol qui fait partie d’un ‘circuit à forfait’ […] qui partent d’un aéroport situé dans un pays tiers à destination d’un aéroport situé dans un État membre, sur des vols qui ne sont pas assurés par des transporteurs aériens communautaires» ( 22 ).

43.

À la lumière de ce contexte, je pense qu’il est impossible d’admettre que l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 soit interprété comme visant un passager voyageant sur un vol retour assuré par un transporteur non communautaire depuis un pays tiers à destination d’un État membre.

44.

Il est vrai que, en général, les travaux préparatoires doivent être traités avec prudence. De plus, leur utilisation n’est qu’accessoire par rapport à d’autres techniques d’interprétation ( 23 ). Ceci dit, la Cour les a utilisés à l’occasion en tant qu’outil d’interprétation au moment de déterminer l’intention du législateur communautaire, notamment lorsqu’ils confirment une conclusion à laquelle elle était déjà parvenue par d’autres moyens ( 24 ).

45.

J’ajouterai simplement que, si l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004 telle que proposée par M. Schenkel était correcte, la plupart (mais non pas l’ensemble) ( 25 ) des «passagers liés par contrat à un transporteur communautaire ou ayant réservé un vol qui fait partie d’un ‘circuit à forfait’ […] qui partent d’un aéroport situé dans un pays tiers à destination d’un aéroport situé dans un État membre, sur des vols qui ne sont pas assurés par des transporteurs aériens communautaires» ( 26 ) relèveraient déjà de ce règlement. L’exigence d’un rapport expressément introduite par le Conseil serait par conséquent, à cet égard, largement inutile.

La pertinence de la réservation des vols aller et retour en même temps

46.

La nature d’un produit ou d’un service est, en principe, indépendante de la manière dont il est acheté. Par conséquent, je ne vois pas clairement pourquoi la manière dont les vols aller et retour sont réservés devrait affecter la réponse à la question de savoir si un voyage aller et retour doit être considéré comme un «vol» unique au départ d’un aéroport utilisé comme le point de départ de ce voyage. Dans le cadre d’une transaction commerciale unique, on peut (par exemple) acheter plusieurs voyages uniques, un ou plusieurs voyages (différents) aller et retour ou même un billet saisonnier donnant droit à de multiples vols.

47.

Cependant, la juridiction de renvoi et M. Schenkel considèrent que la convention de Montréal indique qu’un voyage aller et retour réservé en tant que transaction unique devrait être qualifié de vol unique. En vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de la convention de Montréal, il y a «transport international» lorsque, d’après les stipulations des parties, le point de départ et le point de destination sont situés soit sur le territoire de deux États parties, soit sur le territoire d’un seul État partie si une escale est prévue sur le territoire d’un autre État. La convention de Montréal envisage donc nécessairement la possibilité d’une escale en route. L’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 prévoit que le transport par plusieurs transporteurs successifs «est censé constituer […] un transport unique lorsqu’il a été envisagé par les parties comme une seule opération».

48.

Certaines décisions nationales (surtout, mais pas exclusivement, de juridictions de common-law) appuient l’affirmation selon laquelle, en vertu de la convention de Varsovie (qui a précédé la convention de Montréal), dans un contrat de transport international portant sur un voyage aller et retour, la destination de ce voyage est le point de départ ( 27 ).

49.

Toutefois, alors que la Communauté est signataire de la convention de Montréal et est liée par cette dernière ( 28 ), le règlement no 261/2004 n’est pas une mesure communautaire transposant cette convention. Il opère plutôt en parallèle avec celle-ci. Le règlement no 261/2004 contient une brève référence à ladite convention (dans le préambule) ( 29 ). Il s’agit là d’un contraste frappant par rapport au règlement (CE) no 2027/97 du Conseil, tel que modifié ( 30 ), qui transpose certaines parties de la même convention ( 31 ). L’article 2, paragraphe 2, de ce dernier règlement indique que les notions contenues mais non définies dans ledit règlement sont équivalentes à celles utilisées dans la convention.

50.

En outre, je partage l’avis d’Emirates, de la République de Pologne et du Royaume de la Suède selon lequel il existe des différences manifestes entre la convention de Montréal et le règlement no 261/2004. Avant tout, l’expression «transport international», qui est définie à l’article 1er, paragraphe 2, de cette convention et qui a été interprétée par différentes juridictions nationales ( 32 ), n’apparaît pas dans ledit règlement.

51.

Il me semble qu’il ne faut pas chercher à appliquer des (d’autres) termes contenus dans la convention de Montréal aux fins de définir la portée du règlement no 261/2004 d’une manière qui est clairement en désaccord avec le texte et les travaux préparatoires de ce dernier.

52.

La juridiction de renvoi et M. Schenkel soutiennent de plus que, si le concept de «vol» dans le règlement no 261/2004 n’incluait pas un voyage aller et retour lorsqu’un tel voyage a été réservé comme une transaction unique, le niveau de protection des passagers assuré par le règlement serait inférieur à celui garanti par la convention de Montréal. Ceci serait contraire à l’objectif exprès du règlement, à savoir garantir un niveau élevé de protection des passagers.

53.

Je ne suis pas d’accord avec cet argument.

54.

Premièrement, le champ d’application du règlement no 261/2004 est différent de celui de la convention de Montréal. À plusieurs égards, le premier vise des situations non couvertes par cette dernière. Par exemple, ce règlement est applicable à des vols purement internes à un État membre et à des vols depuis un État membre à destination d’un pays tiers qui n’est pas un État partie à cette convention. À la différence de ladite convention, ledit règlement couvre les refus d’embarquement et les annulations de vol. Inversement, le champ d’application du règlement no 261/2004 est limité par des considérations territoriales. Il ne s’applique pas aux vols entre deux pays qui sont des États parties à la convention de Montréal mais qui ne sont pas des États membres de l’Union.

55.

Dans ces circonstances, je ne pense pas que l’on puisse affirmer que le niveau général de protection garanti par le règlement no 261/2004 est nécessairement inférieur à celui de la convention de Montréal au motif qu’une situation particulière n’est couverte que par cette dernière.

56.

Deuxièmement, le règlement no 261/2004 complète la protection que procure ladite convention aux passagers. Ceci ressort clairement de l’article 12 de ce règlement qui prévoit expressément que celui-ci s’applique «sans préjudice du droit d’un passager à une indemnisation complémentaire».

57.

Dans l’arrêt IATA et ELFAA ( 33 ), la Cour a déclaré que les retards dans le transport aérien peuvent causer, sur un plan général, deux types de préjudices, qui appellent différentes réparations. Le premier est identique pour chaque passager. Le second est particulier à chaque individu et exige une indemnisation ultérieure sur une base individuelle ( 34 ). Alors que la convention de Montréal couvre le second type de préjudices, le règlement offre des mesures réparatrices standardisées et immédiates pour le premier type. Il «se place ainsi simplement en amont de celui qui résulte de la convention de Montréal» ( 35 ). Les mesures du règlement no 261/2004 relatives aux retards de vol «ne font pas elles-mêmes obstacle à ce que les passagers concernés […] puissent intenter, par ailleurs, les actions en réparation desdits dommages dans les conditions prévues par ladite convention» ( 36 ). Elles «améliorent [plutôt] la protection des intérêts des passagers et les conditions dans lesquelles s’applique envers eux le principe de réparation» ( 37 ).

58.

La protection que le règlement no 261/2004 accorde en cas de retards de vol est donc complémentaire par nature. Ceci doit être a fortiori vrai pour les mesures réparatrices et autres qu’il prévoit en cas d’annulation de vol ou de refus d’embarquement. La convention de Montréal n’offre absolument aucune protection aux passagers dans de tels cas.

59.

Dans ces circonstances, je ne saurais accueillir l’argument selon lequel le niveau de protection garanti par le règlement no 261/2004 serait inférieur à celui offert par la convention à moins qu’il ne soit interprété d’une manière contraire à son texte clair, à ses travaux préparatoires et à son objectif affiché.

Conclusion

60.

C’est pourquoi je propose à la Cour de répondre comme suit à la question posée par la juridiction de renvoi:

«Les passagers sur un vol retour en provenance d’un pays tiers à destination d’un État membre ne sont pas des ‘passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre’ au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 261/2004 et ne relèvent donc pas de ce règlement si le transporteur aérien du vol concerné n’est pas un transporteur communautaire, même si les vols aller et retour ont été réservés en même temps.»


( 1 ) Langue originale: l’anglais.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO L 46, p. 1). Le règlement no 261/2004 est entré en vigueur le 17 février 2005.

( 3 ) Voir, en particulier, premier à quatrième considérant de ce règlement.

( 4 ) Règlement du Conseil, du 4 février 1991, établissant des règles communes relatives à un système de compensation pour refus d’embarquement dans les transports aériens réguliers (JO L 36, p. 5).

( 5 ) Un «transporteur communautaire» est défini à l’article 2, sous c), du règlement no 261/2004 comme étant un transporteur aérien possédant une licence d’exploitation en cours de validité, délivrée par un État membre conformément aux dispositions du règlement (CEE) no 2407/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant les licences des transporteurs aériens (JO L 240, p.1).

( 6 ) Le texte anglais est «passengers departing from an airport», et le texte espagnol «pasajeros que partan de un aeropuerto». On trouve des formulations équivalentes, par exemple, dans les versions néerlandaise, italienne et portugaise.

( 7 ) «Fluggäste, die auf Flughäfen […] einen Flug antreten». La version allemande du sixième considérant du règlement no 261/2004 utilise une expression similaire.

( 8 ) Directive du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (JO L 158, p. 59).

( 9 ) Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Montréal le 28 mai 1999, approuvée au nom de la Communauté par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO L 194, p. 38, ci-après la «convention de Montréal»).

( 10 ) Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie le 12 octobre 1929 (ci-après la «convention de Varsovie»).

( 11 ) Voir les deuxième et troisième considérants.

( 12 ) Cet article est pratiquement identique à l’article 1er de la convention de Varsovie.

( 13 ) J’utilise ce terme pour désigner à la fois la compagnie aérienne Emirates Airlines et Emirates Airlines Direktion für Deutschland, partie à la procédure au principal.

( 14 ) En ce qui concerne la procédure nationale, il convient de rappeler que la version allemande de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, utilise l’expression «passagers qui embarquent sur un vol dans des aéroports».

( 15 ) Voir points 6 à 8 des présentes conclusions.

( 16 ) L’inclusion de cette catégorie de passagers étend elle-même la portée de la protection au-delà de celle garantie par le règlement no 295/91. Voir sixième considérant du règlement no 261/2004.

( 17 ) COM(2001) 784 final, du 21 décembre 2001.

( 18 ) Rapport du Conseil 14444/1/02 REV, du 22 novembre 2002. Ce document est accessible à l’adresse internet suivante : http://register.consilium.europa.eu.

( 19 ) Dans son communiqué de presse du 16 février 2005 (publié le jour précédant l’entrée en vigueur du règlement no 261/2004), la Commission a laissé entendre que le fait que le nouveau règlement ne couvrait pas les vols effectués par un transporteur non communautaire au départ d'un pays tiers à destination d’un État membre était justifié par d’éventuels problèmes d’extraterritorialité.

( 20 ) Rapport du Conseil 14724/02, du 28 novembre 2002. Ce document est accessible à l’adresse internet suivante : http://register.consilium.europa.eu.

( 21 ) Voir rapport du Conseil 15595/02, du 16 décembre 2002. Ce document est accessible à l’adresse internet suivante : http://register.consilium.europa.eu.

( 22 ) Article 17, premier alinéa, deuxième tiret, du règlement no 261/2004.

( 23 ) Voir point 30 des conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 4 octobre 2001, Bowden (C—133/00, Rec. p. I-7031).

( 24 ) Voir, notamment, arrêt du 11 juin 1998, Kuusijärvi (C-275/96, Rec. p. I-3419, point 46).

( 25 ) Les passagers de cette catégorie qui ont commencé leur voyage dans un pays tiers seraient exclus d’après cette interprétation (voir point 33 des présentes conclusions).

( 26 ) Les termes de l’exigence de rapport eux-mêmes deviennent discutables si l’interprétation proposée par M. Schenkel des termes «vol» et/ou «départ» est correcte.

( 27 ) Voir Grein v Imperial Airways Ltd [1937] 1 K.B. 50 (p. 78 à 79), par Greene L. J.: «L’utilisation du singulier dans cette expression [lieu de départ et lieu de destination] indique que, dans l’esprit des parties à la convention, chaque contrat de transport a un seul point de départ et un seul point de destination. Un point intermédiaire auquel le transport peut être interrompu n’est pas considéré comme ‘un point de destination’. Compte tenu de ce contexte, et particulièrement du fait que c’est dans le contrat qu’il faut chercher le point de départ et le point de destination, le sens de l’expression me semble être ‘le point où le transport contractuel commence et le point où le transport contractuel finit’. […]. Si le contrat porte sur un circuit, commençant à Berlin, visitant différentes capitales européennes, et finissant à Berlin, le transport contractuel commence à Berlin et finit à Berlin». Voir, également, Lee v China Airlines, 669 F.Supp. 979 (C.D. Cal. 1987), et Qureshi v K.L.M. (Royal Dutch Airlines) (1979), 41 N.S.R. (2d) 653 (deux décisions procédurales, respectivement aux États-Unis et au Canada, sur la question de savoir s’il faut écarter des recours pour défaut de compétence). Voir, en outre, en Allemagne, les décisions du Bundesgerichtshof [1976] ZLW, 255, et du Landesgericht Berlin [1973] ZLW, 304. Je n’ai pas trouvé de jurisprudence équivalente en ce qui concerne la convention de Montréal. Certains auteurs considèrent que la même solution prévaut dans le cadre de cette convention. Voir, notamment, E. Giemulla et R. Schmid (eds), Montreal Convention 1999 (2006, feuilles volantes), Kluwer Law.

( 28 ) L’article 300, paragraphe 7, CE dispose que : «[l]es accords conclus selon les conditions fixées au présent article lient les institutions de la Communauté et les États membres». La convention de Montréal a été signée par la Communauté sur la base de l’article 300, paragraphe 2, CE. Voir décision 2001/539 et arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C-344/04, Rec. p. I-403, points 35 et 36).

( 29 ) Le quatorzième considérant du règlement no 261/2004 se réfère à la convention de Montréal dans le contexte d’une disposition d’exonération de ce règlement. Cependant, ce renvoi est de nature générale. Il se contente de relier les deux textes, sans mentionner de disposition spécifique. Ceci est particulièrement évident dans la version française de ce considérant qui indique, «notamment, [t]out comme dans le cadre de la convention de Montréal […]» (c’est nous qui mettons en exergue).

( 30 ) Règlement du 9 octobre 1997 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d'accident (JO L 285, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 889/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 13 mai 2002 (JO L 140, p. 2). D’après le sixième considérant de ce dernier règlement, il était nécessaire de modifier le règlement no 2027/97 afin de l’aligner sur les dispositions de la convention de Montréal, en créant ainsi un système uniforme de responsabilité pour les transports aériens internationaux. On peut obtenir une version consolidée du règlement no 2027/97, sur le site internet http://eur-lex.europa.eu.

( 31 ) Voir article 1er du règlement no 2027/97, tel que modifié par le règlement no 889/2002.

( 32 ) Voir point 48 des présentes conclusions, ainsi que la note de bas de page correspondante.

( 33 ) Précité.

( 34 ) Point 43.

( 35 ) Points 44 et 46.

( 36 ) Point 47.

( 37 ) Point 48.

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