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Document 62005CC0376

Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 28 septembre 2006.
A. Brünsteiner GmbH (C-376/05) et Autohaus Hilgert GmbH (C-377/05) contre Bayerische Motorenwerke AG (BMW).
Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne.
Concurrence - Accord de distribution de véhicules automobiles - Exemption par catégorie - Règlement (CE) nº 1475/95 - Article 5, paragraphe 3 - Résiliation par le fournisseur - Réorganisation du réseau - Entrée en vigueur du règlement (CE) nº 1400/2002 - Article 4, paragraphe 1 - Restrictions caractérisées - Conséquences.
Affaires jointes C-376/05 et C-377/05.

Recueil de jurisprudence 2006 I-11383

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2006:622

Conclusions de l'avocat général

Conclusions de l'avocat général

1. La présente affaire aborde à nouveau les difficultés relatives aux conséquences de l’expiration de l’ancienne exemption par catégorie en faveur du secteur automobile et de l’entrée en vigueur de la nouvelle. En l’espèce, il s’agit de savoir si l’entrée en vigueur de la nouvelle exemption est susceptible de justifier la résiliation de contrats de distribution existants avec un préavis abrégé. La question de la nullité est également soulevée.

I – Le cadre juridique

2. Le dix-neuvième considérant du règlement (CE) n° 1475/95 (2) énonce:

«L’article 5 paragraphe 2 points 2 et 3 et paragraphe 3 fixe des conditions minimales d’exemption pour la durée et la résiliation de l’accord de distribution et de service de vente et d’après-vente parce que, en raison des investissements du distributeur pour améliorer la structure de la distribution et du service des produits contractuels, la dépendance du distributeur vis-à-vis du fournisseur est considérablement accrue en cas d’accords conclus à court terme ou résiliables à brève échéance. Toutefois, pour ne pas entraver le développement de structures flexibles et efficaces de distribution, il convient de reconnaître au fournisseur un droit extraordinaire de mettre fin à l’accord en cas de nécessité de réorganiser l’ensemble ou une partie substantielle du réseau. […]»

3. L’article 5, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1475/95 énonce:

«2. Lorsque le distributeur a assumé des obligations visées à l’article 4 paragraphe 1 pour améliorer la structure de la distribution et du service de vente et d’après-vente, l’exemption s’applique à condition que:

[…]

2) la durée de l’accord soit d’au moins cinq ans ou que le délai de résiliation ordinaire de l’accord conclu pour une période indéterminée soit d’au moins deux ans pour les deux parties; ce délai est réduit à un an au moins:

[…]

3. Les conditions d’exemption prévues aux paragraphes 1 et 2 ne préjugent pas:

– du droit du fournisseur de résilier l’accord moyennant un préavis d’au moins un an en cas de nécessité de réorganiser l’ensemble ou une partie substantielle du réseau,

[…]»

4. Dans la brochure explicative de la Commission concernant ce règlement, la réponse à la seizième question, sous a) – concernant la possibilité de mettre fin à un accord de distribution de manière anticipée –, traite particulièrement de ce problème. En résumé, il y est expliqué que le constructeur automobile a le droit de mettre fin à l’accord de manière anticipée (avec un préavis d’un an) lorsqu’il doit réorganiser l’ensemble ou une partie substantielle de son réseau; cette possibilité de résiliation anticipée a été introduite pour que le constructeur puisse réadapter en souplesse son appareil de distribution; il peut être nécessaire de procéder à une réorganisation pour des raisons diverses, par exemple à cause du comportement de concurrents ou de l’évolution des circonstances économiques, c’est donc l’examen de l’organisation spécifique du réseau d’un constructeur qui permet de décider, dans chaque cas d’espèce, si une partie «substantielle» du réseau est affectée ou non; le terme «substantiel» implique un aspect à la fois économique et géographique, qui peut être limité au réseau d’un État membre donné, ou à une partie de celui-ci.

5. Le règlement n° 1475/95, conformément à l’article 13 en vigueur jusqu’au 30 septembre 2002, a été remplacé par le règlement (CE) n° 1400/2002 (3) à compter du 1 er octobre 2002.

6. Le douzième considérant de ce règlement énonce:

«Quelle que soit la part de marché des entreprises concernées, le présent règlement n’est pas applicable aux accords verticaux contenant certains types de restrictions ayant des effets anticoncurrentiels graves (restrictions caractérisées) qui restreignent en général sensiblement la concurrence, même en présence de parts de marché peu élevées, et qui ne sont pas indispensables pour produire les effets positifs susmentionnés. Tel est le cas notamment des accords verticaux contenant des restrictions telles que l’imposition d’un prix de vente minimal ou d’un prix de vente fixe, ainsi que, sous réserve de certaines exceptions, des restrictions relatives au territoire sur lequel, ou à la clientèle à laquelle, un distributeur ou un réparateur peut vendre les biens ou les services contractuels. De tels accords ne doivent pas bénéficier de l’exemption.»

7. L’article 4 dudit règlement précise cette notion: l’exemption ne s’applique pas aux accords verticaux qui ont pour objet les restrictions spécifiquement énumérées dans cet article (treize au total), ce que l’on appelle les «restrictions caractérisées».

8. L’article 10 de ce nouveau règlement contient la disposition transitoire suivante:

«L’interdiction énoncée à l’article 81, paragraphe 1, ne s’applique pas, pendant la période du 1 er octobre 2002 au 30 septembre 2003, aux accords déjà en vigueur au 30 septembre 2002 qui ne remplissent pas les conditions d’exemption prévues par le présent règlement, mais qui remplissent les conditions d’exemption prévues par le règlement (CE) n° 1475/95.»

9. Dans la brochure explicative concernant ce règlement, la Commission expose dans sa réponse à la vingtième question:

«[…] L’expiration du règlement n° 1475/95 au 30 septembre 2002, et son remplacement par un nouveau règlement, n’implique pas que le réseau doive de facto être réorganisé. Cependant, un constructeur automobile peut décider de réorganiser une partie substantielle de son réseau après l’entrée en vigueur du nouveau règlement. Pour respecter le règlement n° 1475/95 et, par conséquent, bénéficier de la période transitoire, le préavis de résiliation du contrat doit être de deux ans, sauf si une réorganisation est décidée ou s’il existe une obligation d’indemnisation.»

Ensuite, le quatrième alinéa de la réponse à la soixante‑huitième question de ladite brochure énonce:

«La nécessité de la réorganisation du réseau est une question objective et le fait que le fournisseur juge cette réorganisation nécessaire ne résout pas la question en cas de litige. Dans ce cas, il appartiendra au juge national ou à l’arbitre de trancher la question au vu des circonstances.»

II – Les faits, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

A – Les faits générateurs de la procédure au principal

10. En 1996, A. Brünsteiner GmbH (ci-après «Brünsteiner») et Autohaus Hilgert GmbH (ci-après «Hilgert») ont chacune conclu un contrat de distribution avec Bayerische Motorenwerke AG (ci-après «BMW»).

11. Selon l’article 11, paragraphe 3, dudit contrat, BMW peut résilier celui-ci par la notification d’un préavis de 24 mois. L’article 11, paragraphe 6, de ce même contrat traite de la résiliation au motif de la réorganisation du réseau de distribution. Cette disposition énonce:

«Si une restructuration de l’ensemble ou d’une partie essentielle du réseau de distribution de BMW est nécessaire, BMW a le droit de résilier le contrat en respectant un préavis de 12 mois.

Cette disposition sera également applicable en cas de modifications essentielles du cadre juridique sous-jacent au présent contrat».

12. En septembre 2002, BMW a résilié tous les contrats de distribution de son réseau européen avec effet au 30 septembre 2003. Le motif donné se référait à l’entrée en vigueur, au 1 er octobre 2002, du règlement n° 1400/2002 et aux modifications juridiques et structurelles introduites de ce fait dans le secteur de l’industrie automobile et obligeant BMW à réorganiser son réseau de distribution.

13. BMW a ensuite conclu avec la majorité de ses concessionnaires existants de nouveaux contrats entrant en vigueur le 1 er octobre 2003 et conformes aux prescriptions du règlement n° 1400/2002.

14. Les contrats avec Brünsteiner et Hilgert notamment n’ont toutefois pas été renouvelés. Ces deux concessionnaires ont alors attaqué la validité du préavis devant la juridiction nationale, en soutenant qu’il fallait respecter un préavis de deux ans. Par conséquent, ils ont demandé une décision à titre déclaratoire confirmant la poursuite de la relation de concessionnaire après le 30 septembre 2003, jusqu’au 30 septembre 2004 au plus tard.

15. La juridiction de recours, l’Oberlandesgericht München, a débouté les défenderesses. Cette juridiction a fondé sa décision sur le fait que les modifications entraînées par l’adoption du règlement n° 1400/2002 nécessitaient une réorganisation du réseau de distribution de BMW. En effet, une série de dispositions restrictives de concurrence, qui faisaient l’objet d’une exemption dans le règlement n° 1475/95, devaient être considérées comme des restrictions caractérisées au terme de l’article 4 du nouveau règlement, si bien que, en l’absence de résiliation au 30 septembre 2003, toutes les clauses restrictives de concurrence figurant dans les contrats de distribution de BMW auraient cessé d’avoir effet à compter du 1 er octobre 2003. Selon cette juridiction, on ne pouvait exiger de BMW – même jusqu’au 30 septembre 2004, date d’expiration du délai normal de préavis – qu’elle accepte soit une situation juridique régie par un contrat‑cadre, c’est-à-dire un contrat sans clauses restrictives de concurrence, soit une situation non régie par un contrat, puisque le contrat existant devait être considéré comme nul et non avenu.

16. Brünsteiner et Hilgert se sont pourvues en cassation devant le Bundesgerichtshof. Elles y ont maintenu leur demande de décision à titre déclaratoire.

17. Le Bundesgerichtshof (Kartellsenat) a estimé nécessaire de poser à la Cour deux questions préjudicielles. Il a en outre relevé que, en dépit d’une théorie restrictive fondée sur les brochures explicatives de la Commission, selon laquelle la nécessité d’une réorganisation ne peut pas être justifiée simplement par l’entrée en vigueur du règlement n° 1400/2002, mais uniquement par des circonstances économiques, on pouvait néanmoins affirmer que l’entrée en vigueur de la nouvelle exemption par catégorie avait des effets sur l’organisation interne des systèmes de distribution dans le secteur automobile de manière telle que non seulement des circonstances économiques, mais également des circonstances juridiques pouvaient inciter à réorganiser lesdits systèmes.

18. À cet égard, il est noté que le règlement n° 1400/2002 a rendu nécessaire l’introduction de certaines modifications dans les réseaux de distribution – nécessité qui était jusqu’alors inconnue dans ce secteur – étant donné que la combinaison, qui y est très répandue, de la distribution exclusive et sélective n’est plus exemptée. Les fabricants doivent donc opter pour l’un de ces systèmes. En outre, pour pouvoir continuer à bénéficier de l’exemption par catégorie, les services de vente et d’après-vente, jusqu’alors obligatoirement liés entre eux, doivent être séparés et l’exclusivité de marque disparaît également.

19. Si, avant l’expiration du délai transitoire, on ne réussit pas à adapter ou à mettre fin aux contrats existants et à en conclure de nouveaux, ces clauses restrictives de concurrence sont nulles. Cela pourrait aboutir à l’apparition d’une situation juridique duale au sein d’un même système de distribution, situation dans laquelle les distributeurs qui ne seraient pas prêts à consentir aux modifications disposeraient de davantage de liberté que les autres distributeurs du réseau. La juridiction de renvoi adhère au point de vue de la juridiction de recours: il ne s’agit pas là d’une situation souhaitable.

20. D’autre part, la juridiction de renvoi se voit confrontée au problème que la première question préjudicielle n’est en fait pas pertinente si, indépendamment de la question de la régularité de la résiliation et du moment de son entrée en vigueur, le contrat de distribution n’est, de toute façon, plus valide après l’expiration de la période transitoire. Par conséquent, la question suivante est soulevée:

– l’article 4 du nouveau règlement doit-il, dans ses effets, être entendu comme tellement contraignant que les contrats qui n’ont pas été résiliés dans les délais ou qui n’ont pas été adaptés deviennent par définition caducs après la période transitoire s’achevant le 1 er octobre 2003;

– ou est-il possible que les contrats qui n’ont pas été résiliés dans les délais conservent leur validité après l’entrée en vigueur du nouveau règlement jusqu’à expiration du délai de préavis de deux ans.

B – Questions préjudicielles

21. Le Bundesgerichtshof a posé les questions préjudicielles suivantes à la Cour:

«1) Faut-il interpréter l’article 5, paragraphe 3, première phrase, 1 er tiret, du règlement (CE) n° 1475/95 concernant l’application de l’article [81] paragraphe 3 du traité à des catégories d’accords de distribution et de service de vente et d’après-vente de véhicules automobiles en ce sens que la nécessité de restructurer le réseau de distribution, ou une partie substantielle de celui-ci, et le droit pour le fabricant de dénoncer pour ce motif, avec un préavis d’un an, les contrats passés avec ses concessionnaires, peuvent résulter aussi de ce que l’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1400/2002 de la Commission du 31 juillet 2002 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile a rendu nécessaires des modifications profondes du système de distribution jusqu’alors mis en œuvre par le fabricant et ses concessionnaires, système fondé sur le règlement (CE) n° 1475/95 et autorisé par ce règlement?

2) En cas de réponse négative à la première question:

Faut-il interpréter l’article 4 du règlement (CE) n° 1400/2000 en ce sens que les restrictions de concurrence incluses dans un contrat de concession qui sont, en vertu de ce règlement, des restrictions caractérisées (‘clauses noires’), à titre exceptionnel, n’ont pas entraîné, à l’échéance de la période transitoire d’un an visée à l’article 10 du même règlement (30 septembre 2003), la caducité, pour toutes les clauses contractuelles restrictives de concurrence, de l’exemption de l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE, si ce contrat a été conclu pendant la validité du règlement (CE) n° 1475/95, en conformité aux exigences de ce règlement et exempté par lui?

Cela est-il le cas en tout état de cause lorsque la nullité en vertu du droit communautaire de toutes les clauses contractuelles qui restreignent la concurrence a pour conséquence, en droit national, la nullité du contrat de concession dans sa totalité?»

C – Procédure devant la Cour

22. Tant Brünsteiner, Hilgert et BMW que la Commission des Communautés européennes ont déposé des observations écrites. Lors de l’audience du 7 septembre 2006, ces parties ont pu expliquer leur point de vue.

III – Appréciation

La première question préjudicielle

23. La première question préjudicielle n’appelle que des commentaires succincts de notre part. Cette question est analogue à la onzième question soulevée dans l’affaire Vulcan Silkeborg, dans laquelle nous avons déposé des conclusions le 27 avril 2006 et sur laquelle la Cour s’est récemment prononcée (4) .

24. Pour la réponse à cette première question, nous nous référons donc aux points 53 à 66 de cet arrêt.

25. Pour résumer, il y est déclaré:

– la nouvelle exemption par catégorie a introduit des modifications substantielles par rapport au régime institué par le règlement précédent, et a notamment prévu des règles plus strictes;

– les fournisseurs ne sont nullement obligés, mais ont la possibilité d’insérer dans les accords de distribution des clauses restrictives de concurrence;

– l’entrée en vigueur de la nouvelle exemption par catégorie ne rend, par elle‑même, nullement nécessaire la réorganisation du réseau de distribution d’un fournisseur;

– toutefois, compte tenu des modifications substantielles introduites par le nouveau régime d’exemption, certains fournisseurs ont pu être amenés à adapter leurs accords de distribution, afin de s’assurer que ceux-ci continuent de relever de l’exemption par catégorie prévue par ce règlement. En particulier, tel peut être le cas pour les clauses exemptées en vertu du règlement n° 1475/95, mais qualifiées à présent de restrictions «caractérisées» au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1400/2002;

– c’est précisément en raison de ces modifications substantielles que l’article 10 du règlement n° 1400/2002 prévoit une période transitoire;

– ainsi, le fabricant peut adapter les contrats, mais, dans certaines situations, il s’agira plutôt de modifications globales consistant en une véritable réorganisation au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement n° 1475/95. Une telle réorganisation pouvait, notamment, s’avérer nécessaire si, en vue de continuer à bénéficier de l’exemption par catégorie, un fournisseur, combinant la distribution exclusive et la distribution sélective, choisissait de ne conserver qu’un système de distribution exclusive ou sélective en vue de continuer à bénéficier de l’exemption par catégorie.

26. La Cour conclut son raisonnement par ce dispositif:

«[…] l’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1400/2002 […] ne rendait pas, par elle-même, nécessaire la réorganisation du réseau de distribution d’un fournisseur au sens de l’article 5, paragraphe 3, premier alinéa, premier tiret, du règlement n° 1475/95. Toutefois, cette entrée en vigueur a pu, en fonction de l’organisation spécifique du réseau de distribution de chaque fournisseur, rendre nécessaires des changements d’une importance telle qu’ils constituent une véritable réorganisation dudit réseau au sens de cette disposition. Il appartient aux juridictions nationales et aux instances arbitrales d’apprécier si tel est le cas en fonction de l’ensemble des éléments concrets du litige dont elles sont saisies.»

27. Du dispositif de la Cour, il nous semble qu’il ressort que la juridiction nationale peut examiner si les conséquences économiques de l’entrée en vigueur du nouveau règlement sont de nature à imputer la nécessité de la réorganisation du réseau de distribution à cette entrée en vigueur. En outre, le critère figurant à l’article 5, paragraphe 3, du règlement n° 1475/95 relativement à la dissolution du contrat grâce à la notification d’un préavis abrégé reste entièrement valide. Cela signifie que la nécessité de réorganiser l’ensemble ou une partie substantielle du réseau doit être plausible. On peut également se poser la question de savoir si une réorganisation aboutissant au renouvellement des contrats de distribution avec environ 90 % des concessionnaires existants peut bien être qualifiée de réorganisation de l’ensemble ou d’une partie substantielle du réseau de distribution. Il appartient à la juridiction nationale d’examiner si les conditions de fait de l’application de la disposition précitée sont réunies.

La deuxième question préjudicielle

28. La deuxième question revient en substance à déterminer les effets d’un contrat existant qui n’a pas été adapté ou auquel il n’a pas été mis fin dans les délais, lorsque celui-ci contient des restrictions de concurrence caractérisées, telles que visées à l’article 4 du règlement n° 1400/2002, d’autant plus que cette situation entraîne probablement, au titre du droit national, la nullité de l’ensemble du contrat de distribution.

29. Toutes les parties à la procédure sont d’accord pour affirmer qu’un contrat qui contient des «restrictions de l’article 4» ne peut plus bénéficier de l’exemption par catégorie après la période transitoire. Brünsteiner et Hilgert sont d’avis que la caducité de ces restrictions de l’article 4 ne conduit pas automatiquement à la nullité de l’ensemble du contrat. Un contrat de distribution peut survivre sans les clauses restrictives de concurrence. Selon ces parties, un contrat conclu selon le droit national ne pourrait être qualifié de caduc dans son ensemble, en vertu d’une interprétation conforme au droit communautaire, que si le fournisseur avait essayé d’adapter ledit contrat à la nouvelle situation juridique, ce que l’autre partie aurait refusé sans motif valable.

30. Nous partageons l’opinion selon laquelle un contrat, relevant de l’ancienne exemption par catégorie du règlement n° 1475/95, mais dans lequel, après l’expiration de la période transitoire prévue à l’article 10 du règlement n° 1400/2002, figurent encore des dispositions qualifiées de restrictions caractérisées au sens de l’article 4 de la nouvelle exemption par catégorie, ne peut pas bénéficier dans son ensemble de ladite exemption.

31. À cet égard, le libellé de l’article 4 est clair. À l’inverse, par exemple, de l’article 5 du règlement n° 1400/2002, qui énonce que l’exemption «ne s’applique à aucune des obligations suivantes contenues dans des accords verticaux», l’article 4 stipule que «[l]’exemption ne s’applique pas aux accords verticaux qui […]».

32. Le libellé de l’article 10 du règlement n° 1400/2002 est également sans équivoque. La période de transition est d’un an. Jusqu’à l’expiration de cette période, c’est-à-dire jusqu’au 30 septembre 2003, les contrats déjà existants qui répondent aux conditions d’exemption du règlement n° 1475/95, y compris les restrictions qui y figurent et qui sont actuellement qualifiées de restrictions caractérisées, peuvent bénéficier de l’exonération de l’interdiction de l’article 81, paragraphe 1, CE. Ils ne le peuvent plus ensuite.

33. Jusqu’à l’expiration de cette période, les opérateurs économiques ont, pour ainsi dire, la possibilité d’adapter leurs contrats et/ou d’introduire des réorganisations aux fins de pouvoir bénéficier de la nouvelle exemption.

34. Comme la réponse à la première question l’a déjà montré, il appartient à la juridiction nationale de statuer sur la question de savoir s’il y a réorganisation de l’ensemble ou d’une partie substantielle du réseau de distribution, et par conséquent application du délai de préavis d’un an. S’il apparaît que les conditions d’application du délai abrégé visé au règlement n° 1475/95 ne sont pas réunies et qu’il faut donc appliquer un préavis de deux ans, il appartient à la juridiction nationale de se prononcer sur les effets de cette situation sur le contrat de distribution qui continue d’exister.

35. En aucun cas, les dispositions du règlement n° 1400/2002 ne peuvent être interprétées en ce sens que, outre le préavis d’un an, on pourrait bénéficier de l’exemption pendant une année supplémentaire à titre d’exception.

36. Le contrat en cause en l’espèce ne pourra donc pas bénéficier de l’exemption par catégorie et les clauses restrictives de concurrence qu’il contient devront être examinées à la lumière de l’article 81 CE.

37. À titre superfétatoire, nous notons que le règlement (CE) n° 1/2003 (5) est en vigueur. Cela implique que, au cas où un contrat ne peut pas bénéficier d’une exemption par catégorie, le juge est compétent pour apprécier si, dans un cas concret, les conditions de l’article 81, paragraphe 3, CE sont remplies. Une exemption par catégorie offre sans doute un «havre de paix» aux opérateurs économiques, mais cela ne signifie pas que, en cas de non‑respect des conditions d’une exemption de groupe, le contrat ne pourra jamais remplir les conditions de l’article 81, paragraphe 3, CE. Il ne sera sans doute pas évident que la juridiction nationale, compte tenu de la raison sous-jacente de l’exclusion explicite des contrats contenant certaines clauses de l’exemption par catégorie, aboutisse à une autre conclusion, même s’il ne s’agit que d’une année. Cela implique que ces clauses sont nulles en vertu de l’article 81, paragraphe 2, CE. Il est possible que cette appréciation, faite au titre de l’article 81, paragraphe 3, CE, soit différente à propos des clauses restrictives de concurrence qui ne sont pas exclues expressément de l’exemption par catégorie. Aucune des parties concernées en l’espèce n’a d’ailleurs demandé à la juridiction nationale d’apprécier cet élément. BMW ne l’a pas fait, car elle a saisi l’occasion de la nouvelle exemption par catégorie pour mettre en place une réorganisation de son réseau. Les deux requérantes ne l’ont pas fait non plus, parce qu’elles exigent la continuation de la relation contractuelle, au besoin sans aucune clause restrictive de concurrence. Il ne semble pas y avoir de différence de point de vue relativement à la prise en compte d’une exemption individuelle.

38. Il serait possible que Brünstein et Hilgert soient les dupes d’une situation comme celle du litige au principal, si c’est à tort que l’on a eu recours à la résiliation avec préavis abrégé.

39. En effet, BMW a certainement le droit de (ré)organiser son réseau de distribution et de déterminer comment et avec qui elle souhaite conclure des contrats de distribution, mais la résiliation préalable des contrats existants doit se faire selon les dispositions de l’article 5, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1475/95 (6) .

40. S’il faut admettre, dans l’hypothèse où les contrats ont été résiliés tardivement (parce qu’il n’est pas question de réorganisation), que les dispositions desdits contrats qui sont contraires à l’article 4 du règlement n° 1400/2002 sont nulles et que, par conséquent, les contrats sont aussi nuls et non avenus pour ce motif en vertu du droit national, deux solutions sont en principe possibles pour adoucir les affres des distributeurs dupés. Soit BMW décide de conclure un nouveau contrat répondant aux exigences du nouveau règlement, soit les distributeurs, en l’espèce Brünsteiner et Hilgert, sont indemnisés pour une résiliation dont le préavis est trop court. Il appartient également à la juridiction nationale d’apprécier cette question selon le droit national.

41. À ce propos, nous remarquons également que la position soutenue par BMW dans ses observations écrites et lors de l’audience, selon laquelle la Commission ne serait pas compétente pour insérer dans ses exemptions par catégorie une disposition relative aux délais de préavis à respecter, ne peut être accueillie, étant donné que ce point de vue conteste la validité d’une disposition des règlements organisant les exemptions. Comme le juge de renvoi ne demande que l’interprétation de ces dispositions, les parties n’ont pas le pouvoir d’attaquer la validité des dispositions en cause dans le cadre d’une procédure préjudicielle (7) .

IV – Conclusion

42. Compte tenu des considérations qui précèdent, j’invite respectueusement la Cour à répondre comme suit aux questions du Bundesgerichtshof:

«1) L’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1400/2002 de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, n’est pas, en tant que telle, de nature à nécessiter la réorganisation du réseau de distribution d’un fournisseur au sens de l’article 5, paragraphe 3, premier alinéa, premier tiret, du règlement (CE) n° 1475/95 de la Commission, du 28 juin 1995, concernant l’application de l’article [81] paragraphe 3 du traité à des catégories d’accords de distribution et de service de vente et d’après-vente de véhicules automobiles. Il est toutefois possible que cette entrée en vigueur, compte tenu de l’organisation particulière du réseau de distribution de chaque fournisseur, ait nécessité des modifications tellement substantielles que celles-ci puissent être qualifiées de véritable réorganisation de ce réseau au sens de ladite disposition. Il appartient aux instances judiciaires nationales d’apprécier si tel est bien le cas, compte tenu des éléments concrets du litige qui leur est soumis.

2) Les dispositions figurant dans des contrats non résiliés dans les délais et qui sont contraires au règlement n° 1400/2002 deviennent en tout cas caduques après la période transitoire et sont nulles et non avenues. Le point de savoir si cette caducité entraîne la nullité de l’ensemble du contrat de distribution est une question de droit national. On ne peut en aucun cas admettre qu’un contrat résilié tardivement au titre de l’article 5, paragraphe 3, du règlement n° 1475/95 voie sa validité prolongée après l’expiration de cette période transitoire.»

(1) .

(2)  – Règlement de la Commission, du 28 juin 1995, concernant l’application de l’article [81] paragraphe 3 du traité à des catégories d’accords de distribution et de service de vente et d’après-vente de véhicules automobiles (JO L 145, p. 25).

(3)  – Règlement de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile (JO L 203, p. 30).

(4)  – Arrêt du 7 septembre 2006 (C-125/05, non encore publié au Recueil).

(5)  – Règlement du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1).

(6)  – Si BMW décide d’effectuer une réorganisation plus tard, en tenant compte bien évidemment de l’article 3, paragraphe 5, du règlement n° 1400/2002.

(7)  – Voir arrêt du 9 décembre 1965, Singer (44/65, Rec. p. 1191). Voir, par exemple, arrêts du 6 juillet 2000, ATB e.a. (C-402/98, Rec. p. I-5501), et du 12 février 2004, Slob (C-236/02, Rec. p. I-1861).

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