Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62005CC0213

    Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 28 septembre 2006.
    Wendy Geven contre Land Nordrhein-Westfalen.
    Demande de décision préjudicielle: Bundessozialgericht - Allemagne.
    Travailleur frontalier - Règlement (CEE) nº 1612/68 - Allocation d'éducation - Octroi refusé - Avantage social - Condition de résidence.
    Affaire C-213/05.

    Recueil de jurisprudence 2007 I-06347

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2006:616

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. L.A. Geelhoed

    présentées le 28 septembre 2006 (1)

    Affaire C-213/05

    Wendy Geven

    contre

    Land Nordrhein-Westfalen, représenté légalement par Bezirksregierung Münster

    [demande de décision préjudicielle introduite par le Bundessozialgericht (Allemagne)]

    «Interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté – Avantage social –Législation nationale en vertu de laquelle l’octroi d’une allocation d’éducation (‘Erziehungsgeld’) à des personnes qui n’ont pas leur domicile ou résidence habituelle sur le territoire national est subordonné au dépassement du seuil d’activité mineure (‘Geringfügigkeitsgrenze’) de 15 heures par semaine»





    I –    Introduction

    1.        En vertu de la loi fédérale sur les allocations d’éducation (Bundeserziehungsgeldgesetz, ci-après le «BErzGG»), l’octroi d’une allocation d’éducation est notamment subordonné à la condition que le bénéficiaire ait sa résidence en Allemagne. Les travailleurs frontaliers peuvent néanmoins également bénéficier de cette prestation sociale, à condition d’exercer en Allemagne une activité qui soit plus que mineure. La question principale que soulève la présente affaire, déférée par le Bundessozialgericht, est celle de savoir si cette exigence imposant une activité qui soit plus que mineure, telle que la définit plus précisément le droit national, est compatible avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 (2), qui garantit l’égalité de traitement des travailleurs migrants et des travailleurs nationaux en ce qui concerne les avantages sociaux dans l’État membre d’emploi (3).

    2.        Parallèlement à cette affaire, le Bundessozialgericht a également déféré à la Cour des questions relatives à cette même condition de résidence à propos de l’épouse autrichienne d’un fonctionnaire allemand qui, après avoir transféré sa résidence en Autriche, a poursuivi sa relation d’emploi en Allemagne: affaire Hartmann (C‑212/05). En tant que la discussion dans les conclusions que nous avons consacrées à cette affaire (4) porte sur les problèmes soulevés par la présente affaire, nous nous bornerons à faire référence aux passages pertinents de ces conclusions pour éviter d’inutiles répétitions.

    II – Dispositions applicables

    A –    Droit communautaire

    3.        L’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1612/68 prévoit les dispositions suivantes:

    «1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé en chômage.

    2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.»

    B –    Droit national

    4.        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du BErzGG, dans sa version du 31 janvier 1994 (5), toute personne 1) ayant sa résidence permanente ou habituelle en Allemagne, 2) ayant dans son ménage un enfant à charge, 3) dont elle assure la garde et l’éducation, et 4) qui n’exerce pas d’activité ou d’activité professionnelle à temps plein, a droit à l’allocation d’éducation.

    5.        L’article 1er, paragraphe 4, du BErzGG prévoit que les ressortissants communautaires et les travailleurs frontaliers des pays directement voisins de l’Allemagne peuvent prétendre à cette allocation à condition d’exercer en Allemagne une activité qui soit plus que mineure.

    6.        En vertu de l’article 8, paragraphe 1, point 1, du livre IV du code social (Sozialgesetzbuch, ci-après le «SGB»), dans la version du 13 juin 1994 (6) en vigueur à l’époque, une activité est considérée comme mineure lorsqu’elle est normalement exercée pour une durée inférieure à 15 heures par semaine et lorsque le salaire mensuel normalement perçu ne dépasse pas un septième de la valeur de référence mensuelle au sens de l’article 18 du SGB IV. Ce montant était de 610 DEM en 1997 et de 620 DEM en 1998.

    7.        Conformément à l’article 27, paragraphe 2, du livre III du SGB, les personnes exerçant une activité professionnelle mineure ne sont pas obligatoirement assurées contre le chômage.

    III – Faits et procédure

    8.        Mme Wendy Geven est de nationalité néerlandaise. À la naissance de son fils, le 18 décembre 1997, elle vivait aux Pays-Bas avec son mari allemand, qui travaillait lui-même dans ce pays. Jusqu’au début de la période de protection légale de la maternité, avant la naissance de son fils, la requérante exerçait différentes activités salariées aux Pays-Bas et en Allemagne. Après la période de protection légale de la maternité, elle n’a plus travaillé qu’en Allemagne. Son temps de travail hebdomadaire a oscillé entre 3 et 14 heures et son salaire hebdomadaire entre 40 et 168,87 DEM.

    9.        Le Land Nordrhein-Westfalen a rejeté la demande de la requérante tendant à obtenir une allocation d’éducation pour la première année de vie de son fils, aux motifs qu’elle n’avait ni son domicile ni son lieu de résidence habituel en Allemagne, et qu’elle n’y occupait pas un emploi d’au moins 15 heures. En tant que personne exerçant une activité mineure, elle n’était pas non plus un travailleur salarié au sens du règlement (CEE) n° 1408/71 (7).

    10.      Mme Geven a été déboutée des recours qu’elle a engagés contre cette décision, d’abord devant le Sozialgericht Münster (tribunal social, Münster), puis, sur appel, devant le Landessozialgericht Nordrhein-Westfalen (tribunal social supérieur du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Elle a ensuite formé un pourvoi devant le Bundessozialgericht, qui a décidé de suspendre la procédure et de saisir la Cour d’une question préjudicielle en vertu de l’article 234 CE.

    11.      Dans sa décision de renvoi, le Bundessozialgericht a établi, premièrement, que Mme Geven ne pouvait prétendre à l’allocation d’éducation en vertu du règlement n° 1408/71. En tant que personne exerçant une activité mineure, elle n’était pas obligatoirement assurée contre le risque de chômage et ne remplissait donc pas les conditions auxquelles l’article 1er, sous a), ii), du règlement n° 1408/71, en combinaison avec l’annexe I, point I. C (8), dudit règlement, subordonne la qualité de «travailleur salarié». La juridiction nationale a ensuite examiné si Mme Geven pouvait fonder sa demande sur l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68. S’agissant du statut de travailleur salarié de Mme Geven, elle a constaté que celle-ci avait une véritable relation d’emploi à l’époque des faits, car son activité s’inscrivait dans la durée. Elle se demande toutefois si, en sa qualité de travailleur frontalier, poursuivant son activité professionnelle en Allemagne à partir de son domicile néerlandais, Mme Geven peut invoquer sans restrictions l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 à propos de l’allocation d’éducation allemande. Supposant que Mme Geven pourrait effectivement invoquer la protection de cette disposition, elle exprime ensuite ses doutes quant au point de savoir si l’inégalité de traitement subie par des travailleurs frontaliers du fait de l’exigence leur imposant d’exercer une activité qui soit plus que mineure pourrait être objectivement justifiée. À la lumière de ces considérations, le Bundessozialgericht a décidé de poser la question suivante à la Cour:

    «Le droit communautaire [et, notamment, l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté] interdit-il à la République fédérale d’Allemagne d’exclure une ressortissante d’un autre État membre, résidant dans cet État et exerçant en Allemagne une activité professionnelle mineure (entre 3 et 14 heures par semaine), du bénéfice de l’allocation d’éducation allemande, au motif qu’elle n’aurait en Allemagne ni son domicile ni sa résidence habituelle?»

    12.      Mme Geven, les gouvernements allemand et du Royaume-Uni, ainsi que la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations écrites.

    IV – Résumé des observations

    13.      On notera en premier lieu que toutes les parties ayant présenté des observations écrites admettent la constatation du Bundessozialgericht selon laquelle Mme Geven ne peut s’appuyer sur le règlement n° 1408/71 pour demander le bénéfice de l’allocation d’éducation en Allemagne. L’annexe I, point I. C de ce règlement et le fait que les personnes exerçant une activité mineure ne sont pas assurées contre le risque de chômage ont pour effet combiné que Mme Geven ne relève pas du champ d’application personnel du règlement n° 1408/71.

    14.      Aussi Mme Geven invoque-t-elle l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 et l’article 39 CE pour soutenir qu’elle a droit à l’égalité de traitement en ce qui concerne l’octroi d’un avantage social tel que l’allocation d’éducation. Faisant valoir que le travail qu’elle accomplit dans le cadre de sa relation d’emploi ne peut être considéré comme marginal ou accessoire, elle affirme qu’il y a lieu de la considérer comme un travailleur au sens du droit communautaire. La condition de résidence prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, du BErzGG discrimine indirectement les travailleurs frontaliers. En outre, alors que les personnes exerçant une activité mineure en Allemagne bénéficient de la prestation, les travailleurs frontaliers doivent pour leur part démontrer que leurs activités dépassent le seuil d’un emploi mineur. Exiger des bénéficiaires qu’ils aient un lien étroit avec le marché allemand de l’emploi contredit, fait-elle valoir, la finalité en vue de laquelle l’allocation d’éducation est octroyée, à savoir permettre l’abandon d’une activité professionnelle pendant un certain temps.

    15.      Le gouvernement allemand estime qu’il n’est pas tenu, en vertu des dispositions combinées de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 et de l’article 39 CE, d’octroyer l’allocation d’éducation à des personnes n’exerçant qu’une activité mineure en Allemagne et qui sont domiciliées dans un autre État membre. Il souligne que, lorsque le règlement n° 1408/71 réglemente de manière exhaustive les cas dans lesquels l’allocation d’éducation peut être exportée et qu’il ne prévoit pas l’exportation pour des personnes exerçant une activité mineure, l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 ne doit pas être interprété de manière à nier ce résultat. Il se réfère à cet égard à l’article 42, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 (9).

    16.      Le gouvernement allemand a des doutes quant à l’application du règlement n° 1612/68 à Mme Geven, compte tenu du caractère accessoire et marginal de ses activités professionnelles. En l’absence de définition concrète de ce qui constitue une activité purement marginale et accessoire, il soutient que les éléments fournis à cet égard par la juridiction de renvoi ne sauraient être considérés comme concluants. Tout en admettant que la condition de résidence prévue par le BErzGG peut constituer une discrimination indirecte, il l’estime toutefois justifiée par la nécessité d’assurer un lien effectif entre le bénéficiaire et la société allemande. À la différence des prestations liées aux activités professionnelles, celles liées à la résidence sont, dit-il, fondées sur la notion de communauté solidaire. Si un travailleur frontalier dans la situation de Mme Geven recevait accès à l’allocation d’éducation en Allemagne, conclut-il, il pourrait – contrairement aux dispositions du règlement n° 1408/71 – bénéficier injustement, dans les deux pays, des avantages sociaux fondés sur la résidence et les combiner.

    17.      Le gouvernement du Royaume-Uni estime que la Cour devrait faire preuve de prudence en autorisant l’utilisation du règlement n° 1612/68 pour passer outre au règlement n° 1408/71, en vue de permettre l’exportation, au profit d’un travailleur frontalier établi dans un autre État membre, d’un avantage social conçu pour bénéficier de la même façon aux travailleurs nationaux et migrants qui vivent sur le territoire de l’État membre d’accueil. Si Mme Geven entend s’appuyer sur l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68, c’est précisément parce que le législateur communautaire a exclu de façon expresse que les personnes dans sa situation puissent bénéficier de cette prestation au titre du règlement n° 1408/71.

    18.      Le gouvernement du Royaume-Uni observe que l’article 7 du règlement n° 1612/68 n’envisage normalement pas l’exportation d’avantages sociaux. Il est au contraire destiné à aider un travailleur migrant et sa famille à s’installer dans le pays d’emploi du travailleur. Il estime évident que l’allocation d’éducation n’a aucun lien avec l’activité exercée par Mme Geven en tant que travailleur et qu’elle n’est pas fondée sur la relation d’emploi en tant que telle. L’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 a selon lui pour finalité première de permettre aux travailleurs nationaux et aux travailleurs migrants d’accéder aux mêmes avantages sociaux à l’intérieur du territoire de l’État membre d’accueil, et non de contraindre les États membres à justifier objectivement la non-fourniture de ces avantages sociaux aux personnes résidant sur le territoire d’autres États membres. Il s’accorde à dire avec la juridiction de renvoi que l’absence de règles de coordination dans le règlement n° 1612/68 pourrait fort bien plaider en faveur d’une application limitée de l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement à propos de l’exportation d’avantages sociaux, particulièrement dans le cas de travailleurs frontaliers qui, en règle générale, ont également accès aux avantages sociaux équivalents dans leur État membre de résidence.

    19.      La Commission estime que, si une personne ne relève pas du champ d’application personnel du règlement n° 1408/71, cela ne signifie pas que le règlement n° 1612/68 soit inapplicable. Elle estime que l’on ne saurait déduire de l’article 42, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 que ce dernier ne s’applique pas aux prestations couvertes par le règlement n° 1408/71. Elle souligne que la notion de travailleur revêt une portée communautaire et que, si une personne remplit les critères fixés dans la jurisprudence de la Cour [c’est-à-dire 1) accomplissement de prestations en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle-ci; 2) pendant un certain temps; 3) en contrepartie d’une rémunération] (10), la seule circonstance de nature à la priver de ce statut est que les activités en cause sont purement marginales ou accessoires. Le gouvernement allemand n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles une activité mineure devrait être considérée comme marginale et accessoire.

    20.      La Commission rappelle que la Cour a déjà jugé que les États membres ne sauraient subordonner l’octroi d’un avantage social au sens de l’article 7, paragraphe 2, à la condition que les bénéficiaires de l’avantage aient leur résidence sur le territoire national de cet État (11). Elle estime que les avantages sociaux englobent non seulement ceux qui se rattachent à un contrat de travail, mais aussi tous les avantages que les États membres accordent à leurs citoyens soit en raison de leur qualité objective de travailleur, soit du fait qu’ils résident dans leur territoire. Les travailleurs frontaliers peuvent invoquer l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 au même titre que les travailleurs migrants qui ont déménagé dans l’État membre où ils sont employés.

    V –    Appréciation

    A –    Remarques liminaires

    21.      On notera en premier lieu que, pour les raisons indiquées par le Bundessozialgericht et qu’admettent toutes les parties ayant présenté des observations écrites (12), Mme Geven ne peut s’appuyer sur le règlement n° 1408/71 pour avoir accès à l’allocation d’éducation en Allemagne. Il n’est pas contesté qu’elle ne relève pas du champ d’application personnel de ce règlement en ce qui concerne le droit aux prestations familiales dans cet État membre. Il n’y a donc aucune raison d’examiner cette affaire du point de vue de l’applicabilité potentielle du règlement n° 1408/71.

    22.      Il convient ensuite d’observer que Mme Geven doit être considérée comme un travailleur aux fins de l’application de l’article 39 CE et du règlement n° 1612/68. Il est généralement admis que, pour relever de la définition d’un travailleur, une personne doit exercer des activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La caractéristique de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération (13). En appliquant ces critères, le Bundessozialgericht a établi que Mme Geven avait effectivement une véritable relation d’emploi à la date des faits et que cela résultait en particulier de ce que son travail s’inscrivait dans la durée.

    23.      Notons que cette circonstance distingue sur un aspect essentiel la situation de Mme Geven de celle de Mme Hartmann (14). À la différence de Mme Hartmann, qui déduit indirectement son droit à l’allocation d’éducation de son statut d’épouse d’un travailleur frontalier, Mme Geven fonde directement sa demande sur son statut personnel de travailleur communautaire.

    24.      Le Land Nordrhein-Westfalen a refusé la demande d’allocation d’éducation de Mme Geven aux motifs que celle-ci ne résidait pas en Allemagne et qu’elle n’y exerçait pas non plus d’emploi autre que mineur. Bien que la question déférée par le Bundessozialgericht soit rédigée de manière à mettre l’accent sur le point de savoir s’il est interdit à la République fédérale d’Allemagne d’appliquer la condition de résidence à des personnes exerçant en Allemagne une activité mineure, il ressort des considérations exposées par la juridiction nationale dans sa décision de renvoi que celle-ci nourrit également des doutes quant à la possibilité de justifier le critère même de l’activité mineure. En effet, puisque les travailleurs frontaliers sont par définition hors d’état de se conformer à la condition de résidence dans l’État membre d’emploi, la question essentielle est celle de savoir si le critère appliqué par le législateur national pour lever cette exigence en faveur de certains travailleurs frontaliers à l’exclusion d’autres est compatible avec le droit communautaire.

    25.      Outre la réponse à la question de la compatibilité avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 de la condition de résidence prévue à l’article 1er, paragraphe 1, du BErzGG, il y a donc également lieu d’examiner s’il est ou non compatible avec le droit communautaire que l’article 1er, paragraphe 4, du BErzGG subordonne le versement aux travailleurs frontaliers de l’allocation d’éducation allemande à la condition que ceux-ci exercent en Allemagne une activité qui soit plus que mineure, c’est-à-dire, en vertu du droit national, qu’ils travaillent plus de 15 heures par semaine et gagnent davantage qu’une rémunération minimale de 610 DEM (1997) ou de 620 DEM (1998).

    B –    La condition de résidence

    26.      Dans nos conclusions dans l’affaire Hartmann, présentées conjointement avec les présentes conclusions, c’est dans le contexte de la demande d’allocation d’éducation présentée par l’épouse autrichienne d’un ressortissant allemand qui était parti vivre en Autriche mais continuait à travailler en Allemagne que nous avons examiné la question de la compatibilité avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 de la condition de résidence prévue à l’article 1er, paragraphe 1, du BErzGG. Nous n’avons examiné cette question qu’à titre subsidiaire, après avoir constaté:

    –      que les travailleurs frontaliers ne peuvent prétendre, au titre de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68, à l’égalité de traitement dans l’État membre d’emploi en ce qui concerne le droit aux avantages sociaux dans cet État membre, que dans la seule mesure où lesdits avantages sont directement et exclusivement liés à l’emploi (15)

    et

    –      que l’allocation d’éducation en Allemagne n’est pas assez liée à l’emploi, ou au statut objectif de travailleur, pour pouvoir être considérée comme un avantage social au sujet duquel les travailleurs frontaliers peuvent prétendre à l’égalité de traitement au titre de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 (16).

    27.      Au vu de ces deux constatations opérées dans nos conclusions dans l’affaire Hartmann, il apparaîtrait que Mme Geven ne peut invoquer l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 pour prétendre à l’allocation d’éducation en Allemagne, puisque cet avantage social n’entre pas dans le champ de protection de cette disposition dans la mesure où les personnes concernées sont des travailleurs frontaliers.

    28.      Supposant toutefois que la portée matérielle de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 pourrait être jugée plus large et que cette disposition s’applique aux travailleurs frontaliers dans la situation de M. Hartmann et de Mme Geven, nous avons également examiné, dans nos conclusions dans l’affaire Hartmann, si la condition de résidence qui régit le droit à l’allocation d’éducation en Allemagne pouvait être objectivement justifiée, compte tenu du fait qu’il n’est pas contesté que cette exigence discrimine indirectement les travailleurs qui ne résident pas en Allemagne.

    29.      Suivant la caractérisation que donne le Bundessozialgericht de l’allocation d’éducation, qui la présente comme un instrument de politique familiale destiné à stimuler la natalité en Allemagne, nous estimons qu’il s’agit là d’un objectif politique légitime et que, de par sa nature même, une telle politique doit garantir que les mesures qu’elle comporte visent les personnes qui résident sur le territoire national. Il serait absurde de prétendre que les États membres devraient, de quelque manière que ce soit, contribuer à la croissance démographique dans d’autres États membres en étendant leurs instruments de politique familiale à des personnes qui ne résident pas sur leur territoire. Aussi avons-nous conclu qu’une condition de résidence est propre à garantir que l’allocation d’éducation soit versée aux personnes qui appartiennent à la population nationale de l’État membre, laquelle, bien entendu, ne se limite pas aux ressortissants allemands, mais inclut toutes les personnes résidant légalement en Allemagne, indépendamment de leur nationalité (17).

    30.      Ajoutons que, bien que la Cour ait jugé que l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 peut être applicable à des avantages sociaux qui relèvent en même temps du domaine d’application spécifique du règlement n° 1408/71 (18), cela ne signifie pas que cette première disposition puisse s’interpréter de manière à autoriser des résultats que le second règlement cherche à éviter. C’est précisément l’objectif que paraît revêtir l’article 42, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68, en vertu duquel ce règlement ne porte pas atteinte aux dispositions prises conformément à l’article 42 CE, c’est-à-dire au règlement n° 1408/71. Cette disposition établit donc une hiérarchie relative entre les deux règlements, de telle sorte que le règlement n° 1408/71, qui est le plus spécifique des deux, doit l’emporter sur l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 dans les cas où l’application des deux règlements conduit à des résultats contradictoires.

    31.      L’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 n’interdit donc pas à la République fédérale d’Allemagne de subordonner le droit à l’allocation d’éducation à la condition que le bénéficiaire ait sa résidence permanente ou habituelle dans cet État membre. Le refus d’octroyer l’allocation d’éducation à Mme Geven pour ce motif était donc justifié.

    32.      Le législateur allemand a néanmoins permis aux travailleurs frontaliers de bénéficier de l’allocation d’éducation, même s’ils ne résident pas en Allemagne, à la condition qu’ils y exercent une activité qui soit plus que mineure, selon la définition qu’en donne le droit national. Comme la règle de l’emploi mineur exclut les travailleurs frontaliers qui n’exercent pas d’activité au-delà de ce seuil, il convient ensuite d’examiner – et cette question est spécifique à la présente affaire – si cette condition est compatible avec le droit communautaire.

    C –    La règle de l’emploi mineur

    33.      Comme l’a relevé le gouvernement allemand dans ses observations écrites, si l’exclusion totale des non-résidents du droit à l’allocation d’éducation eût elle-même été justifiée en vertu du droit communautaire, l’extension, sous certaines conditions, d’un tel droit aux travailleurs frontaliers relève du bon vouloir du législateur allemand. Il en déduit que celui-ci était donc habilité à imposer une condition tenant au degré de l’activité professionnelle en Allemagne pour garantir un lien avec le marché national de l’emploi.

    34.      On peut s’interroger sur le bien-fondé de cette déduction. Chaque fois qu’un État membre accorde certains droits ou permet à ses citoyens d’obtenir certaines prestations relevant du champ d’application matériel du traité CE, il est tenu de respecter l’interdiction des discriminations en raison de la nationalité, telle que la prévoit l’article 12 CE et que l’exprime l’article 39 CE à propos des travailleurs.

    35.      Dans ce contexte, nous voyons un parallèle avec l’arrêt Trojani (19). Dans cette affaire, la Cour a jugé que, s’il apparaît qu’un citoyen communautaire qui, faute de ressources suffisantes, ne peut se prévaloir des dispositions communautaires pour bénéficier d’un droit de séjour, réside néanmoins légalement dans cet État membre en vertu du droit national, il peut invoquer l’article 12 CE pour se voir accorder l’aide sociale au même titre que les nationaux de cet État membre (20). En d’autres termes, une fois que la position juridique d’une personne est assimilée, par application du droit national, à celle des nationaux résidant dans l’État membre considéré, cette personne peut prétendre à l’égalité de traitement pour les questions relevant du champ d’application du traité.

    36.      Dans la présente affaire, il a été établi, ainsi qu’on l’a vu au point 22 ci‑dessus, que Mme Geven a le statut de travailleur communautaire. Bien que ses activités professionnelles aient été considérées comme mineures aux fins de l’application du droit allemand en cause, la juridiction de renvoi ne les a pas jugées suffisamment marginales ou accessoires pour l’exclure de la définition d’un travailleur communautaire. On soulignera également, dans ce contexte, que la notion de «travailleur» ne peut être définie ou circonscrite par référence au droit national, puisque cela supposerait que la portée des droits qui sont garantis aux travailleurs communautaires peut être modifiée unilatéralement par les États membres sans aucun contrôle des institutions communautaires (21). Plus particulièrement, il est interdit aux États membres d’exclure du champ d’application de cette notion des personnes qui ne perçoivent qu’une rémunération inférieure au minimum de moyens d’existence, notamment lorsque ces personnes peuvent compléter ce revenu par d’autres moyens, y compris par des gains perçus par un autre membre de la famille (22). Le critère de l’activité mineure, tel que défini par l’article 8, paragraphe 1, du SGB IV, ne saurait priver Mme Geven des droits dont elle dispose en qualité de travailleur communautaire.

    37.      La règle de l’emploi mineur s’applique uniquement aux travailleurs frontaliers et a été instituée en vue d’étendre le bénéfice du droit à l’allocation d’éducation aux personnes qui ne résident pas en Allemagne, mais y exercent une activité économique suffisamment significative.

    38.      Malgré cet objectif généreux du législateur allemand, il apparaît que cette règle de l’emploi mineur opère une distinction entre différents groupes de travailleurs quant à l’éligibilité à l’allocation d’éducation. Elle distingue deux catégories de travailleurs frontaliers travaillant en Allemagne (ceux qui sont en deçà du seuil d’activité mineure et ceux qui sont au-delà de ce seuil), bien que, si l’on considère l’objectif de l’allocation d’éducation, qui est de favoriser la natalité en Allemagne, ces travailleurs frontaliers soient tous dans la même position, c’est‑à-dire ne contribuent pas à cet objectif. Cette règle distingue aussi les travailleurs frontaliers qui exercent une activité mineure des personnes qui résident en Allemagne et y occupent également un emploi mineur, puisque ces dernières ont droit à cette prestation. Enfin, elle distingue les travailleurs frontaliers exerçant une activité mineure en Allemagne des travailleurs frontaliers allemands qui travaillent dans les États membres voisins, lesquels ont droit à l’allocation d’éducation du fait de leur résidence en Allemagne, bien qu’ils n’y aient pas de relation d’emploi, et indépendamment de la nature de leur travail.

    39.      Comme les travailleurs frontaliers travaillant en Allemagne sont en règle générale des ressortissants des États membres dans lesquels ils vivent, cette différence de traitement appliquée à des travailleurs exerçant leur activité sur les mêmes marchés du travail allemands et qui résulte de la règle de l’emploi mineur constitue une discrimination indirecte en raison de la nationalité. Si cette condition ne peut être objectivement justifiée et ne peut être considérée comme proportionnée à l’objectif pour lequel elle est imposée, elle est contraire à l’article 39 CE.

    40.      Au point 29 ci-dessus, qui fait également référence aux passages pertinents, à cet égard, de nos conclusions dans l’affaire Hartmann, nous avons déjà indiqué que l’allocation d’éducation poursuit des objectifs démographiques à long terme en récompensant des personnes qui prennent un congé ou n’exercent pas d’activité professionnelle pour pouvoir prendre soin de leurs enfants aux stades les plus précoces de l’enfance. Elle vise donc à stimuler la natalité en Allemagne. Compte tenu de cet objectif, il est tout à fait explicable que les conditions prévues à l’article 1er, paragraphe 1, du BErzGG ne soient pas liées à l’emploi. Nous convenons avec le Bundessozialgericht que la règle imposant l’exercice d’une activité plus que mineure en Allemagne est en soi assez illogique pour une allocation d’éducation, en particulier si l’on considère que cette prestation n’a pas comme moindre de ses finalités d’offrir à une personne la possibilité d’être déchargée de l’obligation d’exercer une activité professionnelle rémunérée, et qu’il y a une contradiction manifeste à exclure les personnes exerçant une activité professionnelle à temps complet tout en exigeant concomitamment des travailleurs frontaliers qu’ils dépassent le seuil d’une activité mineure.

    41.      Il apparaît donc que la règle de l’emploi mineur est dénuée de signification au regard des objectifs pour lesquels l’allocation d’éducation est accordée et qu’elle est inappropriée en tant que condition. Comme elle ne saurait être considérée comme justifiée, elle enfreint le principe de non-discrimination des travailleurs posé par l’article 39 CE.

    VI – Conclusion

    42.      À la lumière des observations qui précèdent, nous proposons que la Cour apporte les réponses suivantes à la question préjudicielle posée par le Bundessozialgericht:

    «1)      L’article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, n’interdit pas à la République fédérale d’Allemagne d’exclure une ressortissante d’un autre État membre résidant dans cet État du bénéfice de l’allocation d’éducation allemande, au motif qu’elle n’a en Allemagne ni son domicile ni sa résidence habituelle.

    2)      L’article 39 CE interdit à la République fédérale d’Allemagne d’exclure une ressortissante d’un autre État membre, qui réside dans cet État et travaille en Allemagne entre 3 et 14 heures par semaine, du bénéfice de l’allocation d’éducation allemande, au motif qu’elle n’exerce qu’une activité professionnelle mineure, ce que la législation nationale définit comme une activité normalement exercée pour une durée inférieure à 15 heures hebdomadaires.»


    1 – Langue originale: l'anglais.


    2 – Règlement du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).


    3 – La Commission a également engagé un recours en manquement au titre de l'article 226 CE contre la République fédérale d'Allemagne à propos des mêmes dispositions du droit national. Voir affaire Commission/Allemagne (C‑307/06 pendante devant la Cour).


    4 – Également présentées ce jour.


    5 – BGBl. I, p. 180.


    6 – BGBl. I, p. 1229.


    7 – Règlement du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, portant modification et mise à jour du règlement n° 1408/71 et du règlement (CEE) n° 574/72 fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71 (JO L 28, p. 1, ci-après le «règlement n° 1408/71»).


    8 – Aux fins de l'application du titre III du règlement n° 1408/71 aux prestations familiales, cette disposition restreint la portée de la notion de «travailleur salarié» aux personnes assurées à titre obligatoire contre le risque de chômage ou aux personnes qui obtiennent, à la suite de cette assurance, des prestations en espèces de l'assurance maladie ou des prestations analogues.


    9 – «Le présent règlement ne porte pas atteinte aux dispositions prises conformément à l’article [42] du traité.»


    10 – Arrêts du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum (66/85, Rec. p. 2121, point 13); du 8 juin 1999, Meeusen (C‑337/97, Rec. p. I-3289, point 13), et du 6 novembre 2003, Ninni-Orasche (C‑413/01, Rec. p. I-13187, point 24).


    11 – Arrêt Meeusen (précité note 10, point 21).


    12 – Voir points 11 et 13 ci-dessus.


    13 – Voir jurisprudence citée note 10.


    14 – Voir point 2 ci-dessus.


    15 –      Point 55 des conclusions.


    16 –      Point 60 des conclusions.


    17 – Point 69 des conclusions.


    18 – Arrêt du 10 mars 1993, Commission/Luxembourg (C‑111/91, Rec. p. I‑817, point 21).


    19 – Arrêt du 7 septembre 2004 (C‑456/02, Rec. p. I-7573).


    20 – Voir points 37 à 46 de l'arrêt.


    21 – Arrêts du 23 mars 1982, Levin (53/81, Rec. p. 1035, point 11), et du 3 juin 1986, Kempf (139/85, Rec. p. 1741, point 15).


    22 – Arrêt Kempf (précité note 21, point 14).

    Top