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Document 62004CC0437

    Conclusions de l'avocat général Stix-Hackl présentées le 29 juin 2006.
    Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique.
    Manquement d'État - Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes - Immeubles loués par les Communautés - Région de Bruxelles-Capitale - Taxe à la charge des propriétaires.
    Affaire C-437/04.

    Recueil de jurisprudence 2007 I-02513

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2006:434

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    Mme Christine Stix-Hackl

    présentées le 29 juin 2006 (1)

    Affaire C-437/04

    Commission des Communautés européennes

    contre

    Royaume de Belgique

    «Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes – Article 3 – Taxe à charge des propriétaires d’immeubles pris à bail par les Communautés dans la Région de Bruxelles-Capitale»





    I –    Introduction

    1.     À l’instar de l’affaire Communauté européenne (2), qui est toujours en cours, la présente affaire concerne l’interprétation d’une disposition du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (ci-après le «protocole») (3) – à savoir l’article 3 relatif à l’exonération de tous impôts directs et indirects – sur laquelle la Cour n’a eu que rarement à se prononcer à ce jour (4).

    2.     La Commission fait en substance valoir que le royaume de Belgique aurait violé le protocole en instituant une taxe régionale incompatible avec l’immunité fiscale des Communautés. Même si la taxe litigieuse frappe directement les propriétaires d’immeubles bâtis utilisés à des fins professionnelles et dépassant une certaine superficie, il resterait néanmoins que la charge fiscale pèse indirectement sur l’occupant, et par conséquent également sur les Communautés, en leur qualité de locataires de biens immobiliers.

    II – Cadre juridique

    A –    Droit communautaire

    3.     Aux termes de l’article 291 CE (5), la Communauté jouit sur le territoire des États membres des privilèges et immunités nécessaires à l’accomplissement de sa mission dans les conditions définies au protocole.

    4.     L’article 3 du protocole dispose:

    «Les Communautés, leurs avoirs, revenus et autres biens sont exonérés de tous impôts directs.

    Les gouvernements des États membres prennent chaque fois qu’il leur est possible, les dispositions appropriées en vue de la remise ou du remboursement du montant des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans les prix des biens immobiliers ou mobiliers lorsque les Communautés effectuent pour leur usage officiel des achats importants dont le prix comprend des droits et taxes de cette nature. Toutefois, l’application de ces dispositions ne doit pas avoir pour effet de fausser la concurrence à l’intérieur des Communautés.

    Aucune exonération n’est accordée en ce qui concerne les impôts, taxes et droits qui ne constituent que la simple rémunération de services d’utilité générale.»

    5.     L’article 13 du protocole dispose:

    «Dans les conditions et suivant la procédure fixée par le Conseil statuant sur proposition de la Commission, les fonctionnaires et autres agents des Communautés sont soumis au profit de celles-ci à un impôt sur les traitements, salaires et émoluments versés par elles.

    Ils sont exempts d’impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par les Communautés.»

    6.     L’article 19 du protocole dispose:

    «Pour l’application du présent protocole, les institutions des Communautés agissent de concert avec les autorités responsables des États membres intéressés.»

    B –    Droit national

    7.     L’article 3, paragraphe 1, de l’ordonnance de la Région de Bruxelles‑Capitale, du 23 juillet 1992, relative à la taxe régionale à charge des occupants d’immeubles bâtis et de titulaires de droits réels sur certains immeubles (ci-après l’«ordonnance régionale») dispose:

    «La taxe est à charge:

    a)      de tout chef de ménage occupant, à titre de résidence principale ou secondaire, tout ou partie d’un immeuble bâti sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale [...];

    b)      de tout occupant de tout ou partie d’un immeuble bâti situé sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale et qui y exerce, pour son propre compte, une activité lucrative ou non, en ce compris une profession libérale, et de toute personne morale ou association de fait qui l’occupe à titre de siège social, administratif, d’exploitation ou d’activité [...];

    c)      du propriétaire en pleine propriété [...] pour tout ou partie d’immeuble bâti, situé sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, non affecté à l’usage sous a) ci-dessus.»

    III – Les faits et la procédure préalable

    8.     La Communauté a conclu le 3 février 1998 avec la SA Vita, aux droits et obligations de laquelle a succédé la SA Zurich, une convention de bail ayant pour objet un immeuble situé à Ixelles (Bruxelles, Belgique). Ladite convention stipule que, dès son entrée en vigueur, tous impôts et taxes, de quelque nature qu’ils soient, grevant l’immeuble loué au profit d’une autorité publique et toutes autres charges de même nature sont supportées par le preneur, sauf si celui-ci obtient des autorités publiques compétentes leur exonération dans le chef du bailleur, en raison de son statut particulier, tel qu’il est réglé notamment par l’article 3 du protocole.

    9.     Se fondant sur l’ordonnance régionale, la Région de Bruxelles-Capitale a mis à charge de la SA Vita divers montants correspondant à la taxe due pour les années 1992 à 1997. Mise en demeure par la SA Vita d’avoir à rembourser à cette dernière les montants correspondant aux taxes ainsi mises à sa charge, la Commission européenne s’y est refusée. La SA Vita a alors porté le litige devant le juge de paix du premier canton d’Ixelles, qui a rendu le 26 mai 1998 un jugement condamnant la Commission à payer à la SA Vita les sommes de 20 000 277 BEF et 290 211 BEF. L’appel interjeté devant le tribunal de première instance de Bruxelles ayant été rejeté, la Commission s’est pourvue en cassation devant la Cour de cassation.

    10.   Dans le cadre de ce pourvoi, la Cour de cassation n’a pas jugé nécessaire de saisir la Cour de la question préjudicielle suggérée par la Commission. Cette dernière avait en effet proposé de demander à la Cour si l’article 28 du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes du 8 avril 1965 et l’article 3 du protocole, ces dispositions étant le cas échéant combinées avec l’article 23 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques (6) (ci-après la «convention de Vienne»), doivent être interprétés en ce sens qu’ils prohibent l’adoption de toute loi ou autre norme nationale instituant un impôt direct qui, en apparence, vise les personnes qui contractent avec des personnes morales de droit international, mais qui, dans la réalité, a nécessairement pour objet ou pour effet que la charge effective dudit impôt est supportée par ou reportée sur ces dernières (dont la Commission).

    11.   Par lettre de mise en demeure du 2 avril 2003, la Commission a alors introduit une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE. Le gouvernement belge a répondu le 3 juin 2003 que la taxe litigieuse ne vise ni directement ni indirectement les institutions internationales, mais tout propriétaire d’immeuble bâti non affecté à la résidence et dont la superficie excède un certain seuil. Dès lors, la Région de Bruxelles-Capitale n’aurait en rien enfreint le principe de l’exécution de bonne foi des traités.

    12.   Par avis motivé du 16 décembre 2003, la Commission a invité le Royaume de Belgique à mettre fin à la violation du traité dans les deux mois à compter de la réception de l’avis. Le gouvernement belge ayant répondu par lettre du 30 juillet 2004 qu’il maintenait son point de vue, la Commission a saisi la Cour par requête du 11 octobre 2004, parvenue au greffe le 15 octobre 2004.

    13.   Le Conseil de l’Union européenne a été admis à intervenir par ordonnance du président de la Cour du 6 avril 2005.

    IV – Arguments des parties

    A –    La Commission et le Conseil

    14.   La Commission et le Conseil soutiennent que l’ordonnance régionale est un exemple flagrant de réglementation visant à contourner l’immunité fiscale reconnue aux organisations internationales, et en particulier celle de la Communauté européenne. La volonté du législateur national découlerait à la fois de l’article 3, paragraphe 1, de l’ordonnance régionale, qui définit les redevables de la taxe, et des travaux préparatoires.

    15.   Tandis que la réglementation antérieure ne visait que les occupants, l’ordonnance régionale aurait ajouté une taxe frappant les propriétaires d’immeubles affectés à des activités professionnelles et dépassant une certaine superficie. Cela resterait cependant une taxe frappant l’occupation de l’immeuble. Le paiement final par l’occupant serait garanti par le fait que le propriétaire redevable répercuterait nécessairement la taxe sur le locataire, sous forme d’une majoration de loyer, par exemple en vertu d’un bail reportant la charge fiscale sur le locataire. Il serait certes vrai que, à la date de l’instauration de la taxe litigieuse, les clauses prévoyant la prise en charge des taxes immobilières par le locataire étaient déjà contenues dans les contrats de bail conclus par la Commission, de sorte que cette dernière avait d’avance accepté l’éventualité que les loyers soient augmentés de charges fiscales. Il faudrait cependant considérer que, à Bruxelles, les contrats de bail sont généralement conclus pour une durée de neuf ans et mettent la taxe immobilière à la charge du locataire. Il serait de fait impossible pour les locataires d’échapper à une telle clause et la situation de la Commission ne serait de ce point de vue pas différente de celle des autres locataires. Le point déterminant serait dès lors que cette situation de fait et de droit a constitué un motif pour l’institution de la taxe dans sa forme actuelle, ce que confirmeraient les déclarations, invoquées par la Commission, du ministre compétent des Finances, du Budget et de la Fonction publique de la Région de Bruxelles-Capitale.

    16.   L’introduction de la taxe aurait également pour effet d’améliorer sensiblement les recettes fiscales, notamment par la taxation d’immeubles pour lesquels aucune imposition n’était perçue parce qu’ils étaient occupés par des personnes ou des institutions exonérées d’impôt. Contrairement aux allégations du gouvernement belge, l’introduction de la taxe en question ne serait donc pas fiscalement neutre.

    17.   Par ailleurs, contrairement aux locataires privés, la Communauté ne bénéficierait pas de la déduction fiscale du loyer et des charges éventuelles, de sorte que ces frais constitueraient pour la Communauté une charge relativement élevée. La location d’immeubles aux Communautés serait donc fiscalement particulièrement avantageuse pour la Belgique. En effet, lorsqu’une entreprise prend un immeuble en location, la recette apportée par la taxe serait neutralisée par la déduction fiscale du loyer et des charges dans le chef du locataire. En revanche, lorsqu’un immeuble est loué par les Communautés, la Région de Bruxelles-Capitale encaisserait la taxe litigieuse sans être obligée de concéder au locataire le droit de déduire cette taxe du total de ses impôts. L’avantage serait ainsi particulièrement élevé lorsque tant le précompte immobilier que la taxe litigieuse sont remboursés au redevable par la Communauté.

    18.   Pour ce qui est de la comparaison entre la taxe litigieuse et le précompte immobilier, il serait vrai que les institutions n’auraient pour l’heure entamé aucune action juridique contre ce dernier. Une simple pratique ne serait cependant pas de nature à modifier les règles du traité et la Commission ne serait donc nullement tenue de défendre en l’espèce le même point de vue que pour le précompte immobilier. La comparaison serait par ailleurs dépourvue de pertinence, parce que le précompte immobilier existait déjà dans son principe avant que les Communautés ne s’établissent à Bruxelles et il n’aurait dès lors pas été institué pour contourner l’immunité fiscale des Communautés. Les conditions d’application des deux impositions ne seraient pas non plus comparables, puisque le précompte immobilier se rattacherait aux revenus immobiliers, ce qui fait du propriétaire le redevable naturel de cet impôt. Pour ce qui concerne la taxe litigieuse, par contre, le même résultat serait obtenu en taxant l’occupant ou le propriétaire. Le législateur régional serait tenu de choisir son redevable en conformité avec son obligation de coopération loyale avec les Communautés, en s’assurant que les ressources versées au budget de la Communauté ne soient pas détournées vers le trésor de l’État du siège des institutions communautaires, qui tirerait ainsi un avantage injustifié de la présence des Communautés sur son sol.

    19.   De même, le législateur régional aurait pu exonérer de la taxe litigieuse les immeubles loués par la Communauté, au même titre qu’il l’a fait pour les immeubles loués par le Parlement européen. En tout état de cause, l’article 19 du protocole imposait à la Région de Bruxelles-Capitale de se concerter avec les institutions pour trouver une solution conforme au traité CE.

    20.   L’exemption des Communautés européennes prévue par l’article 3 du protocole confirmerait et préciserait par ailleurs le principe général de droit international public consacré à l’article 23 de la convention de Vienne. L’article 3 du protocole trouverait sa source dans une longue pratique coutumière basée sur le principe de la souveraineté et de l’égalité des États. À la différence de l’article 23 de la convention de Vienne, qui ne consacrerait qu’une version minimale de l’immunité fiscale, l’article 3 du protocole exempterait certes les immeubles, mais aussi de la manière la plus large et la plus absolue tous les avoirs, revenus et autres biens des Communautés de tous impôts directs, sans exclure du champ d’application de cette immunité les impôts dont le redevable est le cocontractant des Communautés, mais qui sont indirectement à la charge de ces dernières. De plus, l’article 3 du protocole consacrerait le principe de l’immunité des impôts indirects.

    21.   La jurisprudence de la Cour relative au protocole confirmerait d’ailleurs le principe de l’interprétation large de l’immunité fiscale des Communautés européennes.

    22.   La jurisprudence Commission/Belgique (7) serait pertinente dans la mesure où il serait possible de faire l’analogie avec la présente affaire en ce qui concerne la répercussion de la charge financière par le propriétaire sur le locataire. Une différence notable serait cependant que, à la différence des institutions, dont l’immunité fiscale est en cause en l’espèce, les fonctionnaires communautaires ne bénéficieraient d’aucune exonération globale. Loin de demander le bénéfice d’un «transfert contractuel de l’immunité», la Commission aurait simplement considéré que les autorités belges auraient dû ajouter les immeubles affectés à l’usage des Communautés européennes aux cas d’exonération de la taxe litigieuse dans le chef des propriétaires.

    23.   En résumé, force serait de conclure que méconnaît le principe de l’immunité toute disposition légale qui, même sans soumettre expressément la Communauté à un impôt, a pour objet ou pour effet de faire supporter indirectement un impôt à la Communauté.

    B –    Le gouvernement belge

    24.   Le gouvernement belge observe tout d’abord que, puisqu’elles sont en vertu du protocole exonérées de cette taxe aussi bien en tant qu’occupant qu’en tant que propriétaire ou bailleur, les Communautés européennes sont exclues du champ d’application de l’ordonnance régionale. Il ne pourrait dès lors être question d’une redevabilité fiscale des Communautés européennes en ce qui concerne la taxe litigieuse.

    25.   La taxe n’enfreindrait en rien le principe de l’exécution de bonne foi des traités, dans la mesure où elle ne viole pas l’immunité fiscale de la Commission. L’obligation en cause ne serait en effet pas à caractère fiscal, mais résulterait d’un contrat conclu avec le propriétaire soumis à la taxe. La Cour de cassation belge aurait déclaré à ce sujet que, le transport de l’obligation fiscale étant fondé sur un contrat de droit privé, il serait excessif qu’une organisation internationale puisse réclamer l’exonération d’une partie du loyer résultant d’une augmentation générale des impôts.

    26.   Puisque le paiement contesté par la Commission découle des stipulations d’un contrat de droit privé, le fait que la taxe litigieuse a été instituée après la conclusion des contrats répercutant certains impôts sur le locataire serait dépourvu d’importance. Cette obligation contractuelle lierait toute personne, publique ou privée, au moment de la conclusion du contrat et pour l’avenir. Il serait au demeurant parfaitement loisible aux cocontractants de déroger au transfert contractuel de la charge fiscale sur le locataire.

    27.   Aux termes de la convention de Vienne, en particulier de son article 23 paragraphe 2, l’immunité fiscale ne s’étendrait pas aux impôts dont le redevable est un partenaire contractuel des Communautés, comme c’est le cas en l’espèce. Le fait que l’obligation fiscale du propriétaire est transférée à l’organisation internationale sous la forme d’un loyer complémentaire ou de charges locatives ne transformerait pas pour autant ce loyer ou ces charges en impôt. L’application de l’immunité fiscale à un transfert contractuel de la charge fiscale serait dès lors contraire aux dispositions de la convention de Vienne. En tant qu’expression du droit coutumier international, cette convention ferait partie du droit international général et devrait en conséquence être respectée par la Communauté dans le cadre de l’exercice de ses compétences.

    28.   Concernant la jurisprudence invoquée par la Commission, la Cour ne se serait jamais prononcée sur la prétendue immunité fiscale de la Communauté dans le cas où un impôt est à charge du propriétaire d’un bien dont la Communauté est locataire et où cette charge est répercutée dans le prix de la location. Toutefois, d’une manière générale, la jurisprudence confirmerait que les privilèges et immunités reconnus aux Communautés par le protocole revêtent un caractère strictement «fonctionnel», en ce qu’ils visent à éviter qu’une entrave soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance des Communautés.

    29.   Concernant la jurisprudence relative à l’article 13 du protocole (8), la Commission soutient qu’elle serait transposable à l’article 3, sans pour autant préciser le lien entre les deux dispositions ou les différences entre leurs finalités et leurs champs d’application matériels et personnels respectifs. Dans son arrêt AGF Belgium (9), la Cour aurait en effet explicitement fait la distinction entre la jurisprudence relative à l’article 13 et celle concernant l’article 3 du protocole. En outre, la Cour se serait fondée dans cette affaire sur le caractère obligatoire du prélèvement litigieux pour conclure à l’exonération des Communautés sur la base de l’article 3, paragraphe 1, du protocole, alors que, dans le cas présent, aucune obligation légale de paiement ne repose sur la Commission. Les conclusions que la Commission tire de la jurisprudence relative à l’article 13 du protocole seraient au demeurant erronées (10).

    30.   La taxe litigieuse respecterait également le principe de la neutralité fiscale. L’immunité fiscale que l’article 3 du protocole reconnaît aux institutions internationales n’aurait en effet nullement pour objet de réduire les loyers des organisations internationales. Dans le cadre de sa compétence fiscale, le législateur régional bruxellois serait libre d’instituer des taxes nouvelles, d’en déterminer les redevables et de fixer les cas d’exonération. En l’espèce, l’ordonnance litigieuse ferait des contribuables de tous les détenteurs de droits réels, ce qui confirmerait que les organisations internationales n’étaient nullement visées de façon particulière. La Région de Bruxelles-Capitale ne tirerait donc aucun avantage fiscal spécifique de la présence d’organisations internationales sur son territoire, puisque la taxe litigieuse doit être payée par le propriétaire indépendamment du point de savoir si l’immeuble est loué à une institution ou à une personne physique, voire n’est pas loué du tout. De surcroît, les taxes régionales ne seraient plus déductibles de l’impôt sur les revenus depuis l’exercice fiscal 2004. Exclure la perception de la taxe litigieuse lorsque la Communauté prend un immeuble en location porterait atteinte à l’égalité de traitement entre propriétaires en favorisant ceux qui loueraient leurs biens immobiliers à la Communauté.

    31.   La Commission n’aurait d’ailleurs pas démontré dans quelle mesure la taxe litigieuse pourrait constituer un obstacle au fonctionnement et à l’indépendance des Communautés européennes.

    32.   En tentant d’échapper à la taxe litigieuse, la Commission ignorerait également le principe de coopération loyale découlant de l’article 10 CE, qui entraîne non seulement une obligation pour les États membres de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit communautaire, mais qui impose aussi aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale avec les États membres.

    V –    Appréciation

    33.   Dans la présente affaire, il importe de préciser la portée de l’immunité fiscale des Communautés, telle qu’elle est prévue par l’article 3 du protocole.

    34.    Il faut tout d’abord déterminer dans quelle mesure l’article 23 de la convention de Vienne est pertinent pour l’interprétation de l’article 3 du protocole.

    35.   Il est certain que la Communauté doit exercer ses compétences dans le respect du droit international (11). La convention de Vienne est un accord de droit international auquel les États membres sont tous parties, mais non la Communauté. Elle a d’autre part été conclue par les États membres dans l’exercice de leurs compétences en matière de relations diplomatiques, mutuelles et avec les États tiers (12).

    36.   Par ailleurs, la convention de Vienne concerne en principe les relations bilatérales entre États (État accréditaire et État accréditant) et non, comme en l’espèce, les relations entre la Communauté, qui est une organisation internationale, et l’État du siège d’une institution de l’organisation, à savoir la Belgique (13).

    37.   En l’espèce, la convention de Vienne ne revêt donc pas une importance déterminante. L’immunité fiscale prévue par l’article 3 du protocole doit plutôt être considérée comme spécifiquement conçue au regard des caractéristiques des Communautés, de sorte que son interprétation devra s’inscrire avant tout dans le cadre du droit communautaire.

    38.   À ce jour, la Cour de justice n’a interprété les dispositions de l’article 3 du protocole qu’une seule fois (14), dans l’affaire AGF Belgium (15); elle a constaté en cette occasion que l’immunité fiscale est définie par le protocole dans des termes très larges (16). Elle a jugé que, de par son libellé et son sens, l’article 3 ne prévoit pas seulement que les Communautés, leurs avoirs, revenus et autres biens sont exonérés de tous impôts directs, mais qu’il prévoit également que les États membres accordent la remise ou le remboursement des droits indirects et des taxes à la vente entrant dans le prix des achats importants effectués par les Communautés pour leur usage officiel (17). Sous les seules réserves mentionnées aux deuxième et troisième alinéas de l’article 3 du protocole, cette immunité porte sur tous les types d’impositions, directes ou indirectes (18).

    39.   Cette affaire a montré que l’interprétation de l’immunité fiscale prévue par l’article 3 du protocole ne dépend pas essentiellement de son libellé, mais bien plutôt de sa finalité et de son objet (19). Ainsi l’interprétation large de l’exonération prévue par l’article 3 du protocole s’est-elle basée sur le respect des principes qui fondent l’immunité fiscale des Communautés en général.

    40.   L’immunité fiscale résulte, d’une part, de la nécessité de garantir l’indépendance des Communautés à l’égard des États membres et leur bon fonctionnement (20). Ce caractère «fonctionnel» des privilèges et immunités des Communautés transparaît également dans la jurisprudence relative à diverses autres dispositions du protocole (21).

    41.   D’autre part, l’interprétation extensive vise à éviter que l’État membre d’accueil n’obtienne un avantage injustifié en drainant vers le trésor national des ressources provenant des contributions au budget des Communautés (22). Cela découle du principe de l’égalité souveraine des États (23). Le fait est que les moyens nécessaires au fonctionnement des Communautés sont mis à disposition par les États membres dans leur ensemble et qu’il ne serait pas justifié que l’État du siège puisse taxer les Communautés et tirer ainsi un avantage financier de leur présence sur son territoire (24). Par conséquent, il faut que la présence des Communautés sur le territoire de l’État du siège soit fiscalement neutre pour ce dernier.

    42.   S’appuyant sur ces principes, la Cour a, dans des affaires concernant l’article 13 du protocole (25), itérativement exclu tout mécanisme direct et indirect d’imposition (26). Dans toute autre hypothèse, l’effet utile de l’exemption prévue à l’article 13 du protocole serait compromis (27).

    43.   En l’espèce, le caractère indirect de la charge fiscale est cependant très particulier. Le législateur régional bruxellois a en effet institué une forme d’impôt qui ne touche pas directement les Communautés, mais qui peut être indirectement mis à leur charge en raison d’un transfert contractuel général de la charge fiscale, qui est accepté par des cocontractants. Il se pose dès lors la question de savoir si un tel mécanisme de répercussion d’une charge fiscale peut tomber sous le coup de l’exonération prévue par l’article 3 du protocole.

    44.   Il est constant que la Communauté n’est pas directement visée par la taxe, puisque l’ordonnance régionale ne soumet les Communautés à aucune obligation fiscale directe. Un examen plus attentif du texte conduit cependant à se demander si le Royaume de Belgique n’a pas voulu contourner l’immunité fiscale des Communautés.

    45.   Il convient de se référer tout d’abord à la genèse de la taxe litigieuse. Avant 1992, la taxe frappait en principe les occupants d’immeubles. Conformément à l’article 3 du protocole, la Communauté échappait à cette taxe en tant qu’elle occupait les immeubles pris en location. L’ordonnance régionale de 1992 a modifié la teneur et le fait générateur de la taxe litigieuse en prévoyant que, en cas d’utilisation professionnelle d’un immeuble excédant une certaine superficie, le redevable serait désormais le propriétaire et non plus l’occupant.

    46.   La taxe litigieuse continue donc de s’appliquer avant tout à l’occupation de l’immeuble, de sorte que le redevable devrait en bonne logique être l’occupant, comme cela a d’ailleurs été le cas jusqu’en 1992. Le fait qu’il s’agit d’une imposition frappant l’occupation de l’immeuble est confirmé par la circonstance, soulignée par la Commission, que les exonérations prévues dans la réglementation en question se réfèrent exclusivement à des cas de figure concernant l’occupant et non le propriétaire et que les exemptions dont le propriétaire est susceptible de bénéficier dépendent de la qualité de l’occupant et de la nature de l’utilisation professionnelle qu’il fait de l’immeuble (par exemple, immeubles occupés à des fins éducatives, religieuses ou sociales).

    47.   Le fait générateur est d’ailleurs la différence principale entre la taxe litigieuse et le précompte immobilier. Ce dernier frappe avant tout le revenu que le propriétaire tire de l’immeuble et non pas l’occupation de celui-ci, comme dans le cas de la taxe litigieuse. Le précompte immobilier ne constitue dès lors pas une imposition déguisée frappant les Communautés, même si la charge fiscale correspondante peut être contractuellement transférée sur ces dernières.

    48.   En revanche, la taxe litigieuse semble, de par ses conséquences, pouvoir être assimilée à une mesure ayant pour objet ou du moins pour effet d’amener les Communautés à contribuer indirectement au budget de la Région de Bruxelles‑Capitale. En effet, contrairement aux allégations du gouvernement belge, la taxe litigieuse permet bien à la région de Bruxelles-Capitale d’améliorer ses revenus fiscaux. La situation de départ à laquelle il faut se référer est celle qui se présentait sous l’empire de la réglementation antérieure, dans le cadre de laquelle les immeubles pris en location par la Communauté et par d’autres organisations internationales établies à Bruxelles ne produisaient aucune recette fiscale, en raison de l’exonération de leurs occupants. L’ordonnance régionale de 1992 a ainsi d’un seul coup ajouté à la liste des immeubles taxés tous ceux qui avaient été pris en location par des organisations internationales, dont les Communautés. Cette amélioration des recettes fiscales entraîne en définitive une charge non négligeable pour le budget communautaire, de sorte qu’il est permis de se demander si une telle charge ne contredit pas l’objectif précisé ci-dessus de l’exonération prévue par l’article 3 du protocole.

    49.   Toujours contrairement à la thèse du gouvernement belge, il paraît impossible en l’occurrence de faire une distinction stricte entre obligation fiscale d’une part et obligation contractuelle d’autre part. Il est vrai que le transfert de l’obligation fiscale découle directement d’un contrat de droit privé et qu’il n’est donc en théorie pas d’application générale. Cependant, la pratique largement répandue d’inclure une clause de transfert des charges fiscales dans les contrats de location fait que, en règle générale, la charge fiscale sera répercutée sur les Communautés, au détriment de l’immunité fiscale de ces dernières. Replacée dans son contexte juridique et factuel, la taxe litigieuse a donc un effet équivalant à celui d’une imposition directe des Communautés. Ainsi que le confirment les déclarations – invoquées par la Commission et reprises dans les travaux préparatoires – faites par le ministre des Finances, du Budget et de la Fonction publique au sujet de la taxe litigieuse, cette circonstance semble avoir joué un rôle non négligeable dans la création de la mesure litigieuse par le législateur bruxellois.

    50.   Suivre le point de vue du gouvernement belge exposerait tous les États dans lesquels se trouve le siège d’une institution à la tentation de contourner l’immunité fiscale et de la priver peu à peu de tout effet utile en faisant peser indirectement sur les Communautés des charges fiscales dont elles sont normalement exonérées.

    51.   Enfin, il faut observer que, même si l’État belge reste libre d’exercer son autonomie fiscale, il doit cependant respecter dans ce cadre les obligations qui découlent pour lui du droit communautaire, et notamment de l’obligation de loyauté consacrée à l’article 10 CE. Il paraît difficile de mettre cette obligation en harmonie avec le mécanisme de la taxe litigieuse, qui a sans aucun doute pour effet de tirer, indirectement et aux dépens des Communautés, une recette fiscale des immeubles pris en location par ces dernières, dans des cas où cette recette fiscale n’existait pas auparavant. La Région de Bruxelles‑Capitale aurait également dû, conformément à l’article 19 du protocole, se concerter avec les institutions pour faire en sorte de ne pas violer l’immunité fiscale des Communautés et de trouver au besoin une solution conforme au traité CE.

    52.   Partant des observations ci-dessus, force est donc de constater que la taxe litigieuse n’est pas compatible avec l’immunité fiscale prévue par l’article 3 du protocole. Partant, le Royaume de Belgique a violé cette immunité fiscale en soumettant, sur le fondement de l’ordonnance régionale litigieuse, les Communautés à une taxe qui, bien qu’ayant pour redevable direct un partenaire contractuel des Communautés, pèse en réalité indirectement sur ces dernières, en raison du contexte juridique et factuel dans lequel elle s’applique.

    53.   Le recours de la Commission est par conséquent fondé.

    VI – Sur les dépens

    54.   Conformément à l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Comme la Commission l’emporte en espèce, il y a lieu de condamner le Royaume de Belgique aux dépens.

    VII – Conclusion

    55.   Par ces motifs, nous proposons à la Cour de constater que:

    –       en adoptant une réglementation fiscale prévoyant une imposition directe qui, tout en frappant directement les cocontractants des Communautés, a pour objet ou au moins pour effet de faire peser ou de répercuter la charge fiscale effective sur ces dernières, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes;

    –       condamner le Royaume de Belgique aux dépens.


    1 – Langue originale: l’allemand.


    2 Voir nos conclusions du 27 avril 2006 dans cette affaire (C-199/05, pendante devant la Cour).


    3 Protocole du 8 avril 1965 (JO 1967, 152, p. 13).


    4 Arrêt du 28 mars 1996, AGF Belgium (C-191/94, Rec. p. I-1859). L’arrêt du 8 décembre 2005, BCE/Allemagne (C‑220/03, Rec. p. I‑10595) ne concernait qu’indirectement l’article 3 du protocole.


    5 Voir également article 28, alinéa premier, du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes (JO 1967, 152, p. 10) ainsi que le considérant unique du protocole.


    6 Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, Recueil des traités des Nations unies, volume 500, n° 7310, p. 95.


    7 Arrêt du 24 février 1988 (260/86, Rec. p. 955).


    8 Voir en particulier arrêts Commission/Belgique (précité à la note 7), et du 14 octobre 1999, Vander Zwalmen et Massart (C‑229/98, Rec. p. 1-7113).


    9 Arrêt C-191/94 (précité à la note 4), point 14.


    10 Ainsi, loin de condamner le transfert contractuel de la charge fiscale sur le locataire, lorsque ce dernier est un fonctionnaire des Communautés, la Cour se serait bornée à juger dans son arrêt 260/86 (précité à la note 7) que constituait une violation du traité le fait de refuser le bénéfice d’une réduction d’impôt au seul motif que le locataire est fonctionnaire des Communautés européennes et à ce titre exonéré des impôts nationaux. C’est donc à tort que la Commission se fonderait sur cette jurisprudence pour en déduire la possibilité d’un «transfert contractuel de l’immunité».


    Dans son arrêt Vander Zwalmen et Massart (précité à la note 8), la Cour parlerait non pas d’une immunité générale, mais seulement d’une interdiction d’imposer directement ou indirectement des fonctionnaires en raison du fait qu’ils sont bénéficiaires d’une rémunération versée par les Communautés. D’autre part, cette affaire aurait eu pour objet une discrimination – entre les fonctionnaires et les autres personnes physiques – découlant du non‑assujettissement des fonctionnaires européens à l’impôt des personnes physiques belge, alors qu’il n’y aurait en l’espèce aucune discrimination entre institutions belges et institutions communautaires.


    11 Arrêt du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation (C‑286/90, Rec. p. I‑6019).


    12 Les parties à cette convention sont actuellement au nombre de 179 (voir http://untreaty.un.org/sample/EnglishInternetBible/partI/chapterIII/treaty3.asp).


    13 Voir AS Muller, International Organizations and their Host States, Aspects of their Legal Relationship, Kluwer 1995, p. 32: «These treaties [the 1961 Vienna Convention on Diplomatic Relations and the Vienna Convention on Consular Relations] apply only to diplomatic and consular relations and not to the immunities of international organisations. Nevertheless, they are at the very least useful points of historical reference and sometimes even an indirect source of law».


    14 Voir note 2.


    15 Précité à la note 4.


    16 Point 19 de l’arrêt AGF Belgium; point 23 des conclusions Jacobs du 15 février 1996 dans la même affaire (arrêt précité dans la note 4).


    17 Point 19 de l’arrêt AGF Belgium (précité dans la note 4).


    18 Point 20 de l’arrêt AGF Belgium (précité dans la note 4).


    19 Voir nos conclusions dans l’affaire C-199/05, actuellement en cours (précitée à la note 2).


    20 Point 19 de l’arrêt AGF Belgium (précité dans la note 4).


    21 Article 1er du protocole: ordonnances du 11 avril 1989 dans l’affaire 1/88 SA (Générale de Banque/Commission, Rec. p. 857, point 2), et du 13 juillet 1990 dans l’affaire 2/88 Imm. (Zwartveld, Rec. p. I-3365, point 20).


    Par ailleurs, concernant l’article 13 du protocole, voir l’arrêt du Tribunal du 29 mars 1995 dans l’affaire T-497/93 (Hogan, Rec. p. II-703, point 48).


    22 Point 23 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire C-191/104 (arrêt précité dans la note 4). Voir, dans le cadre de l’article 13 du protocole, l’arrêt du 16 décembre 1960 dans l’affaire 6/60 [(Humblet, Rec. p. 1125, 1157, sous c)].


    23 Voir notamment l’article 2, paragraphe 1, de la charte des Nations unies.


    24 Humblet (précité à la note 22), p. 1157, sous c).


    25 Pour ce qui est de l’article 13 du protocole, l’exemption qu’il prévoit est sans aucun doute différente dans son champ d’application et dans sa teneur. Cet article exempte en effet les fonctionnaires et autres agents des Communautés d’impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments, tandis que l’article 3 du protocole exonère les Communautés elles-mêmes des impôts directs ainsi que, à certaines conditions, des impôts indirects et des taxes à la vente [voir arrêt C‑191/04 (précité à la note 4), point 14]. Les objectifs de ces exonérations se recoupent cependant dans une large mesure. Outre les deux raisons exposées ci-dessus, l’exemption prévue par l’article 13 repose sur la volonté d’assurer aux fonctionnaires un traitement égal. De fait, l’exemption des fonctionnaires découle également de ce que leurs traitements sont soumis à un impôt uniforme, qui est directement versé à la Communauté. Le but est de garantir une même rémunération pour un même travail [voir arrêt 6/60 (précité à la note 22)].


    26 Voir arrêts 6/60 (précité à la note 22), 260/86 (précité à la note 7), point 10, et C-229/98 (précité à la note 8), point 21.


    27 Voir les conclusions prononcées par l’avocat général Mischo le 26 janvier 1988 dans l’affaire 260/86 (arrêt précité à la note 7), point 24.

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