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Document 62004TJ0276

    Arrêt du Tribunal de première instance (quatrième chambre) du 1er juillet 2008.
    Compagnie maritime belge SA contre Commission des Communautés européennes.
    Concurrence - Abus de position dominante collective - Conférence maritime - Décision infligeant une amende sur le fondement d’une décision antérieure partiellement annulée par la Cour - Règlement (CEE) nº 2988/74 - Délai raisonnable - Droits de la défense - Sécurité juridique - Autorité de la chose jugée.
    Affaire T-276/04.

    Recueil de jurisprudence 2008 II-01277

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2008:237

    ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

    1er juillet 2008 ( *1 )

    «Concurrence — Abus de position dominante collective — Conférence maritime — Décision infligeant une amende sur le fondement d’une décision antérieure partiellement annulée par la Cour — Règlement (CEE) no 2988/74 — Délai raisonnable — Droits de la défense — Sécurité juridique — Autorité de la chose jugée»

    Dans l’affaire T-276/04,

    Compagnie maritime belge SA, établie à Anvers (Belgique), représentée par Me D. Waelbroeck, avocat,

    partie requérante,

    contre

    Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. É. Gippini Fournier, P. Hellström et F. Amato, puis par M. Gippini Fournier, en qualité d’agents,

    partie défenderesse,

    ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2005/480/CE de la Commission, du 30 avril 2004, relative à une procédure au titre de l’article 82 CE (Affaires COMP/D/32.448 et 32.450) (résumé au JO 2005, L 171, p. 28), imposant une amende à la requérante pour de prétendus abus de position dominante collective commis par la conférence Cewal et, à titre subsidiaire, la réduction de ladite amende,

    LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

    composé de MM. O. Czúcz, président, J. D. Cooke (rapporteur) et Mme I. Labucka, juges,

    greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 novembre 2007,

    rend le présent

    Arrêt

    Antécédents du litige

    1

    Par décision 93/82/CEE, du 23 décembre 1992, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/32.448 et IV/32.450 : Cewal, Cowac, Ukwal) et de l’article 86 du traité CEE (IV/32.448 et IV/32.450 : Cewal) (JO 1993, L 34, p. 20), la Commission a condamné certaines entreprises membres de la conférence maritime Associated Central West Africa Lines (ci-après « Cewal ») au paiement d’amendes pour abus de position dominante collective. À ce titre, la requérante, Compagnie maritime belge SA, s’est vu infliger une amende d’un montant de 9,6 millions d’écus.

    2

    Le dispositif de la décision 93/82 se lit comme suit :

    « Article premier

    […]

    Article 2

    En vue d’obtenir l’élimination du principal concurrent indépendant sur le trafic en cause, les entreprises membres de la conférence maritime Cewal ont abusé de leur position dominante conjointe de la manière suivante :

    en participant à la mise en oeuvre de l’accord de coopération avec l’Ogefrem et en demandant itérativement par diverses démarches son strict respect,

    en modifiant ses taux de fret en dérogeant aux tarifs en vigueur afin d’offrir des taux identiques ou inférieurs à ceux du principal concurrent indépendant pour des navires partant à la même date ou à des dates voisines (pratique dite des fighting ships/navires de combat)

    et

    en établissant des accords de fidélité imposés à 100 % (y compris sur les marchandises vendues franco à bord) allant au-delà des dispositions de l’article 5[, paragraphe] 2[,] du règlement (CEE) no 4056/86, avec l’utilisation spécifique décrite dans la présente décision faite des ‘ listes noires ’ de chargeurs infidèles.

    Article 3

    […]

    Les entreprises membres de la conférence maritime Cewal sont également tenues de mettre fin aux infractions constatées à l’article 2.

    Article 4

    […]

    Article 5

    Il est recommandé aux entreprises membres de la conférence maritime Cewal de mettre les termes de leurs contrats de fidélité en conformité avec l’article 5, [paragraphe] 2, du règlement (CEE) no 4056/86.

    Article 6

    Des amendes sont infligées aux entreprises membres de la conférence maritime Cewal en raison des infractions constatées à l’article 2, à l’exception des compagnies maritimes : Compagnie maritime zaïroise (CMZ), Angonave, Portline, et Scandinavian West Africa Lines (Swal).

    Ces amendes sont les suivantes :

    Compagnie maritime belge : 9,6 millions (neuf millions six cent mille) [d’]écus,

    Dafra Line : 200000 (deux cent mille) écus,

    Nedlloyd Lijnen BV : 100000 (cent mille) écus,

    Deutsche Afrika Linien-Woermann Linie : 200000 (deux cent mille) écus.

    Article 7

    Les amendes infligées à l’article 6 sont à payer dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la présente décision […]

    […]

    Article 8

    Les conférences maritimes Cewal, Cowac et Ukwal et leurs entreprises membres, dont la liste figure à l’annexe I, sont destinataires de la présente décision. »

    3

    La requérante est une société holding du groupe Compagnie maritime belge (CMB) qui exerce des activités notamment dans le secteur de l’armement, de la gestion et de l’exploitation des opérations de trafic maritime. Au moment des faits en cause dans la décision 93/82, elle était membre de Cewal, qui regroupait des compagnies maritimes assurant un service de ligne régulière entre, d’une part, les ports du Zaïre (devenu la République du Congo) et de l’Angola et, d’autre part, ceux de la mer du Nord, à l’exception du Royaume-Uni. Le secrétariat de Cewal était situé à Anvers (Belgique).

    4

    La requérante ainsi que Dafra-Lines A/S ont introduit devant le Tribunal des recours en annulation contre la décision 93/82. Ces recours ont été rejetés en ce qui concerne la constatation des infractions (arrêt du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T-24/93 à T-26/93 et T-28/93, Rec. p. II-1201, ci-après l’« arrêt CMB du Tribunal »). Le Tribunal a toutefois réduit le montant des amendes infligées. S’agissant de la requérante, l’amende a été ramenée de 9,6 à 8,64 millions d’écus.

    5

    La requérante et Dafra-Lines ont formé un pourvoi contre l’arrêt du Tribunal. Par arrêt du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission (C-395/96 P et C-396/96 P, Rec. p. I-1365, ci-après l’« arrêt CMB de la Cour »), la Cour a rejeté tous les moyens du pourvoi relatifs à la constatation des infractions dans la décision 93/82. Elle a toutefois jugé, aux points 142 à 147 de son arrêt, que le Tribunal avait commis une erreur de droit en infligeant des amendes aux différents membres de Cewal en fonction de leur degré de participation aux infractions, alors même que seule Cewal avait été directement destinataire de la communication des griefs (les membres de Cewal en ayant reçu seulement copie pour commentaires) et, partant, débiteur potentiel de l’amende. Partant, la Cour, statuant elle-même définitivement sur le litige, a annulé les articles 6 et 7 de la décision 93/82, relatifs aux amendes infligées aux membres de Cewal.

    6

    À la suite de l’arrêt CMB de la Cour, la Commission a remboursé à la requérante le montant de l’amende versée.

    7

    Le 15 avril 2003, la Commission a notifié à la requérante une nouvelle communication des griefs (ci-après la « CG 2003 ») l’informant de son intention d’adopter une nouvelle décision visant à lui infliger une amende pour les infractions à l’article 82 CE visées à l’article 2 de la décision 93/82, dans la mesure où les appréciations de la Commission relatives aux infractions et aux entreprises y ayant participé n’avaient pas été annulées dans le cadre des recours successifs dirigés contre cette dernière.

    8

    Par décision 2005/480/CE, du 30 avril 2004, relative à une procédure au titre de l’article 82 CE (Affaires COMP/D/32.448 et 32.450 — Compagnie maritime belge) (résumé au JO 2005, L 171, p. 28, ci-après la « décision contestée »), la Commission a infligé à la requérante une amende de 3,4 millions d’euros pour les infractions à l’article 82 CE constatées dans la décision 93/82, à savoir aux considérants 20 à 27 en ce qui concerne l’accord avec l’Office zaïrois de gestion du fret maritime (ci-après l’« Ogefrem »), aux considérants 28 et 29 en ce qui concerne les listes noires et les contrats de fidélité, au considérant 32 en ce qui concerne les navires de combat, et aux articles 2 à 5 du dispositif de ladite décision.

    Procédure et conclusions des parties

    9

    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 juillet 2004, la requérante a introduit le présent recours.

    10

    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, il a posé des questions écrites aux parties. Les parties y ont répondu dans les délais impartis.

    11

    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 20 novembre 2007.

    12

    La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    annuler la décision contestée ;

    à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende ;

    condamner la Commission aux dépens.

    13

    La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

    rejeter le recours ;

    condamner la requérante aux dépens.

    En droit

    14

    À l’appui de son recours, la requérante invoque huit moyens. Les quatre premiers moyens visent, à titre principal, à l’annulation de la décision contestée et sont tirés, premièrement, de la violation du principe du délai raisonnable et des règles de prescription, deuxièmement, d’une violation des droits de la défense, troisièmement, de ce que, dans l’arrêt CMB de la Cour, cette dernière n’a pas « établi de façon irrévocable » les abus et, quatrièmement, d’une « insuffisance de la motivation et d’une absence de justification » de la décision contestée. Le Tribunal examinera successivement les premier, troisième, deuxième et quatrième moyens.

    15

    Les quatre autres moyens tendent, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende et sont pris du caractère discriminatoire de l’amende (cinquième moyen), de son caractère disproportionné (sixième moyen), de ce que l’amende a été imposée en violation de la pratique habituelle de la Commission (septième moyen) et enfin, d’un détournement de pouvoir (huitième moyen).

    Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision contestée

    Sur le premier moyen, tiré de la violation du principe du délai raisonnable et des règles de prescription

    — Arguments des parties

    16

    La requérante articule le présent moyen en deux branches. D’une part, la Commission aurait adopté la décision contestée en dehors de tout délai raisonnable. D’autre part, elle aurait enfreint les dispositions du règlement (CEE) no 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1).

    17

    S’agissant de la première branche, la requérante fait valoir que la décision contestée a été adoptée tardivement, à savoir plus de quatre années après l’arrêt CMB de la Cour. Ce retard de la Commission, totalement inexpliqué, serait injustifiable au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1), de la jurisprudence communautaire et de celle de la Cour européenne des droits de l’homme, au vu notamment du montant élevé de l’amende, de l’absence de complexité de la décision contestée (la Commission n’examinant pas les infractions en cause dans la décision 93/82) et du fait que le retard ne serait pas imputable à la requérante. En outre, tant le principe de sécurité juridique que celui de la protection de la confiance légitime s’opposeraient à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs. Dans ces conditions, la réduction du montant de l’amende opérée par la Commission pour tenir compte de la durée de la procédure ne serait pas suffisante. De surcroît, la Commission aurait commis une violation des droits de la défense de la requérante en ce que ni Cewal ni la requérante ne sont plus actives dans le secteur concerné et, partant, ne seraient pas en mesure de se défendre efficacement en raison de la difficulté de retrouver certains documents ou d’interroger d’anciens employés.

    18

    En ce qui concerne la seconde branche, la requérante fait valoir que la décision contestée a été adoptée en violation du règlement no 2988/74. En effet, le délai de prescription de cinq années après la fin des infractions prévu par ledit règlement ne pourrait être suspendu ou interrompu que dans les conditions qui y sont strictement énumérées. Du reste, l’interruption de la prescription, qui constitue une exception au principe de la prescription quinquennale, devrait être interprétée de manière restrictive (arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T-213/00, Rec. p. II-913, point 484, et arrêt de la Cour du 24 juin 2004, Handlbauer, C-278/02, Rec. p. I-6171, point 40).

    19

    Or, la communication des griefs du 28 mai 1990, à la suite de laquelle la décision 93/82 a été adoptée (ci-après la « CG 1990 ») ayant été adressée à Cewal, et non à la requérante qui n’en aurait reçu copie que pour commentaires en sa qualité de membre de Cewal (et non en tant que destinataire potentielle de la décision infligeant des amendes), la CG 1990 n’aurait pas interrompu la prescription à l’égard de la requérante, qui n’était pas une entreprise « identifiée » comme « ayant participé à l’infraction » au sens de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 2988/74. Il en irait de même mutatis mutandis en ce qui concerne les actes subséquents à la CG 1990, comme les demandes de renseignements envoyées à la requérante et non à Cewal. De la même façon, la décision 93/82, bien qu’adressée à la requérante et annulée dans sa partie concernant l’amende, ne saurait être opposée à la requérante au regard de la prescription, puisque l’amende serait la seule question pertinente en matière de prescription.

    20

    En tout état de cause, le règlement no 2988/74 devrait selon la requérante être lu à la lumière des principes supérieurs du droit communautaire, qui priment le droit secondaire, tels que celui de sécurité juridique, celui du respect des droits de la défense, ou celui du délai raisonnable (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 29), avec lesquels la longue inaction de la Commission observée préalablement à la réouverture de la procédure serait incompatible. À cet égard, l’arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité, ne serait pas invocable. Lors de l’audience, la requérante a en outre fait valoir que la solution retenue dans ledit arrêt ne trouvait pas application en l’espèce au motif que la décision contestée avait été adoptée après un arrêt de la Cour et que, dans l’intervalle, la Commission n’avait procédé à aucune instruction, puisqu’elle s’était simplement référée dans la décision contestée aux abus définitivement établis dans la décision 93/82.

    21

    La Commission considère le premier moyen comme non fondé. Elle fait valoir en substance que la décision contestée a été adoptée dans le respect des règles de prescription du règlement no 2988/74. Dans le mémoire en défense et dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal, la Commission invoque l’arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité (points 321 à 324) et fait valoir que, en l’absence de prescription au sens du règlement no 2988/74, toute application du principe du délai raisonnable doit être écartée. À supposer toutefois ce dernier principe applicable, et à supposer de surcroît qu’un délai raisonnable ait été méconnu, la Commission fait valoir qu’une telle situation ne justifierait pas l’annulation de la décision contestée dans la mesure où la requérante n’apporte pas la preuve qu’il y a eu violation de ses droits de la défense. La diminution du montant de l’amende qu’elle a accordée ne remettrait pas ce point de vue en cause.

    — Appréciation du Tribunal

    22

    À titre liminaire, il convient de constater que la décision contestée, qui vise exclusivement, d’une part, à infliger à la requérante, sur le fondement des infractions strictement identiques à celles qui avaient été constatées dans la décision 93/82, une nouvelle amende, d’un montant réduit par rapport à l’amende initiale annulée par l’arrêt CMB de la Cour, et, d’autre part, à corriger les vices de forme sanctionnés dans ledit arrêt (considérants 1, 17, 41, 61 et 108 de la décision contestée), s’analyse exclusivement comme une décision infligeant une amende au sens de l’article 19, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 4056/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d’application des articles [81 CE] et [82 CE] aux transports maritimes (JO L 378, p. 4), et non comme une décision de constatation d’infraction au sens de l’article 11, paragraphe 2, du même règlement. En effet, les abus ont été constatés de manière définitive par la Commission dans les parties non annulées de la décision 93/82 (voir point 8 ci-dessus et points 55 à 60 ci-après).

    23

    Il ressort des dispositions du règlement no 2988/74 que, dans la mesure où la Commission inflige une amende, la décision contestée doit, sous peine d’illégalité, avoir été adoptée dans le respect des règles de prescription qui y sont édictées. Il convient donc de commencer l’examen du premier moyen par celui de sa seconde branche et de déterminer si la prescription était acquise en application dudit règlement à la date d’adoption de la décision contestée, à savoir le 30 avril 2004.

    24

    L’article 1er du règlement no 2988/74 instaure en son paragraphe 1, sous b), un délai de prescription de cinq ans pour prononcer des amendes ou des sanctions pour des infractions telles que celles en cause. Pour les infractions continues, comme en l’espèce, ce délai court à compter de la fin des infractions (article 1er, paragraphe 2).

    25

    En vertu de l’article 2 du règlement no 2988/74, la prescription des poursuites est interrompue par tout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. Un tel acte peut notamment consister en l’envoi de demandes de renseignements écrites [article 2, paragraphe 1, sous a)] ou d’une communication des griefs [article 2, paragraphe 1, sous d)], une telle interruption valant à l’égard de toutes les entreprises ou associations d’entreprises ayant participé à l’infraction (article 2, paragraphe 2).

    26

    En vertu de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2988/74, la prescription court de nouveau pendant cinq ans à compter de chaque interruption, dans la limite d’un délai égal au double du délai de prescription, c’est-à-dire dix ans en ce qui concerne les infractions en cause.

    27

    En outre, le délai de prescription est prorogé de la période pendant laquelle la prescription est suspendue en application de l’article 3 du règlement no 2988/74, à savoir aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant la Cour (arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375, ci-après l’« arrêt PVC II de la Cour », points 144 à 147 ; arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit « PVC II », T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931, ci-après l’« arrêt PVC II du Tribunal », points 1098 et 1101).

    28

    Il convient donc d’examiner, d’une part, si le délai de prescription quinquennale a été respecté et, d’autre part, si la prescription a été interrompue, et, dans l’affirmative, si la Commission a également respecté le délai de la prescription décennale.

    29

    Il convient de rappeler que, selon la décision 93/82 et, le cas échéant, les constatations opérées par le Tribunal dans son arrêt CMB (points 241 et 242), l’accord avec l’Ogefrem a été en vigueur jusqu’à la fin de septembre 1989 et les accords de fidélité l’ont été jusqu’à la fin de novembre 1989. Enfin, la pratique des navires de combat s’est terminée à la fin de novembre 1989. Il en résulte que le délai de prescription a commencé à courir, au plus tôt, à la fin du mois de septembre 1989.

    30

    S’agissant, tout d’abord, du délai de prescription quinquennale, ce dernier a d’abord été interrompu, en application de l’article 2, paragraphe 1, sous d), du règlement no 2988/74, par la notification à Cewal de la CG 1990.

    31

    La requérante conteste cette réalité au motif qu’elle n’était pas destinataire de la CG 1990 adressée à Cewal. Or, le Tribunal considère qu’un tel argument ne saurait prospérer. En effet, conformément au libellé de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 2988/74, l’interruption de la prescription vaut à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction en cause. À cet égard, il est incontestable que la requérante a participé aux infractions, même si elle n’était pas « identifiée » comme telle dans la CG 1990 (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos/Commission, T-120/04, Rec. p. II-4441, point 47).

    32

    Il importe de rappeler en outre que les demandes de renseignements écrites, actes indépendants de la communication des griefs, interrompent la prescription, à condition d’être nécessaires à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction (arrêt CMA CGM e.a/Commission, précité, point 487). À cet égard, il importe peu que lesdites demandes soient postérieures à la CG 1990. Il y a lieu de considérer prima facie que les demandes de renseignements en cause étaient nécessaires à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. Du reste, la requérante n’a nullement contesté en l’espèce le fait que les demandes de renseignements en cause ont été nécessaires. Lesdites demandes de renseignements ont donc elles aussi interrompu la prescription.

    33

    Quant à la décision 93/82, qui n’a pas été annulée dans ses parties établissant la participation de la requérante, au sens de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 2988/74, aux infractions à l’article 82 CE, elle continue à produire ses pleins effets, notamment en ce qui concerne l’interruption de la prescription à l’égard de la requérante.

    34

    Le délai de prescription quinquennale a ensuite été suspendu, en application de l’article 3 du règlement no 2988/74, pendant la durée de la procédure relative au recours dirigé contre la décision 93/82, tant devant le Tribunal que devant la Cour (du 19 mars 1993 au 16 mars 2000, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la période allant du prononcé de l’arrêt CMB du Tribunal à la saisine de la Cour).

    35

    Après le prononcé de l’arrêt CMB de la Cour, la période la plus longue aux fins du calcul du délai de prescription est celle qui s’est étendue jusqu’à la notification à la requérante de la CG 2003 (15 avril 2003). Cette période, d’une durée d’environ trente-sept mois, est inférieure à cinq ans. Aucune période de plus de cinq ans ne s’étant écoulée depuis la fin des abus après une interruption de la prescription, force est de constater que le délai de la prescription quinquennale a été respecté.

    36

    S’agissant, ensuite, du délai de prescription décennale, force est de constater qu’il court toujours en l’espèce, puisque la CG 1990 a interrompu la prescription. Or, au cours de la période d’environ quatorze ans et demi s’étant écoulée entre la fin des abus, intervenue selon les abus entre la fin de septembre 1989 et décembre 1989, et la notification à la requérante de la décision contestée (30 avril 2004), le délai de prescription décennale a été suspendu pendant la procédure relative au recours dirigé contre la décision 93/82, soit pendant environ sept années.

    37

    Il en résulte que la période, hors suspension, entre la fin des abus constatés et l’adoption de la décision contestée ne dépassant pas dix années, le délai de la prescription décennale au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2988/74, a lui aussi été respecté.

    38

    Partant, la décision contestée a été adoptée dans le respect du règlement no 2988/74.

    39

    Il convient donc maintenant d’examiner l’applicabilité à la présente affaire du principe du délai raisonnable. Un tel principe, repris, en tant que composante du principe de bonne administration, dans l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’impose dans toute procédure administrative communautaire (arrêt du Tribunal du 13 janvier 2004, JCB Service/Commission, T-67/01, Rec. p. II-49, point 36).

    40

    Les parties sont en désaccord sur le point de savoir si le principe du délai raisonnable s’applique en l’espèce (voir points 20 et 21 ci-dessus).

    41

    Dans son arrêt CMA CGM e.a/Commission, précité (point 324), le Tribunal a jugé que le règlement no 2988/74 a institué une réglementation complète régissant en détail les délais dans lesquels la Commission était en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles communautaires de la concurrence. En présence de cette réglementation, toute considération liée à l’obligation pour la Commission d’exercer son pouvoir d’infliger des amendes dans un délai raisonnable doit être écartée. La Cour a implicitement confirmé sur pourvoi (ordonnance de la Cour du 28 octobre 2004, Commission/CMA CGM e.a., C-236/03 P, non publiée au Recueil, point 35) l’appréciation susvisée effectuée par le Tribunal.

    42

    Il y a lieu de considérer que la solution retenue dans l’arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité, tel que confirmé par ladite ordonnance de la Cour, est parfaitement transposable à la présente affaire. En effet, les requérantes se bornaient dans l’affaire CMA CGM e.a./Commission, précité, à invoquer la violation du principe du délai raisonnable non aux fins d’obtenir l’annulation de la décision attaquée, mais à l’appui de leur moyen visant à l’annulation des amendes qui leur étaient infligées ou à la réduction de leur montant. Or, la décision contestée étant une décision infligeant une amende au sens de l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 4056/86 (voir point 22 ci-dessus), le présent moyen visant à son annulation tend en réalité à l’annulation de l’amende qu’elle inflige. En outre, la Commission a adopté la décision contestée dans le respect des délais de prescription prévus par le règlement no 2988/74. Dans ces conditions, il n’y a aucune raison de s’écarter de la solution retenue par le Tribunal dans l’arrêt CMA CGM e.a/Commission, précité.

    43

    Pour ce qui a trait aux arguments, d’ailleurs à peine abordés par la requérante (voir point 20 ci-dessus), visant à écarter l’application à la présente affaire de la solution retenue dans l’arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité, force est de constater que ceux-ci ne résistent pas à l’analyse. En ce qui concerne la référence au principe de sécurité juridique, il convient de rappeler que le règlement no 2988/74 prend expressément en compte, dans son deuxième considérant, la nécessité d’assurer la sécurité juridique, précisément en introduisant le principe de la prescription (arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité, point 322). S’agissant du principe du respect des droits de la défense, il convient de rappeler que, aussi longtemps que la prescription prévue au règlement no 2988/74 n’est pas acquise, toute entreprise ou association d’entreprises faisant l’objet d’une enquête en matière de concurrence au titre du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), demeure dans l’incertitude quant à l’issue de cette procédure et à l’infliction éventuelle de sanctions ou d’amendes. Ainsi, la prolongation de cette incertitude est inhérente aux procédures d’application du règlement no 17 et ne constitue pas, en soi, une atteinte aux droits de la défense (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, T-5/00 et T-6/00, Rec. p. II-5761, point 91, applicable par analogie aux enquêtes effectuées sur le fondement du règlement no 4056/86 et non annulé sur ce point par la Cour).

    44

    En ce qui concerne l’argument de la requérante avancé lors de l’audience et repris à la fin du point 20 ci-dessus, il y a lieu de constater que rien dans le règlement no 2988/74 ne soutient un tel argument, qu’il convient donc de rejeter.

    45

    En outre, s’agissant de l’application des règles de concurrence, le dépassement du délai raisonnable ne peut constituer un motif d’annulation que dans le cas d’une décision constatant des infractions, dès lors qu’il a été établi que la violation de ce principe a porté atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées. En dehors de cette hypothèse spécifique, le non-respect de l’obligation de statuer dans un délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative (arrêt du Tribunal Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektronisch Gebied et Technische Unie/Commission, précité, point 74, et la jurisprudence citée).

    46

    Par ailleurs, la décision prise en équité par la Commission, selon une pratique désormais constante et acceptée par le juge communautaire, de réduire le montant de l’amende en considération de la longueur de la procédure, relève du pouvoir d’appréciation de celle-ci en matière de fixation des amendes et n’est pas de nature à infirmer la non-application en l’espèce du principe du délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité, point 325).

    47

    Il résulte de ce qui précède que, malgré le retard pris par la Commission pour adopter la décision contestée, les délais de prescription au sens du règlement no 2988/74 ayant été respectés, le principe du délai raisonnable ne saurait trouver application.

    48

    Sans qu’il y ait lieu, dans le cadre du présent moyen, d’examiner le grief de la requérante tiré d’une prétendue méconnaissance de ses droits de la défense figurant au point 17 ci-dessus, lequel sera examiné dans le cadre du troisième moyen (voir point 78 ci-après), le premier moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

    Sur le troisième moyen, tiré de l’absence de constatation irrévocable des abus dans l’arrêt CMB de la Cour

    — Arguments des parties

    49

    La requérante reproche en substance à la Commission de ne pas réexaminer, dans la décision contestée, la matérialité des infractions établies dans la décision 93/82 au motif qu’elles ne seraient « plus susceptibles de recours » (considérant 48 de la décision contestée). Ainsi, il serait inconcevable de ne pas pouvoir contester les bases mêmes de la décision contestée.

    50

    Premièrement, les arrêts invoqués par la Commission dans la décision contestée en ce qui concerne l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt CMB de la Cour et à l’arrêt CMB du Tribunal le seraient à tort. En effet, pour avoir autorité de la chose jugée, un arrêt de la Cour doit, selon la requérante, concerner les mêmes parties, les mêmes moyens et, surtout, le même acte (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Altmann e.a./Commission, T-177/94 et T-377/94, Rec. p. II-2041, points 50 à 52). Or, en l’espèce, l’acte attaqué serait distinct de la décision 93/82. En outre, de « multiples moyens » n’auraient pas été soulevés dans le cadre de la procédure relative au recours dirigé contre la décision 93/82. Enfin, l’adoption dissociée de la décision contestée, sur la base de la décision 93/82, adoptée douze ans auparavant, ne saurait être admise.

    51

    Deuxièmement, le droit de la concurrence relevant « fondamentalement du droit pénal » et les « droits fondamentaux applicables au droit pénal […] s’appliqu[a]nt aux procédures aboutissant à des amendes en droit de la concurrence » (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 150, en phase avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme), il résulterait des « principes généraux applicables » ainsi que, notamment, de l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 15 du pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques, que c’est la loi la plus favorable qui doit trouver application. Conformément à l’adage tempus regit actum, la légalité de l’acte attaqué devrait donc s’apprécier en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été pris. Or, le droit applicable aurait fondamentalement évolué dans un sens favorable à la requérante depuis l’adoption de la décision 93/82. Selon la requérante, le principe de sécurité juridique invoqué par la Commission ne pouvait faire obstacle à une prise en compte par celle-ci de cette évolution. Au contraire, il lui aurait fait obligation, en vertu du principe nulla poena sine lege, « fondamentalement lié au principe de sécurité juridique », ainsi que de l’article 7 de la convention européenne des droits de l’homme et de l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de prendre en compte ladite évolution.

    52

    Troisièmement, de nombreux faits postérieurs à la décision 93/82 établiraient le caractère erroné des accusations d’origine et ne sauraient être ignorés par la Commission.

    53

    Quatrièmement, le caractère imprécis des griefs originaires aurait empêché la requérante de les contester.

    54

    La Commission estime qu’aucun des arguments au soutien du présent moyen n’est fondé. Ces arguments reviendraient, en violation des principes de l’autorité de la chose jugée et de sécurité juridique, à remettre en cause la solution retenue dans l’arrêt CMB de la Cour et l’arrêt CMB du Tribunal ainsi que la validité des parties non annulées de la décision 93/82, et notamment celles constatant les abus en cause. Elle conteste ensuite la nature pénale du droit communautaire de la concurrence et l’évolution prétendument favorable de ce dernier pour la requérante.

    — Appréciation du Tribunal

    55

    Il importe de rappeler d’emblée que la Cour a reconnu l’importance fondamentale que revêt, tant dans l’ordre juridique communautaire que dans les ordres juridiques nationaux, le principe du respect de l’autorité de la chose définitivement jugée. En effet, afin de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêts de la Cour du 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, Rec. p. I-10239, point 38, et du 16 mars 2006, Kapferer, C-234/04, Rec. p. I-2585, point 20).

    56

    L’appréciation sur des points de fait et de droit est revêtue définitivement de l’autorité de la chose jugée, dès lors que ces points ont été effectivement ou nécessairement tranchés par un arrêt et qu’ils ne sont pas affectés par l’annulation partielle de cet arrêt (arrêt PVC II du Tribunal, point 77 ; voir, également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 février 2002, Cascades/Commission, T-308/94, Rec. p. II-813, point 70).

    57

    En conséquence, les points de fait ou de droit effectivement ou nécessairement tranchés par l’arrêt CMB de la Cour et l’arrêt CMB du Tribunal, en ce qu’ils ne sont pas affectés par l’annulation partielle de l’arrêt CMB du Tribunal, ont acquis l’autorité de la chose définitivement jugée. Il en résulte que toutes les parties à l’arrêt CMB de la Cour, en ce compris tant la requérante que la Commission, ne sauraient remettre en cause de nouveau ce qui a été précédemment jugé.

    58

    L’invocation par la requérante de l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, n’est pas susceptible de remettre en cause cette conclusion. En effet, comme le fait d’ailleurs remarquer la Commission, ledit arrêt a été rendu dans le contexte d’une exception d’irrecevabilité, alors que la recevabilité du présent recours n’est pas contestée. L’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, qui s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence bien établie selon laquelle l’autorité de la chose jugée s’attachant à un arrêt de la Cour n’est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours subséquent que si ces deux recours opposent les mêmes parties, portent sur le même objet et sont fondés sur la même cause (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172/83 et 226/83, Rec. p. 2831, point 9, et du 22 septembre 1988, France/Parlement, 358/85 et 51/86, Rec. p. 4821, point 12 ; arrêt du Tribunal du 8 mars 1990, Maindiaux e.a./CES, T-28/89, Rec. p. II-59, point 23), n’est donc pas pertinent.

    59

    Il convient également de rappeler que, en vertu du principe de sécurité juridique, les actes des institutions communautaires jouissent d’une présomption de validité et produisent des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été retirés, annulés dans le cadre d’un recours en annulation ou déclarés invalides à la suite d’un renvoi préjudiciel ou d’une exception d’illégalité (arrêt de la Cour du 5 octobre 2004, Commission/Grèce, C-475/01, Rec. p. I-8923, points 18 et suivants). En outre, le principe de sécurité juridique fait également obstacle à la remise en cause du caractère définitif des actes des institutions communautaires une fois le délai de recours contre ces actes prévu à l’article 230 CE expiré, et ce même dans le cadre d’une exception d’illégalité soulevée contre lesdits actes (arrêts de la Cour du 30 janvier 1997, Wiljo, C-178/95, Rec. p. I-585, point 19, et du 15 février 2001, Nachi Europe, C-239/99, Rec. p. I-1197, point 29 ; voir, également, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 mars 1994, TWD, C-188/92, Rec. p. I-833, point 16).

    60

    Ainsi, les parties non annulées de la décision 93/82, désormais insusceptible de recours, font définitivement partie de l’ordonnancement juridique communautaire et produisent tous leurs effets de droit. Il en va ainsi, notamment, des passages de la décision 93/82 relatifs à la participation de la requérante aux abus constatés dans la mesure où l’annulation de l’amende (c’est-à-dire des seuls articles 6 et 7 du dispositif de la décision 93/82) par l’arrêt CMB de la Cour, pour des motifs de pure procédure, n’affecte aucunement la légalité desdits passages de la décision 93/82. Cette légalité n’est d’ailleurs pas contestée par la requérante.

    61

    Il en résulte que l’argument de la requérante selon lequel d’autres moyens n’ont pas été soulevés au cours de la procédure relative au recours dirigé contre la décision 93/82 doit être écarté comme non fondé. En effet, accueillir un tel argument reviendrait à remettre en cause, en violation du principe de sécurité juridique, des parties de la décision 93/82 devenues définitives.

    62

    Il en résulte également que la Commission pouvait à bon droit fonder la décision contestée sur les parties non annulées de la décision 93/82 pour infliger à la requérante une amende à titre de sanction des abus qui y sont constatés.

    63

    À cet égard, ni le règlement no 4056/86 ni le règlement no 17 n’ont expressément exclu l’adoption formellement dissociée, sur deux fondements juridiques distincts, de deux actes distincts, à savoir celui constatant l’infraction (dans le cas du règlement no 4056/86, sur le fondement de son article 11, paragraphe 1) et celui infligeant l’amende (sur le fondement de l’article 19, paragraphe 2, du même règlement).

    64

    Il est indifférent en outre que douze années se soient écoulées entre l’adoption de la décision 93/82 et celle de la décision contestée, dans la mesure où cette dernière a été adoptée dans le respect des délais de prescription au regard du règlement no 2988/74.

    65

    S’agissant de l’argument de la requérante, relatif à la nature prétendument pénale du droit matériel communautaire de la concurrence et à la nécessité correspondante pour la Commission de prendre en compte dans la décision contestée l’évolution prétendument favorable à la requérante de ce droit, il doit être écarté également.

    66

    En effet, la prémisse de cet argument est erronée. Il résulte du libellé de l’article 19, paragraphe 4, du règlement no 4056/86 que même les amendes infligées en application de cette disposition n’ont pas de caractère pénal. En outre, il a été jugé que l’efficacité du droit communautaire de la concurrence serait sérieusement affectée si l’on acceptait la thèse selon laquelle le droit de la concurrence relève du droit pénal (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 18 septembre 2003, Volkswagen/Commission, C-338/00 P, Rec. p. I-9189, point 97). Il convient de surcroît de relever que l’arrêt Hüls/Commission, précité, invoqué par la requérante, n’est pas pertinent, puisque dans ledit arrêt, la Cour a seulement jugé que le principe de la présomption d’innocence s’appliquait aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (point 150). Enfin, force est de constater que la requérante ne fournit aucun autre argument valable à l’appui de sa thèse, qui doit être rejetée.

    67

    Il en résulte que l’argument de la requérante doit être écarté, sans qu’il soit besoin d’examiner le point de savoir si les règles de concurrence au regard desquelles les infractions en cause ont été constatées et sanctionnées dans la décision 93/82 se sont assouplies ou non en faveur de la requérante au cours de la période qui s’est écoulée entre l’arrêt CMB de la Cour, qui a validé l’analyse suivie dans la décision 93/82 en ce qui concerne la constatation des infractions, et la décision contestée. À titre subsidiaire, il convient de relever que, à supposer même que le droit de la concurrence ait évolué dans un sens favorable à la requérante, ce que cette dernière ne démontre nullement, il ne saurait, sous peine de violer le principe de sécurité juridique et celui de l’autorité de la chose jugée, être porté atteinte aux parties de la décision 93/82 établissant les infractions et la participation de la requérante auxdites infractions.

    68

    S’agissant de l’argument de la requérante relatif aux prétendus nouveaux faits intervenus depuis la décision 93/82, il convient de juger que, à supposer de tels faits avérés, ils ne sauraient avoir été pris en compte en raison des principes de l’autorité de la chose jugée, également applicable à la Commission, et de sécurité juridique, ainsi qu’en raison du fait que les appréciations complexes effectuées par la Commission, notamment en matière de concurrence, doivent être examinées en fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a effectuées (arrêt du Tribunal du 28 mars 2000, T. Port/Commission, T-251/97, Rec. p. II-1175, point 38).

    69

    Enfin, l’argument relatif au caractère prétendument imprécis des griefs originaires, qui ne procède que d’une affirmation, doit également être écarté dans la mesure où la requérante n’a pas démontré que sa situation aurait pu être différente si les griefs originaires n’avaient pas, selon elle, été imprécis.

    70

    Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

    Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

    — Arguments des parties

    71

    La requérante soutient qu’une violation de ses droits de la défense a été commise au motif que la Commission a refusé, en dépit de changements du droit sur des « points fondamentaux », de discuter de la matérialité des abus et a limité la discussion à l’amende. Or, la requérante, n’ayant reçu que « copie pour commentaires » de la CG 1990, elle n’aurait à l’époque pas pu se défendre comme l’aurait fait un destinataire direct de la communication des griefs et débiteur potentiel d’une amende. La Cour ayant annulé l’amende qui avait été infligée à la requérante dans la décision 93/82 au motif que la CG 1990 ne lui avait pas été adressée, il aurait donc incombé à la Commission de rouvrir la procédure dans sa totalité en envoyant une communication des griefs « complète » à la requérante, c’est-à-dire en lui permettant de discuter des infractions constatées dans la décision 93/82. La CG 2003 ne remplirait donc pas sa fonction qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises pour qu’elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission n’adopte une décision définitive (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307, I-1594, point 42).

    72

    La Commission fait valoir que la requérante, contrairement à une autre entreprise ayant attaqué la décision 93/82 dont elle était également destinataire, a choisi de ne faire valoir ces arguments dans le cadre de la procédure relative au recours dirigé contre la décision 93/82 qu’en ce qui concerne l’amende, démontrant ainsi qu’elle avait estimé s’être valablement défendue à l’époque en ce qui concerne la constatation des infractions. Elle soutient ensuite que le principe de sécurité juridique empêche la requérante de soulever ces arguments dans le cadre de la présente procédure et invoque à ce propos l’arrêt PVC II de la Cour (point 73), selon lequel la procédure visant à remplacer un acte annulé peut être reprise au point auquel l’illégalité était intervenue. Ce principe devrait s’appliquer a fortiori dans le cas d’espèce, puisque la décision 93/82 n’a été annulée par l’arrêt CMB de la Cour que pour la partie concernant les amendes. Elle relève enfin que, dans la présente affaire, le vice de forme initial a été purgé, puisque la requérante a été destinataire de la CG 2003 l’informant qu’une amende était susceptible de lui être infligée à titre individuel.

    — Appréciation du Tribunal

    73

    Par le présent moyen, la requérante fait valoir que le fait d’avoir été en pleine mesure de contester la matérialité des infractions au cours de la procédure relative au recours dirigé contre la décision 93/82, mais prétendument pas pendant la procédure administrative antérieure à l’adoption de ladite décision, est constitutif d’une violation de ses droits de la défense au cours de la procédure administrative ayant précédé l’adoption de la décision contestée.

    74

    Lors de l’audience, la requérante a été interrogée sur le point de savoir en quoi elle aurait pu mieux se défendre si elle avait été directement destinataire de la CG 1990, plutôt que d’être défendue, en tant que membre de la conférence maritime, par Cewal. Or, la requérante n’a fourni aucune réponse convaincante. Elle s’est en effet bornée à invoquer le compromis qui, selon elle, animait toute ligne de défense d’une association professionnelle dont les membres, concurrents, ont des intérêts différents, voire divergents. Le Tribunal considère qu’un argument aussi général ne saurait convaincre en l’espèce, dans la mesure où il était précisément dans l’intérêt de tous les membres de Cewal, sans exception, de contester l’existence des infractions constatées par la Commission dans la CG 1990.

    75

    Or, il incombe à la requérante d’apporter la preuve tangible que sa situation aurait pu être différente, c’est-à-dire que la décision 93/82 aurait pu être adoptée dans des termes différents en ce qui concerne la constatation des abus qui lui sont imputés, si elle avait été mise en mesure de faire valoir ses observations non en tant que destinataire d’une copie de la CG 1990, mais en tant que destinataire direct de ladite communication des griefs. À cet égard, il convient de rappeler que la requérante avait été formellement invitée non seulement à soumettre ses observations écrites sur la CG 1990, possibilité qu’elle a effectivement utilisée, mais également à participer à l’audition administrative, qui a eu lieu en sa présence le 22 octobre 1990.

    76

    En tout état de cause, à supposer même que la requérante n’ait pas pu se défendre de façon optimale en ce qui concerne la constatation des infractions au cours de la procédure administrative initiale, ce qu’elle ne démontre pas, cette prétendue atteinte à ses droits de la défense ne saurait être invoquée avec succès dans le cadre de la présente affaire dans la mesure où la décision 93/82, en ce qui concerne la constatation des infractions, est devenue définitive. Il convient de rappeler en effet (voir les points 59 à 61 ci-dessus) que le principe de sécurité juridique fait obstacle à la remise en cause des parties non annulées de la décision 93/82.

    77

    Par ailleurs, il convient de souligner que la CG 2003 identifie la requérante comme destinataire de l’amende. La requérante y a longuement répondu, en contestant les infractions en ce qui concerne la constatation des infractions, sans, toutefois, faire valoir le moindre argument s’apparentant de près ou de loin au présent moyen. Les griefs retenus par la Commission dans la décision contestée sont strictement identiques à ceux contenus dans la CG 2003 (lesquels sont eux-mêmes identiques à ceux retenus dans la décision 93/82). La requérante a en outre bénéficié d’une audition devant le conseiller-auditeur. L’accès au dossier lui a été proposé. Elle a donc pu formellement exercer ses droits de la défense. Contrairement à ce qu’allègue la requérante, la CG 2003 a donc intégralement rempli sa fonction.

    78

    S’agissant, enfin, de la prétendue violation des droits de la défense de la requérante, invoquée dans le cadre du premier moyen, résultant de la circonstance que la requérante n’aurait pas été en mesure de retrouver d’anciens documents ou d’anciens employés en raison du temps écoulé depuis la décision 93/82 (voir point 17 ci-dessus), il y a lieu de considérer que la requérante n’apporte pas davantage la preuve d’une telle violation ni n’indique avec précision quels documents ou témoignages lui auraient été utiles. Il convient de rappeler au surplus que la requérante n’a pas saisi l’opportunité qui lui avait été offerte d’accéder au dossier (considérant 49 de la décision contestée), alors que, comme la Commission l’a indiqué au cours de l’audience, tous les documents y figuraient. En tout état de cause, il semblerait que les documents prétendument manquants auxquels la requérante fait allusion aient trait à la matérialité des abus. Or, ces derniers ayant été constatés de façon définitive dans la décision 93/82, leur matérialité ne saurait, sous peine d’enfreindre les principes de l’autorité de chose jugée et de sécurité juridique, être discutée de nouveau.

    79

    Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

    Sur le quatrième moyen, tiré d’une insuffisance de la motivation et d’une absence de justification de la décision contestée

    — Arguments des parties

    80

    La requérante soutient en substance que la décision contestée est insuffisamment motivée au motif que la Commission n’aurait établi ni la position dominante de Cewal, ni l’existence d’aucun des trois prétendus abus identifiés, ni leur effet de forclusion sur le marché au sens de l’article 82 CE. En outre, la décision contestée ne mettrait pas le Tribunal en mesure de contrôler le bien-fondé et le montant de l’amende dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction.

    81

    La Commission répond en substance que le présent moyen, lié au deuxième moyen et se confondant avec le troisième, doit être rejeté. En effet, il tendrait à faire réexaminer, en violation flagrante des délais de recours, des principes de sécurité juridique et de l’autorité de la chose jugée, non seulement le bien-fondé des parties non annulées de la décision 93/82, mais également les parties de l’arrêt CMB de la Cour et de l’arrêt CMB du Tribunal, tous deux définitifs, ayant rejeté les moyens visant à l’annulation des constatations de la décision 93/82 en ce qui concerne les abus commis par la requérante.

    — Appréciation du Tribunal

    82

    Selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Dans cette perspective, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à l’acte en cause et faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et de défendre leurs droits et au juge d’exercer son contrôle (arrêts de la Cour du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, Rec. p. 809, point 19, et du 19 septembre 2002, Espagne/Commission, C-114/00, Rec. p. I-7657, point 62). S’agissant d’une décision adoptée en application de l’article 82 CE, ce principe exige que la décision contestée fasse mention des faits dont dépendent la justification légale de la mesure et les considérations qui ont amené à prendre la décision (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 janvier 2007, France Télécom/Commission, T-340/03, Rec. p. II-107, point 57, non frappé de pourvoi sur ce point).

    83

    En réalité, le présent moyen est fondé sur la présomption selon laquelle la Commission aurait dû réexaminer l’affaire en ce qui concerne la constatation des infractions. Or, la décision contestée est une décision infligeant une amende au sens de l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 2988/74 (voir point 22 ci-dessus). La motivation requise ayant trait à l’amende est fournie aux considérants 67 à 111 de la décision contestée. En outre, l’approche retenue dans la décision contestée, consistant à se fonder, pour infliger l’amende, sur les parties non annulées et définitives de la décision 93/82, en ce qu’elles constatent les abus, a été considérée comme bien fondée dans le cadre de l’appréciation du troisième moyen. Il est par ailleurs clair que cette approche a été explicitée à suffisance de droit par la Commission. Il ressort en effet de la lecture de la décision contestée (considérants 17 et 41) et, au surplus, de la CG 2003 (notamment considérant 27) que, en ce qui concerne la matérialité des abus commis par la requérante, la Commission s’est purement et simplement référée aux parties de la décision 93/82 qui établissent lesdites infractions, dont la décision contestée comprend un résumé (considérants 21 à 40). La Commission a également indiqué dans la décision contestée (considérants 42 à 46) que ces parties non annulées de la décision 93/82 sont devenues définitives en vertu des principes de sécurité juridique et de l’autorité de la chose jugée.

    84

    Il est donc indéniable que la requérante a pu connaître toutes les justifications de la décision contestée. Il y a lieu de constater en outre que le Tribunal a été en pleine mesure d’exercer son contrôle de légalité de la décision contestée.

    85

    Il résulte de ce qui précède que la décision contestée est suffisamment motivée.

    86

    Dans ces conditions, il convient de rejeter le quatrième moyen comme non fondé.

    Sur les conclusions, soulevées à titre subsidiaire, tendant à la réduction du montant de l’amende infligée

    Sur le cinquième moyen, tiré du caractère discriminatoire de l’amende

    — Arguments des parties

    87

    La requérante soutient que l’imposition de la « quasi-totalité » de l’amende à la requérante est discriminatoire. En effet, la Compagnie maritime du Congo (ci-après la « CMDC »), anciennement la Compagnie maritime zaïroise (ci-après la « CMZ ») qui, en application du système de partage de marchandises prévu à l’article 3, sous e), du règlement no 4056/86, a tiré le plus de profits des abus en raison de sa part prépondérante dans le pool de recettes, aurait elle aussi dû se voir infliger une amende. Du reste, l’appartenance des président et secrétaire général de Cewal à l’équipe de direction de la requérante, la localisation du secrétariat général de Cewal dans le même immeuble que celui de la requérante, les pratiques ayant prétendument assis la suprématie de la requérante, invoquées dans la décision contestée, ne seraient pas des motifs concluants. En effet, Cewal était une entité distincte de ses membres et toutes ses décisions étaient prises à l’unanimité ou à la majorité des deux tiers de ses membres. Le motif relatif à l’acquisition par la requérante du contrôle de Dafra-Lines et de Deutsche Afrika Linien-Woermann Linie ne le serait pas davantage. En effet, les dates d’acquisition ne coïncideraient pas avec la période au cours de laquelle auraient été commis les prétendus abus. S’agissant de la vente ou du transfert de droits de la CMZ à la requérante ou à Cewal, il ne se serait agi que d’accords de courte durée entre la requérante et la CMZ, au cours desquels cette dernière aurait continué d’exercer pleinement son rôle d’opérateur maritime. La CMZ aurait de nouveau utilisé ses propres navires en 1993. Cette pratique aurait du reste eu lieu après la fin des prétendus abus. Pendant la période au cours de laquelle auraient été commis les abus, la CMZ aurait assuré un service de ligne régulière. Enfin, la CMDC serait le seul membre de Cewal encore actif sur la route Europe-Zaïre (devenu la République du Congo). En outre, l’approche de la Commission, selon laquelle la requérante avait le plus de responsabilités au sein de Cewal et ses comportements un impact particulièrement significatif sur le marché, serait contraire à la pratique de la Commission et à la théorie de la position dominante collective. Enfin, la CMDC ne se serait plus trouvée, au moment de l’adoption de la décision contestée, dans la situation financière difficile qui avait justifié qu’elle ne se voie pas infliger d’amende par la Commission dans la décision 93/82, alors que la requérante, quant à elle, éprouverait de telles difficultés.

    88

    Dans ces conditions, la « seule justification », donnée au considérant 88 de la décision contestée, au soutien de l’absence d’imposition d’une amende à la CMDC, selon laquelle aucun autre membre de Cewal « ne pouvait prétendre être dans une situation identique à celle de [la] CMZ […] [qui] avait dû se séparer de ses navires et ne s’occupait plus de transport maritime », ne serait pas convaincante. En effet, ce serait la requérante qui se retrouverait aujourd’hui dans la situation de ne plus avoir de navires et de ne plus opérer de transport maritime. Le raisonnement de la Commission justifierait donc au contraire que ce soit précisément la CMDC qui paie l’amende, et non la requérante.

    89

    La requérante fait valoir, en outre, que la Commission aurait admis avoir pris l’année 2003 comme année de référence pour la fixation du montant de l’amende, plutôt que l’année 1992. Dans ces conditions, la Commission aurait dû examiner le caractère discriminatoire de l’amende en 2004 et prendre en compte le fait que la CMDC est aujourd’hui active dans le secteur en cause et ne connaît plus les difficultés qui avaient conduit la Commission à ne pas lui infliger d’amende dans la décision 93/82.

    90

    De la même façon, la Commission ne saurait valablement invoquer l’arrêt CMB du Tribunal, qui s’est prononcé sur la situation en 1992, pour écarter le grief relatif à l’égalité de traitement. Au contraire, appliqué au cas de la requérante en 2004, le point 237 de l’arrêt CMB du Tribunal devrait conduire à exonérer la requérante de toute amende, puisque cette dernière n’exerce plus l’activité en cause.

    91

    La Commission conteste ces arguments.

    — Appréciation du Tribunal

    92

    Il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement n’est violé, selon une jurisprudence constante, que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts du Tribunal du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T-62/02, Rec. p. II-5057, points 155 et 156 ; du 6 décembre 2005, Brouwerij Haacht/Commission, T-48/02, Rec. p. II-5259, point 108, et du 5 décembre 2006, Westfalen Gassen Nederland/Commission, T-303/02, Rec. p. II-4567, point 152).

    93

    En l’espèce, la requérante prétend avoir été discriminée par rapport aux autres entreprises membres de Cewal, et, en particulier, par rapport à la CMDC, qui, bien que placée lors de l’adoption de la décision contestée dans une situation prétendument comparable à la sienne lorsque la décision 93/82 a été adoptée, ne s’est pas vu infliger d’amende.

    94

    À cet égard, le Tribunal rappelle que, dès lors qu’une entreprise a, par son comportement, violé l’article 82 CE, elle ne saurait échapper à toute sanction au motif que d’autres opérateurs économiques ne se sont pas vu infliger d’amende, alors même que, comme en l’espèce, le juge communautaire n’est pas saisi de la situation de ces derniers (voir, s’agissant d’entreprises ayant méconnu l’article 81 CE, arrêts Ahlström Osaheyhtiö e.a./Commission, précité, point 197 ; Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, précité, point 430, et Peróxidos Orgánicos/Commission, précité, point 77).

    95

    En tout état de cause, il convient de considérer que, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction en application de l’article 21 du règlement no 4056/86, au sens de l’article 229 CE, le Tribunal n’a pas à réduire le montant de l’amende infligée à la requérante pour prendre en compte la prétendue discrimination subie par cette dernière par rapport à la CMDC.

    96

    En effet, d’une part, il ne saurait être considéré que la requérante et la CMZ étaient dans des situations comparables lors de l’adoption de la décision 93/82. À cet égard, il suffit de rappeler que le degré de participation de la requérante aux infractions était plus important. En outre, la situation financière et commerciale de la CMZ se distinguait nettement de celle de la requérante lors de l’adoption de la décision 93/82, de sorte que la Commission n’avait pas enfreint le principe d’égalité en imposant une amende plus élevée à la requérante qu’aux autres membres de Cewal et en n’infligeant pas d’amende à la CMZ.

    97

    D’autre part, la similarité des situations dont se prévaut la requérante dans le cadre du présent moyen est liée à un changement de sa propre situation, intervenu postérieurement à la constatation des infractions opérée dans la décision 93/82. Or, un tel changement ne saurait avoir été pris en compte dans la décision contestée, qui vise à sanctionner pécuniairement les infractions définitivement constatées dans la décision 93/82. C’est seulement aux fins du respect du seuil maximal de 10 % du chiffre d’affaires, au sens de l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 4056/86, réalisé lors de l’exercice social précédant la décision contestée, que la Commission était tenue de prendre en compte la nouvelle situation de la requérante, ce qu’elle a d’ailleurs fait (considérant 111 de la décision contestée).

    98

    Le cinquième moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

    Sur le sixième moyen, tiré du caractère disproportionné de l’amende

    — Arguments des parties

    99

    Au soutien du présent moyen, la requérante fait valoir en substance quatre griefs.

    100

    Premièrement, les infractions constatées ne seraient pas graves. À cet égard, la part de marché de Cewal aurait diminué au profit de celle du concurrent pendant la période au cours de laquelle auraient été commis les abus, Cewal aurait été accusée de pratiquer des prix trop bas, et non des prix trop élevés, et le marché en cause aurait été « microscopique ».

    101

    Deuxièmement, la requérante fait valoir que le caractère nouveau de la condamnation pour abus de position dominante collective imposait à lui seul, en vertu de la pratique usuelle diamétralement opposée de la Commission et de la jurisprudence, de n’infliger qu’une amende symbolique. La requérante insiste également sur le caractère nouveau, toujours à ce jour, des prétendus abus, à savoir, en substance, que l’abus lié à l’accord avec l’Ogefrem serait le premier cas d’abus revêtant la forme d’une pression exercée sur un gouvernement étranger, que l’abus lié à la pratique des navires de combat impliquerait une extension de la notion de prix prédatoires et que les ristournes de fidélité soulèveraient un nouveau problème d’interprétation du règlement no 4056/86.

    102

    Troisièmement, la requérante aurait coopéré avec la Commission en tant que membre de Cewal. En effet, Cewal aurait mis un terme aux abus plusieurs mois avant l’envoi de la CG 1990 et aurait également tenté activement d’assister la Commission dans le conflit de législations opposant la Communauté européenne, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et les pays de l’Afrique occidentale et centrale. Cette attitude coopérative devrait être considérée comme une circonstance atténuante en vertu des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »).

    103

    Quatrièmement, enfin, le calcul de l’amende en fonction de la durée des infractions serait erroné. La durée des abus « [ayant] oscill[é] entre un an et demi et deux ans », la requérante ne comprendrait pas pourquoi la Commission a augmenté sans justification les montants de l’amende de 15 ou 20 % selon les abus, dès la première année des infractions, c’est-à-dire d’une manière « nettement plus significative » que ne l’autoriseraient la pratique de la Commission et les lignes directrices.

    104

    La Commission réfute ces arguments.

    105

    S’agissant, en premier lieu, du caractère grave des abus, la Commission estime que le déclin de la part de marché de Cewal pendant la période au cours de laquelle ont été commises des infractions, corrélé avec l’augmentation de la part du concurrent, ne saurait remettre en cause son appréciation, fondée principalement non sur la part de marché de Cewal, mais sur plusieurs autres éléments, parmi lesquels figurent les taux de fret normaux, appliqués hors pratique des navires de combat, qui seraient supérieurs aux coûts supportés par les membres et révélateurs d’une concurrence faible. La Commission rappelle que, en tout état de cause, l’arrêt CMB du Tribunal a confirmé le caractère grave des infractions.

    106

    En ce qui concerne, en deuxième lieu, le caractère prétendument nouveau de la condamnation pour abus de position dominante collective constatée dans la décision 93/82 et l’interdiction qui en aurait résulté, selon la jurisprudence, d’imposer une amende, la Commission rappelle tout d’abord l’arrêt CMB du Tribunal, selon lequel il était légitime de ne pas tenir compte dudit caractère prétendument nouveau de la notion de position dominante collective, l’objectif des abus reprochés ne présentant aucun caractère nouveau en droit de la concurrence. La Commission rappelle également que l’arrêt CMB de la Cour a clairement exclu que les pratiques condamnées dans la décision 93/82 constituaient la définition d’une nouvelle pratique abusive.

    107

    En ce qui concerne, en troisième lieu, l’argument de la requérante relatif à son attitude prétendument coopérative, et tout d’abord la circonstance que Cewal a mis rapidement un terme aux abus, la Commission soutient que les lignes directrices se réfèrent uniquement à la pratique de la Commission en matière d’amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, et non aux amendes infligées en application de l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 4056/86. À supposer toutefois possible une application par analogie des lignes directrices en l’espèce, la circonstance atténuante ne serait pas invocable par la requérante dans la présente affaire dans la mesure où la cessation volontaire de l’infraction avant l’ouverture de l’enquête de la Commission aurait déjà suffisamment été prise en compte dans le calcul de la durée de la période infractionnelle et où une entreprise ne saurait invoquer le troisième tiret du point 3 des lignes directrices que dans le cas où la cessation de son comportement infractionnel a été incitée par des interventions de la Commission (arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T-236/01, T-239/01, T-244/01 à T-246/01, T-251/01 et T-252/01, Rec. p. II-1181, point 341). En ce qui concerne l’argument relatif à l’assistance prêtée par la requérante à la Commission dans le cadre du conflit de législations, la Commission le réfute en se référant à l’arrêt CMB du Tribunal.

    108

    En ce qui concerne, enfin, l’argument de la requérante relatif à la durée des infractions, la Commission estime que, à supposer les lignes directrices applicables, l’augmentation du montant de l’amende pourrait aller, en application du point 1 B des lignes directrices, jusqu’à 50 % dans le cas d’infractions de moyenne durée (de un à cinq ans en général), ce qui autoriserait une augmentation de 10 % par an, en incluant aussi les douze premiers mois d’infraction. La Commission précise qu’une telle augmentation est sa pratique constante.

    — Appréciation du Tribunal

    109

    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, contrairement à ce que soutient la Commission, les lignes directrices sont applicables par analogie aux infractions aux règles de transport constatées et sanctionnées en application du règlement no 4056/86 et, partant, à la présente affaire (arrêts du Tribunal CMA CGM e.a./Commission, précité, point 242 ; du 11 décembre 2003, Minoan Lines/Commission, T-66/99, Rec. p. II-5515, point 270, et Strintzis Lines Shipping/Commission, T-65/99, Rec. p. II-5433, point 158 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T-191/98, T-212/98 à T-214/98, Rec. p. II-3275, points 1525, 1528 et 1571).

    110

    En outre, la circonstance que la Cour, dans son arrêt CMB, a annulé les articles 6 et 7 du dispositif de la décision 93/82 au seul motif de procédure que les entreprises s’étant vu infliger une amende en fonction de leur degré de participation aux infractions n’avaient pas été destinataires de la CG 1990 qui identifiait seulement Cewal en tant que destinataire potentielle de l’amende ne fait pas obstacle à la validité des parties de la décision 93/82 qui ont trait aux caractéristiques des abus commis par Cewal, en ce comprises celles susceptibles d’être prises en compte dans le calcul de l’amende infligée à la requérante. Dans sa compétence de pleine juridiction en application de l’article 21 du règlement no 4056/86, au sens de l’article 229 CE, pour apprécier le montant de l’amende infligée à la requérante dans la décision contestée, le Tribunal peut donc valablement s’y référer.

    Sur la gravité des abus

    111

    Il y a lieu de rappeler que dans la décision 93/82 (considérants 102 et 103), la Commission a considéré que les abus en cause étaient graves et intentionnels. Du reste, dans la CG 2003 (considérants 31 à 61) puis dans la décision contestée (considérants 67 à 84), la Commission continue de considérer les abus en cause comme des infractions graves. Elle estime notamment que l’ensemble du marché (trafic de ligne maritime entre la mer du Nord et le Congo) en a été affecté.

    112

    Il convient de rappeler également que dans le cadre de ses conclusions principales tendant à l’annulation de la décision 93/82, la requérante a contesté l’existence d’infractions au sens des articles 81 CE et 82 CE, la qualification de position dominante collective des membres de Cewal ainsi que le caractère abusif des pratiques liées aux navires de combat et aux contrats de fidélité. Elle n’a toutefois pas nié que les pratiques en question avaient été mises en œuvre afin d’évincer l’unique concurrent présent sur le marché, de sorte que la requérante n’est pas fondée à contester le caractère délibéré et grave des abus en question.

    113

    Il y a donc lieu de rejeter le grief tiré de l’absence de gravité des abus en cause.

    Sur le caractère prétendument nouveau des infractions

    114

    Il y a lieu de rappeler que, dans la décision 93/82 (considérants 116 à 119), la Commission a considéré que les abus en cause ne présentaient pas un caractère nouveau et qu’une réduction de l’amende n’était pas justifiée. Dans son arrêt CMB (point 248), le Tribunal a jugé que les infractions en cause ne présentaient pas un caractère nouveau. Ladite appréciation a été expressément validée par la Cour en ce qui concerne la pratique des navires de combat (arrêt CMB de la Cour, point 120).

    115

    Dans la CG 2003 (considérants 63 à 67) puis dans la décision contestée (considérants 101 à 106), la Commission maintient son approche initiale.

    116

    Le Tribunal considère donc qu’il n’y a aucune raison de s’écarter de son appréciation antérieure. Force est en effet de constater que l’objectif des pratiques abusives reprochées, à savoir évincer l’unique concurrent du marché, ne présente aucun caractère nouveau en droit de la concurrence.

    117

    Il convient donc de rejeter le grief tiré du caractère prétendument nouveau des infractions en cause.

    Sur la prétendue coopération avec la Commission

    118

    S’agissant, tout d’abord, de l’assistance prétendument prêtée par Cewal à la Commission dans les négociations avec des États tiers ou l’OCDE, il y a lieu de constater que, dans son arrêt CMB (point 239), le Tribunal a jugé qu’une telle assistance n’avait aucune incidence sur le montant de l’amende infligée en raison de trois violations de l’article 82 CE.

    119

    À cet égard, le Tribunal considère qu’il n’y a aucune raison de s’écarter de son appréciation antérieure.

    120

    En ce qui concerne, ensuite, la prétendue coopération de la requérante ayant trait à la cessation des infractions, après les premières interventions de la Commission, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Commission ne peut être tenue, en règle générale, ni de retenir une poursuite de l’infraction en tant que circonstance aggravante, ni de considérer la cessation d’une infraction comme circonstance atténuante (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T-31/99, Rec. p. II-1881, point 213). En effet, l’application d’une réduction ferait double emploi avec la prise en compte de la durée de l’infraction dans le calcul des amendes. Par conséquent, la Commission ne saurait aucunement être tenue d’accorder, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, une réduction d’amende pour la cessation d’une infraction manifeste, que cette cessation ait lieu avant ou après ses interventions.

    121

    Il y a donc lieu de rejeter le grief tiré de la prétendue coopération de la requérante avec la Commission.

    Sur la durée des infractions

    122

    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la décision 93/82 et, le cas échéant, les constatations opérées par le Tribunal dans son arrêt CMB (points 241 et 242), l’accord avec l’Ogefrem a constitué une infraction à compter de l’entrée en vigueur du règlement no 4056/86, c’est-à-dire à compter du 1er juillet 1987, jusqu’à la fin de septembre 1989, soit pendant deux ans et trois mois. L’infraction liée aux accords de fidélité a eu lieu du 1er juillet 1987 à la fin de novembre 1989, soit sur une période de deux ans et cinq mois. Enfin, l’abus lié à la pratique des navires de combat a eu lieu de mai 1988 à la fin de novembre 1989, soit pendant un an et demi.

    123

    Les abus en cause relèvent de la catégorie des infractions de durée moyenne (de un à cinq ans) au sens des lignes directrices. À cet égard, il résulte du point 1 B des lignes directrices que pour les infractions de cette durée, le montant additionnel d’amende en raison de la durée de l’infraction peut aller jusqu’à 50 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction.

    124

    Les lignes directrices sont muettes sur la question de savoir si la première année d’infraction justifie une augmentation de 10 % du montant de l’amende retenu pour la gravité de l’infraction. À cet égard, le Tribunal a jugé que, à la lumière du point 1 B des lignes directrices, il apparaissait que la durée très courte d’une infraction — à savoir une durée inférieure à un an — justifiait uniquement qu’aucun montant additionnel ne soit imputé au montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction (arrêt CMA CGM e.a./Commission, précité, point 283).

    125

    Il en résulte a contrario que, les abus en cause ayant une durée supérieure à un an, c’est à bon droit que la Commission a implicitement considéré dans la décision contestée que toute année pleine d’infraction pouvait conduire à une augmentation de 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction et que, en dessous d’une année pleine, toute période supérieure à six mois pouvait justifier une augmentation de 5 %.

    126

    Les montants d’amende additionnels de 20 % pour l’accord avec l’Ogefrem et les accords de fidélité, et de 15 % pour l’abus lié aux navires de combat sont donc justifiés.

    127

    Il convient en conséquence de rejeter le grief tiré de l’augmentation indue du montant de l’amende au regard de la durée des infractions.

    128

    Il résulte de ce qui précède que le sixième moyen doit être rejeté comme non fondé.

    Sur le septième moyen, tiré d’une violation de la pratique habituelle de la Commission

    — Arguments des parties

    129

    La requérante soutient en substance que, dans les affaires de conférences maritimes, la présente affaire mise à part, la Commission a toujours fondé l’amende sur le chiffre d’affaires mondial des entreprises concernées dans le secteur du transport maritime de ligne, généré lors de l’exercice précédant l’année au cours de laquelle la décision infligeant l’amende a été prise. Or, la Commission se serait inexplicablement écartée de cette pratique, sans fournir de base objective et non discriminatoire à l’imposition de l’amende. Elle allègue en outre que la Commission s’est écartée des indications données dans la CG 2003 et que le choix de l’année 1991, plutôt que celui de l’année 2003, est particulièrement arbitraire (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Boël/Commission, T-142/89, Rec. p. II-867, point 133) et non motivé.

    130

    La Commission rappelle que depuis l’adoption des lignes directrices en 1998, le montant de l’amende n’est plus calculé en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise ayant commis l’infraction. À cet égard, la décision contestée ne se serait effectivement pas fondée sur le chiffre d’affaires de la requérante pour calculer le montant de l’amende, mais sur tous les autres éléments indiqués dans la CG 2003. En outre, le choix de l’année de référence serait sans importance dans la mesure où, dans les deux cas, le seuil de 10 % du chiffre d’affaires de la requérante n’a pas été dépassé.

    — Appréciation du Tribunal

    131

    Il y a lieu de rappeler que la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en question, d’effectuer son calcul de l’amende à partir des montants fondés sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, point 255, et arrêt Bolloré e.a./Commission, précité, points 484 et 496).

    132

    En outre, il y a lieu de relever que la Commission n’est pas tenue par ses décisions antérieures, et ce d’autant moins lorsque les décisions invoquées sont antérieures à l’application des lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt Bolloré e.a./Commission, précité, point 650). En tout état de cause, la pratique antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est défini uniquement dans le règlement no 4056/86 (arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, précité, point 191, rendu dans le cadre de l’application du règlement no 17 et applicable en l’espèce par analogie).

    133

    La Commission a donc pu à bon droit se détacher de sa pratique antérieure et ne pas prendre en compte le chiffre d’affaires de la requérante afin de calculer le montant de l’amende, et ce d’autant plus qu’elle dispose d’une large marge d’appréciation pour la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 172, et arrêt Cheil Jedang/Commission, précité, point 60, et la jurisprudence citée).

    134

    Il y a lieu de constater en outre que le choix de l’année de référence est neutre aux fins du calcul du seuil de 10 % du chiffre d’affaires à ne pas dépasser, puisque, au regard des chiffres fournis dans la décision contestée et non discutés par la requérante, le montant de l’amende infligée reste en deçà dudit seuil au regard du chiffre d’affaires de la requérante, tant au regard de celui de 1991 que de celui de 2003.

    135

    Il s’ensuit que le septième moyen doit être rejeté comme non fondé.

    Sur le huitième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

    — Arguments des parties

    136

    La requérante fait valoir en substance que la non-imposition d’une amende à la CMDC ne peut s’expliquer que par des raisons politiques, étrangères au droit communautaire de la concurrence, qui viseraient, sans attaquer directement le Zaïre (devenu la République du Congo) par le biais de la CMZ, détenue à 100 % par l’État zaïrois, à obtenir l’abolition du système zaïrois d’allocation des marchandises. Plusieurs éléments permettraient de soutenir cette thèse, comme les conditions d’ouverture de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision 93/82, à la suite de plaintes ayant visé la législation zaïroise et à la suite de l’échec de certaines négociations de la Communauté avec le Zaïre dans le cadre d’un conflit ancien concernant l’interprétation du code de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Dans sa décision 92/262/CEE, du 1er avril 1992, relative à une procédure d’application des articles 85 et 86 du traité CEE (IV/32.450 — Comités armatoriaux franco-ouest-africains) (JO L 134, p. 1), adoptée parallèlement à la décision 93/82, la Commission n’aurait pas non plus imposé d’amende en ce qui concerne des lignes de transport africaines. Des responsables de haut niveau, nationaux ou de la Commission, auraient en outre déclaré, avant l’adoption de la décision 93/82, respectivement, que le droit de la concurrence n’était pas le meilleur moyen de régler la question du transport de marchandises en Afrique et qu’il y aurait un problème politique en cas de condamnation de la CMZ à payer une amende. Enfin, elle conteste que la Commission puisse invoquer l’arrêt CMB du Tribunal, le moyen relatif au détournement de pouvoir ayant été jugé à l’époque comme étant un « moyen entièrement autre ». Dans ces conditions, la décision contestée aurait été adoptée dans un but autre que celui annoncé (arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C-331/88, Rec. p. I-4023).

    137

    La Commission indique ne pas voir, dans la non-imposition d’une amende à la CMDC, d’indices d’un détournement de pouvoir et fait référence à l’arrêt CMB du Tribunal qui aurait écarté un moyen identique. La Commission souligne que les arguments de la requérante dans le cadre du présent moyen concernent des faits antérieurs à la décision 93/82 et visent en réalité à contester une nouvelle fois le bien-fondé de ladite décision. Il conviendrait de noter à ce propos que la requérante n’a même pas cherché à vérifier si la législation congolaise, que, selon sa thèse, la décision contestée visait à contourner, était encore en vigueur lors de l’adoption de cette dernière.

    — Appréciation du Tribunal

    138

    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées (arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C-407/04 P, Rec. p. I-829, point 99, et arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T-143/89, Rec. p. II-917, point 68).

    139

    Il convient également de rappeler que le Tribunal, au point 238 de son arrêt CMB, a rejeté l’argument tiré d’un détournement de pouvoir. Dans la présente affaire, la requérante ne démontre en rien son allégation selon laquelle l’argument sur lequel le Tribunal a statué dans son arrêt CMB était tout autre que celui qu’elle fait désormais valoir. Au contraire, les arguments au soutien du moyen soulevé en l’espèce semblent très largement se recouper avec celui soumis à l’appréciation du Tribunal en 1993 et relatif à la décision 92/262. En tout état de cause, comme le Tribunal l’a constaté ci-dessus dans le cadre de l’examen du cinquième moyen (voir point 96 ci-dessus), la Commission était en droit de ne pas infliger d’amende à la CMZ dans la décision 93/82 au motif que sa situation commerciale et financière était différente de celle des autres participants aux infractions à l’époque. Du reste, même s’il est vrai que l’enquête ayant abouti à l’adoption de la décision 93/82 a été ouverte par la Commission à la suite de l’échec de certaines négociations par la voie diplomatique, le fait que la Communauté avait d’abord emprunté cette voie sans succès ne faisait pas obstacle à l’exercice par la Commission de ses compétences en matière de concurrence.

    140

    En tout état de cause, il ressort de l’économie et du texte de la décision contestée que cette dernière a été adoptée pour pallier l’annulation, par l’arrêt CMB de la Cour, de l’amende initialement infligée à la requérante dans la décision 93/82 en raison des infractions à l’article 82 CE qu’elle a commises. Il n’apparaît pas que les prétendues raisons de l’adoption de la décision contestée données par la requérante, reprises au point 136 ci-dessus, toutes antérieures à l’adoption de la décision 93/82, constituent les motifs réels de son adoption, de sorte que la non-imposition d’une amende à la CMDC n’est pas constitutive d’un détournement de pouvoir.

    141

    Le huitième moyen doit donc être rejeté comme non fondé, et, partant, le recours dans son ensemble.

    Sur les dépens

    142

    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En application du paragraphe 3, deuxième alinéa, de la même disposition, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, à rembourser à l’autre partie les frais qu’elle lui a fait exposer et qui sont jugés frustratoires ou vexatoires.

    143

    Certes, il a été jugé que la Commission n’avait pas commis de violation du principe du délai raisonnable (voir points 39 à 47 ci-dessus). Il convient toutefois de rappeler que la Commission a tardé à rouvrir la procédure administrative. En effet, environ trente-sept mois, soit plus de trois années, ont séparé l’arrêt CMB de la Cour (16 mars 2000) de la CG 2003 (15 avril 2003). Or, la Commission n’ayant pas rouvert la procédure en ce qui concerne la constatation des infractions, l’élaboration de la CG 2003, un document de seulement douze pages, n’a pas représenté un long travail. En effet, seuls ont dû être rédigés un passage sur l’objet de la reprise de la procédure, un résumé des infractions constatées dans la décision 93/82, telles que validées par l’arrêt CMB de la Cour et par l’arrêt CMB du Tribunal, un passage sur le mode de calcul du montant de l’amende et une subdivision relative au respect des délais de prescription au regard du règlement no 2988/74. Il convient en outre de rappeler que ce retard, qui n’a pas été justifié de façon convaincante et qui a amené la Commission à réduire de son propre chef le montant de l’amende de 150000 euros, soit d’environ 4 % par rapport au montant fixé dans la décision contestée, lui est entièrement imputable.

    144

    Ce retard a été à l’origine d’une partie de la requête de la requérante, principalement de son premier moyen.

    145

    Il sera donc fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission et que cette dernière supportera un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par la requérante.

     

    Par ces motifs,

    LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

    déclare et arrête :

     

    1)

    Le recours est rejeté.

     

    2)

    Compagnie maritime belge SA supportera deux tiers de ses propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par Compagnie maritime belge.

     

    Czúcz

    Cooke

    Labucka

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er juillet 2008.

    Le greffier

    E. Coulon

    Le président

    O. Czúcz


    ( *1 ) Langue de procédure : le français.

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