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Document 62004CC0308

Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 19 janvier 2006.
SGL Carbon AG contre Commission des Communautés européennes.
Pourvoi - Concurrence - Entente - Électrodes de graphite - Article 81, paragraphe 1, CE - Amendes - Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes - Communication sur la coopération - Principe non bis in idem.
Affaire C-308/04 P.

Recueil de jurisprudence 2006 I-05977

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2006:54

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. L.A. GEELHOED


présentées le 19 janvier 2006 1(1)

Affaire C‑308/04 P

SGL Carbon AG

contre

Commission des Communautés européennes

(Pourvoi – Concurrence – Électrodes de graphite – Article 81, paragraphe 1, CE –Amendes – Lignes directrices sur les méthodes de fixation des amendes –Communication sur la clémence)





1.     La présente affaire concerne un pourvoi formé par SGL Carbon AG (ci‑après «SGL») contre l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 29 avril 2004 dans l’affaire Tokai Carbon e.a./Commission (T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, ci-après l’«arrêt attaqué»).

I –    Dispositions pertinentes

A –    Article 81 CE et règlement n° 17

2.     L’article 81 CE interdit «tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun».

3.     La Commission des Communautés européennes peut sanctionner par l’imposition d’une amende les entreprises qui se sont livrées à un tel comportement.

4.     L’article 15 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (2) dispose:

«1. La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes d’un montant de cent à cinq mille unités de compte lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

[…]

b)      elles fournissent un renseignement inexact en réponse à une demande faite en application de l’article 11, paragraphe 3 ou 5 […].

2. La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d’un million d’unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81], paragraphe 1, ou de l’article [82] du traité […]

Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle‑ci.»

B –    Les lignes directrices

5.     La communication de la Commission intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA» (3) (ci‑après les «lignes directrices») affirme dans son préambule:

«Les principes posés […] devraient permettre d’assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l’égard des entreprises qu’à l’égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires global des entreprises. Cette marge devra toutefois s’exprimer dans une ligne politique cohérente et non discriminatoire adaptée aux objectifs poursuivis dans la répression des infractions aux règles de concurrence.

La nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l’amende obéira dorénavant au schéma suivant, qui repose sur la fixation d’un montant de base auquel s’appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes.»

C –    La communication sur la clémence

6.     Dans sa communication concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (4) la Commission a défini les conditions dans lesquelles une entreprise qui coopère avec la Commission durant son enquête peut être exemptée d’amende ou se voir accorder une réduction du montant de l’amende qui lui aurait été normalement imposée tel qu’indiqué dans le titre A, paragraphe 3, de cette communication.

7.     Le titre A, paragraphe 5, de la communication sur la clémence dispose:

«La coopération d’une entreprise […] n’est qu’un élément parmi d’autres dont la Commission tient compte dans la fixation du montant d’une amende […]»

D –    La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

8.     L’article 4 du protocole n° 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci‑après la «CEDH») dispose:

«1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.»

II – Les faits et le contexte de l’adoption de la décision contestée

9.     Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a résumé ainsi les faits de l’affaire se présentant devant lui:

«1      Par la décision 2002/271/CE, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEEE affaire COMP/E.1/36.490 – Électrodes de graphite (JO 2002, L 100, p. 1), la Commission a constaté la participation de diverses entreprises à une série d’accords et de pratiques concertées, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (ci‑après l’‘accord EEE’), dans le secteur des électrodes de graphite.

2      Les électrodes de graphite sont utilisées principalement pour la production d’acier dans les fours électriques à arc. La fabrication d’acier au moyen de ces fours consiste essentiellement en un processus de recyclage par lequel des déchets d’acier sont convertis en acier neuf, par opposition au procédé classique de production à partir du minerai de fer dans les hauts-fourneaux à l’oxygène. Neuf électrodes, rassemblées en colonnes de trois, sont utilisées dans le four électrique type pour fondre la ferraille. Étant donné l’intensité du processus de fusion, la consommation d’électrodes atteint environ une unité par tranche de huit heures. La durée de fabrication d’une électrode est d’environ deux mois. Aucun produit n’est substituable aux électrodes de graphite dans le cadre de ce processus de production.

3      La demande d’électrodes de graphite est directement liée à la production d’acier en four électrique à arc. Les principaux clients sont les sidérurgistes, qui représentent environ 85 % de la demande. En 1998, la production mondiale d’acier brut s’est élevée à 800 millions de tonnes, dont 280 millions de tonnes produites dans des fours électriques à arc. […]

[…]

5      Dans les années 80, des améliorations technologiques ont permis une réduction substantielle de la consommation d’électrodes par tonne d’acier produite. L’industrie sidérurgique a également connu un important processus de restructuration pendant cette période. L’affaiblissement de la demande d’électrodes a donné lieu à un processus de restructuration de l’industrie mondiale des électrodes. Plusieurs usines ont été fermées.

6      En 2001, neuf producteurs occidentaux ont approvisionné le marché européen en électrodes de graphite […].

7      En application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 […] des fonctionnaires de la Commission ont, le 5 juin 1997, procédé à l’improviste à des vérifications simultanées […].

8      Le même jour, des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) ont procédé, aux États-Unis, à des perquisitions dans les locaux de plusieurs producteurs. À la suite de ces perquisitions, des poursuites pénales ont été engagées contre SGL […] pour entente délictueuse. Tous les accusés ont plaidé coupables des faits qui leur étaient reprochés et ont accepté de payer des amendes, fixées à 135 millions de dollars des États-Unis (USD) pour SGL […].

[…]

10      Des actions en triples dommages et intérêts (triple damages) ont été intentées contre SGL […] aux États-Unis pour le compte d’un groupe d’acheteurs […].

11      Au Canada, […] en juillet 2000, SGL a plaidé coupable et accepté de payer une amende de 12,5 millions de CAD pour la même infraction. Des actions civiles ont été intentées contre SGL […] par des producteurs d’acier au Canada en juin 1998 pour entente délictueuse.

12      La Commission a adressé, le 24 janvier 2000, une communication des griefs aux entreprises incriminées. La procédure administrative a abouti à l’adoption, le 18 juillet 2001, de la Décision, par laquelle il est reproché aux entreprises requérantes et à VAW d’avoir procédé, à l’échelle mondiale, à une fixation des prix ainsi qu’à une répartition des marchés nationaux et régionaux du produit en cause selon le principe du ‘producteur domestique’: UCAR et SGL étaient responsables, la première, pour les États-Unis et pour certaines parties de l’Europe, la seconde, pour le reste de l’Europe […]

13      Toujours selon la Décision, les principes directeurs de l’entente étaient les suivants:

–        les prix des électrodes de graphite devaient être fixés au niveau mondial;

–       les décisions relatives aux prix de chaque société devaient être arrêtées exclusivement par le président ou les directeurs généraux;

–       le ‘producteur domestique’ devait fixer le prix du marché sur son ‘territoire’et les autres producteurs le ‘suivraient’;

–       en ce qui concerne les marchés ‘non domestiques’, c’est-à-dire les marchés sur lesquels aucun producteur ‘domestique’ n’était présent, les prix seraient fixés par consensus;

–       les producteurs ‘non domestiques’ ne devaient exercer aucune concurrence agressive et se retireraient des marchés ‘domestiques’des autres;

–       la capacité ne devait pas augmenter (les producteurs japonais étaient censés réduire la leur);

–       aucun transfert de technologie ne devait avoir lieu en dehors du cercle des producteurs participant au cartel.

14      La décision poursuit en exposant que lesdits principes directeurs ont été mis en oeuvre par des réunions de l’entente qui se tenaient à plusieurs niveaux: réunions ‘des patrons’, réunions ‘de travail’, réunions du groupe des producteurs européens (sans les entreprises japonaises), réunions nationales ou régionales consacrées à des marchés spécifiques et contacts bilatéraux entre les entreprises.

[…]

16      Sur la base des constatations factuelles et des appréciations juridiques effectuées dans la décision, la Commission a imposé aux entreprises incriminées des amendes dont le montant a été calculé conformément à la méthodologie exposée dans les lignes directrices (…).

17      L’article 3 du dispositif de la Décision inflige les amendes suivantes:

– SGL: 80,2 millions d’euros;

[…]

18 L’article 4 du dispositif ordonne aux entreprises concernées de verser les amendes dans les trois mois à compter de la date de notification de la Décision, sous peine de devoir payer des intérêts de 8,04 %.»

III – Procédure devant le Tribunal et arrêt attaqué

10.   SGL, par requête enregistrée au registre du Tribunal le 20 octobre 2001, et d’autres entreprises auxquelles la décision 2002/271 était adressée ont introduit un recours contre cette décision.

11.   Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a statué, entre autres, comme suit:

«2)      Dans l’affaire T‑239/01, SGL Carbon/Commission:

– le montant de l’amende infligée à la partie requérante par l’article 3 de la décision 2002/271 est fixé à 69 114 000 euros;

– le recours est rejeté pour le surplus».

IV – Le pourvoi

12.   SGL conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       accueillir les moyens soumis en première instance et annuler partiellement l’arrêt que le Tribunal a rendu dans l’affaire T‑239/01, dans la mesure où le Tribunal a rejeté le recours en ce qu’il était dirigé contre les articles 3 et 4 de la décision 2002/271;

–       à titre subsidiaire, réduire de manière appropriée l’amende imposée à la requérante par l’article 3 de la décision COMP/E 2002/271 ainsi que les intérêts moratoires et de litispendance mis à sa charge par l’article 4 de ladite décision lu en combinaison avec la lettre de la Commission du 23 juillet 2001;

–       à titre plus subsidiaire, renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue à nouveau dans le respect de l’arrêt de la Cour;

–       condamner la Commission aux dépens.

13.   La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       rejeter le pourvoi;

–       condamner la requérante aux dépens.

V –    Moyens et principaux arguments

14.   SGL avance sept moyens:

–       Le premier moyen invoque une violation du principe ne bis in idem.

–       Le deuxième moyen concerne la fixation du montant de base, et plus particulièrement l’absence d’ajustement vers le bas.

–       Le troisième moyen concerne l’augmentation de 25 % du montant de base (en raison d’une circonstance aggravante), eu égard aux avertissements donnés aux autres membres de l’entente avant l’enquête de 1997.

–       Le quatrième moyen concerne l’absence de prise en compte de la limite supérieure des amendes de 10 % du chiffre d’affaires total, tel que posée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

–       Le cinquième moyen concerne une violation des droits de la défense sur le fondement d’un accès insuffisant aux documents.

–       Le sixième moyen concerne la capacité de la requérante à payer l’amende (non‑prise en compte de sa capacité réduite à payer).

–       Le septième moyen traite de la fixation des intérêts de litispendance.

VI – Analyse

Remarques liminaires

15.   La requérante dans la présente affaire, ainsi que la requérante dans l’affaire Show a Denko/Commission (C‑289/04 P, dans laquelle nous présentons également nos conclusions ce jour, a avancé des moyens relatifs à certains éléments de l’amende. Dans l’affaire Show a Denko/Commission, les moyens se concentrent en particulier sur le multiplicateur de dissuasion. Dans la présente affaire, les moyens renvoient plutôt à certains aspects de la procédure de fixation de l’amende.

16.   Nous commencerons par conséquent par quelques remarques générales sur la jurisprudence relative à la politique de fixation des amendes de la Commission.

17.   Premièrement, la Cour a affirmé dans son arrêt fréquemment cité, Musique Diffusion française e.a./Commission (5), que la mission de la Commission inclut certainement l’obligation d’instruire et de réprimer les infractions individuelles, mais également une obligation de poursuivre une politique générale destinée à appliquer, dans les affaires de concurrence, les principes posés par le traité CE et de guider la conduite des entreprises à la lumière de ces principes (6).

18.   En outre, en appréciant la gravité d’une infraction aux fins de la fixation du montant de l’amende, la Commission doit tenir compte non seulement des circonstances particulières de l’affaire, mais également du contexte dans lequel l’infraction se place et elle doit veiller au caractère dissuasif de son action particulièrement en ce qui concerne les types d’infractions qui sont particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (7).

19.   La Cour a ainsi indiqué dans cet arrêt que la motivation sous-tendant l’imposition de l’amende est de garantir l’application de la politique communautaire en matière de concurrence.

20.   Il est devenu clair, à partir de cet arrêt et d’arrêts subséquents, que de nombreux facteurs doivent être pris en compte; que la Commission n’est pas tenue d’appliquer une formule mathématique précise; que la Commission peut tenir compte tant du chiffre d’affaires total de l’entreprise que du chiffre d’affaires en termes de territoire et de produits tant que l’un des facteurs n’est pas disproportionné par rapport aux autres facteurs et donc que la fixation de l’amende appropriée ne peut pas être le résultat d’un simple calcul du chiffre d’affaires total.

21.   La Commission dispose en outre dans sa politique d’imposition des amendes d’un large pouvoir discrétionnaire, bien qu’elle doive tenir compte des principes généraux du droit communautaire, et ne peut pas dépasser le plafond du chiffre d’affaires posé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. De plus, si la Commission publie des lignes directrices établissant des règles d’application, elle ne peut pas déroger à ces lignes directrices dans un cas individuel sans fournir de raisons qui soient compatibles avec le principe de l’égalité de traitement. Il est clair que la Commission peut adapter ces lignes directrices qui ne peuvent être appliquées qu’à partir de la date de l’adoption des modifications.

22.   La Commission a entre‑temps publié les lignes directrices. Les lignes directrices reflètent plus ou moins la jurisprudence des juridictions communautaires. La méthode de calcul posée dans les lignes directrices constituait l’objet d’un arrêt récent, l’arrêt dit «Conduites précalorifugées» (8). La Cour a observé, à cet égard, que «la méthode de calcul préconisée par les lignes directrices, dès lors qu’elle prévoit la prise en compte d’un grand nombre d’éléments lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction pour fixer le montant de l’amende, parmi lesquels figurent notamment les gains procurés par l’infraction ou le besoin d’assurer l’effet dissuasif des amendes, semble mieux correspondre aux principes prescrits par le règlement n° 17 tels qu’interprétés par la Cour, notamment dans l’arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, que la prétendue pratique antérieure de la Commission invoquée par les requérants, dans laquelle le chiffre d’affaires pertinent aurait joué un rôle prépondérant et relativement mécanique»(9). Elle a également affirmé que «[…] les lignes directrices contiennent différents éléments de flexibilité qui permettent à la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec les dispositions de l’article 15 du règlement n° 17, telles qu’interprétées par la Cour […]» (10).

23.   D’après les lignes directrices, la Commission évalue l’amende en plusieurs étapes. La première étape consiste à fixer le montant de base, sur la base de la gravité de l’infraction (mineure, sérieuse ou très sérieuse) et sa durée (courte, moyenne ou longue). La Commission commence par fixer le montant de départ d’après la gravité de l’infraction. Lorsqu’il y a une disparité considérable dans la taille des entreprises impliquées, elle peut les regrouper d’après leur taille et fixer un montant de départ différent pour chaque groupe afin de tenir compte du poids spécial et donc du réel impact du comportement en infraction de chaque entreprise. Après avoir évalué la gravité d’une infraction donnée et avant d’apprécier sa durée, la Commission peut réévaluer l’amende à la hausse afin de garantir que l’amende ait un effet suffisamment dissuasif (appliquant ainsi le «multiplicateur de dissuasion»). Après avoir augmenté l’amende pour la durée, elle procède à l’étape suivante: les circonstances aggravantes ou atténuantes.

24.   Ensuite, si la coopération d’une entreprise avec la Commission peut être considérée comme une coopération aux fins de la communication sur la clémence, l’étape suivante sera l’application de cette communication.

25.   Lorsque le plafond de 10 %, auquel il est fait référence à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, est dépassé, la Commission peut d’abord réduire le montant de l’amende (résultant du calcul basé sur les lignes directrices) à ce niveau maximal avant d’appliquer la communication sur la clémence afin de lui donner plein effet.

26.   Dans la présente affaire, la Commission a réparti les entreprises concernées en trois catégories selon leur importance relative sur le marché en cause, sur la base du chiffre d’affaires mondial et des parts de marché. Les points de départ appropriés pour les amendes ont été fixés à 40 millions d’euros, 16 millions d’euros et 8 millions d’euros. SGL a été placée dans la catégorie la plus élevée. Le montant de départ a été augmenté de 55 % eu égard à la durée de l’infraction de SGL. Dans une étape ultérieure, la Commission a majoré le montant de base de 85 % en raison de circonstances aggravantes; de ce chiffre, 25 % étaient dus au fait que SGL avait averti les autres membres de l’entente à propos de l’enquête imminente. Il n’y avait pas de circonstances atténuantes. La Commission a alors réduit l’amende de 30 % en application de la communication sur la clémence. Le Tribunal a réduit le montant de l’amende parce que la Commission n’avait pas correctement apprécié la coopération de SGL. Cet aspect constitue l’objet du pourvoi dans l’affaire Commission/SGL Carbon (C‑301/04 P), dans laquelle nous présenterons aussi nos conclusions aujourd’hui. Le présent pourvoi, ainsi que nous l’avons déjà affirmé, se concentre dans une large mesure sur les différentes étapes dans la procédure de fixation de l’amende.

27.   Nous souhaiterions observer, avant de traiter des différents moyens, que, dans le cadre d’un pourvoi, l’objet du contrôle par la Cour est, premièrement, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal de première instance a tenu compte, d’une manière juridiquement correcte, de tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement particulier à la lumière des articles 81 CE et 15 du règlement n° 17 et, deuxièmement, d’examiner si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à tous les arguments soulevés par la requérante aux fins de l’annulation ou de la réduction de l’amende.

28.   Il n’appartient par ailleurs pas à la Cour, lorsqu’elle statue sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des raisons d’équité, sa propre appréciation à celle du Tribunal, exerçant sa compétence illimitée pour statuer sur le montant des amendes imposées aux entreprises pour infraction au droit communautaire.

29.   Les moyens doivent donc être déclarés irrecevables pour autant qu’ils cherchent à obtenir un réexamen général des amendes.

A –    Premier moyen: violation du principe ne bis in idem

30.   En première instance, SGL a affirmé que, en refusant de déduire de l’amende fixée dans la décision 2002/271 le montant des amendes déjà imposées aux États-Unis et au Canada, la Commission avait violé la règle interdisant les sanctions concurrentes pour la même infraction.

31.   En réponse à ce grief, le Tribunal a d’abord renvoyé à la jurisprudence antérieure, dans laquelle il a été affirmé que le principe ne bis in idem est un principe général de droit communautaire et que dans le domaine de la concurrence ce principe interdit qu’une entreprise soit sanctionnée par la Commission ou rendue partie défenderesse dans une procédure introduite par la Commission une seconde fois pour un comportement anti-concurrentiel pour lequel elle a déjà été sanctionnée.

32.   Le Tribunal a alors affirmé, au point 134 de l’arrêt attaqué, que le principe ne bis in idem ne s’applique pas dans la présente espèce parce que les procédures conduites et les sanctions imposées par la Commission, d’une part, et par les autorités des États-Unis et du Canada, d’autre part, ne poursuivaient clairement pas les mêmes objectifs. L’objectif de la première était de préserver la concurrence sans distorsion au sein de l’Union européenne ou de l’EEE, tandis que l’objectif de la seconde était de protéger le marché des États-Unis ou du Canada. L’application du principe ne bis in idem est soumise non seulement à la condition que les infractions et les personnes sanctionnées soient les mêmes, mais aussi à la condition de l’identité des droits légaux protégés. Cette conclusion est soutenue par l’étendue du principe qu’une deuxième sanction ne peut pas être imposée pour la même infraction, ainsi qu’exprimé à l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH. Il ressort clairement du libellé de l’article 4 que l’effet souhaité du principe est uniquement d’empêcher les juridictions d’un État membre de poursuivre ou de réprimer une infraction pour laquelle la personne en cause a déjà été acquittée ou condamnée dans le même État. D’autre part, le principe ne bis in idem n’interdit pas qu’une personne soit jugée ou punie plus d’une fois pour le même comportement dans deux ou plusieurs États membres (11).

33.   Le Tribunal a également souligné que les requérantes ne s’étaient appuyées sur aucune convention ou règle de droit international public qui interdit aux autorités ou aux juridictions de différents États membres de poursuivre et de condamner la même personne sur la base des mêmes faits et a affirmé qu’une «telle interdiction ne pourrait donc aujourd’hui résulter que d’une coopération internationale très étroite débouchant sur l’adoption de règles communes telles que celles figurant dans la convention d’application de l’accord de Schengen susmentionnée. À cet égard, il n’a pas été excipé par les requérantes de l’existence d’un texte conventionnel liant la Communauté et des États tiers tels que les États‑Unis ou le Canada et prévoyant une telle interdiction» (12).

34.   Le Tribunal a reconnu que «l’article 50 de la charte des droits fondamentaux susmentionnée prévoit que nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi» (13).

35.   SGL s’est également plainte que la Commission avait mal interprété l’arrêt dans l’affaire Boehringer Mannheim/Commission (14), dans lequel il a été affirmé que la Commission avait l’obligation de déduire une sanction imposée par les autorités d’un État tiers si les actions alléguées par la Commission à l’encontre de la requérante sont les mêmes que celles alléguées par ces autorités.

36.   Le Tribunal a rappelé, dans ce contexte, que dans cet arrêt la Cour a affirmé (point 3) que, «[...] en ce qui concerne la question de savoir si la Commission peut également être tenue d’imputer une sanction infligée par les autorités d’un État tiers, elle n’aurait besoin d’être tranchée que si les faits retenus en l’espèce contre la requérante par la Commission, d’une part, et les autorités américaines, d’autre part, sont identiques» et a observé qu’il «résulte à l’évidence de ce passage que la Cour, loin d’avoir tranché la question de savoir si la Commission est tenue d’imputer une sanction infligée par les autorités d’un État tiers, dans l’hypothèse où les faits retenus contre une entreprise par cette institution et par lesdites autorités seraient identiques, a fait de l’identité des faits incriminés par la Commission et les autorités d’un État tiers, une condition préalable à l’interrogation susvisée» (15).

37.   Le Tribunal a alors signalé que «c’est en considération de la situation particulière qui résulte, d’une part, de l’étroite interdépendance des marchés nationaux des États membres et du marché commun et, d’autre part, du système particulier de répartition des compétences entre la Communauté et les États membres en matière d’ententes sur un même territoire, celui du marché commun, que la Cour, ayant admis la possibilité d’une double poursuite, a, eu égard à l’éventuelle double sanction qui en découle, jugé nécessaire la prise en compte de la première décision répressive conformément à une exigence d’équité […] une telle situation fait défaut dans le cas présent. Dès lors, en l’absence d’allégation d’une disposition conventionnelle expresse prévoyant l’obligation pour la Commission, lors de la fixation du montant d’une amende, de tenir compte de sanctions déjà infligées à la même entreprise pour le même fait par des autorités ou des juridictions d’un État tiers, tel que les États-Unis ou le Canada, les requérantes ne sauraient valablement reprocher à la Commission d’avoir méconnu, en l’espèce, cette prétendue obligation» (16).

38.   En tout état de cause, le Tribunal a poursuivi en affirmant que, «à supposer même qu’il puisse être déduit, a contrario, de l’arrêt Boehringer/Commission, […] que la Commission est tenue d’imputer une sanction infligée par les autorités d’un État tiers dans l’hypothèse où les faits retenus contre l’entreprise en cause par cette institution et par lesdites autorités sont identiques, il convient de souligner que, bien que le jugement rendu contre SGL aux États-Unis évoque le fait que l’entente sur les électrodes de graphite avait pour objet de restreindre la production et d’augmenter les prix du produit ‘aux États-Unis et ailleurs’, il n’est nullement établi que la condamnation prononcée aux États-Unis ait visé des applications ou des effets de l’entente autres que ceux intervenus dans ce pays […] et en particulier dans l’EEE, ce qui, au demeurant, aurait manifestement empiété sur la compétence territoriale de la Commission. Cette dernière observation vaut également pour la condamnation infligée au Canada» (17).

39.   Dans le présent pourvoi, SGL soulève le grief que le Tribunal n’a pas constaté dans son arrêt que la Commission a violé le principe ne bis in idem (ou, à titre subsidiaire, l’exigence générale d’équité) du fait qu’il n’a pas été tenu compte de la sanction qui, avant l’adoption de la décision 2002/271, avait déjà été imposée à SGL aux États-Unis.

40.   SGL soutient que la Commission était obligée d’imputer les amendes imposées par les autorités des États tiers pour la même infraction. Cela découle du principe ne bis in idem et, en tout état de cause, du principe de proportionnalité. Á cet égard, SGL soulève le grief que le Tribunal a mal interprété l’arrêt Boehringer Mannheim/Commission. SGL soutient qu’il y a deux manières d’exprimer le principe ne bis in idem, l’une stricte, l’autre plus large. L’interprétation stricte – du moins telle qu’applicable au sein de la Communauté – concerne une réelle interdiction en ce sens que de nouvelles poursuites et une nouvelle condamnation sont exclues lorsqu’une sanction antérieure a été imposée pour la même infraction. Dans l’interprétation plus large, pertinente en particulier pour les affaires traitées par les autorités de pays tiers, le principe ne bis in idem se traduit par l’obligation d’imputer ou de tenir compte des sanctions imposées à l’étranger.

41.   SGL soutient par ailleurs que les trois conditions qui doivent être remplies pour l’applicabilité du principe ne bis in idem (le même auteur, les mêmes faits et l’identité du droit à protéger) le sont. Les amendes sont adressées à SGL, qui est une personne juridique unique et autonome; les faits sont les mêmes (une entente mondiale) et les intérêts juridiquement protégés en Europe et aux États-Unis sont les mêmes.

42.   SGL conteste la constatation du Tribunal que les procédures conduites et les sanctions imposées par la Commission, d’une part, et les autorités des États‑Unis, d’autre part, ne poursuivaient clairement pas le même objectif. Á cet égard, SGL renvoie aux conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Aalbong Portland e.a./Commission (18). SGL soutient que cette ligne de raisonnement peut être transposée aux États tiers. Selon SGL, les deux ordres juridiques cherchent à garantir la libre concurrence. SGL soutient que le principe de territorialité est sans pertinence pour la question de savoir s’il y a un «idem», mais n’est pertinent que pour la compétence de la Commission pour poursuivre les infractions. Bien qu’il n’y ait pas de doute qu’il peut y avoir des procédures parallèles d’application des règles de la concurrence, les amendes déjà imposées par les autorités des pays tiers doivent être prises en compte.

43.   Même si le principe ne bis in idem ne s’applique pas à l’égard des pays tiers, la Commission et le Tribunal auraient dû prendre en compte les amendes déjà imposées. Cela découle du principe de proportionnalité ou de l’exigence d’équité formulée dans l’arrêt Wilhelm (19).

44.   SGL soutient aussi qu’un traité international n’est pas nécessaire afin d’appliquer le principe ne bis in idem. Elle renvoie à cet égard à de nombreux ordres juridiques nationaux dans lesquels le principe est reconnu et où il n’y a donc pas d’accord international de réciprocité.

45.   La Commission souscrit aux constatations du Tribunal.

Appréciation

46.   La question d’une possible violation du principe ne bis in idem a été récemment traitée par l’avocat général Tizzano dans ses conclusions dans l’affaire Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (20). Cette affaire concernait également une situation dans laquelle des sanctions étaient imposées tant par la Commission que par les autorités des États-Unis et du Canada. Dans son arrêt dans cette affaire (21), le Tribunal est parvenu à la même conclusion que dans la présente espèce, à savoir que le principe ne bis in idem ne s’appliquait pas et qu’il n’y avait pas de motifs imposant à la Commission d’imputer les amendes déjà imposées par ces autorités.

47.   Dans ses conclusions, l’avocat général Tizzano a soutenu que l’on ne pouvait pas considérer qu’il existe un droit international public qui empêche les autorités ou juridictions de différents États membres de poursuivre et de condamner une personne sur la base des mêmes faits et que les instruments multilatéraux qui confirment le principe ne bis in idem limitent en général son application aux décisions judiciaires au sein du même État. Dans ce contexte, il a renvoyé à l’article 14, paragraphe 7, de la convention internationale sur les droits civils et politiques de 1966, à l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH et à la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et d’un certain nombre de Cours constitutionnelles nationales. Il a également souligné que, même dans un cadre intégré comme celui de la Communauté, le principe ne bis in idem n’a été maintenu que parce qu’il est prévu par des règles à cet effet dans des accords comme, entre autres, la convention mettant en œuvre l’accord de Schengen.

48.   Selon l’avocat général Tizzano, même si un tel principe général de droit existait (à savoir qu’une personne ne peut pas être punie plusieurs fois dans différents États pour la même infraction), les trois conditions telles que posées dans la jurisprudence de la Cour doivent être remplies. Il a abondé dans le sens du Tribunal que l’une de ces conditions, l’identité de l’intérêt juridique protégé, n’était pas remplie parce que l’on ne peut pas dire que le droit antitrust des États‑Unis et le droit communautaire de la concurrence protègent le même objet juridique. Il a soutenu, et nous l’approuvons, que la politique de la Commission en matière d’imposition des amendes cherche à protéger la libre concurrence dans le marché commun, qui est par définition différent de celui protégé par les autorités des pays tiers.

49.   Nous approuvons ces constatations. Il n’existe pas de règle internationale interdisant à la Communauté d’imposer des amendes ou d’imposer une amende réduite lorsqu’une autre autorité a déjà imposé des amendes pour une violation de dispositions de la concurrence. Deuxièmement, le principe ne bis in idem ne s’applique normalement qu’au sein d’un État. Troisièmement, on ne peut pas dire qu’il existe un accord bilatéral entre la Communauté et les États-Unis ou le Canada. Les accords de coopération existants, relatifs aux questions de concurrence (22), ne traitent pas cet aspect. Mais, même si le principe ne bis in idem devait être applicable, les trois conditions précitées devraient être remplies cumulativement. Nous sommes d’accord avec la Commission et le Tribunal sur le fait que la troisième condition, l’identité de l’intérêt juridique, n’est pas remplie. Un cartel commet des infractions dans chacune des juridictions dans lesquellles il opère. Ainsi, le fait qu’une entente opère à l’échelle mondiale n’altère pas le fait que le droit antitrust des États-Unis et le droit communautaire de la concurrence s’intéressent en premier lieu aux effets de l’entente sur leurs territoires respectifs. Par conséquent, puisque les trois conditions ne sont pas remplies, le renvoi de SGL à un certain nombre d’ordres juridiques nationaux dans lesquels un arrêt étranger serait traité comme étant comparable à un arrêt national est sans pertinence.

50.   En ce qui concerne l’exigence générale d’équité, nous souhaiterions souligner que, selon nous, les arrêts précités Wilhelm e.a. et Boehringer Mannheim/Commission ne peuvent pas être transposés sans plus à des situations dans des États tiers. Nonobstant le fait que l’arrêt Wilhelm e.a. – pas plus que l’arrêt Boehringer Mannheim/Commission – ne traite pas, à proprement parler, du principe non bis in idem, la particularité de cette affaire était, même compte tenu du fait que les autorités l’avait examinée sous un autre angle, que l’infraction avait eu lieu sur le territoire communautaire. Il y avait donc une raison valable de prendre en compte le recoupement territorial et d’exiger de la deuxième autorité de la concurrence qu’elle prenne en compte la première amende lors de l’imposition subséquente de toute sanction pécuniaire supplémentaire (23). Une telle raison n’existe pas à l’égard des pays tiers puisque d’un point de vue territorial ils sont distincts. Le fait que la Commission n’a pas d’obligation de tenir compte d’amendes antérieures imposées dans un État tiers ne signifie pas qu’elle n’a pas de pouvoir d’appréciation pour le faire; toutefois, s’il n’y a pas de réciprocité, on ne saurait dire que la Commission est obligée d’imputer une telle amende.

51.   Á titre de remarque finale, nous souhaiterions souligner que les ordres juridiques diffèrent et que ces différents ordres juridiques conduisent à ce que les paramètres juridiques pour le comportement sur le marché diffèrent dans leur contenu et leur étendue; une infraction a donc non seulement des conséquences différentes et divergentes dans les différents ordres juridiques, mais, même au sein d’un même ordre juridique, les conséquences doivent être appréciées d’après leur impact dans cet ordre.

52.   La position défendue par SGL impliquerait que le concept de territorialité, inhérent au droit commercial public, perdrait sa portée. Cela voudrait dire que les règles régissant les conditions du comportement des entreprises sur le marché seraient identiques partout dans le monde, ce qui, pour des raisons évidentes, n’est pas le cas.

B –    Deuxième moyen

53.   Dans son deuxième moyen, qui concerne les constatations du Tribunal sur la fixation des montants de base de l’amende, SGL affirme que le Tribunal a erré en n’ajustant pas à la baisse le montant de base à son égard, bien que cela aurait dû avoir lieu si le critère du calcul définitif établi par le Tribunal avait été appliqué de manière non discriminatoire.

54.   SGL renvoie à cet égard à la recatégorisation d’autres membres de l’entente débouchant sur un montant de départ de l’amende plus bas. SGL s’interroge tout d’abord si le calcul du chiffre d’affaires moyen et des parts de marché au sein de la même catégorie est admissible, parce que selon elle une appréciation de l’impact sur le marché de chaque entreprise devrait être pondérée sur une base individuelle et non sur une base consolidée. SGL soutient deuxièmement que l’écart entre sa part de marché et celle de UCAR est trop important pour justifier son classement dans la même catégorie. La différence de part de marché maximale qui pouvait être constatée était plus importante que les points de pourcentage utilisés par la Commission dans la décision. Le montant de départ devrait donc être ajusté. Troisièmement, le reclassement de certains autres membres aurait eu lieu dans des circonstances où l’écart dans les parts de marché était plus petit.

Appréciation

55.   Premièrement, il faut avoir à l’esprit que la Commission a un large pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle fixe le montant des amendes et qu’elle n’est soumise à aucune obligation d’appliquer une formule mathématique précise à cet effet. Il appartient néanmoins au juge communautaire de vérifier si la Commission n’a pas excédé les limites de son pouvoir discrétionnaire. Il est enfin de jurisprudence constante qu’il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle tranche des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer pour des raisons d’équité sa propre appréciation à celle du Tribunal se prononçant dans l’exercice de sa compétence illimitée sur le montant d’une amende imposée à une entreprise en raison de sa violation du droit communautaire (24).

56.   Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé que, en tant que telle, la répartition en catégories est autorisée. Il a également affirmé que, lorsque les entreprises sont réparties en catégories aux fins de la fixation des montants, les seuils pour chacune des catégories ainsi identifiées doivent être cohérents et objectivement justifiés. Le Tribunal a alors examiné si les seuils séparant les trois catégories étaient déterminés d’une manière cohérente et objectivement justifiée.

57.   Ainsi qu’il a été expliqué par le Tribunal et ainsi qu’il ressort clairement de la décision 2002/271, en établissant ces trois catégories et en fixant des montants de départ différents, la Commission s’est basée sur un critère unique, à savoir le chiffre d’affaires actuel et les parts de marché atteintes par les membres de l’entente à travers les ventes du produit pertinent sur le marché mondial. Elle a utilisé les chiffres pour 1998 ainsi que les modifications de parts de marché entre 1992 et 1998. Elle a utilisé une méthode de calcul basée sur des multiples de certains pourcentages de parts de marché, ces pourcentages correspondant à un montant fixé en euros. Le montant de départ a ainsi augmenté par «étapes». Le résultat en a été que SGL, à la lumière de ses parts de marché, comme UCAR, s’est vu appliquer un montant de départ de 40 millions d’euros. Le Tribunal a conclu que le choix des montants constituant les étapes débouchant sur un montant de départ de 40 millions d’euros pour les entreprises de la première catégorie n’était pas arbitraire et n’excédait pas la marge de discrétion dont jouit la Commission à cet égard. Le Tribunal a de plus approuvé le fait que la Commission avait placé SGL et UCAR dans la même catégorie, compte tenu de leurs chiffres d’affaires pertinents et de leurs parts de marché respectives.

58.   SGL ne conteste pas le montant de départ de la première catégorie, mais conteste en réalité le fait d’avoir été placée dans la première catégorie. Elle soutient que le Tribunal s’est écarté de sa propre méthode établie, ce qui constitue soit une violation de la règle de non-discrimination, soit une erreur d’appréciation.

59.   Nous ne partageons pas cet avis. Premièrement, le Tribunal n’a pas remplacé la méthode de la Commission par la sienne. Le Tribunal n’a fait que vérifier que la Commission avait appliqué sa méthode de manière régulière et cohérente. Ainsi qu’il est affirmé plus haut, il a approuvé une méthode en vertu de laquelle les membres d’une entente sont placés dans plusieurs catégories, débouchant sur un taux fixe comme montant de départ pour toutes les entreprises dans chaque catégorie particulière. Il a vérifié et approuvé les seuils entre les catégories. Il a également examiné si la composition au sein d’une catégorie semblait être suffisamment cohérente du point de vue des différences de taille et par comparaison à la catégorie voisine. Il est ainsi demeuré dans la logique générale du système employé par la Commission pour les membres de l’entente.

60.   En ce qui concerne la première catégorie, le Tribunal a approuvé, compte tenu des rapports de taille, la classification faite par la Commission de SGL et de UCAR dans la même catégorie. Il a seulement reclassé certains membres placés dans la deuxième catégorie parce que les rapports de taille étaient trop différents par rapport aux autres membres dans cette catégorie. Ces membres ont par conséquent été placés dans la troisième catégorie. De cette manière, l’ancienne troisième catégorie a dû être redivisée afin de créer une quatrième catégorie afin de maintenir l’équilibre dans la méthode employée par la Commission. Cela n’affecte toutefois pas SGL.

61.   En fait, SGL cherche à contester un système de catégorisation, parce que selon elle toute différence dans la part de marché ou le chiffre d’affaires devrait se traduire par une «catégorie» distincte pour chaque entreprise participant à l’entente et donc un montant de départ individuel. Cela compromettrait toutefois l’utilisation d’un système de catégories qui implique l’utilisation de certaines fourchettes. Ainsi que le Tribunal l’a correctement affirmé, il n’y a rien d’incorrect dans la répartition des membres d’une entente en catégories lorsqu’on détermine la gravité des infractions, même si une telle approche ignore les différences de taille entre les entreprises dans la même catégorie, tant que la méthode utilisée pour construire les catégories est conforme au principe de l’égalité de traitement et donc à l’exigence que les seuils pour chacune des catégories identifiées soient cohérents et objectivement justifiés.

62.   Le deuxième moyen doit être rejeté.

C –    Troisième moyen

63.   SGL soutient que la majoration spécifique de 25 % du montant de base, qui équivaut à 15,5 millions d’euros, de l’amende en raison des avertissements donnés aux autres membres de l’entente avant le lancement de l’enquête de la Commission est illégale. En maintenant les constatations de la Commission, le Tribunal a violé le principe nulla poena sine lege, le principe in dubio pro reo et le principe de l’égalité de traitement.

64.   Ces moyens sont liés aux points 312 à 317 ainsi qu’aux points 436 à 438 de l’arrêt attaqué. Dans sa décision 2002/271, la Commission a majoré le montant de base de 25 %, car elle a considéré que les tentatives de SGL de faire obstruction à la procédure de la Commission en avertissant les autres entreprises des enquêtes imminentes constituaient une circonstance aggravante substantielle.

65.   Devant le Tribunal, SGL a plaidé que les avertissements lancés ne pouvaient pas être sanctionnés par une majoration de l’amende puisqu’ils ne constituaient pas une violation de la loi. Elle a en outre souligné que les avertissements étaient basés sur des informations communiquées par un fonctionnaire de la Commission. De plus, UCAR, qui, à la suite de l’avertissement, avait examiné ses dossiers et avait détruit ou éliminé les documents compromettants, n’a pas été punie par la Commission pour ces actes.

66.   Le Tribunal a constaté que «[l]e fait pour SGL d’avoir averti d’autres entreprises de l’imminence desdites vérifications pouvait également être qualifié, à juste titre, de circonstance aggravante (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Sarrió/Commission, T‑334/94, Rec. p. II‑1439, point 320). Contrairement aux allégations de SGL, il s’agit là non pas d’une infraction spécifique et autonome, non prévue dans le traité et le règlement n° 17, mais d’un comportement qui renforçait la gravité de l’infraction initiale. Par ces avertissements adressés à d’autres membres de l’entente, SGL visait, en effet, à dissimuler l’existence de l’entente et à la maintenir en fonction, ce qui a d’ailleurs été couronné de succès jusqu’en mars 1998» (25).

67.   Il a aussi affirmé dans ce contexte que le renvoi de SGL à l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17 était sans pertinence, parce que cette disposition vise les obstructions en tant qu’infractions autonomes, indépendantes de l’existence d’une entente, alors que les avertissements donnés par SGL visaient à garantir la continuation d’une entente qui était acceptée comme constituant une infraction flagrante et indiscutée du droit communautaire de la concurrence (26).

68.   En ce qui concerne le renvoi de SGL au principe de l’égalité de traitement par rapport à UCAR, dont les actes de destruction de documents n’ont pas été pris en considération en tant que circonstance aggravante, le Tribunal a affirmé que ce fait n’était pas de nature à altérer la caractérisation des avertissements en tant que circonstance aggravante. D’après le Tribunal, «s’adressant à d’autres entreprises, ces avertissements allaient au-delà de la sphère purement interne de SGL et visaient à faire échouer l’enquête tout entière de la Commission, afin de garantir le prolongement de l’entente, alors qu’UCAR avait détruit ses documents afin d’éviter que sa propre implication dans l’entente soit découverte. Il s’agit là de deux comportements différents, raison pour laquelle il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir traité des situations comparables de manière différente (point 315)».

69.   Ainsi qu’il est mentionné plus haut, SGL s’appuie sur trois moyens au soutien de son allégation que cette partie de l’arrêt attaqué devrait être annulée.

70.   En ce qui concerne la violation alléguée du principe nulla poena sine lege, SGL renvoie aux articles 7 de la CEDH et 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux. Elle renvoie aussi à la jurisprudence de la Cour dans laquelle il est établi qu’une sanction, même de nature non pénale, ne peut pas être imposée, à moins qu’elle ne repose sur une base claire et univoque. SGL soutient que l’augmentation du montant de base pour avoir averti les autres membres de l’entente viole ce principe puisque ces avertissements ne violent aucune règle d’interdiction. Ce n’est pas un élément de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 17 et ne peut pas être considéré comme un élément de la règle d’interdiction posée aux articles 81 et 82 CE et à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. La requérante soutient que le règlement n° 17 et le nouveau règlement n° 1/2003 prévoient des sanctions uniquement en cas d’obstructions durant une enquête sur place. Tant qu’il n’y a pas d’ordre pour une enquête, il n’y a pas de règle interdisant la destruction de documents. Il n’y a absolument pas de règle interdisant l’avertissement des autres membres de l’entente. Ainsi, la Commission et le Tribunal ne peuvent pas contourner cet état du droit en augmentant l’amende en classant injustement ce comportement comme une circonstance aggravante.

71.   SGL soutient que le Tribunal a aussi violé le principe in dubio pro reo, parce qu’il a basé son appréciation sur des présomptions. Elle souligne à cet égard que l’arrêt Sarrió/Commission n’est pas transposable à la présente affaire, parce que la dissimulation n’est pas un élément des accords d’entente entre ses membres. Deuxièmement, les hypothèses du Tribunal, à savoir que SGL a averti les autres membres de l’entente dans une tentative de dissimuler l’existence de l’entente et de la maintenir en activité et a réussi à le faire jusqu’en mars 1998, n’ont pas été démontrées et ne sont pas non plus plausibles.

72.   SGL affirme enfin que la majoration de l’amende pour avoir averti les autres membres de l’entente, par comparaison au fait que UCAR n’a pas été condamnée à une amende pour avoir détruit des documents, équivaut à une discrimination.

73.   Selon les affirmations de la Commission, le premier et le troisième moyen sont irrecevables. En tout état de cause, les trois moyens devraient être rejetés. En ce qui concerne l’absence alléguée de base juridique, la Commission affirme que SGL oublie que la Commission n’a pas spécifiquement imposé d’amende pour avoir averti les autres membres de l’entente, mais qu’elle a considéré ce comportement comme une circonstance aggravante aux fins du calcul de l’amende. En ce qui concerne le traitement discriminatoire allégué, la Commission signale que le fait d’avertir d’autres membres d’une entente n’est pas comparable à la destruction de documents. La Commission soutient, à cet égard, que SGL ne s’est pas limitée à dissimuler ou à détruire ses propres documents ou à éviter de rédiger des documents compromettants, mais qu’elle a également aidé à frustrer l’enquête portant sur d’autres entreprises. La Commission affirme enfin que le moyen concernant les prétendues hypothèses formulées par le Tribunal n’est pas convaincant.

Appréciation

74.   Dans un pourvoi, il appartient à la Cour de vérifier si le Tribunal n’a pas commis une erreur en droit ou une erreur de raisonnement ou une distorsion des preuves.

75.   Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé que la majoration de l’amende pour avoir averti d’autres entreprises ne paraissait pas disproportionnée ou discriminatoire et il a maintenu la qualification donnée par la Commission du comportement d’obstruction de SGL.

76.   La question qui doit être posée est celle de savoir si SGL a raison d’affirmer qu’il n’y a pas de base juridique pour sanctionner des obstructions, à l’exception des inspections de la Commission ordonnées par une décision au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17.

77.   Le Tribunal a selon nous eu raison de considérer que le comportement en cause n’était pas une infraction spécifique et autonome, mais un comportement qui a ajouté à la gravité de l’infraction initiale. Le fait que l’article 15, paragraphe 1, fasse référence à certaines obstructions dans un contexte spécifique qui constituent des infractions autonomes ne signifie pas qu’un comportement en dehors de ce contexte ne peut pas contribuer à la gravité d’une infraction au titre des articles 81 CE et 82 CE.

78.   En effet, en ce qui concerne ce dernier comportement, la base juridique pour une majoration de l’amende peut être trouvée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (27). Ainsi, SGL a tort en ce qui concerne l’absence alléguée de base juridique. Il n’y a pas de violation du principe nulla poena sine lege.

79.   Dans ce contexte, nous rappellerons la jurisprudence en vertu de laquelle le montant de l’amende est fixé en fonction de la gravité de l’infraction (initiale), la gravité de l’infraction est déterminée par référence à de nombreux facteurs, la Commission dispose d’une marge de discrétion lors de la fixation des (éléments des) amendes et peut à tout moment ajuster le montant des amendes afin de garantir la conformité aux règles de la concurrence. Le fait de prendre en compte des circonstances aggravantes lors de la fixation de l’amende est conforme à la mission de la Commission d’assurer la conformité aux règles de la concurrence. Nous renvoyons dans ce contexte aussi à la liste d’exemples de circonstances aggravantes exposées au point 2 des lignes directrices.

80.   La liste des circonstances aggravantes justifiant une majoration de l’amende n’est pas exhaustive ainsi que l’on peut le déduire du dernier tiret, mais cela n’est pas nécessaire. La réponse à la question de savoir s’il y a une circonstance aggravante justifiant une majoration de l’amende va dépendre de chaque cas individuel. Il est évident que la circonstance aggravante justifiant la majoration de l’amende doit être (un élément de ou) suffisamment liée à l’infraction. Ainsi, à titre d’exemple, dans un cas de récidive, il doit être clair que l’entreprise concernée a déjà commis une infraction du même type. Lorsque c’est le cas, son implication pour la deuxième fois dans une infraction similaire rajoute à la gravité de l’infraction en cause. La même chose vaut pour les bénéfices réalisés en conséquence de l’infraction. Ces bénéfices constituent l’un des facteurs à examiner lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction. Lorsqu’il est objectivement possible d’estimer les montants de gain indûment réalisés, ceux‑ci se traduiront par une majoration de l’amende. On peut dire la même chose en ce qui concerne les réactions d’obstruction ou les avertissements lancés aux autres membres de l’entente qui ont un effet d’obstruction.

81.   Un membre d’une entente qui est informé de quelque manière que ce soit d’une possible enquête à venir peut réagir de différentes manières: 1) il peut avertir les autres membres et suggérer de mettre un terme à l’entente, 2) il peut avertir les autres membres et suggérer la poursuite de l’entente, ce qui implique alors l’adoption de mesures destinées à dissimuler l’entente en détruisant par exemple les documents compromettants, et 3) au lieu d’avertir les autres membres, il peut décider de profiter de la politique de clémence de la Commission en coopérant avec celle-ci.

82.   On ne peut donc pas dire qu’avertir les autres membres de l’entente de l’enquête à venir ajoute inévitablement à la gravité d’une infraction; toutefois, selon nous, dans la présente affaire, la Commission et le Tribunal étaient en droit de considérer que c’était le cas. Dans sa jurisprudence antérieure, le Tribunal a maintenu les constatations de la Commission selon lesquelles le fait que les entreprises étaient non seulement conscientes de l’illégalité de leur comportement, mais ont également pris des mesures pour le dissimuler ajoutait à la gravité de l’infraction. Les avertissements donnés dans la présente affaire sont conformes à cela. Dans la présente affaire, les avertissements relatifs à l’enquête à venir ont été donnés par SGL, un important membre européen de l’entente, aux autres membres (européens) de cette entente. Il est également établi que ces avertissements ont eu un impact sur l’enquête de la Commission sur l’entente puisque, au moment où la Commission a lancé des inspections à l’aube aux établissements des entreprises impliquées dans l’entente, de nombreuses preuves avaient été perdues. Pour la Commission, ces faits constituaient des raisons objectives de qualifier les avertissements comme une circonstance aggravante justifiant une majoration de l’amende. Selon nous, la suggestion de SGL que l’unique objet d’avertir les autres membres de l’entente était de les impressionner ne saurait convaincre. L’effet des avertissements pointe fortement dans une autre direction. Le Tribunal était donc en droit de conclure, sans violer le principe in dubio pro reo, que les avertissements étaient destinés à dissimuler l’entente et à assurer qu’elle pourrait continuer et que, jusqu’à une certaine date, ils y sont parvenus. De manière incidente, ainsi que nous l’avons observé au point précédent, SGL aurait pu décider, prenant connaissance d’une possible enquête à venir, de coopérer avec la Commission dans le cadre de la communication sur la clémence, auquel cas elle aurait pu bénéficier d’une réduction beaucoup plus importante. Sa décision de coopérer a été adoptée à un stade bien ultérieur. Elle n’a aussi décidé qu’à un stade bien plus tardif de mettre un terme à l’entente.

83.   Le moyen alléguant la discrimination doit être lui aussi rejeté. Il est important de faire la distinction, comme l’a fait le Tribunal, entre les effets externes et les effets internes du comportement. Il n’y a en effet aucune obligation générale en tant que telle de conserver dans les dossiers des documents compromettants. Ainsi, afin de prévenir la découverte de son implication dans une entente, l’entreprise concernée peut décider, en tant que question interne, de détruire de tels documents (à moins que, comme dans l’affaire Sarrió/Commission, la dissimulation systématique fasse partie d’un plan). Ce comportement ne peut pas en soi être considéré comme une circonstance aggravante. Toutefois, les avertissements aux autres membres de l’entente produisent des effets qui vont au-delà de la sphère purement interne. Ils sont destinés à frustrer l’ensemble de l’enquête de la Commission. Le Tribunal a par conséquent eu raison de considérer qu’il s’agit d’un type de comportement complètement différent et que la Commission ne peut donc pas être critiquée pour avoir traité différemment des situations similaires.

D –    Quatrième moyen

84.   Dans ce moyen, SGL soutient (1) que le Tribunal n’a pas pris en compte, aux points 366 à 368 de l’arrêt attaqué, le fait que (le niveau intermédiaire de) l’amende fixée par la Commission dépasse la limite supérieure d’une amende, telle que posée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement; (2) que cela équivaut à une violation du principe nulla poena sine lege et (3) du principe de l’égalité de traitement et qu’à cet égard (4) le raisonnement est inadéquat.

85.   SGL soutient que le Tribunal de première instance n’a pas tenu compte du fait qu’une part du chiffre d’affaires en 2000 devait être imputée à une autre entreprise que SGL a acquise au début de l’année 2000, par conséquent après la fin de l’infraction (en mars 1998). À cet égard, SGL renvoie à l’arrêt dit «Ciment» (28). SGL renvoie aussi à son grief quant à la durée de la procédure administrative, le retard en résultant affectant de manière négative ses intérêts financiers. La Commission aurait donc dû retenir les résultats du chiffre d’affaires pour 1999.

86.   De plus, en dépit des moyens longuement exposés devant le Tribunal, celui-ci a laissé ouverte la question de savoir si la Commission aurait dû renvoyer au chiffre d’affaires pour 1999 (980 millions d’euros) ou pour 2000 (1,08 ou 1,26 milliard d’euros). En répondant que tout ce qui compte, c’est que l’amende imposée en définitive n’excède pas 10 % du chiffre d’affaires mondial, c’est‑à‑dire après avoir pris en compte toute circonstance aggravante ou atténuante et avoir appliqué toute réduction au titre de la clémence, et que les arguments avancés concernant la durée excessivement longue de la procédure administrative et l’arrêt ciment sont sans pertinence (29), le Tribunal n’a pas pris en compte le fait que la Commission a appliqué le plafond de 10 % du chiffre d’affaires dans l’exercice précédent à UCAR avant d’appliquer la communication sur la clémence. Le Tribunal a donc à tort estimé, au point 353 de l’arrêt attaqué, que SGL n’était pas dans la même position que UCAR. SGL affirme que l’hypothèse du Tribunal est incorrecte. Le chiffre d’affaires total de SGL en 1999, tout comme son chiffre d’affaires en 2000, réduit du chiffre d’affaires imputé à Keramchemie, était tel que le plafond de 10 % était dépassé avant que la communication sur la clémence ne soit appliquée. Le Tribunal n’était donc pas en droit de laisser ouverte la question de l’année pertinente à retenir pour le chiffre d’affaires.

87.   Deuxièmement, SGL conteste les constatations du Tribunal au point 368 de l’arrêt attaqué, où il est affirmé qu’aucune disposition de droit communautaire ne pose des sanctions administratives, minimales ou maximales, pour les différentes catégories d’infractions et que la Commission est par conséquent libre, en principe, de déterminer le montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée des infractions, à condition que le montant final de l’amende n’excède pas la limite de 10 % à laquelle il est fait référence à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. SGL affirme à cet égard, en renvoyant aux articles 7 de la CEDH et 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, que le plafond de 10 % qui constitue un maximum strict de la sanction ne doit en aucun cas être dépassé et qu’il s’applique également aux calculs intermédiaires de l’amende.

88.   Troisièmement, SGL invoque aussi une rupture de l’égalité de traitement parce que la Commission, dans le cas de UCAR, a réduit le montant en excès de la limite de 10 % du chiffre d’affaires avant d’appliquer la communication sur la clémence. SGL renvoie à cet égard à la remarque faite également par le Tribunal au point 232 de l’arrêt attaqué, que la Commission doit appliquer sa propre méthode d’une manière correcte, cohérente et en particulier non discriminatoire. La Commission a ainsi eu tort d’affirmer que ce n’est que dans le cas de UCAR que le montant de base fixé avant l’application de la communication sur la clémence excédait la limite maximale autorisée.

89.   SGL affirme enfin que le Tribunal a erré en droit en niant qu’il y avait eu une violation de l’obligation de motivation. Contrairement au point de vue exprimé par le Tribunal, SGL soutient que la Commission aurait dû déclarer dans la décision les raisons pour lesquelles elle a appliqué une réduction avant l’application à UCAR de la communication sur la clémence et qu’elle ne l’a pas fait dans le cas de SGL. Elle affirme que l’approche de la Commission a placé SGL dans une position désavantageuse, alors que sa situation était similaire. La Commission a par conséquent violé l’article 253 CE.

90.   La Commission note que le Tribunal a déjà correctement rejeté ces arguments aux points 366 à 368 de l’arrêt attaqué. Il affirme que ni l’amende imposée par la Commission ni l’amende réduite par le Tribunal n’excèdent le seuil de 10 % de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

Appréciation

91.   En ce qui concerne la mauvaise interprétation alléguée du Tribunal, nous souhaiterions faire les observations suivantes. L’approche de la Commission lors de la fixation des amendes a déjà été expliquée. Ainsi que le Tribunal l’a correctement affirmé, la répartition en trois groupes était basée sur les chiffres d’affaires de 1998, année au cours de laquelle les infractions ont cessé, ainsi que sur les parts de marché durant les années précédentes. On ne saurait donc dire que le Tribunal ne s’est pas penché sur cette question. En outre, ainsi que la Commission l’a également signalé, il y a une différence entre calculer l’amende, d’une part, et s’assurer, d’autre part, à la fin du calcul que l’amende ne dépasse pas le plafond de 10 %, posé dans le règlement n° 17. L’année de référence pour ce calcul n’a pas besoin d’être la même. Ainsi qu’il a déjà été expliqué, le calcul de l’amende est basé sur les chiffres pour 1998. Afin de vérifier si le plafond avait été atteint, la Commission a pris en compte le chiffre d’affaires pour 2000, ce qui était le point de référence pertinent en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Il n’y a donc pas non plus d’incohérence avec l’arrêt ciment, précité.

92.   Le Tribunal a rejeté l’allégation selon laquelle la procédure était excessivement longue. SGL n’avance aucun nouvel argument convaincant en quoi le Tribunal a erré à cet égard.

93.   En ce qui concerne les arguments relatifs à la violation du principe nulla poena sine lege, nous renvoyons à l’arrêt récent sur pourvoi dans l’affaire des conduites précalorifugées (30). Cet arrêt affirme clairement que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n’interdit pas à la Commission de faire référence aux fins du calcul à un montant intermédiaire en excès de cette limite et qu’il n’exclut pas non plus que des calculs intermédiaires qui prennent en compte la gravité et la durée de l’infraction soient appliqués à un montant au‑dessus de cette limite (31). Ce n’est donc que le montant imposé en définitive à une entreprise qui ne peut pas dépasser la limite de 10 %.

94.   Il n’y a pas non plus violation de la règle de non-discrimination. Le Tribunal a simplement constaté que, sur la base du chiffre d’affaires de SGL et de UCAR, la position de SGL n’était pas similaire.

95.   Le fait que la Commission n’ait pas expliqué, dans la décision elle-même, qu’elle avait réduit le montant de l’amende de UCAR avant d’appliquer la communication sur la clémence n’affecte pas SGL.

E –    Cinquième moyen

96.   Avec ce moyen, SGL critique le fait que l’on n’a pas accordé assez d’attention à l’importance de certains documents auxquels on ne lui a pas donné accès. Ajoutant à ses observations en première instance, SGL soutient que de nouveaux documents compromettants, dont elle n’avait pas connaissance et à l’égard desquels elle n’avait précédemment pas eu l’occasion de formuler des remarques, ont même été utilisés pour la première fois dans l’arrêt du Tribunal.

97.   SGL affirme que les constatations du Tribunal sont contradictoires. Premièrement, il a affirmé que les documents relatifs à la coopération des entreprises ne faisaient pas partie du dossier interne, mais se trouvaient dans le dossier d’enquête de la Commission auquel les entreprises avaient accès (32). Il s’est toutefois avéré par la suite que le dossier interne contenait des informations fournies par UCAR et liées à la coopération des entreprises qui avaient valeur de preuve, ou que le Tribunal a en tout état de cause utilisées comme preuve et qui auraient pu être utiles pour sa défense (33).

98.   Ce n’est qu’au cours de la procédure devant le Tribunal que SGL a eu connaissance du fait que UCAR avait informé la Commission que l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) était intervenu en ce qui concerne le fonctionnaire prétendument responsable de la fuite de l’information et que la procédure pénale contre le fonctionnaire concerné avait été lancée en Italie (34). SGL suppose que cette information faisait, elle aussi, partie du dossier interne de la Commission et constitue un élément qui aurait été utile pour sa défense.

99.   Ces documents, selon SGL, ne peuvent pas non plus être classés comme étant des documents internes et donc non accessibles. Cela découle de la communication de la Commission relative aux règles de procédure interne pour le traitement des demandes d’accès au dossier (35). SGL déduit aussi de cette communication et de la jurisprudence (36) que les documents valant preuve doivent être rendus accessibles, et ce à temps. Ainsi, contrairement au point de vue exprimé par le Tribunal (37), il n’est pas nécessaire de demander une liste ou un résumé non confidentiel des documents contenant des secrets ou des questions confidentielles. La Commission aurait donc dû indiquer les documents non accessibles.

100. Pour la même raison, le rapport du conseiller auditeur contient selon SGL des erreurs. D’après la communication susmentionnée, en ce qui concerne l’accès au dossier, la classification de documents internes (non accessibles) est soumise au contrôle du conseiller auditeur qui certifiera si nécessaire que les papiers y contenus sont des «documents internes» (38). Le rapport ne fait aucune mention des objections soulevées par SGL. Le Tribunal a donc constaté à tort que le conseiller auditeur est tenu de communiquer au collège des membres de la Commission les seules objections relatives à l’appréciation de la légalité de la conduite de la procédure administrative. Selon SGL, le rapport final serait superflu s’il ne devait contenir que les objections bien fondées.

Appréciation

101. En ce qui concerne l’allégation de SGL, selon laquelle sa lettre à la Commission contient, en plus de la demande d’accès aux documents internes de la Commission, une demande d’une liste ou d’un résumé non confidentiel des documents contenant des secrets ou des questions confidentielles, cette affirmation doit être rejetée. La requérante ne conteste pas un point de droit, mais une constatation de fait. Le Tribunal a à cet égard établi que la demande de SGL n’avait pas trait à une liste ou à un résumé non confidentiel.

Pour autant que SGL soutient que le rapport final du conseiller auditeur contient des erreurs, cette allégation doit être rejetée elle aussi. Premièrement, en ce qui concerne ce qu’elle soutient avoir été une classification incorrecte de certains documents en tant que documents internes, le conseiller auditeur n’avait pas besoin à l’époque pertinente de vérifier si la classification en tant que documents internes était ou non correcte. Un tel contrôle sera effectué uniquement «si nécessaire», ainsi qu’il découle du titre II, sous A, 2, de la communication. SGL n’a pas soulevé cette question devant le conseiller auditeur, mais a simplement critiqué la Commission pour ne pas avoir accordé l’accès à son dossier interne ou fourni une liste ou un résumé des documents confidentiels. Deuxièmement, le Tribunal a déjà correctement traité ces moyens aux points 50 à 54. SGL n’a pas avancé de nouvel argument pertinent.

102. En ce qui concerne les documents relatifs à la coopération des entreprises, il est important d’avoir à l’esprit que le Tribunal a utilisé ces documents au soutien de la demande de UCAR pour une réduction plus importante de l’amende, eu égard à l’information fournie à la Commission, bien que oralement (et qui avait été rapportée dans le mémorandum interne rédigé par des fonctionnaires de la Commission et qui est restée en dehors du dossier d’enquête de la Commission). Le Tribunal, qui a décidé que les informations non documentaires sont également pertinentes dans le cadre de la politique de clémence de la Commission, n’a pas utilisé ces documents compromettants contre SGL. SGL n’a pas expliqué comment ses droits de la défense pourraient être affectés. La même chose vaut pour le prétendu document interne concernant l’enquête de l’OLAF. Il convient en outre de noter que SGL a reconnu envers la Commission sa participation dans l’entente et a coopéré elle-même avec la Commission dans le cadre de la clémence.

103. En dehors de cela, même si la Commission était tenue de communiquer ces documents ou du moins leur existence, il est de jurisprudence constante que le défaut de communiquer un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l’entreprise concernée démontre, premièrement, que la Commission s’est appuyée sur ce document pour soutenir son objection concernant l’existence de l’infraction et, deuxièmement, que l’objection pouvait être démontrée uniquement par renvoi à ce document. De plus, s’il y avait d’autres preuves documentaires dont les parties avaient connaissance durant la procédure administrative, qui supportaient spécifiquement les constatations de la Commission, le fait qu’un document compromettant non communiqué à la personne concernée était irrecevable comme preuve n’affecterait pas la validité des objections soulevées dans la décision 2002/271. La Cour a aussi affirmé qu’il appartient à l’entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel est parvenue la Commission dans sa décision aurait été différent si le document qui n’avait pas été communiqué à cette entreprise et sur lequel la Commission s’est appuyée pour constater l’infraction avait été rejeté en tant que preuve (39).

104. Ainsi qu’il est affirmé plus haut, SGL se plaint d’avoir reçu un accès insuffisant au dossier relatif à la coopération d’autres entreprises, sans expliquer pour autant comment cela affecterait sa position.

F –    Sixième moyen (capacité à payer)

105. Par ce moyen, SGL conteste la décision catégorique de ne pas tenir compte de sa capacité financière réduite lorsque l’amende a été calculée. SGL affirme qu’une telle omission constitue une violation du principe de proportionnalité et porte atteinte à sa liberté à disposer de sa propriété. SGL soutient que les sanctions imposées en vertu du droit de la concurrence ne sauraient mettre en danger l’existence des personnes auxquelles des sanctions sont imposées et que l’entreprise opérationnelle doit être le standard en fonction duquel le caractère approprié et correct des sanctions doit être jugé dans les cas individuels. Elle affirme qu’il est en général interdit de se concentrer sur ces parties d’une entreprise qui pourraient encore être sauvées après une faillite entraînée par l’imposition d’une amende. Toute amende doit, selon SGL, être calculée de telle manière qu’elle ne prononce pas une «condamnation à mort» économique.

106. Dans la décision 2002/271, la Commission, après avoir examiné la position financière de SGL, a conclu qu’il n’était pas approprié d’ajuster le montant de l’amende. Cette constatation a été maintenue par le Tribunal. Celui-ci a affirmé, renvoyant à la jurisprudence constante, que la Commission n’est pas tenue, lorsqu’elle détermine le montant de l’amende, de tenir compte des pertes financières, puisque la reconnaissance d’une telle obligation aurait pour effet de conférer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins bien adaptées aux conditions du marché. Le Tribunal a souligné que l’obligation de prendre en compte la réelle capacité d’une entreprise à payer, au sens du point 5, sous b), des lignes directrices, ne s’applique que dans un «contexte social spécial» consistant des conséquences que le paiement de l’amende aurait, en particulier, en conduisant à une augmentation du chômage ou à la détérioration des secteurs économiques en amont et en aval de l’entreprise concernée. Il a également observé que le fait qu’une mesure adoptée par les autorités communautaires conduise à l’insolvabilité ou à la liquidation d’une entreprise donnée n’est pas interdit en soi par le droit communautaire (40).

Appréciation

107. Pour autant que SGL critique le Tribunal de première instance pour avoir rejeté son argument selon lequel la Commission aurait dû tenir compte de sa capacité à payer l’amende et pour avoir fixé le montant de l’amende à un niveau qui menace sa survie, ce moyen ne saurait être accueilli. Ainsi que le Tribunal l’a correctement affirmé, la Commission n’est pas tenue, lorsqu’elle détermine le montant de l’amende, de prendre en compte la situation difficile de l’entreprise concernée, puisque la reconnaissance d’une telle obligation équivaudrait à donner un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins bien adaptées aux conditions du marché.(41

108. En outre, pour autant qu’elle soutient que la Commission aurait dû prendre en compte les amendes déjà infligées par les autorités de pays tiers, qui constituaient le facteur qui a causé la capacité réduite à payer, cet argument ne saurait non plus prospérer. Bien que la capacité à payer diffère du concept ne bis in idem, dans les deux cas, la Commission n’est pas tenue de prendre en compte les amendes imposées par les autorités de pays tiers.

109. Ainsi, la capacité à payer n’est pas un critère pertinent pour fixer les amendes. Cela ne veut pas dire que la Commission ne peut pas prendre en compte la capacité réduite à payer. Dans les arrêts de la Cour traitant de la capacité à payer, celle‑ci a seulement affirmé que la Commission n’est pas obligée de prendre en compte la situation financière de l’entreprise concernée. Elle n’a pas interdit à la Commission de le faire.

110. La capacité à payer est désormais spécifiquement mentionnée dans les lignes directrices de la Commission au point 5, sous b), sous le titre «Remarques générales». Ainsi que le Tribunal l’a correctement affirmé au point 371 de son arrêt, ce point ne remet pas en cause la suite d’arrêts à cet égard. Deuxièmement, lorsque les lignes directrices affirment qu’il convient de tenir compte de la capacité réelle à payer du contrevenant dans un contexte spécifique et que les amendes à cette capacité, doivent être ajustées conformément, cela est soumis à la condition «en fonction des circonstances» et, ainsi que le Tribunal l’a correctement remarqué, à la condition du «contexte social spécifique». Il n’y a donc là aucun automatisme.

111. SGL critique aussi le point de vue selon lequel des sanctions pourraient conduire à sa sortie du marché. Elle soutient que cela équivaut à une violation de sa liberté à disposer de sa propriété et renvoie à cet égard aux articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Deuxièmement, elle conteste le parallèle tracé avec la jurisprudence relative aux aides d’État.

112. En ce qui concerne la référence à la libre conduite des activités économiques et le droit à la propriété, il convient de noter que cette liberté et ce droit sont soumis à des restrictions. Il n’accordent ainsi certainement pas «carte blanche» aux ententes et n’offrent aucune défense lorsqu’une entente est détectée.

113. En ce qui concerne le parallèle avec les aides d’État, le Tribunal a simplement observé, renvoyant à la jurisprudence dans ce domaine, que le fait qu’une mesure adoptée par les autorités communautaires conduise à l’insolvabilité ou à la liquidation d’une entreprise donnée n’est pas interdit en soi par le droit communautaire. Ce point est correct et SGL ne saurait le contester. Ajoutons à titre incident que le concept de la libre concurrence effective implique, entre autres, que les opérateurs du marché moins efficaces quitteront normalement le marché. Il est également bien connu que, grâce aux ententes, de tels opérateurs du marché inefficaces peuvent survivre plus longtemps. Ainsi, les dispositions sur les aides d’État et la concurrence ont en commun qu’elles cherchent à garantir des marchés compétitifs et les deux politiques tentent de prévenir ou d’éliminer le préjudice, même si elles le font de manières différentes. La Commission, dans sa politique d’imposition des amendes, peut certainement prendre en compte l’effet de ses amendes et, lorsque cela est approprié, la capacité réduite à payer. En effet, une amende qui dépasse la capacité d’une entreprise à payer, conduisant à un défaut de paiement et en définitive à la faillite, devient inefficace. Dans la présente affaire cependant, la Commission a vérifié la situation financière de la requérante et n’a trouvé aucune raison de s’écarter de l’amende proposée. De plus, le fait que l’amende soit douloureuse, parce que des mesures internes doivent être adoptées afin de rendre les fonds disponibles, n’est pas l’affaire de la Commission.

114. Le Tribunal a aussi correctement affirmé que SGL ne saurait déduire un argument de la décision dite «des graphites spéciaux» (42). Dans cette décision, la Commission a pris en compte la capacité réduite à payer. L’allégation de SGL selon laquelle la Commission est par conséquent tenue de faire de même dans la présente affaire est hors de propos. Dans cette décision ultérieure, la Commission a pris en compte la capacité réduite à payer de SGL en raison de l’énorme amende déjà imposée et parce qu’il ne semblait pas nécessaire d’imposer l’intégralité du montant de l’amende afin d’assurer une dissuasion efficace. Le Tribunal a donc correctement considéré que la Commission n’a commis aucune erreur de droit ou erreur manifeste d’appréciation.

115. Ce moyen doit être rejeté.

G –    Septième moyen (moyen relatif aux intérêts de retard)

116. Dans la procédure devant le Tribunal, SGL a contesté la légalité du taux des intérêts ainsi que la légalité du taux d’intérêt appliqué lorsqu’une entreprise a constitué une garantie bancaire. SGL reconnaît que la Commission est en droit d’appliquer des taux d’intérêt afin de prévenir les actions abusives et de garantir que les entreprises qui paient «en retard» ne bénéficient pas d’un avantage, mais uniquement pour autant que les taux en question sont ceux effectivement appliqués en pratique. Il n’y a, selon SGL, pas de raison d’appliquer 3,5 points de pourcentage supplémentaires à de tels taux de marché.

117. Par son septième moyen, SGL soutient que le Tribunal n’a pas traité tous les griefs soulevés, mais a statué au contraire sur la base d’un grief que SGL n’avait pas soulevé.

118. Ce moyen est sans fondement.

119. Le Tribunal a fait référence dans son arrêt à la jurisprudence constante dans laquelle il est établi que la compétence accordée à la Commission par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 recouvre la compétence pour déterminer la date à laquelle les amendes sont payables et la date à partir de laquelle les intérêts de retard commencent à courir, la compétence pour fixer le taux de tels intérêts et la compétence pour déterminer les arrangements détaillés pour la mise en œuvre de sa décision en exigeant, lorsque cela est approprié, la fourniture d’une garantie bancaire couvrant le montant principal des amendes imposées plus les intérêts. En l’absence d’une telle compétence, les entreprises pourraient être en mesure de tirer avantage de paiements tardifs, affaiblissant ainsi l’effet des sanctions. Les intérêts de retard sur les amendes sont donc justifiés.

120. Le Tribunal a poursuivi en renvoyant à la jurisprudence dans laquelle il a approuvé la fixation des intérêts de retard au taux du marché plus 3,5 points de pourcentage et, lorsqu’une garantie bancaire est fournie, au taux du marché plus 1,5 point, et dans laquelle il a approuvé des taux d’intérêts de retard jusqu’à 13,75%, considérant que la Commission est en droit d’adopter un point de référence plus élevé que le taux du marché applicable tel qu’offert à un emprunteur moyen dans une mesure nécessaire pour décourager les comportements dilatoires (voir les points 575 et 476). Le Tribunal a enfin conclu que la Commission n’avait pas outrepassé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a fixé les taux d’intérêt de retard.

121. Le Tribunal n’a selon nous pas erré en droit.

VII – Conclusion

122. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons que la Cour:

–       rejette le pourvoi;

–       condamne SGL Carbon AG aux dépens.


1 – Langue originale: l'anglais.


2 – JO 1962, 13, p. 204.


3 – JO 1998, C 9, p. 3.


4 – JO 1996, C 207, p. 4.


5 – Arrêt du 7 juin 1983 (100/80 à 103/80, Rec. p. 1825).


6 – Ibidem, point 105.


7 – Ibidem, point 106.


8 – Arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I‑5425).


9 – Point 260.


10 – Point 267.


11 – Voir points 134 et 135.


12 – Point 136.


13 – Point 137.


14 – Arrêt du 14 décembre 1972 (7/72, Rec. p. 1281).


15 – Points 139 et 140.


16 – Points 141 et 142.


17 – Point 143.


18 – Voir points 91 à 94 des conclusions, (arrêt du 6 janvier 2004, C-204/00 P, C‑205/00 P à C‑211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec., p. I‑123).


19 – Arrêt du 13 février 1969 (1468, Rec. p. 1).


20 – Conclusions du 7 juin 2005 (C‑397/03 P, affaire pendante devant la Cour).


21 – Arrêt du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (T‑224/00, Rec. p. II-2597).


22 – Accord entre le gouvernement des États-Unis d'Amérique et la Commission des Communautés européennes concernant l'application de leurs règles de concurrence - Échange de lettres interprétées avec le gouvernement des États-Unis d'Amérique JO 1998, L 173, p. 28, et accord de 1991 (JO 1995, L 95, p. 47).


23 – Depuis l’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1,p. 1), cette jurisprudence a été en grande partie dépassée. Voir aussi Wils, P. L., «The principles of ne bis in idem in EC Antitrust Enforcement: A legal and economic analysis», dans World Competition 2003.


24 – Arrêt Conduites précalorifugées, précité à la note 8, points 244 et 245, ainsi que la jurisprudence qui y est citée.


25 – Voir point 312 de l’arrêt attaqué.


26 – Ibidem, point 313.


27 – Voir point 293 de l’arrêt Conduites précalorifugées, précité à la note8.


28 – Arrêt du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission (T-25/95, T-26/95, T‑30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T‑65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II‑491, point 5045).


29 – Point 367 de l’arrêt attaqué.


30 – Arrêt précité á la note 8.


31 – Voir point 278 de l’arrêt attaqué.


32 – Point 41 de l’arrêt attaqué.


33 – Points 430 à 433 de l’arrêt attaqué.


34 – Voir point 437 de l’arrêt attaqué.


35 – JO 1997, C 23, p. 3.


36 – Arrêt du 29 juin 1995, Solvay/Commission (T‑30/91, Rec. p. II‑1775).


37 – Voir point 39 de l’arrêt attaqué.


38 – Voir titre II, sous A, 2, de la communication.


39 – Arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité à la note 18, points 71 à 73 ainsi que la jurisprudence qui y est citée.


40 – Voir les points 370 à 372 de l’arrêt attaqué.


41 – Voir arrêt Conduites précalorifugées et références contenues dans l’arrêt du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission (96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369).


42 – Décision C(2002) 5083 déf. du 17 décembre 2002.

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