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Document 62003TO0196

Ordonnance du Tribunal de première instance (troisième chambre) du 10 décembre 2004.
European Federation for Cosmetic Ingredients (EFfCI) contre Parlement européen et Conseil de l'Union européenne.
Irrecevabilité manifeste - Notion de requérant individuellement concerné - GEIE - Contrats en cours - Droits de propriété intellectuelle.
Affaire T-196/03.

Recueil de jurisprudence 2004 II-04263

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2004:355

Ordonnance du Tribunal

Affaire T-196/03


European Federation for Cosmetic Ingredients (EFfCI)
contre
Parlement européen et Conseil de l'Union européenne


« Irrecevabilité manifeste – Notion de requérant individuellement concerné – GEIE – Contrats en cours – Droits de propriété intellectuelle »

Ordonnance du Tribunal (troisième chambre) du 10 décembre 2004
    

Sommaire de l'ordonnance

1.
Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Acte normatif – Directive

(Art. 230, al. 4, CE et 249 CE)

2.
Recours en annulation – Recours introduit par un groupement européen d’intérêt économique – Recevabilité – Conditions

(Art. 230, al. 4, CE ; règlement du Conseil nº 2137/85)

3.
Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Directive concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques – Recours d’un groupement européen d’intérêt économique rassemblant des associations d’entreprises fabriquant des produits chimiques – Irrecevabilité

(Art. 230, al. 4, CE ; directive du Parlement européen et du Conseil 2003/15)

4.
Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Directive concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques – Acte susceptible de concerner directement et/ou individuellement certains opérateurs en raison de contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur – Conditions

(Art. 230, al. 4, CE ; directive du Parlement européen et du Conseil 2003/15)

5.
Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Recours introduit par une association d’entreprises ayant participé à la procédure d’adoption de l’acte – Recevabilité – Conditions

(Art. 230, al. 4, CE)

6.
Communautés européennes – Contrôle juridictionnel de la légalité des actes des institutions – Actes de portée générale – Obligation des juridictions nationales d’appliquer les règles procédurales nationales de manière à permettre la contestation de la légalité des actes communautaires de portée générale – Ouverture du recours en annulation devant le juge communautaire en cas d’obstacle insurmontable au niveau des règles procédurales nationales – Exclusion

(Art. 230, al. 4, CE)

1.
Si l’article 230, quatrième alinéa, CE ne traite pas expressément de la recevabilité des recours en annulation introduits par des particuliers à l’encontre d’une directive, cette seule circonstance ne suffit pas pour déclarer irrecevables de tels recours. En outre, les institutions communautaires ne sauraient, par le seul choix de la forme de l’acte en cause, exclure la protection juridictionnelle qu’offre aux particuliers cette disposition du traité. Dès lors, le fait que l’acte attaqué a, par sa nature, une portée générale et qu’il ne constitue pas une décision au sens de l’article 249 CE ne suffit pas, en soi, à exclure la possibilité pour un particulier d’introduire un recours en annulation contre celui-ci.

(cf. points 34, 37)

2.
La recevabilité d’un recours en annulation d’une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs d’une catégorie de justiciables dépend, sauf intérêt propre à agir, du point de savoir si les membres d’une telle association auraient pu introduire ce recours à titre individuel. Cette solution s’impose également dans le cas d’un groupement européen d’intérêt économique (GEIE) qui, au sens de l’article 3 du règlement nº 2137/85, relatif à l’institution d’un GEIE, a seulement pour but de faciliter ou de développer l’activité économique de ses membres, afin de permettre à ceux-ci d’accroître leurs propres résultats, de sorte qu’il n’est que leur auxiliaire.

(cf. point 43)

3.
Est irrecevable le recours en annulation d’un groupement européen d’intérêt économique rassemblant deux associations d’entreprises fabriquant des produits chimiques à l’encontre de la directive 2003/15, modifiant la directive 76/768 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques.

En effet, les effets néfastes que les interdictions instaurées par ladite directive et l’étiquetage que celle-ci autorise quant à l’absence d’expérimentation animale auraient sur la position concurrentielle des entreprises représentées par les associations en cause ne les caractérisent pas par rapport aux autres entreprises qui ne fournissent pas le secteur des cosmétiques, ou qui se limitent à ce marché mais ne testent pas leurs ingrédients sur des animaux, ou n’emploient pas des substances classées comme cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. À cet égard, il ne suffit pas que certains opérateurs soient économiquement plus touchés par un acte de portée générale que leurs concurrents pour qu’ils soient individuellement concernés par celui-ci.

Par ailleurs, la circonstance que les mêmes entreprises seraient, dans certains pays, les principales entreprises du secteur ne permet pas de déduire qu’elles appartiendraient à un cercle d’opérateurs économiques individualisés et identifiables en fonction de critères se rapportant aux produits en cause ou aux activités économiques déployées, dès lors qu’une activité commerciale est a priori susceptible d’être exercée par n’importe quelle entreprise, actuellement ou potentiellement susceptible de se trouver dans une situation identique à celles-ci.

De même, l’existence d’une protection juridique, tel qu’un brevet, du savoir-faire et des secrets d’affaires des entreprises représentées par les associations membres du groupement requérant n’est pas de nature à caractériser celles-ci par rapport à tous les autres fabricants de produits chimiques concernés par la directive 2003/15. D’une part, ceux-ci peuvent tout autant invoquer ladite protection à leur profit, la fabrication et la commercialisation de produits intervenant fréquemment sous le couvert de droits de propriété intellectuelle. D’autre part, si chaque brevet identifie le produit qu’il protège, ladite directive n’entrave pas l’usage d’un brevet spécifique, de sorte que l’affectation éventuelle de droits de propriété intellectuelle ne résulte que de la circonstance, impersonnelle, de produire des substances à l’usage de l’industrie cosmétique.

(cf. points 46-47, 49, 57)

4.
Pour que l’allégation d’engagements contractuels conduise à la recevabilité d’un recours en annulation à l’encontre d’un acte normatif, tel que la directive 2003/15, modifiant la directive 76/768 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques, en vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE, il faut, en premier lieu, qu’une disposition de droit supérieur à l’acte en cause ait imposé aux institutions de prendre en considération la situation des entreprises requérantes de façon spécifique par rapport à celle de toute autre personne concernée par cet acte. En second lieu, il faut que lesdites entreprises soient titulaires de contrats déjà conclus et dont l’exécution, prévue pendant la période d’application de l’acte attaqué, soit empêchée en tout ou en partie.

(cf. point 53)

5.
Si le fait qu’une association d’entreprises a joué un rôle dans une procédure ayant conduit à l’adoption d’un acte de portée générale peut justifier la recevabilité d’un recours en annulation introduit par ladite association à l’encontre d’un tel acte, alors même que les entreprises membres de cette association ne sont pas directement et individuellement concernées par celui-ci, le fait d’avoir participé volontairement à la préparation d’un acte de nature législative, dans le cadre d’une procédure qui ne prévoit pas d’intervention des particuliers, ne peut, contrairement à la participation à une procédure prévoyant une telle intervention, ouvrir un droit de recours à l’encontre de cet acte.

(cf. points 63-65)

6.
Outre qu’il incombe aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d’assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective et de combler les éventuelles lacunes des traités à cet égard, une interprétation des règles de recevabilité énoncées à l’article 230 CE, selon laquelle le recours en annulation devrait être déclaré recevable lorsqu’il est démontré, après un examen concret par le juge communautaire des règles procédurales nationales, que celles-ci n’autorisent pas un particulier à introduire un recours lui permettant de mettre en cause la validité de l’acte communautaire contesté, n’est pas admissible. En effet, un tel régime exigerait dans chaque cas concret que le juge communautaire examine et interprète le droit procédural national, ce qui excéderait sa compétence dans le cadre du contrôle de la légalité des actes communautaires.

(cf. point 70)




ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)
10 décembre 2004(1)

« Irrecevabilité manifeste  – Notion de requérant individuellement concerné – GEIE – Contrats en cours – Droits de propriété intellectuelle »

Dans l'affaire T-196/03,

European Federation for Cosmetic Ingredients (EFfCI), établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes K. Van Maldegem et C. Mereu, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. J. L. Rufas Quintana, M. Moore et K. Bradley, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg, etConseil de l'Union européenne, représenté par Mmes E. Karlsson et M. C. Giorgi Fort, en qualité d'agents,

parties défenderesses,

ayant pour objet l'annulation de :

l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/15/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 février 2003, modifiant la directive 76/768/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques (JO L 66, p. 26), en ce qu'il introduit dans la directive 76/768 un nouvel article 4 bis, paragraphes 2 et 2.1, et un nouvel article 4 ter,

l'article 1er, paragraphe 5, de la directive 2003/15, en ce qu'il insère un nouvel alinéa à l'article 6, paragraphe 3, de la directive 76/768,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),



composé de M. J. Azizi, président, MM. M. Jaeger et F. Dehousse, juges,

greffier : M. H. Jung,

rend la présente



Ordonnance




Cadre juridique, factuel et procédural

1
Avant l’adoption de l’acte attaqué, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 76/768/CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques (JO L 262, p. 169),

avait été complété par la directive 93/35/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, modifiant, pour la sixième fois, la directive 76/768 (JO L 151, p. 32), qui y avait inséré un point i),

ce dernier ayant lui-même été modifié en dernier lieu par la directive 2000/41/CE de la Commission, du 19 juin 2000, reportant pour la seconde fois la date à partir de laquelle des expérimentations sur des animaux sont interdites pour des ingrédients ou des combinaisons d’ingrédients de produits cosmétiques (JO L 145, p. 25).

L’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 76/768 était en conséquence rédigé comme suit :

« Sans préjudice de leurs obligations générales découlant de l’article 2, les États membres interdisent la mise sur le marché des produits cosmétiques contenant :

[...]

i) des ingrédients ou combinaisons d’ingrédients expérimentés sur des animaux à partir du 30 juin 2002, afin de respecter les exigences de la présente directive. »

2
Toujours à la veille de l’adoption de l’acte attaqué, la directive 76/768

avait été complétée d’un article 6, paragraphe 3, par l’article 1er de la directive 88/667/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, portant quatrième modification de la directive 76/768 (JO L 382, p. 46),

ce dernier article avait été complété par l’article 1er, point 9, de la directive 93/35.

En conséquence, l’article 6, paragraphe 3, de la directive 76/768 disposait :

« Les États membres prennent toute disposition utile pour que dans l’étiquetage, la présentation à la vente et la publication concernant les produits cosmétiques, le texte, les dénominations, marques, images ou autres signes figuratifs ou non ne soient pas utilisés pour attribuer à ces produits des caractéristiques qu’ils ne possèdent pas. En outre, toute référence à des expérimentations sur des animaux doit indiquer clairement si les expérimentations effectuées concernaient le produit fini et/ou ses ingrédients. »

3
Le 27 février 2003, le Parlement européen et le Conseil ont adopté la directive 2003/15/CE modifiant la directive 76/768 (JO L 66, p. 26).

4
L’article 1er de la directive 2003/15 prévoit :

« La directive 76/768/CEE est modifiée comme suit :

[...]

2) Les articles suivants sont insérés :

‘Article 4 bis

1. Sans préjudice des obligations générales découlant de l’article 2, les États membres interdisent :

a)
la mise sur le marché des produits cosmétiques dont la formulation finale, afin de satisfaire aux exigences de la présente directive, a fait l’objet d’une expérimentation animale au moyen d’une méthode autre qu’une méthode alternative après que cette méthode alternative a été validée et adoptée au niveau communautaire, en tenant dûment compte de l’évolution de la validation au sein de l’OCDE ;

b)
la mise sur le marché de produits cosmétiques contenant des ingrédients ou des combinaisons d’ingrédients qui, afin de satisfaire aux exigences de la présente directive, ont fait l’objet d’une expérimentation animale au moyen d’une méthode autre qu’une méthode alternative après que cette méthode alternative a été validée et adoptée au niveau communautaire, en tenant dûment compte de l’évolution de la validation au sein de l’OCDE ;

c)
la réalisation, sur leur territoire, d’expérimentations animales portant sur des produits cosmétiques finis afin de satisfaire aux exigences de la présente directive ;

d)
la réalisation, sur leur territoire, d’expérimentations animales portant sur des ingrédients ou combinaisons d’ingrédients afin de satisfaire aux exigences de la présente directive, au plus tard à la date à laquelle de telles expérimentations doivent être remplacées par une ou plusieurs méthodes alternatives validées figurant à l’annexe V de la directive 67/548/CEE du Conseil, du 27 juin 1967, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses ou à l’annexe IX de la présente directive.

Au plus tard le 11 septembre 2004, la Commission établit le contenu de l’annexe IX, conformément à la procédure visée à l’article 10, paragraphe 2, et après consultation du comité scientifique des produits cosmétiques et des produits non alimentaires destinés aux consommateurs (SCCNFP).

2. La Commission, après consultation du SCCNFP et du Centre européen pour la validation de méthodes alternatives (ECVAM) et en tenant dûment compte de l’évolution de la validation au sein de l’OCDE, établit des échéanciers pour l’application des dispositions énoncées au paragraphe 1, points a), b) et d), y compris des dates limites pour l’élimination progressive des différentes expérimentations. Les échéanciers sont mis à la disposition du public au plus tard le 11 septembre 2004 et adressés au Parlement européen et au Conseil. La période d’application pour ce qui est du paragraphe 1, [sous] a), b) et d), est limitée à un maximum de six années à compter de l’entrée en vigueur de la directive 2003/15/CE.

2.1. En ce qui concerne les expérimentations concernant la toxicité des doses répétées, la toxicité pour la reproduction et la toxicocinétique, pour lesquelles il n’existe pas encore de méthodes alternatives à l’étude, la période d’application pour ce qui est du paragraphe 1, points a) et b), est limitée à un maximum de dix années à compter de l’entrée en vigueur de la directive 2003/15.

[...]

Article 4 ter

L’utilisation, dans les produits cosmétiques, de substances classées comme cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, de catégories 1, 2 et 3, à l’annexe I de la directive 67/548/CEE est interdite. À cet effet, la Commission adopte les mesures nécessaires conformément à la procédure visée à l’article 10, paragraphe 2. Une substance classée dans la catégorie 3 peut être utilisée dans des cosmétiques si elle a été évaluée par le SCCNFP et que celui-ci l’a jugée propre à l’utilisation dans les cosmétiques.’

[...]

5) À l’article 6, paragraphe 3, la dernière phrase est supprimée et l’alinéa suivant est ajouté :

‘En outre, le fabricant ou le responsable de la mise sur le marché communautaire du produit cosmétique peut signaler, sur l’emballage du produit, ou sur tout document, notice, étiquette, bande ou carte accompagnant ce produit ou s’y référant, l’absence d’expérimentations réalisées sur des animaux que si le fabricant et ses fournisseurs n’ont pas effectué ou commandité de telles expérimentations pour le produit fini, ou son prototype, ou les ingrédients le composant, et n’ont utilisé aucun ingrédient ayant été testé par d’autres sur des animaux en vue du développement de nouveaux produits cosmétiques. Des lignes directrices sont adoptées conformément à la procédure visée à l’article 10, paragraphe 2, et sont publiées au Journal officiel de l’Union européenne. Le Parlement européen reçoit des copies du projet de mesures présenté au comité.’

[...] »

5
Le requérant est un groupement européen d’intérêt économique (GEIE) qui rassemble deux associations d’entreprises fabriquant des produits chimiques.

6
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 juin 2003, le requérant a introduit le présent recours en annulation partielle de la directive 2003/15.

7
Par actes séparés déposés respectivement au greffe du Tribunal les 17 juillet et 14 août 2003, les parties défenderesses ont soulevé deux exceptions d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. Le requérant a déposé ses observations sur ces exceptions le 29 septembre 2003.


Conclusions des parties

8
La partie requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours recevable et fondé ou, subsidiairement, joindre au fond les questions de recevabilité ;

annuler l’article 1er de la directive 2003/15 en ce qu’il insère dans la directive 76/768 l’article 4 bis, paragraphes 2 et 2.1, et l’article 4 ter ainsi qu’un nouvel alinéa à l’article 6, paragraphe 3 ;

condamner les parties défenderesses aux dépens.

9
Le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme irrecevable ;

condamner la partie requérante aux dépens.


Sur la procédure

1. S’agissant de la jonction au fond des exceptions d’irrecevabilité

Arguments des parties

10
Le Conseil et le Parlement demandent que, en application de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Tribunal statue sur la recevabilité du recours sans engager le débat au fond.

11
En revanche, le groupement requérant demande au Tribunal « d’examiner le fond avant de statuer sur la recevabilité ou, subsidiairement, de joindre toute décision au fond ». L’European Federation for Cosmetic Ingredients (EFfCI) soutient que « la présente affaire touche une branche extrêmement complexe du droit dans laquelle [sa] situation juridique [...] est étroitement liée aux questions de fond sous-jacentes ». Cette complexité serait attestée par la description erronée des moyens invoqués à l’appui de la requête que le Parlement aurait faite dans son exception d’irrecevabilité. Le Tribunal devrait en conséquence examiner le fond « avant ou en même temps que la question de recevabilité ». L’EFfCI ajoute que cette possibilité est expressément prévue par l’article 114, paragraphe 4, du règlement de procédure. Elle serait au demeurant illustrée par l’arrêt du Tribunal du 1er décembre 1999, Boehringer/Conseil et Commission (T‑125/96 et T‑152/96, Rec. p. II‑3427).

Appréciation du Tribunal

12
Selon l’article 114, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal a le choix de statuer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par une partie conformément à l’article 114, paragraphe 1, ou de la joindre au fond.

13
Il résulte de l’arrêt de la Cour du 26 février 2002, Conseil/Boehringer (C‑23/00 P, Rec. p. I‑1873, point 52), qu’il appartient au Tribunal d’apprécier ce que commande une bonne administration de la justice dans les circonstances de la cause. Ainsi, le Tribunal a-t-il pu, dans cette affaire, choisir exceptionnellement d’examiner la légalité d’un des actes attaqués avant la recevabilité du premier des deux recours joints, par souci d’économie de procédure (arrêt Boehringer/Conseil et Commission, point 11 supra).

14
Une telle économie de procédure n’apparaît pas envisageable en l’espèce. L’argument de l’EFfCI selon lequel le recours soulèverait des questions de droit extrêmement complexes invite au contraire à éviter un examen du fond, si l’éventuelle irrecevabilité du recours le permettait. Il n’y a pas lieu de retenir, à cet égard, l’argument tiré de ce que cette complexité et l’impossibilité de statuer immédiatement sur l’irrecevabilité du recours ressortiraient de la mauvaise compréhension, par le Parlement, des moyens de la requête. Le Parlement ne déduit pas les exceptions d’irrecevabilité qu’il soulève de la manière selon laquelle il a compris ces moyens, de sorte que, fût-elle erronée, sa manière de les appréhender ne rend pas indispensable la jonction au fond.

15
La prétention de l’EFfCI ne saurait, dans ces conditions, être accueillie. Le recours en annulation ne peut en effet être dénaturé en une simple consultation juridique sur la légalité de la directive contestée, sans détourner la finalité de l’article 230 CE.

16
Par conséquent, il y a lieu de statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond, conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure.

17
Par ailleurs, conformément à l’article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par l’examen des pièces du dossier pour statuer sur les demandes présentées par les parties défenderesses sans ouvrir la procédure orale.

2. Sur la demande de confidentialité

18
Le 29 septembre 2003, l’EFfCI a demandé, en application de l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure, le bénéfice de la confidentialité pour certaines pièces.

19
Il ressort de cette disposition qu’une demande de confidentialité est liée à une intervention. À défaut d’intervention en l’espèce, la demande est prématurée. Dès lors, il n’y a pas lieu de se prononcer sur ce point.


Sur l’irrecevabilité du recours

1. Arguments des parties

20
Les parties défenderesses considèrent que le recours est irrecevable, au motif que le requérant n’est pas individuellement concerné, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, par les dispositions litigieuses.

21
On ne saurait déduire, selon elles, que le groupement requérant est individuellement concerné du fait que les entreprises qu’il représente sont économiquement plus touchées que d’autres par l’acte attaqué, dès lors que cet acte ne les atteint pas en raison de certaines qualités qui leur sont particulières.

22
Par ailleurs, les parties défenderesses font valoir que, dans son arrêt du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil (C‑309/89, Rec. p. I‑1853), la Cour n’a pas déduit qu’une personne était « individuellement concernée » du seul fait que ses droits de propriété intellectuelle étaient affectés par la mesure litigieuse. Elle aurait plutôt déduit la recevabilité du recours de ce que la société Codorniu était confrontée à une réglementation réservant le terme « crémant » à certains viticulteurs français et luxembourgeois, c’est-à-dire à un cercle de producteurs bien déterminé, alors que ce même terme constituait sa marque déposée. En revanche, le fait que l’EFfCI représenterait et défendrait les intérêts d’un grand nombre de sociétés qui détiennent des brevets pour commercialiser des substances entrant dans la fabrication de produits cosmétiques ne serait pas suffisamment distinctif. La formulation de la plupart des produits cosmétiques se ferait, en effet, sous le couvert des droits de propriété intellectuelle.

23
De surcroît, considérer que le fait de représenter tout un secteur permet de remplir la condition d’être individuellement concerné viderait cette condition de tout son sens.

24
Selon les défenderesses, il ressort enfin de la jurisprudence qu’il revient aux États membres d’assurer, dans la mise en œuvre des dispositions communautaires, la protection juridictionnelle complète et effective à laquelle le requérant peut prétendre.

25
En revanche, l’EFfCI soutient qu’elle est individuellement concernée par rapport à tout autre opérateur économique, parce que les activités commerciales des fabricants d’ingrédients entrant dans la composition de cosmétiques se ressentiraient singulièrement de l’interdiction de mettre sur le marché les produits cosmétiques expérimentés sur les animaux ou contenant des substances classées comme cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (ci-après « CMR »).

26
L’EFfCI expose que les dispositions attaquées interdiront, d’une part, l’expérimentation animale de substances chimiques entrant dans la fabrication de produits cosmétiques et, d’autre part, toute commercialisation de produits cosmétiques finis ou de substances entrant dans leur composition qui auraient été testées de cette manière. Ces interdictions s’appliqueraient, alors même que les expérimentations animales auraient été réalisées pour satisfaire à d’autres réglementations. Selon l’EFfCI, elles affectent sa situation concurrentielle en ce que les sociétés qu’elle représente sont désavantagées par rapport à d’autres entreprises n’opérant pas dans le secteur des cosmétiques ou par rapport à d’autres, mettant sur le marché des ingrédients utilisés uniquement dans cette industrie, mais qui ne sont pas testés sur des animaux. Le désavantage viendrait de ce que les entreprises que l’EFfCI regroupe ont des activités diversifiées. Elles devraient, dès lors, se conformer également à d’autres exigences réglementaires qui imposent la réalisation d’expérimentations animales. L’impact de ces interdictions est d’autant plus important, précise la requérante, que l’innovation est indispensable au maintien des positions concurrentielles des entreprises cosmétiques. Celles-ci auraient ainsi constamment besoin de nouvelles substances chimiques « qui, pour les besoins de la directive sur les substances dangereuses, doivent être soumises à des expérimentations animales approfondies ».

27
L’EFfCI fait ensuite valoir que « la [deuxième] mesure attaquée a un effet manifeste sur [sa] situation juridique [...] en ce qu’elle ne sera plus en mesure d’utiliser des substances classées CMR des catégories 1, 2 ou 3 et entrant dans la composition des produits cosmétiques. Ici aussi les sociétés membres […] fabrique[raient] et fourni[raient] actuellement à l’industrie cosmétique des substances chimiques relevant de ces catégories ».

28
Selon l’EFfCI, les sociétés qu’elle regroupe seraient affectées par la troisième mesure attaquée, en ce qu’elle autorise les fabricants de produits cosmétiques à utiliser une étiquette indiquant qu’aucune expérimentation animale n’a été réalisée lors de l’élaboration du produit cosmétique et des ingrédients qu’il contient. Étant donné que les substances chimiques ont presque toutes été expérimentées sur des animaux et que des méthodes alternatives ne seront pas disponibles avant de nombreuses années, l’EFfCI prétend que, à dater de l’entrée en vigueur de la directive attaquée, les sociétés dont elle défend les intérêts ne pourront que rarement se prévaloir de l’absence de telles expérimentations. Les entreprises en question seraient ainsi défavorisées par rapport à d’autres opérateurs économiques en mesure de tirer parti d’une telle indication. Elles subiraient, de surcroît, « un désavantage concurrentiel par rapport à d’autres fabricants de cosmétiques qui feront usage d’une étiquette trompeuse indiquant qu’aucune expérimentation animale n’a été effectuée ».

29
L’EFfCI soutient encore que les sociétés qu’elle regroupe sont individualisées par les brevets dont elles sont titulaires. Ces brevets leur confèrent en effet, selon elle, l’exclusivité de l’utilisation et de la mise sur le marché des produits qu’ils couvrent. Ce droit, prétend la requérante, est assuré d’une protection spéciale, analogue à celle prise en considération par la Cour dans son arrêt du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission (53/85, Rec. p. 1965). Or, la directive en cause aurait des répercussions négatives sur les avantages que les fabricants peuvent en tirer. Se référant à l’arrêt Codorniu/Conseil, point 22 supra, l’EFfCI insiste sur la circonstance que le droit de commercialiser à titre exclusif des produits résultant d’inventions antérieures à l’adoption de la directive en cause est identique au droit que la société Codorniu détenait du fait de l’enregistrement de la marque « crémant », et qui a valu à son recours d’être jugé recevable.

30
Le groupement requérant soutient également que, dans certains cas, les sociétés dont il représente les intérêts sont obligées de rompre des engagements contractuels préalablement conclus avec des clients, ce qui entraîne de lourdes pertes pour les parties à ces contrats en termes de confiance mutuelle et de parts de marché.

31
Le groupement requérant se prévaut par ailleurs du fait qu’il a « pris part à la procédure administrative en fournissant des données scientifiques et en présentant ses commentaires tout au long de la procédure d’adoption » de la directive en cause. Il tirerait également une protection particulière de l’article 13 de la directive 76/768, lequel exige que les parties intéressées soient informées de la motivation précise « de tout acte individuel, pris en application de [cette directive], portant restriction ou interdiction à la mise sur le marché des produits cosmétiques ».

32
Enfin, le groupement requérant fait valoir que « sa capacité [...] à protéger ses droits de propriété intellectuelle (brevet) et sa capacité à défendre ses produits selon la réglementation communautaire existante (droits de la défense) est un principe supérieur de droit qui doit être respecté en toute circonstance lorsque des droits et libertés individuels sont en jeu ». Ce principe de droit, poursuit-il, « s’inspire des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [(CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950] ».

2. Appréciation du Tribunal

Généralités

33
Aux termes de l’article 230, quatrième alinéa, CE, « [t]oute personne physique ou morale peut former [...] un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement ».

34
Si l’article 230, quatrième alinéa, CE ne traite pas expressément de la recevabilité des recours en annulation introduits par des particuliers à l’encontre d’une directive, il ressort néanmoins de la jurisprudence que cette seule circonstance ne suffit pas pour déclarer irrecevables de tels recours (arrêt du Tribunal du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T‑135/96, Rec. p. II‑2335, point 63 ; ordonnances du Tribunal du 10 septembre 2002, Japan Tobacco et JT International/Parlement et Conseil, T‑223/01, Rec. p. II‑3259, point 28, et du 6 mai 2003, Vannieuwenhuyze-Morin/Parlement et Conseil, T‑321/02, Rec. p. II‑1997, point 21). En outre, les institutions communautaires ne sauraient, par le seul choix de la forme de l’acte en cause, exclure la protection juridictionnelle qu’offre aux particuliers cette disposition du traité (ordonnances du Tribunal du 14 janvier 2002, Association contre l’heure d’été/Parlement et Conseil, T‑84/01, Rec. p. II‑99, point 23, Japan Tobacco et JT International/Parlement et Conseil, précitée, point 28, et Vannieuwenhuyze-Morin/Parlement et Conseil, précitée, point 21). Il convient donc de vérifier si la directive en cause ne concerne pas « directement et individuellement » le groupement requérant, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

35
Compte tenu du caractère cumulatif de ces deux conditions, le Tribunal considère qu’il convient d’examiner d’abord si le groupement requérant est individuellement concerné, puisque, dans l’hypothèse où il ne le serait pas, il deviendrait superflu de rechercher s’il est affecté d’une façon directe par la directive en cause.

Sur la condition tenant à ce que le requérant soit individuellement concerné

36
En l’espèce, il n’est pas contesté que les articles 4 bis, 4 ter et l’article 6, paragraphe 3, deuxième alinéa, insérés dans la directive 76/768 par les dispositions litigieuses, sont énoncés de manière générale. Ces dispositions s’appliquent à des situations déterminées objectivement et comportent des effets juridiques à l’égard des entreprises produisant des substances utilisées dans la fabrication de cosmétiques, c’est-à-dire à l’égard d’une catégorie de personnes morales envisagée de manière générale et abstraite.

37
Toutefois, le fait que l’acte attaqué a, par sa nature, une portée générale et qu’il ne constitue pas une décision au sens de l’article 249 CE ne suffit pas, en soi, à exclure la possibilité pour un particulier d’introduire un recours en annulation contre celui-ci (arrêts de la Cour Codorniu/Conseil, point 22 supra, point 19, et du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills/Conseil, C‑451/98, Rec. p. I‑8949, point 49 ; ordonnances du Tribunal Japan Tobacco et JT International/Parlement et Conseil, point 34 supra, point 29, et du 21 mars 2003, Établissements Toulorge/Parlement et Conseil, T‑167/02, Rec. p. II‑1111, point 26).

38
En effet, dans certaines circonstances, même un acte normatif s’appliquant à la généralité des opérateurs économiques intéressés peut concerner individuellement certains d’entre eux, revêtant dès lors le caractère d’une décision à leur égard (arrêts de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C‑358/89, Rec. p. I‑2501, point 13, et Codorniu/Consei1, point 22 supra, point 19 ; ordonnance Japan Tobacco et JT International/Parlement et Conseil, point 34 supra, point 29). Il en va ainsi lorsque l’acte en question les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission CEE, 25/62, Rec. p. 197, et du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré, C‑263/02 P, non encore publié au Recueil, point 45).

39
Il y a donc lieu de vérifier si, en l’espèce, les éléments du dossier permettent de considérer que ces conditions sont réunies.

40
La question se pose en premier lieu de savoir quelle est l’incidence que peut avoir sur la recevabilité du recours la nature de GEIE de l’EFfCI.

41
Il résulte d’une jurisprudence établie de la Cour que l’on ne saurait accepter le principe selon lequel une association, en sa qualité de représentante d’une catégorie d’opérateurs, serait concernée individuellement par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie (arrêts de la Cour du 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e.a./Conseil, 16/62 et 17/62, Rec. p. 901 ; du 18 mars 1975, Union syndicale e.a./Conseil, 72/74, Rec. p. 401 ; du 28 octobre 1982, Groupement des agences de voyages/Commission, 135/81, Rec. p. 3799 ; du 10 juillet 1986, DEFI/Commission, 282/85, Rec. p. 2469 ; ordonnance de la Cour du 5 novembre 1986, UFADE/Conseil et Commission, 117/86, Rec. p. 3255 ; ordonnance du Tribunal du 28 octobre 1993, FRSEA et FNSEA/Conseil, T‑476/93, Rec. p. II‑1187, point 25, et arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T‑447/93 à T‑449/93, Rec. p. II‑1971, point 54).

42
Néanmoins, la recevabilité des recours introduits par une association peut être admise dans trois types de situations au moins :

lorsqu’une disposition légale reconnaît expressément aux associations professionnelles une série de facultés à caractère procédural ;

lorsque l’association représente les intérêts d’entreprises qui, elles, seraient recevables à agir ;

lorsque l’association est individualisée en raison de l’affectation de ses intérêts propres en tant qu’association notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée (ordonnance du Tribunal du 23 novembre 1999, UPA/Conseil, T‑173/98, Rec. p. II‑3357, point 47).

43
Il s’ensuit que la recevabilité d’un recours en annulation d’une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs d’une catégorie de justiciables dépend, sauf intérêt propre à agir, du point de savoir si ses membres auraient pu introduire ce recours à titre individuel. Cette solution s’impose également dans le cas d’un GEIE. Il ressort en effet de l’article 3 du règlement (CEE) n° 2137/85 du Conseil, du 25 juillet 1985, relatif à l’institution d’un GEIE (JO L 199, p. 1), qu’un tel groupement a seulement pour but de faciliter ou de développer l’activité économique de ses membres, pour permettre à ceux-ci d’accroître leurs propres résultats, de sorte qu’il n’est que leur auxiliaire.

44
Il convient donc d’examiner si les composantes du groupement requérant sont individuellement concernées par l’acte attaqué.

45
Le Tribunal relève à cet égard que les membres du groupement requérant sont eux-mêmes des associations d’entreprises. En conséquence, la question de savoir si ces associations auraient été recevables à introduire le présent recours dépend à son tour, et conformément à la jurisprudence rappelée au point 42, de circonstances particulières ou du point de savoir si les entreprises les composant sont individuellement concernées par l’acte attaqué.

Sur le point de savoir si les entreprises du secteur sont individuellement concernées

– Impact de la directive en cause sur la position concurrentielle des entreprises du secteur

46
L’EFfCI fait valoir les effets néfastes que les interdictions instaurées par la directive 2003/15 et l’étiquetage que celle-ci autorise quant à l’absence d’expérimentation animale auraient sur la position concurrentielle des entreprises représentées par les deux associations que l’EFfCI regroupe.

47
Or, ceux-ci ne les caractérisent pas par rapport aux autres entreprises qui ne fournissent pas le secteur des cosmétiques, ou qui se limitent à ce marché mais ne testent pas leurs ingrédients sur des animaux, ou n’emploient pas des substances CMR. En effet, il ne suffit pas que certains opérateurs soient économiquement plus touchés par un acte que leurs concurrents pour qu’ils soient individuellement concernés par celui-ci (ordonnance du Tribunal du 15 septembre 1999, Van Parys e.a./Commission, T‑11/99, Rec. p. II‑2653, points 50 et 51).

48
De plus, les entreprises en question ne seraient affectées qu’en raison de leur qualité objective de sociétés produisant des substances utilisées tant par les entreprises de cosmétiques que par d’autres, au même titre que tout autre opérateur se trouvant dans une situation identique dans la Communauté européenne (voir, en ce sens, ordonnances du Tribunal du 25 juin 1998, Sofivo e.a./Conseil, T‑14/97 et T‑15/97, Rec. p. II‑2601, point 37, et du 15 janvier 2004, Valenergol/Conseil, T‑393/03, non publiée au Recueil, point 19).

49
Par ailleurs, la circonstance que les entreprises intéressées seraient, dans certains pays, les principales entreprises du secteur ne permet pas de déduire qu’elles appartiendraient à un cercle d’opérateurs économiques individualisés et identifiables en fonction de critères se rapportant aux produits en cause ou aux activités économiques déployées. En effet, une activité commerciale est a priori susceptible d’être exercée par n’importe quelle entreprise, actuellement ou potentiellement susceptible de se trouver dans une situation identique à celles-ci (arrêt de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207, points 12 à 14).

50
Enfin, le Tribunal ne saurait prendre en considération la circonstance que les entreprises membres des associations représentées par le groupement requérant subiraient un désavantage concurrentiel du fait qu’elles pourraient être confrontées à d’autres fabricants de cosmétiques faisant usage d’une « étiquette trompeuse ». Cette argumentation repose sur une simple hypothèse non étayée selon laquelle des opérateurs ne respecteraient pas leurs obligations légales. Même à supposer qu’une telle hypothèse puisse se produire, cela ne dispenserait pas le groupement requérant de se conformer aux conditions de recevabilité fixées par l’article 230, quatrième alinéa, CE.

51
Il convient par conséquent de vérifier s’il n’existe pas, en l’espèce, d’autres circonstances qui caractériseraient les entreprises membres de l’EFfCI.

– Existence d’engagements contractuels

52
Faisant référence aux arrêts de la Cour Piraiki-Patraiki e.a./Commission, point 49 supra, et du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission (C‑152/88, Rec. p. I‑2477), le groupement requérant suggère que l’interdiction des expérimentations animales et des substances CMR contraindrait les entreprises membres des associations qu’il défend à rompre des engagements contractuels préalablement conclus avec des clients, au risque de subir un préjudice économique considérable.

53
Toutefois, comme l’a déjà relevé le Tribunal dans son ordonnance Établissements Toulorge/Parlement et Conseil, point 37 supra (point 64), la Cour avait vérifié, dans chacune de ces affaires, si la preuve avait été rapportée de l’existence de certaines qualités particulières ou d’une situation de fait caractérisant les parties requérantes par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualisant d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait. Plus précisément, il résulte de ces arrêts et de l’arrêt de la Cour du 10 avril 2003, Commission/Nederlandse Antillen (C‑142/00 P, Rec. p. I‑3483), que la réunion de deux conditions cumulatives est nécessaire pour que l’allégation d’engagements contractuels conduise à la recevabilité d’un recours en annulation. Il faut, en premier lieu, qu’une disposition de droit supérieur à l’acte normatif en cause ait imposé aux institutions de prendre en considération la situation des parties requérantes de façon spécifique par rapport à celle de toute autre personne concernée par cet acte. Il faut, en second lieu, que les entreprises requérantes soient titulaires de contrats déjà conclus et dont l’exécution, prévue pendant la période d’application de la mesure litigieuse, soit empêchée en tout ou en partie.

54
Or, en l’espèce, le groupement requérant, premièrement, ne mentionne pas de disposition ayant une force obligatoire supérieure à la directive en cause, qui aurait dû contraindre le Parlement et le Conseil à tenir compte des répercussions négatives que celle-ci risquait d’avoir sur la situation économique des entreprises membres des associations qu’il représente.

55
Deuxièmement, il n’a nullement établi l’existence de contrats valablement conclus et dont l’exécution serait rendue impossible en raison de l’adoption et de l’entrée en vigueur de l’acte attaqué.

– Incidence des droits de propriété intellectuelle

56
L’EFfCI soutient encore que ses membres seraient individualisés par le caractère spécifique des droits découlant des brevets dont ils sont titulaires, puisque ces brevets leur confèrent, fait-elle valoir, l’exclusivité de l’utilisation et de la mise sur le marché des produits qui en sont assortis.

57
Il y a cependant lieu de relever que l’existence d’une protection juridique du savoir-faire et des secrets d’affaires des entreprises défendues par les associations membres de l’EFfCI n’est pas de nature à caractériser celles-ci par rapport à tous les autres fabricants de produits chimiques concernés par la directive en cause. Ceux-ci peuvent tout autant invoquer ladite protection à leur profit, car la fabrication et la commercialisation de produits interviennent fréquemment sous le couvert de droits de propriété intellectuelle. Par ailleurs, si chaque brevet identifie le produit qu’il protège, la directive en cause n’entrave pas l’usage d’un brevet spécifique, de sorte que l’affectation éventuelle de droits de propriété intellectuelle ne résulte que de la circonstance, impersonnelle, de produire des substances à l’usage de l’industrie cosmétique.

58
À cet égard, la situation à l’origine de l’arrêt Codorniu/Conseil, point 22 supra, doit être distinguée du cas d’espèce. La réglementation en cause, dans cette affaire, réservait l’appellation « crémant » à un cercle de producteurs déterminé, bien que l’entreprise requérante ait enregistré cette même appellation comme marque et qu’elle l’ait utilisée pendant une longue période avant l’adoption du règlement litigieux. Elle se trouvait ainsi mise en évidence par rapport à tous les autres opérateurs économiques. Plus que la jouissance in abstracto d’un droit intellectuel, c’est la spécificité de l’appellation que ce droit protégeait, et dont la requérante était, en quelque sorte, « expropriée » par l’acte attaqué, qui a déterminé la solution retenue dans l’arrêt Codorniu/Conseil, point 22 supra. La directive en cause, en revanche, n’a pas pour objet de réserver un droit intellectuel précis à certains opérateurs au détriment des entreprises défendues par le groupement requérant.

59
L’EFfCI invoque néanmoins le fait qu’elle défend les intérêts d’associations dont les membres sont des sociétés qui détiennent des brevets opposables aux tiers et protégeant un savoir-faire obtenu à la suite d’efforts constants d’innovation, lesquels sont indispensables pour préserver leurs positions concurrentielles.

60
Le Tribunal observe toutefois que la nécessité d’innover pour demeurer concurrentiel n’est pas, dans une économie de marché, de nature à individualiser les entreprises concernées. Enfin, à tout le moins dans le cas d’espèce, l’opposabilité des brevets aux tiers ne singularise pas les droits qu’ils protègent par rapport à d’autres droits dont les opérateurs économiques sont habituellement titulaires et qui jouissent du même effet. Partant, cette opposabilité ne distingue pas les opérateurs économiques titulaires de brevets par rapport à d’autres.

61
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les entreprises dont le groupement requérant défend les intérêts ne sont pas individuellement concernées par les dispositions litigieuses de la directive 2003/15.

62
Cette conclusion n’est pas infirmée par l’arrêt AKZO Chemie/Commission, point 29 supra (point 28), selon lequel « une protection toute spéciale est [...] assurée aux secrets d’affaires ». La protection qu’évoque cet arrêt était en effet relative à la non-divulgation de secrets dans le cadre de la politique de concurrence, en application de l’article 19, paragraphe 3, et de l’article 21, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204). Aucune déduction quant à la recevabilité du recours au regard de la condition tenant à ce que le requérant soit individuellement concerné ne peut en être déduite. Contrairement à ce que prétend le groupement requérant, l’arrêt AKZO Chemie/Commission, point 29 supra, ne permet donc pas de conclure que toute personne détentrice d’un droit de propriété intellectuelle serait individuellement concernée par une disposition normative susceptible de l’affecter.

Sur l’existence de droits procéduraux particuliers

– Dans le chef du groupement requérant

63
Selon la jurisprudence, des circonstances particulières peuvent justifier la recevabilité d’un recours en annulation introduit par une association contre un acte de portée générale, alors même que les membres de cette association ne seraient pas directement et individuellement concernés par celui-ci. Tel est notamment le cas lorsque l’association a joué un rôle dans une procédure menant à l’adoption de cet acte (ordonnance du Tribunal du 2 avril 2004, Gonnelli et AIFO/Commission, T‑231/02, non encore publiée au Recueil).

64
Le groupement requérant fait valoir à ce sujet qu’il aurait pris part à la procédure ayant conduit à l’adoption de la directive en cause, en fournissant des données scientifiques et en donnant son point de vue sur les questions débattues.

65
Cependant, le fait d’avoir participé volontairement à la préparation d’un acte de nature législative, dans le cadre d’une procédure qui ne prévoit pas d’intervention des particuliers, ne peut, contrairement à la participation à une procédure prévoyant une telle intervention, ouvrir un droit de recours contre cet acte (ordonnance de la Cour du 23 novembre 1995, Asocarne/Conseil, C‑10/95 P, Rec. p. I‑4149).

66
De surcroît, l’article 13 de la directive 76/768, invoqué par le groupement requérant, ne lui conférait pas le droit de participer à l’élaboration de l’acte attaqué. Il ne concerne que l’information a posteriori des entreprises intéressées par les actes individuels pris pour l’application de ladite directive.

67
L’EFfCI ne citant pas d’autres dispositions à l’appui de son argument, il y a lieu de considérer que ses démarches demeuraient informelles et qu’elles ne peuvent justifier la recevabilité d’un recours en annulation.

– Dans le chef des associations membres du groupement requérant ou des entreprises qui les composent

68
Il suffit à cet égard de constater que le groupement requérant n’a pas invoqué le fait que les associations qui en sont membres ou les entreprises qu’elles regroupent seraient titulaires de droits procéduraux spéciaux.

Sur la question de la protection juridictionnelle effective

69
L’EFfCI tire un dernier argument des exigences d’une protection juridictionnelle effective.

70
Il convient à cet égard de rappeler que c’est aux États membres qu’il incombe de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d’assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective et de combler les éventuelles lacunes des traités à cet égard. Par ailleurs, la Cour a jugé que n’est pas admissible une interprétation des règles de recevabilité énoncées à l’article 230 CE, aux termes de laquelle le recours en annulation devrait être déclaré recevable s’il était démontré, après un examen concret par le juge communautaire des règles procédurales nationales, que celles-ci n’autoriseraient pas un particulier à introduire un recours lui permettant de mettre en cause la validité de l’acte communautaire contesté. En effet, « un tel régime exigerait dans chaque cas concret que le juge communautaire examine et interprète le droit procédural national, ce qui excéderait sa compétence dans le cadre du contrôle de la légalité des actes communautaires » (arrêts de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 43, et Commission/Jégo-Quéré, point 38 supra, point 33). Cette appréciation doit a fortiori être retenue lorsque, comme en l’espèce, le requérant ne prétend pas qu’il n’existerait pas, en droit interne, des voies de recours permettant au juge national de mettre en cause la validité de la directive en cause (ordonnance Établissements Toulorge/Parlement et Conseil, point 37 supra, point 61).

Conclusion

71
Il résulte de ce qui précède que le groupement requérant n’est pas individuellement concerné par les dispositions litigieuses. Par conséquent, le recours doit être jugé irrecevable, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative au fait, pour un requérant, d’être directement concerné par l’acte attaqué ainsi que les autres exceptions d’irrecevabilité soulevées par les parties défenderesses.


Sur les dépens

72
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions des défenderesses.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)
Le recours est rejeté.

2)
La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les défenderesses.

Fait à Luxembourg, le 10 décembre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1
Langue de procédure : l'anglais.

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