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Document 62007CC0155

Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 26 juin 2008.
Parlement européen contre Conseil de l’Union européenne.
Recours en annulation - Décision 2006/1016/CE - Garantie communautaire accordée à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties de prêts en faveur de projets en dehors de la Communauté - Choix de la base juridique - Article 179 CE - Article 181 A CE - Compatibilité.
Affaire C-155/07.

Recueil de jurisprudence 2008 I-08103

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2008:368

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 26 juin 2008 ( 1 )

Affaire C-155/07

Parlement européen

contre

Conseil de l’Union européenne

«Recours en annulation — Décision 2006/1016/CE — Garantie communautaire accordée à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties de prêts en faveur de projets en dehors de la Communauté — Choix de la base juridique — Article 179 CE — Article 181 A CE — Compatibilité»

I — Introduction

1.

Par le présent recours en annulation, le Parlement européen conteste la base juridique de la décision 2006/1016/CE du Conseil, du 19 décembre 2006, accordant une garantie communautaire à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties de prêts en faveur de projets en dehors de la Communauté ( 2 ).

2.

Le Conseil de l’Union européenne a fondé cette décision sur la base juridique de la «coopération économique, financière et technique avec des pays tiers» (article 181 A CE). De l’avis du Parlement, la décision aurait dû être également fondée sur l’article 179 CE — base juridique de la coopération en matière de développement. Au soutien de sa position, le Parlement fait observer que la plupart des pays tiers concernés par la décision sont des pays en voie de développement (ci-après, également, les «PVD» ou les «pays en développement»).

II — Cadre juridique

A — Les dispositions du traité CE

3.

Le titre XX CE porte l’intitulé «Coopération au développement». Son article 177 énonce les buts de la politique de la Communauté dans ce domaine dans les termes suivants:

«1.   La politique de la Communauté dans le domaine de la coopération au développement, qui est complémentaire de celles qui sont menées par les États membres, favorise:

le développement économique et social durable des pays en développement et plus particulièrement des plus défavorisés d’entre eux,

l’insertion harmonieuse et progressive des pays en développement dans l’économie mondiale,

la lutte contre la pauvreté dans les pays en développement.

2.   […]»

4.

L’article 178 CE dispose:

«La Communauté tient compte des objectifs visés à l’article 177 dans les politiques qu’elle met en œuvre et qui sont susceptibles d’affecter les pays en développement.»

5.

L’article 179 CE constitue la base juridique des mesures destinées à la coopération au développement:

«1.   Sans préjudice des autres dispositions du présent traité, le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251, arrête les mesures nécessaires à la poursuite des objectifs visés à l’article 177. Ces mesures peuvent prendre la forme de programmes pluriannuels.

2.   La Banque européenne d’investissement contribue, selon les conditions prévues dans ses statuts, à la mise en œuvre des mesures visées au paragraphe 1.

3.   […]»

6.

L’article 181 A CE est la seule et unique disposition du titre XXI, lequel a pour en-tête «Coopération économique, financière et technique avec les pays tiers»:

«1.   Sans préjudice des autres dispositions du présent traité, et notamment de celles du titre XX, la Communauté mène, dans le cadre de ses compétences, des actions de coopération économique, financière et technique avec des pays tiers. Ces actions sont complémentaires de celles qui sont menées par les États membres et cohérentes avec la politique de développement de la Communauté.

La politique de la Communauté dans ce domaine contribue à l’objectif général du développement et de la consolidation de la démocratie et de l’État de droit, ainsi qu’à l’objectif du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

2.   Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête les mesures nécessaires pour la mise en œuvre du paragraphe 1. […]

[…]»

B — La décision 2006/1016

1. Extrait du préambule de la décision

7.

Le point 3 des motifs de la décision est libellé comme suit:

«Afin de soutenir l’action extérieure de l’Union européenne sans nuire à la cote de crédit de la BEI, la BEI devrait bénéficier d’une garantie budgétaire de la Communauté pour les opérations effectuées en dehors de la Communauté. La BEI devrait être encouragée à développer ses opérations réalisées en dehors de la Communauté sans recours à la garantie communautaire, en particulier dans les pays en phase de préadhésion et dans les pays méditerranéens ainsi que dans les pays ayant valeur d’investissement dans d’autres régions, et il conviendrait de préciser que la nature de la couverture de la garantie communautaire est de couvrir des risques politiques ou souverains.»

8.

De même, le point 8 des motifs de la décision renvoie à la politique extérieure de la Communauté:

«Les opérations de financement de la BEI devraient être cohérentes avec les politiques extérieures de l’UE et les soutenir, y compris en ce qui concerne les objectifs régionaux spécifiques. En assurant une cohérence globale avec les actions de l’UE le financement de la BEI devrait venir en complément des politiques d’aide, des programmes et des instruments communautaires correspondants dans les différentes régions. En outre, la protection de l’environnement et la sécurité énergétique des États membres devraient figurer parmi les objectifs de financement de la BEI dans toutes les régions éligibles au bénéfice d’un prêt. Les opérations de financement de la BEI devraient concerner des pays qui respectent les conditions requises, conformément aux accords de haut niveau conclus avec l’UE sur des aspects politiques et macroéconomiques.»

2. Les principales dispositions de la décision

9.

L’article 1er de la décision dispose, en son paragraphe 1:

«La Communauté accorde à la BEI une garantie globale (ci-après dénommée ‘garantie communautaire’) pour les paiements non perçus par la BEI, mais qui lui sont dus, au titre des prêts et garanties de prêts en faveur des projets d’investissement éligibles au bénéfice d’un financement de la BEI réalisés dans les pays relevant de la présente décision, pour autant que le prêt ou garantie de prêt ait été accordé conformément à un accord signé qui n’est pas ni expiré ni annulé (ci-après dénommés ‘opérations de financement de la BEI’) et ait été octroyé conformément aux règles et procédures de la BEI et pour contribuer à la réalisation des objectifs correspondants de politique extérieure de l’Union européenne.

[…]»

10.

L’article 2 de la décision, qui fixe le champ d’application géographique de la garantie, prévoit, en ses paragraphes 1 et 2, ce qui suit:

«1.   La liste des pays éligibles ou potentiellement éligibles au bénéfice d’un financement de la BEI avec la garantie communautaire figure à l’annexe I.

2.   En ce qui concerne les pays mentionnés à l’annexe I et marqués d’un astérisque ‘*’ et les autres pays qui ne figurent pas à l’annexe I, l’éligibilité du pays concerné au bénéfice d’un financement de la BEI bénéficiant de la garantie communautaire, est décidée au cas par cas par le Conseil conformément à la procédure prévue à l’article 181 A, paragraphe 2, du traité.»

11.

L’article 3 de la décision porte sur la cohérence des opérations de la BEI avec les objectifs de politique étrangère de l’Union européenne. Son paragraphe 2 est libellé comme suit:

«La coopération est menée de manière différenciée selon les régions, en fonction du rôle de la BEI et des politiques de l’Union européenne dans chaque région.»

12.

L’annexe I de la décision contient une liste des pays ayant vocation à bénéficier des projets couverts par la garantie communautaire. Un certain nombre de pays sont ainsi énumérés, sous les en-têtes suivantes:

«A. Pays en phase de préadhésion

1) Pays candidats

[…]

2) Pays candidats potentiels

[…]

B. Pays relevant de la politique de voisinage et de partenariat

1) Pays méditerranéens

[…]

2) Europe orientale, Caucase du sud et Russie

[…]

C. Asie et Amérique latine

1) Amérique latine

[…]

2) Asie

[…]

D. Afrique du sud»

III — Antécédents du litige, conclusions et procédure

A — Les antécédents du litige

13.

Le 22 juin 2006, la Commission a présenté sa proposition de décision du Conseil accordant une garantie communautaire à la Banque européenne d’investissement (BEI) en cas de pertes résultant de prêts et de garanties en faveur de projets réalisés en dehors de la Communauté, en fondant cette proposition sur l’article 181 A CE ( 3 ).

14.

Dans sa résolution du 30 novembre 2006, le Parlement a exprimé un avis sur cette proposition et invité la Commission à ajouter l’article 179 CE à l’article 181 A CE comme base juridique de la proposition ( 4 ).

15.

La Commission n’a cependant pas modifié sur ce point sa proposition ( 5 ) et le 19 décembre 2006, le Conseil a adopté la décision avec comme seule base juridique l’article 181 A CE.

B — Conclusions et procédure devant la Cour

16.

Le Parlement a, le 19 mars 2007, introduit un recours devant la Cour en demandant à cette dernière:

d’annuler la décision 2006/1016, pour violation du traité CE,

au cas où elle annulerait cette décision, de maintenir les effets de celle-ci jusqu’à ce qu’une nouvelle décision soit adoptée, et

de condamner la défenderesse aux dépens.

17.

Le Conseil demande à la Cour:

de rejeter le recours et

de condamner le Parlement aux dépens.

18.

Par ordonnance du président de la Cour, du 10 octobre 2007, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

19.

Tous les participants ont déposé des mémoires dans la procédure écrite, ainsi qu’à l’audience du 14 mai 2008.

IV — Appréciation juridique

20.

Par son recours, le Parlement fait valoir un seul moyen d’annulation, à savoir le fait d’avoir choisi une base juridique erronée aux fins de l’adoption de la décision. Ce faisant, le Parlement fait grief au Conseil d’avoir enfreint le traité, au sens de l’article 230, deuxième alinéa, CE.

21.

De l’avis du Parlement, la décision 2006/1016 ne pouvait pas être fondée uniquement sur l’article 181 A CE, mais devait s’appuyer en outre sur l’article 179 CE. Au soutien de cette thèse, le Parlement invoque le fait — non contesté par le Conseil — que dans la plupart des cas les pays tiers entrant dans le champ d’application de la décision devaient être qualifiés de pays en développement.

22.

Les deux parties sont d’accord pour considérer que la décision correspond à une action de coopération financière. Toutefois, de l’avis du Parlement, l’article 179 CE constitue la base juridique spécifique aux fins de la coopération financière avec les pays en développement, ce qui exclut à cet égard le recours à l’article 181 A CE.

23.

Le Conseil et la Commission sont d’avis qu’un acte juridique ne doit pas automatiquement être fondé, de surcroît, sur l’article 179 CE au motif qu’il s’agit de pays en voie de développement. Il ne serait possible de recourir à cette base juridique que si l’acte en question poursuivait également les objectifs de la politique d’aide au développement, tels qu’ils sont définis à l’article 177 CE. Bien que concernant indirectement les pays en voie de développement, la décision ne poursuivrait pas les objectifs de l’aide au développement.

A — Détermination de la base juridique appropriée

24.

Selon une jurisprudence constante, le choix de la base juridique d’un acte communautaire doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l’acte ( 6 ).

25.

Si l’examen d’un acte communautaire démontre qu’il poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante et si l’une de celles-ci est identifiable comme principale ou prépondérante, tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou composante principale ou prépondérante ( 7 ).

26.

Avant de nous consacrer au contenu et aux objectifs de la décision, il convient cependant, dans un premier temps, d’examiner de manière abstraite les domaines d’application des articles 179 CE et 181 A CE. Ce n’est en effet qu’une fois identifié le champ d’application respectif de ces bases juridiques que l’on pourra, dans un deuxième temps, examiner si les objectifs et le contenu de la décision relèvent effectivement du champ d’application de ces deux bases juridiques et, si tel était le cas, les conséquences qu’il conviendrait d’en tirer.

B — La décision relève-t-elle du champ d’application de plusieurs bases juridiques?

1. Le champ d’application des articles 179 CE et 181 A CE

27.

L’article 179 CE constitue la base juridique pour des actions de coopération au développement, alors que l’article 181 A CE est la base juridique qui sous-tend les «actions de coopération économique, financière et technique avec les pays tiers». Le présent litige pose, pour l’essentiel, la question de la délimitation mutuelle de ces deux bases juridiques et de l’éventuelle applicabilité aux pays en voie de développement d’actions du genre de celles visées à l’article 181 A CE.

28.

Il y a lieu d’emblée de préciser que la nature d’une action ne se prête pas en tant que critère de délimitation. Certes, seul l’article 181 A envisage, de manière explicite, la «coopération économique, financière et technique» alors que l’article 179 ne parle, de manière générale, que d’«actions». L’assistance ou la coopération économique, financière et technique fait cependant partie des formes classiques de la coopération au développement ( 8 ).

29.

Le Parlement est d’avis que seul un critère géographique délimite les champs d’application respectifs des deux normes. Selon ce critère, l’article 179 CE porte sur la coopération avec les pays en voie de développement, alors que l’article 181 A CE ne porte que sur la coopération des pays autres qu’en voie de développement.

30.

Pour fonder sa thèse, le Parlement mentionne en particulier l’évolution historique des titres XX et XXI. Le titre XX, relatif à la coopération au développement, a été inséré dans le traité CE par le traité sur l’Union européenne. Les actions précédentes au soutien des PVD étaient précédemment fondées sur l’article 308 CE. Après l’introduction du titre XX, les actions à l’égard de pays tiers n’ayant pas statut de PVD ont continué d’être fondées sur l’article 308 CE jusqu’à l’introduction, par le traité de Nice, de l’article 181 A. Il apparaît, dès lors, que l’article 181 A CE a entendu combler la lacune existant dans le traité au regard de la coopération avec des pays tiers qui n’ont pas le statut de PVD.

31.

Le Conseil et la Commission sont, à l’opposé, d’avis qu’on ne saurait simplement recourir à un critère géographique aux fins de la délimitation. Il serait nécessaire d’y ajouter un critère matériel. Une action n’échapperait au champ d’application de l’article 181 A CE que si elle concernait un PVD et, de surcroît, poursuivait les objectifs de l’article 177 CE; ce n’est que dans ces conditions que l’article 179 CE constituerait la base juridique pertinente. Une action à l’égard de pays tiers qui ne poursuivrait pas les objectifs de l’article 177 pourrait en conséquence se fonder sur l’article 181 A CE.

32.

Si l’on s’en tient uniquement au sens littéral, la notion de «pays tiers» est suffisamment large pour englober, également, des pays en développement.

33.

Si l’on se reporte au système du traité, cette acception apparaît néanmoins douteuse.

34.

L’article 181 A CE est en effet introduit par les termes «sans préjudice des autres dispositions du présent traité, et notamment de celles du titre XX». Ces termes manifestent ainsi l’idée que le titre XX relatif à la coopération au développement est spécifique à la coopération au développement et prime l’article 181 A CE.

35.

Le Conseil renvoie certes au fait que l’article 179 CE commence également par les termes «sans préjudice des autres dispositions du présent traité». Il y a cependant lieu d’observer, d’une part, que l’article 179 CE a été formulé à une époque où l’article 181 A CE n’existait pas encore, celui-ci n’ayant été introduit qu’à la faveur d’une modification ultérieure du traité CE. D’autre part, la réserve contenue à l’article 179 CE est sensiblement moins spécifique que celle de l’article 181 A CE, qui envisage explicitement le titre XX. La clause de réserve de l’article 179 CE prime donc celle de l’article 181 A CE.

36.

Le titre XX et la base juridique de l’article 179 CE constituent ainsi les dispositions (plus) spécifiques relatives à la coopération avec les pays en développement.

37.

On peut toutefois s’interroger sur la portée de la spécialité du titre XX. Des actions concernant les pays en développement ne peuvent-elles jamais être fondées sur l’article 181 A CE? Ou, au contraire, la portée de cette spécialité va-t-elle de pair avec le champ d’application de l’article 179 CE, avec pour conséquence que les actions qui ne relèvent pas du champ d’application de l’article 179 peuvent être fondées sur l’article 181 A CE?

38.

À notre avis, l’interprétation téléologique milite en faveur de la thèse que des actions à l’égard des pays en voie de développement ne relèvent pas en règle générale de l’article 181 A CE ( 9 ).

39.

Une interprétation différente recèle en effet en elle-même le danger d’un contournement de l’énoncé et des appréciations qualitatives contenues dans le titre XX ( 10 ). En effet, les actions régies par l’article 181 A CE, à savoir la coopération économique, financière et technique, font partie des moyens classiques de l’aide au développement ( 11 ). Conformément à l’article 179, les actions à l’égard des pays en développement sont subordonnées à la condition qu’elles contribuent aux objectifs de l’article 177 CE, en favorisant le développement économique et social durable des pays en développement, leur insertion harmonieuse et progressive dans l’économie mondiale et la lutte contre la pauvreté. À l’opposé, l’article 181 A CE n’établit pas un lien entre la coopération et la poursuite d’objectifs de politique du développement et de progrès social.

40.

Si le législateur pouvait fonder sur l’article 181 A CE des actions de coopération avec des pays en développement lorsque ces actions ne poursuivent pas les objectifs de l’article 177 CE, cela reviendrait, en définitive, à contourner les finalités imposées par l’article 177 CE. Le législateur pourrait alors organiser la coopération économique avec les pays tiers sans tenir compte des objectifs qui lui ont été assignés au titre de l’article 177 ( 12 ). Une telle démarche est contraire au système, précédemment indiqué, du traité. S’agissant d’éviter un contournement de l’article 177 CE, nombre de considérations militent dès lors en faveur de la thèse que les mesures à l’égard de pays en développement ne sauraient être fondées sur l’article 181 A CE ( 13 ).

2. Conclusion intermédiaire

41.

En l’espèce, il n’y a toutefois pas lieu de statuer de manière définitive sur la question de savoir si les articles 179 CE et 181 A CE doivent être délimités uniquement sur la base du critère géographique ou si, de surcroît, il y a lieu de prendre en considération un critère matériel. En effet, cette question ne serait pertinente que si la décision ne poursuivait pas les objectifs de l’article 177 CE. Or, ainsi que le montrera l’analyse du contenu des objectifs de la décision, cette dernière poursuit, pour autant qu’elle concerne les pays en voie de développement, les objectifs de la politique d’aide au développement au sens de l’article 177 CE.

C — Contenu et objectif de la décision 2006/1016

42.

Nous nous proposons dans un premier temps d’examiner si, eu égard à sa teneur, la décision relève du champ d’application de l’article 179 CE. Dans un deuxième temps, nous démontrerons que la décision, pour autant qu’elle concerne les pays en développement, poursuit les objectifs de l’article 177 CE.

1. Contenu de la décision

43.

Conformément à son article 1er, paragraphe 1, la décision a pour objet d’accorder à la BEI une garantie budgétaire pour certaines transactions conclues par la BEI. L’article 1er, paragraphe 1, fait également ressortir les conditions auxquelles est subordonné le domaine d’application de la garantie: celle-ci s’applique à des défauts de paiement en liaison avec des prêts et des garanties de prêt en faveur des projets d’investissement éligibles de la BEI (ci-après les «financements de la BEI») dans les pays relevant de la décision. Une autre condition est que les financements de la BEI aient, à chaque fois, été octroyés conformément aux règles et procédures de la BEI et pour contribuer à la réalisation des objectifs de politique extérieure de l’Union européenne.

44.

Les pays éligibles et relevant du champ d’application de la décision ressortent de l’annexe I de la décision. Celle-ci mentionne quatre groupes de pays, à savoir, les «pays en phase de préadhésion», les «pays relevant de la politique de voisinage et de partenariat», l’«Asie et [l’]Amérique latine», ainsi que «[l’]Afrique du Sud». À chaque groupe correspond une liste de pays.

45.

Le Parlement a fait valoir que la majorité des pays mentionnés dans l’annexe sont des pays en voie de développement. À défaut d’une définition communautaire d’un pays en voie de développement, le Parlement s’est fondé à cet égard sur la qualification des pays telle qu’elle a été faite par l’OCDE et la Banque mondiale. Le Conseil n’a pas objecté à cette qualification. Sur ce point, on retiendra, à titre de règle générale, que les classifications opérées par l’OCDE et la Banque mondiale ne peuvent avoir qu’une valeur d’indice pour le droit communautaire. Il y a lieu en effet de déterminer de manière autonome la notion de pays en développement selon le droit communautaire, de sorte que la qualification pourra occasionnellement varier. De telles dissemblances éventuelles ne sont cependant pas déterminantes aux fins de l’appréciation de la liste des pays figurant dans la décision.

46.

La garantie prévue dans le cadre de la décision constitue-t-elle une mesure relevant, de par son objet, du champ d’application de l’article 179 CE?

47.

Ainsi qu’il a déjà été exposé ci-dessus ( 14 ), une action de coopération financière peut également relever du champ d’application de l’article 179 CE.

48.

Le fait que les versements effectués par la BEI aux partenaires d’un projet dans les pays en voie de développement ne sont pas des avances non-remboursables, mais des prêts, ne saurait au reste s’opposer à la qualification en tant que mesure d’aide au développement.

49.

En effet, d’une part, les partenaires de la BEI au sein d’un projet bénéficient — ainsi que le Parlement et la Commission l’ont exposé — du fait de la garantie, de prêts à des taux plus favorables, ce qui constitue bien une mesure d’aide. D’autre part, l’article 179, paragraphe 2, CE prévoit explicitement que la BEI soutient la politique d’aide au développement menée par la Communauté. Étant donné toutefois que l’activité de la BEI consiste essentiellement à accorder des crédits, le fait qu’il s’agisse de crédits et non de subventions ne saurait s’opposer à la qualification en tant qu’aide au développement.

2. Objectifs de la décision

50.

Le Parlement est d’avis que la décision, pour autant qu’elle concerne des pays en développement, poursuit les objectifs de l’article 177 CE, notamment la promotion du développement économique et social durable.

51.

Le Conseil s’est opposé à cette thèse, sans toutefois indiquer quel serait, à défaut, le but poursuivi par la décision vis-à-vis des pays en voie de développement. Le Conseil s’est contenté de souligner de manière répétée que la décision 2006/1016 avait pour seule finalité l’établissement d’une «action de coopération financière avec des pays tiers au moyen d’un instrument financier communautaire». Contrairement à ce que pense le Conseil, c’est non pas tant le but de la mesure, mais plutôt son contenu, qui transparaît à travers cette description. Ainsi qu’il résulte de la décision, l’octroi de la garantie n’est pas un but en soi, mais poursuit au contraire des objectifs allant bien au-delà.

52.

Les objectifs poursuivis par la décision ressortent, plus particulièrement, des premier et troisième considérants. On y lit que la garantie offerte tend à soutenir l’action extérieure de l’Union européenne sans nuire à la cote de crédit de la BEI.

53.

La garantie est donc destinée à permettre à la BEI de réaliser des opérations de financement dans des pays en dehors de la Communauté — qui sont, souvent, des pays à risques plus élevés — sans pour cela mettre en danger sa cote de crédit (le «rating» de l’établissement de crédit).

54.

On pourrait dès lors avoir l’impression, de prime abord, que la décision correspond non pas à une action externe de la politique extérieure, mais, au contraire, à une action purement interne à la Communauté. C’est ce que semble d’ailleurs suggérer la Commission, lorsqu’elle indique que le dispositif de la décision décrit un instrument financier destiné à s’appliquer en premier lieu au niveau interne à la Communauté. La Commission renvoie en outre au fait que, à la différence des instruments financiers dans le domaine des relations extérieures, la décision n’est pas la base légale des opérations de financement de la BEI à l’égard des pays tiers, cette base légale étant en premier lieu l’article 18, premier tiret, paragraphe 2, du protocole sur les statuts de la BEI ( 15 ). Les pays tiers ne bénéficieraient qu’indirectement de la décision en se voyant octroyer, du fait de la garantie, des prêts plus favorables. Ce sont les opérations de financement de la BEI qui bénéficieraient directement aux pays tiers. Le Conseil a précisé, lors de l’audience, que, à son avis, cette relation indirecte entre la garantie et les pays en développement constituait le motif décisif pour lequel la décision ne devait pas au surplus être fondée sur l’article 179 CE.

55.

Cette conception n’est toutefois pas convaincante. Au reste, si l’on suivait l’argumentation de la Commission jusqu’au bout, on devrait parvenir à la conclusion que ni l’article 179 CE ni l’article 181 A CE ne peuvent être envisagés comme base juridique de la décision, et cela indépendamment de la question de savoir si des pays en voie de développement sont ou non concernés. En effet, l’article 181 A CE offre une base juridique aux fins de la coopération financière avec des pays tiers et non pas pour des actions purement internes.

56.

On peut certes convenir avec la Commission que la garantie ne déploie d’effets directs, dans un premier temps, qu’au sein de la Communauté, à savoir entre la BEI et le budget communautaire. On ne saurait dès lors qualifier la garantie, considérée en elle-même, de coopération financière avec des pays tiers. Toutefois, la décision a essentiellement pour objectif de soutenir la politique extérieure de la Communauté. Fournir une garantie est non un but en soi, mais simplement un moyen d’atteindre le véritable objectif de la Communauté, à savoir soutenir sa politique extérieure en rendant possible la coopération financière avec des pays tiers par le biais de la BEI. Il est, à cet égard, particulièrement révélateur que, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision, la garantie ne s’applique qu’aux opérations de financement qui contribuent aux objectifs de politique extérieure de l’Union européenne.

57.

Le fait que la garantie ne déploie que des effets indirects, par le biais de la BEI, dans les pays en voie de développement ne s’oppose donc pas à ce que cette mesure soit qualifiée d’aide au développement. La garantie est la condition sine qua non de la réalisation, par la BEI, de ces opérations de financement dans des pays tiers, ce qu’elle ne ferait peut-être pas, à défaut d’une telle garantie, eu égard à son propre «rating» en tant qu’établissement de crédit, ou à des conditions sensiblement moins favorables pour les preneurs de crédit de la BEI dans les pays tiers. Du fait de la garantie apportée par la Communauté, c’est au fond l’engagement de la BEI dans les pays en développement qui est ainsi rendu possible et favorisé.

58.

Étant donné que par sa décision la Communauté crée la condition de base permettant concrètement à la BEI d’exercer ses activités de soutien, le fait de préserver le crédit de la BEI apparaît donc simplement — dans le cadre d’une appréciation qualitative, qui s’impose en l’espèce — comme un moyen nécessaire à la réalisation de l’objectif essentiel, qui est de soutenir les pays tiers.

59.

La décision poursuit-elle cependant également, pour autant qu’elle concerne les pays en développement, les buts de l’article 177 CE, à savoir leur développement économique et social durable, leur insertion dans l’économie mondiale et la lutte contre la pauvreté?

60.

La décision évoque, de manière très générale, la finalité qu’elle poursuit, à savoir soutenir la politique extérieure de la Communauté. Or, la politique communautaire d’aide au développement fait également partie de l’action extérieure de la Communauté. Le point 8 des motifs de la décision souligne que les opérations de financement de la BEI devraient être cohérentes avec les politiques extérieures de l’Union européenne et les soutenir, y compris en ce qui concerne les objectifs régionaux spécifiques. Pour ce qui est des pays en développement, l’objectif régional spécifique est la promotion du développement économique et social durable ( 16 ). De même, l’article 3, paragraphe 2, de la décision dispose, explicitement, que la coopération est menée de façon différenciée selon les régions, en fonction du rôle de la BEI et des politiques de l’Union européenne dans chaque région.

61.

La décision énonce au reste expressément les instruments de coopération devant bénéficier de l’engagement de la BEI auquel s’applique la garantie. À une exception près, ces instruments de financement sont, de leur côté, fondés à tout le moins également sur l’article 179 CE et constituent ainsi des instruments de la coopération au développement: l’instrument européen de voisinage et de partenariat ( 17 ) (fondé sur les articles 179 CE et 181 A CE), l’instrument de financement de la coopération au développement ( 18 ) (fondé sur l’article 179 CE) et l’instrument de stabilité ( 19 ) (fondé sur les articles 179 et 181 A CE).

62.

La décision fournit en outre dans son préambule des indications concrètes à propos des objectifs que devraient poursuivre les opérations de financement de la BEI dans les différentes régions. Pour ce qui est des régions dont font partie les pays en développement, des objectifs sont ainsi cités, qui correspondent à des objectifs typiques de la coopération au développement.

63.

En Asie et en Amérique latine, le financement de la BEI devrait porter notamment sur des projets dans les domaines de la viabilité écologique et de la sécurité énergétique, et contribuer au maintien de la présence de l’UE dans ces régions par le biais de l’investissement étranger direct et du transfert de technologies et de savoir-faire (point 12 des motifs de la décision). En Asie centrale, la BEI devrait mettre l’accent sur les grands projets d’approvisionnement et de transport d’énergie ayant des incidences transfrontalières (point 13 des motifs de la décision). En Afrique du Sud, la BEI devrait mettre l’accent sur des projets d’infrastructure d’intérêt public (notamment l’infrastructure municipale, l’approvisionnement en eau et en électricité) et le soutien au secteur privé, y compris les PME (point 14 des motifs de la décision).

64.

La coopération financière qui s’opère, en vertu de la décision, par le biais d’une garantie communautaire accordée à la BEI, poursuit ainsi, pour autant que sont concernés à cet égard les pays en développement, également les objectifs socio-économiques de l’article 177 CE, notamment le développement économique et social durable des pays en développement.

3. Conclusion intermédiaire

65.

Pour autant qu’elle concerne des pays en développement, la décision relève du champ d’application de l’article 179 CE. Pour autant qu’elle concerne des pays qui ne sont pas des pays en développement, elle relève du champ d’application de l’article 181 A CE. Il y a lieu dès lors d’examiner ci-après si un tel acte devait, en conséquence, être fondé sur l’une et l’autre bases juridiques.

D — Est-il possible d’identifier un centre de gravité?

66.

Un acte juridique doit en principe être fondé sur une seule base juridique. Si l’examen d’un acte communautaire démontre qu’il poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante, il y a lieu, selon une jurisprudence dite du «centre de gravité», définie par la Cour de justice, de fonder cet acte sur la base juridique exigée par la finalité ou composante principale ou prépondérante ( 20 ).

67.

Ce n’est qu’à titre exceptionnel — s’il est établi que l’acte poursuit à la fois plusieurs objectifs ou qu’il a plusieurs composantes qui sont liés d’une façon indissociable, sans que l’un soit second et indirect par rapport à l’autre — qu’un tel acte devra être fondé sur les différentes bases juridiques correspondantes, sous réserve de la compatibilité de leurs procédures respectives ( 21 ).

68.

Ainsi qu’il a été démontré, la décision a deux composantes: l’une concerne la coopération financière avec les pays en développement et relève du champ d’application de l’article 179 CE; l’autre concerne la coopération financière avec d’autres pays tiers et relève du champ d’application de l’article 181 A CE.

69.

Le Parlement est d’avis que la jurisprudence de la Cour relative au centre de gravité ne s’applique pas. À titre subsidiaire, le Parlement soutient que même si l’on devait recourir à ce critère de la composante principale ou prépondérante, l’une et l’autre seraient en l’espèce si intimement liées qu’aucune ne serait secondaire ou indirecte par rapport à l’autre.

70.

Le cas de figure présentement soumis à votre attention se distingue à deux égards des cas d’espèce sur lesquels la Cour a eu l’occasion de statuer.

71.

Premièrement, les deux bases juridiques concernent le même objet, à savoir la coopération avec les pays tiers. Toutefois, ainsi qu’il a été démontré ci-dessus, elles s’excluent mutuellement, pour ce qui est des destinataires de la coopération: l’article 179 CE est, par rapport à l’article 181 A CE, la norme — (plus) spécifique — qui écarte l’autre. Pour autant que des pays en développement sont concernés, l’article 179 CE est la base juridique correcte. Pour autant que des pays autres qu’en développement sont concernés, l’article 181 A CE est la base juridique appropriée.

72.

Deuxièmement, le centre de gravité ne peut pas présentement être déterminé à l’aide d’un critère matériel. En effet, la décision concerne la coopération financière avec des pays en développement et avec des pays autres qu’en développement. On pourrait, en l’occurrence, tout au plus, déterminer un centre de gravité quantitatif.

73.

Telle est d’ailleurs la différence par rapport aux accords sur la pêche et le commerce signalés par le Conseil ( 22 ). Bien que concernant des pays en développement, ces accords étaient uniquement fondés sur la base juridique à chaque fois matériellement pertinente et non, au surplus, sur l’article 179 CE. Dans ce cas, on peut identifier un centre de gravité envisagé sous l’angle du contenu, entre politique d’aide au développement et politique de la pêche ou politique commerciale. Lorsque le centre de gravité porte, du point de vue de son contenu, sur la politique de pêche ou commerciale, un acte juridique y afférent sera exclusivement fondé sur les bases juridiques respectives et non, au surplus, sur l’article 179 CE, même si l’acte juridique concerne des pays en développement. La décision porte au contraire, du point de vue du contenu, sur le même genre d’actions, qui ne se distinguent qu’en fonction des destinataires.

74.

S’agissant de déterminer le centre de gravité quantitatif, on aboutirait en l’espèce à la conclusion que ni la composante concernant les pays autres qu’en développement ni la composante concernant les pays en développement ne constitue le centre de gravité.

75.

Parmi les pays éligibles ou potentiellement éligibles au sens de la décision, on trouve quantitativement davantage de pays en développement que de pays autres qu’en développement. Si on se référait uniquement au nombre des pays, la décision aurait peut-être même dû être fondée exclusivement sur l’article 179 CE. S’agissant de déterminer le centre de gravité quantitatif, on doit néanmoins également considérer les plafonds de garantie prévus pour chaque région dans la décision. Il apparaît douteux à cet égard qu’on puisse déterminer de façon précise la répartition de ce plafond de garantie entre pays en développement et pays autres qu’en développement. Il n’est prévu en effet, à chaque fois, qu’un montant global pour les différentes régions et non pour les différents pays. Or, il se peut que, au sein d’une même région, des pays se répartissent entre les deux catégories. Lors de l’audience, le Parlement a exposé qu’environ la moitié du montant global indiqué dans la décision, en tant que plafond de la garantie, va aux pays en développement ( 23 ).

76.

On ne saurait, en tout cas, à partir de ces constatations, conclure en ce sens que la décision vise, principalement et de façon prépondérante, en termes de quantité, les pays autres qu’en développement et, de façon simplement secondaire et accessoire, des pays en développement. En conséquence, même l’application de la théorie du centre de gravité aboutit en l’espèce à la conclusion que la décision ne pouvait pas être uniquement fondée sur l’article 181 A CE.

77.

Nous sommes toutefois d’avis qu’un critère purement quantitatif est, en règle générale, inapproprié, s’agissant de constater si — au sens de la jurisprudence de la Cour relative au «centre de gravité» d’un acte — cet acte porte de façon principale ou prépondérante sur l’article 179 CE ou, au contraire, sur l’article 181 A CE. En effet, une incertitude pèse dès le départ, quant à la façon qu’il convient de déterminer le centre de gravité quantitatif. Doit-on à cet égard se référer au nombre des pays concernés? La dimension géographique ou le nombre d’habitants des pays doivent-ils également être pris en considération pour constater si une mesure porte principalement ou de façon prépondérante sur des pays en développement ou au contraire sur des pays autres qu’en développement? La méthode correcte consisterait, semble-t-il, à faire dépendre le résultat non pas simplement du nombre des pays, mais également du niveau des montants mis à disposition dans le cadre d’un instrument de coopération.

78.

Ces facteurs peuvent, dans certaines circonstances et en fonction de leur utilisation et de leur pondération, aboutir en définitive à des résultats arbitraires. Décider sur une telle base du choix de la base juridique suscite dès lors, eu égard au principe de sécurité juridique, des réticences. Dans des cas de figure tels que celui de l’espèce, il apparaît impossible selon nous, ne serait-ce que pour des raisons de principe, de déterminer un centre de gravité.

79.

Au total, les deux approches aboutissent au même résultat: la décision ne saurait être uniquement fondée sur l’article 181 A CE.

80.

En conséquence, lorsque les deux composantes sont indissociablement liées, il y a lieu, par exception, de fonder l’acte sur les deux bases juridiques pertinentes, sous réserve de la compatibilité de leurs procédures ( 24 ). Il reste donc en définitive à vérifier si les procédures respectives des articles 179 CE et 181 A CE sont compatibles entre elles.

E — Compatibilité des procédures

81.

Le fait de recourir à une double base juridique est exclu si les procédures respectivement prévues pour les deux bases juridiques ne sont pas compatibles entre elles et/ou si la combinaison des bases juridiques affectaient les droits du Parlement ( 25 ). C’est ce que nous nous proposons d’examiner ci-après.

82.

Pour ce qui est des règles de votation au sein du Conseil, la compatibilité des deux bases juridiques ne fait aucun problème, étant donné que tant dans le cadre de l’article 179 CE que dans celui de l’article 181 A CE, le Conseil statue à la majorité qualifiée.

83.

On trouve cependant des différences dans ces deux procédures, pour ce qui est de la participation du Parlement ( 26 ). Alors que l’article 181 A CE ne prévoit que la consultation du Parlement, celui-ci exerce, dans le cadre de l’article 179 CE, la fonction législative par voie de codécision, ensemble avec le Conseil.

84.

La Cour avait déjà été appelée à statuer sur le point de savoir si l’article 133, paragraphe 4, CE qui ne prévoit aucun droit de participation formelle du Parlement, et l’article 175, paragraphe 1, CE qui prévoit la codécision du Parlement, sont compatibles eu égard aux différents droits de participation du Parlement ( 27 ). La Cour a admis à cet égard que la procédure de codécision — correspondant à la participation la plus forte du Parlement — devait globalement s’appliquer à la procédure combinée. La Cour a affirmé la compatibilité des deux procédures, au motif que le cumul de ces deux bases juridiques ne portait pas atteinte au droit du Parlement, étant donné que le recours à l’article 175 CE permet d’associer cette institution, aux fins de l’adoption de l’acte, dans le cadre de la procédure de codécision. La Cour a ainsi, en définitive, tenu les deux procédures pour compatibles.

85.

Pour ce qui est de la question de la compatibilité des procédures au regard des modalités respectives de participation du Parlement, la Cour a ainsi, dans ces cas, uniquement eu en point de mire les droits de participation du Parlement.

86.

À partir de cette argumentation, on peut — également en l’espèce — conclure à la compatibilité des deux procédures. Au cas où — comme on l’a vu — une procédure ne prévoit aucune participation du Parlement et la procédure de codécision sont compatibles entre elles, il doit en être a fortiori ainsi pour ce qui est de la compatibilité entre la «consultation» et la «codécision», en cause dans la présente affaire. Les articles 179 CE et 181 A CE peuvent ainsi servir de double base juridique sous-tendant un seul acte.

87.

La Cour a cependant constaté qu’une telle dualité constituait l’exception et ne saurait être envisagée que si deux objectifs ou composantes de même valeur étaient indissociablement liés ( 28 ).

88.

Cela signifie en définitive que pour autant qu’un acte juridique puisse se scinder en deux, deux actes juridiques doivent être adoptés, ce qu’on appelle des actes jumelés. Un acte concernant les pays en voie de développement doit être adopté sur la base de l’article 179 CE, cependant qu’un deuxième acte, concernant les autres pays tiers, doit l’être sur la base de l’article 181 A CE. Au cas où un acte juridique ne pourrait pas être scindé, il conviendrait de le fonder tant sur l’article 179 CE que sur l’article 181 A CE. S’agissant de savoir si un acte juridique peut être scindé, il y a lieu de reconnaître au législateur une certaine marge d’appréciation. En l’espèce, de nombreux éléments militent en faveur de ce que, à tout le moins dans sa forme actuelle, l’acte juridique en question ne saurait être scindé, étant donné qu’il prévoit des sommes globales, en tant que plafonds de garantie, pour les différentes régions, au sein desquelles on peut trouver tant des pays en voie de développement que des pays autres qu’en développement. Cette méthode, consistant à indiquer des montants globaux pour chacune des régions et non des plafonds pour chaque pays, confère à la BEI une flexibilité maximale dans le cadre de ses activités.

89.

Si on considère au contraire qu’il y a également lieu de prendre en compte les droits de participation du Conseil aux fins de l’appréciation de la question de compatibilité — ainsi que nous l’avons proposé dans nos conclusions dans les affaires Commission/Parlement et Conseil ( 29 ) — on devrait en effet conclure à l’incompatibilité des procédures. En effet, du fait qu’on étendrait la procédure de codécision à la coopération avec les pays tiers pour lesquels le traité n’a pas prévu de codécision du Parlement, on priverait le Conseil de sa compétence législative exclusive dans ce domaine, qu’il devrait alors partager avec le Parlement. Un tel résultat irait à l’encontre de la position prise en connaissance de cause par les États membres quant à la procédure normative. La décision ne pourrait donc, de ce point de vue, être fondée conjointement sur la coopération au développement et la coopération avec les pays tiers.

90.

En cas d’incompatibilité des procédures, il est nécessaire que l’acte — toujours si l’on suit ce point de vue — soit néanmoins, en définitive, fondé sur une base juridique et qu’à cet égard il conviendrait de donner la préférence à celle des bases juridiques qui prévoit une procédure de codécision. En effet, en matière de procédure législative, le droit de codécision du Parlement constitue la règle. Du reste, il est également conforme au principe de transparence (article 1er, paragraphe 2, UE) et au principe de démocratie (article 6, paragraphe 1, UE), lorsque deux bases juridiques sont concernées de manière égale mais qu’elles sont incompatibles, de choisir, en cas de doute, celle dont la mise en œuvre offre au Parlement les droits de participation les plus étendus.

91.

Dans nos conclusions dans les affaires Commission/Parlement et Conseil et Commission/Conseil, précitées, nous avons en conséquence soutenu la thèse qu’un acte poursuivant tant les objectifs de l’article 133 CE que de l’article 175 CE devait uniquement être fondé sur l’article 175 CE ( 30 ). Conformément à cette position, la décision aurait dû, en l’espèce, exclusivement être fondée sur l’article 179 CE, qui prévoit une procédure de codécision.

F — Conclusion intermédiaire

92.

On retiendra donc, à titre de conclusion intermédiaire, que, indépendamment du point de savoir si l’on doit tenir pour compatibles les procédures respectives des articles 179 CE et 181 A CE, la décision ne saurait, en tout état de cause, être fondée sur l’article 181 A CE en tant que base juridique exclusive. Il y a donc lieu d’annuler la décision du fait que celle-ci a retenu une base juridique erronée.

V — Maintien des effets

93.

Le Parlement a demandé à la Cour de maintenir les effets de la décision jusqu’à ce qu’une décision soit adoptée. Le Conseil et la Commission soutiennent cette demande du Parlement.

94.

Aux termes de l’article 231, second alinéa, CE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Cette règle ne vaut, littéralement, que pour les règlements, mais la Cour l’applique également, par analogie, à d’autres actes ( 31 ).

95.

La décision est, conformément à son article 10, entrée en vigueur le troisième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, intervenue le 30 décembre 2006. Depuis son entrée en vigueur, la BEI a contracté des obligations sur la foi de cette garantie. La suppression d’une telle garantie pour les opérations de financement de la BEI déjà conclues mettrait en péril la cote de crédit de la BEI. Il y a donc lieu de maintenir les effets de la décision par rapport aux obligations déjà contractées.

96.

La question qui se pose est celle de savoir si les effets de la décision doivent également continuer de valoir pour des projets non encore arrêtés. On pourrait à cet égard soulever l’argument que la BEI pourrait préserver son crédit en renonçant au financement de projets à risques. Cela se traduirait cependant par une paralysie disproportionnée des activités de la BEI et, par là-même, également de la poursuite des objectifs externes de la Communauté.

97.

La validité de la garantie doit donc également être maintenue pour les financements de la BEI non encore conclus; à savoir, pour les financements de la BEI qui auront fait l’objet d’un accord jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision, sans toutefois pouvoir excéder le délai approprié aux fins de l’adoption d’une nouvelle décision ( 32 ). Pour l’adoption de la décision, le législateur a eu besoin de moins de six mois. On peut dès lors considérer qu’un délai de douze mois à compter du prononcé de l’arrêt constitue un délai approprié aux fins de l’adoption d’une nouvelle décision.

VI — Sur les dépens

98.

Conformément à l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Parlement ayant conclu à la condamnation du Conseil et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application du paragraphe 4 du même article, la Commission supportera ses propres dépens.

VII — Conclusion

99.

Nous proposons dès lors à la Cour de statuer comme suit:

«1)

La décision 2006/1016/CE du Conseil, du 19 décembre 2006, accordant une garantie communautaire à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties de prêts en faveur de projets en dehors de la Communauté, est annulée.

2)

Les effets de la décision annulée sont maintenus en ce qui concerne les financements de la BEI qui auront été conclus jusqu’à l’entrée en vigueur d’une décision arrêtée sur une base juridique appropriée, mais plus tard à la fin du douzième mois suivant le prononcé de l’arrêt.

3)

Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens, à l’exception de ceux de la Commission des Communautés européennes.

4)

La Commission des Communautés européennes supportera ses propres dépens.»


( 1 ) Langue originale: l’allemand.

( 2 ) JO L 414, p. 95, ci-après la «décision 2006/1016» ou encore la «décision».

( 3 ) Proposition de décision du Conseil accordant un garantie communautaire à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties en faveur de projets réalisés en dehors de la Communauté [COM(2006) 324 final].

( 4 ) Résolution législative du Parlement européen sur la proposition de décision du Conseil accordant une garantie communautaire à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties en faveur de projets réalisés en dehors de la Communauté, du 30 novembre 2006, P6-TA(2006)0507 (JO C 316E, p. 109).

( 5 ) Proposition de décision du Conseil accordant un garantie communautaire à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties en faveur de projets réalisés en dehors de la Communauté (Pays de l’Europe centrale et orientale, pays méditerranéens, pays d’Amérique latine et d’Asie, Afrique du Sud) [COM(2006) 419 final].

( 6 ) Voir, notamment, arrêts du 11 juin 1991, Commission/Conseil, dit «Dioxyde de titane» (C-300/89, Rec. p. I-2867, point 10); du 10 janvier 2006, Commission/Parlement et Conseil (C-178/03, Rec. p. I-107, point 41); Commission/Conseil (C-94/03, Rec. p. I-1, point 34), et du 23 octobre 2007, Commission/Conseil (C-440/05, Rec. p. I-9097, point 61).

( 7 ) Voir, entre autres, arrêts du 11 septembre 2003, Commission/Conseil (C-211/01, Rec. p. I-8913, point 39); Commission/Parlement et Conseil (cité à la note 6, point 42); Commission/Conseil (cité à la note 6, point 35), et du 20 mai 2008, Commission/Conseil (C-91/05, Rec. p. I-3651, point 73).

( 8 ) Voir la déclaration commune du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil, du Parlement européen et de la Commission, concernant la politique de développement de l’Union européenne: «Le consensus européen», du 20 décembre 2005 (JO C 46, p. 1, point 119).

( 9 ) Telle est également la solution qui se dégage des conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Commission/Conseil (citée à la note 7, point 148).

( 10 ) L’article 181 A CE ne renvoie pas seulement en effet à l’article 179 CE, mais mentionne explicitement l’ensemble du titre XX.

( 11 ) Voir, ci-dessus, note 9.

( 12 ) Pour autant que l’article 178 CE exige que la Communauté tienne compte des objectifs visés à l’article 177 CE, le risque de contournement n’est pas éliminé pour autant, puisque la simple prise en considération des objectifs reste en deçà de l’obligation énoncée à l’article 177 CE, relativement à la poursuite des objectifs.

( 13 ) De ce point de vue, la modification de l’article 181 A CE devant résulter du traité de Lisbonne apparaît comme une clarification. L’article 212 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne exclut à l’avenir, de manière explicite, les pays tiers de son champ d’application: «[…] l’Union mène des actions de coopération économique, financière et technique […] avec des pays tiers autres que les pays en développement […]».

( 14 ) Voir point 28 des présentes conclusions.

( 15 ) Protocole no 10 sur les statuts de la Banque européenne d’investissement, dans la version du 1er mai 2004, article 18, paragraphe 1:

«Dans le cadre du mandat défini à l’article 267 du traité, la Banque accorde des crédits à ses membres ou à des entreprises privées ou publiques pour des projets d’investissement à réaliser sur les territoires européens des États membres, pour autant que des moyens provenant d’autres ressources ne sont pas disponibles à des conditions raisonnables. Toutefois, par dérogation accordée à l’unanimité par le conseil des gouverneurs, sur proposition du conseil d’administration, la Banque peut octroyer des crédits pour des projets d’investissement à réaliser en tout ou en partie hors des territoires européens des États membres».

( 16 ) Relativement aux pays partenaires de l’Union énoncés à l’annexe I, la promotion de la politique de partenariat et de voisinage; relativement aux pays en phase de préadhésion, la politique de préadhésion.

( 17 ) Règlement (CE) no 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006, arrêtant des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat (JO L 310, p. 1).

( 18 ) Règlement (CE) no 1905/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, portant établissement d’un instrument de financement de la coopération au développement (JO L 378, p. 41).

( 19 ) Règlement (CE) no 1717/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 novembre 2006, instituant un instrument de stabilité (JO L 327, p. 1).

( 20 ) Arrêt Commission/Parlement et Conseil (précité note 6, point 42), et arrêt du 29 avril 2004, Commission/Conseil (C-338/01, Rec. p. I-4829, point 55).

( 21 ) Voir, entre autres, arrêts Commission/Conseil (précité note 20, point 56); Commission/Parlement et Conseil (précité note 6, point 43), et du 20 mai 2008, Commission/Conseil (précité note 7, point 75).

( 22 ) Règlement (CE) no 1801/2006 du Conseil, du 30 novembre 2006, relatif à la conclusion de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et la République islamique de Mauritanie (JO L 342, p. 1).

( 23 ) À l’audience, le Parlement a, sans être contredit par le Conseil et la Commission, indiqué qu’environ 13400 millions d’euros, sur les 27800 millions d’euros correspondant aux plafonds de garantie, vont aux pays en développement.

( 24 ) Arrêts Commission/Parlement et Conseil (précité note 6, points 43 et 57), et Commission/Conseil (précité note 6, points 36 et 52).

( 25 ) Voir arrêt Commission/Parlement et Conseil qui renvoie à l’arrêt «Dioxyde de titane», précité note 6, points 17 à 21.

( 26 ) Ce problème ne se posera plus après le traité de Lisbonne, étant donné qu’une seule et même procédure sera d’application pour les deux articles, de sorte qu’on pourra sans problème répondre par l’affirmative à cette question de compatibilité.

( 27 ) Voir arrêts Commission/Parlement et Conseil (précité note 6, point 59), et Commission/Conseil (précité note 6, point 54).

( 28 ) Voir arrêts Commission/Parlement et Conseil (précité note 6, point 43), et Commission/Conseil (précité note 6, point 36).

( 29 ) Conclusions du 26 mai 2005, dans l’affaire Commission/Parlement et Conseil, précitée note 6 (point 61).

( 30 ) Commission/Parlement et Conseil (précitées note 29, point 64).

( 31 ) Voir, pour ce qui est de l’application par analogie à des résolutions, arrêt du 28 mai 1998, Parlement/Conseil (C-22/96, Rec. p. I-3231, point 42); pour ce qui est l’application par analogie à des décisions, voir arrêts Parlement/Conseil, précité (point 42), et du 12 mai 1998, Royaume-Uni/Commission (C-106/96, Rec. p. I-2729, point 41).

( 32 ) Voir à cet égard arrêts du 1er avril 2008, Parlement et Danemark/Commission (C-14/06 et C-295/06, Rec. p. I-1649 points 82 à 86), et Commission/Parlement et Conseil (précité note 6, points 61 à 65); voir également à cet égard nos conclusions du 22 septembre 2005 dans l’affaire Royaume-Uni/Parlement et Conseil (arrêt du 2 mai 2006, C-217/04, Rec. p. I-3771, points 47 à 50).

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