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Document 62005CC0432

Conclusions de l'avocat général Sharpston présentées le 30 novembre 2006.
Unibet (London) Ltd et Unibet (International) Ltd contre Justitiekanslern.
Demande de décision préjudicielle: Högsta domstolen - Suède.
Principe de protection juridictionnelle - Législation nationale ne prévoyant pas de recours autonome pour contester la conformité d'une disposition nationale avec le droit communautaire - Autonomie procédurale - Principes d'équivalence et d'effectivité - Protection provisoire.
Affaire C-432/05.

Recueil de jurisprudence 2007 I-02271

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2006:755

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 30 novembre 2006 (1)

Affaire C-432/05

Unibet (London) Ltd

et Unibet (International) Ltd

contre

Justitiekanslern

[demande de décision préjudicielle introduite par le Högsta domstolen (Suède)]

«Protection juridictionnelle effective des droits tirés du droit communautaire – Réglementation nationale ne prévoyant pas la possibilité d’introduire une action autonome en annulation de dispositions contraires au droit communautaire – Droit à des mesures provisoires»





1.     Le droit communautaire exige-t-il que l’ordre juridique d’un État membre prévoie, premièrement, une action autonome visant à faire déclarer une disposition de son droit national contraire au droit communautaire et, deuxièmement, un sursis à l’exécution de la disposition nationale jusqu’à la détermination de sa légalité? Voilà en substance la question adressée à la Cour par le Högsta domstolen (Suède).

 La législation nationale

2.     La décision de renvoi fournit les informations suivantes concernant la législation nationale régissant, d’une part, la compétence et les règles de procédure des juridictions nationales et, d’autre part, l’organisation des loteries.

3.     Premièrement, le chapitre 11, article 14, de la loi constitutionnelle sur la forme de gouvernement (Regeringsformen) fixe des règles régissant le contrôle de légalité. En vertu de cet article, si une juridiction ou un autre organe public juge qu’une règle est contraire à une disposition de la loi fondamentale ou d’une autre loi de rang supérieur, la règle ne doit pas être appliquée. Le contrôle et l’éventuelle non‑application en vertu du chapitre 11, article 14, de la loi constitutionnelle sur la forme de gouvernement exigent que la question soit soulevée en tant que question préjudicielle dans le cadre d’un recours sur le fond. En vertu des règles nationales, il n’est pas possible d’introduire une action distincte visant uniquement à faire déclarer l’invalidité d’une disposition légale. Si la disposition en cause a été adoptée par le Riksdag ou le gouvernement, elle ne peut être écartée que si l’erreur est manifeste. On considère toutefois que cette disposition n’est pas applicable lorsque la disposition est contraire au droit communautaire (2).

4.     Deuxièmement, en vertu du chapitre 13, article 2, du code de procédure civile (Rättegångsbalken), une action visant à faire constater l’existence d’un rapport de droit spécifique est recevable si l’incertitude concerne le rapport de droit et si celle-ci porte préjudice au demandeur.

5.     Troisièmement, le chapitre 15 du code de procédure civile concerne les mesures provisoires dans les procédures civiles. En vertu de l’article 3, si une personne démontre le bien-fondé de sa prétention à l’égard d’un tiers, que cette prétention fait ou est susceptible de faire l’objet d’une procédure ou d’un examen analogue, et que la partie adverse peut, de manière plausible, y porter atteinte en exerçant une certaine activité, en entreprenant ou en s’abstenant d’entreprendre une action, en empêchant ou en rendant plus difficile, d’une autre manière, l’exercice du droit du demandeur ou en diminuant substantiellement la valeur de ce droit, la juridiction peut ordonner une mesure appropriée pour sauvegarder le droit du demandeur. Ces mesures peuvent inclure l’interdiction, sous peine d’amende, d’exercer une certaine activité ou d’accomplir un acte particulier, ou une injonction, sous peine d’amende, de respecter la demande du requérant, la nomination d’un administrateur, ou bien encore une injonction susceptible de préserver le droit du requérant d’une autre manière.

6.     La juridiction de renvoi et le gouvernement suédois indiquent tous deux que les mesures provisoires prises en vertu du chapitre 15 doivent être propres à garantir la demande au fond. Par conséquent, le sursis à l’exécution d’une loi dont la légalité est contestée ne sera généralement pas accordé dans le cadre d’une demande d’indemnisation. Il apparaît également (ce qui ne surprendra guère le lecteur) qu’aucune mesure provisoire n’est accordée lorsque la demande au fond est irrecevable.

7.     Quatrièmement, en vertu de l’article 38 de la loi suédoise sur les loteries et jeux de hasard (Lotterilagen 1994: 1000), il est interdit, sans permission spéciale, de promouvoir, à titre professionnel ou d’une tout autre manière à des fins lucratives, la participation à une loterie non autorisée organisée en Suède ou à une loterie organisée hors de Suède. Je ferai référence par la suite à cette disposition sous le nom d’interdiction de la promotion. Des dérogations à l’interdiction de la promotion peuvent être accordées. En vertu de l’article 45, il est possible de solliciter une autorisation d’organiser une loterie. L’article 48 prévoit le contrôle du respect de la loi sur les loteries et jeux de hasard et l’article 52 prévoit le prononcé d’injonctions et d’interdictions sous peine d’amende nécessaires au respect de cette loi. En vertu de l’article 54 de ladite loi, toute personne qui promeut illégalement, dans le cadre d’une activité professionnelle ou d’une tout autre manière à des fins lucratives, la participation à une loterie organisée à l’étranger est passible de sanctions pénales si la promotion vise spécifiquement des participants résidant en Suède. L’article 59 prévoit le contrôle juridictionnel des décisions relatives aux autorisations.

 La procédure au principal

8.     Selon la décision de renvoi et les observations écrites de la demanderesse au principal, les faits à la base de la procédure au principal sont les suivants.

9.     Unibet (London) Ltd et Unibet (International) Ltd sont deux sociétés basées respectivement au Royaume-Uni et à Malte. Elles organisent des paris, notamment sur les événements sportifs, des jeux de poker, de casino et d’autres jeux de hasard conformément aux autorisations accordées dans le ressort des États autorisant l’organisation de paris à destination, notamment, de clients résidant en dehors de ces États. Je me référerai par la suite à ces deux sociétés sous l’appellation d’Unibet.

10.   Unibet propose ses paris principalement sur Internet. Elle n’a aucun projet de s’établir en Suède ou d’y organiser des paris. La société souhaite simplement y promouvoir ses services.

11.   Le 6 novembre 2003, la Cour a jugé dans son arrêt Gambelli e.a. (3) qu’une législation nationale interdisant la poursuite de certaines activités de pari sans autorisation de l’État membre en cause était contraire aux articles 43 CE et 49 CE. En s’appuyant sur cet arrêt, Unibet a acheté des espaces publicitaires dans plusieurs quotidiens suédois. La Lotteriinspektionen (Inspection suédoise des loteries et jeux de hasard) a fait savoir qu’elle avait porté plainte contre ces journaux pour violation de la loi sur les loteries du fait de la publication d’annonces publicitaires pour une société étrangère de jeux. Par la suite, Unibet a tenté d’acheter des espaces publicitaires dans plusieurs quotidiens suédois ainsi qu’auprès de stations de radio et de chaînes de télévision, mais elle s’est vu opposer un refus en référence à l’interdiction de la promotion et à la prise de position de la Lotteriinspektionen. L’État suédois aurait obtenu depuis des injonctions et initié une action pénale contre les journaux qui avaient publié des publicités pour Unibet. Unibet n’a cependant elle-même fait l’objet d’aucune action.

12.   Unibet a assigné l’État suédois devant le tingsrätt (tribunal de première instance). Elle a conclu, en substance, à ce qu’il plaise au tribunal 1) constater qu’Unibet a le droit de commercialiser ses services de jeux en Suède nonobstant l’interdiction de la promotion, 2) condamner l’État suédois à indemniser le préjudice qu’elle a subi et continue de subir du fait de l’interdiction susmentionnée, et 3) ordonner immédiatement que l’interdiction de la promotion et les sanctions prévues à cet égard lui soient inopposables.

13.   Le recours d’Unibet se fonde sur la non‑conformité présumée de la législation suédoise sur les loteries à l’article 49 CE et sur l’argument selon lequel le droit communautaire permet à Unibet de commercialiser ses services de jeu en Suède. Si la demande sous 1) est déclarée irrecevable parce qu’elle ne relève pas du champ d’application du chapitre 13, article 2, du code de procédure civile, Unibet fait valoir que le droit communautaire lui permet d’introduire cette demande et exige que les règles nationales qui limitent ce droit soient écartées. En ce qui concerne la demande sous 3), Unibet fait valoir que le droit communautaire exige des juridictions nationales qu’elles accordent des mesures provisoires, de manière à sauvegarder les droits que le justiciable tire du droit communautaire.

14.   Devant le tingsrätt, l’État suédois a soutenu que les conditions d’un recours en déclaration n’étaient pas remplies à défaut d’un lien juridique entre Unibet et l’État.

15.   Le tingsrätt a jugé que la demande en constatation d’Unibet sous 1) constituait un contrôle abstrait de légalité irrecevable en tant que tel tout comme la demande sous 3). La demande d’indemnisation sous 2) a, pour sa part, été déclarée recevable et est actuellement pendante. L’appel interjeté par Unibet devant le hovrätt (cour d’appel) concernant les points 1) et 3) a été rejeté. Unibet s’est alors pourvue en cassation devant le Högsta domstolen.

16.   Peu de temps après que le hovrätt a rejeté l’appel, Unibet a adressé au tingsrätt une nouvelle demande provisoire. Unibet a ainsi demandé que le tingsrätt l’autorise immédiatement, sans en être empêchée par l’interdiction de la promotion et par les sanctions prévues à cet égard, à prendre, durant la période allant jusqu’au prononcé de l’arrêt définitif, des mesures de commercialisation spécifiques ou bien, à titre subsidiaire, que le tingsrätt ordonne immédiatement des mesures qui empêchent que l’activité d’Unibet ne continue de subir un préjudice du fait de l’interdiction de la promotion assortie de sanctions. Unibet a souligné que sa nouvelle demande provisoire était directement liée à la violation des droits qu’elle tire du droit communautaire et donc à sa demande d’indemnisation sous 2), pendante devant le tingsrätt.

17.   Le tingsrätt a jugé que la deuxième demande de mesures provisoires était recevable. Il a cependant considéré qu’Unibet n’avait pas démontré que l’interdiction de la promotion était incompatible avec le droit communautaire ou qu’il existait des doutes sérieux quant à cette compatibilité. Le tingsrätt a donc rejeté les demandes d’Unibet. Le hovrätt a ensuite rejeté l’appel interjeté par Unibet, qui a alors saisi le Högsta domstolen, lequel est à l’origine de la présente demande de décision préjudicielle.

18.   Dans sa décision de renvoi, le Högsta domstolen confirme que, en vertu des règles nationales (4), la demande en constatation d’Unibet sous 1) n’est pas recevable. Par conséquent, il a demandé si les règles nationales répondent aux exigences fixées par le droit communautaire pour une protection juridictionnelle effective des justiciables.

19.   Le Högsta domstolen considère que les demandes de mesures provisoires introduites par Unibet soulèvent également des questions de droit communautaire. En ce qui concerne la demande originale de mesures provisoires en constatation d’Unibet [sous 3)], rejetée par les juridictions inférieures, il résulte, notamment, du droit national que, si la demande principale d’un requérant ne peut être examinée, il en va de même pour une demande de mesures provisoires. Des questions de droit communautaire similaires à celles soulevées par la demande principale d’Unibet se posent donc également concernant cette demande de mesures provisoires. Unibet a fait valoir que sa deuxième demande de mesures provisoires est directement liée à la violation des droits qu’elle tire du droit communautaire, sur lesquels elle se base dans le cas présent, et par conséquent à son action en indemnisation (point 2 de son recours initial) actuellement pendante devant le tingsrätt. La question se pose donc de savoir si, en vertu du droit communautaire, les conditions d’octroi de mesures provisoires sont régies par les dispositions nationales ou par le droit communautaire dans les cas dans lesquels la compatibilité de dispositions nationales au droit communautaire est en cause. Si c’est le droit communautaire qui s’applique, des questions se posent alors quant à la nature précise de ces critères.

20.   Le Högsta domstolen a donc sursis à statuer et saisi la Cour d’une demande concernant les questions suivantes:

«1)       L’exigence du droit communautaire selon laquelle les règles nationales de procédure doivent fournir au particulier une protection effective des droits que celui-ci tire du droit communautaire doit-elle être interprétée en ce sens qu’un recours ayant pour objet de faire constater que certaines dispositions nationales matérielles méconnaissent l’article 49 CE est recevable dans le cas où la compatibilité de ces dispositions avec ledit article ne peut être examinée autrement qu’à titre préjudiciel, par exemple dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, d’une action concernant la violation d’une disposition nationale matérielle ou d’un contrôle juridictionnel?

2)       Cette exigence de protection juridique effective tirée du droit communautaire implique-t-elle que l’ordre juridique national doit fournir une protection provisoire par laquelle des règles nationales qui empêchent l’exercice d’un droit qu’un particulier prétend tirer du droit communautaire doivent pouvoir être écartées à l’égard du particulier afin que ce dernier puisse exercer ce droit, et ce jusqu’à ce que la question de l’existence de ce droit ait été définitivement examinée par une juridiction nationale?

3)       En cas de réponse positive à la deuxième question:

Dans les cas dans lesquels existe un doute sur la conformité de dispositions nationales au droit communautaire, celui-ci implique‑t-il qu’une juridiction nationale doit, lors de l’examen de la demande de protection provisoire des droits tirés du droit communautaire, appliquer des dispositions nationales relatives aux conditions d’une telle protection ou bien doit-elle appliquer des critères communautaires?

4)       Au cas où la réponse à la troisième question est qu’il convient d’appliquer des critères tirés du droit communautaire, quels sont ces critères?»

21.   Unibet, les gouvernements allemand, autrichien, belge, finlandais, grec, italien, néerlandais, portugais, suédois, tchèque et du Royaume-Uni ainsi que la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations écrites. Unibet, les gouvernements belge, grec, suédois et du Royaume-Uni ainsi que la Commission ont présenté des observations supplémentaires à l’audience.

 La recevabilité

22.   Le gouvernement belge fait valoir à titre préliminaire que la demande de décision préjudicielle était artificielle et hypothétique et donc irrecevable: l’action introduite par Unibet devant la juridiction nationale ne vise selon lui qu’à obtenir une déclaration d’incompatibilité; il n’y a pas de véritable litige à la base de cette action. Cette situation relève directement du champ de l’arrêt Foglia (5), dans lequel la Cour a jugé qu’elle n’était pas compétente pour «formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques» ou «pour répondre à des questions d’interprétation qui lui seraient posées dans le cadre de constructions procédurales arrangées par les parties en vue d’amener la Cour à prendre position sur certains problèmes de droit communautaire qui ne répondent pas à un besoin objectif inhérent à la solution d’un contentieux».

23.   Je ne partage pas l’opinion du gouvernement belge. Il existe manifestement un véritable litige qui exige une solution. Unibet considère que l’interdiction de la promotion n’est pas conforme à l’article 49 CE. Elle souhaite que cette interdiction soit déclarée incompatible afin qu’elle puisse assurer légalement la promotion de ses activités de loteries en Suède. Le fait qu’elle puisse avoir recours à une «construction procédurale» en ce sens qu’elle cherche à introduire une action non prévue par les règles procédurales suédoises ne prive pas la question sous-jacente de sa réalité.

24.   Je considère donc que la demande est recevable.

 La première question

25.   Dans sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’exigence du droit communautaire que les règles nationales de procédure fournissent une protection effective des droits que le justiciable tire du droit communautaire implique qu’il doit être possible d’introduire une action en déclaration de la non‑conformité de certaines dispositions nationales de fond à l’article 49 CE, lorsque la conformité des dispositions de fond à cet article ne peut être examinée autrement qu’à titre préjudiciel, par exemple dans le cadre d’une action en indemnisation, d’une action concernant la violation d’une disposition nationale matérielle ou d’un contrôle juridictionnel (6).

26.   Unibet fait valoir qu’il convient de répondre à la question par l’affirmative. Tous les gouvernements qui ont présenté des observations ainsi que la Commission sont d’avis contraire.

27.   Unibet allègue, premièrement, qu’il résulte du principe de primauté du droit communautaire sur le droit national et du principe de protection des droits tirés du droit communautaire que le justiciable doit toujours disposer d’une voie de recours effective pour sauvegarder ses droits (7). Unibet considère qu’elle a un droit tiré du traité CE de commercialiser ses jeux en Suède et fait valoir qu’elle en est empêchée, de manière illicite, par l’interdiction de la promotion. Elle a donc droit à une voie de recours visant à faire déclarer qu’Unibet a le droit de commercialiser ses jeux en Suède sans entrave, ou exprimé différemment, qu’il est interdit à l’État suédois d’appliquer l’interdiction de la promotion vis-à-vis d’Unibet.

28.   Unibet se réfère en particulier à l’arrêt Muñoz et Superior Fruiticola (8), dans lequel la Cour a jugé que la pleine efficacité d’une interdiction communautaire d’offrir des fruits et des légumes à la vente autrement que conformément aux normes de qualité prescrites implique que le respect de cette interdiction doit pouvoir être assuré dans le cadre d’un procès civil intenté par un opérateur à l’encontre d’un opérateur concurrent, même si le droit national n’offre pas à cet opérateur le droit d’intenter une action civile fondée sur la non‑conformité avec la législation.

29.   Unibet allègue en second lieu que, en vertu de son obligation d’interpréter le droit national conformément au droit communautaire (9), la juridiction nationale doit étendre le droit de solliciter un jugement de nature déclarative (10), existant en droit national, à des demandeurs tels qu’Unibet.

30.   Unibet fait valoir en troisième lieu que les autres voies de recours ouvertes en droit suédois ne constituent pas des voies de recours efficaces. Des dommages et intérêts ne constituent pas un substitut approprié à un jugement déclaratif en vertu duquel la Suède ne pourrait pas appliquer l’interdiction de la promotion, puisqu’il est souvent très difficile de les calculer de manière à compenser intégralement le véritable préjudice. De plus, l’absence de possibilité d’obtenir une telle déclaration implique que le justiciable en est réduit à introduire une nouvelle action en dommages et intérêts si les infractions se poursuivent. Il ne peut pas non plus être raisonnablement exigé qu’un justiciable soit tenu de contrevenir à la loi pour que son droit soit vérifié. La disposition sur le contrôle juridictionnel de certaines décisions administratives ne s’applique qu’à une décision adoptée par le gouvernement ou une autorité administrative. Elle ne s’appliquerait que si Unibet sollicitait, et se voyait refuser, une autorisation d’organiser une loterie en Suède, ce qui n’est pas dans son intention commerciale. Enfin, si une juridiction suédoise jugeait lors de l’examen préjudiciel d’une quelconque autre affaire que l’interdiction de la promotion n’est pas conforme au droit communautaire, une telle décision n’aurait aucun effet juridique pour les autres juridictions ou autorités suédoises si la même question se posait dans un autre contexte, même si Unibet était impliquée, par exemple dans une procédure pénale ou dans une affaire concernant l’édiction d’une amende en vertu de la loi suédoise sur les loteries et jeux de hasard. Cela n’équivaudrait pas à une déclaration de nullité au sens large, même à l’égard d’Unibet, et n’obligerait pas le Royaume de Suède à annuler ou à suspendre l’interdiction de la promotion. En revanche, un arrêt interdisant à l’État suédois d’appliquer l’interdiction de la promotion à l’égard d’Unibet serait contraignant dans toutes les situations dans lesquelles se pose la question, par exemple dans un procès concernant une infraction à la loi suédoise sur les loteries et jeux de hasard.

31.   Les gouvernements qui ont présenté des observations et la Commission estiment tous qu’il y a lieu de répondre à la première question par la négative. Pour les raisons qui suivent, toutes invoquées par certaines parties ou par l’ensemble d’entre elles, je partage également cette opinion, sous réserve d’une qualification importante.

32.   Selon moi, le point de départ doit être le principe, affirmé pour la première fois dans l’arrêt Rewe I (11), selon lequel il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit communautaire, étant entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ne rendent pas, en pratique, impossible l’exercice de ces droits (principe d’efficacité). Cette approche a été confirmée par l’arrêt Rewe II (12), dans lequel la Cour a jugé que le traité n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue du maintien du droit communautaire, des voies de droit autres que celles établies par le droit national et que le système de protection juridique mis en œuvre par le traité implique que tout type d’action prévu par le droit national doit pouvoir être utilisé pour assurer le respect des règles communautaires d’effet direct.

33.   De manière similaire, l’arrêt Simmenthal (13), qui a imposé l’obligation pour les juridictions nationales de laisser inappliquées les dispositions nationales contraires au droit communautaire, limite explicitement cette obligation aux affaires du ressort du juge national compétent ou aux juridictions compétentespour appliquer le droit communautaire concerné.

34.   Ces principes ont été constamment repris par la Cour; voir par exemple l’arrêt Peterbroeck (14), dans lequel il a été indiqué que, en l’absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit communautaire. Toutefois, ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ni rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire.

35.   Il ressort implicitement de ces formulations que les systèmes juridiques nationaux n’échappent pas au contrôle juridictionnel communautaire. Premièrement, les règles nationales doivent respecter les principes d’équivalence et d’efficacité. Deuxièmement, s’il appartient, en principe, au droit national de déterminer la qualité et l’intérêt d’un justiciable pour agir en justice, le droit communautaire exige néanmoins que la législation nationale ne porte pas atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective (15). Par conséquent, dans certaines circonstances, le droit communautaire peut exiger une nouvelle voie de recours s’il s’agit du seul moyen de garantir la protection d’un droit tiré du droit communautaire (16). Dans l’arrêt Heylens e.a., par exemple, la Cour a jugé que, le libre accès à l’emploi constituant un droit fondamental conféré par le traité individuellement à tout travailleur de la Communauté, «l’existence d’une voie de recours de nature juridictionnelle contre toute décision d’une autorité nationale refusant le bénéfice de ce droit est essentielle pour assurer au particulier la protection effective de son droit» (17). De manière similaire, la Cour a jugé dans l’arrêt Vlassopoulou, que «toute décision [relative à la reconnaissance des diplômes professionnels] doit être susceptible d’un recours de nature juridictionnelle permettant de vérifier sa légalité par rapport au droit communautaire» (18).

36.   Il est donc nécessaire d’examiner le contexte juridictionnel global lorsqu’on apprécie si les règles nationales de procédure satisfont aux critères dégagés par la Cour. Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Peterbroeck, «chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit communautaire doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales» (19). Le simple fait qu’un droit d’action spécifique n’existe pas dans un système juridique déterminé pour affirmer un droit tiré du droit communautaire déterminé n’implique pas nécessairement une violation du principe de la protection effective.

37.   L’arrêt Safalero (20) constitue un exemple d’application de ce principe. Cette affaire concernait une mesure administrative autorisant la saisie de marchandises vendues à un détaillant, au motif qu’elles ne portaient pas une marque de réception nationale requise par la législation nationale. Il était manifeste que cette exigence du droit national n’était pas conforme au droit communautaire. L’importateur a demandé que l’on rende les marchandises saisies auprès du détaillant, mais la juridiction nationale a jugé qu’il n’avait pas la qualité pour contester une décision dont le détaillant était destinataire. La Cour a jugé que l’intérêt de l’importateur à ne pas voir son commerce empêché en raison d’une disposition nationale contraire au droit communautaire était suffisamment protégé, s’il pouvait obtenir une décision de justice constatant l’incompatibilité de cette disposition avec le droit communautaire. Dans ce cas, l’importateur était en mesure de soulever cette question dans une procédure dirigée contre les autorités publiques et contestant la légalité de l’amende infligée au motif que les marchandises ne portaient pas la marque de réception en question. La Cour a conclu que, dans de telles circonstances, le principe de la protection juridictionnelle effective des droits que l’ordre juridique communautaire confère aux justiciables ne faisait pas obstacle à une législation nationale en vertu de laquelle un importateur ne pouvait pas saisir la justice pour contester une mesure de saisie de marchandises vendues à un détaillant adoptée par une autorité publique, lorsque cet importateur dispose d’une voie de recours qui garantit le respect de droits que lui confère le droit communautaire.

38.   Cette approche reflète le fait que le principe de protection juridictionnelle effective traduit lui-même un principe général du droit qui sous-tend les traditions constitutionnelles communes des États membres. Ce principe du droit à un procès équitable est ancré à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et il est désormais reconnu comme un principe général du droit communautaire en vertu de l’article 6, paragraphe 2, UE. En formulant le «droit à un tribunal» dont le droit d’accès constitue un élément, l’article 6, paragraphe 1, de la convention exige implicitement l’accès au tribunal à des fins de contrôle juridictionnel dans le contexte d’une affaire spécifique. Des restrictions à cet accès ne sont compatibles avec l’article 6, paragraphe 1, que si elles ne portent pas atteinte à l’essence de ce droit, si elles poursuivent un objectif légitime, et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (21).

39.   Dans ce contexte, je m’attache maintenant au problème spécifique soulevé par la juridiction de renvoi dans sa première question.

40.   Dans cette affaire, il est clair, premièrement, que les règles de procédure suédoises de déclaration d’incompatibilité avec une norme nationale de rang supérieur ne sont pas plus favorables que celles applicables à une déclaration d’incompatibilité avec le droit communautaire; en fait, il apparaît que c’est même le contraire (22).

41.   Deuxièmement, il ressort également de la décision de renvoi (23) qu’il n’est pas impossible en pratique pour un justiciable placé dans la situation d’Unibet de faire valoir les droits qu’il tire du droit communautaire.

42.   Je dois souligner à ce stade que la Cour est liée par l’analyse des règles nationales de procédure fournie par la juridiction de renvoi. Je dois donc raisonner sur la base du fait que, en vertu des règles nationales de procédure, Unibet ne peut intenter une action visant uniquement à faire déclarer l’interdiction de la promotion incompatible avec le droit communautaire, même si Unibet a tenté de contester cette thèse (24).

43.   La juridiction de renvoi a en outre expliqué que, bien que les règles nationales ne permettent pas à Unibet d’intenter une action distincte concernant la validité de l’interdiction de la promotion, il existe trois autres possibilités de soulever cette question devant une juridiction. Premièrement, si Unibet agit en méconnaissance de l’interdiction de la promotion et fait l’objet de poursuites de la part de l’État suédois, elle peut obtenir que la compatibilité de l’interdiction avec le droit communautaire soit examinée par la justice. Deuxièmement, Unibet peut obtenir que la même question soit examinée dans le cadre de l’action en indemnisation actuellement pendante devant la juridiction de première instance. Troisièmement, la juridiction de renvoi indique qu’«il convient également de tenir compte dans ce contexte de la possibilité de contrôle juridictionnel évoqué précédemment», ce qui semble être une référence à la loi sur les loteries et jeux de hasard.

44.   En ce qui concerne la première possibilité, je ne pense pas qu’un ordre juridique national satisferait aux exigences de protection des droits tirés du droit communautaire, si la violation préalable de la loi nationale constituait la seule voie par laquelle un justiciable pouvait faire valoir ses droits devant une juridiction nationale. Un justiciable ne peut pas être placé dans la position de pouvoir tester la légalité d’une loi uniquement en la violant. Je ne suis, notamment, pas d’accord avec l’argument, invoqué par plusieurs gouvernements, selon lequel il est possible d’appliquer par analogie les limites à la recevabilité des actions directes imposées par le droit communautaire, à savoir qu’un justiciable ne peut pas intenter un recours en annulation d’une mesure communautaire d’application générale devant les juridictions communautaires, même si les règles nationales impliquent qu’il doit en premier lieu violer la mesure communautaire avant de pouvoir soulever la question de sa validité devant une juridiction nationale (25).

45.   Par conséquent, je ne peux pas être d’accord avec la juridiction de renvoi, lorsqu’elle affirme que les droits qu’Unibet tire du droit communautaire sont protégés efficacement en raison du fait que, si elle méconnaît l’interdiction de la promotion et fait l’objet de poursuites par une autorité suédoise, elle pourra alors obtenir que la compatibilité de cette interdiction avec le droit communautaire soit examinée par les juridictions.

46.   Je ne suis pas non plus convaincue que la troisième possibilité mentionnée par la juridiction de renvoi, à savoir le contrôle juridictionnel dans le contexte de la loi sur les loteries et jeux de hasard, soit un moyen satisfaisant pour qu’Unibet puisse faire valoir ses droits en justice. La décision de renvoi est plutôt vague quant aux exceptions à l’interdiction de la promotion et à la manière dont elles peuvent être invoquées. Lors de l’audience, le gouvernement suédois a reconnu que ces exceptions n’étaient pas prévues pour des situations telles que celle en cause dans la procédure au principal; il n’a pas pu indiquer si, dans une telle situation, une dérogation aurait été accordée si une demande avait été faite en ce sens. De plus, les informations fournies par le gouvernement suédois en réponse aux questions tenaces de la Cour ne me convainquent pas que, si Unibet avait sollicité une dérogation, cette demande aurait nécessairement donné lieu à une décision administrative susceptible d’un contrôle juridictionnel.

47.   Il reste encore la question de savoir si la demande d’indemnisation [point 2) de la requête initiale d’Unibet] fournit un moyen satisfaisant pour qu’Unibet puisse voir sa demande fondée sur le droit communautaire examinée par les juridictions suédoises. Cette demande a en effet été jugée recevable. Elle est encore pendante et constitue la base de la deuxième demande d’Unibet concernant les mesures provisoires.

48.   La juridiction de renvoi, Unibet et le gouvernement suédois semblent s’accorder sur le fait que la juridiction saisie de cette action doit examiner l’argument d’Unibet selon lequel l’interdiction de la promotion est incompatible avec le droit communautaire et que, si elle recevait cet argument, cette juridiction serait tenue d’écarter l’interdiction en vertu du chapitre 11, article 14, de la loi sur la forme de gouvernement.

49.   Unibet objecte qu’il n’est pas évident de mener une action en indemnisation, parce qu’il est difficile et aléatoire de quantifier des pertes économiques. Lorsqu’on applique le principe d’autonomie procédurale, le contrôle ne porte pas cependant sur le point de savoir si cela est difficile (les actions en indemnisation sont, de manière générale, compliquées), mais s’il est satisfait à la double condition d’équivalence et d’effectivité. Je considère que c’est le cas. Notamment, sur la base des éléments présentés à la Cour dans cette procédure préjudicielle, je ne saurais accepter que des problèmes matériels de quantification soient suffisants pour rendre une action en indemnisation «en pratique impossible ou excessivement difficile» (26). De plus, si tel était en principe le cas, cela saperait radicalement la jurisprudence de la Cour selon laquelle les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables et en vertu de laquelle cette obligation fournit une protection effective des justiciables concernés (27).

50.   Qu’en est-il de l’argument d’Unibet selon lequel, même dans le cas où il serait fait droit à sa demande d’indemnisation, la nature de cette action est telle que sa solution ne serait contraignante que dans le cas particulier – elle ne produirait aucun effet erga omnes et ne serait non plus d’aucun secours pour Unibet à l’avenir, l’obligeant à introduire des actions à répétition?

51.   Il ne m’appartient pas de spéculer sur les effets précis en droit suédois d’une décision spécifique rendue par une juridiction spécifique; cela relève de la connaissance et de la compétence de la juridiction nationale. À l’audience, le gouvernement suédois a suggéré que, indépendamment de son effet juridique, la décision d’une juridiction nationale jugeant que l’interdiction de la promotion est contraire à une norme supérieure de droit communautaire serait inévitablement étudiée de près par le gouvernement et conduirait, selon toute vraisemblance, à une modification de la loi. Qu’il en soit ou non ainsi, il me semble que, du point de vue du droit communautaire, si Unibet obtenait une décision en sa faveur dans le cadre d’une action en indemnisation, mais que celle-ci n’était suivie d’aucune modification législative, l’obligeant à introduire une deuxième (voire une troisième) action en indemnisation, elle disposerait d’éléments sérieux pour alléguer que le Royaume de Suède a méconnu de manière grave et manifeste les obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire. Unibet serait alors d’emblée en droit de réclamer des dommages et intérêts supplémentaires. Dans de telles circonstances, il me semble qu’Unibet pourrait vraisemblablement être également en droit d’obtenir des mesures provisoires dans le cadre de cette action afin de sauvegarder la protection effective des droits qu’elle tire du droit communautaire (28).

52.   Sur cette base, j’estime que le fait qu’Unibet dispose d’une action en indemnisation, dans le cadre de laquelle son grief d’incompatibilité de l’interdiction de la promotion avec le droit communautaire sera nécessairement examiné, signifie que les droits qu’elle tire du droit communautaire sont protégés de manière appropriée, même si les règles nationales de procédure l’empêchent d’introduire une action distincte en déclaration d’incompatibilité.

53.   Je ne suis pas convaincue que l’arrêt Muñoz et Superior Fruiticola (29), auquel se réfère Unibet, amène à une conclusion différente. Dans cette affaire, la Cour a jugé que les requérants, des négociants en fruits, avaient le droit de faire appliquer l’obligation prescrite par une législation communautaire directement applicable (30) de ne pas offrir des fruits et des légumes à la vente autrement que conformément aux normes de qualité prescrites dans le cadre d’un procès civil intenté à l’encontre d’un opérateur concurrent. Il semble cependant que, en l’absence d’un tel droit d’action, il n’y aurait eu aucune autre possibilité pour les requérants de faire valoir ce droit (31). Comme cela a été indiqué précédemment, cela n’est pas le cas dans la présente affaire.

54.   Je ne suis pas non plus convaincue par l’argument d’Unibet selon lequel, en vertu de son obligation d’interpréter le droit national conformément au droit communautaire, la juridiction nationale doit étendre à des requérants comme elle le droit de demander un jugement déclaratif (32).

55.   Unibet invoque l’arrêt Marleasing (33) au soutien de cette thèse. Dans cette affaire, la Cour a jugé que, en appliquant la législation nationale, «la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité» de la législation communautaire (34). Cette réserve est à mon avis cruciale (35). La Cour n’exige pas des juridictions nationales d’imposer une interprétation artificielle ou forcée du droit national. Comme l’a jugé la Cour dans l’arrêt Murphy e.a. (36), cette obligation s’applique «dans toute la mesure où une marge d’appréciation [...] est accordée [à la juridiction nationale] par son droit national». Il est clair que la Cour envisage que, dans certaines circonstances, il ne soit pas possible de parvenir au résultat prescrit par le droit communautaire applicable par le biais d’une interprétation (37). Dans la présente affaire, le gouvernement suédois a nié de manière explicite et très marquée que le droit national puisse laisser place à l’interprétation défendue par Unibet. Cette analyse est conforme à l’opinion de la juridiction de renvoi (38), qui cite différents ouvrages de doctrine, telle qu’exprimée dans la décision de renvoi.

56.   À la lumière des considérations qui précèdent, je considère donc qu’il convient de répondre négativement à la première question préjudicielle. Je me fonde en cela sur les doubles prémisses selon lesquelles, si une juridiction nationale tranche en faveur d’Unibet la question préjudicielle relative à la compatibilité au regard du droit communautaire de l’interdiction de la promotion, elle lui accordera une réparation au fond et celle-ci sera effective (39). Les pièces présentées à la Cour dans le cadre de cette procédure préjudicielle suggèrent que c’est probablement le cas, mais aucune de ces deux prémisses n’est absolument certaine. J’insiste sur le fait que, si la voie de l’indemnisation ne procure pas, en fait, de protection qui permette à Unibet de faire valoir, en pratique, les droits qu’elle tire du droit communautaire une fois qu’ils ont été reconnus par la juridiction nationale, un nouveau recours doit nécessairement être créé si le Royaume de Suède veut respecter les obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (40).

57.   Enfin, je relève que, telle qu’elle est formulée, cette question soulève le point de savoir si l’exigence du droit communautaire que les règles nationales de procédure fournissent une protection effective des droits que le justiciable tire du droit communautaire implique qu’une action en déclaration que certaines dispositions nationales de fond méconnaissent l’article 49 CE doit pouvoir être introduite dans un cas dans lequel la compatibilité desdites dispositions nationales avec cet article ne peut faire l’objet autrement que d’un examen à titre préjudiciel, par exemple dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, d’une action concernant la violation d’une disposition nationale matérielle ou d’un contrôle juridictionnel(41).

58.   J’ai déjà expliqué précédemment que je ne pense pas qu’un ordre juridique national satisferait aux conditions d’une protection effective des droits tirés du droit communautaire si la seule possibilité pour un justiciable de faire valoir ces droits devant une juridiction nationale consistait à violer la loi.

59.   Je ne suis pas non plus convaincue, à la lumière des informations fournies à la Cour, que la procédure de contrôle juridictionnel serait ouverte dans les circonstances du cas présent.

60.   Je souhaiterais donc reformer la première question en élaborant une réponse à celle-ci. Sur cette base, je considère qu’il y a lieu de répondre que le droit communautaire n’exige pas qu’il soit possible d’introduire une action distincte en déclaration de la non‑conformité de certaines dispositions nationales de fond à l’article 49 CE, lorsqu’il peut être démontré que cette question serait examinée, à titre préjudiciel, dans le cadre d’un recours en indemnisation dans des conditions qui ne sont pas moins favorables que celles régissant les actions nationales similaires et qui ne rendent pas impossible ou extrêmement difficile pour le requérant de faire respecter les droits qu’il tire du droit communautaire.

 La deuxième question

61.   Dans sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si l’exigence de protection juridique effective tirée du droit communautaire implique que l’ordre juridique national doit fournir une protection provisoire par laquelle des règles nationales qui empêchent l’exercice d’un droit qu’un justiciable prétend tirer du droit communautaire doivent pouvoir être écartées à l’égard de ce justiciable afin que ce dernier puisse exercer ce droit, et ce jusqu’à ce que la question de l’existence de ce droit ait été définitivement examinée par une juridiction nationale.

62.   Unibet estime qu’il convient d’apporter à cette question une réponse affirmative. Selon elle, le droit communautaire lui donne un droit absolu à l’examen par une juridiction nationale de sa demande de mesures provisoires, puisqu’il appartient aux juridictions nationales de fournir aux justiciables un droit d’action effectif en cas de violation des droits qu’ils tirent du droit communautaire. La Cour a jugé dans ses arrêts Factortame I (42) et Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (43) que le principe de protection juridictionnelle effective des droits tirés du droit communautaire confère un droit à des mesures provisoires.

63.   Les gouvernements qui ont déposé des observations et la Commission considèrent, en substance, qu’il y a lieu de répondre négativement à la deuxième question. Tous s’accordent sur le fait qu’il ressort de l’arrêt Factortame I qu’il existe dans certaines conditions une obligation d’accorder une protection provisoire, mais ils ne considèrent pas qu’une réponse affirmative à la deuxième question découle nécessairement de cette thèse. Je partage leur avis. Le droit communautaire ne confère à un requérant aucun droit absolu à l’examen de sa demande visant à l’adoption de mesures provisoires par une juridiction nationale quelles que soient les circonstances.

64.   Le point de départ de la réflexion est bien entendu l’arrêt Factortame I. Dans cette affaire, les requérantes demandaient, premièrement, une déclaration de l’incompatibilité de certaines dispositions d’une loi nationale avec le droit communautaire, deuxièmement, des dommages et intérêts et, troisièmement, des mesures provisoires jusqu’à ce que les points litigieux soient définitivement tranchés. Il a été admis que les juridictions nationales étaient, en principe, compétentes pour rendre la déclaration souhaitée; une décision préjudicielle était cependant sollicitée sur la question de savoir si les dispositions pertinentes étaient en effet contraires au traité (44). En revanche, en ce qui concerne la question des mesures provisoires, les juridictions nationales n’avaient en vertu du droit national aucune compétence pour accorder le sursis à l’exécution de la loi. Il a donc été procédé à une demande de décision préjudicielle distincte concernant la question de savoir si le droit communautaire exigeait que la juridiction nationale puisse accorder de telles mesures provisoires dans un cas approprié.

65.   La Cour a jugé qu’il serait fait obstacle à la pleine efficacité du droit communautaire si une règle de droit national pouvait empêcher une juridiction saisie d’un litige régi par le droit communautaire d’accorder des mesures provisoires dans le but de garantir la pleine efficacité de la décision à rendre concernant l’existence de droits invoqués sur le fondement du droit communautaire. Il en découle qu’une juridiction qui, dans ces circonstances, accorderait des mesures provisoires si elle ne se heurtait pas à une règle de droit national serait obligée d’écarter l’application de cette règle. La Cour a donc jugé qu’une juridiction nationale qui, dans une affaire concernant le droit communautaire pendante devant elle, considère que la règle nationale est le seul obstacle qui l’empêche d’accorder des mesures provisoires doit écarter cette règle.

66.   À la différence de l’arrêt Factortame I, qui concernait une loi nationale prétendument incompatible avec les droits tirés du traité, l’arrêt Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (45) concernait une mesure nationale basée sur un règlement communautaire (46) dont la validité était contestée devant une juridiction nationale. Cette juridiction a demandé si le deuxième alinéa de ce qui est désormais l’article 249 CE, qui dispose que le règlement a une portée générale, qu’il est obligatoire dans tous ses éléments et qu’il est directement applicable dans tout État membre, déniait aux juridictions nationales la compétence de suspendre l’application d’une mesure nationale adoptée sur la base d’un règlement communautaire.

67.   La Cour s’est référée à son arrêt Factortame I et a jugé que la protection juridique provisoire qui est assurée aux justiciables devant les juridictions nationales par le droit communautaire ne saurait varier, selon qu’ils contestent la compatibilité de dispositions de droit national avec le droit communautaire ou la validité d’actes communautaires de droit dérivé, dès lors que, dans les deux cas, la contestation est fondée sur le droit communautaire lui-même. Il en découle que l’article 249 CE ne fait pas obstacle à la compétence des juridictions de surseoir à l’application d’une mesure administrative nationale adoptée sur la base d’un règlement communautaire.

68.   On peut donc distinguer deux situations. Dans la première, comme c’était le cas dans l’affaire Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, une mesure communautaire est contestée et le requérant demande le sursis à l’exécution de la mesure nationale d’application. Dans la seconde, celle en cause dans l’affaire Factortame I, une loi nationale est contestée au motif qu’elle n’est pas conforme au droit communautaire et le requérant sollicite le sursis à l’exécution de cette législation nationale. La présente affaire relève clairement de la seconde catégorie.

69.   Comme le relève la Commission, Unibet a fait deux demandes de mesures provisoires: la première liée à son action principale visant à obtenir un jugement déclaratif de son droit à commercialiser ses services sans en être empêchée par l’interdiction de la promotion, et la seconde liée à son recours en indemnisation pour violation du droit communautaire.

70.   En ce qui concerne la première demande, il ressort de la décision de renvoi que la juridiction nationale souhaite savoir en particulier si le droit communautaire exige qu’une juridiction nationale garantisse le sursis à l’exécution d’une interdiction de la promotion dans des circonstances dans lesquelles l’action principale vise une déclaration d’incompatibilité qui est, elle, irrecevable en droit national.

71.   Étant donné que je ne pense pas que, dans les circonstances de la présente affaire, le droit communautaire exige la recevabilité d’une telle action principale (distincte), je considère également qu’il est clair que le droit communautaire n’exige pas que ces mesures provisoires soient disponibles dans un tel contexte. Cette opinion est partagée par les gouvernements allemand, belge, finlandais, grec et suédois ainsi que par la Commission.

72.   Cette conclusion découle, à mon avis, de la nature même des mesures provisoires. Elle ressort également de la jurisprudence de la Cour. Dans l’arrêt Factortame I, qui, comme le cas présent, concernait une demande de sursis à l’exécution d’une législation nationale, la Cour a jugé que «la pleine efficacité du droit communautaire se trouverait […] diminuée si une règle du droit national pouvait empêcher le juge saisi d’un litige régi par le droit communautaire d’accorder les mesures provisoires» (47) en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués sur la base du droit communautaire» (48). Je ne pense pas que l’on puisse considérer qu’une juridiction est «saisie d’un litige» dans des circonstances dans lesquelles la demande principale est une forme d’action qui n’est ni reconnue par le droit national ni requise en vertu du droit communautaire.

73.   Le contraire est vrai en ce qui concerne la seconde demande. Le recours en indemnisation pour violation du droit communautaire (dans le cadre duquel la compatibilité de l’interdiction de la promotion avec le droit communautaire sera examinée) est recevable en droit national.

74.   Il est clair qu’en de telles circonstances la juridiction nationale saisie de ce recours doit être en mesure d’accorder des mesures provisoires.

75.   Cela ne signifie pas cependant qu’une juridiction nationale saisie d’un litige donné doit nécessairement être en mesure d’accorder (et encore moins être tenue d’accorder) toutes les formes imaginables de mesures provisoires. Au contraire, il résulte de la formulation adoptée par la Cour que les mesures que la juridiction nationale doit être en mesure d’accorder doivent être de nature à garantir la pleine efficacité de la décision définitive recherchée.

76.   Unibet a allégué lors de l’audience que la présente affaire constitue un «Factortame I» suédois et que la question de base est identique. Il existe cependant, selon moi, une différence cruciale entre les deux affaires. Bien que dans l’affaire Factortame I, tout comme dans le cas présent, les requérants demandaient des dommages et intérêts et un sursis à l’exécution de la législation nationale contestée, leur demande principale concernait une déclaration selon laquelle cette législation ne devrait pas être appliquée (49). Cette action était recevable en vertu du droit national (50). Les mesures provisoires sollicitées étaient donc directement liées aux mesures principales demandées. La juridiction nationale a, en outre, jugé que les allégations des requérants selon lesquelles ils subiraient un préjudice irréparable au cas où il ne serait pas fait droit à leur demande de mesures provisoires et que leur procédure principale serait fructueuse étaient fondées (51).

77.   Dans la présente affaire, au contraire, la deuxième question concerne essentiellement la demande de mesures provisoires d’Unibet faite dans le contexte de sa demande en indemnisation par l’État pour compenser les effets de l’interdiction de la promotion [point 2) de sa demande initiale]. On ne voit pas bien comment un jugement définitif accordant une indemnisation serait rendu pleinement effectif par les mesures provisoires recherchées par Unibet afin que, en dépit de l’interdiction de la promotion et des sanctions prévues en cas de violation de celle-ci, Unibet soit en droit de prendre, jusqu’à ce que le jugement définitif soit rendu, des mesures spécifiques de commercialisation, ce qui correspond aux mesures provisoires qu’Unibet sollicite. La demande de mesures provisoires ne correspond donc pas à la demande principale. Dans un tel cas, je ne considère pas que le droit communautaire exige l’octroi de telles mesures provisoires.

78.   En outre, dans la présente affaire, la pleine efficacité du jugement définitif concernant la demande d’indemnisation ne «nécessite» pas d’être préservée. Si la Cour suprême juge dans son arrêt que les droits qu’Unibet fait valoir sur le fondement du droit communautaire ont été méconnus et que l’État suédois lui est donc redevable du paiement de dommages et intérêts, on peut supposer que l’État suédois se conformera cet arrêt.

79.   Unibet fait valoir que, conformément à l’arrêt ABNA e.a. (52), un justiciable doit avoir accès à la même protection temporaire lorsqu’il est question de la conformité de règles nationales au droit communautaire que lorsque la validité d’un acte communautaire est contestée. Puisque les justiciables ont droit à une protection juridictionnelle provisoire lorsque la légalité d’un acte communautaire est contestée en vertu de l’article 234 CE, la même protection juridictionnelle doit être garantie aux justiciables lorsque les actes nationaux sont attaqués au motif qu’ils sont incompatibles avec le droit communautaire.

80.   Cette déclaration découle en fait de l’arrêt Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (53). Dans cet arrêt, la juridiction nationale était saisie d’une demande en annulation d’une mesure nationale transposant un règlement communautaire dont la validité était contestée. Rien ne suggère qu’il existait le moindre problème de recevabilité de cette demande. Les mesures provisoires étaient donc tout à fait appropriées pour sauvegarder l’effet du jugement définitif. Comme je l’ai déjà indiqué, je ne pense pas que l’on puisse en dire autant lorsque – comme dans le cas présent – le jugement définitif recherché concerne l’octroi d’une indemnisation.

81.   Enfin, Unibet fait valoir qu’il résulte clairement de l’affaire Antonissen/Conseil et Commission (54) que l’objectif de la protection juridictionnelle accordée par le droit communautaire est de parvenir à faire cesser une violation de droit continue qui cause un préjudice au justiciable. La juridiction saisie d’une demande de mesures provisoires dispose d’un large pouvoir discrétionnaire concernant l’examen de la demande en référé et les mesures qu’il y a lieu de prononcer pour garantir le droit du justiciable à la protection juridictionnelle. Il ressort donc de l’arrêt Factortame I et de l’ordonnance Antonissen/Conseil et Commission qu’un justiciable qui subit un préjudice continu dispose toujours du droit d’introduire une demande en référé et le juge dispose d’un large pouvoir discrétionnaire dans la fixation des conditions d’octroi et de la nature même de ces mesures. Une interdiction temporaire faite à l’État d’appliquer l’interdiction de la promotion à l’égard d’Unibet serait la voie de recours la plus effective dans la présente situation.

82.   Il est exact que l’ordonnance Antonissen/Conseil et Commission concernait une demande d’indemnisation. Les mesures provisoires sollicitées dans cette affaire étaient le versement d’une avance sur les dommages et intérêts demandés à titre principal. Les mesures demandées dans la demande interlocutoire correspondaient donc partiellement aux mesures sollicitées dans l’action principale (55). Il est également vrai que la Cour a conclu que le juge saisi d’une demande de mesures provisoires dispose d’un large pouvoir discrétionnaire lors de l’examen des conditions d’octroi de telles mesures.

83.   Ce que la Cour a en fait jugé dans l’ordonnance Antonissen/Conseil et Commission, c’est qu’«une interdiction absolue d’obtenir [des mesures provisoires], indépendamment des circonstances de l’espèce, serait contraire au droit à une protection juridictionnelle complète et effective que les justiciables tiennent du droit communautaire, qui implique notamment que puisse être assurée leur protection provisoire, si elle est nécessaire à la pleine efficacité de la future décision définitive […] Il ne peut donc être exclu à l’avance, de façon générale et abstraite, qu’un paiement à titre de provision […] soit nécessaire […] et, le cas échéant, apparaisse justifié, au regard des intérêts en présence» (56).

84.   L’ordonnance Antonissen/Conseil et Commission a donc rectifié une interprétation erronée du droit selon laquelle celui-ci comportait une interdiction absolue d’accorder des mesures provisoires lorsque la demande principale est une demande en indemnisation. L’ordonnance de la Cour a clairement indiqué cependant que l’octroi de telles mesures est à la fois inhabituel et, avant tout, discrétionnaire. La deuxième question soulevée dans la présente affaire est en substance de savoir si l’ordre juridique national doit prévoir le sursis à l’exécution d’une législation nationale lorsque la demande au fond est un recours en indemnisation. Je ne vois aucun élément dans l’ordonnance Antonissen/Conseil et Commission qui aide à répondre à cette question; à mon avis, si un tel élément existait, il étayerait plutôt la conclusion opposée.

85.   Afin d’être exhaustive, j’ajouterai cependant que, s’il était fait droit au recours en indemnisation d’Unibet dans la présente affaire, mais que celle-ci se voyait contrainte d’intenter un second recours afin de faire valoir les droits qu’elle tire du droit communautaire, des mesures provisoires pourraient effectivement être nécessaires afin de permettre leur protection effective (57). Dans ce contexte (exceptionnel), ces mesures provisoires consisteraient forcément, à mon avis, à surseoir à l’exécution des articles pertinents de la loi nationale qui (ex hypothesi) auraient déjà été déclarés incompatibles avec un droit communautaire d’effet direct (58).

86.   Je considère donc que la réponse à la deuxième question devrait être, premièrement, que le droit communautaire n’exige pas qu’un État membre prévoie un sursis à l’exécution ou l’inapplication de règles nationales qui empêchent l’exercice d’un droit qu’un requérant invoque sur la base du droit communautaire lorsque sa demande au fond est irrecevable en droit national. Deuxièmement, lorsque la demande au fond (principale) est recevable, mais vise à l’octroi d’une compensation sous forme d’une indemnisation pour un préjudice subi du fait de ces règles nationales, le droit communautaire exige que la juridiction nationale ait la discrétion, dans un cas approprié, d’accorder de telles mesures provisoires.

 Les troisième et quatrième questions

87.   La troisième question ne se pose que s’il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’État membre doit prévoir un sursis à l’exécution ou l’inapplication de règles nationales qui empêchent l’exercice d’un droit qu’un requérant prétend tirer du droit communautaire. Avec cette question, la juridiction nationale demande s’il résulte du droit communautaire que, en cas de contestation de la compatibilité de dispositions nationales avec le droit communautaire, une juridiction nationale doit appliquer des critères nationaux ou bien des critères communautaires lors de son examen au fond d’une demande de mesures provisoires visant à protéger des droits tirés du droit communautaire. Dans sa quatrième question, qui ne se pose que s’il doit être répondu à la troisième question qu’il y a lieu d’appliquer des critères communautaires, la juridiction nationale souhaite savoir quels sont ces critères.

88.   Bien que la réponse que je suggère à la deuxième question impliquerait qu’il n’y a pas lieu de répondre aux troisième et quatrième questions, je vais néanmoins examiner brièvement ces questions.

89.   Unibet et le gouvernement portugais font valoir que les critères applicables sont des critères communautaires. Unibet fait valoir qu’il est essentiel que les questions de la protection juridictionnelle temporaire soient appliquées, dans la mesure du possible, de manière uniforme dans l’ensemble des États membres. La Cour devrait donc formuler des conditions fondamentales nécessaires. Selon Unibet, il conviendrait qu’il existe des doutes sérieux sur la compatibilité d’un acte juridique national avec le droit communautaire et que le justiciable subisse un préjudice du fait du conflit de normes. L’exigence du droit communautaire que le préjudice soit «irréparable» manque de clarté; s’il est appliqué, la Cour doit le clarifier. Le gouvernement portugais cite les arrêts Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest et Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. (59) et fait valoir que l’interprétation et l’application uniforme qui sous-tendent le droit communautaire suggèrent que les critères régissant l’octroi de mesures provisoires devraient être ceux appliqués par les juridictions communautaires, à savoir fumus boni juris, le caractère d’urgence, la mise en balance des intérêts et rapports entre les mesures sollicitées et l’objet du recours au fond (60).

90.   Les gouvernements allemand, autrichien, finlandais, italien, suédois et tchèque et la Commission n’ont pas présenté d’observations sur les troisième et quatrième questions. Les gouvernements belge, grec et néerlandais ainsi que le Royaume-Uni font valoir que les dispositions nationales s’appliquent. Je partage cette opinion.

91.   Cette approche résulte de la règle de base fixée par la Cour et examinée dans le cadre de la première question, selon laquelle, à défaut de règles communautaires, il appartient au système juridique de chaque État membre de déterminer le détail des règles procédurales régissant les actions visant à la sauvegarde des droits tirés du droit communautaire sous réserve des principes d’effectivité et d’équivalence.

92.   Cela est également suggéré par le fait que, dans l’arrêt Factortame I lui‑même, la Cour n’a pas fixé les conditions spécifiques d’octroi de mesures provisoires. Dans les conclusions qu’il a présentées dans cette affaire, l’avocat général Tesauro a exprimé l’opinion selon laquelle les modalités et délais de la protection provisoire sont et restent, en l’absence d’harmonisation, ceux que prévoient les ordres juridiques nationaux, à condition qu’ils ne soient pas de nature à rendre, en pratique, impossible l’exercice de droits que les juridictions nationales ont l’obligation de sauvegarder (61).

93.   Il est vrai que, dans les arrêts précités Zuckerfabrick Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest et Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a., la Cour a fixé des conditions communautaires pour l’octroi de mesures provisoires par les juridictions nationales, y compris le sursis à l’exécution d’une mesure nationale basée sur une mesure communautaire. Ces affaires concernaient un grief d’invalidité de la législation communautaire sous-jacente. Dans de tels cas, la Cour est bien entendu la seule compétente pour déclarer la nullité de la mesure communautaire (62). Dans un tel contexte, il existe un intérêt communautaire clair à avoir des critères uniformes stricts (63). Par opposition, la présente affaire concerne la validité d’une mesure nationale qui, par définition, ne s’applique que dans un seul État membre. Dans un tel cas, je ne vois pas de raison de s’écarter de la règle générale de l’autonomie procédurale (64). En effet, il serait plus logique pour la procédure régissant le sursis à l’exécution d’une loi nationale sur le fondement d’une allégation d’incompatibilité avec le droit communautaire d’être identique à celle régissant le sursis à l’exécution d’une loi nationale sur un autre fondement, purement national (en application du principe d’équivalence), toujours sous réserve du respect du principe d’effectivité.

94.   De plus, la Cour a relevé dans l’arrêt Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest que la compétence des juridictions nationales d’accorder le sursis à l’exécution d’une mesure communautaire correspond à la compétence réservée à la Cour par l’article 242 CE. Elle a jugé en conséquence que les juridictions nationales ne peuvent accorder ce sursis que dans les conditions du référé devant la Cour (65). Cette approche garantit la cohérence des règles régissant l’octroi de mesures provisoires, indépendamment du fait qu’une contestation soit faite en vertu de l’article 230 CE ou de l’article 234 CE. Dans la présente affaire, il n’existe, en revanche, aucune analogie de la sorte avec la compétence de la Cour. Comme l’a indiqué le Royaume-Uni, le parallèle le plus proche est le pouvoir des juridictions nationales de trancher les questions d’incompatibilité au fond. Dans ces cas, la procédure est régie par des règles nationales, sous réserve des principes d’équivalence et d’effectivité.

95.   Je garde bien entendu à l’esprit que la Cour a jugé dans l’arrêt Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest que la «protection provisoire qui est assurée aux justiciables devant les juridictions nationales par le droit communautaire ne saurait varier, selon qu’ils contestent la compatibilité de dispositions de droit national avec le droit communautaire ou la validité d’actes communautaires de droit dérivé, dès lors que, dans les deux cas, la contestation est fondée sur le droit communautaire lui-même» (66). Cette formule ne détermine pas à mon avis la problématique posée par la troisième question dans la présente affaire. Dans l’arrêt Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest, la question dont été saisie la Cour était celle de savoir si des mesures provisoires – que, conformément à l’arrêt Factortame I, une juridiction nationale doit pouvoir accorder jusqu’à ce que la Cour tranche la question de la compatibilité – doivent être disponibles en cas de contestation de la validité d’un règlement communautaire sur lequel se base une mesure nationale. Il n’a cependant pas été demandé à la Cour de déterminer les critères d’octroi par une juridiction nationale de mesures provisoires dans une procédure concernant la prétendue incompatibilité d’une mesure nationale avec le droit communautaire.

96.   Pour les raisons susmentionnées, je considère qu’il convient de répondre à la troisième question que, en cas de contestation de la compatibilité de dispositions nationales avec le droit communautaire, une juridiction nationale doit appliquer les dispositions nationales régissant les mesures provisoires dans le cadre de son examen au fond d’une demande de protection provisoire de droits tirés du droit communautaire, sous réserve toutefois du respect du principe d’effectivité.

97.   Sur cette base, il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question. Si la Cour considérait cependant que les critères communautaires s’appliquent dans de telles circonstances, il me semble que les critères posés dans l’arrêt Zuckerfabrick Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (67) seraient clairement appropriés.

 Conclusion

98.   Je suis par conséquent d’avis qu’il convient de répondre aux questions posées par le Högsta domstolen de la manière suivante:

«1)      Le droit communautaire n’exige pas qu’il soit possible d’introduire une action distincte visant à faire déclarer que certaines dispositions nationales de fond ne sont pas conformes à l’article 49 CE, lorsqu’il peut être démontré que cette question serait examinée, à titre préjudiciel, dans le cadre d’un recours en indemnisation dans des conditions qui ne sont pas moins favorables que celles régissant les actions nationales similaires et qui ne rendent pas impossible ou excessivement difficile pour le requérant de faire respecter les droits qu’il tire du droit communautaire.

2)      Le droit communautaire n’exige pas qu’un État membre prévoie un sursis à l’exécution ou l’inapplication de règles nationales qui empêchent l’exercice d’un droit qu’un requérant invoque sur la base du droit communautaire lorsque sa demande au fond est irrecevable en droit national. Lorsque cette demande principale est recevable, mais vise à l’octroi d’une compensation sous forme d’une indemnisation pour un préjudice subi du fait de ces règles nationales, le droit communautaire exige que la juridiction nationale ait la discrétion, dans un cas approprié, d’accorder de telles mesures provisoires.

3)      En cas de contestation de la compatibilité de dispositions nationales avec le droit communautaire, une juridiction nationale doit appliquer les dispositions nationales régissant les mesures provisoires dans le cadre de son examen au fond d’une demande de protection provisoire de droits tirés du droit communautaire, sous réserve toutefois du respect du principe d’effectivité.»


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Projet de loi gouvernemental 1993/94:114, modifications constitutionnelles préalables à l’adhésion du Royaume de Suède à l’Union européenne, p. 27.


3 – C-243/01, Rec. p. I‑13031.


4 – C’est-à-dire le chapitre 13, article 2, du code de procédure civile: voir points 13 et 14 ci-dessus.


5 – Arrêt du 16 décembre 1981 (244/80, Rec. p. 3045, point 18).


6 – Bien que la question cite ces trois types de procédures à titre d’exemples, il semble qu’elles soient les seules susceptibles d’exister dans les circonstances du cas présent (voir également point 46, concernant la procédure de recours en contrôle de légalité).


7 – Arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, Rec. p. 629, points 21 et 22); du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C-213/89, Rec. p. I‑2433, ci‑après l’«arrêt Factortame I»); du 11 juillet 1991, Verholen e.a. (C-87/90 à C-89/90, Rec. p. I‑3757, point 24), et du 22 septembre 1998, Coote (C‑185/97, Rec. p. I‑5199).


8 – Arrêt du 17 septembre 2002 (C-253/00, Rec. p. I‑7289).


9 – Arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing (C-106/89, Rec. p. I‑4135).


10 – En vertu du chapitre 13, point 2, du code de procédure civile: voir points 4 et 13 ci‑dessus.


11 – Arrêt du 16 décembre 1976, Rewe (33/76, Rec. p. 1989, point 5).


12 – Arrêt du 7 juillet 1981, Rewe (158/80, Rec. p. 1805, point 44), italique ajouté.


13 – Précité note 7, points 21 et 22, italique ajouté.


14 – Arrêt du 14 décembre 1995 (C-312/93, Rec. p. I‑4599, point 12).


15 – Arrêt Verholen e.a., précité note 7, point 24.


16 – Comme c’était de fait le cas dans l’affaire Factortame I.


17 – Arrêt du 15 octobre 1987 (222/86, Rec. p. 4097, point 14), italique ajouté.


18 – Arrêt du 7 mai 1991 (C-340/89, Rec. p. I‑2357, point 22).


19 – Précité note 14, point 14.


20 – Arrêt du 11 septembre 2003 (C-13/01, Rec. p. I‑8679).


21 – Voir, par exemple, Cour eur. D. H., arrêts Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A n° 18, § 36; Klass et autres c. Allemagne du 6 septembre 1978, série A n° 28, § 49; Ashingdane c. Royaume-Uni du 28 mai 1985, série A nº 93, § 55 et 57, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni du 8 juillet 1986, série A nº 102, § 194.


22 – Voir point 3 ci-dessus.


23 – Nuancées par des observations présentées au cours de l’audience: voir point 46 ci-dessous.


24 – Voir arrêts du 5 juin 1985, Roelstraete (116/84, Rec. p. 1705, point 10); du 17 septembre 1998, Kainuun Liikenne et Pohjolan Liikenne (C-412/96, Rec. p. I‑5141, point 22), et du 9 février 1999, Dilexport (C-343/96, Rec. p. I‑579, point 51).


25 – Arrêt du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré (C-263/02 P, Rec. p. I‑3425, points 33 et 34).


26 – Arrêt Peterbroeck, précité note 14, point 12.


27 – Arrêt du 9 novembre 1995, Francovich (C-479/93, Rec. p. I‑3843, point 37). Dans l’arrêt du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, Rec. p. I‑3325), la Cour a refusé de reconnaître un effet direct «horizontal» aux directives, considérant à la place que la protection effective pouvait être garantie par le principe d’interprétation cohérente supporté par la possibilité d’introduire un recours en indemnisation (voir point 27).


28 – Voir point 85 ci-dessous.


29 – Précité note 8.


30 – Règlement (CEE) nº 1035/72 du Conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (JO L 118, p. 1), et règlement (CE) n° 2200/96 du Conseil, du 28 octobre 1996, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (JO L 297, p. 1).


31 – Bien que l’arrêt soit laconique, on peut déduire des faits tels qu’ils ont été décrits par la Cour que le lien de causalité aurait été bien trop lâche pour un recours en indemnisation.


32 – En d’autres termes, l’action spécifiée au chapitre 13, article 2, du code de procédure civile: voir points 4 et 13 ci-dessus.


33 – Précité note 9.


34 – Point 8, italique ajouté. Bien que l’arrêt Marleasing concernait l’obligation d’interpréter la législation nationale à la lumière d’une directive, la Cour a appliqué le même principe aux dispositions du traité: arrêt du 4 février 1988, Murphy e.a. (157/86, Rec. p. 673).


35 – Bien que la réserve ne soit pas intégrée au dispositif de l’arrêt, il est de jurisprudence constante que le dispositif d’un arrêt doit être compris à la lumière d’un point précédent du jugement (arrêt du 16 mars 1978, Bosch, 135/77, Rec. p. 855, point 4). En tout état de cause, cette réserve transparaît dans le dispositif de plusieurs arrêts postérieurs: voir arrêt Faccini Dori, précité note 27, et arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C-240/98 à C-244/98, Rec. p. I‑4941), et du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a. (C-397/01 à C-403/01, Rec. p. I‑8835).


36 – Précité note 34.


37 – Voir, par exemple, arrêts du 16 décembre 1993, Wagner Miret (C-334/92, Rec. p. I‑6911, point 22 et point 2, sous b), du dispositif); Faccini Dori, précité note 27, point 27, et du 22 mai 2003, Connect Austria (C-462/99, Rec. p. I‑5197, point 1 du dispositif).


38 – Ainsi que des deux juridictions inférieures.


39 – Voir point 51 ci-dessus.


40 – Voir arrêt Factortame I.


41 – Italique ajouté.


42 – Précité note 7.


43 – Arrêt du 21 février 1991 (C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I‑415).


44 – Dans l’arrêt du 25 juillet 1991, Factortame (C-221/89, Rec. p. I‑3905, ci‑après l’«arrêt Factortame II»), la Cour a jugé que certaines dispositions de fond étaient contraires à l’article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE).


45 – Précité note 43.


46 – Règlement (CEE) nº 1914/87 du Conseil, du 2 juillet 1987, instaurant une cotisation de résorption spéciale dans le secteur du sucre pour la campagne de commercialisation 1986/1987 (JO L 183, p. 5).


47 – Point 21, italique ajouté. Le dispositif est également formulé en termes d’obligation d’une «juridiction nationale qui, saisie d’un litige concernant le droit communautaire, estime que le seul obstacle qui s’oppose à ce qu’elle ordonne des mesures provisoires est une règle du droit national» (italique ajouté). Une juridiction n’est «saisie d’un litige» que si, à titre de condition préalable, ce litige est recevable.


48 – Arrêt Factortame I, point 21.


49 – Voir point 7 du rapport d’audience et point 10 de l’arrêt.


50 – Voir point 23 du rapport d’audience. Le droit administratif anglais autorise une action en déclaration à titre d’action principale. Ce n’est pas le cas du droit administratif suédois.


51 – Ibidem, point 10.


52 – Arrêt du 6 décembre 2005 (C-453/03, C-11/04, C-12/04 et C-194/04, Rec. p. I‑10423).


53 – Précité note 43.


54 – Ordonnance du président de la Cour du 29 janvier 1997 [C-393/96 P(R), Rec. p. I‑441].


55 – Voir point 7 de l’arrêt. Une demande de paiement provisoire liée à un recours en indemnisation soulève ses propres problèmes qui ne sont pas en cause dans la présente affaire.


56 – Points 36 et 37. Aux points 38 à 43, la Cour a examiné avec soin les paramètres selon lesquels le juge des référés doit exercer son large pouvoir discrétionnaire.


57 – Voir point 51 ci-dessus.


58 – Voir point 6 ci-dessus.


59 – Arrêt du 9 novembre 1995 (C-465/93, Rec. p. I‑3761).


60 – Voir ordonnance Antonissen/Conseil et Commission, précitée note 54.


61 – Point 33 de ces conclusions, voir également point 30.


62 – Arrêt du 22 octobre 1987, Foto-Frost (314/85, Rec. p. 4199, point 20).


63 – Affirmés récemment dans l’arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA (C-344/04, Rec. p. I‑403, point 27), dans lequel la Cour a jugé que l’exigence d’application uniforme du droit communautaire par les juridictions nationales «est particulièrement impérieuse lorsque la validité d’un acte communautaire est en cause. Des divergences entre les juridictions des États membres quant à la validité des actes communautaires seraient susceptibles de compromettre l’unité même de l’ordre juridique communautaire et de porter atteinte à l’exigence fondamentale de la sécurité juridique».


64 – Arrêt Factortame I, point 19.


65 – Point 27.


66 – Point 20; voir, également, point 24 de l’arrêt Atlanta Fruchthandelgesellschaft e.a.


67 – Voir point 33 et dispositif de l’arrêt.

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