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Document 62004CC0289

Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 19 janvier 2006.
Showa Denko KK contre Commission des Communautés européennes.
Pourvoi - Concurrence - Entente - Électrodes de graphite - Article 81, paragraphe 1, CE - Amendes - Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes - Communication sur la coopération - Principe non bis in idem.
Affaire C-289/04 P.

Recueil de jurisprudence 2006 I-05859

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2006:52

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. L. A. Geelhoed

présentées le 19 janvier 2006 (1)

Affaire C-289/04 P

Showa Denko KK

contre

Commission des Communautés européennes

«Pourvoi – Concurrence – Électrodes de graphite – Article 81, paragraphe 1, CE – Amendes – Lignes directrices pour le calcul des amendes – Programme de clémence»





I –    Introduction

1.     Par son pourvoi, la société Showa Denko KK (ci-après «SDK» ou la «requérante») poursuit l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission (T-236/01, T-239/01, T-244/01, T-246/01, T-251/01 et T-252/01, Rec. p. II-1181, ci-après l’«arrêt entrepris»), en ce qu’il n’élimine pas totalement le «facteur de dissuasion» appliqué par la Commission à l’amende infligée à la requérante.

2.     Dans l’arrêt entrepris, le Tribunal a réduit l’amende infligée à la requérante par la décision 2002/271/CE de la Commission, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE – affaire COMP/E-1/36.490 - Électrodes de graphite (2) (ci-après la «décision attaquée»).

II – Dispositions applicables

Le règlement n° 17

3.     L’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (3), dispose:

«La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d’un million d’unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81, paragraphe 1], ou de l’article [82] du traité, […]

[…]

Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.»

Les lignes directrices pour le calcul des amendes

4.     La communication de la Commission intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA» (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices») dispose dans son préambule:

«Les principes posés […] devraient permettre d’assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l’égard des entreprises qu’à l’égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires global des entreprises. Cette marge devra toutefois s’exprimer dans une ligne politique cohérente et non discriminatoire adaptée aux objectifs poursuivis dans la répression des infractions aux règles de concurrence.

La nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l’amende obéira dorénavant au schéma suivant, qui repose sur la fixation d’un montant de base auquel s’appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes.»

III – Faits et contexte de l’adoption de la décision attaquée

5.     Dans l’arrêt entrepris, le Tribunal a résumé comme suit les faits du recours qui lui était soumis:

«1      Par la décision 2002/271, […] la Commission a constaté la participation de diverses entreprises à une série d’accords et de pratiques concertées, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’‘accord EEE’), dans le secteur des électrodes de graphite.

2      Les électrodes de graphite sont utilisées principalement pour la production d’acier dans les fours électriques à arc. La fabrication d’acier au moyen de ces fours consiste essentiellement en un processus de recyclage par lequel des déchets d’acier sont convertis en acier neuf, par opposition au procédé classique de production à partir du minerai de fer dans les hauts-fourneaux à l’oxygène. Neuf électrodes, rassemblées en colonnes de trois, sont utilisées dans le four électrique type pour fondre la ferraille. Étant donné l’intensité du processus de fusion, la consommation d’électrodes atteint environ une unité par tranche de huit heures. La durée de fabrication d’une électrode est d’environ deux mois. Aucun produit n’est substituable aux électrodes de graphite dans le cadre de ce processus de production.

3      La demande d’électrodes de graphite est directement liée à la production d’acier en four électrique à arc. Les principaux clients sont les sidérurgistes, qui représentent environ 85 % de la demande. En 1998, la production mondiale d’acier brut s’est élevée à 800 millions de tonnes, dont 280 millions de tonnes produites dans des fours électriques à arc. […]

[…]

5      Dans les années 80, des améliorations technologiques ont permis une réduction substantielle de la consommation d’électrodes par tonne d’acier produite. L’industrie sidérurgique a également connu un important processus de restructuration pendant cette période. L’affaiblissement de la demande d’électrodes a donné lieu à un processus de restructuration de l’industrie mondiale des électrodes. Plusieurs usines ont été fermées.

6      En 2001, neuf producteurs occidentaux ont approvisionné le marché européen en électrodes de graphite: […]

7      En application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil […], des fonctionnaires de la Commission ont, le 5 juin 1997, procédé à l’improviste à des vérifications simultanées […].

8      Le même jour, des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) ont procédé, aux États-Unis, à des perquisitions dans les locaux de plusieurs producteurs. À la suite de ces perquisitions, des poursuites pénales ont été engagées contre […] SDK […] pour entente délictueuse. Tous les accusés ont plaidé coupables des faits qui leur étaient reprochés et ont accepté de payer des amendes, fixées […] à 32,5 millions de USD pour SDK […].

[…]

10      Des actions en triples dommages et intérêts (triple damages) ont été intentées contre […] SDK aux États-Unis pour le compte d’un groupe d’acheteurs.

11      […] Des actions civiles ont été intentées contre […] SDK par des producteurs d’acier au Canada en juin 1998 pour entente délictueuse.

12      La Commission a adressé, le 24 janvier 2000, une communication des griefs aux entreprises incriminées. La procédure administrative a abouti à l’adoption, le 18 juillet 2001, de la Décision, par laquelle il est reproché aux entreprises requérantes […] d’avoir procédé, à l’échelle mondiale, à une fixation des prix ainsi qu’à une répartition des marchés nationaux et régionaux du produit en cause selon le principe du ‘producteur domestique’: […] SDK […] [était responsable] pour le Japon et pour certaines parties de l’Extrême-Orient […].

13      Toujours selon la Décision, les principes directeurs de l’entente étaient les suivants:

–       les prix des électrodes de graphite devaient être fixés au niveau mondial;

–       les décisions relatives aux prix de chaque société devaient être arrêtées exclusivement par le président ou les directeurs généraux;

–       le ‘producteur domestique’ devait fixer le prix du marché sur son ‘territoire’ et les autres producteurs le ‘suivraient’;

–       en ce qui concerne les marchés ‘non domestiques’, c’est-à-dire les marchés sur lesquels aucun producteur ‘domestique’ n’était présent, les prix seraient fixés par consensus;

–       les producteurs ‘non domestiques’ ne devaient exercer aucune concurrence agressive et se retireraient des marchés ‘domestiques’ des autres;

–       la capacité ne devait pas augmenter (les producteurs japonais étaient censés réduire la leur);

–       aucun transfert de technologie ne devait avoir lieu en dehors du cercle des producteurs participant au cartel.

14      La Décision poursuit en exposant que lesdits principes directeurs ont été mis en œuvre par des réunions de l’entente qui se tenaient à plusieurs niveaux: réunions ‘des patrons’, réunions ‘de travail’, réunions du groupe des producteurs européens (sans les entreprises japonaises), réunions nationales ou régionales consacrées à des marchés spécifiques et contacts bilatéraux entre les entreprises.

[…]

16      Sur la base des constatations factuelles et des appréciations juridiques effectuées dans la Décision, la Commission a imposé aux entreprises incriminées des amendes dont le montant a été calculé conformément à la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA ainsi que de la communication concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes.

17      L’article 3 du dispositif de la Décision inflige les amendes suivantes:

[…]

SDK: 17,4 millions d’euros;

[…]

18      L’article 4 du dispositif ordonne aux entreprises concernées de verser les amendes dans les trois mois à compter de la date de notification de la Décision, sous peine de devoir payer des intérêts de 8,04 %.»

IV – Le recours devant le Tribunal et l’arrêt entrepris

6.     SDK, par requête déposée le 4 octobre 2001 au greffe du Tribunal, ainsi que d’autres entreprises auxquelles la décision 2002/271 avait été adressée, a formé un recours contre la décision.

7.     Par l’arrêt entrepris, le Tribunal a notamment jugé ce qui suit:

«[…]

4)      Dans l’affaire T-245/01, Showa Denko/Commission:

–       le montant de l’amende infligée à la partie requérante par l’article 3 de la décision 2002/271 est fixé à 10 440 000 euros;

–       le recours est rejeté pour le surplus;

[…]»

V –    Le pourvoi

8.     SDK conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       annuler partiellement l’arrêt entrepris;

–       réduire à la somme de 6 960 000 euros l’amende infligée à la requérante ou réduire celle-ci de tout montant considéré approprié par la Cour dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et

–       prendre toute autre mesure que la Cour jugera appropriée;

–       condamner la Commission aux dépens.

9.     La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       rejeter le pourvoi et

–       condamner la requérante aux dépens.

VI – Les moyens de droit

10.   Au soutien de son pourvoi, SDK fait valoir quatre moyens de droit, dont certains sont divisibles en branches. Selon les termes du pourvoi, le Tribunal a commis des erreurs de droit, a violé les principes de non-discrimination et de proportionnalité et a mal motivé sa décision en refusant de supprimer le «facteur de dissuasion» arbitraire appliqué à la requérante, en basant ce «facteur de dissuasion» sur le chiffre d’affaires mondial réalisé par le conglomérat de la requérante sur des marchés non concernés et en basant l’«amende de base» sur la part de marché et le chiffre d’affaires mondiaux sans ajuster l’amende pour tenir compte des amendes et obligations imposées aux États-Unis à la requérante.

11.   Les moyens du pourvoi sont articulés comme suit:

–       le premier moyen de droit allègue des erreurs de droit et un défaut de motivation en ce que le Tribunal a reconnu qu’en principe un facteur de «dissuasion», basé sur le chiffre d’affaires mondial, pouvait être appliqué à la requérante;

–       le deuxième moyen de droit concerne une erreur de droit et un défaut de motivation de la part du Tribunal relativement au facteur de «dissuasion» appliqué à la requérante;

–       le troisième moyen de droit vise une erreur de droit et un défaut de motivation en ce que le Tribunal a rejeté l’argument selon lequel, pour calculer l’amende «de base», la Commission n’était pas tenue de prendre en compte les amendes et obligations imposées à la requérante aux États-Unis;

–       le quatrième moyen de droit concerne une violation des droits fondamentaux de la requérante à un procès équitable.

VII – Analyses

Observations liminaires

12.   Dans nos conclusions rendues ce jour dans l’affaire SGL Carbon/Commission (C-308/04 P, affaire en cours), nous avons déjà mentionné le fait que la dissuasion, en tant qu’élément de gravité, est l’un des éléments à prendre en compte dans la fixation du montant de l’amende.

13.   Il est de jurisprudence constante (4) que les amendes infligées pour violation de l’article 81 CE et prévues à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et à présent à l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 (5) ont pour objet de punir les actes illégaux des entreprises concernées ainsi que de dissuader tant les entreprises concernées que les autres de violer à l’avenir les règles du droit communautaire de la concurrence.

14.   Aujourd’hui, le fait que la Commission devrait tenir compte de l’aspect dissuasif des amendes est expressément mentionné également dans les lignes directrices.

15.   En l’espèce, SDK ne prétend pas que la Commission n’est pas fondée à faire en sorte que les amendes aient un effet dissuasif, mais invoque certains principes qui devraient conduire à une conclusion différente dans son cas.

16.   Avant d’analyser chacun des moyens, nous décrirons succinctement la manière dont la Commission a fixé les amendes des participants à l’entente.

17.   Dans la présente affaire, la Commission a fixé l’amende en suivant la méthode de calcul définie dans les lignes directrices. Comme on le sait, celle-ci se déroule en plusieurs étapes.

18.   Premièrement, la Commission fixe le montant de base de l’amende. Ce montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction. La Commission évalue d’abord la gravité, puis la durée.

19.   Deuxièmement, ce montant initial est modifié en cas d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes applicables à telle ou telle entreprise impliquée.

20.   Troisièmement, en cas de dépassement du plafond de 10 % du chiffre d’affaires mondial, la Commission ramène à cette limite le montant de l’amende.

21.   Quatrièmement, si l’entreprise concernée remplit les conditions pour bénéficier du programme de clémence, la Commission ajuste l’amende à la baisse, selon le degré de clémence.

22.   Pour être exhaustifs, ajoutons que l’amende peut également être ajustée, selon les circonstances, pour des motifs tels que la diminution de la capacité contributive de l’entreprise ou l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction [voir point 5, sous b), des lignes directrices].

23.   En ce qui concerne la première étape, en particulier la gravité, la Commission a considéré que l’infraction était très grave. Bien que, dans le cas d’infractions collectives telles que les ententes, où la gravité est nécessairement similaire pour chaque participant, on puisse soutenir que le même montant de départ devrait être fixé pour toutes les entreprises impliquées dans l’entente, les lignes directrices reconnaissent que la Commission a la faculté d’appliquer un traitement différentiel aux membres de l’entente afin de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important à la concurrence, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.

24.   En l’espèce, la Commission a considéré qu’il était nécessaire de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel, étant donné la disparité considérable dans la dimension des entreprises. Elle a par conséquent réparti les membres de l’entente en trois groupes différents afin de décider du montant de départ approprié pour chaque groupe. Elle a effectué cette répartition sur la base du chiffre d’affaires mondial et de la part de marché pour les produits en cause. La Commission a calculé l’amende de base en ajoutant des tranches de x euros par tranche supplémentaire de y % du marché mondial. Cela a donné un montant de base de 40 millions d’euros d’amende pour le groupe du haut, de 16 millions d’euros pour le groupe du milieu et de 8 millions d’euros pour le groupe du bas.

25.   SDK a été classée dans la catégorie intermédiaire. Afin de s’assurer que l’amende aurait un effet suffisamment dissuasif, la Commission a estimé que le montant de base devait être réajusté à la hausse et l’a augmenté d’un facteur de 2,5 (ci-après le «multiplicateur de dissuasion») pour le porter à 40 millions d’euros. Ce montant a été augmenté de 45 % pour tenir compte de la durée de participation de SDK à l’entente, ce qui a abouti à un montant de base de 58 millions d’euros. Aucune circonstance aggravante ou atténuante n’a été constatée dans le cas de SDK. Après application du programme de clémence, le montant final de l’amende a été fixé à 17,4 millions d’euros.

26.   Le montant de l’amende ainsi fixé a été ajusté par le Tribunal. Ce dernier a jugé que, en ce qui concerne la pondération de 2,5 appliquée par la Commission à l’amende infligée à SDK afin de garantir un effet suffisamment dissuasif, la décision ne contient aucune constatation autre que celles relatives à la taille et aux ressources globales de l’entreprise, qui justifierait l’application à SDK d’un multiplicateur supérieur à celui de 1,5. En particulier, il a jugé que la Commission n’avait pas expliqué pourquoi les circonstances de l’espèce exigeraient l’application à SDK d’un multiplicateur six fois supérieur à celui appliqué à VAW (6), alors que son chiffre d’affaires pertinent pour cette opération ne représente que le double de celui de VAW. En conséquence, le Tribunal a appliqué une pondération de 1,5, d’où un montant de base réduit à 24 millions d’euros (7).

27.   Le présent pourvoi concerne uniquement le multiplicateur de dissuasion. En substance, SDK soutient qu’il n’existe aucun motif justifiant la singularisation de SDK et imposant de lui appliquer un facteur de dissuasion spécial. Elle affirme que la taille et les finances d’un conglomérat ne sont pas pertinentes pour le calcul de toute augmentation nécessaire à des fins de dissuasion.

A –    Premier moyen de droit

28.   Par son pourvoi, SDK soutient que la taille de l’entreprise et son chiffre d’affaires mondial, et non le chiffre d’affaires attribuable aux produits affectés par l’accord, avaient déjà été pris en compte par la Commission comme critères pour répartir les montants de base en trois catégories. SDK soutient que ce facteur ne peut donc justifier une nouvelle augmentation sélective. Elle estime que le multiplicateur de dissuasion ne peut être imposé que pour des motifs de dissuasion, et non pour l’«impact réel».

29.   SDK soutient que, aux points 241, 242 et 370 de l’arrêt entrepris, le Tribunal ajoute un certain nombre de considérations qui ne sont pas mentionnées dans les lignes directrices et dont aucune ne concerne le facteur de dissuasion. À cet égard, SDK fait notamment valoir que l’accès à des sources de financement n’a aucun rapport avec la dissuasion, que la Commission ne saurait augmenter l’amende au seul motif que SDK a les moyens financiers de la payer et que, si certaines sociétés ont des difficultés à réunir les sommes nécessaires au paiement de l’amende, cela ne saurait justifier une augmentation sélective de cette dernière pour les autres.

30.   La Commission fait valoir, quant à elle, que le Tribunal était en droit de juger que l’amende infligée à SDK pouvait être basée sur son chiffre d’affaires mondial.

Appréciation

31.   Comme nous l’avons déjà expliqué dans les remarques liminaires, la dissuasion constitue un aspect important de la pratique suivie par la Commission en matière d’amendes; il s’agit d’alerter les entreprises sur les conséquences de tout comportement contraire au droit communautaire de la concurrence. Par conséquent, la Commission est en droit de fixer le montant de base d’une amende à un niveau suffisamment dissuasif.

32.   La dissuasion est liée à la gravité de l’infraction. La présente affaire concerne une infraction très grave et la Commission avait fixé le montant de base de l’amende en conséquence. La Commission a appliqué un traitement différencié. Ainsi, elle a réparti les contrevenants en trois catégories en fonction de l’impact réel de leur comportement. Cette hiérarchisation ne signifie pas qu’il a pleinement été tenu compte des facteurs déterminant un niveau de dissuasion suffisant. Pour deux des huit contrevenants, ce n’était pas le cas, en raison de leur taille et de leurs ressources globales.

33.   SDK prétend que la taille concerne l’impact réel et non la dissuasion et que la Commission a déjà tenu compte de sa taille et de son chiffre d’affaires total lorsqu’elle a déterminé les trois catégories. C’est cependant inexact.

34.   Comme nous l’avons indiqué plus haut, la Commission a examiné le chiffre d’affaires et la part de marché afférents aux produits en cause au niveau mondial aux fins de la différenciation et a pris le chiffre d’affaires mondial global comme base pour la fixation du multiplicateur de dissuasion. Aux fins de la différenciation, elle a pris en compte le chiffre d’affaires mondial pour les produits en cause parce qu’il révèle mieux la capacité du contrevenant à causer un dommage et permet de mieux évaluer les effets du comportement reproché sur la concurrence. Elle a pris le chiffre d’affaires mondial en remplacement de la taille afin d’assurer une dissuasion suffisante. Ainsi, SDK a tort de prétendre que le chiffre d’affaires mondial global ou la taille avaient déjà été pris en compte.

35.   On ne saurait par conséquent conclure au bien-fondé de la prétention de SDK selon laquelle la Commission n’est pas en droit de prendre en compte le chiffre d’affaires mondial pour évaluer l’effet de dissuasion.

36.   Comme l’a rappelé le Tribunal (8), il est de jurisprudence constante que la Commission, lorsqu’elle calcule l’amende, peut prendre en considération, notamment, la taille et la puissance économique de l’entreprise concernée. La jurisprudence a également reconnu la pertinence du chiffre d’affaires mondial aux fins de mesurer la capacité financière des membres de l’entente. Partant, le chiffre d’affaires mondial global peut donner une indication de la taille et des ressources globales des différentes entreprises participant à l’entente (9).

37.   Ensuite, il est évident qu’une grande entreprise aux ressources diversifiées n’est pas dans la même situation qu’une petite entreprise dont l’existence dépend d’un seul produit. Pour une entreprise de grande taille et diversifiée, toute amende qui serait uniquement liée au marché affecté serait moins lourde, relativement à ses ressources globales, qu’une amende infligée à une entreprise dont tous les produits sont concernés par l’entente. Ainsi, une amende semblable pour la même infraction n’a pas le même effet dissuasif.

38.   Le Tribunal a reconnu, au point 241, que des ressources financières différentes peuvent appeler des amendes différentes en jugeant que, en raison de son chiffre d’affaires mondial énorme par rapport à celui des autres membres de l’entente, SDK mobiliserait plus facilement les fonds nécessaires pour le paiement de son amende. Par conséquent, la capacité de mobiliser des capitaux, qui varie selon la taille et la puissance économique de chaque entreprise concernée, peut être prise en compte dans l’évaluation du degré de dissuasion approprié. Le Tribunal ne s’est pas contredit au point suivant, où il a estimé que la seule taille d’une entreprise n’est pas automatiquement synonyme de puissance financière. En effet, des sociétés relativement importantes peuvent être en mauvaise situation financière ou avoir un déficit de trésorerie. Le Tribunal a toutefois conclu que SDK n’avait pas indiqué qu’elle serait dans une telle situation et celle-ci n’a pas clairement indiqué sur quel point le Tribunal avait commis une erreur de droit.

39.   En ce qui concerne les autres arguments avancés par SDK et mentionnés au point 28 ci-dessus, rien dans la décision ou dans l’arrêt n’indique que la Commission a augmenté l’amende infligée à SDK en raison des difficultés financières de certains autres membres de l’entente. De fait, cela n’aurait pas justifié une augmentation de l’amende de SDK. En outre, ce n’est pas parce que la Commission n’est pas tenue de prendre en compte une capacité de paiement réduite, qui peut être prise en considération à la fin de la procédure de fixation de l’amende, qu’il en va de même pour la capacité de paiement (la capacité de mobiliser des capitaux), qui est prise en compte lors de la première étape de la procédure de fixation de l’amende.

40.   SDK a également fait référence à l’arrêt Parker Pen/Commission (10), dans lequel le Tribunal a jugé que «la fixation d’une amende appropriée ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global». Cet arrêt mettait en garde contre le fait d’accorder une importance disproportionnée au chiffre d’affaires total, comme c’était le cas dans l’arrêt Musique Diffusion française/Commission. Toutefois, dans l’arrêt Parker Pen/Commission, c’est le montant final qui était en jeu, alors que ce qui fait l’objet du présent litige, c’est le montant de départ, fixé à la lumière de la gravité de l’infraction. Comme l’a relevé le Tribunal (11), en l’espèce, la Commission n’a nullement basé le montant final des amendes sur le seul chiffre d’affaires global, mais elle a tenu compte de toute une série d’éléments autres que le chiffre d’affaires.

B –    Deuxième moyen

41.   SDK relève que le Tribunal n’a mentionné aucun critère pertinent susceptible de justifier que lui soit imposé un multiplicateur de dissuasion. De fait, le Tribunal a omis de prendre en considération un certain nombre de principes généraux pertinents et applicables. À cet égard, SDK divise son moyen en quatre branches.

42.   Dans la première branche du moyen, SDK prétend que les amendes ne devraient être augmentées à des fins de dissuasion qu’avec modération et uniquement pour des motifs spécifiques pertinents justifiant cette augmentation, en particulier parce que la dissuasion n’est pas mentionnée dans le règlement n° 17. SDK relève que le Tribunal a omis de fournir une motivation ou une explication à cet égard.

43.   Dans la deuxième branche du moyen, SDK prétend que le multiplicateur n’est justifié qu’à la lumière de l’attitude réelle ou prouvée d’une société, et non de sa taille. SDK indique qu’aucune circonstance motivant sa singularisation en vue d’une amende majorée à des fins de dissuasion n’a été identifiée.

44.   Dans la troisième branche de son moyen, SDK observe que les analyses économiques de la dissuasion confirment que le multiplicateur de dissuasion est arbitraire et injustifié.

45.   Selon SDK, si une amende majorée est justifiée à des fins de dissuasion, l’amende destinée à produire un effet de dissuasion ne peut être fixée de manière arbitraire, mais devrait être calculée en fonction: i) des bénéfices ou avantages que l’entreprise pouvait compter retirer de l’infraction si le comportement illégal n’est pas détecté (ce qui dépend du chiffre d’affaires de la société affecté par l’infraction) et ii) de la probabilité de détection de l’infraction.

46.   SDK soutient que, en rejetant l’argument qu’elle a présenté à cet effet, le Tribunal, au point 242, a omis de prendre en compte le fait que les grandes sociétés multiproduits – disposant ou non d’une puissance «financière» – ne sont pas moins sensibles aux amendes que des sociétés monoproductrices. La théorie économique montre que les grandes entreprises sont au moins aussi attentives à la réduction maximale de leurs responsabilités légales et de leurs autres coûts que les entreprises plus petites.

47.   SDK soutient que l’arrêt est en rupture avec l’approche adoptée par la Commission dans d’autres affaires où elle a constaté le montant du «bénéfice supplémentaire» et l’a pris en compte pour fixer l’amende.

48.   SDK soutient en outre qu’il est injuste de prévoir une augmentation pour dissuasion, puis d’augmenter la somme ainsi majorée en considération de la durée de l’infraction, de circonstances aggravantes ou de quoi que ce soit d’autre. Elle estime que la question de savoir si une dissuasion s’impose devrait être tranchée à la fin du calcul de l’amende.

49.   Enfin, dans la quatrième branche du moyen, SDK affirme que le montant de l’augmentation était disproportionné. À cet égard, elle invoque sa faible part de marché dans l’EEE. Elle déclare en outre qu’une analyse de l’amende ajustée révèle que l’amende infligée à la requérante est disproportionnée par rapport à celle infligée aux autres participants.

Appréciation

50.   En substance, SDK soutient que singulariser une entreprise uniquement en raison de sa taille est dépourvu de pertinence. SDK rappelle que l’objet de la dissuasion générale est d’assurer que les coûts et que l’amende soient suffisamment élevés pour décourager toute violation du droit. Elle fait valoir que les sociétés feront un choix rationnel, c’est-à-dire qu’elles procéderont à un bilan coûts-avantages avant de commettre une infraction. Elles se demanderont alors notamment quelles sont les chances de se faire prendre. La meilleure manière de mesurer le bénéfice qu’une société peut espérer tirer d’une infraction est d’examiner la taille du marché (la quantité d’argent disponible après une augmentation des prix sur le marché) et de sa part de marché (la quantité d’argent qu’une société individuelle peut espérer retirer de l’infraction). Les autres activités ne relevant pas du marché en cause ne font pas l’objet de cette analyse. En effet, ces activités ne génèrent aucune recette supplémentaire et n’entrent donc pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de comparer les profits escomptés au montant de l’amende prévisible. De plus, SDK s’oppose au principe qui sous-tend prétendument le raisonnement de la Commission et celui du Tribunal, à savoir que les grandes sociétés sont moins sensibles aux amendes et devraient donc être punies plus sévèrement. SDK fait valoir que les sociétés ayant de nombreuses activités différentes ne peuvent être indifférentes, car tous les petits risques liés à ces différentes activités s’agrègent pour former de grandes sommes d’argent.

51.   En fait, SDK prétend également qu’il existe des circonstances dans lesquelles un grand groupe de sociétés devrait être condamné à une amende inférieure à celle infligée à une société de plus petite taille parce que, par exemple, une grande société est davantage susceptible d’être poursuivie en indemnité qu’une petite entreprise, et nécessite donc une dissuasion moindre.

52.   Ce dernier argument doit être rejeté d’emblée. Même en supposant que les grandes sociétés seront plus facilement poursuivies que les petites, il s’agit là d’un risque supplémentaire qu’elles courent pour ne pas avoir respecté les règles en matière de concurrence et qui, en tant que tel, est sans rapport avec l’obligation d’observer ces dernières.

53.   De plus, en ce qui concerne la première branche du moyen, SDK semble établir une distinction entre la «dissuasion générale» (définie par SDK comme une action visant à décourager toutes les sociétés en général, y compris les tiers et les contrevenants potentiels, de commettre la violation en question) et la «dissuasion spécifique» (pour dissuader le défendeur spécifique d’enfreindre de nouveau les règles à l’avenir), et semble soutenir que seule cette dernière peut justifier un multiplicateur. Toutefois, ni la décision attaquée ni l’arrêt n’établissent une telle distinction. SDK n’est pas singularisée pour des raisons de dissuasion spécifique. La Commission a appliqué un multiplicateur à SDK et à un autre membre ayant participé à l’infraction afin d’exprimer le principe selon lequel des ressources financières différentes appellent des amendes différentes si l’on veut que ces dernières produisent un effet dissuasif équivalent.

54.   Les amendes, comme nous l’avons déjà mentionné, constituent un outil important entre les mains de la Commission pour l’application de la politique de la concurrence. L’amende n’a pas qu’un aspect rétributif, elle a également un aspect dissuasif. L’objectif sous-jacent est d’empêcher (toutes) les entreprises d’enfreindre à l’avenir les règles en matière de concurrence.

55.   Par conséquent, l’effet dissuasif de l’amende ne peut être évalué uniquement au regard de la situation particulière dans laquelle se trouve l’entreprise sanctionnée.

56.   Cela nous amène à la question des rapports entre la taille d’une société et la dissuasion.

57.   Il se peut que dans la théorie économique, pour atteindre une dissuasion optimale, le préjudice causé ou le gain obtenu sont les facteurs déterminants à prendre en considération, ainsi que les chances d’être pris. Cependant, force est de constater qu’en réalité la théorie économique de la dissuasion optimale est difficile à appliquer, tant pour les contrevenants que pour la Commission dans sa pratique quotidienne. Tout d’abord, le calcul de l’amende basé sur le «gain obtenu» ne peut avoir d’effet dissuasif que si ce gain peut être évalué avec une précision absolue. Or, la Commission ne dispose tout simplement pas des informations nécessaires pour calculer l’amende en fonction de ce critère. Il en va de même pour la probabilité de la découverte de l’infraction et de la poursuite de l’entreprise qui en est l’auteur. Comme l’a dit la Commission, il sera également extrêmement difficile au membre d’une entente d’exprimer en termes quantitatifs la probabilité que l’infraction soit découverte. Le calcul des bénéfices et des pertes (attendus) lorsqu’une entreprise envisage de se joindre à une entente ne peut être qu’approximatif.

58.   De plus, même si un calcul plus précis était possible, il ne peut constituer qu’un plancher en dessous duquel on peut être sûr que les amendes n’auront aucun effet dissuasif. Par conséquent, un ajustement à la hausse, une marge de sécurité, sera sans doute nécessaire afin d’éviter le risque d’une dissuasion insuffisante.

59.   En outre, la présente entente ne porte pas uniquement sur une fixation des prix, mais également sur un partage du marché et d’autres formes de collusion (voir point 13 de l’arrêt entrepris). Cela est de nature à compliquer encore davantage l’évaluation du bénéfice escompté et la détection de l’infraction.

60.   Accessoirement, relevons que les très rares décisions dans lesquelles la Commission s’est référée au «bénéfice obtenu» par le contrevenant mettent en lumière les difficultés que cela soulève. Au regard des lignes directrices, il paraît évident que le «bénéfice obtenu» n’est pas un élément du montant de départ. Selon les lignes directrices, la Commission peut le prendre en compte en tant que circonstance aggravante (la «nécessité de majorer la sanction afin de dépasser le montant des gains illicites réalisés grâce à l’infraction lorsqu’une telle estimation est objectivement possible» (12)) ou à titre de donnée à faire éventuellement entrer dans l’ajustement final du calcul de l’amende («l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction» (13)). Elle ne le fait pas lorsqu’elle fixe le montant de départ.

61.   En second lieu, la théorie à laquelle se réfère SDK (14) s’applique à un contrevenant unique; un seul contrevenant calculant les coûts, les bénéfices et le risque d’une amende ou d’autres sanctions. Comme l’a souligné la Commission lors de l’audience, cette théorie ne tient pas compte de la complexité du processus en cas d’infraction collective. La dynamique de groupe exige que l’on adopte une approche différente de la dissuasion. Par exemple, ne dissuader qu’un des acteurs (majeurs) du marché peut suffire à empêcher une entente de se faire. En outre, en cas d’infraction collective comme une entente, contrairement à ce qui se passe en cas d’infraction commise par un auteur unique, la Commission doit également prendre en considération les effets des amendes par la suite et la taille des différentes sociétés impliquées (15).

62.   En dernier lieu, en ce qui concerne l’argument selon lequel les sociétés de grande taille attachent tout autant d’importance à de petites sommes que les sociétés de petite taille, cela suppose, tout d’abord, une information et une rationalité parfaites. Ce sont des critères difficiles à remplir, tant pour un individu calculant le risque lié à une infraction que pour les entreprises impliquées dans une entente. De plus, on ne saurait nier qu’il y a une différence entre les petites sociétés et les grandes en ce sens qu’une amende de faible montant peut échapper à l’attention du conseil d’administration de la société mère du groupe, mais pas une amende d’un montant élevé. Une énorme amende est susceptible d’attirer l’attention du conseil d’administration et donc de stimuler le respect futur des règles de concurrence.

63.   Pour conclure, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 242 de l’arrêt, que, «en prétendant qu’une amende équitable ne peut viser qu’à compenser le préjudice causé au libre jeu de la concurrence et qu’il faut évaluer, à cet effet, la probabilité d’une découverte de l’entente ainsi que les profits escomptés par les membres de celle-ci, SDK invoque des paramètres hypothétiques et trop incertains pour une évaluation des ressources financières effectives d’une entreprise».

64.   Comme nous l’avons indiqué plus haut, il est de jurisprudence constante que la Commission peut prendre en considération la taille et la puissance économique d’une entreprise et que le chiffre d’affaires mondial peut donner une indication de la taille et des ressources globales des différentes entreprises prenant part à l’entente. Le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur en jugeant que, afin de donner à l’amende un effet suffisamment dissuasif, la Commission était en droit d’appliquer un multiplicateur.

65.   SDK fait également valoir qu’un multiplicateur n’est justifié qu’à la lumière de l’attitude réelle et prouvée de la société en cause. Elle n’avait pas la qualité de chef de file de l’entente, n’a pas exercé de pressions sur d’autres entreprises pour qu’elles participent à l’accord, n’avait aucune stratégie d’élimination d’une quelconque concurrence, n’a rien fait pour dissimuler les accords, etc. Ces arguments sont sans pertinence dans le contexte qui nous intéresse parce qu’une telle attitude sera prise en compte en tant que circonstance aggravante, à un stade ultérieur de la procédure de fixation de l’amende. Cela n’a aucune incidence sur l’évaluation de la gravité.

66.   En ce qui concerne la prétention de SDK, selon laquelle l’amende doit être augmentée tout d’abord en considération de la durée de l’infraction, de circonstances aggravantes ou de quoi que ce soit d’autre et que c’est seulement alors que l’amende peut être augmentée afin d’avoir un effet dissuasif suffisant, elle doit être rejetée en application de l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure. En effet, cette prétention ne faisait pas partie de l’objet du litige devant le Tribunal.

67.   Dans la quatrième branche du moyen, SDK soutient que le montant de l’augmentation de l’amende était disproportionné au regard de sa faible part de marché dans l’EEE. Elle fait en outre valoir qu’une analyse de l’amende de base ajustée révèle que l’amende infligée à la requérante est disproportionnée par rapport à celle infligée aux autres parties à l’accord.

68.   Comme l’indique la Commission également, cette assertion est fondée sur une comparaison avec les amendes ajustées infligées aux autres participants et avec le chiffre d’affaires annuel de SDK dans l’EEE. Ces comparaisons ne sont pas pertinentes. Les calculs présentés sont entièrement fondés sur le postulat erroné selon lequel la puissance économique de SDK aurait dû être évaluée sur la base de son chiffre d’affaires réalisé dans l’EEE sur le marché de produits en cause.

69.   À cet égard, comme l’a relevé le Tribunal, si la Commission avait calculé le montant de départ sur la base du faible chiffre d’affaires réalisé par SDK dans l’EEE pour le produit en cause, cela aurait récompensé les producteurs japonais, y compris SDK, de s’être conformés à l’un des principes fondamentaux de l’entente et d’avoir accepté de ne pas entrer en concurrence sur le marché de l’EEE, alors que leur comportement conforme à ce principe de l’entente a permis aux producteurs nationaux en Europe de fixer unilatéralement les prix dans l’EEE. Ce faisant, les requérantes japonaises, y compris SDK, ont entravé la concurrence sur le marché de l’EEE, peu importe leur chiffre d’affaires réel sur ce marché (16).

C –    Troisième moyen

70.   SDK soutient que c’est à tort que le Tribunal a jugé que la Commission pouvait, premièrement, se fonder sur le chiffre d’affaires mondial pour calculer l’amende de base et le facteur de dissuasion et, deuxièmement, ne pas prendre en compte le fait que SDK avait déjà fait l’objet de poursuites aux États-Unis, au Canada et au Japon et que ces pays lui avaient déjà infligé des amendes.

71.   Elle estime que, si le chiffre d’affaires mondial devait être retenu pour la dissuasion, une application cohérente imposerait la prise en compte des amendes et coûts devant être payés dans d’autres pays pour déterminer le montant du supplément d’amende communautaire requis pour une dissuasion adéquate. La dissuasion dépend du coût total du comportement illégal, qui comprend non seulement les amendes infligées dans l’EEE, mais aussi celles infligées ailleurs.

72.   En ignorant les amendes et dommages-intérêts que la requérante a été condamnée à payer aux États-Unis, et en basant dans le même temps le facteur de dissuasion sur le chiffre d’affaires mondial, le Tribunal a infligé une amende impliquant une double peine, disproportionnée par rapport à tout effet de dissuasion justifiable.

73.   La Commission affirme, pour sa part, qu’il n’y a eu aucune violation du principe ne bis in idem.

Appréciation

74.   Comme nous l’avons déjà expliqué dans nos conclusions dans l’affaire C‑308/04 P, précitée, les amendes infligées par les autorités d’États tiers ont pour objet de punir des violations de leur droit de la concurrence et les amendes infligées par la Commission sanctionnent des violations du droit communautaire de la concurrence. Il n’y a donc pas de compétence concurrente.

75.   Ainsi, la Commission n’est pas non plus tenue de prendre en compte les amendes déjà infligées dans des États tiers sous l’angle de l’élément dissuasif de l’amende.

D –    Quatrième moyen: les droits fondamentaux à un procès équitable

76.   SDK fait valoir que le Tribunal, au point 240 de l’arrêt entrepris, a rejeté à tort le moyen de SDK tenant à la violation du droit à être entendu par la Commission au sujet de l’intention de cette dernière de singulariser SDK et de lui appliquer un multiplicateur de dissuasion. Elle estime par ailleurs que le Tribunal n’a fourni ni motivation ni explication sur ce point.

77.   La Commission soutient que le Tribunal a bien respecté les droits de la défense de la requérante et qu’elle a dûment motivé l’application du multiplicateur à l’amende.

Appréciation

78.   Dans le point de l’arrêt entrepris auquel SDK se réfère, le Tribunal a rejeté son moyen parce que la Commission avait déclaré auparavant qu’elle entendait «fixer les amendes à un niveau suffisamment élevé pour avoir un effet dissuasif», que SDK «était à l’évidence au courant […] de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de son chiffre d’affaires global élevé et que SDK pouvait déduire de [la décision ABB du 21 octobre 1998], dans laquelle un multiplicateur précisément de 2,5 avait été appliqué à [ABB], qu’il n’était pas exclu que la Commission lui appliquerait également un multiplicateur de cet ordre». Le Tribunal en a conclu que rien n’aurait empêché SDK de se référer, lors de la procédure administrative, à sa taille et à ses ressources financières et de se prononcer sur l’effet dissuasif de la sanction que la Commission prendrait à son encontre.

79.   Selon nous, prendre en compte la dissuasion et, le cas échéant, appliquer un multiplicateur afin d’obtenir une amende ayant un effet suffisamment dissuasif ne saurait manifestement être considéré en soi comme une politique nouvelle. Le Tribunal s’est référé à juste titre au texte de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Cela comprend une référence implicite à la jurisprudence y afférente. Depuis l’arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, il est admis que la Commission est tenue d’adapter à tout moment le niveau des amendes aux besoins de la mise en œuvre des règles communautaires en matière de concurrence dans le respect des limites du règlement n° 17.

80.   Comme il appert de l’arrêt entrepris, SDK était consciente de ce que la Commission avait indiqué dans la communication des griefs qu’elle entendait fixer l’amende à un niveau suffisamment élevé pour avoir un effet dissuasif. Une telle indication est suffisante, puisqu’il aurait été inapproprié que la Commission donne des indications sur le montant précis de l’amende envisagée (17).

81.   De plus, les lignes directrices elles-mêmes soulignent l’importance de l’effet dissuasif de l’amende, comme le fait la jurisprudence des juridictions communautaires.

82.   Il résulte de ce qui précède que le Tribunal n’a pas violé les droits de la défense de SDK en rejetant son moyen.

VIII – Conclusion

83.   Par ces motifs, nous proposons à la Cour:

–       de rejeter le pourvoi et

–       de condamner Showa Denko KK aux dépens.


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – JO 2002, L 100, p. 1.


3 – JO 1962, 13, p. 204.


4 – Arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, points 105 et 106).


5 – Règlement du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1).


6 – Dans le cas de VAW également (VAW est un autre membre de l’entente), la Commission a considéré nécessaire d’ajuster l’amende à la hausse à des fins de dissuasion. VAW n’a pas formé de recours contre la décision attaquée.


7 – Voir points 247 à 249 de l’arrêt.


8 – Voir point 239 de l’arrêt entrepris.


9 – Arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, points 119 et 121.


10 – Arrêt du 14 juillet 1994 (T-77/92, Rec. p. II-549, point 94).


11 – Voir point 202 de l’arrêt entrepris.


12 – Point 2, cinquième tiret, des lignes directrices.


13 – Voir point 5, sous b), des lignes directrices.


14 – SDK invoque la théorie économique du crime élaborée par G. S. Becker.


15 – La Commission donne l’exemple d’une entente impliquant un acteur majeur et plusieurs petits acteurs sur le marché. L’acteur majeur coopère avec la Commission et bénéficie de l’immunité en vertu du programme de clémence. Dans un tel cas, des amendes très élevées auraient pu provoquer la disparition des petits acteurs, auquel cas l’intervention de la Commission aurait abouti à un monopole.


16 – Voir point 198 de l’arrêt entrepris.


17 – Arrêt du 9 novembre 1983, Michelin/Commission (322/81, Rec. p. 3461, point 19). Voir, également, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission.

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