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Document 62004CC0432

    Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 23 février 2006.
    Commission des Communautés européennes contre Édith Cresson.
    Article 213, paragraphe 2, CE - Article 126, paragraphe 2, EA - Violation des obligations découlant de la charge d'un membre de la Commission - Déchéance du droit à pension.
    Affaire C-432/04.

    Recueil de jurisprudence 2006 I-06387

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2006:140

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. L. A. GEELHOED

    présentées le 23 février 2006 (1)

    Affaire C-432/04

    Commission des Communautés européennes

    contre

    Édith Cresson

    «Recours introduit en application des articles 213, paragraphe 2, troisième alinéa, CE et 126, paragraphe 2, troisième alinéa, EA – Déchéance des droits à pension d'un ancien membre de la Commission – Violation des obligations découlant de la charge de membre de la Commission»





    I –    Introduction

    1.     Dans le présent recours, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en recrutant et en favorisant deux de ses connaissances personnelles pendant la durée de son mandat de membre de la Commission, Mme Édith Cresson s'est rendue coupable de favoritisme ou, à tout le moins, d'une négligence caractérisée. La Commission maintient que, ce faisant, Mme Cresson a agi en violation des obligations qui lui incombent en vertu des articles 213, paragraphe 2, CE et 126, paragraphe 2, EA (2). Elle demande par conséquent à la Cour d'infliger une sanction pécuniaire appropriée comme cela est prévu au dernier paragraphe de ces dispositions des traités.

    2.     La présente affaire est la première de son genre qui amènera la Cour à statuer. Un recours antérieur, introduit par le Conseil contre l'ancien commissaire Bangemann en raison d'une affectation qu'il entendait accepter après la cessation de ses fonctions, a fait l'objet d'un désistement (3). L'affaire offre donc à la Cour une occasion unique de clarifier les obligations qui pèsent sur les membres de la Commission au sens de l'article 213 CE. Et d'ailleurs, plus généralement, l'arrêt de la Cour revêtira une grande importance pour la définition des normes applicables à tous ceux occupant de hautes fonctions au sein des institutions de l'Union européenne.

    II – Le cadre juridique

    3.     Aux termes de l'article 213, paragraphe 2, CE:

    «Les membres de la Commission exercent leurs fonctions en pleine indépendance, dans l'intérêt général de la Communauté.

    Dans l'accomplissement de leurs devoirs, ils ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement ni d'aucun organisme. Ils s'abstiennent de tout acte incompatible avec le caractère de leurs fonctions. Chaque État membre s'engage à respecter ce caractère et à ne pas chercher à influencer les membres de la Commission dans l'exécution de leur tâche.

    Les membres de la Commission ne peuvent, pendant la durée de leurs fonctions, exercer aucune autre activité professionnelle, rémunérée ou non. Ils prennent, lors de leur installation, l'engagement solennel de respecter, pendant la durée de leurs fonctions et après la cessation de celles-ci, les obligations découlant de leur charge, notamment les devoirs d'honnêteté et de délicatesse quant à l'acceptation, après cette cessation, de certaines fonctions ou de certains avantages. En cas de violation de ces obligations, la Cour de justice, saisie par le Conseil ou par la Commission, peut, selon le cas, prononcer la démission d'office dans les conditions de l'article 216 ou la déchéance du droit à pension de l'intéressé ou d'autres avantages en tenant lieu.»

    4.     Aux termes de l'article 216 CE:

    «Tout membre de la Commission, s'il ne remplit plus les conditions nécessaires à l'exercice de ses fonctions ou s'il a commis une faute grave, peut être déclaré démissionnaire par la Cour de justice, à la requête du Conseil ou de la Commission.»

    III – Les faits présentés par la Commission

    5.     Mme Édith Cresson a été membre de la Commission du 24 janvier 1995 au 8 septembre 1999. La Commission avait démissionné collectivement le 16 mars 1999, mais est restée en fonction jusqu'au 8 septembre 1999. Le portefeuille que Mme Cresson détenait au sein de la Commission comprenait les domaines de la science, de la recherche et du développement, le Centre commun de recherche (CCR) ainsi que les ressources humaines, l'éducation, la formation et la jeunesse. Les services de la Commission responsables de ces secteurs à l'époque étaient les directions générales (DG) XII, XIII.D et XXII ainsi que le CCR.

    6.     L'allégation de la Commission, selon laquelle Mme Cresson a fait preuve de favoritisme pendant qu'elle était en fonction, repose sur des dossiers concernant deux de ses connaissances, M. René Berthelot et M. Timm Riedinger.

    A –    Le dossier Berthelot

    7.     Peu après son entrée en fonction, Mme Cresson a manifesté le souhait de s'attacher les services de M. Berthelot en qualité de conseiller personnel. M. Berthelot, dentiste de formation, résidait à l'époque près de Châtellerault, ville française dont Mme Cresson était le maire. Étant donné que M. Berthelot était âgé de 66 ans et que le cabinet de Mme Cresson était déjà constitué, celle-ci a reçu les conseils de son chef de cabinet, lequel ne voyait aucune possibilité pour M. Berthelot d'être recruté par la Commission. Néanmoins, quelques mois après, à la demande de Mme Cresson, M. Berthelot s'est vu proposer un contrat de visiteur scientifique auprès de la DG XII à compter du 1er septembre 1995 pour une durée initiale de six mois. Bien que la fonction de visiteur scientifique implique que l'intéressé travaille dans l'un des centres de recherche de la Commission, il s'est trouvé que M. Berthelot a travaillé exclusivement comme conseiller personnel de Mme Cresson. La durée initiale de six mois a en définitive été prolongée jusqu'à la fin du mois de février 1997.

    8.     À la fin du mois d'avril 1996, selon une règle anticumul applicable aux visiteurs scientifiques, la rémunération de M. Berthelot a été réduite pour tenir compte du montant d'une pension qu'il percevait en France. Juste après l'adoption de cette mesure, treize ordres de mission pour Châtellerault ont été établis au nom de M. Berthelot à la demande personnelle de Mme Cresson, puis adressés aux services administratifs de la Commission. Ces ordres se référaient à des missions qui auraient eu lieu entre les 23 mai et 21 juin 1996. En conséquence, une somme de 6 930 euros a été versée à M. Berthelot. À partir du 1er septembre 1996, M. Berthelot a bénéficié d'un reclassement dans une catégorie supérieure de visiteurs scientifiques, lequel a entraîné une augmentation significative de sa rémunération de l'ordre de 1 000 euros. Cette augmentation a plus que compensé la perte de rémunération due à l'application de la mesure anticumul.

    9.     À l'expiration de son contrat avec la DG XII, M. Berthelot s'est vu offrir un nouveau contrat de visiteur scientifique, auprès du CCR, cette fois, pour une durée d'un an. Cela a porté son séjour à la Commission à deux ans et demi, bien que les visiteurs scientifiques ne soient engagés que pour une durée maximale de 24 mois.

    10.   Le 2 octobre 1997, le service du contrôle financier de la Commission a demandé les rapports d'activité que M. Berthelot aurait dû présenter à l'issue de son premier contrat. Les rapports adressés à ce service étaient extrêmement sommaires. Ils consistaient en réalité en un certain nombre de notes rédigées par des auteurs différents, assemblées et mises en forme par le cabinet de Mme Cresson.

    11.   Le 11 décembre 1997, M. Berthelot a, pour des raisons médicales, sollicité la résiliation de son contrat à partir du 31 décembre 1997. Cette demande a été acceptée. Mme Cresson a ensuite demandé à son chef de cabinet de trouver une solution afin de prolonger le rapport contractuel avec M. Berthelot à partir du 1er janvier 1998. Cette solution consistait à le faire engager comme conseiller spécial. M. Berthelot a toutefois refusé ce poste.

    12.   M. Berthelot est décédé le 2 mars 2000.

    B –    Le dossier Riedinger

    13.   En 1995, M. Riedinger, avocat d'affaires, s'est vu proposer trois contrats par les services de la Commission dans les domaines d'action de Mme Cresson. Au moins deux de ces contrats ont été proposés à la demande expresse de celle-ci.

    14.   Ces contrats portaient sur les trois sujets suivants: 1) une analyse de la faisabilité de la mise en réseau des centres de prospective de l'Europe centrale et de ceux de l'Europe communautaire, 2) la mission d'accompagnement de Mme Cresson lors d'une visite officielle en Afrique du Sud du 13 au 16 mai 1995 et la rédaction d'un rapport et 3) une étude de préfaisabilité concernant la création d'un institut européen de droit comparé.

    15.   Bien que les engagements budgétaires nécessaires aient été enregistrés pour ces trois contrats, aucun d'eux n'a fait l'objet d'une exécution ni d'un paiement à M. Riedinger.

    IV – Les procédures

    A –    Les enquêtes préliminaires

    16.   Avant que la Cour ne soit saisie en application de l'article 213 CE du recours de la Commission, les dossiers Berthelot et Riedinger ont fait l'objet d'un certain nombre d'enquêtes menées par divers organismes. Le recours de la Commission repose sur les constatations effectuées dans ces enquêtes.

    17.   La première enquête a été menée par le Comité d'experts indépendants, créé sous les auspices du Parlement européen. Il avait pour mission de rédiger un premier rapport «aux fins de déterminer dans quelle mesure la Commission, en tant que collège, ou tel ou tel membre à titre individuel était personnellement responsable des cas récents de fraude, de mauvaise gestion ou de népotisme soulevés lors des débats parlementaires ou à la faveur des affirmations qui ont été faites à cette occasion». Dans son rapport du 15 mars 1999 (4), ledit comité a conclu, s'agissant du dossier Berthelot, que «nous sommes ici confrontés à un cas certain de favoritisme. Une personne dont le profil ne correspondait pas aux différents postes sur lesquels elle a été recrutée a néanmoins été engagée. Les prestations fournies sont manifestement insuffisantes en quantité, en qualité et pertinence. La Communauté n'en a pas eu pour son argent» (5).

    18.   À la suite du rapport du Comité d'experts indépendants, la Commission, entrée en fonction le 9 septembre 1999, a décidé de lancer un processus de réformes en vue de prévenir les pratiques qui avaient été critiquées par le Comité d'experts indépendants, et d'améliorer ses procédures internes administratives et financières. Dans ce contexte, l'OLAF (Office européen de lutte antifraude) a mené sa propre enquête qui s'est soldée par un rapport du 23 novembre 1999. À la suite de ce rapport, des procédures disciplinaires ont été lancées à l'encontre d'un certain nombre de fonctionnaires et d'agents de la Commission.

    19.   Le 20 février 2001, la Commission a décidé d'entamer une procédure visant à récupérer les montants indûment payés à M. Berthelot. Cette procédure concerne ses héritiers.

    20.   La DG ADMIN puis, après sa création le 19 février 2002, l'IDOC (l'Office d'investigation et de discipline de la Commission), a procédé à une enquête ultérieure, relative au dossier Riedinger. Elle a également mené deux enquêtes supplémentaires sur le cas de M. Berthelot: l'une relative au rôle de la DG XII; l'autre concernant l'implication du CCR. Durant ces enquêtes, de nombreuses auditions ont eu lieu. Les services compétents et M. Kinnock, commissaire en charge des réformes internes, ont invité Mme Cresson à être entendue. Celle-ci a toutefois préféré fournir des réponses écrites. Un rapport sur M. Riedinger a été achevé le 8 août 2001. Un rapport de l'IDOC portant exclusivement sur le dossier Berthelot a été déposé le 22 février 2002.

    B –    La procédure au sein de la Commission concernant Mme Cresson

    21.   Le 21 janvier 2003, le collège des commissaires a décidé d'adresser à Mme Cresson une communication des griefs dans le cadre d'une éventuelle procédure fondée sur l'article 213, paragraphe 2, CE. Dans cette communication, la Commission alléguait que, dans les cas de M. Berthelot et de M. Riedinger, Mme Cresson avait agi en violation des obligations découlant de sa charge de membre de la Commission. Selon la Commission, le comportement de Mme Cresson dans ces deux cas n'a pas été dicté par l'intérêt général, mais a été essentiellement guidé par la volonté de favoriser deux de ses connaissances personnelles. De toute manière, elle n'avait pas fait preuve de la diligence requise en vérifiant si les procédures internes avaient été respectées dans les deux cas. La Commission l'a par conséquent accusée d'une violation des obligations découlant de sa charge, que ce soit intentionnellement ou, à tout le moins, à la suite d'une négligence caractérisée.

    22.   Afin de garantir le respect des droits de la défense, la Commission a également décidé de donner à Mme Cresson accès au dossier et de l'inviter à répondre à la communication des griefs de la Commission. S'en est suivie une abondante correspondance entre les conseils de Mme Cresson et la Commission quant à la portée de la procédure et quant à l'accès éventuel de Mme Cresson à certains documents.

    23.   Mme Cresson a répondu à la communication des griefs le 30 septembre 2003. Elle conteste en premier lieu que l'article 213, paragraphe 2, CE constitue la base juridique appropriée à la communication des griefs. Elle allègue également que cette disposition viole les droits fondamentaux de la défense. Elle poursuit en affirmant que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas couverts par cet article. En tout état de cause, les griefs de la Commission ne sont, selon elle, pas fondés. Elle dénonce l'imprécision des notions de favoritisme et de négligence caractérisée telles qu'elles sont définies dans la communication des griefs. Enfin, elle réclame une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral qu'elle a subi à la suite de la procédure disciplinaire engagée à son encontre.

    24.   À la lumière de ses observations écrites, la Commission a décidé de réitérer l'offre faite à Mme Cresson de se faire entendre directement et personnellement par le collège des commissaires. L'audition a eu lieu le 30 juin 2004.

    25.   Au cours de sa réunion du 19 juillet 2004, la Commission a décidé de saisir la Cour.

    C –    La procédure pénale en Belgique

    26.   Parallèlement aux enquêtes et à la procédure menées au sein de la Commission, le dossier Berthelot a fait l'objet d'une enquête criminelle par les autorités judiciaires belges. Cette procédure a été entamée à la suite d'une plainte déposée par un membre du Parlement à l'encontre d'un certain nombre de personnes, dont Mme Cresson, soupçonnées d'avoir été impliquées dans diverses malversations commises au sein de la Commission. La Commission s'est constituée partie civile dans cette affaire.

    27.   Le juge d'instruction a examiné si la responsabilité pénale de Mme Cresson pouvait être retenue pour les points suivants:

    –       le recrutement de M. Berthelot en tant que visiteur scientifique en violation des règles internes de la Commission, considérant que cela pouvait être qualifié de faux, d'usage de faux et de prise d'intérêt;

    –       les rapports de fin de visite de M. Berthelot – faux et usage de faux, escroquerie;

    –       les ordres et décomptes de missions de M. Berthelot – faux et usage de faux, escroquerie.

    28.   Au stade suivant de cette procédure, le procureur du roi a toutefois décidé de supprimer le premier point, au motif que le recrutement de M. Berthelot n'était pas contraire aux règles communautaires. Il a rejeté le deuxième point parce qu'il ne visait pas Mme Cresson. Quant au troisième point, il a été maintenu dans un premier temps, puis a finalement été également écarté.

    29.   Par ordonnance du 30 juin 2004, la chambre du conseil du Tribunal de première instance de Bruxelles a jugé qu'aucun motif ne permettait de maintenir les charges pénales retenues contre les inculpés (non-lieu). S'agissant de Mme Cresson, en particulier, le tribunal belge a relevé qu'il n'existait aucune charge tirée de la connaissance par celle‑ci des faits en cause.

    D –    La procédure devant la Cour

    30.   La requête de la Commission a été inscrite au registre de la Cour le 7 octobre 2004.

    31.   La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

    –       constater que Mme Cresson a enfreint les obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 213 CE;

    –       prononcer en conséquence la déchéance, partielle ou totale, des droits à pension et/ou de tous autres avantages liés à ces droits ou en tenant lieu, dus à Mme Cresson, la Commission s'en remettant à la sagesse de la Cour pour déterminer la durée et la portée de cette déchéance;

    –       condamner Mme Cresson aux dépens.

    32.   Mme Cresson conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

    –       à titre principal, déclarer irrecevable la requête introduite par la Commission;

    –       à titre subsidiaire, rejeter ladite requête comme illégale et non fondée;

    –       ordonner à la Commission de produire le compte rendu intégral des débats qui ont conduit cette institution à adopter, le 19 juillet 2004, la décision de saisir la Cour, ainsi que les autres documents réclamés par la défenderesse dans ses demande et demande confirmative, respectivement des 26 avril et 5 octobre 2004;

    –       condamner la Commission à l'entièreté des dépens.

    33.   Par ordonnance du président de la Cour du 2 juin 2005, la République française a été admise, en application de l'article 93, paragraphe 7, du règlement de procédure, à intervenir au soutien des conclusions de Mme Cresson lors de l'audience de plaidoirie.

    34.   Par ordonnance du 9 septembre 2005, la Cour a rejeté la demande de Mme Cresson visant à ce qu'il soit ordonné à la Commission de lui donner accès à un certain nombre de documents relatifs à la décision de la Commission d'engager une procédure à son encontre en application de l'article 213, paragraphe 2, CE.

    35.   La Commission et Mme Cresson ainsi que la République française ont présenté des observations orales à l'audience du 9 novembre 2005.

    V –    Arguments présentés par les parties

    A –    La Commission

    1.      Article 213 CE

    36.   La Commission explique qu'un recours fondé sur l'article 213, paragraphe 2, CE, formé à l'encontre d'un (ancien) membre de la Commission suppose une violation par le commissaire des obligations découlant de cette charge au sens de cette disposition du traité. Selon la Commission, c'est à elle qu'il revient de définir, sous le contrôle juridictionnel de la Cour, le contenu et la portée de ces obligations. Elle estime qu'il y a violation de ces obligations lorsqu'un commissaire n'agit pas dans l'intérêt général ou qu'il est guidé par des intérêts personnels, privés ou financiers.

    37.   À la lumière de cette interprétation, le favoritisme est à la fois contraire à l'intérêt général et à l'exigence d'honnêteté et de délicatesse qui s'attache à la fonction de commissaire. La Commission définit le favoritisme comme un acte ou un comportement qui est à la fois contraire à l'intérêt général et à la délicatesse de la charge et qui consiste à attribuer un avantage à une personne (le plus souvent en la faisant recruter) qui est dépourvue de mérites ou de compétences, ou dont les mérites sont manifestement insuffisants au regard du poste à pourvoir, ou lorsque l'avantage est conféré sans considération des qualifications requises pour le poste, mais parce qu'il s'agit d'un ami ou d'une personne que l'on veut gratifier.

    38.   La Commission fait remarquer que, dans certains cas, les membres de la Commission jouissent d'un large pouvoir discrétionnaire et que cela est notamment le cas pour ce qui est de la composition de leurs cabinets. À l'exception de cette hypothèse, ils doivent respecter les règles communautaires applicables en matière de recrutement et ils ont le devoir de vérifier avec un soin particulier que les décisions y afférentes sont prises dans l'intérêt général et dans le respect des règles applicables. Ce devoir s'étend à toutes les phases administratives postérieures au recrutement d'une personne et relatives, par exemple, à la prolongation d'un contrat ou à l'avancement.

    2.      Réplique à la réponse de Mme Cresson à la communication des griefs

    39.   Dans sa requête, la Commission répond à la réaction de Mme Cresson à la communication des griefs.

    40.   Mme Cresson conteste que le recours de la Commission puisse être fondé sur l'article 213 CE et soutient que la procédure définie dans cette disposition n'a aucune incidence sur les griefs qui lui sont opposés. Elle ne prévoit pas non plus de recours juridictionnel effectif. La Commission au contraire maintient que l'article 213 CE constitue bien une base juridique appropriée à son recours. On peut, selon elle, comparer cette procédure à celles prévues dans les Constitutions nationales en ce qui concerne les abus commis dans l'exercice d'un mandat public. Dans ces cas, un accès direct à la plus haute instance juridictionnelle du pays est prévu afin précisément de fournir des garanties supplémentaires. Le comportement et les actes des membres de la Commission sont soumis à des dispositions particulières. Les règles disciplinaires applicables aux fonctionnaires communautaires ne s'appliquent pas à eux. La Commission n'estime pas que l'article 213 CE méconnaît le droit à un recours juridictionnel effectif. L'article 213, paragraphe 2, CE se rapporte à toutes les obligations incombant aux commissaires et pas seulement aux exemples qui y sont cités.

    41.   Lorsque Mme Cresson conteste que les rapports de l'IDOC puissent servir de fondement à la communication des griefs en raison du défaut de compétence de l'IDOC, la Commission relève que les enquêtes administratives avaient débuté avant la création de ce service. La communication des griefs reposait à la fois sur ces enquêtes et sur les rapports de l'IDOC et de l'OLAF. En tout état de cause, c'est la Commission et non l'IDOC qui a adressé la communication des griefs à Mme Cresson.

    42.   La Commission réfute la violation alléguée des droits de la défense de Mme Cresson. En ce qui concerne son droit à l'introduction d'une procédure dans un délai raisonnable, la Commission fait observer qu'aucun délai n'est mentionné à l'article 213 CE et que Mme Cresson n'a pas non plus démontré que le temps écoulé avait affecté d'une quelconque façon son droit à se défendre. La Commission était tenue d'agir avec prudence en appliquant l'article 213 CE pour la première fois. On ne saurait en outre affirmer que la procédure définie à l'article 213 CE est inéquitable parce qu'elle postule que les dispositions du statut de la Cour de justice et du règlement de procédure sont respectées. La décision de saisir la Cour n'a pas été précédée d'une décision portant atteinte aux intérêts de Mme Cresson. La procédure n'a pas compromis le droit de celle-ci à être informée des motifs sous‑jacents à l'accusation. Il ressort clairement de la réponse de Mme Cresson à la communication des griefs qu'elle avait pleinement connaissance des griefs formulés par la Commission et qu'elle avait toute possibilité d'y répondre. Quant à la partialité alléguée de la Commission, cette dernière relève que ce n'est pas elle, mais la Cour qui décide de l'opportunité d'infliger une sanction. Enfin, s'agissant de la violation de son droit d'accès au dossier, la Commission fait remarquer que, à tous moments, Mme Cresson a eu accès au dossier la concernant.

    43.   En ce qui concerne les effets de la décision dans l'enquête judiciaire en Belgique, la Commission relève que «le pénal tient le civil en l'état», adage mentionné par le Tribunal dans l'arrêt François/Commission (6) et signifiant que la procédure disciplinaire doit être suspendue dans l'attente de la clôture de la procédure pénale. En tout état de cause, le principe devrait s'appliquer non à la Commission, mais à la Cour, puisque c'est elle, en l'occurrence, l'organe disciplinaire. La Commission admet bien que l'organe disciplinaire est lié par les constatations de fait effectuées par la juridiction pénale. Cela n'est toutefois d'aucune aide à Mme Cresson, puisque la décision rendue dans le cadre de la procédure pénale ne se rapporte pas aux faits en cause en l'espèce, c'est-à-dire au favoritisme manifesté dans le recrutement de M. Berthelot et dans le renouvellement de son contrat ainsi que dans les mesures prises pour avantager M. Riedinger. La décision d'abandonner les charges contre Mme Cresson ne constitue donc pas un obstacle juridique à l'exercice de la présente action disciplinaire.

    44.   La Commission conteste l'argument de Mme Cresson tiré de l'applicabilité d'une règle de minimis aux sommes en cause. Si pareil argument est effectivement valide, il se rapporte au fond, non à la recevabilité du recours de la Commission.

    45.   Mme Cresson soutient qu'une série d'irrégularités procédurales se sont produites en ce qui concerne les enquêtes menées au sein de la Commission. Elle fait ainsi allusion à une violation de la décision instituant l'IDOC, au fait que l'IDOC a empiété sur le domaine réservé à l'OLAF, au fait que les rapports de l'IDOC étaient incomplets, au chevauchement des procédures disciplinaires et au fait que le problème lié à M. Riedinger a été abordé dans le cadre du dossier Berthelot. La Commission répond que Mme Cresson ne précise nullement comment ces irrégularités alléguées ont porté atteinte aux droits de la défense. En outre, s'agissant des observations de Mme Cresson sur l'enquête menée par l'OLAF, la Commission fait remarquer que ce service possède un mandat général pour enquêter sur tout soupçon de fraude et qu'il n'était pas requis de délivrer des mandats spécifiques pour chaque étape de la procédure. La Commission n'était pas obligée d'informer Mme Cresson de ses contacts avec l'OLAF. Les comptes rendus de certains entretiens n'avaient pas non plus besoin d'être signés par la personne entendue. Enfin, la Commission ne voit pas la pertinence de l'argument tiré de l'illégalité alléguée du rapport du Comité d'experts indépendants puisque son recours repose sur sa propre enquête des faits.

    46.   Lorsque Mme Cresson réclame des dommages-intérêts, la Commission ne voit pas comment l'introduction d'un recours en application de l'article 213 CE peut constituer un comportement fautif, à moins que la décision pertinente ne constitue un détournement de pouvoir ou qu'elle n'ait été prise de manière perverse, par exemple en présence d'un dossier vide.

    3.      Dossiers Berthelot et Riedinger

    47.   Nous avons déjà résumé à la section III des présentes conclusions les faits principaux invoqués par la Commission. Plutôt que de les réitérer ici, il suffit de relever que, selon la Commission, les deux affaires considérées conjointement démontrent l'intervention personnelle de Mme Cresson en faveur de deux de ses connaissances personnelles. Bien que, formellement, ce fût le service en cause ou son cabinet qui ait agi, il faut en conclure que les décisions pertinentes peuvent être imputées à Mme Cresson. La Commission estime que le comportement de Mme Cresson constitue une violation grave, intentionnelle ou non, ou à tout le moins une négligence caractérisée des obligations qui lui incombent en vertu de l'article 213, paragraphe 2, CE.

    4.      Sanction

    48.   La Commission demande à la Cour d'infliger une sanction, mais elle s'en remet, quant à son ampleur, à la sagesse de celle-ci. Cela pourrait se solder soit par la déchéance totale ou partielle des droits à pension, soit par la déchéance d'autres avantages. D'après la Commission, la Cour devrait infliger une sanction en tenant compte du principe de proportionnalité. À cet égard, elle suggère que les facteurs énumérés à l'article 10 de l'annexe IX du statut concernant les droits et obligations des fonctionnaires des Communautés européennes pourraient être pertinents. En l'espèce, la Commission estime que le comportement fautif était grave parce qu'il concernait une règle d'éthique qui a sapé les fondements de la confiance en Mme Cresson même si celle-ci n'est plus membre de la Commission; qu'elle avait pleinement conscience de ce que ses actes constituaient du favoritisme, et qu'il y a des éléments dignes de foi qu'au moins certains de ses actes étaient intentionnels.

    B –    Les arguments de Mme Cresson

    1.      Observations générales

    49.   En premier lieu, Mme Cresson dénonce la véritable machine de guerre déployée à son encontre, puisqu'elle a dû comparaître devant la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen (Cocobu) et qu'elle a fait l'objet d'enquêtes successives par l'OLAF, l'IDOC et la DG ADMIN. Ces mesures sont totalement disproportionnées aux faits dont elle est accusée. Cela peut incontestablement s'expliquer par le climat entourant toute l'affaire qui a entraîné la démission collective de la Commission Santer. Elle expose ensuite que l'affaire a été déclenchée par un article de presse publié par un journaliste belge, condamné en Belgique et en France pour plusieurs infractions pénales. Ensuite, un ancien fonctionnaire de la Commission, M. Van Buitenen, dans sa quête de prétendues fraudes au détriment des intérêts de la Communauté, a remis le dossier aux autorités judiciaires belges, au Comité d'experts indépendants, à l'OLAF et à la presse. En juin 1999, un juge d'instruction belge a repris le dossier et a obtenu la levée de l'immunité de Mme Cresson.

    50.   S'agissant de la procédure judiciaire en Belgique, Mme Cresson signale que, sur une période de cinq ans, elle n'a été entendue qu'une seule fois par le juge d'instruction. Elle fait remarquer que la Commission a envoyé sa communication des griefs au moment où elle a appris par la presse qu'elle était inculpée. Cela illustre la relation étroite entre la procédure disciplinaire et la procédure pénale. Mme Cresson insiste sur le fait que, en définitive, aucune charge n'a été maintenue à son encontre et que cette procédure s'est soldée par un non‑lieu en sa faveur. En outre, la Commission n'a pas interjeté appel de cette décision.

    51.   Quant à la procédure devant la Commission, ce n'est que trois ans après la démission de la Commission Santer que Mme Cresson a été informée de ce que la Commission estimait qu'elle s'était rendue coupable de favoritisme et que cela constituait une violation grave de ses obligations de commissaire. Les conseils de Mme Cresson ont également critiqué la procédure quant aux délais de réaction de la Commission, à son indépendance, au respect des droits fondamentaux et à l'absence d'un cadre procédural clairement défini pour traiter la question. Mme Cresson relève également que le secrétaire général de la Commission a soulevé à un moment la question de l'articulation des procédures pénale et disciplinaire. Selon Mme Cresson, étant donné la manière dont la procédure a été menée et, notamment, le fait qu'aucune question ne lui a été posée lors de son audition par le collège des commissaires, la Commission était apparemment résolue à déférer cette affaire à la Cour.

    2.      Arguments juridiques

    a)      L'irrecevabilité

    52.   Selon Mme Cresson, l'article 213 CE ayant pour finalité de permettre d'infliger de lourdes sanctions aux membres de la Commission, il doit faire l'objet d'une interprétation stricte. Elle rappelle que l'article 213, paragraphe 2, premier et deuxième alinéas, CE exige des membres de la Commission qu'ils «exercent leurs fonctions en pleine indépendance, dans l'intérêt général de la Communauté». En cas de manquement, les dispositions de l'article 216 CE sont applicables. Par contre, l'article 213, paragraphe 2, troisième alinéa, CE s'applique lorsqu'un commissaire ne fait pas preuve d'honnêteté et de délicatesse en acceptant des activités extérieures pendant qu'il est en fonction ou après la fin de son mandat. Dans ce cas-là, la sanction consiste soit dans la démission en application de l'article 216 CE, soit dans la déchéance des droits à pension ou d'autres avantages. Comme Mme Cresson n'est pas accusée d'avoir agi en violation de ses obligations afférentes à des activités extérieures, les dispositions de l'article 213, paragraphe 2, troisième alinéa, CE ne s'appliquent pas à elle. En dehors de l'article 213, paragraphe 2, CE, il n'existe aucune autre obligation juridiquement contraignante susceptible d'être invoquée à l'encontre de Mme Cresson. Le code de conduite des commissaires n'a été adopté qu'après les faits de la cause et ne contient, en outre, aucune obligation pertinente par rapport aux faits dont Mme Cresson est accusée. Mme Cresson évoque à nouveau l'absence de règles procédurales écrites garantissant les droits de la défense dans ce cadre, ce qui rend le recours de la Commission illégal. L'article 213, paragraphe 2, CE ne saurait donc servir de base juridique à la décision de la Commission, du 19 juillet 2004, de saisir la Cour.

    53.   Mme Cresson allègue que, dès lors que la Commission s'est constituée partie civile dans le cadre de la procédure pénale, le principe selon lequel «le pénal tient le disciplinaire en l'état» devenait applicable. En cas d'identité des faits dans les deux séries de procédures, la procédure disciplinaire perd sa raison d'être si les mêmes griefs sont rejetés dans le cadre de la procédure pénale. Mme Cresson fait remarquer que, bien que le procureur du roi ait maintenu dans un premier temps la charge relative aux missions de M. Berthelot, elle a ultérieurement conclu qu'aucun motif ne lui permettait d'en imputer la responsabilité à Mme Cresson. Les faits sous-jacents aux griefs étant identiques dans les deux procédures, indépendamment de leur qualification juridique, le présent recours est dépourvu d'objet et doit être jugé irrecevable. La décision rendue au pénal a vidé le recours de la Commission de son contenu.

    54.   L'unique grief examiné par le procureur du roi portait sur les faux ordres de mission qui concernaient une somme de 6 930 euros. Outre le fait que le procureur du roi a décidé que ce grief ne pouvait pas être imputé à Mme Cresson, cette somme d'argent doit être considérée comme relativement modeste et la règle de minimis non curat praetor s'y applique.

    55.   Pour ces divers motifs, le recours de la Commission doit être rejeté comme étant irrecevable.

    b)      Le fond

    56.   À titre subsidiaire, Mme Cresson soutient que les griefs soulevés à son encontre ne sont pas fondés.

    57.   M. Berthelot a été recruté conformément aux règles applicables pour servir de conseiller à Mme Cresson. Comme l'administration a en réalité considéré le statut de visiteur scientifique comme étant le plus approprié, Mme Cresson n'a jamais discuté du statut de M. Berthelot. Les qualifications de ce dernier n'étaient pas inférieures à celles d'autres visiteurs scientifiques. Il a effectivement travaillé et accompagné Mme Cresson dans ses missions. C'est lui-même qui a mis fin à son contrat pour des raisons médicales. Ce n'est qu'après sa démission que s'est posée la question du rapport de fin de service. Cela n'avait jamais été mentionné auparavant. M. Berthelot a rédigé un rapport à partir de notes. Il est diffamatoire de suggérer qu'il n'était pas l'auteur de ce rapport. Quant aux ordres de mission, Mme Cresson renvoie aux faits établis par le procureur du roi.

    58.   Selon Mme Cresson, le dossier Riedinger est vide. Chacun des trois contrats qui lui ont été proposés respecte l'intérêt général et M. Riedinger a apporté sa contribution sans être rémunéré. Ce grief tiré du défaut d'intégrité a été soulevé pour la première fois dans la requête de la Commission et n'est pas fondé. Il semblerait que Mme Cresson se voie reprocher un manque d'honnêteté pour avoir suggéré la conclusion de deux contrats qui n'ont jamais reçu une suite sous forme de rapport ou d'étude et pour lesquels M. Riedinger n'a perçu aucune rémunération.

    59.   Mme Cresson invoque un certain nombre d'irrégularités procédurales graves comme autres points subsidiaires.

    60.   Elle fait observer en premier lieu que l'enquête administrative a été ouverte à tort par le directeur général du personnel et de l'administration en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination sur le fondement du rapport de l'IDOC, alors qu'elle aurait dû être entamée par le collège des commissaires.

    61.   Sous ce chef de préjudice, Mme Cresson allègue ensuite une violation par la Commission de droits et principes fondamentaux dans le déroulement de la procédure ayant mené au présent recours devant la Cour. En premier lieu, l'engagement de la procédure en 2003, sept ans après la survenance des faits, est inacceptable compte tenu de ce que les rapports sur lesquels se fonde la Commission étaient disponibles depuis longtemps, et de la simplicité de l'affaire. En deuxième lieu, quand bien même la Commission allègue (à tort) ne pas être l'autorité disciplinaire, elle remplit diverses fonctions procédurales qui doivent rester distinctes. En troisième lieu, la Commission s'est pliée à la pression exercée notamment par le Parlement européen et ne saurait donc être considérée comme impartiale. En quatrième lieu, différentes irrégularités de procédure ont été commises dans la conduite de la procédure interne concernant notamment le rôle de l'IDOC, le chevauchement de procédures relatives au dossier Berthelot et la fixation de délais disproportionnés.

    62.   Le problème procédural le plus important est toutefois que, à la différence des fonctionnaires de la Communauté et d'autres catégories de personnel, Mme Cresson n'a pas la possibilité d'exercer un recours si la Cour devait la condamner et lui infliger une sanction. Dans le cadre des procédures disciplinaires, les membres de la Commission bénéficient de garanties et d'une protection juridictionnelle moindres que les fonctionnaires de la Communauté. Elle y voit une violation de ses droits fondamentaux. Les droits de la défense dont les ministres jouissent dans les États membres sont, à cet égard, mieux protégés.

    63.   Mme Cresson insiste sur les différences importantes qui existent entre le traitement, d'une part, des fonctionnaires et, d'autre part, des membres de la Commission dans le cadre d'une procédure disciplinaire. Ces derniers bénéficient de garanties moindres et sont privés d'une protection juridictionnelle effective. Elle y voit une violation de ses droits fondamentaux.

    64.   Mme Cresson reconnaît qu'elle ne peut présenter de demande reconventionnelle en dommages-intérêts. Elle souhaite toutefois insister sur le préjudice qu'elle a subi en raison de l'approche harassante et excessive adoptée par la Commission. Elle conclut à ce qu'il plaise à la Cour condamner la Commission aux dépens.

    C –    La position de la République française

    65.   La République française partage l'analyse de Mme Cresson selon laquelle l'article 213, paragraphe 2, CE est inapproprié pour servir de base au recours intenté contre elle, tant sur le plan matériel que temporel. Elle fait remarquer que cette procédure vient s'ajouter au mécanisme de responsabilité politique collective de la Commission qui a déjà été mis en œuvre avec la démission de la Commission Santer. En démissionnant collectivement, la Commission a exprimé l'avis selon lequel les malversations dont l'existence avait été établie à l'époque relevaient de sa responsabilité collective. En conséquence, aucune action n'a été intentée contre des membres particuliers.

    66.   À l'instar de Mme Cresson, la République française estime que la décision de ne pas poursuivre la procédure pénale en Belgique prive l'action disciplinaire de son fondement; elle renvoie dans ce cadre aux constatations du procureur du roi dans cette procédure. La position de la Commission selon laquelle la procédure en Belgique ne portait pas sur le favoritisme n'est pas claire. Est-elle d'avis que les qualifications juridiques sont différentes ou les faits eux-mêmes sont-ils différents? En tout état de cause, la juridiction belge a clairement conclu que les faits n'étaient pas établis ou qu'ils ne pouvaient pas être imputés à Mme Cresson. Elle a également jugé que le recrutement de M. Berthelot n'était pas contraire aux règles communautaires. Les allégations de favoritisme faites par la Commission vont à l'encontre des constatations de fait de la juridiction belge.

    67.   Dans ces circonstances, le gouvernement français estime qu'il serait disproportionné d'infliger une sanction sur le fondement de l'article 213, paragraphe 2, CE. Pareille sanction présuppose un manquement grave. Il indique que, s'agissant des fonctionnaires communautaires, la sanction consistant à prononcer la déchéance des droits à pension n'a été infligée qu'une fois en 50 ans, que cela portait sur une réduction de 35 % et que cela avait trait à une affaire de corruption (7). Une sanction serait également disproportionnée étant donné que huit années sont passées depuis la survenance des faits pertinents. Il se réfère dans ce contexte à la célérité avec laquelle un recours a été formé contre l'ancien commissaire Bangemann. Le cas de Mme Cresson ne devrait pas être considéré indépendamment des pratiques qui existaient au sein de la Commission à l'époque. La Commission n'a pas intenté d'action à son encontre lorsqu'elle était encore en fonction. Il serait disproportionné de sanctionner Mme Cresson pour des agissements qui ont été reprochés à l'ensemble de la Commission.

    VI – Observations générales sur l'article 213, paragraphe 2, CE

    68.   Bien que les arguments invoqués en l'espèce soient évidemment centrés sur les allégations faites contre Mme Cresson ainsi que sur la signification et la fonction précises de l'article 213, paragraphe 2, CE, la présente affaire soulève des questions qui présentent une importance constitutionnelle plus large pour l'Union européenne et ses institutions. Elle porte sur les normes auxquelles doivent se conformer des personnes occupant des postes importants au sein des institutions communautaires et sur la manière dont elles doivent rendre des comptes en cas de manquement de leur part. Il est essentiel au bon fonctionnement des institutions communautaires que les titulaires de hautes fonctions soient considérés non seulement comme étant compétents sur le plan professionnel, mais également comme ayant un comportement irréprochable. Les qualités personnelles de ces personnes reflètent directement la confiance que le grand public place dans les institutions communautaires, leur crédibilité et, partant, leur efficacité. Ainsi que le Comité d'experts indépendants l'a souligné à juste titre dans son rapport du 15 mars 1999, seul le respect de normes de base définissant un comportement approprié «permettra aux titulaires de hautes fonctions de disposer de l'autorité et du crédit leur permettant de jouer le rôle d'exemple qui leur revient» (8).

    69.   Afin d'apprécier la fonction de l'article 213, paragraphe 2, CE dans le cadre constitutionnel de la Communauté, de même que pour replacer la présente procédure en perspective, il est important de signaler l'existence de dispositions parallèles en ce qui concerne les autres institutions et organes communautaires qui doivent observer une complète indépendance et une pleine impartialité dans l'accomplissement des tâches qui leur sont confiées. Je renvoie à cet égard à l'article 195, paragraphe 2, CE s'agissant du Médiateur européen, à l'article 247, paragraphe 7, CE s'agissant de la Cour des comptes, à l'article 11, paragraphe 4, du protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne ainsi qu'aux articles 6 et 47 du statut de la Cour de justice en ce qui concerne, respectivement, la Cour de justice et le Tribunal.

    70.   À l'exception évidente du Médiateur européen, ce qu'ont en commun la Commission ainsi que ces institutions et organes est qu'ils agissent à titre collégial et que chacun de leurs membres ne peut pas être révoqué pour des motifs tenant à l'exercice des fonctions de ces organes. Puisque les membres de ces institutions détiennent les plus hautes fonctions dans leur domaine respectif et qu'ils ne sont soumis à aucun contrôle hiérarchique, des modalités spéciales doivent être prévues afin d'assurer que tout abus de pouvoir soit sanctionné comme il se doit. Il est inhérent à cette fonction que le pouvoir répressif soit attribué soit à l'institution à laquelle appartient l'individu concerné, soit à une autre institution au statut équivalent dans le cadre constitutionnel (9).

    71.   En garantissant que les titulaires de fonctions publiques n'échappent pas, en raison des fonctions qu'ils occupent, à toute réponse corrective lorsqu'ils ne respectent pas les normes requises en matière de comportement personnel, les procédures de ce genre fournissent des garanties de base que les institutions concernées fonctionnent conformément à leur tâche constitutionnelle. L'existence même de ces modalités a également une fonction préventive à cet égard.

    72.   Il faut également souligner que l'application de ces modalités constitutionnelles n'exclut pas l'application d'autres mécanismes correctifs au même comportement de titulaires de fonctions publiques. L'application d'autres mécanismes ne constitue pas non plus un obstacle à celle de la procédure constitutionnelle. Je fais notamment référence aux mécanismes de responsabilité politique et pénale. En matière de responsabilité politique, la Commission est responsable envers le Parlement selon les articles 197 CE et 201 CE en tant qu'organe collégial uniquement. Le Parlement n'a pas la possibilité de désavouer le comportement de membres particuliers de la Commission. Toutefois, à la suite de la modification apportée par le traité de Nice, l'article 217, paragraphe 4, CE exige la démission de membres particuliers si le président de la Commission le leur demande, après approbation par le collège des commissaires. Quant à la responsabilité pénale, lorsque le comportement en cause constitue un délit pénal en droit interne, le titulaire concerné des fonctions publiques peut être poursuivi au pénal dans l'un des États membres. Dans ce cas, l'immunité du membre de la Commission doit être levée comme le prévoient les dispositions combinées des articles 20 et 18 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes du 8 avril 1965. Le choix du mécanisme appliqué dépend de la nature de la violation et du type de normes en cause. Tous ces mécanismes poursuivent des finalités différentes et ne sont donc pas incompatibles.

    73.   Dans le cas de la Commission, il existe un rapport fonctionnel direct entre la conduite type dont doivent faire preuve les membres de la Commission et son rôle dans le cadre institutionnel de la Communauté. À cet égard, il est important d'insister sur le fait que, en plus d'être l'organe exécutif de la Communauté, la Commission remplit un rôle essentiel d'arbitre en conciliant les intérêts des États membres, du commerce et de l'industrie ainsi que des citoyens communautaires dans le processus de définition des politiques communautaires et de proposition de réglementation communautaire. Dans certains domaines, elle remplit également un rôle quasi juridictionnel comme en matière de concurrence ou lorsqu'elle fait respecter en vertu des articles 226 CE et 228 CE les obligations de droit communautaire qui pèsent sur les États membres. La Commission ne peut parvenir à remplir ces tâches que si elle et chacun de ses membres sont considérés comme agissant de manière totalement impartiale et pleinement indépendante. Ce n'est que dans ces conditions qu'elle sera en mesure de maîtriser le pouvoir de gagner la confiance nécessaire des autres institutions de la Communauté, des États membres et du grand public.

    74.   Il est par conséquent inhérent à la fonction et aux tâches de la Commission que chaque commissaire satisfasse à tous moments aux normes les plus rigoureuses en matière de comportement pour garantir leur indépendance, leur impartialité et leur honnêteté. Cela s'applique non seulement à leurs activités externes, mais également à la manière dont ils agissent au sein de la Commission dans la gestion des services dont ils sont responsables et dans le maintien de relations avec les autres services internes de la Commission. La culture de travail au sein de la Commission constitue elle-même un facteur déterminant pour assurer l'efficacité des activités de la Commission.

    75.   Tout manquement à ces normes par l'un des membres de la Commission est susceptible de porter gravement atteinte à l'image publique de l'institution et de remettre en cause les fondements de la confiance placée en elle, ce qui réduira ensuite son efficacité. Le fait que cela ne soit pas seulement une observation hypothétique est démontré par les conséquences des événements ayant conduit à la démission collective de la Commission Santer en 1999.

    76.   Les obligations qui pèsent sur les membres de la Commission sont décrites de manière générale à l'article 213, paragraphe 2, CE. Il ressort de cette disposition qu'ils doivent exécuter leurs devoirs en toute indépendance et dans l'intérêt général de la Communauté. Ils doivent s'abstenir de toute action incompatible avec leurs devoirs. À leur entrée en fonction, les membres de la Commission sont tenus de prendre l'engagement solennel de «respecter, pendant la durée de leurs fonctions et après la cessation de celles-ci, les obligations découlant de leur charge, notamment les devoirs d'honnêteté et de délicatesse quant à l'acceptation, après cette cessation, de certaines fonctions ou de certains avantages».

    77.   Ce que les obligations mentionnées à l'article 213, paragraphe 2, CE entraînent plus précisément est matière à interprétation et est d'ailleurs la question centrale de l'espèce. À l'époque de la survenance des faits dont Mme Cresson est accusée, il n'existait aucun code de conduite pour les membres de la Commission précisant les normes à respecter. Entre-temps, ce code a été rédigé et mis à exécution (10). Le code comporte diverses lignes directrices relatives à des questions d'éthique sur l'indépendance et l'honnêteté de la fonction de commissaire et relatives à la loyauté, à la confiance et à la transparence dans le fonctionnement interne de la Commission. Il ne semble toutefois pas contenir de lignes directrices ou de principes se rapportant aux faits sous-jacents au présent litige. Quoi qu'il en soit, il est inhérent à la fonction de membre de la Commission et à l'efficacité du fonctionnement de cette institution que certaines règles éthiques soient respectées. À cet égard, il convient de signaler que des règles figurent, pour les fonctionnaires communautaires, aux articles 10 à 12a du statut concernant les droits et obligations des fonctionnaires des Communautés européennes. Bien que ces règles ne s'appliquent pas aux membres de la Commission, on peut admettre qu'elles constituent un minimum absolu qu'ils doivent respecter.

    78.   Il n'est pas entièrement possible, ni nécessaire de tenter de définir de manière exhaustive les normes de bonne conduite qui doivent être respectées dans l'exercice de fonctions publiques. Il y aura toujours un élément pour lequel on ne sera peut-être pas en mesure d'identifier la norme violée, mais dont on pourra conclure que le comportement est néanmoins contraire à l'intérêt général. Cela est d'une certaine façon analogue à la manière dont Kenneth Clark a une fois décrit le phénomène de «civilisation»: «Qu'est-ce qu'une civilisation? Je l'ignore. Je ne peux pas – encore – la définir en termes abstraits. Mais je peux la reconnaître lorsque j'en vois une […]» (11).

    79.   Le Comité d'experts indépendants a parlé à cet égard d'un «noyau commun de normes minimales» qu'il a défini en termes d'actions menées dans l'intérêt général de la Communauté et en toute indépendance. Cela suppose que les décisions soient prises dans le souci exclusif de l'intérêt général, sur la base de critères objectifs et en faisant abstraction de tout intérêt privé personnel ou de tiers. Cela implique également de faire preuve d'honnêteté et de délicatesse et de respecter les principes de responsabilité et de publicité. Ce dernier signifie notamment que tout conflit d'intérêts doit être publiquement reconnu en toute franchise (12).

    80.   En cherchant à définir les normes qui doivent être respectées par les titulaires de fonctions publiques et, par conséquent, à préciser le «noyau commun» évoqué par le Comité d'experts indépendants, il est utile de mentionner ce que l'on appelle les sept principes de la vie publique, identifiés par la commission Nolan sur les normes de la vie publique au Royaume-Uni. Ces principes sont: le désintéressement, l'intégrité, l'objectivité, la responsabilité, la publicité, l'honnêteté et la qualité de chef. Le premier de ces principes, le désintéressement, est ensuite défini comme suit: «[l]es titulaires de fonctions publiques devraient agir uniquement dans l'intérêt public. Ils ne devraient pas ce faire pour obtenir des avantages financiers ou autres pour eux-mêmes, leur famille ou leurs amis».

    81.   Enfin, il convient de relever que l'accent mis sur la nécessité, pour les commissaires, de pouvoir garantir leur indépendance et leur impartialité absolues durant tout leur mandat en tant que condition permettant à la Commission de pouvoir remplir les tâches qui lui sont confiées n'est pas le résultat d'idées récentes ou de changement de valeurs. Mentionnant à la réunion constituante de la Commission tenue le 16 janvier 1958 à Val Duchesse le serment, énoncé à l'article 213, paragraphe 2, CE, que les membres de la Commission doivent prêter à leur entrée en fonction, le président Walter Hallstein a décrit dans les termes suivants l'essence des obligations pesant sur les membres de la Commission:

    «En prononçant solennellement ces paroles, en notre nom à tous ainsi que l'exigent les termes du Traité, nous reconnaissons l'essentiel des obligations qui nous sont désormais communes.

    Nous entendons par ‘l'essentiel’ que nos travaux servent l'Europe – l'Europe et non quelconques intérêts particuliers qu'ils soient d'ordre national, professionnel, économique ou personnel.

    C'est en cela que réside la difficulté de notre tâche, mais c'est aussi ce qui lui confère une insigne dignité» (13).

    Il ne pourrait y avoir témoignage plus clair de la validité des observations précédentes.

    VII – Analyse

    82.   La requête de la Commission soulève en droit de nombreuses questions qui peuvent être réunies dans les quatre catégories suivantes: la recevabilité, les questions procédurales, le bien-fondé de l'affaire et la possibilité d'infliger une sanction.

    A –    La recevabilité

    83.   Mme Cresson soutient en premier lieu que le recours de la Commission est irrecevable aux motifs que l'article 213 CE n'en constitue pas une base juridique appropriée, que, à la suite de l'ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles prononçant le non-lieu au bénéfice de Mme Cresson, le présent recours a été privé de son contenu et que, compte tenu de l'importance relativement modeste des sommes en cause, la règle de minimis non curat praetor devrait s'appliquer.

    84.   En tant que tel, l'article 213, paragraphe 2, CE ne pose aucune exigence particulière quant à la recevabilité d'un recours formé par la Commission ou par le Conseil en application de cette disposition. Les questions procédurales soulevées par Mme Cresson sont toutefois importantes et appellent un approfondissement de la fonction et du champ d'application de cette disposition ainsi que de son rapport avec d'autres procédures portant sur les mêmes allégations.

    1.      L'article 213, paragraphe 2, CE comme fondement du présent recours

    85.   Mme Cresson opère une distinction entre les sanctions prévues à la dernière phrase de l'article 213, paragraphe 2, CE. D'une part, elle allègue que la sanction de démission d'office est prévue lorsqu'un commissaire n'a pas respecté son obligation d'exercer ses fonctions dans l'intérêt général durant son mandat. C'est le cas de figure prévu à l'article 216 CE auquel l'article 213, paragraphe 2, CE se réfère. D'autre part, la sanction consistant à prononcer la déchéance des droits à pension d'un commissaire ou d'autres avantages ne peut être infligée qu'après la cessation de ses fonctions. En outre, cette mesure ne peut être prise que lorsque le commissaire concerné n'a pas fait preuve d'une honnêteté et d'une délicatesse suffisantes quant à l'acceptation de certaines fonctions ou de certains avantages après la cessation de ses fonctions. Selon Mme Cresson, comme les allégations portées à son encontre ne se rapportent pas à ce dernier type de manquement, le recours de la Commission ne saurait être fondé sur l'article 213, paragraphe 2, CE.

    86.   La Commission estime par contre que l'une ou l'autre sanction prévue à l'article 213, paragraphe 2, CE peut être infligée à un commissaire en fonction ou à un ancien commissaire lorsqu'il a été démontré qu'il n'a pas respecté les obligations découlant de sa charge. Le favoritisme manifesté dans le recrutement de personnes à la Commission peut être considéré comme une violation de ces obligations.

    87.   Cette discussion porte globalement sur trois aspects relatifs au champ d'application de l'article 213, paragraphe 2, CE. Premièrement, peut-on faire une distinction entre l'applicabilité des sanctions de démission d'office et de déchéance des droits à pension selon que le commissaire en cause est, ou non, toujours en fonction? Deuxièmement, la sanction consistant à prononcer la déchéance du droit à pension d'un membre de la Commission peut-elle être infligée s'agissant d'un manquement à toutes les obligations découlant de la charge de commissaire ou uniquement lorsque sont en cause les obligations relatives aux activités extérieures? Troisièmement, quelles obligations sont appréhendées par l'article 213, paragraphe 2, CE?

    88.   S'agissant de la première de ces questions, il suffit de recourir aux termes univoques de l'article 213, paragraphe 2, CE qui, dans sa dernière phrase, dispose que l'une des deux sanctions peut être infligée en cas de violation des obligations du commissaire. Ce terme «obligations» ne peut que renvoyer au même terme employé dans la phrase précédente relative à l'engagement solennel des commissaires de respecter, pendant la durée de leurs fonctions et après la cessation de celles-ci, les obligations découlant de leur charge. En d'autres termes, les commissaires doivent à tous moments respecter les obligations pertinentes et on ne distingue pas selon que la saisine de la Cour intervient, ou non, pendant ou à l'issue du mandat du commissaire. En conséquence, il est théoriquement possible que, plutôt que d'obtenir sa démission d'office, on invoque l'article 213, paragraphe 2, CE à l'encontre d'un commissaire toujours en fonction pour faire prononcer la déchéance de ses droits à pension ou d'autres avantages.

    89.   Rien ne justifie donc la distinction opérée par Mme Cresson dans l'application de l'article 213 CE aux commissaires en exercice et aux anciens commissaires. Dans son cas, il est possible de lui infliger une sanction pécuniaire étant donné qu'elle n'a pas été déclarée démissionnaire en application de l'article 216 CE, mais qu'elle a, au contraire, démissionné de son plein gré avec le reste de la Commission Santer.

    90.   Le deuxième argument, à savoir que la seconde sanction prévue à l'article 213, paragraphe 2, CE ne peut être envisagée que lorsque le commissaire en cause n'a pas respecté l'honnêteté et la délicatesse requises en acceptant des fonctions ou des avantages après la cessation de ses fonctions, repose sur une lecture trop restrictive de cette disposition. Cette règle particulière doit être considérée comme une espèce d'obligations générales que les commissaires doivent respecter, ce qui ressort de l'emploi du terme «notamment» qui la précède. Étant donné son caractère fondamental, cette obligation méritait d'être explicitement mentionnée dans cette disposition.

    91.   Le troisième aspect relatif au champ d'application de l'article 213, paragraphe 2, CE a déjà fait l'objet de développements dans le cadre de mes remarques générales introductives. Tout type de comportement susceptible de jeter le doute sur l'indépendance et l'impartialité d'un membre particulier de la Commission doit être considéré comme une violation des obligations énoncées à cette disposition, laquelle peut s'accompagner des sanctions qui y sont prévues. Contrairement à l'allégation de Mme Cresson, selon laquelle l'article 213, paragraphe 2, CE doit faire l'objet d'une interprétation restrictive étant donné les graves conséquences qu'une violation des obligations est susceptible d'avoir, il y a toutes les raisons de faire une interprétation large de son champ d'application afin de garantir son effectivité en dissuadant tout comportement susceptible d'avoir des effets préjudiciables sur le fonctionnement de la Commission dans son ensemble.

    92.   L'article 213, paragraphe 2, CE peut donc être invoqué contre une violation de n'importe quelle obligation incombant à un commissaire, indépendamment du fait de savoir s'il est toujours en fonction ou si son mandat a pris fin. Il convient de rejeter les arguments avancés par Mme Cresson en sens contraire.

    2.      Les effets de la décision de la juridiction pénale belge

    93.   Mme Cresson allègue en substance que, la procédure pénale menée à son encontre en Belgique ayant été abandonnée au motif que le juge d'instruction avait conclu que les faits constitutifs d'escroquerie ainsi que de faux et d'usage de faux ne pouvaient pas lui être imputés, et la Commission n'ayant pas interjeté appel de cette décision, aucun élément ne fonde la formation d'un recours en application de l'article 213, paragraphe 2, CE pour les mêmes faits. Elle invoque à l'appui de cet argument l'adage «le pénal tient le disciplinaire en l'état» selon lequel un organe disciplinaire est lié par les constatations de fait d'une juridiction pénale. La Commission conteste quant à elle l'identité des faits dans les deux affaires. Alors que la procédure en Belgique portait sur un éventuel cas d'escroquerie ainsi que de faux et d'usage de faux, c'est un grief de favoritisme qui est ici en cause. Elle allègue également avoir pris la décision de ne pas poursuivre la procédure pénale pour des motifs juridiques, non pour des motifs factuels.

    94.   En premier lieu, il est nécessaire de souligner la nature spéciale de la procédure prévue à l'article 213, paragraphe 2, CE qui, bien que fréquemment qualifiée de disciplinaire par les deux parties au litige, doit en réalité être distinguée d'une telle procédure au vu du degré de la fonction publique en cause. Comme il existe un lien direct entre, d'une part, le comportement d'un commissaire et, d'autre part, l'image publique et le fonctionnement de l'institution dans laquelle il est en fonction, la procédure prévue à l'article 213, paragraphe 2, CE est de nature constitutionnelle. Cela se traduit par le fait que les décisions à prendre dans le cadre de cette procédure ne le sont pas au sein de l'institution même, mais par une autre institution, le pouvoir judiciaire impartial de la Communauté.

    95.   Dans ce contexte, la Cour jouit d'une compétence exclusive qui ne peut être mise en cause par les décisions rendues par des juridictions nationales. La Cour étant l'autorité qui doit, en définitive, infliger une sanction à la demande soit de la Commission, soit du Conseil, elle doit être également en mesure de déterminer si le comportement dont un commissaire est accusé est de nature à constituer une violation d'obligations au sens de l'article 213 CE. Bien que la Cour puisse, à cette fin, tenir compte des constatations de fait effectuées par un organe judiciaire national, elle jouit dans ce contexte d'une responsabilité propre qui ne saurait en aucun cas être entravée. Ainsi, lorsqu'une juridiction nationale a constaté dans le cadre d'une procédure pénale nationale engagée contre un (ancien) membre de la Commission que certains faits n'ont pas été prouvés ou qu'ils ont été prouvés, mais qu'ils n'engageaient pas la responsabilité pénale, cela ne saurait restreindre les pouvoirs de la Cour d'établir et de qualifier les mêmes faits dans le contexte différent et particulier de la procédure de l'article 213, paragraphe 2, CE, ce qui est une question de droit communautaire.

    96.   C'est pour ces raisons que l'adage «le pénal tient le disciplinaire en l'état» ne peut, selon moi, pas s'appliquer à la Cour dans le cadre de l'article 213, paragraphe 2, CE.

    97.   Même si la Cour devait juger cet adage applicable dans les circonstances de l'espèce, je partage l'avis de la Commission selon lequel les faits examinés devant le juge d'instruction en Belgique et en l'espèce ne sont pas entièrement identiques. Était en cause dans la première procédure, en ce qui concerne Mme Cresson, notamment la question de savoir s'il existait des preuves des délits d'escroquerie ainsi que de faux et d'usage de faux dans l'établissement des ordres de mission destinés à M. Berthelot, et dans la rédaction de son rapport de fin de mission à l'issue de son premier contrat. Le présent litige a par contre pour objet l'accusation de favoritisme dont Mme Cresson a fait preuve dans le recrutement et le traitement de M. Berthelot ainsi que dans l'offre de contrats faite à M. Riedinger. C'est un problème complètement différent. Les faits en cause dans la procédure pénale n'étaient que des conséquences secondaires ou des expressions du traitement préférentiel accordé à ces deux messieurs à l'instigation, soi‑disant, de Mme Cresson. Il ne faut pas les confondre avec le comportement sous-jacent de favoritisme même qui est, en outre, une question ne relevant pas du domaine pénal.

    98.   De plus, je souhaiterais répéter que rien ne s'oppose à la mise en œuvre concomitante d'une procédure pénale nationale et d'une procédure en application de l'article 213, paragraphe 2, CE. Ces deux types de procédures répondent à des besoins différents dans les ordres juridiques national et communautaire, respectivement. Tandis que le premier vise à faire respecter des normes jugées essentielles pour le tissu social à l'échelle nationale, le second est destiné à assurer le bon fonctionnement des institutions communautaires en vue de la réalisation des objectifs du traité. Même si la procédure pénale nationale avait été poursuivie et qu'elle avait entraîné le prononcé d'une sanction, il y aurait encore place pour les sanctions prévues à l'article 213, paragraphe 2, CE.

    99.   En conséquence, il convient de rejeter l'argument de Mme Cresson selon lequel l'ordonnance, rendue le 30 juin 2004, par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles et prononçant le non-lieu en sa faveur prive le recours de la Commission de tout contenu et que, de ce fait, le présent recours est irrecevable.

    3.      La règle de minimis non curat praetor

    100. Selon Mme Cresson, le recours de la Commission doit être déclaré irrecevable au vu de la modeste somme d'argent en cause, liée aux ordres de mission donnés à M. Berthelot. La Commission conteste cet argument et allègue que, quand bien même il serait applicable, il se rapporte au bien-fondé du recours, non à sa recevabilité.

    101. Il ne figure à l'article 213, paragraphe 2, CE aucune condition tenant au degré de gravité d'une violation alléguée d'obligations par un (ancien) membre de la Commission comme critère permettant à la Commission ou au Conseil de saisir la Cour. La décision de former un recours en application de cette disposition du traité relève de la seule appréciation de l'institution en cause. Toute décision d'engager des poursuites en application de cette disposition à l'encontre d'un (ancien) membre de la Commission est prise collectivement par le collège des commissaires. On peut présumer qu'une telle décision ne sera pas prise à la légère.

    102. De plus, le fait que le préjudice matériel causé aux intérêts de la Communauté puisse être minime n'est pas un indicateur de la gravité de la violation sous-jacente des obligations par le commissaire impliqué. Ce qui importe, c'est de savoir si le comportement en cause était susceptible de porter atteinte à l'autorité et à la crédibilité de la Commission ainsi qu'à la confiance que placent en elle d'autres institutions, les États membres et le grand public. Comme le montre très clairement la présente espèce, pareil préjudice a effectivement résulté du comportement de Mme Cresson.

    103. La relative modicité de la somme en cause dans le favoritisme dont a bénéficié M. Berthelot n'a donc aucune incidence sur la recevabilité du recours de la Commission. Ainsi que celle-ci le fait remarquer à juste titre, cela constitue tout au plus un aspect dont on peut tenir compte en appréciant le bien-fondé de l'espèce.

    4.      Conclusion sur la recevabilité

    104. À la lumière des considérations exposées ci-dessus, je conclus que les arguments de Mme Cresson tirés de l'irrecevabilité du recours de la Commission ne sont pas fondés.

    B –    Les questions d'ordre procédural

    105. Mme Cresson soulève une série d'objections quant à la conduite de la procédure devant la Commission avant que cette dernière ne saisisse la Cour, et critique le défaut de garanties procédurales dans le cadre de l'application de l'article 213, paragraphe 2, CE. Même si ces griefs, résumés aux points 51 et 60 à 62 ci-dessus, ont été présentés comme des points subsidiaires, il est commode d'un point de vue systématique de les aborder avant de passer au fond de l'affaire.

    106. Ainsi que Mme Cresson l'indique à juste titre, il n'existe aucun cadre procédural clair pour préparer la décision de la Commission de saisir la Cour en application de l'article 213, paragraphe 2, CE lorsqu'elle estime que l'un de ses membres ou de ses anciens membres a violé les obligations découlant de la charge de commissaire. Compte tenu des graves conséquences personnelles qu'une telle décision peut avoir, il incombe à la Commission d'agir avec prudence tant en ce qui concerne la constatation et l'appréciation des faits que la communication de sa position à la personne mise en cause et de la réponse de cette dernière aux accusations portées à son encontre. Cette obligation d'agir avec prudence et de tenir pleinement compte des droits de la défense est particulièrement prononcée en l'absence de précédents et de procédures préparatoires sanctionnées par une juridiction. De manière générale, la Commission a effectivement adopté une approche prudente dans la préparation de cette procédure en établissant une communication des griefs, en la transmettant à Mme Cresson et en lui offrant la possibilité de répondre par écrit et oralement. Il est important, selon moi, de souligner ce point général avant d'examiner chacun des griefs invoqués par Mme Cresson.

    107. On ne saurait admettre le premier grief de Mme Cresson, selon lequel l'enquête administrative dont elle a fait l'objet aurait dû être ouverte par le collège des commissaires parce que le directeur général du personnel n'était pas compétent pour ce faire. Outre l'absence de règle écrite ou non écrite selon laquelle la décision d'enquêter sur les malversations dont un commissaire est soupçonné ne peut être prise que par ses pairs, un directeur général agit sous la responsabilité directe d'un membre de la Commission. Comme il faut le souligner à nouveau, ce qui importe, c'est que, en décidant d'entamer une procédure en application de l'article 213, paragraphe 2, CE, la Commission a assumé l'entière responsabilité des faits sur lesquels elle fonde ses allégations.

    108. Sous le chef de préjudice de violation de ses droits fondamentaux, Mme Cresson allègue, en premier lieu, qu'une période de sept ans entre les faits dont elle est accusée et l'ouverture en 2003 d'une procédure à son encontre est inadmissible. En ce qui concerne ce grief, il convient de signaler que l'article 213, paragraphe 2, CE ne prévoit pas de délai dans lequel doit être entamée une procédure à l'encontre d'un (ancien) commissaire. En l'espèce, la décision d'entamer l'instance contre Mme Cresson a été le faîte d'une procédure d'enquête et de réformes internes à la Commission dont Mme Cresson devait avoir connaissance. Bien que l'on puisse admettre qu'il est considérable que sept ans se soient écoulés avant l'introduction de l'instance visant à faire prononcer une sanction pécuniaire, cela n'a aucune incidence sur la compétence de la Commission pour saisir la Cour en application de l'article 213, paragraphe 2, CE. Ainsi que la Commission l'a fait remarquer, si le laps de temps fonctionnait effectivement comme un motif d'irrecevabilité, cela l'empêcherait elle, ou le Conseil, de former un recours dans des affaires dans lesquelles les faits ont été établis bien après leur survenance. J'estime toutefois que le temps écoulé entre les faits principaux de l'espèce et la décision d'entamer la procédure prévue à l'article 213, paragraphe 2, CE peut être un facteur susceptible d'être pris en compte lors de la décision d'infliger une éventuelle sanction. Je reviendrai sur cette question ultérieurement.

    109. L'aspect suivant de la violation alléguée des droits fondamentaux de la défense est que Mme Cresson a été privée d'une procédure équitable en ce que, durant toute la procédure, la Commission a assumé le rôle de juge d'instruction en intervenant dans la procédure pénale en Belgique et en engageant diverses enquêtes administratives puis, ultérieurement, le rôle de procureur en saisissant la Cour en application de l'article 213, paragraphe 2, CE. De plus, en refusant à Mme Cresson l'accès au procès-verbal de la réunion de la Commission au cours de laquelle a été prise la décision d'engager la présente procédure, la Commission a violé le principe d'une procédure contradictoire. S'agissant du premier point, je ferais remarquer que, durant toute la procédure, la Commission a convenablement exercé ses pouvoirs conférés par le traité tant en menant des enquêtes qu'en décidant de saisir la Cour. Il est trompeur d'assimiler ses actes dans ce contexte à des rôles qui lui sont étrangers. Quant au second point, étant donné que Mme Cresson était pleinement informée des accusations portées à son encontre, énoncées dans la communication des griefs, le refus de l'autoriser à accéder au procès‑verbal de la réunion de la Commission du 19 juillet 2004 n'a pas violé son droit à une procédure équitable.

    110. Ensuite, sous ce chef de préjudice, Mme Cresson allègue que la Commission n'as pas été impartiale en adoptant sa décision d'engager une procédure en application de l'article 213, paragraphe 2, CE parce qu'elle a agi, selon elle, sous la pression politique du Parlement. Ici, à nouveau, il faut souligner que, s'il relève de la responsabilité propre de la Commission de décider de saisir, ou non, la Cour en vertu de cette disposition, c'est la Cour qui apprécie en définitive si les conditions pour infliger une sanction sont remplies et qui arrête la sanction appropriée en l'occurrence. Il n'est pas pertinent de savoir si la Commission a agi de manière impartiale en introduisant son recours. Ce grief par conséquent doit donc être rejeté.

    111. Enfin, Mme Cresson soutient qu'une série d'irrégularités procédurales se sont produites en rapport avec les enquêtes administratives. Il est utile de relever que les diverses enquêtes administratives menées sur les cas allégués de favoritisme de la part de Mme Cresson ont été la conséquence directe d'allégations plus générales de malversations commises à l'époque au sein de la Commission. Elles n'ont, en tant que telles, pas été prévues comme étant préparatoires à l'engagement de la procédure contre Mme Cresson en application de l'article 213, paragraphe 2, CE. Elles n'ont acquis ce caractère qu'a posteriori, le 21 janvier 2003, lorsque la Commission a décidé d'adresser sa communication des griefs à Mme Cresson. La décision d'engager une procédure en application de l'article 213, paragraphe 2, CE relève de la seule responsabilité de la Commission, agissant comme organe collégial et, en prenant cette décision, elle assume également l'entière responsabilité des faits sur lesquels elle fonde son recours. C'est ensuite à la Cour qu'il appartient d'apprécier le bien-fondé de cette affaire sur la base de ces éléments factuels. Vues sous cet angle, les diverses irrégularités formelles – et, selon moi, des plus insignifiantes – qui seraient prétendument survenues durant la phase préparatoire ne sauraient, quand bien même se seraient-elles effectivement produites, altérer la véracité ou la validité des faits que la Commission a présentés à la Cour.

    112. La principale objection formulée par Mme Cresson en ce qui concerne les droits de la défense est que, dans le cadre de la présente procédure, elle n'a aucun droit de contester l'arrêt de la Cour. Elle mentionne par comparaison la situation dans les affaires en matière de fonction publique communautaire et la situation en Belgique en ce qui concerne les ministres du gouvernement, dans lesquelles deux instances existent pour statuer sur les cas d'abus commis dans l'exercice d'un mandat public. Bien que, dans les procédures engagées en application de l'article 213, paragraphe 2, CE, la Cour statue effectivement en premier et dernier ressort, il s'agit de savoir si cela constitue une violation des droits fondamentaux de la défense. À cet égard, je souhaiterais à nouveau rappeler la nature particulière de la procédure de l'article 213, paragraphe 2, CE qui ne saurait être simplement comparée à la procédure disciplinaire engagée contre un fonctionnaire communautaire. Cette procédure est plutôt de nature constitutionnelle et est entamée dans l'intérêt général afin de rétablir la confiance dans le fonctionnement de la Commission. Constituant une forme de catharsis constitutionnelle, il est indiqué que pareilles affaires soient tranchées en premier et dernier ressort par la juridiction suprême de l'ordre juridique communautaire et qu'elles ne demeurent pas pendantes plus longtemps qu'il n'est nécessaire à cette fonction. La procédure devant la Cour fournit en outre des garanties suffisantes pour protéger les intérêts du commissaire en cause. Outre les garanties énoncées dans le statut de la Cour de justice et dans le règlement de procédure, une garantie supplémentaire est que les affaires de ce genre sont entendues par l'assemblée plénière (article 16, quatrième alinéa, du statut). Étant donné la nature et la fonction particulières de la procédure prévue à l'article 213, paragraphe 2, CE, je n'estime pas que l'absence de possibilité de contester l'arrêt de la Cour constitue une violation des droits fondamentaux du défendeur.

    113. En conséquence, il y a lieu de rejeter comme n'étant pas fondées les diverses objections soulevées par Mme Cresson à l'encontre de la procédure menée par la Commission avant l'introduction du recours en l'espèce, et à l'encontre de la procédure de l'article 213, paragraphe 2, CE, en tant que telle.

    C –    Les arguments de fond

    114. La prochaine question à examiner est de savoir si les faits dont la Commission accuse Mme Cresson constituent une violation des obligations découlant de la charge de commissaire au sens de l'article 213, paragraphe 2, CE. Mme Cresson ne conteste pas en tant que tels les faits portant sur M. Berthelot et M. Riedinger. Toutefois, elle allègue en substance que, dans les deux cas, les règles communautaires applicables ont été respectées.

    115. Ainsi que je l'ai exposé à la section VI des présentes conclusions, la fonction de membre de la Commission exige des titulaires qu'ils satisfassent aux normes les plus rigoureuses pour garantir leur indépendance, leur impartialité et leur honnêteté, tant dans leurs relations extérieures que dans leur conduite au sein de la Commission.

    116. En l'espèce, en ce qui concerne le dossier Berthelot, il est constant que Mme Cresson a manifesté le souhait de recruter son ami personnel, M. Berthelot, en qualité de conseiller personnel. Il est également établi que, malgré les avertissements de son chef de cabinet qui ne voyait aucun moyen par lequel la Commission ait pu l'employer, Mme Cresson s'est adressée à l'un des services dont elle était responsable, la DG XII, pour chercher un moyen convenable de l'engager. Par la suite, M. Berthelot s'est vu offrir, sur proposition de ce service, un contrat d'un an en qualité de visiteur scientifique. Ainsi qu'il ressort du dossier, sa mission était de «participer en collaboration étroite avec le cabinet de Mme Cresson à la préparation du cinquième programme cadre et de programmes spéciaux en matière de sciences de la vie [et] de préserver les liens avec les communautés scientifiques nationales, notamment avec la communauté française». Vu ses références scientifiques atypiques et vu qu'il travaillait en étant rattaché à Mme Cresson, plutôt que d'avoir un bureau au sein de la DG XII, il est clair que ce sont des formalités inhabituelles qui ont permis à M. Berthelot d'être employé selon les modalités précédemment définies par Mme Cresson.

    117. Il n'est pas non plus vraiment contesté que M. Berthelot a perçu une somme de 6 930 euros en remboursement de missions effectuées à Châtellerault, ni que la durée totale de ses contrats dépassait les limites maximales prescrites, ni que Mme Cresson a cherché à faire prolonger les relations contractuelles avec M. Berthelot après sa démission pour des raisons médicales.

    118. S'agissant du dossier Riedinger, il est également établi que Mme Cresson a offert à un autre ami personnel au moins deux contrats pour mener des études sur des sujets qui ne semblent pas relever entièrement des domaines politiques dont Mme Cresson avait la responsabilité. Bien que ces contrats n'aient pas été exécutés et n'aient pas non plus donné lieu à des dépenses à charge du budget communautaire, on ne saurait présumer qu'il était prévisible que telle serait l'issue à l'époque où ils ont été proposés.

    119. Il est important dans l'appréciation de ces différents faits de ne pas les considérer indépendamment du contexte général dans lequel ils se sont produits. Dans son mémoire en défense, Mme Cresson insiste sur le fait que les règles communautaires ont été respectées en ce qui concerne, par exemple, le recrutement de M. Berthelot et que d'autres événements ne pouvaient pas lui être imputés, comme les ordres de mission établis au nom de M. Berthelot pour Châtellerault. Ce qui est pertinent en revanche, c'est que ces différents faits sont révélateurs d'un comportement de principe traduisant la volonté de Mme Cresson pendant son mandat de membre de la Commission d'utiliser cette fonction pour en étendre les avantages à des amis personnels, et ce au détriment du budget communautaire. Exprimé autrement, il est inconcevable que M. Berthelot ait été employé par la Commission selon les mêmes termes et qu'il ait bénéficié du même traitement favorable si Mme Cresson n'avait pas occupé la fonction de membre de la Commission.

    120. Sur la base des faits présentés à la Cour tant par la Commission que par Mme Cresson, j'estime que la Commission accuse Mme Cresson à juste titre de favoritisme, ainsi que le Comité d'experts indépendants l'avait également constaté auparavant, dans son rapport du 15 mars 1999 et qu'il n'est pas nécessaire d'examiner si ce comportement a également constitué une négligence caractérisée. Même si ce comportement ne s'est concrétisé que dans les deux dossiers à l'origine de la présente procédure, la simple volonté de faire preuve d'un tel comportement en occupant de hautes fonctions suffit à jeter le doute sur l'honnêteté et l'impartialité de Mme Cresson dans l'exercice en général de sa fonction de commissaire. Le simple soupçon de partialité suffit à susciter de tels doutes. Cela a nécessairement nui à son rôle dans le processus de décision collégial de la Commission puisqu'elle n'était plus en mesure de garantir qu'elle remplissait les conditions nécessaires pour agir en cette qualité. À son tour, son comportement était de nature à faire courir un danger à la confiance que le monde extérieur avait dans l'indépendance de la Commission. En fin de compte, ce risque s'est effectivement matérialisé, portant gravement atteinte à l'image publique de la Commission.

    121. J'en conclus par conséquent que, en faisant preuve de favoritisme, c'est‑à‑dire d'une volonté d'utiliser sa fonction de commissaire pour conférer des avantages à des connaissances personnelles, Mme Cresson a agi en violation des obligations découlant de la charge de membre de la Commission au sens de l'article 213, paragraphe 2, CE.

    D –    Sanction

    122. Au cas où la Cour statuerait aux dépens de Mme Cresson, la Commission lui demande de prononcer la déchéance totale ou partielle de ses droits à pension et/ou de tous autres avantages liés ou en tenant lieu, comme il est prévu à l'article 213, paragraphe 2, CE. Bien que la Commission s'en remette à la discrétion de la Cour pour déterminer la nature et l'ampleur d'une telle sanction, elle précise bien que toute sanction devrait être infligée compte tenu du principe de proportionnalité. Elle suggère également que les facteurs applicables dans la détermination des sanctions lors de procédures disciplinaires engagées contre des fonctionnaires communautaires, énumérées à l'article 10 de l'annexe IX du statut concernant les droits et obligations des fonctionnaires des Communautés européennes, pourraient présenter à cet égard une valeur indicative.

    123. Lorsqu’on on statue sur l'imposition d'une sanction pécuniaire sur le fondement de l'article 213, paragraphe 2, CE, et sur son ampleur, l'élément principal est le degré de gravité de la violation des obligations, en ce qui concerne tant la nature de la faute que le préjudice causé à l'institution qu'est la Commission. Dans mes développements sur le bien-fondé de l'affaire, j'ai déjà relevé qu'une attitude de favoritisme de la part d'un membre de la Commission a des conséquences directes sur la manière dont on perçoit l'exercice des fonctions par la personne en cause dans le processus de décision collégial de la Commission. Cela emporte également des conséquences sur l'image publique et la réputation de la Commission, auxquelles il a en l'occurrence été porté gravement atteinte. Et l'on peut ajouter que le temps nécessaire pour restaurer la notoriété et la légitimité qu'une telle institution a bâties pendant des années est disproportionné. Le préjudice causé est donc considérable et durable.

    124. À la lumière de ces observations, je n'ai aucune difficulté à conclure que la violation de ses obligations par Mme Cresson mérite qu'une sanction pécuniaire soit prononcée comme le prévoit l'article 213, paragraphe 2, CE. Plus précisément, j'estime que cette violation est suffisamment grave pour justifier une déchéance totale des droits à pension et des avantages liés. Un certain nombre d'éléments ne justifient toutefois qu'une déchéance partielle de ces droits et avantages.

    125. Le premier de ces éléments est que, ainsi que Mme Cresson le soutient à juste titre, une période de temps considérable s'est écoulée entre les premières enquêtes administratives et la décision d'engager une procédure à son encontre en application de l'article 213, paragraphe 2, CE. Ce n'est qu'à compter de ce moment qu'elle a pu sérieusement envisager la perspective d'une éventuelle déchéance, totale ou partielle, de ses droits à pension. De plus, on peut tenir compte de ce que Mme Cresson a déjà subi une atteinte importante à sa réputation du fait de la couverture médiatique de cette affaire. Ensuite, il convient d'accorder une certaine importance au fait que le comportement de Mme Cresson a apparemment trouvé un certain appui dans la culture administrative qui prévalait à l'époque au sein de la Commission (14). Enfin, on peut tenir compte de ce que c'est la première fois que la Cour sera amenée à statuer sur un recours formé en application de l'article 213, paragraphe 2, CE.

    126. Étant donné par ailleurs qu'il est nécessaire de répondre de façon crédible à la violation par Mme Cresson de ses obligations, je conclurais qu'une réduction de moitié de ses droits à pension et des avantages liés à compter de la date du prononcé de l'arrêt en l'espèce serait une sanction appropriée. Comme elle a bénéficié depuis sa démission en 1999 de l'intégralité de ses droits à pension, je ne vois aucune raison de limiter cette sanction dans le temps.

    VIII – Sur les dépens

    127. Selon l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à ce que Mme Cresson soit condamnée aux dépens et cette dernière ayant succombé en sa défense, elle doit être condamnée aux dépens. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, la République française, qui est intervenue au soutien des conclusions de Mme Cresson, doit supporter ses propres dépens.

    IX – Conclusion

    128. À la lumière des observations qui précèdent, je conseille à la Cour:

    –       déclarer recevable le recours formé par la Commission des Communautés européennes;

    –       dire pour droit que, en faisant preuve d'un comportement de favoritisme, c'est-à-dire d'une volonté d'utiliser sa fonction de commissaire pour conférer des avantages à des connaissances personnelles, Mme Édith Cresson a agi en violation des obligations découlant de la charge de membre de la Commission au sens des articles 213, paragraphe 2, CE, et 126, paragraphe 2, EA;

    –       prononcer la déchéance de 50 % des droits à pension de Mme Cresson et des avantages liés, à compter de la date du prononcé de l'arrêt en l'espèce;

    –       condamner Mme Cresson aux dépens;

    –       condamner la République française à supporter ses propres dépens.


    1 – Langue originale: l'anglais.


    2 – Les deux dispositions étant identiques, il ne sera fait référence dans tout le reste des présentes conclusions qu'à l'article 213, paragraphe 2, CE.


    3 – Affaire Conseil/Bangemann (C-290/99), radiée du rôle de la Cour par ordonnance du 3 février 2000 (JO C 122, p. 17).


    4 – Comité d'experts indépendants, premier rapport sur les allégations de fraude, de mauvaise gestion et de népotisme à la Commission.


    5 – Point 8.1.35 du rapport.


    6 – Arrêt du 10 juin 2004 (T‑307/01, Rec. p. II-1669).


    7 – Arrêt du Tribunal du 30 mai 2002, Onidi/Commission (T‑197/00, RecFP p. I-A-69 et II-325).


    8 – Point 1.5.4 du rapport.


    9 – Des modalités constitutionnelles analogues existent dans les États membres pour les titulaires de hautes fonctions publiques, lesquels ne sont pas révocables en raison des décisions prises dans l'exercice de leurs fonctions, comme c'est le cas notamment pour les présidents de la République fédérale d'Allemagne (article 61, paragraphe 2, de la loi fondamentale), de la République française (article 68 de la Constitution de la République française) et de la République italienne (article 90 de la Constitution de la République italienne). Voir, également, la procédure d'«impeachment» aux États-Unis d'Amérique prévue à l'article II, section 4, de la Constitution des États-Unis.


    10 – La version la plus récente figure dans le document SEC(2004) 1487/2.


    11 – Relevé dans la première émission, diffusée par la BBC, du documentaire réputé «Civilisation» de 1968.


    12 – Point 1.5.4 du rapport.


    13 –      COM(58) PV 1 final du 18 avril 1958, que l'on trouve également sur le site internet suivant www.ena.lu.


    14 – Il y a lieu de relever à cet égard que, bien que son premier chef de cabinet l'ait effectivement mise en garde contre le recrutement de M. Berthelot, d'autres services se sont révélés plus disposés à coopérer en se conformant à son souhait.

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