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Document 62004CJ0525

    Arrêt de la Cour (première chambre) du 22 novembre 2007.
    Royaume d'Espagne contre Commission des Communautés européennes.
    Pourvoi - Aides d'État - Non-recouvrement de contributions, surtaxes de retard et intérêts dus - Recevabilité - Critère du créancier privé.
    Affaire C-525/04 P.

    Recueil de jurisprudence 2007 I-09947

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2007:698

    Affaire C-525/04 P

    Royaume d'Espagne

    contre

    Lenzing AG

    «Pourvoi — Aides d'État — Non-recouvrement de contributions, surtaxes de retard et intérêts dus — Recevabilité — Critère du créancier privé»

    Sommaire de l'arrêt

    1.        Recours en annulation — Personnes physiques ou morales — Actes les concernant directement et individuellement

    (Art. 88 CE et 230, al. 4, CE)

    2.        Pourvoi — Moyens — Appréciation erronée des faits — Irrecevabilité — Contrôle par la Cour de l'appréciation des éléments de preuve — Exclusion sauf cas de dénaturation

    (Art. 225 CE; statut de la Cour de justice, art. 58, al. 1)

    3.        Aides accordées par les États — Décision de la Commission constatant la compatibilité d'une mesure nationale avec l'article 87, paragraphe 1, CE — Application par la Commission du critère du créancier privé

    (Art. 87, § 1, CE)

    1.        Les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés, au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE, que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle dont le destinataire d'une telle décision le serait.

    S'agissant plus particulièrement du domaine des aides d'État, les sujets autres que les destinataires mettant en cause le bien-fondé d'une décision d'appréciation de l'aide sont considérés comme individuellement concernés par ladite décision au cas où leur position sur le marché est substantiellement affectée par l'aide faisant l'objet de la décision en cause. À cet égard, la seule circonstance qu'un acte est susceptible d'exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que l'entreprise concernée se trouvait dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait en tout état de cause suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme individuellement concernée par ledit acte. Dès lors, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l'entreprise bénéficiaire, mais doit établir, en outre, qu'elle est dans une situation de fait qui l'individualise d'une manière analogue à celle du destinataire.

    Cependant, un tel statut particulier, caractérisant un sujet autre que les destinataires d'une décision, par rapport à tout autre opérateur économique, ne devrait pas nécessairement être déduit d'éléments tels qu’une importante baisse du chiffre d’affaires, des pertes financières non négligeables ou encore une diminution significative des parts de marché à la suite de la concession de l’aide en question. En effet, la concession d'une aide d'État peut porter atteinte à la situation concurrentielle d'un opérateur également d'autres manières, notamment en provoquant un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l'absence d'une telle aide. De même, l'intensité d'une telle atteinte est susceptible de varier selon un grand nombre de facteurs tels que, notamment, la structure du marché en cause ou la nature de l'aide en question. La démonstration d'une atteinte substantielle portée à la position d'un concurrent sur le marché ne saurait, dès lors, être limitée à la présence de certains éléments indiquant une dégradation de ses performances commerciales ou financières.

    (cf. points 30-35)

    2.        Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L'appréciation de ces faits et éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi.

    (cf. point 54)

    3.        L'examen par la Commission de la question de savoir si des mesures déterminées peuvent être qualifiées d'aide d'État, en raison du fait que les autorités publiques n'auraient pas agi de la même manière qu'un créancier privé, requiert de procéder à une appréciation économique complexe. Si la Cour reconnaît à la Commission une marge d’appréciation en matière économique, cela n'implique pas que le juge communautaire doit s'abstenir de contrôler l'interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge communautaire doit non seulement vérifier l'exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l'ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s'ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées. Toutefois, dans le cadre de ce contrôle, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation économique à celle de la Commission.

    Dans les cas où une institution communautaire dispose d'un large pouvoir d’appréciation, le contrôle du respect de certaines garanties procédurales revêt une importance fondamentale. Parmi ces garanties figure l'obligation pour l'institution compétente d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce et de motiver sa décision de façon suffisante.

    (cf. points 56-59)









    ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

    22 novembre 2007 (*)

    «Pourvoi – Aides d’État – Non-recouvrement de contributions, surtaxes de retard et intérêts dus – Recevabilité – Critère du créancier privé»

    Dans l’affaire C‑525/04 P,

    ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 27 décembre 2004,

    Royaume d’Espagne, représenté par M. J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

    partie requérante,

    les autres parties à la procédure étant:

    Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Kreuschitz et J. Buendía Sierra, en qualité d’agents, assistés de Me M. Núñez-Müller, Rechtsanwalt, ayant élu domicile à Luxembourg,

    partie défenderesse en première instance,

    Lenzing AG, établie à Lenzing (Autriche), représentée par Me U. Soltész, Rechtsanwalt,

    partie demanderesse en première instance,

    LA COUR (première chambre),

    composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Tizzano (rapporteur), R. Schintgen, A. Borg Barthet et E. Levits, juges,

    avocat général: Mme J. Kokott,

    greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 décembre 2006,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er février 2007,

    rend le présent

    Arrêt

    1        Par son pourvoi, le Royaume d’Espagne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 21 octobre 2004, Lenzing/Commission (T‑36/99, Rec. p. II‑3597, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a partiellement annulé la décision 1999/395/CE de la Commission, du 28 octobre 1998, concernant l’aide d’État accordée par l’Espagne à Sniace SA, située à Torrelavega, Cantabrique (JO 1999, L 149, p. 40, ci-après la «décision du 28 octobre 1998»), telle que modifiée par la décision 2001/43/CE de la Commission, du 20 septembre 2000 (JO 2001, L 11, p. 46, ci-après la «décision litigieuse»).

     Les faits à l’origine du litige

    2        Aux points 8 à 29 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé les faits à l’origine du litige dans les termes suivants:

    «8      Lenzing AG [ci-après ‘Lenzing’] est une société autrichienne qui produit et commercialise des fibres de cellulose (viscose, modal et lyocell).

    9      Sniace SA (ci-après ‘Sniace’) est une société espagnole qui produit de la cellulose, du papier, des fibres de viscose, des fibres synthétiques et du sulfate de sodium. […]

    10      En mars 1993, les tribunaux espagnols ont placé Sniace, qui connaissait des difficultés économiques et financières depuis plusieurs années, en état de cessation des paiements. En octobre 1996, les créanciers privés de Sniace ont conclu un accord par lequel ils convertissaient en actions de cette société 40 % de leurs créances sur celle-ci, accord qui a conduit à la levée de l’état de cessation des paiements. Faisant usage de leur droit d’abstention, les créanciers publics de Sniace ont décidé de ne pas prendre part à cet accord.

    11      Les 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995, Sniace a conclu avec le Fogasa [fonds de garantie salariale espagnol] des accords relatifs au remboursement à ce dernier des arriérés de salaires et des indemnités qu’il avait versés aux travailleurs de Sniace. Le premier accord prévoyait le remboursement d’un montant de 897 652 789 pesetas espagnoles (ESP), majoré de 465 055 911 ESP d’intérêts calculés au taux d’intérêt légal de 10 %, par échéances semestrielles sur une période de huit ans (ci-après l’‘accord du 5 novembre 1993’). Le second accord prévoyait le remboursement d’un montant de 229 424 860 ESP, majoré de 110 035 018 ESP d’intérêts calculés au taux d’intérêt légal de 9 %, par échéances semestrielles sur une période de huit ans (ci-après l’‘accord du 31 octobre 1995’). En vue de garantir les créances du Fogasa, Sniace a constitué, en faveur de ce dernier, le 10 août 1995 une hypothèque sur deux de ses propriétés. Le montant remboursé par Sniace dans le cadre de ces deux accords s’élevait à 186 963 594 ESP en juin 1998.

    12      Le 8 mars 1996, la Trésorerie générale de la sécurité sociale (ci-après la ‘TGSS’) a conclu un accord avec Sniace en vue du rééchelonnement de dettes de celle-ci en cotisations de sécurité sociale d’un montant total de 2 903 381 848 ESP et concernant une période allant de février 1991 à février 1995 (ci-après l’‘accord du 8 mars 1996’). Cet accord prévoyait le remboursement de ce montant, augmenté d’intérêts calculés au taux d’intérêt légal de 9 %, en 96 mensualités jusqu’en mars 2004. Il a été modifié par un accord du 7 mai 1996, prévoyant un différé du remboursement pendant un an, un remboursement en 84 mensualités et l’application du taux d’intérêt légal de 9 % (ci-après l’‘accord du 7 mai 1996’). Ces accords n’ayant pas été respectés par Sniace, ils ont été remplacés par un nouvel accord passé le 30 septembre 1997 entre cette société et la TGSS (ci-après l’‘accord du 30 septembre 1997’). Le remboursement portait sur un montant de 3 510 387 323 ESP, correspondant à des arriérés de cotisations de sécurité sociale pour une période allant de février 1991 à février 1997, à augmenter de majorations de retard d’un montant de 615 056 349 ESP, et devait s’effectuer sur une période de dix ans. Durant les deux premières années, seuls les intérêts, calculés à un taux annuel de 7,5 %, seraient versés, tandis que, durant les années suivantes, les remboursements porteraient sur le principal et sur les intérêts. En avril 1998, Sniace avait remboursé 216 118 863 ESP dans le cadre de l’accord du 30 septembre 1997.

    13      [Lenzing] a adressé, le 4 juillet 1996, une plainte à la Commission au sujet d’une série d’aides d’État qui auraient été octroyées à Sniace pendant plusieurs années à partir de la fin des années 80. Elle a transmis des informations complémentaires à la Commission par lettres des 26 novembre et 9 décembre 1996. Les autorités espagnoles ont présenté des observations par lettre du 17 février 1997.

    [...]

    16      Par lettre du 7 novembre 1997, la Commission a communiqué au gouvernement espagnol sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) à l’égard de certaines des prétendues aides dénoncées par [Lenzing], dont les accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995 et le ‘non-recouvrement des cotisations de sécurité sociale depuis 1991’, et l’a invité à présenter ses observations. Les autres États membres et les parties intéressées ont été informés de l’ouverture de cette procédure et ont été invités à faire valoir leurs observations éventuelles par la publication de cette lettre au Journal officiel des Communautés      européennes du 14 février 1998 (JO C 49, p. 2). Le gouvernement espagnol a communiqué ses observations par lettre du 19 décembre 1997. Des tiers intéressés, dont [Lenzing] par lettre du 27 mars 1998, ont présenté leurs observations, lesquelles ont été commentées par le gouvernement espagnol par lettre du 24 juin 1998. Par lettre du 16 avril 1998, ce dernier a répondu à des questions posées par la Commission par lettre du 23 février 1997.

    17      Le 28 octobre 1998, la Commission a adopté la décision [du 28 octobre 1998].

    18      Le dispositif de cette décision se lit comme suit:

    ‘Article premier

    L’aide d’État suivante mise à exécution par l’Espagne en faveur de [Sniace] est incompatible avec le marché commun:

    a)       l’accord du 8 mars 1996 (modifié par l’accord du 7 mai 1996) passé entre Sniace et la [TGSS] pour le rééchelonnement d’une dette d’un montant total de 2 903 381 848 ESP au titre du principal, tel que modifié de nouveau par l’accord du 30 septembre 1997 portant sur le rééchelonnement de dettes d’un montant total de 3 510 387 323 ESP au titre du principal, dans la mesure où le taux d’intérêt était inférieur au taux du marché; et

    b)       les accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995 passés entre Sniace et le [Fogasa] portant sur deux montants de 1 362 708 700 ESP et 339 459 878 ESP respectivement (intérêts compris), dans la mesure où le taux d’intérêt était inférieur au taux du marché.

    En ce qui concerne les autres points visés par la procédure ouverte en vertu de l’article [88, paragraphe 2, CE], à savoir une garantie de prêt totalisant un milliard de [ESP] et accordée en vertu de la loi 7/93, le mécanisme de financement de la construction d’une usine de traitement des effluents et l’annulation partielle de dettes par le conseil municipal de Torrelavega, ces mesures ne constituent pas une aide, de sorte qu’il est possible de clore la procédure […] Pour ce qui est du non-recouvrement des contributions à la protection de l’environnement pour la période 1987-1995, la Commission adoptera une décision distincte en temps utile.

    Article 2

    1.      Le Royaume d’Espagne prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès du bénéficiaire l’aide visée à l’article 1er et déjà illégalement mise à sa disposition.

    […]’

    19      Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 décembre 1998, le Royaume d’Espagne a introduit un recours en annulation de la décision du 28 octobre 1998 (affaire C‑479/98). La procédure dans cette affaire a été suspendue une première fois, par décision du président de la Cour du 23 février 1999, dans l’attente du prononcé de l’arrêt de la Cour dans l’affaire C‑342/96, Espagne/Commission, qui soulevait des questions similaires.

    [...]

    21      Le 29 avril 1999, la Cour a rendu son arrêt dans l’affaire C‑342/96 (Rec. p. I‑2459, ci-après l’‘arrêt Tubacex’). Elle a tout d’abord constaté que le Fogasa ne consentait pas des prêts aux entreprises en faillite ou en difficulté, mais satisfaisait toutes les demandes légitimes présentées par les travailleurs avec l’argent qu’il versait et récupérait ensuite auprès des entreprises. Elle a ajouté que le Fogasa pouvait conclure des accords de remboursement lui permettant d’échelonner ou de fractionner les sommes dues et que, de même, la TGSS pouvait accorder des échelonnements ou des fractionnements du paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale. La Cour a ensuite relevé que l’État ne s’était pas comporté comme un investisseur public dont l’intervention devrait être comparée au comportement d’un investisseur privé qui place son capital en vue d’une rentabilisation à plus ou moins court terme de celui-ci, mais comme ‘un créancier public qui, à l’instar d’un créancier privé, cherche à récupérer des sommes qui lui sont dues et qui conclut, à cet effet, des accords avec le débiteur, en vertu desquels les dettes accumulées seront échelonnées ou fractionnées en vue de faciliter leur remboursement’ (point 46). Elle a précisé que les accords en cause avaient été conclus en raison de la circonstance que préexistait l’obligation légale pour Tubacex de procéder au remboursement des salaires avancés par le Fogasa et au paiement des dettes en cotisations de sécurité sociale et qu’ils n’avaient donc pas fait naître de nouvelles dettes de Tubacex à l’égard des pouvoirs publics (point 47). Enfin, la Cour a déclaré que ‘[les] intérêts normalement applicables à ce type de créances sont ceux qui sont destinés à réparer le préjudice subi par le créancier à raison du retard dans l’exécution par le débiteur de son obligation de se libérer de sa dette, à savoir les intérêts moratoires’ et que, ‘[dans] l’hypothèse où le taux des intérêts moratoires appliqué aux dettes à l’égard d’un créancier public différerait de celui pratiqué pour les dettes à l’endroit d’un créancier privé, il conviendrait de retenir ce dernier taux dans l’occurrence où il serait plus élevé que le premier’ (point 48). Au vu de ces éléments, la Cour a annulé la décision 97/21 ‘en tant qu’elle déclare incompatibles avec l’article [87 CE] les mesures adoptées par le Royaume d’Espagne en faveur de [Tubacex] dans la mesure où le taux d’intérêt de 9 % appliqué aux sommes dues par cette dernière au [Fogasa] et à la TGSS est inférieur aux taux pratiqués sur le marché’.

    [...]

    23      À la suite de l’arrêt Tubacex, la Commission a réexaminé la décision du 28 octobre 1998. Par lettre du 16 février 2000, elle a communiqué au gouvernement espagnol sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard des ‘éléments d’aide […] réputés incompatibles avec le marché commun exposés à l’article 1er de la décision [du 28 octobre 1998]’ et l’a invité à présenter ses observations. […]

    24      Le 20 septembre 2000, la Commission a adopté la décision [litigieuse].

    [...]

    26      [Dans cette décision], la Commission a conclu [...] que ‘les accords de remboursement conclus entre le Fogasa et Sniace et l’accord de rééchelonnement passé entre la sécurité sociale et Sniace ne [constituaient] pas des aides d’État’ (considérant 31) et que, par conséquent, ‘il y [avait] lieu de modifier sa décision [du 28 octobre 1998]’ (considérant 32).

    27       Le dispositif de la décision [litigieuse] prévoit:

    ‘Article premier      

    La décision [du 28 octobre 1998] est modifiée comme suit:

    1) L’article 1er, paragraphe 1, est remplacé par le paragraphe suivant:

    ‘Les mesures suivantes mises en œuvre par l’Espagne en faveur de [Sniace] ne constituent pas des aides d’État:

    a)      l’accord du 8 mars 1996 (modifié par l’accord du 7 mai 1996) passé entre Sniace et la [TGSS] pour le rééchelonnement d’une dette d’un montant total de 2 903 381 848 [ESP] (soit 17 449 676,34 euros) au titre du principal, tel que modifié de nouveau par l’accord du 30 septembre 1997 portant sur le rééchelonnement de dettes d’un montant total de 3 510 387 323 [ESP] (soit 21 097 852,72 euros) au titre du principal et

    b)      les accords du 5 novembre 1993 et du 31 octobre 1995 passés entre Sniace et le [Fogasa] portant sur deux montants de 1 362 708 700 [ESP] (soit 8 190 044,23 euros) et de 339 459 878 [ESP] (soit 2 040 194,96 euros) respectivement.’

    2) L’article 2 est supprimé.

    [...]’

    [...]

    29       Par ordonnance du 4 décembre 2000, le président de la Cour a ordonné la radiation de l’affaire C-479/98 du registre de la Cour.»

     La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

    3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 février 1999, Lenzing a introduit un recours visant à obtenir l’annulation partielle de la décision du 28 octobre 1998. À la suite de l’adoption par la Commission de la décision litigieuse, Lenzing a présenté des observations par lettre enregistrée au greffe du Tribunal le 12 février 2001 dans laquelle elle a notamment reformulé ses conclusions en demandant au Tribunal d’annuler l’article 1er de la décision litigieuse en tant qu’il dispose que le non-recouvrement des créances, des majorations de retard et des intérêts dus à la TGSS, les accords des 8 mars 1996, 7 mai 1996 et 30 septembre 1997, le non-recouvrement des créances et des intérêts moratoires dus au Fogasa ainsi que les accords des 5 novembre 1993 et 31 octobre 1995 ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

    4        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a, tout d’abord, rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Royaume d’Espagne et la Commission en concluant notamment que Lenzing devait être considérée comme individuellement concernée par la décision litigieuse.

    5        À cet égard, au point 73 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise de manière analogue à celle du destinataire d’une telle décision.

    6        Il a ensuite souligné, au point 74 dudit arrêt, que, en ce qui concerne plus particulièrement le domaine des aides d’État, ont été reconnues comme individuellement concernées par une décision de la Commission clôturant la procédure formelle d’examen ouverte au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, à l’égard d’une aide individuelle (ci-après la «procédure formelle d’examen»), outre l’entreprise bénéficiaire, les entreprises concurrentes de cette dernière ayant joué un rôle actif dans le cadre de cette procédure, pour autant que leur position sur le marché soit substantiellement affectée par la mesure d’aide faisant l’objet de la décision attaquée (arrêt du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391, point 25).

    7        S’agissant, en premier lieu, de la participation de Lenzing à la procédure formelle d’examen, le juge de première instance a constaté, aux points 77 à 79 de l’arrêt attaqué, que Lenzing était à l’origine de la plainte ayant donné lieu à l’ouverture de cette procédure et avait participé activement à celle-ci en soumettant des observations détaillées.

    8        En ce qui concerne, en second lieu, l’atteinte portée à la position concurrentielle de Lenzing, le Tribunal a rappelé, au point 80 dudit arrêt, que, au stade de l’examen de la recevabilité, il suffit que la requérante indique de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission est susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché en cause.

    9        Le juge de première instance a ensuite examiné, aux points 81 à 91 de l’arrêt attaqué, les arguments avancés par Lenzing afin de démonter l’atteinte portée à sa position sur le marché. Ces points sont rédigés comme suit:

    «81      Il y a lieu de constater, en l’espèce, que, dans sa requête, [Lenzing] a mis l’accent sur le fait que les prétendues aides avaient porté atteinte à sa position concurrentielle sur le marché des fibres de viscose en ce qu’elles avaient permis à Sniace de se maintenir artificiellement en activité alors que ce marché se caractérisait par un nombre très limité de producteurs, une vive concurrence et de fortes surcapacités.


    82      Pour démontrer l’existence de telles surcapacités, [Lenzing] a expressément renvoyé à certaines pages des observations qu’elle avait présentées le 27 mars 1998 à la suite de l’ouverture de la procédure [formelle d’examen] et qui sont annexées à sa requête. Ces pages contiennent des données relatives à la consommation, à la production et aux capacités de production de fibres de viscose dans la Communauté pour les années 1992 à 1997, données émanant du Comité international de la rayonne et des fibres synthétiques (CIRFS).


    83      En outre, lors de l’audience, [Lenzing] a renvoyé à certaines informations contenues dans sa plainte du 4 juillet 1996, également annexée à sa requête. Dans cette plainte, elle a donné des indications sur le marché des fibres de viscose, a identifié les producteurs de viscose alors présents sur le marché, en donnant une estimation de leurs capacités de production respectives, et a apporté des précisions sur les quantités de fibres de viscose vendues par Sniace durant les années 1991 à 1995, en distinguant notamment les quantités vendues en Espagne de celles exportées vers l’Italie.


    84      La Commission n’a présenté aucun élément de nature à mettre en doute l’exactitude des informations fournies par [Lenzing]. Au contraire, elle reconnaît, tant dans son exception d’irrecevabilité que dans la décision du 28 octobre 1998, que le marché des fibres de viscose souffrait de surcapacités. Ainsi, au considérant 74 de cette décision, elle relève expressément que ‘Sniace opère dans un secteur en déclin, ce qui a amené certains de ses concurrents à réduire leurs capacités’, que ‘[l]a production de ces fibres dans l’[Espace économique européen] a été ramenée de 760 000 tonnes en 1992 à 684 000 tonnes en 1997 (soit une réduction de 10 %) et la consommation durant la même période a diminué de 11 %’ et que ‘le taux moyen d’utilisation des capacités au cours de cette période était d’environ 84 %, ce qui est peu pour un secteur à si forte intensité de capital’.


    85      De plus, il doit être souligné que la Commission a reconnu, tant dans la décision du 28 octobre 1998 (considérant 80) que dans [la décision litigieuse] (considérant 29), que les importantes difficultés financières que connaissait Sniace avaient sérieusement compromis ses chances de survie et que si la TGSS avait procédé au recouvrement forcé de ses créances, cela aurait pu entraîner la fermeture de cette société. Or, au vu du nombre très réduit de producteurs sur le marché et des surcapacités de production qui existaient sur celui-ci, la disparition de Sniace aurait été susceptible d’avoir des effets sensibles sur la position concurrentielle des producteurs restants en entraînant une diminution de leurs capacités excédentaires et une amélioration de leur situation commerciale. Si, certes, Sniace ne figurait pas parmi les producteurs de fibres de viscose les plus importants de la Communauté, la position qu’elle occupait sur le marché était loin d’être négligeable. Ainsi, il doit notamment être observé que la Commission a relevé, au considérant 9 de la décision du 28 octobre 1998, que la capacité de production de fibres de viscose de Sniace ‘[avoisinait] les 32 000 tonnes (9 % environ de la capacité totale au niveau de la Communauté’.


    86      Il convient de constater que ces éléments sont de nature à établir que la position de [Lenzing] sur le marché est substantiellement affectée par la décision [litigieuse].


    87      Par ailleurs, [Lenzing] a mis l’accent sur le fait que les prétendues aides avaient permis à Sniace de vendre ses produits, dans la Communauté, à des prix inférieurs de 20 % environ par rapport aux prix moyens de ses concurrents. Au soutien de cette affirmation, [Lenzing] s’est référée aux déclarations des sociétés Courtauld plc et Säteri, mentionnées aux considérants 15 et 17 de la décision du 28 octobre 1998. Dans sa réplique, elle a complété cette affirmation par un renvoi exprès à sa lettre du 18 juin 1997, annexée à sa requête, dans laquelle elle avait fourni à la Commission des informations supplémentaires sur le marché européen des fibres de viscose. Dans cette lettre, figurent des tableaux indiquant notamment, pour les années 1989 à 1996, les quantités de fibres de viscose et de modal livrées par Sniace et [Lenzing] en Espagne ainsi que par Sniace et les producteurs autrichiens en France et en Italie. Ladite lettre contient également des indications sur les prix à l’importation pratiqués en France et en Italie, de 1989 à 1996, par Sniace et d’autres producteurs. En outre, [Lenzing] a annexé à sa réplique des tableaux dans lesquels figurent les mêmes indications pour les années 1997 jusqu’au milieu de 2001. Il ressort de ces différentes indications que, dans la plupart des cas et à l’exception des producteurs des pays d’Europe de l’Est, les prix de Sniace étaient inférieurs à ceux des autres producteurs européens.


    88      La Commission ne conteste pas que Sniace a vendu ses produits à des prix inférieurs à ceux de ses concurrents européens. Elle avance seulement que la baisse générale des prix de plus de 30 % observée sur le marché entre 1990 et 1996 n’est pas une conséquence de l’octroi des prétendues aides à Sniace mais de facteurs externes, dont les importations en provenance d’Asie. Il y a lieu de relever, en outre, qu’il est indiqué, dans l’article de la publication spécialisée European Chemical News annexé par la Commission à son exception d’irrecevabilité, que ‘[l]es observateurs du marché affirment que Sniace continue à exercer une influence négative sur les prix qui dépasse sa faible capacité en termes de position sur le marché’.


    89      Ainsi, il ne saurait être exclu que les prétendues aides, dont certaines sont qualifiées d’‘avantage appréciable’ par la Commission elle-même (considérant 80 de la décision du 28 octobre 1998), ont permis à Sniace de vendre ses produits à des prix inférieurs à ceux de ses concurrents, dont [Lenzing].


    90      Enfin, l’argument que la Commission tire du fait que, au cours des années en cause, [Lenzing] a eu de bons résultats et a augmenté sa production est dénué de toute pertinence. L’affectation substantielle de la position sur le marché de l’intéressé ne doit, en effet, pas nécessairement se traduire par une baisse de sa rentabilité, une diminution de sa part de marché ou l’enregistrement de pertes d’exploitation. La question qui se pose dans ce contexte est celle de savoir si l’intéressé se trouverait dans une situation plus favorable en l’absence de la décision dont il poursuit l’annulation. Ainsi que le souligne à juste titre [Lenzing], cela peut valablement couvrir l’hypothèse du manque à gagner subi par ce dernier du fait de l’octroi d’un avantage par des autorités publiques à un de ses concurrents.


    91      Il résulte des considérations qui précèdent que [Lenzing] a indiqué de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision [litigieuse] était susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché. Il doit donc être conclu qu’elle est individuellement concernée par la décision [litigieuse].»

    10      En ce qui concerne le fond de l’affaire, le Tribunal a accueilli le moyen soulevé par Lenzing tiré de la violation par la Commission de l’article 87, paragraphe 1, CE, en ce que celle-ci s’est livrée à une application incorrecte du critère du créancier privé.

    11      En effet, selon le juge de première instance, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant que les comportements incriminés de la TGSS et du Fogasa satisfaisaient au critère du créancier privé. Le raisonnement suivi par le Tribunal sur cet aspect est exposé comme suit aux points 154 à 160 de l’arrêt attaqué:

    «154 Il ressort de la décision [litigieuse] ainsi que des écritures de la Commission que celle-ci estime pour trois raisons que la TGSS et le Fogasa se sont comportés, en l’espèce, comme un créancier privé.

    155       En premier lieu, la Commission procède à une comparaison entre le comportement de ces deux organismes et celui des créanciers privés de Sniace. Elle tire principalement argument du fait que la TGSS et le Fogasa, usant de leur droit d’abstention, n’ont pas participé à l’accord d’octobre 1996 et que, dès lors, ils n’ont pas, à la différence de ces créanciers privés, de facto renoncé à 40 % du montant de leurs créances. […]

    156       Cette première comparaison est manifestement erronée. La TGSS et le Fogasa se trouvaient, en effet, dans une situation différente de celle des créanciers privés de Sniace. Il convient de rappeler à ce propos que ces organismes jouissent d’un droit d’abstention, que leurs créances sont privilégiées et qu’ils disposent de certaines garanties, à savoir de droits de gage dans le cas de la TGSS et d’une hypothèque dans le cas du Fogasa. […]

    157       En deuxième lieu, la Commission invoque le fait que Banesto n’a pas procédé à l’exécution forcée de ses créances alors que celles-ci étaient garanties par une hypothèque […]

    158       Force est de constater que cette seconde comparaison n’est manifestement pas plus convaincante que la première. Aucun élément du dossier ne permet, en effet, de supposer que Banesto se trouvait dans une situation comparable à celle de la TGSS et du Fogasa. À cet égard, il y a lieu de noter que le dossier ne contient aucune indication, même sommaire, sur les circonstances ayant entouré la décision de cette banque de ne pas procéder au recouvrement forcé de ses créances. […]

    159       En troisième lieu, la Commission prétend que, en concluant les accords de rééchelonnement et de remboursement concernés, la TGSS et le Fogasa ont ‘cherché à mettre de [leur] côté toutes les chances de recouvrer l’ensemble des sommes qui [leur] étaient dues sans avoir à subir de pertes financières’ (considérant 30 de la décision [litigieuse]). Au considérant 29 de la décision [litigieuse], renvoyant à sa décision du 28 octobre 1998, elle précise, s’agissant de la TGSS, que, ‘en évitant de procéder à un recouvrement forcé pour ne pas risquer de provoquer la mise en liquidation de l’entreprise, [cet organisme] a agi de manière à mettre de son côté toutes les chances de recouvrer la dette’.

    160       Force est de constater que ces affirmations ne sont nullement démontrées. D’une part, elles sont en contradiction directe avec l’allégation répétée de la Commission selon laquelle la TGSS et le Fogasa disposaient de privilèges et de sûretés suffisantes, de sorte que rien ne les incitait à procéder à l’exécution forcée de leurs créances. D’autre part, la Commission ne disposait pas d’informations suffisantes pour être en mesure d’apprécier en pleine connaissance de cause les perspectives de rentabilité à terme et de viabilité de Sniace. Ainsi, il convient de relever que, invité par le Tribunal, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure […] à communiquer l’évolution des résultats (chiffre d’affaires et profits ou pertes) et du volume d’endettement de Sniace de 1991 à 2000, le Royaume d’Espagne a reconnu qu’il ne possédait pas ces données. Dans ces circonstances, il ne saurait être donné crédit à l’affirmation de la Commission selon laquelle ‘le gouvernement espagnol a […] assuré de manière crédible à la défenderesse que la sécurité sociale avait agi […] dans le but de sauvegarder l’ensemble des droits qu’elle détenait sur Sniace’. Bien plus, la Commission ne disposait d’aucun plan de restructuration crédible et réaliste concernant Sniace. […]»

    12      Par conséquent, au point 162 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a déclaré fondé le premier moyen du recours et, partant, annulé l’article 1er, paragraphe 1, de la décision litigieuse, sans considérer nécessaire d’examiner le second moyen soulevé par Lenzing.

     Les conclusions des parties

    13      Dans son pourvoi, le Royaume d’Espagne demande à la Cour:

    –        d’annuler l’arrêt attaqué;

    –        de faire droit aux conclusions présentées en première instance et, dès lors, de rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, de le rejeter comme non fondé, et

    –        de condamner Lenzing aux dépens du pourvoi.

    14      La Commission demande à la Cour:

    –        d’annuler l’arrêt attaqué;

    –        de faire droit aux conclusions présentées en première instance, et

    –        de condamner Lenzing aux dépens du pourvoi.

    15      Lenzing demande à la Cour:

    –        de rejeter le pourvoi;

    –        de faire droit aux conclusions présentées par Lenzing en première instance, et

    –        de condamner le Royaume d’Espagne aux dépens du pourvoi et la Commission aux dépens de la procédure de première instance.

     Sur le pourvoi

    16      À l’appui de son pourvoi, le Royaume d’Espagne invoque deux moyens. Le premier moyen porte sur la recevabilité du recours introduit par Lenzing en première instance tandis que le second est tiré de l’interprétation erronée faite par le Tribunal du critère du créancier privé.

     Sur le premier moyen

     Argumentation des parties

    17      Par son premier moyen, le Royaume d’Espagne, soutenu par la Commission, fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que Lenzing était individuellement concernée par la décision litigieuse au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

    18      Tout d’abord, le gouvernement espagnol soutient, en se référant en particulier à l’arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, que, contrairement aux exigences posées par la jurisprudence communautaire, le Tribunal est parvenu à cette conclusion en se basant exclusivement sur le rôle joué par Lenzing durant la procédure formelle d’examen sans examiner ou, à tout le moins, en examinant de manière incorrecte si la position de cette entreprise sur le marché avait été substantiellement affectée par la décision litigieuse.

    19      À cet égard, les autorités espagnoles relèvent que les mesures prises par le Fogasa et la TGSS à l’égard de Sniace, petit opérateur détenant environ 10 % de parts de marché, n’étaient pas susceptibles de causer un quelconque préjudice à Lenzing, entreprise appartenant à un groupe figurant parmi les principaux producteurs communautaires de fibres de viscose. Ainsi, pendant la période en cause, tant les parts de marché que les bénéfices de Lenzing auraient progressé.

    20      Le Tribunal aurait toutefois ignoré ces éléments, ou les aurait considérés comme dénués de pertinence, et aurait tenu compte, en revanche, de circonstances caractérisant non pas la situation de Lenzing sur le marché, mais exclusivement celle de Sniace, telles que la survie de cette entreprise grâce aux mesures de soutien en question ou le niveau des prix qu’elle a pratiqués. Le juge de première instance aurait ainsi vidé de tout contenu l’exigence jurisprudentielle relative à l’atteinte réelle et effective portée à la position concurrentielle de l’entreprise plaignante.

    21      Le gouvernement espagnol reproche ensuite au Tribunal d’avoir essentiellement fondé son raisonnement sur l’existence d’un manque à gagner prétendument subi par Lenzing du fait du maintien de Sniace sur le marché. Or, à supposer même que Lenzing ait effectivement subi un tel manque à gagner, cette circonstance ne saurait à elle seule permettre de conclure à la satisfaction de la condition relative à l’atteinte substantielle portée à la position de l’intéressée sur le marché. L’exigence d’une telle atteinte exclurait, en outre, que le manque à gagner puisse, comme l’a jugé le Tribunal, être présumé.

    22      En tout état de cause, selon les autorités espagnoles, Lenzing n’a subi aucun manque à gagner, comme le montre le fait que la situation globale de cette entreprise s’est améliorée au cours de la période concernée. Elles relèvent, enfin, que les mesures en question se sont traduites non pas par un apport de fonds à Sniace, mais par des accords de remboursement de dettes avec paiement d’intérêts, ce qui a entraîné une nouvelle charge financière pesant sur cette entreprise. Il ne saurait, dès lors, être affirmé que, en l’absence de ces mesures, les concurrents de Sniace se seraient nécessairement trouvés dans une meilleure position.

    23      La Commission ajoute qu’il ressort de la jurisprudence communautaire qu’il incombe au concurrent plaignant d’indiquer de façon pertinente les répercussions négatives concrètement et personnellement subies du fait de l’octroi d’une aide ainsi que le degré d’importance de l’atteinte portée à sa position sur le marché. Or, le Tribunal aurait méconnu ces exigences en matière de charge de la preuve d’une telle atteinte en ne se fondant que sur des données générales du marché et des effets ressentis par d’autres concurrents pour juger que Lenzing était individuellement concernée par la décision litigieuse. D’ailleurs, bien qu’elle y ait été invitée à plusieurs reprises, Lenzing n’aurait pas été en mesure d’avancer durant la procédure de première instance le moindre exemple de préjudice subi du fait des mesures d’aide en cause, alors que ses performances se seraient constamment et considérablement améliorées durant la période concernée.

    24      Lenzing considère, au contraire, que le Tribunal a jugé à bon droit qu’elle était individuellement concernée par la décision litigieuse. Conformément aux exigences posées par la jurisprudence communautaire, il aurait, en effet, établi de manière détaillée et convaincante l’atteinte substantielle portée à sa position sur le marché, à la lumière d’éléments tels que la part de marché détenue par Sniace, son maintien en activité sur un marché caractérisé par des surcapacités et un faible nombre de concurrents ou encore la pratique par cette entreprise de prix artificiellement bas. Il serait donc inexact d’affirmer que le Tribunal ne s’est fondé, à cet égard, que sur l’existence d’un prétendu manque à gagner. De toute manière, cet élément serait tout à fait pertinent dans le cadre de l’analyse de l’atteinte portée à la position concurrentielle de Lenzing dans la mesure où cette dernière se serait certainement trouvée dans une situation plus favorable en cas de disparition d’un concurrent dans un marché tel que celui en cause. En effet, les entreprises restantes auraient pu s’approprier des parts de marchés libérées et utiliser leurs surcapacités.

    25      L’existence d’une atteinte concrète portée à la position concurrentielle de Lenzing serait confirmée par une série de circonstances, à savoir le rapport de concurrence directe existant entre les deux entreprises dans les mêmes marchés géographiques et à l’égard des mêmes clients, la conquête de nouvelles parts de marchés par Sniace durant la période concernée, le fait que la mesure en cause constitue une aide au fonctionnement aux effets particulièrement restrictifs sur la concurrence ou encore les frais supportés et les efforts fournis par Lenzing dans le cadre de la procédure formelle d’examen.

    26      Lenzing souligne, en outre, que le Royaume d’Espagne et la Commission ont fondé leurs arguments sur une interprétation excessivement restrictive de la jurisprudence communautaire et, en particulier, de l’arrêt Cofaz e.a./Commission, précité. Cette jurisprudence se limiterait, en effet, à exiger que le concurrent plaignant établisse que sa position sur le marché est «susceptible» d’être affectée par l’aide d’État et ne requerrait donc pas la démonstration d’une atteinte «réelle et effective», laquelle imposerait une charge de la preuve excessive aux concurrents du bénéficiaire d’une telle aide.

    27      Enfin, la Commission aurait donné, dans son mémoire en réponse, une image excessivement positive de la situation économique de Lenzing durant la période concernée afin de minimiser les effets de l’aide en cause. Cette image serait, d’ailleurs, contredite par certaines données contenues dans des documents utilisés par la Commission elle-même dans le cadre de la procédure de première instance.

     Appréciation de la Cour

    28      Par son premier moyen, le Royaume d’Espagne, soutenu par la Commission, fait valoir en substance que les éléments retenus par le Tribunal comme étant de nature à établir l’existence d’une atteinte substantielle portée à la position de Lenzing sur le marché sont insuffisants pour conclure à la réalité d’une telle atteinte.

    29      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

    30      Selon la jurisprudence constante de la Cour, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (voir, notamment, arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223; du 19 mai 1993, Cook/Commission, C‑198/91, Rec. p. I‑2487, point 20, et du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737, point 33).

    31      S’agissant plus particulièrement du domaine des aides d’État, les sujets autres que les destinataires mettant en cause le bien-fondé d’une décision d’appréciation de l’aide sont considérés comme individuellement concernés par ladite décision au cas où leur position sur le marché est substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (voir, en ce sens, arrêts précités Cofaz e.a./Commission, points 22 à 25, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, points 37 et 70).

    32      Concernant la détermination d’une telle atteinte, la Cour a eu l’occasion de préciser que la seule circonstance qu’un acte tel que la décision litigieuse est susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que l’entreprise concernée se trouvait dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait en tout état de cause suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme individuellement concernée par ledit acte (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission, 10/68 et 18/68, Rec. p. 459, point 7 ainsi que ordonnance du 21 février 2006, Deutsche Post et DHL Express/Commission, C‑367/04 P, non publiée au Recueil, point 40).

    33      Dès lors, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire, mais doit établir, en outre, qu’elle est dans une situation de fait qui l’individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (arrêt du 23 mai 2000, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, C‑106/98 P, Rec. p. I‑3659, point 41, ainsi que ordonnance Deutsche Post et DHL Express/Commission, précitée, point 41).

    34      Cependant, contrairement à ce qu’affirment le Royaume d’Espagne et la Commission, il ne ressort pas de la jurisprudence de la Cour qu’un tel statut particulier, caractérisant un sujet autre que les destinataires d’une décision, au sens de l’arrêt Plaumann/Commission, précité, par rapport à tout autre opérateur économique, devrait nécessairement être déduit d’éléments tels qu’une importante baisse du chiffre d’affaires, des pertes financières non négligeables ou encore une diminution significative des parts de marché à la suite de la concession de l’aide en question.

    35      En effet, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé aux points 43 à 45 de ses conclusions, la concession d’une aide d’État peut porter atteinte à la situation concurrentielle d’un opérateur également d’autres manières, notamment en provoquant un manque à gagner ou une évolution moins favorable que celle qui aurait été enregistrée en l’absence d’une telle aide. De même, l’intensité d’une telle atteinte est susceptible de varier selon un grand nombre de facteurs tels que, notamment, la structure du marché en cause ou la nature de l’aide en question. La démonstration d’une atteinte substantielle portée à la position d’un concurrent sur le marché ne saurait, dès lors, être limitée à la présence de certains éléments indiquant une dégradation de ses performances commerciales ou financières.

    36      Du reste, il ne peut être exclu que, dans certains cas, une entreprise réussisse à éviter ou, à tout le moins, à limiter une telle dégradation, par exemple en effectuant des économies ou en se développant sur des marchés plus rentables. Or, si elle était retenue, l’argumentation des autorités espagnoles et de la Commission aboutirait à une interprétation de l’article 230, quatrième alinéa, CE selon laquelle dans de telles circonstances, alors même qu’elle subit des répercussions substantielles du fait de la concession d’une aide d’État à un concurrent, une entreprise risquerait de ne pas se voir reconnaître la qualité pour agir à l’encontre d’une décision portant sur l’appréciation des mesures en cause.

    37      En l’espèce, il ressort des points 81 à 90 de l’arrêt attaqué que le Tribunal ne s’est pas borné à relever, de façon générale, l’existence d’un rapport de concurrence entre Lenzing et Sniace, mais a fondé sa conclusion quant à l’atteinte portée à la position de Lenzing sur le marché sur une série d’éléments, produits par cette dernière, de nature à établir essentiellement la particularité de la situation concurrentielle du marché des fibres de viscose, caractérisé par un nombre très limité de producteurs et de fortes surcapacités de production, l’importance des distorsions que produit la concession d’une aide à une entreprise opérant dans un tel marché ainsi que l’effet de l’aide sur le niveau des prix pratiqués par Sniace.

    38      En particulier, pour les raisons exposées par Mme l’avocat général aux points 45 et 46 de ses conclusions, le Tribunal a pu considérer à bon droit, au point 85 de l’arrêt attaqué, que le maintien en activité d’un opérateur sur un marché présentant les caractéristiques de celui de la viscose, caractéristiques qui n’ont pas été contestées par le gouvernement espagnol, est susceptible de produire des effets particulièrement sensibles sur la position de ses concurrents.

    39      Ainsi, notamment, la situation de Lenzing se distingue clairement de celle qui a donné lieu à l’arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité (point 72), dans lequel la Cour a conclu à l’absence d’atteinte substantielle portée à la position concurrentielle des membres de l’association requérante dans cette affaire du fait qu’un nombre très élevé d’opérateurs, à savoir l’ensemble des agriculteurs de l’Union européenne, pouvaient être regardés comme des concurrents des bénéficiaires du programme d’acquisition de terres en cause.

    40      En outre, il y a lieu de constater que le Royaume d’Espagne et la Commission n’ont fourni à la Cour aucun élément de nature à démontrer l’existence d’une dénaturation des éléments de preuve soumis au Tribunal ou d’une inexactitude des constations de ce dernier au regard des pièces du dossier pouvant remettre en cause son appréciation souveraine des faits quant à l’atteinte portée à la position de Lenzing sur le marché.

    41      Enfin, dans ces conditions, il ne saurait non plus être reproché au Tribunal d’avoir, comme le prétend la Commission, méconnu les règles relatives à la répartition de la charge de la preuve. À cet égard, il suffit de relever que, au point 80 de l’arrêt attaqué, le juge de première instance a retenu, conformément aux exigences posées par la jurisprudence issue de l’arrêt Cofaz e.a./Commission, précité (point 28), qu’il incombait seulement à Lenzing d’indiquer de façon pertinente les raisons pour lesquelles la décision de la Commission est susceptible de léser ses intérêts légitimes en affectant substantiellement sa position sur le marché en cause. Or, pour les raisons exposées aux points 34 à 39 du présent arrêt, les éléments invoqués par Lenzing et examinés par le Tribunal étaient de nature à établir une telle atteinte.

    42      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter le premier moyen comme non fondé.

     Sur le second moyen

     Argumentation des parties

    43      Par son second moyen, le Royaume d’Espagne soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en se livrant à une interprétation incorrecte du critère du créancier privé.

    44      En effet, l’arrêt attaqué aurait retenu à tort, d’une part, que la concession d’un réaménagement de dettes est contraire en soi au critère du créancier privé et, d’autre part, que, en cas de non-respect d’un accord de rééchelonnement, un créancier privé opterait toujours et nécessairement pour l’exécution forcée de ses créances. Cette approche serait contraire à la jurisprudence et, notamment, aux arrêts de la Cour Tubacex, et du Tribunal du 11 juillet 2002, HAMSA/Commission (T‑152/99, Rec. p. II‑3049) qui auraient expressément admis que des mesures de rééchelonnement du paiement de dettes ou même des remises de dettes peuvent être parfaitement compatibles avec le critère du créancier privé.

    45      À cet égard, les autorités espagnoles précisent que l’examen de telles mesures devrait toujours être mené en fonction des circonstances propres de chaque cas d’espèce. Or, le Tribunal n’aurait pas tenu compte de toute une série d’éléments et de facteurs qui indiqueraient que les deux organismes publics espagnols ont pris une décision adéquate, conforme au comportement d’un créancier privé, quant au recouvrement de leurs créances. Le gouvernement espagnol se réfère, notamment, au fait que la mise en liquidation de Sniace en raison d’une éventuelle exécution forcée aurait entraîné de nouvelles dettes à l’égard de la Fogasa en termes de versement de salaires et d’autres indemnités aux travailleurs licenciés, que les sommes dues étaient suffisamment garanties et produisaient des intérêts au taux légal, que l’entreprise avait déjà remboursé une partie de ses dettes et n’en avait pas contracté d’autres et que les autres créanciers n’avaient pas procédé à l’exécution de leurs créances.

    46      Le Royaume d’Espagne invoque, ensuite, le caractère contradictoire du raisonnement suivi par le Tribunal au point 146 de l’arrêt attaqué consistant, d’une part, à reconnaître que l’intervention du Fogasa, prévue par la législation communautaire relative à la protection des travailleurs en cas d’insolvabilité de l’employeur, ne contient pas en elle-même d’éléments d’aides d’État et, d’autre part, à affirmer que toute intervention publique destinée à financer des coûts de l’activité d’une entreprise, tels que le paiement des salaires, est susceptible de constituer une aide chaque fois qu’elle aboutit à conférer un avantage à une entreprise. Dans cette optique, en effet, l’intervention du Fogasa, dont la mission est précisément celle de prendre en charge le paiement des salaires des travailleurs d’entreprises connaissant des difficultés économiques, constituerait toujours un avantage pour l’entreprise concernée.

    47       La Commission, qui partage les arguments développés par le Royaume d’Espagne, ajoute que, en censurant l’analyse effectuée dans la décision litigieuse, le Tribunal n’a pas respecté le large pouvoir d’appréciation reconnu à la Commission en matière de questions économiques complexes. Ce pouvoir ne serait soumis qu’à un contrôle juridictionnel restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation.

    48      Or, compte tenu, d’une part, des garanties détenues par le Fogasa et la TGSS et, d’autre part, du comportement des créanciers privés, le refus de la Commission de considérer les mesures litigieuses comme des aides d’État n’aurait été en aucun cas manifestement erroné. Le Tribunal aurait, toutefois, outrepassé les limites posées à son contrôle et substitué sa propre évaluation à celle de la Commission, en violation non seulement de l’article 87, paragraphe 1, CE, mais aussi du principe de l’équilibre institutionnel entre les pouvoirs exécutif et judiciaire de la Communauté, tel qu’il ressort du traité CE.

    49      La Commission fait également grief au Tribunal de n’avoir pas procédé, dans son contrôle de l’application du critère du créancier privé, à un examen distinct, d’une part, de la conclusion par le Fogasa et la TGSS d’accords de report et de rééchelonnement de dettes et, d’autre part, de l’absence de recouvrement forcé des créances en cas de non-respect de ces accords. Or, il existerait une nette différence, pour le créancier agissant selon les règles d’une économie de marché, selon qu’il s’agit de conclure un accord de rééchelonnement ou de savoir quelles conséquences il conviendrait, le cas échéant, de tirer de la violation par le débiteur de ce type d’accord.

    50      Lenzing, tout en approuvant entièrement le raisonnement suivi par le Tribunal, soutient, pour sa part, que de nombreux arguments avancés par le Royaume d’Espagne et la Commission sont irrecevables dans la mesure où ils constituent une simple répétition de l’argumentation soutenue en première instance ou se limitent à contester des appréciations de faits ou d’éléments de preuve effectuées par le Tribunal.

     Appréciation de la Cour

    51      Il convient de constater d’emblée que les arguments développés par le Royaume d’Espagne et la Commission dans le cadre du second moyen partent du principe que le Tribunal aurait considéré, dans l’arrêt attaqué, que la conclusion d’accords de réaménagement de dettes ainsi que l’absence de recouvrement forcé à la suite de la violation de ces accords ne pourraient jamais satisfaire au critère du créancier privé.

    52      Or, une telle argumentation procède d’une lecture erronée des passages pertinents dudit arrêt.

    53      En effet, il ressort sans ambiguïté des points 152 à 161 de l’arrêt attaqué que, contrairement à ce que font valoir le gouvernement espagnol et la Commission, le Tribunal n’a fondé son appréciation des mesures en cause ni sur une quelconque illégalité en soi des accords de rééchelonnement et de remboursement de dettes ni sur la présomption que, en cas de non-respect de ces accords, tout créancier privé engagerait nécessairement des procédures exécutoires afin de récupérer ses créances. Il découle, au contraire, des points susmentionnés que le juge de première instance a conclu à l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission, à la lumière d’une série d’éléments et de circonstances propres au cas d’espèce.

    54      Dans ces conditions, la plupart des arguments avancés par les autorités espagnoles et la Commission conduisent, en réalité, à remettre en cause l’appréciation des éléments de preuve effectuée par le Tribunal, en reprochant à ce dernier de ne pas avoir pris en considération certains éléments qu’elles considèrent comme pertinents ou bien d’avoir tenu compte d’autres éléments qu’elles jugent dépourvus de pertinence. Or, une telle appréciation n’est pas soumise au contrôle de la Cour sous réserve du cas d’une dénaturation des faits et des éléments de preuve soumis au juge de première instance, dénaturation qui, en l’espèce, n’est pas démontrée ni même alléguée par le gouvernement espagnol (voir notamment, en ce sens, arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C‑53/92 P, Rec. p. I‑667, point 42; du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 49, ainsi que du 23 mars 2006, Mülhens/OHMI, C‑206/04 P, Rec. p. I‑2717, point 28).

    55      Il s’ensuit que le présent moyen est irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre l’appréciation des éléments de preuve par le Tribunal.

    56      Quant à l’argument tiré du fait que le Tribunal aurait outrepassé le niveau de contrôle qui lui est reconnu par la jurisprudence dans un domaine donnant lieu à des appréciations économiques complexes, il importe, tout d’abord, de rappeler que, si la Cour reconnaît à la Commission une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas que le juge communautaire doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique (arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, point 39).

    57      En effet, selon la jurisprudence de la Cour, le juge communautaire doit non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, en ce sens, arrêts du 25 janvier 1979, Racke, 98/78, Rec. p. 69, point 5; du 22 octobre 1991, Nölle, C‑16/90, Rec. p. I‑5163, point 12; Commission/Tetra Laval, précité, point 39, ainsi que du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commision, C‑326/05 P, non encore publié au Recueil, point 76). Toutefois, dans le cadre de ce contrôle, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation économique à celle de la Commission (ordonnance du 25 avril 2002, DSG Dradenauer Stahlgesellschaft /Commission, C‑323/00 P, Rec. p. I‑3919, point 43).

    58      En outre, il y a lieu de relever que, dans les cas où une institution communautaire dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le contrôle du respect de certaines garanties procédurales revêt une importance fondamentale. La Cour a ainsi eu l’occasion de préciser que parmi ces garanties figurent l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce et de motiver sa décision de façon suffisante (voir arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14, ainsi que du 7 mai 1992, Pesquerias De Bermeo et Naviera Laida/Commission, C-258/90 et C-259/90, Rec. p. I‑2901, point 26).

    59      En ce qui concerne la présente affaire, il est constant que l’examen par la Commission de la question de savoir si des mesures déterminées peuvent être qualifiées d’aide d’État, en raison du fait que les autorités publiques n’auraient pas agi de la même manière qu’un créancier privé, requiert de procéder à une appréciation économique complexe.

    60      Or, s’agissant du contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal sur ledit examen, il ressort des points 154 à 160 de l’arrêt attaqué que le juge de première instance, sans substituer son appréciation économique à celle de la Commission, s’est borné à relever, d’une part, certaines contradictions manifestes, résultant du texte même de la décision litigieuse, dans la comparaison effectuée par la Commission entre la situation des créanciers publics et celle des créanciers privés ainsi que, d’autre part, une absence d’éléments étayant les conclusions de celle-ci quant à la situation d’un de ces créanciers privés et aux perspectives de rentabilité et de viabilité de Sniace.

    61      Ce faisant, le Tribunal a respecté les limites du contrôle juridictionnel que le juge communautaire peut exercer sur des appréciations économiques complexes.

    62      Il résulte de ces considérations que le second moyen est, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondé.

    63      Aucun des moyens invoqués par le Royaume d’Espagne au soutien de son pourvoi n’ayant prospéré, il y a lieu de rejeter celui-ci.

     Sur les dépens

    64      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Lenzing ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne aux dépens de la présente instance et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par Lenzing.

    65      Conformément à l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, la Commission supporte ses propres dépens.

    Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

    1)      Le pourvoi est rejeté.

    2)      Le Royaume d’Espagne supporte, outre ses propres dépens, les dépens de Lenzing AG.

    3)      La Commission des Communautés européennes supporte ses propres dépens.

    Signatures


    * Langue de procédure: l’allemand.

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