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Document 62005CC0127
Opinion of Mr Advocate General Mengozzi delivered on 18 January 2007. # Commission of the European Communities v United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland. # Failure of a Member State to fulfil obligations - Social policy - Protection of the safety and health of workers - Directive 89/391/EEC - Article 5(1) - Employer’s duty to ensure the safety and health of workers in every aspect related to the work - Employer’s liability. # Case C-127/05.
Conclusions de l'avocat général Mengozzi présentées le 18 janvier 2007.
Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.
Manquement d'État - Politique sociale - Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs - Directive 89/391/CEE - Article 5, paragraphe 1 - Obligation pour l'employeur d'assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail - Responsabilité de l'employeur.
Affaire C-127/05.
Conclusions de l'avocat général Mengozzi présentées le 18 janvier 2007.
Commission des Communautés européennes contre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.
Manquement d'État - Politique sociale - Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs - Directive 89/391/CEE - Article 5, paragraphe 1 - Obligation pour l'employeur d'assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail - Responsabilité de l'employeur.
Affaire C-127/05.
Recueil de jurisprudence 2007 I-04619
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:30
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO Mengozzi
présentées le 18 janvier 2007 (1)
Affaire C‑127/05
Commission des Communautés européennes
contre
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
«Directive 89/391/CEE – Sécurité et santé des travailleurs – Obligations de l’employeur en matière de sécurité et de santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail – Responsabilité de l’employeur»
I – Introduction
1. Dans la présente instance, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de déclarer que, en circonscrivant dans les limites de ce qui est raisonnablement praticable l’obligation de l’employeur de garantir la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive (CEE) n° 89/391 du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (2).
II – Cadre juridique de référence
A – La directive 89/391
2. Adoptée sur la base de l’article 118 A du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE), en application du troisième programme d’action communautaire relatif à la sécurité, à l’hygiène et à la protection de la santé sur le lieu de travail du 23 octobre 1987 (3), la directive 89/391, dite aussi «directive-cadre», prévoit une réglementation de caractère général en matière de prévention des risques professionnels et de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs dans lequel s’inscrit le projet d’harmonisation technique des règles de sécurité à l’intérieur de la Communauté (ci-après la «directive-cadre»). La portée générale de la directive-cadre ressort, outre de l’article 1er, paragraphe 2, qui en définit l’objet, de son article 16, lequel, après avoir prévu au paragraphe 1 que le Conseil, sur proposition de la Commission fondée sur l’article 118 A du traité, adopte des directives particulières (dites «directives filles» (4)), précise, au paragraphe 3 suivant, que «[l]es dispositions de la présente directive s’appliquent pleinement à l’ensemble des domaines couverts par les directives particulières, sans préjudice de dispositions plus contraignantes et/ou spécifiques contenues dans [celles-ci]».
3. Cela dit, il faut tout d’abord rappeler le texte de l’article 118 A du traité et, par la suite, les dispositions de la directive-cadre qui entrent en ligne de compte dans le cadre de la présente instance ainsi que, dans ses grandes lignes, sa structure.
4. Introduit dans le traité CE par l’article 21 de l’Acte unique européen, l’article 118 A a conféré une importance spécifique et autonome, dans le cadre de la politique sociale de la Communauté, au domaine de la sécurité au travail. Il a constitué la base juridique pour l’adoption dans cette matière des directives dites «de seconde génération», non plus fondées, comme les précédentes, sur les articles 100 (devenu article 94 CE) ou 100 A (devenu, après modification, article 95 CE) du traité CE, lesquels se prêtaient mal à une réglementation étendue du domaine en raison du lien téléologique qu’ils imposaient aux actes adoptés sur leur fondement, ceux-ci devant nécessairement servir à l’instauration et au fonctionnement du marché commun (5).
5. Aux termes de l’article 118 A, paragraphe 1, du traité, «[l]es États membres s’attachent à promouvoir l’amélioration, notamment du milieu de travail, pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs et se fixent pour objectif l’harmonisation, dans le progrès, des conditions existant dans ce domaine». Pour contribuer à la réalisation de cet objectif, le paragraphe 2 dudit article établit que le Conseil, suivant la procédure indiquée dans cette disposition, «arrête par voie de directive les prescriptions minimales applicables progressivement, compte tenu des conditions et des réglementations techniques existant dans chacun des États membres» et en évitant «d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu’elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises». Enfin, le paragraphe 3 du même article précise que «[l]es dispositions arrêtées en vertu du présent article ne font pas obstacle au maintien et à l’établissement, par chaque État membre, de mesures de protection renforcée des conditions de travail compatibles avec le présent traité».
6. La directive-cadre se subdivise en quatre sections. La première, intitulée «Dispositions générales», se compose de quatre articles. Les articles 1er et 2 délimitent respectivement l’objet et le champ d’application de la directive, tandis que l’article 3 définit les notions de travailleur, d’employeur, de représentant des travailleurs et de prévention. En particulier, l’article 3, sous b), définit l’«employeur» comme «toute personne physique ou morale qui est titulaire de la relation de travail avec le travailleur et qui a la responsabilité de l’entreprise et/ou de l’établissement». L’article 4, paragraphe 1, énonce que «[l]es États membres prennent les dispositions nécessaires pour assurer que les employeurs, les travailleurs et les représentants des travailleurs sont soumis aux dispositions juridiques requises pour la mise en œuvre de la présente directive».
7. La section II de la directive-cadre, intitulée «Obligations des employeurs», se compose de huit articles. L’article 5, sous la rubrique «Disposition générale», énonce, au paragraphe 1, l’obligation de sécurité incombant à l’employeur dans les termes suivants: «L’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail».
8. Les paragraphes 2 et 3 du même article 5 disposent:
«2. Si un employeur fait appel, en application de l’article 7 paragraphe 3, à des compétences (personnes ou services) extérieurs à l’entreprise et/ou à l’établissement, ceci ne le décharge pas de ses responsabilités dans ce domaine.
3. Les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail n’affectent pas le principe de la responsabilité de l’employeur.»
9. L’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, dispose, enfin, que la directive «ne fait pas obstacle à la faculté des États membres de prévoir l’exclusion ou la diminution de la responsabilité des employeurs pour des faits dus à des circonstances qui sont étrangères à ces derniers, anormales et imprévisibles, ou à des événements exceptionnels, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée». Le second alinéa de l’article 5, paragraphe 4, précise que «[l]es États membres ne sont pas tenus d’exercer la faculté visée au premier alinéa».
10. Le contenu de l’obligation de sécurité qui incombe à l’employeur est précisé aux articles 6 à 12 suivants de la directive-cadre.
11. Aux fins de l’examen de la présente affaire, il faut particulièrement s’attacher aux dispositions de l’article 6, intitulé «Obligations générales des employeurs», qui dispose ce qui suit:
«1. Dans le cadre de ses responsabilités, l’employeur prend les mesures nécessaires pour la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, y compris les activités de prévention des risques professionnels, d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens nécessaires.
L’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
2. L’employeur met en œuvre les mesures prévues au paragraphe 1 premier alinéa sur la base des principes généraux de prévention suivants:
a) éviter les risques;
b) évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités;
c) combattre les risques à la source;
d) adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment d’atténuer le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé;
e) tenir compte de l’état d’évolution de la technique;
f) remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux;
g) planifier la prévention en visant un ensemble cohérent qui intègre dans la prévention la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants au travail;
h) prendre des mesures de protection collective par priorité à des mesures de protection individuelle;
i) donner les instructions appropriées aux travailleurs.
3. Sans préjudice des autres dispositions de la présente directive, l’employeur doit, compte tenu de la nature des activités de l’entreprise et/ou de l’établissement:
a) évaluer les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs, y compris dans le choix des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, et dans l’aménagement des lieux de travail.
À la suite de cette évaluation, et en tant que de besoin, les activités de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production mises en œuvre par l’employeur doivent:
– garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs,
– être intégrées dans l’ensemble des activités de l’entreprise et/ou de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement;
b) lorsqu’il confie des tâches à un travailleur, prendre en considération les capacités de ce travailleur en matière de sécurité et de santé;
c) faire en sorte que la planification et l’introduction de nouvelles technologies fassent l’objet de consultations avec les travailleurs et/ou leurs représentants en ce qui concerne les conséquences sur la sécurité et la santé des travailleurs, liées au choix des équipements, à l’aménagement des conditions de travail et à l’impact des facteurs ambiants au travail;
d) prendre les mesures appropriées pour que seuls les travailleurs qui ont reçu des instructions adéquates puissent accéder aux zones de risque grave et spécifique.
4. Sans préjudice des autres dispositions de la présente directive, lorsque, dans un même lieu de travail, les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en œuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l’hygiène et à la santé et, compte tenu de la nature des activités, coordonner leurs activités en vue de la protection et de la prévention des risques professionnels, s’informer mutuellement de ces risques et en informer leurs travailleurs respectifs et/ou leurs représentants.
5. Les mesures concernant la sécurité, l’hygiène et la santé au travail ne doivent en aucun cas entraîner des charges financières pour les travailleurs.»
12. Les articles 7 et suivants de la directive-cadre mettent à la charge de l’employeur des obligations plus spécifiques telles que: l’organisation de services de protection et de prévention (article 7), l’adoption de mesures adéquates en matière de premiers secours, de lutte contre l’incendie, d’évacuation des travailleurs et de danger grave et immédiat (article 8), l’obligation de disposer d’une évaluation des risques pour la sécurité et la santé au travail et de déterminer les mesures de protection à prendre y compris le matériel de protection à utiliser (article 9), ainsi que des obligations en matière d’information, de consultation, de participation et de formation des travailleurs (respectivement aux articles 10, 11 et 12).
13. La section III de la directive-cadre se compose d’un article unique qui définit les obligations des travailleurs dans la gestion de la sécurité (article 13).
14. Enfin, la section IV de la directive‑cadre contient des dispositions diverses, parmi lesquelles l’article 16 précité (6). Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, «[l]es États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 décembre 1992».
B – La réglementation nationale
15. Le Royaume-Uni est le premier pays industrialisé à avoir adopté une réglementation en matière de sécurité et de santé des travailleurs. Le premier Factory Act, destiné à réglementer le travail des enfants, remonte à 1802 et fut suivi de nombreuses interventions législatives en la matière, limitées dans un premier temps à des catégories spécifiques de travailleurs et à des secteurs économiques déterminés et successivement étendues à l’ensemble des activités industrielles avec le Factory and Workshop Act de 1878.
16. En vue de rendre plus cohérent l’état de la législation jusque-là éparse dans le domaine de la lutte contre les accidents du travail, et caractérisée par une approche législative empreinte de pragmatisme, a été constituée, en 1970, une commission, présidée par Lord Robens, qui a présenté en 1972 un rapport contenant diverses recommandations, sur la base desquelles fut adopté la loi relative à la santé et à la sécurité au travail (Health and Safety at Work Act de 1974, ci-après le «HSW Act»).
17. Ce dernier constitue la pierre angulaire de tout le système britannique de la sécurité au travail. Il s’agit en substance d’une loi-cadre, modifiée à plusieurs reprises au fil des années, qui définit les prescriptions minimales applicables à l’ensemble des travailleurs, indépendamment du secteur d’activité. Sur la base du HSW Act ont été adoptés divers actes de nature réglementaire servant à compléter le régime défini par celui-ci.
18. Il convient à ce stade de relever que la transposition de la directive 89/391 a donné lieu, en droit britannique, à des interventions normatives limitées, et ce tant parce que le système existant a été considéré, dans ses grandes lignes, comme conforme aux prescriptions de cette dernière, que par l’effet de la volonté politique exprimée par le gouvernement conservateur de l’époque de limiter au minimum l’impact de ladite directive – et d’une façon plus générale des interventions communautaires en matière de politique sociale – sur l’ordre juridique interne.
19. S’agissant des dispositions par le biais desquelles a été réalisée en droit britannique l’adaptation aux prescriptions de l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre, le gouvernement défendeur se réfère à la section 2 du HSW Act, intitulée «General duties of employers to their employees», dont le paragraphe 1 dispose ce qui suit:
«Tout employeur est tenu d’assurer la santé, la sécurité et le bien-être de tous ses travailleurs sur les lieux de travail, pour autant que ce soit raisonnablement praticable.» («It shall be the duty of every employer to ensure, so far as is reasonably practicable, the health, safety and welfare at work of all his employees»).
20. Le paragraphe 2 de la même section énumère, d’une façon non exhaustive, plusieurs obligations spécifiques qui incombent à l’employeur en vertu de l’obligation de sécurité énoncée en termes généraux dans le paragraphe 1 précité. Il dispose:
«Sans préjudice de l’obligation générale de l’employeur aux termes de la précédente sous-section, les matières auxquelles s’appliquent cette obligation incluent notamment:
a) la mise en place et l’entretien d’installations et de systèmes de travail qui sont, pour autant que ce soit raisonnablement praticable, sûrs et sans risques pour la santé;
b) des mesures pour assurer, pour autant que ce soit raisonnablement praticable, la sécurité et l’absence de risque pour la santé liées à l’utilisation, à la manutention, au stockage et au transport d’articles et de substances;
c) la prévision d’informations, d’instructions, de formations et la supervision nécessaires pour assurer, pour autant que ce soit raisonnablement praticable, la santé et la sécurité au travail de ses salariés;
d) pour autant que ce soit raisonnablement praticable en ce qui concerne tout lieu de travail sous le contrôle de l’employeur, le maintien de celui-ci dans des conditions de sécurité et d’absence de risques pour la santé, la mise en place et l’entretien d’accès et d’issues sûrs et dénués de tels risques;
e) la mise en place et le maintien d’un environnement de travail pour ses salariés qui est, pour autant que ce soit raisonnablement praticable, sûr, sans risques pour la santé et approprié en ce qui concerne les installations et les arrangements pour leur bien-être au travail.»
(«Without prejudice to the generality of an employer’s duty under the preceding subsection, the matters to which that duty extends include in particular:
a) the provision and maintenance of plant and systems of work that are, so far as is reasonably practicable, safe and without risks to health;
b) arrangements for ensuring, so far as is reasonably practicable, safety and absence of risk to health in connection with the use, handling, storage and transport of articles and substances;
c) the provision of such information, instruction, training and supervision as is necessary to ensure, so far as is reasonably practicable, the health and safety at work of his employees;
d) so far as is reasonably practicable as regards any place of work under the employer’s control, the maintenance of it in a condition that is safe and without risks to health and the provision and maintenance of means of access to and egress from it that are safe and without such risks;
e) the provision and maintenance of a working environment for his employees that is, so far as is reasonably practicable, safe, without risks to health, and adequate as regards facilities and arrangements for their welfare at work»).
21. Les violations des obligations imposées à l’employeur par la section 2 du HSW Act sont pénalement sanctionnées en application des dispositions des sections 33, paragraphe 1, sous a), et 47, paragraphe 1, sous a), du même acte.
22. En cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, les victimes sont indemnisées sur la base des dispositions de l’Industrial Injury Scheme, financé par les impôts généraux et, de ce fait, selon un régime non contributif.
23. En outre, bien que, en vertu de la section 47, paragraphe 1, du HSW Act, la violation des obligations imposées par la section 2 du même texte n’engage pas la responsabilité civile de l’employeur, cette dernière est prévue par plusieurs dispositions des règlements relatifs à la gestion de la santé et de la sécurité au travail (Management of Health and Safety at Work Regulations de 1999), qui ont transposé plusieurs dispositions de la directive-cadre et les directives filles (7).
24. Enfin, l’obligation de l’employeur de réparer les préjudices causés par la violation du devoir de prudence à l’égard des travailleurs constitue un principe de «common law».
25. Depuis 1972, en vertu de la loi relative à la responsabilité de l’employeur (assurance obligatoire) (Employer’s Liability, compulsory insurance Act) de 1969, la majeure partie des employeurs sont tenus de conclure une assurance obligatoire au titre de la responsabilité civile en couverture des préjudices résultant d’accidents du travail ou de maladies professionnelles.
26. Un système analogue à celui décrit ci-dessus existe en Irlande du Nord (8).
III – Procédure précontentieuse
27. Le 29 septembre 1997, la Commission a envoyé au Royaume-Uni une lettre de mise en demeure dans laquelle elle formulait à l’encontre dudit État membre un certain nombre de griefs relatifs à la transposition en droit britannique de la directive-cadre. Parmi ceux-ci figurait la transposition erronée de l’article 5 en ce qui concerne, notamment, la prévision, dans la réglementation interne pertinente, de la clause «so far as is reasonably practicable» (pour autant que ce soit raisonnablement réalisable, ci-après la «clause SFAIRP»), qui, de l’avis de la Commission, limitait d’une façon contraire au paragraphe 1 dudit article la portée de l’obligation prévue par cette disposition à la charge de l’employeur.
28. Le Royaume-Uni a répliqué au sujet de ce grief, dans ses réponses du 30 décembre 1997 et du 23 octobre 2001 à la lettre de mise en demeure, en envoyant plusieurs décisions de juges nationaux dont ressortait, selon cet État membre, la conformité de la clause précitée à l’article 5 de la directive-cadre.
29. Non convaincue par les arguments avancés par le Royaume-Uni, la Commission a adopté un avis motivé, envoyé à cet État membre le 25 juillet 2003, dans lequel elle reprochait, pour ce qui concerne la présente instance, la violation de l’article 5 de la directive-cadre pour les motifs déjà formulés dans la lettre de mise en demeure. La Commission a enjoint au Royaume-Uni de se conformer à l’avis motivé dans un délai de deux mois. Sur demande du Royaume-Uni, ledit délai a été porté à quatre mois.
30. Le Royaume-Uni a répondu à l’avis motivé par une lettre du 24 novembre 2003 en contestant la violation alléguée de l’article 5 de la directive-cadre.
IV – Conclusions des parties
31. Par acte déposé auprès du greffe de la Cour le 21 mars 2005, la Commission a introduit, sur la base de l’article 226 CE, le recours faisant l’objet de la présente instance.
32. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
– constater que, en limitant l’obligation des employeurs d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail à une obligation de ne le faire que «pour autant que ce soit raisonnablement praticable», le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive 89/391; et
– condamner le Royaume-Uni aux dépens.
33. Le Royaume-Uni conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
– rejeter le recours;
– condamner la Commission aux dépens.
V – Analyse
A – Arguments des parties
34. Selon la Commission, l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre, qui énonce le principe fondamental selon lequel il incombe à l’employeur l’obligation d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail, constitue le pivot du système de protection prévu par ladite directive. À partir de la lecture que la Commission donne de cette disposition, l’employeur est responsable pour tout fait dommageable pour la santé et la sécurité des travailleurs qui se produit dans son entreprise, avec comme seule exception possible les cas expressément prévus à l’article 5, paragraphe 4, de la directive-cadre. Cette dernière disposition, en tant qu’exception au principe général de la responsabilité de l’employeur, devrait s’interpréter restrictivement.
35. La Commission fait valoir que l’interprétation de l’article 5 de la directive-cadre qu’elle suggère est confirmée par les travaux préparatoires de cet acte, dont il résulterait l’intention claire du législateur communautaire de soumettre l’employeur à un régime de responsabilité objective, laquelle pourrait être exclue ou limitée seulement au cas où seraient réunies les circonstances exceptionnelles prévues au paragraphe 4 dudit article. Cette interprétation serait encore confirmée par la circonstance que, tandis que les premières directives en matière de sécurité et de santé des travailleurs, antérieures à l’introduction dans le traité de l’article 118 A, prévoyaient la clause SFAIRP dans la définition des obligations imposées à l’employeur, les directives de «nouvelle génération», parmi lesquelles la directive-cadre, adoptées sur la base dudit article, ont définitivement abandonné cette clause.
36. Tout en étant d’accord avec le Royaume-Uni pour considérer que l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre n’impose pas aux employeurs de garantir un environnement de travail absolument sûr, la Commission souligne que son approche diverge de celle du Royaume-Uni quant aux conséquences qui résultent de la constatation de l’impossibilité d’atteindre un tel résultat. Selon la Commission, la définition en termes absolus de l’obligation de sécurité de l’employeur implique que, si les mesures de prévention échouent, ce dernier reste en toute hypothèse objectivement responsable des conséquences qui en découlent pour la santé des travailleurs.
37. La Commission estime que l’argumentation invoquée à titre subsidiaire par le Royaume-Uni, selon laquelle la clause SFAIRP serait compatible avec les dispositions combinées de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre, doit être rejetée.
38. À ce sujet, la Commission relève que l’article 5, paragraphe 4, contrairement à ce qui découle des arguments du Royaume-Uni, n’introduit pas une dérogation au principe de la responsabilité de l’employeur fondée sur la règle de raison, mais se borne à prévoir les cas dans lesquels ce dernier peut, à titre exceptionnel, être exonéré de responsabilité, cas qui peuvent facilement être rattachés au fait justificatif de la force majeure.
39. Or, il résulterait de la jurisprudence des juridictions britanniques que la mise en balance d’intérêts à laquelle les juges doivent procéder en application de la clause SFAIRP doit être effectuée dans tous les cas où entre en ligne de compte la responsabilité de l’employeur, même lorsque les événements préjudiciables pour la santé des travailleurs sont causés par la survenance de faits entièrement prévisibles. Puisqu’il n’existe aucune définition de la clause litigieuse qui limite le recours à celle-ci aux seules hypothèses où les préjudices à la santé des travailleurs sont occasionnés par des circonstances imprévisibles ou par des événements exceptionnels, ni aucune jurisprudence dont il découle que ladite clause peut être invoquée par l’employeur en tant que moyen de défense uniquement en présence de telles circonstances ou de tels événements, la Commission estime que son application dans l’ordre juridique britannique ne permet pas d’obtenir le résultat imposé par les dispositions combinées de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre.
40. La Commission souligne de plus que l’évaluation qui doit être effectuée sur la base de la clause SFAIRP implique la prise en considération des coûts financiers des mesures de prévention et que cela est en contradiction flagrante avec ce qui est énoncé au treizième considérant de la directive-cadre, aux termes duquel «l’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique».
41. D’après le Royaume-Uni, si, d’une part, l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre identifie l’employeur comme le sujet auquel incombe en premier lieu l’obligation de sauvegarder la sécurité et la santé des travailleurs sur le poste de travail et, lu en combinaison avec les articles 6 à 12 de la même directive et conformément au principe général de proportionnalité, définit la portée de ladite obligation, d’autre part, il ne dit rien à propos de la nature de la responsabilité de l’employeur en cas de non-respect de cette obligation. Cette question serait confiée aux États membres en vertu de leur devoir de prendre les mesures nécessaires afin de garantir l’application et l’efficacité du droit communautaire, dont l’article 4 de la directive-cadre constitue une expression spécifique.
42. À propos de la portée de l’obligation imposée à l’employeur par l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre, le Royaume-Uni estime que cette obligation, bien qu’exprimée en termes absolus, ne met pas à la charge de l’employeur une obligation de résultat, consistant à garantir un environnement de travail exempt de tout risque.
43. Selon ledit État membre, cette interprétation est cohérente tant avec les dispositions de la directive-cadre qui visent à concrétiser l’obligation énoncée dans ledit article, et notamment avec l’article 6, paragraphe 2, qui impose à l’employeur l’obligation d’«éviter ou de limiter les risques» et de «remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux» (9), qu’avec diverses prescriptions des «directives filles» qui, en précisant les mesures de prévention à adopter dans des secteurs de production spécifiques, renvoient à des considérations de «praticabilité» ou d’«adéquation» de ces mesures. Cette interprétation serait en outre conforme au principe général de proportionnalité et à l’article 118 A du traité, qui constitue la base juridique de la directive-cadre, en vertu duquel les directives adoptées sur son fondement visent à introduire uniquement des «prescriptions minimales applicables progressivement».
44. Quant à la responsabilité de l’employeur, le Royaume-Uni observe que rien dans la directive-cadre ni, notamment, dans son article 5, paragraphe 1, ne suggère que l’employeur doit être soumis à un régime de responsabilité objective. En premier lieu, ledit article prévoirait uniquement l’obligation d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs et non également l’obligation d’indemniser les préjudices découlant d’accidents du travail. En second lieu, la directive-cadre laisserait les États membres libres de décider quelle forme de responsabilité, civile ou pénale, imposer à l’employeur. En troisième lieu, la question de qui – chaque employeur, la catégorie des employeurs dans son ensemble ou la collectivité – doit supporter les coûts consécutifs aux accidents du travail serait également remise aux États membres.
45. Pour ce qui concerne l’adaptation de l’ordre juridique britannique à la directive-cadre et les griefs formulés par la Commission, le Royaume-Uni fait valoir tout d’abord que ledit ordre juridique se caractérise par le choix du législateur de sanctionner pénalement le non-respect des dispositions de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et, de ce fait, également l’obligation générale de sécurité consacrée par la section 2, paragraphe 1, du HSW Act.
46. Selon ledit État membre, ce choix assure un système plus efficace, étant donné que l’effet dissuasif d’une sanction pénale serait supérieur à celui d’une responsabilité civile au titre de dommages, pour laquelle les employeurs peuvent prévoir une couverture d’assurance. En outre, le recours à un régime de sanctions pénales se concilierait mieux avec un système de protection, tel que le système britannique, fondé sur la prévention. L’efficacité du système britannique serait par ailleurs démontrée par les statistiques, dont il ressort que le Royaume-Uni est depuis longtemps un des États membres où se produisent le moins d’accidents du travail.
47. Le Royaume-Uni souligne que la section 2 du HSW Act impose une responsabilité pénale «automatique» à laquelle l’employeur peut se soustraire uniquement en démontrant avoir fait tout ce qui était raisonnablement praticable pour empêcher la survenance de risques pour la sécurité et la santé des travailleurs. L’employeur n’échapperait pas à la charge de la preuve qui lui incombe si ce n’est en démontrant qu’il existait une disproportion manifeste («gross disproportion») entre le risque pour la sécurité et la santé des travailleurs et le sacrifice en termes de coûts, de temps ou de difficulté («sacrifice, whether in money, time or trouble») que l’adoption des mesures nécessaires pour empêcher la survenance dudit risque aurait impliqué et que ce dernier était insignifiant par rapport audit sacrifice. Le Royaume-Uni précise que le test effectué en application de la clause SFAIRP implique une évaluation purement objective, dans laquelle toute considération relative aux capacités financières de l’employeur reste exclue.
48. L’État membre défendeur affirme, en outre, que le choix de transposer l’article 5, paragraphe 1, en prévoyant des obligations dont l’inexécution est sanctionnée pénalement n’implique pas que, en cas d’accidents du travail, les victimes ne puissent pas obtenir une réparation.
49. En droit britannique, cette réparation serait prévue sur la base d’un système d’assurance sociale.
50. Le Royaume-Uni fait valoir de plus que l’employeur est responsable des dommages découlant de la violation du devoir de diligence à l’égard des travailleurs prévu en «common law». En vertu de ce devoir, l’employeur est tenu d’assurer un environnement de travail salubre et sûr, de prévoir les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs et d’adopter des mesures adéquates de prévention.
51. Sur la base des arguments exposés ci-dessus, l’État membre défendeur estime avoir correctement transposé l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre.
52. À titre subsidiaire, le Royaume-Uni fait valoir que la clause SFAIRP, telle qu’appliquée par les juges britanniques, a un champ d’application qui coïncide avec celui de l’article 5, paragraphe 4, de la directive-cadre.
B – Appréciation
1. Observations préliminaires
53. Bien que cela puisse paraître difficile ou artificiel de séparer l’examen du contenu et de la portée des obligations qui incombent aux employeurs en vertu de la législation en matière de sécurité au travail de celui portant sur les formes de responsabilité, administrative, civile ou pénale, qui découlent de leur inobservation, il nous semble toutefois possible de distinguer deux niveaux différents auxquels peut jouer la clause SFAIRP, dont la compatibilité avec l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre est contestée par la Commission dans le cadre du présent litige.
54. Ladite clause est de nature à opérer, en premier lieu, en tant que limite de l’obligation générale de sécurité à laquelle est tenu l’employeur au titre de l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre. Dans ce sens, elle peut entrer en jeu dans la détermination du champ et des limites de l’activité de prévention.
55. En second lieu, la clause litigieuse est également de nature à opérer indirectement en tant que limite à la possibilité d’imputer à l’employeur la responsabilité résultant du non-respect de ladite obligation.
56. La question de la compatibilité de la clause examinée avec les dispositions de la directive-cadre se pose, sur le plan logique, à ses deux niveaux d’application décrits ci-dessus.
57. Il faut donc rechercher à titre préliminaire quels sont les aspects illégaux de ladite clause que la Commission entend soulever dans le recours faisant l’objet de la présente instance.
58. Les contours de la thèse soutenue par la requérante ressortent suffisamment clairement de la lecture des mémoires écrits déposés par la Commission. Selon cette dernière, l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre, outre qu’il définit en termes absolus l’obligation de l’employeur d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail, établit, comme corollaire de cette obligation, la responsabilité de l’employeur pour tout événement préjudiciable à la santé des travailleurs qui se produit dans son entreprise. Des dispositions combinées de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre, la Commission déduit la nature de ladite responsabilité en la qualifiant d’objective. Selon ladite institution, l’employeur demeure responsable des conséquences de tout événement causant un préjudice à la santé des travailleurs qui se produit dans son entreprise, indépendamment des mesures de prévention qu’il a concrètement adoptées ou aurait pu adopter et sous la seule exception des hypothèses expressément prévues à l’article 5, paragraphe 4, de la directive-cadre. Puisqu’il ressortirait des dispositions du HSW Act, et notamment de la section 2, paragraphe 1, lue conjointement avec les sections 33 et 47, que l’employeur n’est pas responsable des risques qui apparaissent ou des conséquences des événements qui se produisent dans son entreprise au cas où il pourrait démontrer avoir adopté toutes les mesures raisonnablement praticables afin d’assurer la sécurité et la santé de ses travailleurs, la Commission estime que la réglementation du Royaume-Uni n’est pas conforme à l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre.
59. Nonobstant les termes dans lesquels sont formulées les conclusions du recours, il ressort clairement du contenu des mémoires déposés par la Commission et de l’ensemble du débat qui s’est développé au cours de la procédure écrite et de l’audience que ladite institution ne critique pas la légalité de la clause litigieuse sous l’aspect de sa capacité à influer sur l’étendue de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur, mais sous l’aspect différent de son aptitude à jouer en tant que limite de la responsabilité de l’employeur au titre des événements portant atteinte à la santé des travailleurs qui se produisent dans son entreprise.
60. Il est clair que les deux aspects d’éventuelle illégalité sont indissociables si l’on considère que l’article 5, paragraphe 4, de la directive-cadre, lu isolément ou conjointement avec le paragraphe 1, définit la portée de la responsabilité de l’employeur découlant de l’inobservation de son obligation de sécurité, alors qu’ils restent distincts si l’on parvient à la conclusion que ladite disposition a entendu tracer les contours d’une responsabilité plus large de l’employeur.
61. Il faut donc examiner si, comme le suggère le Royaume-Uni, il existe une coïncidence entre la portée de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur et l’étendue de la responsabilité de l’employeur qui ressort des dispositions pertinentes de la directive-cadre ou si, comme le soutient la Commission, ladite responsabilité couvre les conséquences de tout événement préjudiciable à la santé des travailleurs – sous la seule exception des cas prévus à l’article 5, paragraphe 4 – indépendamment de la possibilité d’imputer ledit événement et lesdites conséquences à une quelconque négligence de l’employeur dans la mise en place des mesures de prévention.
2. Sur l’interprétation de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre
62. La Commission et le Royaume-Uni partent de deux interprétations différentes de l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre. La thèse de la Commission se fonde sur une lecture de cette disposition en termes principalement de responsabilité de l’employeur pour les préjudices causés à la santé des travailleurs, alors que le Royaume-Uni part d’une interprétation de la même disposition en termes essentiellement d’obligations qui incombent à l’employeur dans la mise en place des mesures de prévention nécessaires.
63. L’interprétation soutenue par le Royaume-Uni s’appuie sur une lecture littérale de l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre. La Commission part en revanche essentiellement d’une interprétation systématique de cette disposition, en mettant en évidence en particulier les relations entre les libellés des paragraphes 1 et 4 de l’article 5.
64. Il ne fait pas de doute que, dans une première phase d’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, fondée sur le texte, il ne serait pas possible d’attribuer à cette disposition une autre fonction que celle d’identifier un sujet et de mettre à la charge de ce dernier une obligation, dont l’objet consiste à garantir la protection d’un bien juridique lui aussi déterminé.
65. Sous cet aspect, ladite disposition exprime un précepte qui revêt traditionnellement le rôle de principe fondamental des législations en matière de protection de la sécurité au travail: l’identification de l’employeur, dans son double rôle de titulaire de la relation de travail et d’organisateur des facteurs de production [voir article 3, sous b), de la directive-cadre], en tant que principal débiteur de l’obligation de sécurité.
66. Toutefois, si l’on passe d’une interprétation fondée sur le seul texte de la disposition examinée à une lecture de celle-ci dans son contexte, il apparaît difficile de ne pas lire l’énoncé contenu dans l’article 5, paragraphe 1, comme destiné non seulement à affirmer l’obligation générale de sécurité de l’employeur, mais également à tracer les limites du régime de responsabilité minimale auquel ce dernier doit être soumis, dans son rôle de débiteur de l’obligation de sécurité si des événements préjudiciables pour la santé des travailleurs venaient à se produire.
67. Ce ne sont pas tant les dispositions des paragraphes 2 et 3 suivants de l’article 5 qui apparaissent déterminantes dans ce sens que le libellé du paragraphe 4, premier alinéa, du même article.
68. En effet, bien qu’elles renvoient expressément au concept de responsabilité, les dispositions figurant aux paragraphes 2 et 3 de l’article 5 peuvent être interprétées comme des préceptes destinés à préciser la nature et la portée de l’obligation énoncée au paragraphe 1, en consacrant sa non transférabilité à des sujets autres que l’employeur, sur lesquels, à la suite d’une délégation de ce dernier (article 5, paragraphe 2), ou en vertu d’une disposition expresse (article 5, paragraphe 3), pèsent des obligations spécifiques dans l’organisation des activités de protection et de prévention ou, d’une façon plus générale, dans la sauvegarde de la sécurité et de la santé durant le travail. De telles dispositions se bornent du reste à évoquer la responsabilité (ou mieux les obligations) de l’employeur en se référant uniquement à l’activité de prévention d’événements de nature à porter atteinte au bien juridiquement protégé.
69. Par contre, l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, se réfère expressément au régime de responsabilité de l’employeur pour les conséquences d’événements préjudiciables à la santé des travailleurs.
70. En interprétant a contrario le libellé de l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive-cadre, il en résulte nécessairement l’affirmation du principe selon lequel les États membres ne sont pas en droit d’exclure ou de limiter la responsabilité de l’employeur au titre des préjudices résultant de faits ou d’événements non compris dans la série de cas décrite par ladite disposition.
71. L’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive-cadre semble effectivement faire ressortir l’intention du législateur de proposer les orientations d’un modèle commun d’imputabilité du préjudice à la santé des travailleurs, modèle qui semble à première vue faire abstraction du critère de la faute et se rapprocher plutôt de celui d’une responsabilité exprimée en termes objectifs.
72. Il convient toutefois de vérifier de façon plus approfondie le bien-fondé de cette interprétation, invoquée avec force par la Commission.
73. À ce propos, nous estimons à titre préliminaire opportun de préciser qu’une lecture des dispositions de la directive-cadre dans le sens d’un choix de la responsabilité objective de l’employeur en tant que composante du régime communautaire de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs pourrait se justifier, à notre avis, uniquement sur la base d’une interprétation dans ce sens de l’article 5, paragraphe 4.
74. La thèse de la Commission selon laquelle cette lecture serait possible déjà sur la base de l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre ne nous paraît, en revanche, pas pouvoir être retenue.
75. En effet, comme on l’a indiqué plus haut, cette dernière disposition se borne à consacrer l’obligation de garantie qui pèse sur l’employeur, à entendre principalement comme une obligation de prévention, alors qu’elle ne dit rien sur la responsabilité qui incombe à la personne obligée dans l’hypothèse où se produit un événement affectant le bien protégé par l’imposition de ladite obligation.
76. Il est certainement vrai que cette disposition contient, implicitement, également un précepte relatif à la responsabilité, étant donné que l’instauration d’une obligation sans prévoir une quelconque forme de responsabilité en cas d’inobservation de celle-ci réduirait inévitablement les dispositions qui consacrent ladite obligation à de simples déclarations programmatiques, alors que, au contraire, la nature prescriptive des obligations prévues par la directive-cadre ressort clairement de l’article 4, paragraphe 1, lequel impose aux États membres de «[prendre] les dispositions nécessaires pour assurer que les employeurs […] sont soumis aux dispositions juridiques requises pour la mise en œuvre de la présente directive».
77. Toutefois, contrairement à ce que soutient la Commission, il nous semble difficile, même en faisant abstraction du libellé de cette disposition pour l’interpréter à la lumière du contexte dans lequel elle s’insère, de pouvoir affirmer que l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre, en prévoyant expressément une obligation juridique à la charge d’une personne, aurait entendu en outre, implicitement, imputer à la même personne une responsabilité plus large que celle rattachable à l’éventuelle inobservation de ladite obligation. En d’autres termes, nous n’estimons pas que l’on puisse déduire du seul énoncé de cette disposition l’assujettissement de l’employeur à une obligation, essentiellement de prévention, et, en même temps, à un régime de responsabilité objective – et de ce fait indépendant de l’imputabilité au débiteur de l’obligation d’une quelconque faute ou négligence dans la mise en œuvre des mesures de prévention – pour les événements portant atteinte au bien juridique que l’on entend protéger par le biais de l’imposition de ladite obligation.
78. Il reste donc à vérifier si la thèse de la Commission, selon laquelle les dispositions de la directive-cadre obligent les États membres à soumettre l’employeur à un régime de responsabilité objective en cas d’événements préjudiciables pour la santé des travailleurs, peut se fonder sur le seul article 5, paragraphe 4, premier alinéa, de ladite directive.
79. Sur la base de cette disposition, la directive-cadre «ne fait pas obstacle à la faculté des États membres de prévoir l’exclusion ou la diminution de la responsabilité des employeurs pour des faits dus» à certains événements ou circonstances.
80. À notre avis, divers éléments, tirés tant d’une lecture littérale qu’historique de la disposition examinée, militent contre une interprétation de celle-ci dans le sens suggéré par la Commission.
81. En premier lieu, la formulation de la disposition nous semble difficilement conciliable avec la signification et la fonction qui devraient se rattacher à l’énoncé qui y figure, si l’on voulait l’interpréter dans le sens demandé par l’institution requérante.
82. Sous cet aspect, les termes «[l]a présente directive ne fait pas obstacle à la faculté des États membres» apparaissent destinés à introduire une clarification à propos de la portée des dispositions de la directive – et, corrélativement, à propos de la marge de manœuvre des États membres dans la transposition de celles-ci en droit national – plutôt qu’à fonder, sur la base d’une interprétation a contrario de la disposition examinée, l’obligation de la part de ces derniers, non expressément ni implicitement prévue par d’autres dispositions de la même directive, de prévoir dans les ordres juridiques correspondants un régime de responsabilité objective de l’employeur.
83. En second lieu, la possibilité d’interpréter la disposition de l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, dans le sens souhaité par la Commission, laisse des doutes également quant à la technique normative à laquelle le législateur communautaire aurait eu recours.
84. Il paraît en effet peu plausible que l’option en faveur du principe de la responsabilité objective de l’employeur dans le cadre du système communautaire de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ainsi que l’harmonisation des régimes nationaux de responsabilité qui résulterait de cette option doivent être déduites a contrario d’une disposition qui se borne, explicitement, à reconnaître la faculté des États membres de limiter ou d’exclure la responsabilité de l’employeur dans des hypothèses particulières. Une telle façon de procéder du législateur communautaire apparaît d’autant moins plausible si l’on considère que plusieurs États membres, tels que le Royaume-Uni, ne sont guère familiarisés avec des formes de responsabilité sans faute.
85. En troisième lieu, la portée de l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive-cadre est sensiblement limitée par des arguments d’interprétation tirés de la genèse de cette disposition.
86. À ce sujet, il ressort du dossier que le paragraphe 4 de l’article 5 a été inséré dans le texte de la directive-cadre pour répondre aux demandes formulées par les délégations britannique et irlandaise au cours du débat apparu au sein du Conseil sur le projet de directive-cadre.
87. En particulier, il ressort de la documentation produite par le Royaume-Uni, relative à la réunion des 21 et 22 juin 1998 du groupe de travail sur les questions sociales, que, à cette occasion, les délégations britannique et irlandaise avaient soulevé la question des problèmes que la transposition de la directive aurait créés dans leur pays respectif, si les dispositions de cette dernière prévoyant les obligations mises à charge de l’employeur avaient conservé la formulation rigide proposée par la Commission.
88. En substance, lesdits États membres faisaient valoir que, dans le domaine de la sécurité et de la santé des travailleurs, les juges britanniques et irlandais, contrairement aux juges des systèmes de civil law, n’ont aucune marge discrétionnaire dans l’interprétation du droit écrit. En conséquence, la formulation en termes absolus d’une grande partie des obligations pesant sur l’employeur retenue dans le projet de directive aurait durci indûment l’application dans les pays de common law des prescriptions de la directive-cadre. Ils proposaient donc l’introduction dans les dispositions pertinentes du projet de directive d’une clause de flexibilité du type SFAIRP, qui figurait déjà dans les directives dites «de première génération».
89. Parmi les solutions possibles prises en considération afin de répondre aux exigences exprimées par les délégations britannique et irlandaise (10), il a été décidé d’opter pour l’introduction d’une clause générale qui a pris la forme de l’article 5, paragraphe 4.
90. Dans la requête, la Commission rappelle que, dans une déclaration conjointe du Conseil et de la Commission, inscrite au procès-verbal de la réunion du Conseil du 12 juin 1989, il a été précisé que l’article 5, paragraphe 4, de la directive-cadre avait pour but de «participer à la résolution des problèmes juridiques dans les pays soumis au système juridique anglais» et que cela ne justifiait pas, lors de la transposition de la directive dans l’ordre juridique interne, des «dérogations [...] au niveau communautaire de protection de la sécurité et de la santé au travail».
91. L’article 5, paragraphe 4, a donc été inséré dans la directive-cadre à l’issue du débat apparu au sein du Conseil à propos de la façon de résoudre les problèmes que la formulation en termes absolus de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur aurait posés dans les systèmes de «common law», compte tenu de l’obligation d’interpréter littéralement le droit écrit qui incombe aux juges dans ces ordres juridiques.
92. Il s’ensuit que, y compris à la lumière d’arguments tirés du processus législatif de la directive-cadre, il est difficile d’attribuer à la disposition figurant à l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, la signification voulue par la Commission.
93. Enfin, il faut observer à titre incident que la thèse de l’institution requérante semble rencontrer des limites également dans la base juridique de la directive-cadre, dès lors qu’il n’est en effet pas évident si, sur la base de l’article 118 A du traité – lequel se limite à prévoir l’adoption, par le biais de directives, de «prescriptions minimales applicables progressivement» – le législateur communautaire était autorisé à procéder à une harmonisation des régimes de responsabilité en vigueur dans les États membres.
94. Si, d’une part, l’ensemble des éléments considérés aux points 80 à 92 ci‑dessus conduisent à rejeter l’interprétation soutenue par la Commission, de l’autre, ils permettent d’avancer et de soutenir une autre interprétation de l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive-cadre.
95. La genèse de la disposition examinée permet, en particulier, de comprendre de quelle façon cette disposition s’insère dans le contexte de l’article 5 et les relations qu’elle entretient notamment avec le paragraphe 1 de cet article.
96. Il ressort à notre avis de ce qui est repris ci-dessus à propos du processus législatif de la directive-cadre que l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, a été inséré dans le corps de cette directive afin de clarifier la portée de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur consacrée à l’article 5, paragraphe 1 (11), et, partant, l’extension de la responsabilité résultant de son éventuelle inobservation. Cet éclaircissement intervient notamment par le biais de l’identification et de la définition explicite des cas dans lesquels un événement déterminé, portant atteinte à la santé des travailleurs, et ses conséquences ne sont pas rattachables à la transgression de l’obligation de sécurité et, par conséquent, ne sont pas imputables à l’employeur à titre de faute.
97. Dans ce sens, l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, constituerait une sorte de clause d’interprétation de l’article 5, paragraphe 1.
98. Tout en partant de l’exigence d’interpréter la disposition en question conformément à la fonction qui lui est attribuée par le législateur communautaire, telle qu’elle ressort des travaux préparatoires de la directive-cadre, l’interprétation avancée ci-dessus est confirmée par des éléments, déjà mis en évidence au point 82 ci-dessus, tirés du libellé de ladite disposition.
99. Il est nécessaire à ce stade de vérifier si cette thèse est également confortée par l’interprétation systématique de l’article 5, paragraphe 1.
100. On a déjà dit que cette disposition consacre l’obligation qui incombe à l’employeur de garantir la sécurité et la santé des travailleurs. Il faut à ce point définir in concreto le contenu et la portée de ladite obligation, formulée, comme on l’a vu, en termes absolus.
101. À ce propos, nous sommes d’accord avec les parties pour retenir que cette définition doit s’opérer à la lumière de l’ensemble des dispositions de la directive-cadre et, notamment, de son article 6, qui définit les obligations générales de l’employeur, bien qu’il nous semble que plusieurs indications à ce sujet puissent déjà être tirées de la lecture du texte de l’article 5, paragraphe 1.
102. En premier lieu, il nous semble clair que cette disposition impose au débiteur de l’obligation un comportement positif, consistant dans l’adoption de mesures destinées à la réalisation de l’objectif de protection du bien juridique de la sécurité et de la santé des travailleurs visé dans ladite disposition.
103. En second lieu, puisque l’obligation en question consiste à «garantir» la protection dudit bien juridique, de telles mesures doivent être adéquates et suffisantes dans ce but. En d’autres termes, étant donné la formulation de l’énoncé contenu à l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre, l’obligation consacrée par cette disposition à la charge de l’employeur implique, à notre avis, l’adoption de toute mesure qui se révélerait nécessaire pour garantir la sécurité et la santé des travailleurs dans tout aspect lié au travail.
104. Cette conclusion est du reste confirmée par l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive-cadre, aux termes duquel «[d]ans le cadre de ses responsabilités, l’employeur prend les mesures nécessaires pour la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs […]».
105. En troisième lieu, la finalité de la protection poursuivie par l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre impose d’interpréter l’obligation mise à la charge de l’employeur en termes essentiellement de prévention. Cette obligation se matérialise donc, d’une part, dans la prévision et dans l’évaluation des risques pour la sécurité et la santé des travailleurs créés par l’activité d’entreprise et, d’autre part, dans la détermination et dans la mise en œuvre des mesures préventives nécessaires.
106. L’article 9, paragraphe 1, de la directive-cadre explicite le contenu des obligations de prévention qui incombent à l’employeur dans le sens qui vient d’être précisé. En vertu de cette disposition, l’employeur doit «disposer d’une évaluation des risques pour la sécurité et la santé au travail, y compris ceux concernant les groupes des travailleurs à risques particuliers» [article 9, paragraphe 1, sous a)] et «déterminer les mesures de protection à prendre et, si nécessaire, le matériel de protection à utiliser» [article 9, paragraphe 1, sous b)].
107. De la même façon, en listant les principes généraux de prévention par le biais desquels il est donné une matérialisation à l’obligation de sécurité incombant à l’employeur, l’article 6, paragraphe 2, de la directive-cadre dispose que les mesures de prévention mises en œuvre par l’employeur doivent en particulier viser à «éviter les risques» [sous a)], «évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités» [sous b)], «combattre les risques à la source» [sous c)], «planifier la prévention […]» [sous g)].
108. En quatrième lieu, puisque le progrès technique et l’évolution des systèmes de production peuvent conduire tant à la création de nouveaux risques pour la sécurité et la santé des travailleurs qu’à la diversification et au perfectionnement des mesures de protection, l’obligation de sécurité incombant à l’employeur doit s’interpréter dans un sens dynamique et comporte une constante adaptation aux circonstances de nature à influer sur le nombre et sur l’importance des risques auxquels sont soumis les travailleurs ainsi que sur l’efficacité des mesures nécessaires afin d’éviter ou de limiter de tels risques.
109. Dans ce sens, l’article 6, paragraphe 2, de la directive-cadre précise que, en adoptant les mesures de prévention, l’employeur doit «tenir compte de l’état d’évolution de la technique» [sous e)].
110. Il ressort, enfin, des critères généraux de prévention énoncés à l’article 6, paragraphe 2, sous b) – lequel, comme on l’a vu, impose à l’employeur d’«évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités» – et sous f), de la directive-cadre – en vertu duquel l’employeur est tenu de «remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux» – que l’obligation générale de sécurité prévue à l’article 5, paragraphe 1, ne s’étend pas jusqu’à imposer à l’employeur la mise en place d’un environnement de travail dénué de tout risque.
111. Les éléments d’analyses exposés aux points 102 à 110 ci-dessus permettent de conclure que, en vertu de l’obligation de sécurité prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre, l’employeur est tenu de prévenir ou de limiter, dans la mesure du possible et compte tenu de l’évolution de la technique, tous les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs concrètement prévisibles.
112. Traduit en termes de responsabilité, ce qui est affirmé ci-dessus implique que seront imputables à l’employeur tant l’apparition de risques prévisibles et évitables pour la sécurité des travailleurs que les conséquences d’événements qui constituent la concrétisation de tels risques, puisque dans les deux cas il s’agit du résultat d’une violation de l’obligation générale de sécurité telle que définie ci‑dessus.
113. À l’inverse, il ne sera imputable à ce titre à l’employeur ni l’apparition de risques imprévisibles et/ou inévitables, ni les conséquences d’événements constituant la matérialisation de tels risques.
114. Or, les hypothèses de non-imputabilité décrites ci-dessus couvrent l’ensemble des cas prévus à l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive-cadre, alors que les hypothèses d’imputabilité décrites au point 112 ci‑dessus correspondent aux cas par rapport auxquels ladite disposition, interprétée a contrario, exclut la faculté des États membres de prévoir l’exclusion ou la limitation de la responsabilité de l’employeur.
115. La thèse avancée au point 96 ci-dessus est donc confirmée par l’interprétation systématique de l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre.
116. Il s’ensuit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive-cadre doit s’interpréter en ce sens qu’il définit la portée de la responsabilité de l’employeur résultant de l’inobservation de l’obligation générale de sécurité prévue au paragraphe 1 du même article.
117. Contrairement à ce qui est soutenu par la Commission, ladite disposition ne permet donc pas, ni lue isolément ni conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 5, d’affirmer que la directive-cadre a entendu instituer la responsabilité objective de l’employeur.
118. Quoique définie en termes particulièrement larges, la responsabilité de l’employeur découlant de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de ladite directive est au contraire une responsabilité pour faute, consécutive à l’inobservation de l’obligation de sécurité mise à la charge de l’employeur.
119. Cette conclusion n’est pas infirmée par la formulation de l’article 5, paragraphe 4, premier alinéa, en termes de simple faculté des États membres d’exclure ou de limiter la responsabilité de l’employeur dans les cas prévus par cette disposition. L’option du législateur communautaire en faveur d’une telle formulation s’explique par la volonté de laisser les États membres libres de soumettre l’employeur à une responsabilité plus étendue que celle découlant de l’article 5, paragraphes 1 et 4, premier alinéa, de la directive-cadre, c’est-à-dire une responsabilité qui va jusqu’à couvrir tout événement dommageable à la santé des travailleurs, même au cas où aucune négligence dans la mise en place des mesures de prévention ne serait imputable à l’employeur. C’est dans ce sens que doit s’entendre, à notre avis, la précision supplémentaire apportée par l’article 5, paragraphe 4, second alinéa, en vertu duquel «[l]es États membres ne sont pas tenus d’exercer la faculté visée au premier alinéa».
120. Sur la base des conclusions auxquelles nous sommes parvenu sur l’interprétation de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre, nous abordons l’examen du bien-fondé des griefs soulevés par la Commission dans le présent recours.
3. Sur la prétendue violation de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive‑cadre par le Royaume-Uni
121. À la lumière de ce qui a été exposé jusqu’ici, nous estimons que les arguments de la Commission partent d’une interprétation erronée des dispositions de la directive-cadre.
122. Bien qu’en soi cette constatation soit, à notre avis, suffisante pour rejeter le recours, il nous semble opportun de formuler quelques réflexions supplémentaires pour l’hypothèse où la Cour, tout en partageant l’interprétation desdites dispositions que nous suggérons, devrait juger nécessaire de poursuivre l’examen du recours et apprécier, à la lumière de cette interprétation, l’existence du manquement reproché au Royaume-Uni.
123. Dans ses mémoires en défense, l’État membre défendeur a souligné à plusieurs reprises que l’inobservation des obligations que la section 2 du HSW Act met à la charge de l’employeur est sanctionnée pénalement. Selon cet État membre, l’option du législateur britannique en faveur d’une responsabilité pénale en raison de la violation des obligations de prévention qui incombent à l’employeur assure un système de protection plus efficace et parfaitement compatible avec les dispositions de la directive-cadre, cette dernière n’imposant pas aux États membres la prévision d’une forme particulière de responsabilité en vue de sanctionner de telles transgressions. Le Royaume-Uni fait valoir, toutefois, que l’interprétation de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de ladite directive proposée par la Commission, si elle était entérinée par la Cour, imposerait au législateur britannique l’abandon de cette option dès lors qu’une responsabilité pénale objective ne serait pas envisageable.
124. À ce sujet, nous estimons nécessaire de préciser que la directive-cadre, outre qu’elle n’impose pas aux États membres l’adoption d’une forme particulière de responsabilité, comme l’a souligné à juste titre le Royaume-Uni, ne présuppose pas non plus une identité d’étendue des diverses formes de responsabilité, civile, pénale ou autre, prévues par chaque ordre juridique national.
125. En d’autres termes, si en vertu de la directive-cadre les États membres sont tenus de prévoir un régime de responsabilité de l’employeur conforme au modèle qui ressort des dispositions de cette directive, ces derniers sont libres tant de choisir la forme de ladite responsabilité que de prévoir d’autres formes de responsabilité éventuellement moins étendues que celle prescrite par lesdites dispositions. C’est ainsi qu’à notre avis le choix d’un État membre de prévoir une responsabilité civile de l’employeur pour l’hypothèse de non-respect de l’obligation générale de sécurité telle qu’interprétée ci-dessus et, en même temps, une forme de responsabilité pénale limitée, par exemple, à la seule violation des prescriptions plus précises de la réglementation en matière d’accident ne serait pas critiquable.
126. Il s’ensuit que la clause litigieuse dans la présente instance ne serait pas critiquable s’il fallait parvenir à la conclusion que ladite clause détermine une responsabilité de l’employeur moins large que celle que l’on doit considérer comme imposée par la directive-cadre, mais qu’elle circonscrit uniquement ladite responsabilité dans le champ pénal et que le droit britannique prévoit une forme de responsabilité civile de l’employeur dont l’étendue correspond en revanche pleinement au régime de responsabilité voulue par la directive-cadre.
127. Or, s’il est vrai que dans le système britannique la responsabilité civile de l’employeur est prévue uniquement au titre de la violation d’obligations précises prévues à la charge de l’employeur par des dispositions législatives spécifiques et non pas au titre de la transgression de l’obligation générale de sécurité énoncée à la section 2, paragraphe 1, du HSW Act (12), il ressort toutefois du dossier qu’il existe en «common law» une forme de responsabilité civile de l’employeur pour inobservation du devoir de diligence à l’égard de ses travailleurs.
128. Conformément avec le présupposé sur lequel la Commission s’est fondée à propos de la nature objective de la responsabilité de l’employeur prescrite par la directive-cadre, cette forme de responsabilité n’a pas été prise en compte dans le cadre du recours.
129. Dans l’hypothèse où la Cour, tout en partageant l’interprétation de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive‑cadre à laquelle nous sommes parvenu dans la présente analyse, ne considérerait pas comme suffisante pour rejeter le recours la seule constatation de l’inexactitude de l’interprétation dont part en revanche la Commission et estimerait donc devoir poursuivre l’examen du recours, l’exacte appréciation de la position du Royaume-Uni ne saurait, à notre avis, faire abstraction du point de savoir si la responsabilité civile à laquelle est assujetti l’employeur en «common law» est au moins aussi large que celle qui ressort des dispositions de la directive-cadre. Dans l’affirmative, en effet, le manquement invoqué par la Commission n’existerait pas.
130. En effet, selon la jurisprudence, la transposition en droit interne d’une directive n’exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de son contenu dans une disposition légale expresse et spécifique et peut, en fonction de son contenu, se satisfaire d’un contexte juridique général, à la condition que celui‑ci assure effectivement la pleine application de la directive d’une façon suffisamment claire et précise (13).
131. Il faut en outre rappeler que, dans le cadre d’un recours introduit en application de l’article 226 CE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans que la Commission puisse se fonder sur une présomption quelconque (14).
132. Pour l’ensemble des motifs exposés, nous estimons que, si la Cour, tout en partageant l’interprétation de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre que nous avons suggérée, n’estime toutefois pas suffisant pour rejeter le recours de constater l’inexactitude de l’interprétation dont part la Commission, celui‑ci doit en toute hypothèse être rejeté, puisqu’il est fondé sur une analyse insuffisante du système britannique, afin d’en apprécier la conformité avec les prescriptions de la directive-cadre.
133. Les conclusions auxquelles nous sommes parvenu partent de la prémisse, exposée aux points 57 à 59 ci-dessus, que le recours vise à critiquer la légalité de la clause SFAIRP uniquement sous l’aspect de son aptitude à circonscrire l’étendue de la responsabilité de l’employeur pour les conséquences résultant d’actes dommageables à la santé des travailleurs dans un sens contraire à ce qui est prévu à l’article 5, paragraphes 1 et 4, de la directive-cadre.
134. C’est donc à titre très subsidiaire et seulement dans l’hypothèse où la Cour déciderait d’interpréter le recours comme destiné à faire valoir l’illégalité de ladite clause également dans la mesure où elle est susceptible de limiter la portée de l’obligation de sécurité incombant à l’employeur énoncée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre, que nous examinerons ci-après brièvement le bien-fondé de ce grief.
135. Les réflexions exposées aux points 102 à 110 ci-dessus ont permis de dessiner les contours de l’obligation générale de sécurité tels qu’ils ressortent de l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre et des dispositions de cette dernière qui contribuent à concrétiser ladite obligation.
136. Au point 111 ci-dessus, il est affirmé que, en vertu de l’obligation de sécurité prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive-cadre, l’employeur est tenu de prévenir ou de limiter, dans la mesure du possible, et compte tenu de l’évolution de la technique, tous les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs concrètement prévisibles.
137. Cela implique, en particulier, que la possibilité technique réelle d’élimination ou de réduction d’un risque pour la sécurité et la santé des travailleurs constitue le critère en vertu duquel apprécier in concreto la conformité de la conduite de l’employeur aux prescriptions qui ressortent de la directive‑cadre.
138. Or, la référence dans la section 2, paragraphe 1, du HSW Act à la notion de «praticabilité raisonnable», en ce qu’elle introduit un critère d’évaluation de l’adéquation de l’activité de prévention moins rigoureux que la simple possibilité technique est, à notre avis, incompatible avec la portée qu’il faut attribuer à l’obligation générale de sécurité prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive‑cadre.
139. Le test que les juges britanniques sont tenus d’effectuer pour apprécier la conformité de la conduite de l’employeur à la section 2, paragraphe 1, du HSW Act implique une appréciation qui va au-delà de la constatation de la possibilité de prévenir l’apparition d’un risque ou de limiter son importance en fonction des possibilités offertes par la technique et permet (ou plutôt impose), même pour des risques concrètement éliminables, d’opérer une mise en balance entre les coûts, non seulement en termes économiques, des mesures de prévention, d’une part, et la gravité et l’étendue des préjudices qui pourraient résulter des risques pour la santé des travailleurs, de l’autre.
140. Or, une telle analyse coûts-bénéfices – à supposer même que, comme souligné par le Royaume-Uni, elle conduise difficilement, dans la pratique, à un résultat favorable à l’employeur – ne nous semble pas admissible sur la base du système communautaire de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, lequel apparaît accorder une priorité à la protection de la personne du travailleur sur celle de l’initiative économique (15).
141. Il s’ensuit que, au cas où la Cour interpréterait les griefs formulés par la Commission dans le sens décrit au point 134 ci-dessus, le recours doit à notre avis être accueilli.
VI – Sur les dépens
142. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
143. Puisque nous suggérons à la Cour de rejeter le recours et étant donné que le Royaume-Uni a demandé la condamnation de la requérante aux dépens, nous estimons que ces derniers devraient être mis à la charge de la Commission.
VII – Conclusions
144. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:
«– Le recours est rejeté;
– La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.»
1 – Langue originale: l’italien.
2 – JO L 183, p. 1.
3 – JO 1988, C 28, p. 3.
4 – Jusqu’à aujourd’hui dix-neuf directives particulières ont été adoptées sur la base de l’article 16, paragraphe 1, de la directive-cadre.
5 – À propos du choix de la base juridique adéquate à la réglementation d’aspects spécifiques du domaine en question, voir arrêt du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil (C‑84/94, Rec. p. I‑5755).
6 – Voir point 2 supra.
7 – Il ressort du dossier que les obstacles à la reconnaissance de la responsabilité civile des employeurs pour violation d’obligations spécifiques découlant des dispositions en matière de sécurité et de santé des travailleurs ont été définitivement supprimés, à la suite d’interventions de la Commission, par une modification des règlements relatifs à la gestion de la santé et de la sécurité au travail (Management of Health and Safety at Work Regulations), entrée en vigueur le 23 octobre 2003.
8 – Des dispositions correspondant à la section 2, paragraphes 1 et 2, du HSW Act figurent dans la section 4, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à la santé et à la sécurité au travail (Irlande du Nord) (Health and Safety at Work, Northern Ireland Act) de 1978.
9 – C’est nous qui soulignons.
10 – Ces solutions consistaient en une déclaration conjointe du Conseil et de la Commission, dans la prévision d’une clause générale dans le texte de la directive ou alors dans l’insertion d’une clause spéciale dans les diverses dispositions de celle-ci, alors que la possibilité d’adopter une formulation différenciée des dispositions pertinentes de la directive-cadre dans les diverses versions linguistiques, solution adoptée dans plusieurs conventions de l’Organisation internationale du travail, avait été écartée dès le départ.
11 – C’est dans ce sens que semble du reste l’avoir interprétée également la Commission lors de son insertion dans le texte de la directive. Dans une déclaration inscrite au procès-verbal de la réunion du Conseil du 12 juin 1989, et reprise au point 25 de la requête, la Commission observait que «la référence [qui figure à l’article 5, paragraphe 4, de la directive-cadre] à des événements exceptionnels dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée, ne saurait en aucun cas être interprétée comme laissant l’employeur libre d’apprécier si les normes doivent ou non être appliquées, compte tenu du temps, des difficultés et des dépenses qu’implique leur mise en œuvre».
12 – Pour laquelle, comme on l’a vu, la responsabilité civile est expressément exclue par la section 47, paragraphe 1, du HSW Act.
13 – Voir, en particulier, arrêts du 7 janvier 2004, Commission/Espagne (C‑58/02, Rec. p. I‑621, point 26), et du 20 octobre 2005, Commission/Royaume-Uni (C‑6/04, Rec. p. I‑9017, point 21).
14 – Voir arrêt du 12 mai 2005, Commission/Belgique (C‑287/03, Rec. p. I‑3761, point 27, et jurisprudence citée).
15 – Divers éléments dans ce sens transparaissent de la directive-cadre. Il faut tenir compte, en particulier, outre du treizième considérant invoqué par la Commission, du critère énoncé à l’article 6, paragraphe 2, sous d), qui impose d’«adapter le travail à l’homme».