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Document 62003TJ0271

Arrêt du Tribunal de première instance (cinquième chambre élargie) du 10 avril 2008.
Deutsche Telekom AG contre Commission des Communautés européennes.
Concurrence - Article 82 CE - Prix d’accès au réseau fixe de télécommunications en Allemagne - Effet de ciseaux tarifaire - Prix approuvés par l’autorité nationale de régulation des télécommunications - Marge de manœuvre de l’entreprise en position dominante.
Affaire T-271/03.

Recueil de jurisprudence 2008 II-00477

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2008:101

Parties
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Parties

Dans l’affaire T‑271/03,

Deutsche Telekom AG, établie à Bonn (Allemagne), représentée initialement par M es  K. Quack, U. Quack et S. Ohlhoff, puis par M es  U. Quack et Ohlhoff, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M me  K. Mojzesowicz et M. S. Rating, puis par M me  Mojzesowicz et M. A. Whelan, enfin par M me  Mojzesowicz, MM. W. Mölls et O. Weber, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Arcor AG & Co. KG, établie à Eschborn (Allemagne), représentée initialement par M es  M. Klusmann, F. Wiemer et M. Rosenthal, puis par M es  Klusmann et Wiemer, enfin par M e  Klusmann, avocats,

et par

Versatel NRW GmbH, anciennement Tropolys NRW GmbH, anciennement CityKom Münster GmbH Telekommunikationsservice et TeleBeL Gesellschaft für Telekommunikation Bergisches Land mbH, établie à Essen (Allemagne),

EWE TEL GmbH, établie à Oldenbourg (Allemagne),

HanseNet Telekommunikation GmbH, établie à Hambourg (Allemagne),

Versatel Nord-Deutschland GmbH, anciennement KomTel Gesellschaft für Kommunikations- und Informationsdienste mbH, établie à Flensburg (Allemagne),

NetCologne Gesellschaft für Telekommunikation mbH, établie à Cologne (Allemagne),

Versatel Süd-Deutschland GmbH, anciennement tesion Telekommunikation GmbH, établie à Stuttgart (Allemagne),

Versatel West-Deutschland GmbH, anciennement Versatel Deutschland GmbH & Co. KG, établie à Dortmund (Allemagne),

représentées par M es  N. Nolte, T. Wessely et J. Tiedemann, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2003/707/CE de la Commission, du 21 mai 2003, relative à une procédure d’application de l’article 82 CE (Affaires COMP/C‑1/37.451, 37.578, 37.579 – Deutsche Telekom AG) (JO L 263, p. 9), et, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l’amende infligée à la requérante à l’article 3 de ladite décision,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),

composé de M. M. Vilaras, président, M me  M. E. Martins Ribeiro, M. D. Šváby, M me  K. Jürimäe et M. N. Wahl, juges,

greffier : M me  K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 mai 2007,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

Faits à l’origine du litige

1. La requérante, Deutsche Telekom AG, est l’opérateur de télécommunications historique en Allemagne. L’État allemand détient une participation directe de 30,92 % et indirecte (à travers la Kreditanstalt für Wiederaufbau) de 12,13 % dans le capital de la requérante, les 56,95 % restants étant détenus par des investisseurs institutionnels et privés.

2. La requérante exploite le réseau téléphonique allemand. Avant la libéralisation totale des marchés des télécommunications, elle bénéficiait d’un monopole légal sur la prestation de services de télécommunications aux abonnés sur le réseau fixe. Depuis l’entrée en vigueur du Telekommunikationsgesetz (la loi allemande sur les télécommunications, ci-après le « TKG ») du 25 juillet 1996 (BGBl. 1996 I, p. 1120), le 1 er août 1996, le marché de la fourniture d’infrastructures et le marché de la prestation de services de télécommunications sont libéralisés en Allemagne. Depuis lors, la requérante est confrontée sur ces deux marchés, à des degrés divers, à la concurrence d’autres opérateurs.

3. Les réseaux locaux de la requérante comportent chacun plusieurs boucles locales vers les abonnés. L’expression « boucle locale » désigne le circuit physique qui relie le point de terminaison du réseau dans les locaux de l’abonné au répartiteur principal ou à toute autre installation équivalente du réseau téléphonique public fixe.

4. La requérante fournit l’accès à ses boucles locales tant aux autres opérateurs de télécommunications qu’aux abonnés. Pour ce qui concerne les services d’accès et les tarifs de la requérante, il y a donc lieu de distinguer entre les services d’accès au réseau local fournis par la requérante à ses concurrents (ci-après les « prestations intermédiaires ») et les services d’accès au réseau local fournis par la requérante à ses abonnés (ci-après les « services d’accès pour les abonnés »).

I – Prestations intermédiaires

5. Par décision n° 223 a du ministère fédéral des Postes et Télécommunications (ci-après le « BMPT »), du 28 mai 1997, la requérante a été contrainte, dès juin 1997, d’accorder à ses concurrents un accès dégroupé total à la boucle locale.

6. S’agissant des tarifs pour les prestations intermédiaires de la requérante, ceux-ci se décomposent en deux éléments, à savoir un tarif pour l’abonnement mensuel, d’une part, et une redevance initiale, d’autre part. Lorsqu’une ligne d’abonné est résiliée par un concurrent, la requérante facture des frais de résiliation à celui‑ci.

7. Les tarifs pour les prestations intermédiaires de la requérante doivent, conformément à l’article 25, paragraphe 1, du TKG, être préalablement approuvés par la Regulierungsbehörde für Telekommunikation und Post (l’autorité de régulation des télécommunications et des postes, ci-après la « RegTP »).

8. Dans ce contexte, la RegTP vérifie si les tarifs proposés par la requérante pour les prestations intermédiaires satisfont aux conditions établies par l’article 24 du TKG. Ainsi, conformément à l’article 24, paragraphe 1, du TKG, les « [t]arifs doivent être établis en fonction des coûts d’une prestation de services efficace ». En outre, conformément à l’article 24, paragraphe 2, du TKG, les tarifs ne peuvent pas :

« 1. comporter de suppléments ne pouvant être imposés qu’en raison de la position dominante […] d’un fournisseur sur le marché de télécommunications en cause ;

2. comporter de réductions portant atteinte aux possibilités concurrentielles d’autres entreprises sur un marché de télécommunications, et

3. accorder à certains demandeurs des avantages par rapport à d’autres demandeurs de prestations de service de télécommunications semblables ou similaires sur le marché de télécommunications en cause,

à moins que cela ne soit justifié par une raison objective démontrée ».

9. En vertu de l’article 29, paragraphe 1, du TKG, la requérante est tenue d’appliquer, pendant toute la durée de validité de l’autorisation de la RegTP, les tarifs autorisés par celle-ci.

II – Services d’accès pour les abonnés

10. S’agissant des services d’accès pour les abonnés, la requérante offre deux options de base, à savoir la ligne analogique traditionnelle (nom du service : T‑Net) et la ligne numérique à bande étroite (réseau numérique intégré de services – RNIS, nom du service : T‑ISDN). Ces deux options de base permettant la connexion des abonnés peuvent être proposées sur le réseau historique à paires de fils de cuivre de la requérante (connexions à bande étroite). Cette dernière propose aussi à ses abonnés des connexions à large bande (lignes d’abonnés numériques asymétriques : nom du service T‑DSL ou ADSL), pour lesquelles elle a dû réaménager les réseaux T‑Net et T‑ISDN existants afin de pouvoir offrir des services à large bande, par exemple un accès rapide à Internet.

11. Les tarifs de la requérante pour les services d’accès pour les abonnés (ci-après également dénommés les « tarifs de détail » ou « prix de détail ») sont, pour ce qui concerne les lignes analogiques et les lignes RNIS, régulés par un système de plafonnement des prix. En revanche, la requérante fixe librement ses prix de détail pour l’ADSL. Ceux‑ci peuvent toutefois être soumis à une régulation a posteriori.

12. Les prix de détail de la requérante se composent de deux éléments : un abonnement mensuel, qui est fonction de la qualité des lignes et des services fournis, et une redevance initiale pour la mise en service ou la reprise d’une ligne, selon les travaux nécessaires aux deux extrémités de la ligne. La requérante ne facture pas de frais de résiliation à ses abonnés.

A – Tarifs pour les lignes d’abonnés analogiques (T‑Net) et numériques à bande étroite – RNIS (T‑ISDN)

13. Les prix d’accès aux lignes d’abonnés analogiques et RNIS sont fixés dans le cadre d’un système de plafonnement des prix. Conformément à l’article 27, paragraphe 1, deuxième phrase, à l’article 25, paragraphe 1, du TKG et aux articles 4 et 5 du règlement relatif à la régulation tarifaire dans le domaine des télécommunications du 1 er octobre 1996 (BGBl. 1996 I, p. 1492, ci-après le « règlement sur la régulation tarifaire »), les prix de détail pour la connexion au réseau de la requérante et pour les communications ne sont pas fixés individuellement pour chaque prestation sur la base des coûts supportés, mais sont déterminés conjointement pour plusieurs prestations, les différentes prestations étant réunies dans des paniers.

14. Le système de plafonnement des prix de l’accès au réseau de la requérante a été introduit par décision du BMPT du 17 décembre 1997 [communication 202/1997, Journal officiel (BMPT) 34/97, p. 1891]. Le système concerné a été mis en oeuvre par la RegTP au 1 er janvier 1998. À cette occasion, la RegTP a constitué deux paniers, le premier comprenant les services résidentiels et, le second, les services professionnels. Les deux paniers comprenaient à la fois les services d’accès pour les abonnés (connexions standard analogique et RNIS) et tout l’éventail des offres de la requérante dans le domaine de la téléphonie telles que les communications locales, régionales, interurbaines et internationales.

15. Conformément à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement sur la régulation tarifaire, la RegTP fixe un prix de départ pour tous les services réunis au sein d’un panier ainsi que des objectifs pour l’évolution des prix au cours d’une période donnée.

16. Le système tarifaire en cause fixe ainsi un prix plafond pour chaque panier. En revanche, il ne comporte pas de prix planchers obligatoires.

17. En vertu de la décision du BMPT du 17 décembre 1997, la requérante a dû réduire de 4,3 % le prix global de chacun des deux paniers au cours de la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 1999 (première période de plafonnement des prix). À la fin de cette première période, au 31 décembre 1999, la RegTP a, par décision du 23 décembre 1999, conservé pour l’essentiel la composition des paniers et a baissé les prix de 5,6 % pour la période allant du 1 er  janvier 2000 au 31 décembre 2001 (deuxième période de plafonnement des prix).

18. À l’intérieur de ce cadre contraignant de réduction des prix, la requérante pouvait modifier les tarifs des différents éléments de chaque panier après avoir obtenu l’autorisation préalable de la RegTP. Conformément à l’article 27, paragraphe 2, du TKG et à l’article 5, paragraphe 3, du règlement sur la régulation tarifaire, les modifications des tarifs étaient autorisées si le prix moyen d’un panier ne dépassait pas l’indice des prix plafonds imposé. Le système permettait ainsi l’augmentation des tarifs d’un ou de plusieurs éléments d’un panier, pour autant que les prix plafonds du panier ne soient pas dépassés. Toutefois, conformément à l’article 27, paragraphe 3, du TKG, l’autorisation était refusée si les tarifs « [n’étaient] manifestement pas conformes aux prescriptions de l’article 24, paragraphe 2, points 2) ou 3), [du TKG], ou […] lorsqu’ils [n’étaient] pas en conformité avec le [TKG] ou avec d’autres dispositions juridiques ».

19. Au cours des deux premières périodes de plafonnement, la requérante a procédé à des baisses des prix de détail pour les deux paniers, allant au-delà des baisses qui lui étaient imposées. Ces baisses tarifaires concernaient en substance les prix des communications. Les prix de détail pour les lignes analogiques (l’abonnement mensuel et les redevances initiales) sont en revanche restés inchangés au cours des deux périodes de plafonnement, c’est-à-dire de 1998 à la fin de 2001. S’agissant des prix de détail pour les lignes RNIS, la requérante a pendant cette même période baissé les tarifs pour l’abonnement mensuel, mais n’a pas modifié les redevances initiales facturées à ses abonnés.

20. Depuis le 1 er janvier 2002, il existe un nouveau système de plafonnement des prix adopté par décision de la RegTP du 21 décembre 2001 (bulletin RegTP 2/2002, du 6 février 2002, p. 75). Dans le nouveau système, les deux paniers précédents comprenant les services résidentiels et les services professionnels sont remplacés par quatre paniers, qui comprennent les services suivants : lignes téléphoniques (panier A), communications locales (panier B), communications interurbaines nationales (panier C) et communications internationales (panier D).

21. Le 15 janvier 2002, la requérante a fait part à la RegTP de son intention d’augmenter les abonnements mensuels pour les lignes analogiques et RNIS de 0,56 euro. Cette augmentation a été autorisée par la RegTP par décision du 13 mars 2002.

22. Le 31 octobre 2002, la requérante a fait une nouvelle demande d’augmentation de ses tarifs de détail. Cette demande a été partiellement rejetée par la RegTP par décision du 19 décembre 2002. La RegTP a autorisé une augmentation de 0,33 euro pour l’abonnement mensuel à une ligne analogique T‑Net au lieu de l’augmentation de 0,99 euro demandée par la requérante, et refusé l’augmentation demandée de 13,40 euros pour la redevance initiale de reprise pour les connexions T‑Net et T‑ISDN.

B – Tarifs pour les lignes ADSL (T-DSL)

23. Les tarifs ADSL (T-DSL) ne sont pas régulés dans le cadre d’un système de plafonnement des prix. Conformément à l’article 30 du TKG, ces tarifs peuvent faire l’objet d’une régulation a posteriori.

24. Le 2 février 2001, après avoir reçu plusieurs plaintes de la part de concurrents de la requérante, la RegTP a diligenté une enquête a posteriori sur les prix ADSL de la requérante, afin d’établir, le cas échéant, la pratique d’une vente à perte contraire aux règles de concurrence allemandes. La RegTP a clos la procédure, le 25 janvier 2002, après avoir constaté que l’augmentation des tarifs qui avait été annoncée par la requérante, le 15 janvier 2002, ne donnait plus lieu à un soupçon de vente à perte.

Procédure administrative

25. Entre le 18 mars et le 20 juillet 1999, la Commission a été saisie de plaintes émanant de quinze entreprises concurrentes de la requérante. Ces plaintes mettaient en cause les pratiques tarifaires de la requérante.

26. Le 15 juillet 1999, la Commission a fait parvenir à la requérante une demande de renseignements, au titre de l’article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204). La requérante y a répondu par lettres des 13 et 25 août 1999 .

27. Le 19 janvier 2000, la Commission a adressé une demande de renseignements aux concurrents de la requérante.

28. Le 22 juin 2001, la Commission a envoyé une nouvelle demande de renseignements à la requérante.

29. Le 2 mai 2002, la Commission a adressé à la requérante une communication des griefs fondée sur l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17.

30. Le 29 juillet 2002, la requérante a déposé des observations sur la communication des griefs.

31. Le 25 octobre 2002, la requérante a déposé des observations sur les réponses des plaignantes à la communication des griefs.

32. Le 21 février 2003, la Commission a adressé à la requérante un complément à la communication des griefs.

33. Le 14 mars 2003, la requérante a déposé des observations sur le complément à la communication des griefs.

Décision attaquée

34. Le 21 mai 2003, la Commission a adopté la décision 2003/707/CE, relative à une procédure d’application de l’article 82 CE (Affaires COMP/C‑1/37.451, 37.578, 37.579 – Deutsche Telecom AG) (JO L 263, p. 9, ci-après la « décision attaquée »). Celle-ci a été notifiée à la requérante le 30 mai 2003.

35. Selon la Commission, les marchés de produits et de services en cause sont, d’une part, le marché en amont de l’accès à la boucle locale pour les concurrents de la requérante au niveau des prestations intermédiaires et, d’autre part, le marché en aval de l’accès aux connexions à bande étroite (lignes analogiques et RNIS) et aux connexions à large bande (lignes ADSL) pour les abonnés (décision attaquée, considérant 91). Géographiquement, ces marchés recouvriraient le territoire de l’Allemagne (décision attaquée, considérant 92).

36. La Commission constate que la requérante occupe une position dominante sur tous les marchés de produits et de services en cause (décision attaquée, considérant 96).

37. Selon la Commission, la requérante a violé l’article 82 CE en mettant en œuvre une tarification abusive, sous la forme d’ « effet de ciseaux », en facturant à ses concurrents des prix pour ses prestations intermédiaires qui étaient supérieurs aux prix de détail qu’elle facture à ses abonnés (décision attaquée, considérants 1, 57, 102 et 103).

38. Concernant l’effet de ciseaux, les considérants 102 à 105 de la décision attaquée énoncent :

« 102 Il y a effet de ciseaux lorsque la somme de l’abonnement mensuel et de la redevance initiale à verser à [la requérante] pour les prestations intermédiaires oblige les concurrents à facturer à leurs abonnés des prix supérieurs à ceux que [la requérante] facture à ses propres abonnés pour les mêmes services. Si les prix des prestations intermédiaires sont supérieurs aux prix de détail, les concurrents de [la requérante] ne peuvent en aucun cas dégager des bénéfices, même s’ils sont au moins aussi efficaces que [la requérante], car ils ont à supporter des frais (commercialisation, facturation, recouvrement...) qui viennent s’ajouter au prix des prestations intermédiaires.

103 En facturant à ses concurrents des tarifs de prestations intermédiaires pour l’accès à la boucle locale qui sont plus élevés que les prix de détail qu’elle facture à ses abonnés, [la requérante] les empêche de proposer, en plus des simples communications téléphoniques, des services d’accès par la boucle locale. Ce faisant, [la requérante] oblige les concurrents désireux de commander des boucles locales dégroupées afin de proposer à leurs clients des services de connexion à compenser pareillement les pertes générées par leurs services d’accès par de plus fortes recettes de communications téléphoniques. Mais comme les tarifs des communications ont fortement baissé en Allemagne ces dernières années, il est fréquent que les concurrents n’aient pas la possibilité économique de procéder à ce genre de compensation.

104 [La requérante] considère qu’en l’espèce la preuve d’une tarification abusive sous la forme de l’effet de ciseaux est exclue, ne serait-ce que parce que les tarifs des prestations intermédiaires sont fixés de manière contraignante par la RegTP. Pour [la requérante], il n’y a effet de ciseaux que si la pression sur les marges provient effectivement de prix trop élevés pour les prestations intermédiaires, de prix de détail trop bas ou d’un mélange des deux et qu’une suppression sur les deux plans est juridiquement possible. [La requérante] considère cependant que, dans la mesure où le tarif des prestations intermédiaires est fixé par l’autorité de régulation, elle peut seulement influer sur le montant du prix d’accès des abonnés et que ce prix ne peut donc être contrôlé qu’au regard des principes des offres à perte (concurrence d’éviction) abusives.

105 Mais contrairement à ce qu’affirme [la requérante], la forme d’abus que constitue l’effet de ciseaux est pertinente pour la présente espèce. Sur les marchés liés, où les concurrents achètent des prestations intermédiaires à l’opérateur historique et ont intérêt à le faire s’ils veulent prendre pied sur un marché de produits ou de services en aval, il peut très bien y avoir un effet de ciseaux entre les prix régulés des prestations intermédiaires et les prix de détail. Car enfin, pour prouver l’existence d’un effet de ciseaux, il suffit d’abord qu’il y ait entre les deux niveaux de prix une disproportion donnant lieu à une restriction de concurrence. À cela s’ajoute le fait que l’entreprise dont les prix sont régulés dispose d’une marge de manœuvre pour éviter ou supprimer l’effet de ciseaux de son propre chef. Mais si le cas se produit comme en l’espèce […], la question de savoir quels prix l’entreprise concernée peut modifier sans intervention de l’État ne conserve de l’importance que pour le choix des moyens permettant de supprimer l’effet de ciseaux. »

39. Quant à la méthode de détermination de l’effet de ciseaux, la Commission constate que, à travers l’accès à la boucle locale de la requérante, les concurrents de celle‑ci peuvent proposer à leurs abonnés toute une gamme de services d’accès, à savoir l’accès à bande étroite analogique, l’accès à bande étroite numérique (RNIS) ou l’accès à large bande sous forme de services ADSL. Dès lors que la RegTP fixe des tarifs uniformes pour les prestations intermédiaires de la requérante, indépendamment de la nature des services en aval proposés avec l’accès à la boucle locale, il conviendrait donc de comparer les tarifs d’abonnement mensuels de la requérante et ses redevances initiales, proportionnelles à la durée moyenne d’abonnement, pour ses prestations intermédiaires, avec ses tarifs d’abonnement mensuels et ses redevances initiales, proportionnelles à la durée moyenne d’abonnement, pour ses services d’accès aux abonnés. Pour calculer la moyenne des tarifs de la requérante pour les services d’accès aux abonnés, la Commission effectue une pondération quantitative des différents tarifs de détail pratiqués par la requérante pour les lignes analogique, RNIS et ADSL ainsi que pour les différentes variantes de connexions s’agissant des lignes RNIS et ADSL (décision attaquée, considérants 113, 115, 116, 142 à 151).

40. Aux fins du calcul de l’effet de ciseaux, la Commission prend uniquement en compte les tarifs pour l’accès à la boucle locale. Les prix des communications ne sont pas intégrés dans ce calcul (décision attaquée, considérant 119).

41. Selon la Commission, « on peut conclure à l’existence d’un effet de ciseaux abusif lorsque la différence entre les prix de détail d’une entreprise qui domine le marché et le tarif des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents est soit négative soit insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques des produits de l’opérateur dominant pour la prestation de ses propres services aux abonnés sur le marché en aval » (décision attaquée, considérant 107).

42. Dans ses calculs afférents à l’effet de ciseaux, la Commission parvient à la conclusion que, entre 1998 et 2001, il y a eu un écart négatif entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail de la requérante (décision attaquée, considérant 153). Pour l’année 2002, cet écart aurait été positif (décision attaquée, considérant 154). Toutefois, dès lors que la marge positive aurait été insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques de la requérante liés à la fourniture de services aux abonnés, l’effet de ciseaux aurait subsisté en 2002 (décision attaquée, considérants 154 et 160). Cet effet existerait encore au moment de l’adoption de la décision attaquée (décision attaquée, considérant 161).

43. La Commission constate ensuite que les tarifs des prestations intermédiaires et les prix de détail de la requérante font certes l’objet d’une régulation sectorielle. Néanmoins, la requérante disposerait d’une marge de manœuvre suffisante pour réduire, voire annuler, l’effet de ciseaux grâce à des restructurations tarifaires (décision attaquée, considérants 57, 105, et 163 à 175). La Commission admet que, à partir du 1 er janvier 2002, la requérante ne disposait plus d’une marge de manœuvre pour augmenter les prix de détail afférents aux lignes analogiques et RNIS. Toutefois, elle aurait pu réduire l’effet de ciseaux en augmentant ses prix pour les lignes ADSL (décision attaquée, considérants 171 à 175 et 206).

44. La Commission conclut au considérant 199 de la décision attaquée :

« [La requérante] abuse de sa position dominante sur les marchés en cause pour l’accès direct à son réseau de téléphonie fixe. Cet abus réside dans la fixation de prix non équitables pour l’accès des concurrents aux prestations intermédiaires et pour l’accès à la boucle locale, et il répond donc aux conditions définies à l’article 82, [sous] a), du traité. Au cours de la période de début 1998 à fin 2001, [la requérante] a eu la possibilité d’éliminer totalement l’effet de ciseaux en modifiant les tarifs facturés aux abonnés. Depuis 2002, [la requérante] est de toute façon encore en mesure de réduire l’effet de ciseaux, en l’occurrence en relevant les tarifs des lignes ADSL, qui ne sont pas soumis au système de plafonnement des prix. »

45. Après avoir constaté que l’infraction a été grave pour la période allant du début de 1998 à la fin de 2001 et peu grave à partir du début de 2002, la Commission a imposé une amende de 12,6 millions d’euros (décision attaquée, considérants 207 et 212).

46. Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

Depuis 1998, la [requérante] commet une infraction aux dispositions de l’article 82, [sous] a), CE, du fait qu’elle perçoit des tarifs non équitables pour la mise en service et l’abonnement mensuel relatifs à l’accès à la boucle locale de ses concurrents et de [ses] abonnés, entravant ainsi considérablement la concurrence sur le marché de l’accès à la boucle locale.

Article 2

[La requérante] doit mettre fin immédiatement à l’infraction mentionnée à l’article 1 er et doit s’abstenir de réitérer les agissements ou comportements visés à l’article 1 er .

Article 3

Pour l’infraction mentionnée à l’article 1 er , une amende d’un montant de 12,6 millions d’euros est infligée à [la requérante].

[…] »

Procédure

47. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 juillet 2003, la requérante a introduit le présent recours.

48. Par actes déposés au greffe du Tribunal, le 12 décembre 2003, Arcor AG & Co. KG (ci-après la « partie intervenante I »), d’une part, et CityKom Münster GmbH Telekommunikationsservice, devenue Tropolys NRW GmbH, puis Versatel NRW GmbH, EWE TEL GmbH, HanseNet Telekommunikation GmbH, ISIS Multimedia Net GmbH & Co. KG, devenue Arcor AG & Co. KG, KomTel Gesellschaft für Kommunikations- und Informationsdienste mbH, devenue Versatel Nord-Deutschland GmbH, NetCologne Gesellschaft für Telekommunikation mbH, TeleBeL Gesellschaft für Telekommunikation Bergisches Land mbH, devenue Tropolys NRW GmbH, puis Versatel NRW GmbH, tesion Telekommunikation GmbH, devenue Versatel Süd-Deutschland GmbH, Versatel Deutschland GmbH & Co. KG, devenue Versatel West‑Deutschland GmbH (ci-après conjointement dénommées la « partie intervenante II »), d’autre part, ont demandé à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission.

49. Par lettre du 30 janvier 2004, la requérante a adressé au Tribunal une demande de traitement confidentiel de certains passages de la requête, du mémoire en défense, de la réplique et de certaines annexes s’y rapportant.

50. Par lettre du 22 mars 2004, la requérante a adressé au Tribunal une demande de traitement confidentiel d’un passage de la duplique.

51. Par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 6 mai 2004, les sociétés mentionnées au point 48 ci-dessus ont été admises à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission. La décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel a été réservée.

52. Des versions non confidentielles des différentes pièces de procédure, préparées par la requérante, ont été communiquées aux parties intervenantes I et II.

53. Par lettres du 24 juin 2004, les parties intervenantes I et II ont contesté la confidentialité de différents passages occultés dans les versions non confidentielles des pièces de procédure.

54. Le 14 juillet 2004, la partie intervenante II a déposé son mémoire en intervention. La partie intervenante I a fait de même, le 2 août 2004. Les parties principales ont présenté leurs observations au sujet des mémoires en intervention.

55. Par lettre du 20 décembre 2004, la requérante a déposé des observations sur les objections des parties intervenantes I et II relatives à la demande de confidentialité.

56. Par ordonnance du 15 juin 2006, le président de la cinquième chambre a partiellement fait droit à la demande de confidentialité de la requérante.

57. Par lettre du 14 septembre 2006, la partie intervenante II a informé le Tribunal que la partie intervenante I était devenue le successeur d’ISIS Multimedia Net GmbH & Co. KG. Par la même lettre, elle a informé le Tribunal, conformément à l’article 99 du règlement de procédure du Tribunal, que, afin d’éviter une double qualité de partie intervenante, elle retirait l’intervention d’ISIS Multimedia Net GmbH & Co. KG, devenue Arcor AG & Co. KG.

58. Par ordonnance du président de la cinquième chambre du Tribunal du 30 novembre 2006, Arcor AG & Co. KG, anciennement ISIS Multimedia Net GmbH & Co. KG, a été rayée de la présente affaire en tant que partie intervenante II.

59. Le 11 décembre 2006, le Tribunal, les parties entendues, a décidé de renvoyer la présente affaire devant la cinquième chambre élargie du Tribunal.

60. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé par écrit des questions à la requérante et à la Commission et leur a demandé la production de certains documents. Les parties principales y ont déféré dans les délais impartis.

61. Par lettre du 21 mars 2007, la requérante a adressé au Tribunal une demande de traitement confidentiel de différents éléments du mémoire de la Commission du 5 mars 2007 comportant les réponses aux questions écrites du Tribunal. Les parties intervenantes I et II n’ont pas fait valoir d’objections à l’égard de cette demande de confidentialité et une version non confidentielle du mémoire de la Commission, qui a été préparée par la requérante, a été communiquée aux parties intervenantes I et II.

62. Le juge M. Dehousse ayant été empêché de siéger dans la présente affaire, le 29 mars 2007, le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, le juge M. Wahl pour compléter la chambre.

63. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 3 mai 2007.

Conclusions des parties

64. La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée et, subsidiairement, réduire en vertu de son pouvoir d’appréciation souveraine l’amende infligée par la Commission à l’article 3 de la décision attaquée ;

– mettre les frais de justice, y compris les frais irrépétibles, à la charge de la Commission.

65. La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens de l’instance.

66. La partie intervenante I conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens, y compris les siens propres.

67. La partie intervenante II conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter la demande de la requérante ;

– condamner la requérante aux dépens et à payer ses frais irrépétibles.

En droit

I – Sur les conclusions principales tendant à l’annulation de la décision attaquée

68. La requérante soulève trois moyens tirés, respectivement, le premier, d’une violation de l’article 82 CE, le deuxième, du caractère défectueux du dispositif de la décision attaquée et, le troisième, d’un détournement de pouvoir et d’une violation des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

A – Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 82 CE

69. Le premier moyen comporte quatre branches. La première est prise de l’absence de comportement abusif en raison de la marge de manœuvre insuffisante dont disposait la requérante pour éviter l’effet de ciseaux tarifaire. La deuxième concerne l’illégalité de la méthode utilisée par la Commission pour constater l’effet de ciseaux tarifaire. La troisième porte sur une erreur commise par la Commission dans le calcul de l’effet de ciseaux tarifaire et la quatrième est tirée de l’absence d’effet sur le marché du ciseau tarifaire constaté.

1. Sur la première branche, tirée de l’absence de comportement abusif en raison de la marge de manœuvre insuffisante dont disposait la requérante pour éviter l’effet de ciseaux tarifaire

a) Arguments des parties

70. La requérante fait valoir qu’elle ne disposait pas d’une marge de manœuvre suffisante pour éviter le prétendu effet de ciseaux tarifaire constaté dans la décision attaquée. D’une part, elle rappelle que la Commission elle-même a constaté son absence de marge de manœuvre pour la fixation des tarifs des prestations intermédiaires. Les tarifs des prestations intermédiaires, qui sont fixés par la RegTP, devraient correspondre aux coûts d’une prestation de service efficace. Ils ne correspondraient donc pas nécessairement aux coûts de la requérante.

71. D’autre part, la requérante ne disposerait pas non plus de marge de manœuvre pour la fixation de ses tarifs pour les services d’accès aux abonnés. En ce qui concerne la période allant de 1998 à 2001, l’existence d’un abus commis par la requérante serait exclue du fait que seule la RegTP – et antérieurement le BMPT – serait responsable des tarifs de la requérante pour les connexions à bande étroite (voir points 73 à 79 ci‑après).

72. En ce qui concerne la période postérieure à janvier 2002, seul le comportement de la requérante dans la fixation des tarifs pour les connexions à large bande pourrait être abusif, dès lors que la Commission elle-même aurait reconnu dans la décision attaquée que, depuis 2002, la requérante ne disposait d’aucune marge de manœuvre dans la fixation des tarifs pour les connexions à bande étroite. Toutefois, pour la période postérieure à janvier 2002, l’éventuelle marge de manœuvre de la requérante dans la fixation des tarifs pour les connexions à large bande, à la supposer établie, serait en tout état de cause sans incidence sur le prétendu effet de ciseaux tarifaire (voir points 80 à 83 ci-après).

73. Premièrement, en ce qui concerne les connexions à bande étroite (lignes analogiques et RNIS), la requérante explique que, conformément au droit allemand, ses prix de détail devaient tous être préalablement examinés et approuvés par la RegTP ou, avant 1998, par le BMPT. La requérante, qui, conformément à l’article 29, paragraphe 1, du TKG, ne pouvait pas s’écarter des tarifs ainsi autorisés, sous peine de se voir infliger une amende, ne saurait donc être considérée comme ayant violé l’article 82 CE en pratiquant lesdits tarifs.

74. Quant à la fixation des tarifs, la requérante rappelle que, dans le cadre du système de plafonnement des prix, la RegTP définit, dans un premier temps, des paniers de services et des objectifs pour l’évolution des prix qui limitent les modifications tarifaires au sein des paniers (« indices de prix » ou « prix plafonds »). Dans un deuxième temps, la RegTP examinerait les modifications de tarifs individuels proposées par la requérante. À cet effet, conformément aux articles 24 et 27 du TKG, la RegTP devrait vérifier, indépendamment du respect du plafond fixé pour le panier en cause, si les tarifs sollicités n’étaient pas fixés, de manière injustifiée, en dessous des coûts d’une prestation de service efficace ou s’ils ne contrevenaient pas à d’autres règles de droit, notamment l’article 82 CE. La RegTP devrait donc refuser une modification des prix de détail sollicitée par la requérante si les prix contrevenaient à l’article 82 CE, en raison notamment d’un effet de ciseaux anticoncurrentiel.

75. La requérante souligne, d’une part, que, avant le 1 er mai 2002, elle était liée par les tarifs obligatoires afférents aux lignes analogiques qui reposaient sur une autorisation sans limite de temps octroyée par le BMPT, conformément à l’article 97, paragraphe 3, du TKG, aux termes duquel les autorisations relatives aux tarifs de la requérante accordées « avant le 1 er janvier 1998 […] rest[aient] en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002 au plus tard ».

76. La requérante relève, d’autre part, que, s’agissant de sa demande du 31 octobre 2002 tendant à l’augmentation de ses tarifs de détail pour les services d’accès aux abonnés, la RegTP, par décision du 19 décembre 2002, ne l’a acceptée qu’en partie, dans la limite du prix plafond. Elle fait encore observer que, depuis le 1 er janvier 2002, les tarifs de raccordement font l’objet d’un panier distinct pour lequel une valeur de référence spécifique a été fixée. Les tarifs des communications n’auraient aucune incidence sur le respect de ces valeurs imposées. La Commission elle-même reconnaîtrait que la requérante n’avait aucune possibilité d’augmenter ses tarifs pour l’accès à la bande étroite à partir de 2002. Le fait qu’entre 1998 et 2001 elle n’ait pas présenté de demandes supplémentaires d’augmentation des tarifs autorisés n’impliquerait pas que la responsabilité du montant des tarifs fixés par la RegTP et, partant, un prétendu effet de ciseaux tarifaire lui soient imputables. En effet, la simple faculté de présenter des demandes de modification tarifaire ne saurait être assimilée à un pouvoir autonome de fixation des prix. La procédure d’examen et d’autorisation au cas par cas des tarifs poursuivie par la RegTP aurait précisément été mise en place pour assurer, au moyen de la réglementation ex ante, que l’exploitant historique ne pratique pas de tarifs abusifs, en conformité avec l’obligation imposée aux États membres par l’article 17 de la directive 98/10/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 1998, concernant l’application de la fourniture d’un réseau ouvert (ONP) à la téléphonie vocale et l’établissement d’un service universel des télécommunications dans un environnement concurrentiel (JO L 101, p. 24). Si une demande fait l’objet d’un examen et d’une décision conformément à cette procédure et dans le respect des exigences procédurales du cadre juridique communautaire pour le droit des télécommunications, aucun abus ne pourrait dès lors être reproché à l’entreprise qui pratique les tarifs fixés au terme d’un tel examen. Des tarifs contrôlés et autorisés ne pourraient caractériser un abus de la part de l’entreprise qui les pratique.

77. Par ailleurs, la requérante précise que la réglementation ex ante par la RegTP sert à façonner la structure du marché par des interventions administratives et remplace, dans les domaines qu’elle régit, la responsabilité de préserver la structure du marché qui incombe à l’entreprise régulée par une responsabilité de préserver la structure du marché incombant à l’autorité de régulation. Pour cette raison, la requérante ne serait tenue de solliciter des modifications tarifaires auprès de la RegTP qu’en cas de changement de la situation de fait sous-jacente.

78. En tout état de cause, à supposer que la faculté, pour la requérante, de solliciter une modification tarifaire puisse justifier qu’elle soit tenue responsable d’un certain niveau tarifaire, aucun changement de circonstances ne serait intervenu, de nature à obliger la requérante à introduire des demandes supplémentaires d’augmentation de ses prix de détail. Au contraire, depuis 1998, les frais de mise à disposition de connexions seraient restés presque inchangés et les prix des prestations intermédiaires auraient même considérablement baissé. Par ailleurs, la RegTP aurait pendant cette même période conclu, dans ses décisions des 8 février 1999, 23 décembre 1999, 30 mars 2001, 21 décembre 2001, 11 avril 2002 et 29 avril 2003, à l’inexistence d’un effet de ciseaux tarifaire au détriment des concurrents. En outre, par arrêt du 16 janvier 2002, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) aurait jugé que les tarifs approuvés de la requérante n’enfreignaient pas l’article 82 CE.

79. Quant à l’arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) du 10 février 2004, qui a annulé l’arrêt de l’Oberlandesgericht Düsseldorf du 16 janvier 2002, la requérante fait valoir que cet arrêt confirme, d’une part, que la RegTP vérifie la compatibilité d’un tarif faisant l’objet d’une demande d’autorisation avec l’article 82 CE et, d’autre part, que la responsabilité du fait d’une éventuelle violation de l’article 82 CE ne peut qu’exceptionnellement être imputée à l’entreprise ayant introduit la demande d’autorisation du tarif. La requérante rappelle que la RegTP elle-même a conclu, à plusieurs reprises depuis 1998, à l’absence d’effet de ciseaux tarifaire au détriment des concurrents de la requérante. Le Bundesgerichtshof aurait en outre expressément laissé ouverte la question de la responsabilité qu’encourt la requérante au regard du droit de la concurrence du fait des tarifs régulés.

80. Deuxièmement, la requérante soutient que d’éventuels abus, relatifs à la période débutant en 2002, qui reposeraient uniquement sur sa prétendue marge de manœuvre existant pour les augmentations des tarifs T‑DSL (ADSL), ne sauraient lui être imputés. D’une part, la Commission ne pourrait considérer cette marge de manœuvre de façon isolée, le calcul de l’effet de ciseaux étant effectué non sur la base des seuls tarifs T‑DSL (ADSL), mais sur la base de la totalité des prix de détail. D’autre part, contrairement à ce que prétend la Commission, la requérante ne pourrait pas augmenter ses tarifs de manière illimitée. Ainsi, la requérante fait valoir que l’élément de base du tarif, à savoir le prix de la connexion de base (connexion analogique ou RNIS), requiert une autorisation préalable de la RegTP. En outre, le supplément de prix pour le passage d’une connexion analogique ou RNIS à une connexion ADSL serait soumis à un contrôle a posteriori de la part de la RegTP. Elle se réfère à cet égard aux décisions de la RegTP du 30 mars 2001 et du 25 janvier 2002. Dans ces conditions, la requérante, dont les tarifs devaient être fixés, conformément à l’article 24 du TKG, en fonction des coûts d’une prestation efficace, ne disposerait nullement d’une marge de manœuvre illimitée pour augmenter ses tarifs ADSL. Dans sa décision du 25 janvier 2002, la RegTP aurait clos la procédure diligentée à l’encontre de la requérante concernant des prix prédateurs relativement à l’ADSL. La requérante fait encore observer que la Commission se réfère seulement à des chiffres tirés de la décision de la RegTP du 30 mars 2001, pour démontrer qu’elle disposait, depuis 2002, d’une marge de manœuvre pour augmenter ses tarifs ADSL.

81. En outre, la requérante soutient que, sur la base des calculs de la Commission, exception faite de la phase de démarrage, ses prix de détail pour les services ADSL (lignes analogiques depuis 2001 et lignes RNIS depuis 2002) étaient supérieurs aux prix de ses prestations intermédiaires, augmentés des coûts spécifiques liés aux prestations de services aux abonnés. Il n’existerait donc aucun effet de ciseaux sur ce marché. Par ailleurs, la cause véritable du prétendu effet de ciseaux serait la fixation par la RegTP de tarifs de faible niveau pour les lignes analogiques. Ainsi, dès lors que, selon la Commission elle-même, il existerait des marchés distincts pour les connexions à large bande (ADSL) et les connexions à bande étroite (lignes analogiques et RNIS), la requérante soutient que, même si elle disposait d’une marge de manœuvre sur le marché des connexions à large bande – marge de manœuvre qui lui permettait d’augmenter ses tarifs pour les lignes ADSL –, ni une augmentation ni une réduction des tarifs ADSL n’auraient de répercussions quelconques sur la persistance d’un effet de ciseaux anticoncurrentiel sur le marché des connexions à bande étroite. Une rectification des tarifs ADSL ne pourrait pas éliminer le prétendu dysfonctionnement du marché des connexions à bande étroite, pas plus que la fixation des tarifs ADSL n’aurait provoqué ce dysfonctionnement. Elle ajoute encore, dans sa réplique, que, si une prestation intermédiaire unique donne accès à plusieurs marchés en aval, il y aurait lieu de rechercher pour chacun de ces marchés en aval s’il existe un effet de ciseaux tarifaire.

82. La requérante conteste par ailleurs l’argument de la Commission selon lequel le marché de l’accès à la boucle locale en tant que prestation intermédiaire serait uniforme. D’une part, elle souligne qu’un accès complet à la boucle locale peut servir de base à une offre à destination des abonnés qui se limite soit aux connexions à large bande, soit aux connexions à bande étroite. D’autre part, la requérante insiste sur le fait que les connexions à large bande peuvent être commercialisées séparément des connexions à bande étroite sur la base du partage de lignes. L’accès complet à la boucle locale ne serait donc pas nécessaire pour les services ADSL. Si la Commission avait tenu compte des redevances de partage de lignes, nettement inférieures aux tarifs des prestations intermédiaires, pour apprécier l’effet de ciseaux, le résultat aurait été plus favorable pour la requérante.

83. Enfin, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas démontré dans la décision attaquée comment elle aurait pu réduire le prétendu effet de ciseaux en augmentant les tarifs ADSL. Au vu de l’élasticité croisée des prix entre l’ADSL et les connexions traditionnelles ainsi qu’entre les différentes variantes ADSL (à partir de connexions analogiques et RNIS) admise par la Commission, un examen plus poussé se serait imposé pour déterminer si une augmentation des tarifs ADSL aurait réellement conduit à une augmentation des prix de détail pondérés. D’une part, la requérante relève à cet effet qu’il existe une élasticité-prix croisée entre l’ADSL et les connexions à bande étroite. Si elle avait exigé dans le passé des tarifs ADSL plus élevés que ceux qu’elle pratique, le nombre de clients pour l’ADSL aurait été plus faible. D’autre part, il existerait, en outre, une forte élasticité-prix croisée dans le domaine même de l’ADSL. Elle explique à cet effet que les connexions ADSL sont proposées aussi bien à partir de connexions analogiques qu’à partir de connexions RNIS. Une augmentation des tarifs ADSL sur la base des connexions RNIS déplacerait la demande vers la variante analogique.

84. La Commission et les parties intervenantes I et II concluent au rejet de la première branche du premier moyen.

b) Appréciation du Tribunal

i) Observations liminaires

85. Il résulte de la jurisprudence que les articles 81 CE et 82 CE ne visent que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative. Si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui lui-même élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, les articles 81 CE et 82 CE ne sont pas d’application. Dans une telle situation, la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l’impliquent ces dispositions, dans des comportements autonomes des entreprises (voir arrêt de la Cour du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C‑359/95 P et C‑379/95 P, Rec. p. I‑6265, point 33, et la jurisprudence citée).

86. À cet égard, il convient néanmoins de rappeler que la possibilité d’exclure un comportement anticoncurrentiel déterminé du champ d’application des articles 81 CE et 82 CE, en raison du fait qu’il a été imposé aux entreprises en question par la législation nationale existante ou que celle-ci a éliminé toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, n’a été admise que de manière restrictive par la Cour (arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, points 130 à 134 ; du 20 mars 1985, Italie/Commission, 41/83, Rec. p. 873, point 19 ; du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, points 27 à 29, et du 9 septembre 2003, CIF, C‑198/01, Rec. p. I‑8055, point 67).

87. Pour que le cadre juridique national ait pour effet d’écarter l’application des articles 81 CE et 82 CE aux comportements anticoncurrentiels d’entreprises, il faut que les effets restrictifs de la concurrence trouvent leur origine uniquement dans la loi nationale (arrêt du Tribunal du 30 mars 2000, Consiglio nazionale degli spedizionieri doganali/Commission, T‑513/93, Rec. p. II‑1807, point 61).

88. En revanche, les articles 81 CE et 82 CE peuvent s’appliquer s’il s’avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises (arrêts de la Cour van Landewyck e.a./Commission, point 86 supra, points 126 et 130 à 134 ; Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission, point 86 supra, points 12 à 37 ; du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, points 23 à 25, et Commission et France/Ladbroke Racing, point 85 supra, point 34).

89. Ainsi, si une loi nationale se limite à inciter ou à faciliter l’adoption, par les entreprises, de comportements anticoncurrentiels autonomes, celles‑ci demeurent justiciables des articles 81 CE et 82 CE (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 36 à 73, et CIF, point 86 supra, point 56 ; voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T‑387/94, Rec. p. II‑961, point 60).

90. C’est à la lumière des principes énoncés ci-dessus qu’il convient d’examiner si le cadre juridique allemand, notamment le TKG, le règlement sur la régulation tarifaire et les décisions prises par la RegTP pendant la période visée par la décision attaquée, éliminait toute possibilité de comportement concurrentiel de la requérante ou s’il laissait une marge de manœuvre suffisante à celle‑ci pour fixer ses tarifs à un niveau tel qu’il lui aurait permis d’éliminer ou de réduire l’effet de ciseaux constaté dans la décision attaquée.

ii) Décision attaquée

91. Dans la décision attaquée, la Commission, après avoir examiné les tarifs des prestations intermédiaires et les tarifs de détail, constate un « abus commis par [la requérante] sous forme d’un effet de ciseaux résultant d’un écart inapproprié entre [ces deux tarifs] » (considérant 57).

92. La Commission indique par ailleurs dans la décision attaquée qu’« on peut conclure à l’existence d’un effet de ciseaux abusif lorsque la différence entre les prix de détail d’une entreprise qui domine le marché et le tarif des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents est soit négative soit insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques des produits de l’opérateur dominant pour la prestation de ses propres services aux abonnés sur le marché en aval » (considérant 107).

93. Même si, dans la décision attaquée, la Commission n’exclut pas la possibilité pour la requérante de réduire ses tarifs pour les prestations intermédiaires (considérants 17, 163 et 206), elle analyse, dans ladite décision, uniquement le point de savoir si la requérante disposait d’une réelle marge de manœuvre pour augmenter ses prix de détail (considérants 164 à 175). Elle distingue à cet effet deux périodes.

94. La Commission estime d’abord que, « [a]u cours de la période d[u] début [de] 1998 à [la] fin de 2001, [la requérante] a eu la possibilité d’éliminer totalement l’effet de ciseaux en modifiant les tarifs facturés aux abonnés », ou, en d’autres termes, ses prix de détail ( considérant 199). La Commission explique à cet effet que la requérante « disposait effectivement [d’une] marge de manœuvre [suffisante] pour éviter un effet de ciseaux grâce à une augmentation des prix de détail des lignes analogiques et RNIS » (considérant 164).

95. Ensuite, pour la période allant du 1 er janvier 2002 jusqu’à l’adoption de la décision attaquée, la Commission constate également l’existence d’une marge de manœuvre pour la requérante pour augmenter ses prix de détail. Cette marge de manœuvre se rapporte toutefois uniquement aux prix de détail pour les services d’accès ADSL. En effet, dans la décision attaquée, la Commission fait observer que, « [d]epuis 2002, [la requérante] est de toute façon encore en mesure de réduire l’effet de ciseaux, en l’occurrence en relevant les tarifs des lignes ADSL » (considérant 199). Elle précise que, « depuis le 1 er janvier 2002, la possibilité juridique pour [la requérante] de réduire l’effet de ciseaux est limitée à une augmentation du prix du T‑DSL » (considérant 206).

96. Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner si la Commission a pu constater à bon droit, dans la décision attaquée, que la requérante disposait pendant les deux périodes distinguées aux points 94 et 95 ci‑dessus d’une marge de manœuvre suffisante pour augmenter ses prix de détail, de nature à éliminer ou à réduire l’effet de ciseaux constaté dans la décision attaquée.

iii) Sur l’absence de comportement abusif en raison d’une marge de manœuvre insuffisante de la requérante pour éviter l’effet de ciseaux en augmentant ses prix de détail pendant la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001

97. Il importe de rappeler que, aux termes de la décision attaquée (considérants 164 et 199), la requérante disposait d’une marge de manœuvre suffisante pour éliminer l’effet de ciseaux tarifaire pendant la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, en augmentant ses tarifs de détail pour l’accès aux lignes analogiques et RNIS.

98. Aux fins d’apprécier le bien‑fondé de cette constatation, en premier lieu, il y a lieu d’examiner le cadre réglementaire allemand applicable.

99. À cet égard, il doit être rappelé que, conformément à l’article 27, paragraphe 1, deuxième phrase, et à l’article 25, paragraphe 1, du TKG ainsi qu’aux articles 4 et 5 du règlement sur la régulation tarifaire, les prix de détail de la requérante pour l’accès aux lignes analogiques et RNIS devaient être approuvés par la RegTP dans le cadre d’un système de plafonnement des prix. Le plafonnement portait sur deux paniers (services résidentiels et services professionnels), qui comprenaient, pour la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, à la fois les services d’accès et les communications, notamment les communications locales, régionales, interurbaines et internationales. Au vu du plafond fixé par la décision du BMPT du 17 décembre 1997, la requérante a dû réduire de 4,3 % le prix global de chacun des deux paniers pendant la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 1999 et, à la suite de la décision de la RegTP du 23 décembre 1999, de 5,6 % pendant la période allant du 1 er janvier 2000 au 31 décembre 2001.

100. Toutefois, il y a lieu de constater que, à l’intérieur de ce cadre, la requérante pouvait modifier ses prix après avoir obtenu l’autorisation préalable de la RegTP. La requérante ne conteste pas la constatation faite aux considérants 37 et 166 de la décision attaquée selon laquelle, pendant la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, elle a baissé ses prix pour les communications, en allant largement au-delà des niveaux de, respectivement, 4,3 % et 5,6 % imposés par la RegTP pour les paniers entiers. La réponse de la RegTP du 3 avril 2002 à la demande de renseignements du 23 mars 2002 à laquelle il a été fait référence au considérant 37 de la décision attaquée confirme ainsi que « les tarifs des services téléphoniques régulés dans la procédure de plafonnement des prix ont été réduits d’un montant de [ confidentiel ](1) de marks allemands [ou environ [ confidentiel ] d’euros] au‑delà de ce qu’exigeaient les prescriptions de plafonnement des prix ».

101. Cette baisse des tarifs a créé une marge de manœuvre pour la requérante pour augmenter ses prix de détail d’accès pour ses lignes analogiques et RNIS.

102. Comme il est relevé au considérant 167 de la décision attaquée, la requérante a d’ailleurs admis, dans sa réponse à la communication des griefs, l’existence d’une marge de manœuvre qui lui aurait permis d’augmenter l’abonnement mensuel par ligne résidentielle de [ confidentiel ] euros durant la période de plafonnement des prix 1998/1999.

103. L’existence d’une marge de manœuvre pour la requérante pour augmenter ses tarifs de détail résulte également des observations formulées par le gouvernement allemand dans sa communication du 8 juin 2000 adressée à la Commission. Le gouvernement allemand y a affirmé ce qui suit :

« [L]e grief […] selon lequel la RegTP, par ces décisions de plafonnement des tarifs de détail, a limité la marge de manœuvre de la [requérante] au point qu’il n’aurait plus été possible d’augmenter le prix de l’abonnement de base est infondé. […] [La requérante] disposait [en effet] d’une marge lui permettant d’augmenter l’abonnement de base pour les lignes analogiques (21,39 DEM) afin de mieux aligner l’abonnement de base sur le tarif autorisé le 8 février 1999 pour l’accès à la boucle locale, d’un montant de 25,40 DEM. »

104. En outre, la décision de la RegTP du 8 février 1999, à laquelle la requérante fait référence dans sa requête et dans sa réplique au soutien de son argumentation selon laquelle elle ne peut pas être tenue responsable d’une violation de l’article 82 CE, confirme que « la requérante conserve une marge de manœuvre, pour ce qui est de l’aménagement des différents tarifs de détail, dans les limites du panier fixé dans la procédure de plafonnement des prix ».

105. C’est donc à bon droit que la Commission a constaté aux considérants 166 et 167 de la décision attaquée que, eu égard aux six demandes de réduction des prix des communications intervenues pendant la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, la requérante disposait pendant ladite période d’une marge de manœuvre pour formuler des demandes d’augmentation de prix pour ses services d’accès aux lignes analogiques et RNIS, tout en respectant le plafond global des paniers des services résidentiels et des services professionnels. La requérante a d’ailleurs admis lors de l’audience l’existence d’une telle marge de manœuvre pour elle.

106. En deuxième lieu, il importe d’examiner si, malgré la marge de manœuvre constatée au point 105 ci‑dessus, l’intervention de la RegTP dans la fixation des tarifs de la requérante a eu pour conséquence que cette dernière ne serait plus justiciable de l’article 82 CE.

107. Sur ce point, il y a lieu de rappeler à titre liminaire que le fait que les tarifs de la requérante aient dû être approuvés par la RegTP n’élimine pas sa responsabilité au titre de l’article 82 CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 30 janvier 1985, BNIC, 123/83, Rec. p. 391, points 21 à 23). En effet, dès lors que la requérante, comme elle l’admet d’ailleurs dans sa réplique, influe sur le montant de ses tarifs de détail au moyen de demandes d’autorisation déposées auprès de la RegTP en vertu de l’article 28, paragraphe 1, du TKG, les effets restrictifs de la concurrence liés à l’effet de ciseaux constaté dans la décision attaquée ne trouvaient pas leur origine uniquement dans le cadre juridique national applicable (arrêt Consiglio nazionale degli spedizionieri doganali/Commission, point 87 supra, point 61).

108. La requérante insiste toutefois sur le fait qu’elle ne porte aucune responsabilité au titre de l’article 82 CE, dès lors que la RegTP effectuerait un contrôle ex ante de la compatibilité de ses tarifs avec l’article 82 CE.

109. À cet égard, premièrement, il doit être constaté que les tarifs de détail pour l’accès aux lignes analogiques qui étaient en vigueur pendant toute la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001 n’avaient pas été autorisés par la RegTP, mais étaient fondés sur des décisions prises sous l’empire de la législation en vigueur avant l’adoption du TKG. En réponse à une question écrite du Tribunal, la requérante a ainsi affirmé que ses tarifs de détail pour les lignes analogiques afférents à la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001 reposaient sur une autorisation sans limite de temps octroyée par le ministre fédéral des Postes et Télécommunications en 1990 sur la base de l’arrêté sur les télécommunications (Telekommunikationsordnung).

110. Or, ni dans sa requête, ni dans sa réplique, la requérante n’a soutenu que les tarifs fixés sous l’empire de la législation en vigueur en 1990 auraient été autorisés après examen par l’autorité compétente de leur conformité avec l’article 82 CE.

111. Deuxièmement, il doit être relevé que les dispositions du TKG, en vigueur depuis le 1 er août 1996, ne font pas apparaître que la RegTP examine la compatibilité des demandes de modification des tarifs de détail pour l’accès aux lignes analogiques et RNIS avec l’article 82 CE.

112. Au soutien de son argument, la requérante se réfère toutefois, d’une part, à l’article 27, paragraphe 3, du TKG, aux termes duquel la RegTP examine la conformité de la modification des tarifs demandée « avec d’autres dispositions juridiques », qui incluraient l’article 82 CE, et, d’autre part, aux différentes décisions de la RegTP mentionnées au point 78 ci‑dessus qui auraient vérifié l’existence d’un effet de ciseaux.

113. À cet égard, il importe de souligner, d’abord, que, même si la RegTP, à l’instar de tout organe de l’État, est tenue de respecter les dispositions du traité CE (voir, en ce sens, arrêt CIF, point 86 supra, point 49), cette autorité constituait, à l’époque des faits du litige, l’autorité allemande chargée de l’application de la réglementation sectorielle dans le domaine des télécommunications, et non pas l’autorité de concurrence de l’État membre concerné. Or, les autorités réglementaires nationales agissent conformément au droit national, lequel peut avoir des objectifs qui, s’inscrivant dans les politiques de télécommunications, diffèrent de ceux de la politique communautaire de concurrence [voir communication de la Commission du 22 août 1998 relative à l’application des règles de concurrence aux accords d’accès dans le secteur des télécommunications – Cadre général, marchés en cause et principes (JO C 265, p. 2), point 13].

114. Il doit être constaté, ensuite, que les différentes décisions de la RegTP auxquelles se réfère la requérante à l’appui de son argumentation ne comportent aucune référence à l’article 82 CE.

115. Certes, dans plusieurs décisions de la RegTP, notamment celles des 8 février 1999, 30 mars 2001, 21 décembre 2001, 11 avril 2002 et 29 avril 2003, la RegTP a examiné la question relative à l’effet de ciseaux tarifaire.

116. Toutefois, dans ces décisions, la RegTP, après avoir constaté l’écart négatif entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail de la requérante, a considéré, chaque fois, que le recours au subventionnement croisé entre les tarifs pour les services d’accès et les tarifs pour les communications devait permettre aux autres opérateurs d’offrir à leurs abonnés des prix concurrentiels.

117. Ainsi, la RegTP constate dans sa décision du 29 avril 2003 :

« [L]a faible différence entre le prix de détail et les prix des prestations intermédiaires n’atteint pas les concurrents dans leurs possibilités de concurrence dans le réseau local au point de rendre économiquement impossible une bonne entrée sur le marché, voire leur survie sur le marché [...] [Cette différence] n’était pas importante au point de priver les concurrents de toute possibilité de réaliser de leur côté le subventionnement croisé de leurs prix de détail afin de pouvoir proposer à leurs clients finals des connexions à un prix aussi intéressant que la requérante, voire à un prix inférieur. Cela est particulièrement vrai pour les connexions de plus grande valeur et plus chères que sont les lignes RNIS et ADSL, dont le nombre a sensiblement augmenté du fait de la forte hausse de la pénétration de l’Internet ainsi que de la commercialisation d’accès à Internet plus rapides et plus performants. »

118. La RegTP suit un raisonnement similaire dans ses décisions des 8 février 1999, 30 mars 2001, 21 décembre 2001 et 11 avril 2002.

119. Or, le fait que la RegTP n’objecte pas aux tarifs demandés par la requérante après avoir constaté la nécessité de ses concurrents de recourir à un subventionnement croisé pour pouvoir offrir à leurs abonnés des prix compétitifs pour les services d’accès démontre que la RegTP n’a pas examiné la compatibilité des tarifs en question avec l’article 82 CE ou que, à tout le moins, elle en a fait une application erronée (voir points 198 à 202 et 238 ci‑après).

120. En tout état de cause, à supposer même que la RegTP soit tenue d’examiner la compatibilité des tarifs de détail proposés par la requérante avec l’article 82 CE, une telle circonstance n’empêcherait pas qu’une infraction imputée à la requérante puisse être constatée par la Commission. En effet, la Commission ne saurait être liée par une décision rendue par une autorité nationale en application de l’article 82 CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB, C‑344/98, Rec. p. I‑11369, point 48).

121. Troisièmement, il y a lieu de relever que, ce qui importe dans la présente espèce pour qu’une éventuelle infraction puisse être imputée à la requérante, c’est la question de savoir si la requérante disposait, à l’époque des faits du litige, d’une marge de manœuvre suffisante pour fixer ses tarifs à un niveau tel qu’il lui aurait permis d’éliminer ou de réduire l’effet de ciseaux dénoncé.

122. Or, il a déjà été constaté que la requérante pouvait influer sur le montant de ses tarifs de détail au moyen de demandes d’autorisation déposées auprès de la RegTP (voir points 98 à 105 ci‑dessus). Dans le cadre de la responsabilité particulière incombant à la requérante en tant qu’entreprise occupant une position dominante (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, NBIM/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 57 ; arrêts du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T‑228/97, Rec. p. II‑2969, point 112, et du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 97), celle‑ci était donc tenue de présenter des demandes de modification de ses tarifs lorsque ceux‑ci avaient pour effet de porter atteinte à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun.

123. Dans son arrêt du 10 février 2004 (point 79 supra), le Bundesgerichtshof a d’ailleurs expressément confirmé la responsabilité incombant à la requérante pour formuler des demandes de modification de ses tarifs. Il a, en outre, relevé que le cadre juridique allemand n’excluait pas que la RegTP autorise des tarifs proposés qui violent l’article 82 CE. Cette juridiction a, en effet, jugé que, « [c]ontrairement aux cas dans lesquels le comportement de l’entreprise en position dominante est directement déterminé par des dispositions juridiques nationales, l’autorisation des tarifs requise par le droit des télécommunications repose cependant sur la demande d’autorisation du prestataire » et que, « [m]ême si la procédure administrative d’examen vise à ne pas autoriser de tarifs qui s’avèrent constituer un abus de position dominante, cela n’exclut pas la possibilité pratique qu’une entreprise présente un tarif par lequel elle abuse de sa position dominante et obtienne son autorisation parce que l’abus n’est pas découvert lors de la procédure d’examen ».

124. Il résulte de tout ce qui précède que, malgré l’intervention de la RegTP dans la fixation des tarifs de la requérante, cette dernière disposait, au cours de la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, d’une marge de manœuvre suffisante pour que sa politique tarifaire puisse relever du champ d’application de l’article 82 CE.

125. En troisième lieu, il importe d’examiner si la requérante a utilisé la marge de manœuvre dont elle disposait pour intervenir sur ses prix de détail aux fins d’éviter l’effet de ciseaux constaté dans la décision attaquée pour la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001.

126. En l’espèce, premièrement, s’agissant des prix de détail pour les lignes analogiques, la requérante ne conteste pas qu’elle n’a adressé aucune demande à la RegTP visant à obtenir l’autorisation pour une augmentation des redevances initiales et/ou des abonnements mensuels. Ainsi, il est constant que « les abonnements mensuels et les redevances initiales de mise en service pour le raccordement à une ligne analogique de base sont […] restés inchangés au cours des deux périodes de plafonnement, c’est-à-dire de 1998 à fin 2001 » (décision attaquée, considérant 38).

127. La requérante souligne néanmoins que, avant le 1 er mai 2002, elle était liée, conformément à l’article 97, paragraphe 3, du TKG, par les tarifs obligatoires afférents aux lignes analogiques tels qu’ils avaient été fixés en 1990 par le ministre fédéral des Postes et Télécommunications.

128. Or, l’article 97, paragraphe 3, du TKG, comprenant une disposition transitoire, prévoyait uniquement que les tarifs de la requérante qui avaient été approuvés avant l’entrée en vigueur du TKG resteraient en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002 au plus tard. Cette disposition n’empêchait donc nullement la requérante d’intervenir sur les prix de détail en introduisant des demandes de modifications tarifaires auprès de la RegTP avant cette date, et notamment pendant toute la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001.

129. Deuxièmement, s’agissant des prix de détail pour les lignes RNIS, il n’est pas contesté que, à la suite de la demande de la requérante, la RegTP a autorisé, par décision du 16 février 2000, une baisse des tarifs pour l’abonnement mensuel (décision attaquée, considérant 40).

130. En outre, au cours de la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, aucune demande de modification de prix n’a été introduite par la requérante concernant ses redevances initiales pour la mise en service des lignes RNIS. Ces tarifs, qui, selon la requérante, reposaient sur une décision du BMPT prise en 1996 et qui, conformément à l’article 97, paragraphe 3, du TKG, sont restés valables après l’entrée en vigueur du TKG, n’ont donc pas subi de modifications pendant la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001 (décision attaquée, considérant 41).

131. Il s’ensuit que la requérante n’a pas utilisé la marge de manœuvre dont elle disposait, pour obtenir une augmentation de ses prix de détail, laquelle aurait contribué à réduire l’effet de ciseaux pendant la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001. Au contraire, elle a même utilisé cette marge de manœuvre pour baisser ses prix de détail, s’agissant des lignes RNIS, au cours de cette même période.

132. En quatrième et dernier lieu, il doit être examiné si la Commission a établi à suffisance de droit, dans la décision attaquée, que la requérante disposait d’une marge de manœuvre suffisante au cours de la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001 pour « éviter un effet de ciseaux » (considérant 164). À cet égard, la Commission énonce, dans la décision attaquée, que la requérante « a eu la possibilité [pendant ladite période] d’éliminer totalement l’effet de ciseaux en modifiant les tarifs facturés aux abonnés » (considérant 199).

133. Il importe de relever à cet égard que l’effet de ciseaux tel qu’il a été constaté dans la décision attaquée pour cette période s’élevait à [ confidentiel ] euro au 31 décembre 1998, à [ confidentiel ] euros au 31 décembre 1999, à [ confidentiel ] euros au 31 décembre 2000 et à [ confidentiel ] euros au 31 décembre 2001 (décision attaquée, considérants 152 et 153, et tableau 10).

134. Or, comme le souligne d’ailleurs la Commission dans sa réponse à une question écrite du Tribunal, il ressort des constatations faites au considérant 167 de la décision attaquée, qui n’ont pas été contestées par la requérante, que celle‑ci a effectivement baissé ses tarifs de communications pour un total de [ confidentiel ] d’euros pendant la période 1998/1999. Or, ce montant – réparti sur [ confidentiel ] lignes (décision attaquée, tableau 7) et 24 mois – aurait permis à la requérante de relever le prix moyen de ses prix de détail jusqu’à concurrence de [ confidentiel ] euros par mois.

135. Il s’ensuit que la marge de manœuvre créée par l’abaissement des prix de communications aurait suffi pour éliminer totalement l’effet de ciseaux tel que constaté dans la décision attaquée. En effet, si, en utilisant sa marge de manœuvre, la requérante avait éliminé l’effet de ciseaux dès 1998, il lui aurait suffi de maintenir le rapport entre ses tarifs afférents aux prestations intermédiaires et ses tarifs de détail pour éviter, pendant toute la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, l’effet de ciseaux qui a été constaté dans la décision attaquée. En outre, il est constant que, comme le relève d’ailleurs la Commission dans la décision attaquée (considérant 167), la requérante a procédé à une autre baisse de ses tarifs de communications à concurrence de [ confidentiel ] d’euros pendant la période 2000/2001, laquelle baisse a eu pour effet d’accroître encore sa marge de manœuvre pour relever ses prix de détail.

136. Lors de l’audience, la requérante a rappelé que, pendant la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, la RegTP devait vérifier le respect des plafonnements des prix séparément pour les clients professionnels et privés. Elle souligne que sa marge de manœuvre pour augmenter ses prix de détail d’accès pour les particuliers était faible et qu’elle ne pouvait pas utiliser la marge de manœuvre plus élevée dont elle disposait pour augmenter ses prix de détail d’accès pour sa clientèle professionnelle, dès lors qu’il en aurait résulté une discrimination de cette clientèle contraire à l’article 24, paragraphe 2, point 3, du TKG.

137. Cependant, dans sa requête, la requérante n’a pas contesté la constatation, figurant au considérant 167 de la décision attaquée, selon laquelle le montant dégagé par les baisses des tarifs de communications aurait pu être transféré vers le secteur « lignes pour clients résidentiels et professionnels » et être utilisé intégralement pour augmenter les tarifs des services d’accès pour les abonnés. En outre, dans sa requête, la requérante n’a pas non plus contesté l’affirmation de la Commission, au considérant 132 de la décision attaquée, selon laquelle « aucune distinction entre clients résidentiels et clients professionnels [ne doit être opérée], car il n’est pas possible de délimiter ces deux secteurs de façon suffisamment nette ».

138. L’argumentation rappelée au point 136, qui a été soulevée pour la première fois à l’audience, doit donc être déclarée irrecevable, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

139. Enfin, il doit être constaté que la requérante ne conteste pas la constatation, figurant au considérant 168 de la décision attaquée, selon laquelle elle aurait pu procéder au cours de la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001 « à d’autres réductions des prix des communications […] et se donner ainsi une marge de manœuvre [supplémentaire] pour procéder à des augmentations des prix des abonnements mensuels et des redevances initiales pour les lignes analogiques et RNIS ».

140. Il ressort de tout ce qui précède que la Commission a pu constater à bon droit dans la décision attaquée (considérants 164 et 199) que la requérante disposait d’une marge de manœuvre suffisante au cours de la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001 pour éliminer totalement l’effet de ciseaux dénoncé dans ladite décision.

iv) Sur l’absence de comportement abusif en raison d’une marge de manœuvre insuffisante de la requérante pour réduire l’effet de ciseaux en augmentant ses tarifs de détail d’accès ADSL à partir du 1 er janvier 2002

141. Il doit être rappelé que, depuis le 1 er janvier 2002, il existe, en Allemagne, un nouveau système de plafonnement des prix adopté par décision de la RegTP du 21 décembre 2001. Conformément à cette décision, les « lignes téléphoniques » font l’objet d’un panier distinct. Dans le cadre de ce panier, l’augmentation des prix de détail pour les lignes analogiques et RNIS a été plafonnée à 4,1 % par an.

142. Il n’est pas contesté que la requérante, à la suite d’une demande introduite auprès de la RegTP, le 15 janvier 2002, a été autorisée à augmenter ses abonnements mensuels pour lignes analogiques et RNIS de 0,56 euro, ce qui représentait une augmentation du niveau moyen des tarifs pour les services relevant du panier concerné de 4,04 % (décision attaquée, considérant 44). Il n’est, en outre, pas contesté que la demande d’augmentation des prix de détail de la requérante du 31 octobre 2002, relative à l’abonnement mensuel pour la connexion analogique T‑Net et aux redevances initiales pour les connexions T‑Net et T‑ISDN, a été en grande partie rejetée par la RegTP, dès lors que l’augmentation n’était plus en conformité avec les valeurs prévues dans le cadre du système de plafonnement des prix (décision attaquée, considérant 45).

143. C’est ainsi que la Commission constate, dans la décision attaquée (considérant 206), que, « depuis le 1 er janvier 2002, la possibilité juridique pour [la requérante] de réduire l’effet de ciseaux, est limitée à une augmentation du prix du T‑DSL ». Selon la Commission, à partir de cette date, la marge de manœuvre de la requérante ne concerne plus que les tarifs de détail d’accès ADSL (voir, également, décision attaquée, considérants 174 et 199).

144. En premier lieu, il y a lieu de relever à cet égard que la requérante ne conteste pas qu’elle aurait pu augmenter ses tarifs ADSL à partir du 1 er janvier 2002. Elle souligne cependant que sa marge de manœuvre n’était pas illimitée, dès lors que, d’une part, ses tarifs devaient être fixés en fonction des coûts d’une prestation de service efficace et que, d’autre part, ses tarifs pouvaient faire l’objet d’un examen ex post par la RegTP.

145. Toutefois, dès lors que la requérante fixe librement ses tarifs ADSL dans les limites prévues par la législation allemande, ses pratiques tarifaires dans ce domaine sont susceptibles de relever de l’article 82 CE (voir points 87 et 88 ci‑dessus).

146. Le fait que la Commission se serait référée, dans la décision attaquée, aux seuls tarifs tirés d’une décision de la RegTP du 30 mars 2001pour apprécier la marge de manœuvre de la requérante à partir du 1 er janvier 2002 ne change rien sur ce point. En effet, la requérante ne conteste nullement l’existence d’une marge de manœuvre limitée pour elle pour augmenter ses prix des services d’accès ADSL, à partir du 1 er janvier 2002.

147. En deuxième lieu, il importe d’examiner si, comme le constate la Commission dans la décision attaquée (considérant 199), la requérante aurait pu « réduire l’effet de ciseaux » en augmentant, à partir du 1 er janvier 2002, ses tarifs des services d’accès ADSL. La requérante souligne à cet effet que, pour les abonnés, les marchés des services d’accès à bande étroite et ADSL constituent des marchés distincts. Dans ces circonstances, une augmentation des tarifs de détail ADSL de la requérante aurait été sans incidence sur le prétendu effet de ciseaux constaté sur les marchés des services d’accès pour lignes analogiques et RNIS.

148. À cet égard, il y a lieu de relever que, puisque les services d’accès, au niveau des prestations intermédiaires, permettent de fournir, au niveau des abonnés, l’ensemble des services d’accès analogiques, RNIS et ADSL, la marge de manœuvre dont dispose la requérante pour augmenter ses tarifs ADSL est de nature à réduire l’effet de ciseaux entre les prix des prestations intermédiaires, d’une part, et les prix de détail pour l’ensemble des services d’accès analogiques, RNIS et ADSL, d’autre part. Une analyse conjointe, au niveau des abonnés, des services d’accès analogiques, RNIS et ADSL s’impose non seulement parce qu’ils correspondent à une seule prestation de services au niveau intermédiaire, mais aussi en raison du fait que, comme la Commission l’a expliqué dans la décision attaquée (considérant 26) sans avoir été contredite sur ce point par la requérante, l’ADSL ne peut être proposé aux abonnés de façon isolée, puisqu’il implique toujours, pour des raisons techniques, un réaménagement des lignes à bande étroite analogiques ou RNIS.

149. Les observations de la requérante relatives à une prétendue élasticité croisée des prix entre l’ADSL et les connexions à bande étroite ainsi qu’entre les différentes variantes ADSL doivent être rejetées. En effet, d’une part, ces observations ne contredisent pas l’existence d’une marge de manœuvre de la requérante pour augmenter ses tarifs ADSL. D’autre part, une augmentation limitée des tarifs ADSL aurait conduit à un tarif de détail moyen plus élevé pour les services d’accès à bande étroite et à large bande confondues et aurait ainsi réduit l’effet de ciseaux constaté. Il doit, en effet, être considéré que, au vu notamment des avantages de la large bande au niveau du transfert des données, les abonnés des services d’accès à large bande n’opteraient pas automatiquement en faveur d’un retour vers une connexion à bande étroite en cas d’une augmentation des prix de détail d’accès ADSL.

150. L’argument de la requérante tiré du fait que les connexions à large bande peuvent être commercialisées séparément des connexions à bande étroite, sur la base du partage de lignes au niveau des prestations intermédiaires, ne peut pas non plus être accueilli. Si c’est par cet argument que la requérante vise à distinguer deux marchés séparés au niveau des prestations intermédiaires relatifs, respectivement, aux services à bande étroite et aux services à large bande, il doit être déclaré irrecevable, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, dès lors que, dans sa requête, la requérante n’a pas contesté la définition des marchés concernés qui a été opérée dans la décision attaquée, laquelle identifie, au niveau des prestations intermédiaires, un seul marché, à savoir le marché de l’accès totalement dégroupé à la boucle locale (décision attaquée, considérants 64 à 67). Si c’est par cet argument que la requérante soutient que la Commission aurait dû prendre en compte les redevances de partage de lignes aux fins du calcul des tarifs des prestations intermédiaires, il ne peut pas non plus être accueilli. En effet, la requérante n’a nullement démontré qu’une telle prise en compte des redevances de partage de lignes aurait affecté les constatations de la Commission relatives à l’existence d’un effet de ciseaux tarifaire ou celles relatives à l’existence d’une marge de manœuvre de la requérante pour réduire l’effet de ciseaux constaté en augmentant ses tarifs de détail d’accès ADSL.

151. Il ressort de tout ce qui précède que la Commission a pu constater à bon droit dans la décision attaquée que la requérante disposait d’une marge de manœuvre suffisante à partir du 1 er janvier 2002 pour réduire l’effet de ciseaux dénoncé dans ladite décision en augmentant ses tarifs pour les services d’accès ADSL.

152. Il s’ensuit que la première branche du moyen doit être rejetée.

2. Sur la deuxième branche, tirée de l’illégalité de la méthode utilisée par la Commission pour constater l’effet de ciseaux tarifaire

a) Arguments des parties

153. La requérante soutient que l’éventuel caractère abusif d’un effet de ciseaux ne pourrait résulter que du caractère abusif des seuls prix de détail, dès lors que la Commission ne conteste pas que les prix des prestations intermédiaires sont imposés, de manière contraignante, par les autorités publiques. Or, la Commission ne démontrerait pas que les prix de détail de la requérante conduiraient à des ventes à perte et seraient abusifs en tant que tels. La requérante se réfère à cet effet à l’expertise Lexecon. La décision attaquée serait donc erronée du fait que la Commission a eu recours à un critère qui ne s’attache pas au caractère abusif des prix de détail, considérés en tant que tels, mais au rapport entre ces prix et les prix des prestations intermédiaires.

154. La requérante prétend en outre que la constatation d’un effet de ciseaux tarifaire est fondée sur plusieurs erreurs relatives à la méthode utilisée.

155. En premier lieu, la requérante fait observer que, pour ce qui concerne les prix de détail, la Commission a tenu compte uniquement des recettes provenant de la mise à la disposition de lignes téléphoniques à des abonnés. Afin de pouvoir constater un effet de ciseaux et au vu de la délimitation étroite du marché retenue dans la décision attaquée, la Commission aurait dû tenir compte des recettes supplémentaires des concurrents de la requérante provenant de services de connexion et de services à valeur ajoutée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T‑342/99, Rec. p. II‑2585, point 276). Il s’agirait des recettes générées par les appels locaux ou interurbains, la terminaison et l’émission d’appels, ainsi que d’autres services de valeur ajoutée. Bien que la Commission ait constaté que « la prestation d’une pluralité de services de télécommunications aux abonnés est subordonnée aux raccordements au réseau de téléphonie fixe » et que ces services permettent de réaliser des recettes supplémentaires considérables (décision attaquée, considérant 205), elle aurait néanmoins refusé, de façon contradictoire, de prendre en compte les tarifs desdits services de télécommunications dans son analyse de l’effet de ciseaux tarifaire. D’un point de vue économique, pourtant, une telle prise en compte s’imposerait pour apprécier les possibilités effectives d’entrée sur le marché pour un concurrent de la requérante.

156. Ainsi, premièrement, la requérante souligne que, tant pour les communications locales que pour les communications interurbaines et internationales, ses concurrents ne sont pas tenus de proposer à leur clientèle les services de « présélection » (sélection de l’opérateur de façon permanente) et « call-by-call » (sélection de l’opérateur au cas par cas). Ses concurrents pourraient donc prévoir le montant de leurs recettes, en matière de communications téléphoniques, de manière beaucoup plus sûre qu’elle ne le pourrait. Dans sa réplique, la requérante insiste sur le fait que, s’agissant des appels interurbains, elle était déjà tenue, depuis 1998, de permettre la « présélection » et le « call-by-call » [ci‑après conjointement dénommés la « (pré‑)sélection »].

157. La requérante souligne, en outre, dans sa réplique, que la (pré‑)sélection de l’opérateur n’est pas exclue de plein droit pour les clients de ses concurrents. Toutefois, presque tous les concurrents de la requérante feraient usage de la possibilité, dont la requérante ne disposerait pas, d’exclure la (pré‑)sélection dès lors que cette exclusion leur serait bénéfique. Les concurrents de la requérante s’assureraient ainsi de recettes certaines liées aux communications téléphoniques, grâce à l’exclusion volontaire de la (pré‑)sélection de l’opérateur. Aucun des plaignants dans la procédure administrative n’aurait, par ailleurs, considéré que son offre était moins attractive du fait de l’exclusion de la (pré‑)sélection et qu’un tarif de raccordement plus faible devait être proposé à titre de compensation. En outre, leurs tarifs de communications seraient presque tous supérieurs aux coûts d’établissement de la communication.

158. Deuxièmement, la requérante soutient que ses concurrents pourraient proposer, sur la base de l’accès dégroupé à la boucle locale, des produits novateurs, que la requérante elle-même n’offre pas. La Commission aurait donc aussi dû tenir compte des recettes supplémentaires que de tels produits génèrent, dans le calcul de l’effet de ciseaux.

159. Troisièmement, la requérante relève que ses tarifs pour les services d’accès pour les abonnés (redevances initiales et abonnements mensuels) ne peuvent pas être isolés des tarifs des communications. En effet, la concurrence sur les services de télécommunications se ferait par paquet de services. Elle se réfère à cet effet à une étude de marché. Ainsi, les entreprises de télécommunications proposeraient un choix de variantes de connexions et d’options de communications qui seraient commercialisées en tant que produit global. Il s’agirait d’offres tarifaires mixtes dans lesquelles des abonnements mensuels croissants correspondent à des tarifs de communications décroissants. La RegTP, en examinant, dans sa décision du 29 avril 2003, la question de savoir si les tarifs de la requérante conduisaient à un effet de ciseaux faussant le jeu de la concurrence, aurait aussi considéré comme décisif le fait que les concurrents de la requérante sont en mesure de tirer des recettes supplémentaires des services de communications. Des explications identiques ou similaires se trouveraient également dans les autres décisions rendues par la RegTP entre 1999 et 2003 et citées au point 78 ci‑dessus. La requérante se réfère en outre à la pratique de la Federal Communications Commission (FCC) des États-Unis et de l’Office of Telecommunications (Oftel) britannique ainsi qu’au point de vue exprimé par le gouvernement allemand dans ses observations du 8 juin 2000 dans le cadre de la procédure en manquement, qui confirmeraient la position selon laquelle il convient de prendre en compte les autres recettes dont les concurrents peuvent disposer, dans l’analyse de l’effet de ciseaux tarifaire.

160. Dans sa réplique, la requérante ajoute qu’une analyse de l’effet de ciseaux doit être effectuée à partir de différents niveaux d’agrégation, lorsqu’une prestation intermédiaire sert de base à différents services fournis aux abonnés. Ainsi, à chaque niveau, seuls devraient être pris en compte les coûts des prestations intermédiaires qui sont exclusivement liés au produit final correspondant ou au groupe de produits finals concerné. Par conséquent, si la fabrication du produit final PF1 nécessite les produits intermédiaires PI1 et PI2, mais si, en même temps, ledit PI2 constitue, avec le PI3, la base pour la fabrication du produit final PF2, il y aurait effet de ciseaux tarifaire lorsque soit le prix respectif du PF1 ou du PF2 est inférieur au prix du PI1 ou au prix du PI3, soit la somme du prix du PFl et du PF2 est inférieure à la somme du prix du PI1, du PI2 et du PI3. Toutefois, le prix du PI2 ne devrait pas être pris en compte pour vérifier l’existence d’un effet de ciseaux tarifaire au premier niveau d’agrégation. L’analyse devrait être menée à un niveau d’agrégation supérieur lorsque les produits PFI et PF2 constituent un tout du point de vue du client ou lorsque les produits PF1 et PF2 sont regroupés pour des raisons techniques ou juridiques (par le produit intermédiaire PI2), de sorte que l’entreprise en position dominante perdrait nécessairement les recettes des deux produits finals PF1 et PF2 lors du transfert du produit intermédiaire PI2. L’accès dégroupé à la boucle locale constituerait un produit intermédiaire pour au moins deux produits finals, à savoir les communications et les connexions, qui constitueraient un « cluster » pour les clients. Les coûts du produit intermédiaire ne devraient pas être imputés seulement à l’un des deux produits finals, mais aux deux. Il s’ensuit que les tarifs pour la location de lignes à des abonnés, ainsi que pour les communications et les services à valeur ajoutée, devraient être comparés aux charges afférentes à cette offre globale de services dans le cadre de l’analyse de l’effet de ciseaux.

161. La requérante conteste, en outre, les arguments de la Commission tirés du principe de la restructuration tarifaire (décision attaquée, considérants 120 à 123). Ainsi, selon la requérante, la restructuration tarifaire, qui a pour objet de réduire le déficit de connexion qui existe traditionnellement dans la plupart des États membres au moyen d’une augmentation des tarifs de connexion et d’une diminution parallèle des tarifs de communications, concernerait uniquement les opérateurs historiques. En revanche, l’analyse de l’effet de ciseaux concernerait l’entrée sur le marché de concurrents de la requérante. Dans le cadre de l’article 82 CE, il importerait seulement de savoir s’il est possible pour les concurrents, compte tenu de la situation réelle du marché, de fournir sans entraves des services aux abonnés, sur la base des tarifs pratiqués par la requérante pour les prestations intermédiaires. À cet effet, la requérante rappelle que ses concurrents ne sont pas tenus d’offrir la (pré‑)sélection. Le cadre juridique permettrait ainsi aux concurrents de la requérante de bénéficier de recettes juridiquement garanties, grâce aux services de communications, de manière totalement indépendante de la restructuration tarifaire. La requérante insiste encore sur le fait qu’elle est soumise à la régulation de la RegTP qui vise à atteindre une restructuration tarifaire progressive.

162. En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la méthode utilisée par la Commission aux fins de constater un effet de ciseaux est erronée, dès lors qu’elle repose sur l’hypothèse selon laquelle il devrait être possible pour ses concurrents de reproduire entièrement la structure de sa clientèle (décision attaquée, considérants 120 à 127). Toutefois, aucun concurrent n’aurait intérêt à reproduire cette structure de clientèle qui est caractérisée, en raison de l’obligation de fournir des services universels, par une part démesurément élevée et peu rentable d’abonnés à faibles revenus bénéficiant de lignes analogiques, qui ne génèrent que de faibles chiffres d’affaires et qui ne sont pas prêts à passer à des connexions à plus forte valeur. Le fait que, chez les concurrents de la requérante, la part des lignes analogiques est tombée de 21 à 10 % entre 1999 et 2002 (décision attaquée, considérant 182) s’expliquerait par le fait que les clients des concurrents de la requérante seraient de plus en plus passés à des connexions à plus forte valeur ajoutée.

163. La requérante affirme que, contrairement à ce que la Commission prétend (décision attaquée, considérant 133), dans les secteurs du marché les plus rémunérateurs qui présentent un intérêt pour les concurrents de la requérante (connexions RNIS et connexions ADSL à partir de lignes analogiques ou de lignes RNIS), il n’existe aucun effet de ciseaux. Tant ses propres tarifs que ceux de ses concurrents, pour les lignes des segments à plus forte valeur ajoutée, suffiraient à couvrir les coûts.

164. En troisième lieu, la requérante critique le fait que la Commission prend en compte les frais de résiliation dans le calcul des prix des prestations intermédiaires. La résiliation d’une ligne d’abonné par un concurrent de la requérante entraînerait à la fois des travaux de connexion pour la restitution à la requérante de la ligne d’abonné louée et des tâches administratives, qui ne seraient pas nécessaires en cas de résiliation par un abonné lorsque la requérante utilise elle-même une ligne d’abonné. Il s’agirait de coûts d’inefficacité spécifiques, suscités par l’entrée sur le marché, que, par hypothèse, l’opérateur historique en position dominante ne connaît pas. De tels coûts générés uniquement par des actions techniques ou administratives liées à l’entrée sur un marché devraient être ignorés dans l’analyse de l’effet de ciseaux. En effet, l’article 82 CE n’obligerait pas une entreprise en position dominante à éliminer l’ensemble des barrières à l’entrée, mais interdirait la création de barrières artificielles à l’entrée.

165. La Commission et les parties intervenantes I et II concluent au rejet de la deuxième branche du premier moyen.

b) Appréciation du Tribunal

i) Sur la question de savoir si la Commission aurait dû démontrer dans la décision attaquée que les prix de détail de la requérante étaient abusifs en tant que tels

166. En l’espèce, il doit être constaté que, aux termes de la décision attaquée (considérant 201), « [l’]abus commis par la [requérante] consiste à imposer des prix non équitables sous la forme d’un effet de ciseaux au détriment de ses concurrents ». La Commission considère, en effet, qu’il existe « un effet de ciseaux abusif lorsque la différence entre les prix de détail d’une entreprise qui domine le marché et le tarif des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents est soit négative, soit insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques des produits de l’opérateur dominant pour la prestation de ses propres services aux abonnés sur le marché en aval » (décision attaquée, considérant 107).

167. Certes, dans la décision attaquée, la Commission établit uniquement l’existence de la marge de manœuvre dont disposait la requérante pour modifier ses prix de détail. Toutefois, le caractère abusif du comportement de la requérante est lié au caractère non équitable de l’écart entre ses prix pour les prestations intermédiaires et ses prix de détail, qui revêt la forme d’un effet de ciseaux tarifaire. Dès lors, au vu de l’abus constaté dans la décision attaquée, la Commission n’était pas tenue de démontrer dans la décision attaquée que les prix de détail de la requérante auraient été abusifs en tant que tels.

168. L’argument de la requérante selon lequel le caractère abusif d’un effet de ciseaux ne pourrait résulter que du caractère abusif de ses prix de détail doit donc être rejeté.

ii) Sur la méthode utilisée par la Commission pour le calcul de l’effet de ciseaux

Décision attaquée

169. Aux considérants 106 à 139 de la décision attaquée, la Commission expose la méthode qu’elle a suivie pour calculer l’effet de ciseaux.

170. Elle souligne d’abord que la détermination de l’effet de ciseaux abusif repose sur la comparaison entre « les prix de détail d’une entreprise qui domine le marché et le tarif des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents » (décision attaquée, considérant 107).

171. La Commission ajoute que la « comparabilité des prestations intermédiaires et des services d’accès aux abonnés est indispensable pour déterminer un effet de ciseaux » (décision attaquée, considérant 109). Selon la Commission, « étant donné que les concurrents, à l’instar de l’opérateur historique, fournissent généralement aux abonnés tous les types de services », il y a lieu de « déterminer si les services aux abonnés et les prestations intermédiaires de l’opérateur historique sont comparables au point de présenter des caractéristiques techniques identiques ou tout au moins analogues et de permettre la prestation de services identiques ou analogues » (décision attaquée, considérant 109).

172. La Commission constate que les tarifs des prestations intermédiaires pour l’accès dégroupé à la boucle locale sont tout à fait comparables aux prix de détail, l’accès aux prestations intermédiaires donnant aux concurrents de la requérante la possibilité de proposer à leurs abonnés une gamme variée de services d’accès, à savoir l’accès bande étroite analogique, l’accès bande étroite numérique (RNIS) et l’accès large bande sous forme de services ADSL (décision attaquée, considérants 110 et 112).

173. Selon la Commission, il existe un effet de ciseaux abusif si la différence entre les prix de détail d’une entreprise qui domine le marché et les tarifs des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents « est soit négative soit insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques des produits de l’opérateur dominant pour la prestation de ses propres services aux abonnés sur le marché en aval » (décision attaquée, considérant 107). La Commission se base ainsi sur les tarifs et les coûts de la requérante aux fins d’apprécier si les pratiques tarifaires de cette dernière sont abusives.

174. Aux fins de déterminer si la différence entre les prix de détail de la requérante et les prix de ses prestations intermédiaires conduit à un effet de ciseaux abusif, la Commission compare le prix d’une seule prestation intermédiaire (accès à la boucle locale) avec le prix d’une pluralité de services aux abonnés (accès dans les variantes analogique, RNIS et ASDL) (décision attaquée, considérant 113).

175. Au niveau des prix de détail, la Commission ne tient pas compte des recettes des communications téléphoniques. Elle se limite à l’examen des tarifs pour les services d’accès au réseau qu’elle compare aux tarifs des prestations intermédiaires (décision attaquée, considérant 119).

176. Dès lors que la RegTP a fixé des tarifs uniformes pour les prestations intermédiaires, indépendamment de la nature des services en aval que les concurrents proposent grâce à l’accès à la boucle locale que leur fournit la requérante (décision attaquée, considérant 113), il y a lieu, selon la Commission, de comparer les tarifs pour les prestations intermédiaires aux tarifs moyens pour la totalité des lignes d’abonnés, en tenant compte des variantes de services d’accès effectivement commercialisées par la requérante et du prix de ces lignes (décision attaquée, considérant 116).

177. Il doit encore être rappelé que les prix de détail (pour chaque variante offerte par la requérante) et les prix pour les prestations intermédiaires comportent deux éléments, à savoir une redevance initiale et un abonnement mensuel (décision attaquée, considérants 142 et 149).

178. Pour calculer le « prix mensuel » des redevances initiales, celles-ci ont été divisées par [ confidentiel ], chiffre qui correspond à la durée moyenne (exprimée en mois) de conservation d’une ligne téléphonique par les abonnés (décision attaquée, considérants 148 et 151).

179. Ainsi, le prix de détail mensuel moyen total est constitué par la somme du prix de l’abonnement mensuel moyen (en tenant compte de l’ensemble des services d’accès aux abonnés) et des redevances initiales moyennes (en tenant compte de l’ensemble des services d’accès aux abonnés et de la durée moyenne d’un abonnement) (décision attaquée, considérant 148).

180. Le prix mensuel moyen total des prestations intermédiaires est constitué par la somme du prix de l’abonnement mensuel et du prix des redevances initiales moyennes (en tenant compte de la durée moyenne d’un abonnement) (décision attaquée, considérant 151). Les redevances initiales pour les prestations intermédiaires comportent, selon la Commission, également les frais de résiliation. La Commission rappelle que « [l]es frais de résiliation sont perçus pour raccorder à nouveau une ligne dégroupée au réseau [de la requérante] et ne sont facturés qu’aux concurrents achetant des prestations intermédiaires » et ajoute que, « [a]vec la redevance de mise en service, ils constituent l’ensemble de la redevance initiale que les concurrents [de la requérante] doivent lui verser pour les prestations intermédiaires » (décision attaquée, considérant 151).

181. Sur la base d’un tel calcul des prix mensuels, la Commission constate que l’écart entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail de la requérante était négatif de 1998 à 2001 (décision attaquée, considérant 153). Au vu de ce constat, il n’est pas nécessaire, selon la Commission, « de déterminer si cet écart était suffisant pour couvrir les coûts spécifiques en aval [supportés] par [la requérante] dans ses relations avec ses abonnés » (décision attaquée, considérant 153). En revanche, dès lors que l’écart était positif à partir de 2002, la Commission a calculé « les coûts spécifiques [à la fourniture de services aux abonnés] supportés par [la requérante], afin de déterminer si cette marge positive [était] suffisante pour que [la requérante] couvre [c]es coûts spécifiques » (décision attaquée, considérant 154).

182. La Commission conclut que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, l’effet de ciseaux pour l’accès à la boucle locale existait toujours (décision attaquée, considérant 161), dans la mesure où les coûts spécifiques de la requérante pour la fourniture des services aux abonnés restaient supérieurs à la marge positive entre les prix de détail et les prix des prestations intermédiaires (décision attaquée, considérant 160).

Légalité de la méthode utilisée par la Commission

– Observations liminaires

183. Il importe de rappeler que la requérante formule trois griefs à l’encontre de la méthode utilisée pour calculer l’effet de ciseaux. Premièrement, la requérante fait valoir que, pour ce qui concerne les prix de détail, la Commission n’aurait pas dû prendre en considération exclusivement les recettes provenant de la mise à la disposition de lignes téléphoniques aux abonnés, mais aurait dû tenir compte également des recettes d’autres services tels que les services de communications. Deuxièmement, la requérante critique la méthode utilisée par la Commission pour démontrer l’existence d’un effet de ciseaux à partir de l’hypothèse selon laquelle les concurrents de la requérante auraient intérêt à reproduire entièrement la structure de sa clientèle. Troisièmement, la méthode utilisée serait erronée dès lors que la Commission gonflerait les prix des prestations intermédiaires en prenant en compte les frais de résiliation dans le calcul de ceux-ci.

184. Les différents arguments formulés dans le cadre des deux premiers griefs se rapportent tous à l’une ou l’autre des deux caractéristiques essentielles de la méthode utilisée par la Commission. La première concerne le calcul de l’effet de ciseaux sur la base des tarifs et des coûts de l’entreprise verticalement intégrée occupant une position dominante, en faisant abstraction de la position spécifique des concurrents sur le marché. La seconde concerne la prise en compte des recettes de l’ensemble des services d’accès, en excluant les recettes provenant d’autres services qui peuvent être fournis par le biais d’un accès au réseau fixe.

185. Avant d’examiner ces différents griefs et arguments, il doit être rappelé que, si le juge communautaire exerce de manière générale un contrôle entier sur le point de savoir si les conditions d’application des dispositions du traité CE relatives à la concurrence se trouvent ou non réunies, le contrôle qu’il exerce sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission se limite nécessairement à la vérification du respect des règles de pr océdure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (arrêts de la Cour du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, Rec. p. 2545, point 34 ; du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 62, et du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission, C‑194/99 P, Rec. p. I‑10821, point 78).

– Sur la prétendue illégalité de la méthode de calcul de l’effet de ciseaux sur la base des tarifs et des coûts de l’entreprise verticalement intégrée occupant une position dominante, en faisant abstraction de la position spécifique des concurrents sur le marché

186. Il y a lieu de rappeler d’abord que, dans la décision attaquée, la Commission a examiné si les pratiques tarifaires de l’entreprise dominante risquaient d’évincer du marché un opérateur économique aussi performant que l’entreprise dominante. La Commission s’est donc fondée uniquement sur les tarifs et les coûts de la requérante, et non sur la situation spécifique des concurrents, actuels ou potentiels, de la requérante, aux fins d’apprécier si les pratiques tarifaires de la requérante étaient abusives.

187. En effet, selon la Commission, « on peut conclure à l’existence d’un effet de ciseaux abusif, lorsque la différence entre les prix de détail d’une entreprise qui domine le marché et le tarif des prestations intermédiaires pour des prestations comparables à ses concurrents est soit négative soit insuffisante pour couvrir les coûts spécifiques des produits de l’opérateur dominant pour la prestation de ses propres services aux abonnés sur le marché en aval » (décision attaquée, considérant 107). En l’espèce, l’effet de ciseaux serait abusif dès lors que la requérante elle-même « n’aurait pas été en mesure […] de proposer ses services aux abonnés autrement qu’à perte, si elle avait été obligée de payer, sous forme de virement intersociétés, le tarif d’accès aux prestations intermédiaires internes pour ses services aux abonnés » (décision attaquée, considérant 140). Dans de telles conditions, des « concurrents [qui] sont tout aussi performants » que la requérante ne peuvent « proposer les services de raccordement des abonnés à un prix compétitif que s’ils peuvent se rattraper ailleurs » (décision attaquée, considérant 141 ; voir aussi décision attaquée, considérant 108).

188. Ensuite, force est de constater que, même si, jusqu’à présent, le juge communautaire ne s’est pas encore prononcé explicitement sur la méthode à appliquer aux fins de déterminer l’existence d’un effet de ciseaux tarifaire, il ressort néanmoins clairement de la jurisprudence que le caractère abusif des pratiques tarifaires d’une entreprise dominante est en principe déterminé par référence à sa propre situation et, partant, par référence à ses propres tarifs et coûts, et non par référence à la situation des concurrents actuels ou potentiels.

189. Ainsi, dans son arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 74), la Cour n’a pris en considération que les tarifs et coûts de l’entreprise dominante, pour évaluer si les pratiques tarifaires d’AKZO étaient abusives. L’approche proposée par l’avocat général M. Lenz, selon laquelle il était « nécessaire d’analyser la structure des coûts de chacune des trois entreprises (à savoir AKZO et ses deux concurrents) qui ont le monopole de l’offre, de façon à pouvoir obtenir une image exacte du niveau de prix effectivement justifié du point de vue économique » (point 34 des conclusions), n’a donc pas été retenue par la Cour.

190. En suivant une approche similaire, le Tribunal a jugé, dans son arrêt du 30 novembre 2000, Industrie des poudres sphériques/Commission (T‑5/97, Rec. p. II‑3755), que le fait que la requérante, qui avait dénoncé une prétendue pratique d’effet de ciseaux tarifaire, « ne puisse pas, vraisemblablement du fait de ses coûts de transformation plus élevés, rester concurrentielle dans la vente du produit dérivé ne saurait justifier la qualification des pratiques de prix de [la société dominante] d’abusives » (point 179).

191. Enfin, la Commission, dans sa décision 88/518/CEE, du 18 juillet 1988, relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (IV/30.178 – Napier Brown – British Sugar) (JO L 284, p. 41, ci-après la « décision Napier Brown/British Sugar »), a également considéré que l’effet de ciseaux devait être calculé sur la base des tarifs et des coûts de l’opérateur verticalement intégré occupant une position dominante (considérant 66). Elle y constate que « [l]e maintien, par une entreprise dominante, qui est dominante aussi bien sur le marché de la matière première que sur celui d’un produit dérivé, d’une marge entre le prix qu’elle facture pour la matière première aux entreprises qui la concurrencent sur le marché du produit dérivé, [d’une part], et le prix qu’elle facture pour le produit dérivé, [d’autre part], trop étroite pour refléter le coût de transformation de l’entreprise dominante elle-même (en l’espèce, la marge maintenue par British Sugar entre le prix de son sucre industriel et le prix du sucre au détail par rapport à ses propres coûts de reconditionnement), avec pour effet de restreindre la concurrence sur le produit dérivé, constitue un abus de position dominante » (considérant 66).

192. Il y a lieu d’ajouter que toute autre approche risquerait de violer le principe général de sécurité juridique. En effet, si la légalité des pratiques tarifaires d’une entreprise dominante dépendait de la situation spécifique des entreprises concurrentes, notamment par la structure des coûts de celles‑ci, qui sont des données qui ne sont généralement pas connues de l’entreprise dominante, cette dernière ne serait pas à même d’apprécier la légalité de ses propres comportements.

193. C’est donc à bon droit que la Commission a fondé son analyse relative au caractère abusif des pratiques tarifaires de la requérante uniquement par référence à la situation spécifique de la requérante et, partant, par référence aux tarifs et aux coûts de celle‑ci.

194. Dès lors qu’il y a lieu d’examiner si la requérante elle-même, ou une entreprise aussi efficace qu’elle, aurait été en mesure de proposer ses services aux abonnés autrement qu’à perte, si elle avait été préalablement obligée d’acquitter, sous forme de transfert entre sociétés, de tels tarifs afférents à des prestations intermédiaires internes, l’argument de la requérante selon lequel ses concurrents ne cherchent pas à reproduire sa propre structure de clientèle et peuvent tirer des recettes supplémentaires provenant de produits novateurs qu’eux seuls offrent sur le marché, à propos desquels la requérante ne fournit d’ailleurs aucune précision, est inopérant. Pour les mêmes motifs, l’argument selon lequel les concurrents peuvent exclure la possibilité de (pré‑)sélection ne saurait prospérer.

– Sur le grief tiré du fait que la Commission n’a tenu compte que des recettes de l’ensemble des services d’accès en excluant les recettes d’autres services, notamment celles provenant des communications

195. Premièrement, il importe d’examiner si la Commission, aux fins du calcul de l’effet de ciseaux tarifaire, était en droit de tenir compte uniquement des recettes des services d’accès de la requérante, en excluant les recettes d’autres services, tels que les services de communications.

196. Il doit être rappelé d’abord que le cadre juridique communautaire adopté depuis 1990 vise à créer les conditions pour permettre une concurrence effective sur le marché des télécommunications. Ainsi, la directive 96/19/CE de la Commission, du 13 mars 1996, modifiant la directive 90/388/CEE en ce qui concerne la réalisation de la pleine concurrence sur le marché des télécommunications (JO L 74, p. 13), qui distingue, en ce qui concerne la structure tarifaire des opérateurs historiques, entre la redevance initiale de connexion, l’abonnement mensuel et les tarifs locaux, nationaux et internationaux, vise à réaliser un rééquilibrage tarifaire entre ces différents éléments en fonction des coûts réels, aux fins de permettre une pleine concurrence sur le marché des télécommunications. Concrètement, cette opération devait se traduire par une baisse des tarifs des communications nationales et internationales et par une hausse de la redevance de connexion, de l’abonnement mensuel et du prix des communications locales (conclusions de l’avocat général M. Léger sous l’arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Commission/Espagne, C‑500/01, Rec. p. I‑604, I‑583, point 7). Les États membres étaient tenus de supprimer les obstacles au rééquilibrage tarifaire dans les meilleurs délais à compter de l’entrée en vigueur de la directive 96/19, et ce jusqu’au 1 er janvier 1998 au plus tard (arrêt Commission/Espagne, précité, point 32).

197. Comme le souligne à juste titre la Commission au considérant 120 de la décision attaquée, « [l]a prise en compte séparée du prix de l’accès et du prix des communications est [donc] déjà contenue dans le principe de la restructuration tarifaire prévue par le droit communautaire ».

198. Ensuite, il y a lieu de rappeler que, par décision n° 223 a du BMPT, la requérante a été contrainte, dès juin 1997, d’accorder à ses concurrents un accès dégroupé total à la boucle locale. Or, un système de concurrence non faussée entre la requérante et ses concurrents ne peut être garanti que si l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée (arrêts de la Cour du 22 mai 2003, Connect Austria, C‑462/99, Rec. p. I‑5197, point 83, et du 20 octobre 2005, ISIS Multimedia et Firma O2, C‑327/03 et C‑328/03, Rec. p. I‑8877, point 39).

199. En admettant même que, du point de vue de l’abonné, les services d’accès et de communications constituent un ensemble, il n’en reste pas moins que, pour les concurrents de la requérante, la prestation de services de communications à l’abonné à travers le réseau fixe de la requérante présuppose un accès à la boucle locale. L’égalité des chances entre l’opérateur historique propriétaire du réseau fixe, telle la requérante, d’une part, et ses concurrents, d’autre part, implique donc que les prix pour les services d’accès soient fixés à un niveau tel qu’ils placent les concurrents sur un pied d’égalité avec l’opérateur historique pour la fourniture des services de communications. Cette égalité des chances est seulement assurée si l’opérateur historique fixe ses prix de détail à un niveau qui permette aux concurrents – supposés aussi performants que l’opérateur historique – de répercuter l’ensemble des coûts liés à la prestation intermédiaire sur leurs prix de détail. Toutefois, si l’opérateur historique ne respecte pas ce principe, les nouveaux entrants ne peuvent offrir qu’à perte des services d’accès à leurs abonnés. Ils seraient alors contraints de compenser les pertes subies au niveau de l’accès à la boucle locale par des tarifs élevés au niveau des communications, ce qui fausserait également les conditions de concurrence sur le marché des communications.

200. Il s’ensuit donc que, même s’il devait être exact, comme le prétend la requérante, que, du point de vue de l’abonné, les services d’accès et de communications constituent un « cluster », la Commission a pu considérer à bon droit au considérant 119 de la décision attaquée que, pour l’appréciation de la question de savoir si les pratiques tarifaires de la requérante faussent le jeu de la concurrence, il fallait examiner l’existence d’un effet de ciseaux au seul niveau des services d’accès et donc sans inclure les tarifs des communications dans son calcul.

201. Par ailleurs, le calcul compensateur entre les tarifs d’accès et les tarifs de communications, auquel fait allusion la requérante, confirme déjà que la requérante et ses concurrents ne se trouvent pas sur un pied d’égalité au niveau de l’accès à la boucle locale, ce qui constitue pourtant la condition nécessaire pour que la concurrence sur le marché des communications ne soit pas faussée.

202. En tout état de cause, dès lors que la requérante a fortement baissé ses prix pour les communications au cours de la période visée par la décision attaquée (voir point 19 ci‑dessus,), il ne saurait être exclu que les concurrents n’aient même pas eu la possibilité économique de procéder à la compensation suggérée par la requérante. En effet, les concurrents, qui subissent déjà un désavantage concurrentiel par rapport à la requérante au niveau de l’accès à la boucle locale, devraient pratiquer des tarifs de communications encore plus bas que la requérante, pour inciter les clients potentiels à résilier leur abonnement auprès de la requérante, en échange d’un abonnement souscrit auprès d’eux.

203. Il ressort de ce qui précède que c’est à bon droit que la Commission, aux fins du calcul de l’effet de ciseaux tarifaire, a tenu compte uniquement des recettes des services d’accès en excluant les recettes d’autres services, tels que les services de communications.

204. Deuxièmement, quant à l’argument de la requérante selon lequel ses concurrents seraient intéressés uniquement par les marchés les plus rémunérateurs, à savoir, en l’espèce, celui de la large bande sur lequel il n’existerait aucun effet de ciseaux de sorte qu’il n’y aurait donc pas lieu de tenir compte des services d’accès analogique aux abonnés, aux fins du calcul de l’effet de ciseaux, d’une part, il doit être rappelé que, pour les concurrents de la requérante, l’accès à la large bande implique nécessairement un accès aux lignes analogiques ou RNIS (voir point 148 ci-dessus). D’autre part, la partie intervenante I, concurrent de la requérante, fait valoir que son absence sur le marché des services d’accès analogique est la conséquence de l’abus de position dominante de la requérante et n’est pas inspirée par un choix autonome de sa part. En tout état de cause, ainsi qu’il a été relevé aux points 186 à 193 ci‑dessus, le caractère abusif des pratiques tarifaires de la requérante doit être apprécié par référence à la situation spécifique de celle-ci et, partant, par référence à ses tarifs et à ses coûts. L’appréciation du caractère abusif des pratiques tarifaires de la requérante ne saurait donc être influencée par d’éventuelles préférences que les concurrents de la requérante pourraient avoir pour l’un ou l’autre marché.

205. Or, la requérante offre, au niveau des prestations aux abonnés, des services d’accès analogique, RNIS et ADSL, lesquels correspondent tous à un service unique au niveau des prestations intermédiaires.

206. Dans ces conditions, la Commission a pu considérer à bon droit dans la décision attaquée (considérant 111), que, pour calculer l’effet de ciseaux, il y avait lieu de comparer le prix des prestations intermédiaires à la moyenne pondérée des prix de détail pour tous les services d’accès, à savoir l’accès à bande étroite analogique, l’accès à bande étroite numérique (RNIS) et l’accès à large bande sous forme d’ADSL.

207. Le présent grief ne peut donc être accueilli.

– Sur le grief tiré du fait que les frais de résiliation pour les prestations intermédiaires ont été inclus dans le calcul de l’effet de ciseaux

208. Ainsi qu’il résulte de la décision attaquée (considérants 18, 149 et 151), les frais de résiliation d’une ligne ont été pris en compte par la Commission aux fins du calcul du prix total des prestations intermédiaires de la requérante. La Commission explique à cet effet dans la décision attaquée (considérant 151) que « [l]es frais de résiliation sont perçus pour raccorder à nouveau une ligne dégroupée au réseau [de la requérante] et ne sont facturés qu’aux concurrents achetant des prestations intermédiaires » et qu’ils constituent « [a]vec la redevance de mise en service […] l’ensemble de la redevance initiale que les concurrents [de la requérante] doivent lui verser pour les prestations intermédiaires ».

209. S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les frais de résiliation ne sauraient être considérés comme faisant partie de la redevance initiale pour les prestations intermédiaires, il importe de souligner que, avant le 10 février 1999, la requérante elle-même incorporait des frais de résiliation dans la redevance de mise en service d’une ligne qu’elle facturait à ses concurrents. Il ressort, en effet, des considérants 18, 22 et du tableau 9 de la décision attaquée, qui n’ont pas été contestés par la requérante, que c’est seulement à partir du 10 février 1999 qu’un tarif séparé a été prévu pour la résiliation d’une ligne, ayant donné lieu à une diminution concomitante de la redevance de mise en service.

210. Il importe de relever également qu’il n’est pas contesté que l’abonné moyen conserve sa ligne téléphonique pour une durée de [ confidentiel ] mois (décision attaquée, considérant 148). Or, dès lors que des frais de résiliation sont dus à la requérante par le concurrent bénéficiaire des prestations intermédiaires, lorsqu’un abonné de ce dernier résilie son contrat pour les services d’accès, il doit être considéré que, pour les concurrents de la requérante, les frais de résiliation font partie du coût total lié à la prestation intermédiaire qui devra être répercuté dans leurs prix de détail.

211. Dans ces conditions, c’est à bon droit que la Commission a inclus les frais de résiliation dans le calcul du prix total de la prestation intermédiaire aux fins du calcul de l’effet de ciseaux.

212. Ce grief n’est donc pas non plus fondé.

213. Il résulte de tout ce qui précède que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée.

3. Sur la troisième branche, tirée d’une prétendue erreur de calcul dans la constatation d’un effet de ciseaux tarifaire

a) Arguments des parties

214. La requérante fait valoir que la Commission s’est trompée dans le calcul de l’effet de ciseaux au tableau 11 de la décision attaquée. Le tableau, qui porte sur les coûts spécifiques aux produits de la requérante pour l’année 2001, comporterait, s’agissant des connexions à bande étroite RNIS (T‑ISDN) – à l’exception des données relatives aux connexions T‑ISDN « multipostes » standard et confort – des données tirées du tableau 3 de la décision attaquée relatives à l’année 2002. En outre, les données relatives aux connexions T‑ISDN « multipostes » standard et confort figurant au tableau 11 de la décision attaquée ne correspondraient à aucune des données figurant aux tableaux 3 à 7 de la décision attaquée. Pour être correcte, la pondération des coûts spécifiques aux produits de l’année 2001 aurait dû être exclusivement fondée sur les nombres de connexions mentionnés dans le tableau 4 de la décision attaquée relatives à l’année 2001. Les coûts pondérés spécifiques aux produits ne s’élèveraient, sur la base de ces données, qu’à [ confidentiel ] euros, soit [ confidentiel ] euros de moins que le chiffre calculé par la Commission. L’effet de ciseaux constaté par la Commission devrait être réduit du même montant.

215. La Commission reconnaît l’erreur de calcul identifiée par la requérante, qui n’affecterait toutefois pas la légalité de la décision attaquée.

b) Appréciation du Tribunal

216. Il doit être constaté que l’erreur de calcul, qui a été admise par la Commission dans son mémoire en défense, concerne le calcul des coûts spécifiques de la requérante pour l’année 2001.

217. Cette erreur n’est toutefois pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée.

218. En effet, en ce qui concerne les années 1998 à 2001, les coûts spécifiques de la requérante n’ont pas été pris en compte par la Commission pour qualifier sa politique tarifaire d’abusive. En effet, dans la décision attaquée (considérant 153), la Commission a déduit le caractère infractionnel de la politique tarifaire de la requérante de l’existence d’un écart négatif entre les prix de ses prestations intermédiaires et ses prix de détail. La constatation du caractère infractionnel du comportement de la requérante pendant cette période n’est donc nullement affectée par l’erreur de calcul concernant les coûts spécifiques de la requérante pour l’année 2001.

219. En revanche, à partir de l’année 2002, la Commission a qualifié les pratiques tarifaires de la requérante d’infractionnelles, dès lors que les coûts spécifiques de la requérante liés aux services d’accès pour les abonnés dépassaient la marge positive entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail de la requérante. Pour effectuer ce dernier calcul, la Commission s’est fondée dans la décision attaquée (considérants 159 et 160) sur les coûts spécifiques de la requérante pour 2001.

220. Ainsi, la Commission arrive aux conclusions suivantes concernant le calcul de l’effet de ciseaux au tableau 12 de la décision attaquée :

Tableau 12

(en euros)

>lt>1

221. Il importe de souligner que, dans le cadre de la présente branche, la requérante ne conteste pas la référence à ses coûts spécifiques pour l’année 2001 (décision attaquée, considérant 159) aux fins du calcul de l’effet de ciseaux, à partir du 1 er janvier 2002. Elle fait uniquement valoir que ses coûts spécifiques pour 2001 ont été calculés de manière erronée.

222. Si la Commission n’avait pas commis l’erreur de calcul dénoncée, les coûts spécifiques pour 2001 auraient dû être fixés, comme le relève la requérante, à [ confidentiel ] euros (voir point 214 ci-dessus). Toutefois, même en tenant compte de tels coûts spécifiques, non entachés d’erreur de calcul, il existerait toujours un effet de ciseaux pendant toute la durée de l’infraction visée par la décision attaquée.

223. Dès lors que, dans la décision attaquée (considérants 163 et 201), le caractère non équitable, au sens de l’article 82 CE, des pratiques tarifaires de la requérante est lié à l’existence même de l’effet de ciseaux, et non à son écart précis, l’erreur de calcul commise par la Commission n’est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée.

224. Il s’ensuit donc que la troisième branche du présent moyen est inopérante.

4. Sur la quatrième branche, tirée de l’absence d’effet sur le marché du ciseau tarifaire constaté

a) Arguments des parties

225. Premièrement, la requérante soutient que la constatation d’un effet de ciseaux tarifaire résultant de la pratique tarifaire d’une entreprise dominante ne constitue pas un abus per se. La Commission aurait donc dû examiner les effets réels du comportement incriminé, ce qu’elle n’aurait toutefois pas fait dans la décision attaquée. Étant donné que la fixation des tarifs des prestations intermédiaires par la RegTP est faite en fonction des coûts de la requérante, la preuve d’une entrave effective à la concurrence devrait être circonstanciée.

226. La requérante rappelle la double composante de la notion d’abus, à savoir que les comportements reprochés se caractérisent par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une concurrence normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques et qu’ils constituent une entrave effective à la concurrence (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 91). Le juge communautaire exigerait ainsi la preuve que le comportement reproché constitue une barrière à l’entrée des autres concurrents ou serve à évincer des concurrents déjà présents sur le marché. Au soutien de son argumentation, la requérante se réfère à la jurisprudence de la Cour (arrêts de la Cour AKZO/Commission, point 189 supra, point 72 ; du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, Rec. p. I‑5951, point 41, et du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C‑395/96 P et C‑396/96 P, Rec. p. I‑1365, points 111 et 119), ainsi qu’à la pratique décisionnelle de la Commission (décision Napier Brown/British Sugar, considérant 66), de la RegTP et de la FCC. Ce ne serait que dans le cas exceptionnel d’une vente à un prix inférieur à la moyenne des coûts variables que le juge communautaire aurait considéré une pratique tarifaire comme intrinsèquement abusive.

227. Dans sa réplique, la requérante précise que les principes élaborés par la Cour en matière de prix prédateurs devraient s’appliquer en cas d’effet de ciseaux tarifaire, lorsque le prix des prestations intermédiaires est fixé par une autorité de régulation. La Commission devrait donc apporter la preuve que l’effet de ciseaux incriminé entraîne une atteinte effective à la concurrence. Dès lors que les tarifs des prestations intermédiaires sont fixés par la RegTP en fonction des coûts, cette preuve ne serait apportée que lorsque l’entreprise dominant le marché, après la phase d’éviction des concurrents, serait en mesure de compenser les pertes qu’elle a subies durant cette phase d’éviction, du fait de sa politique de bas prix, en augmentant ses prix de détail. Toutefois, en l’espèce, toute tentative de la requérante en ce sens entraînerait immédiatement le retour de ses concurrents sur le marché.

228. Deuxièmement, la requérante conteste que ses tarifs aient constitué une barrière à l’entrée sur le marché ou aient évincé ses concurrents du marché.

229. D’une part, il existerait des possibilités réelles d’entrée sur le marché pour les concurrents de la requérante. Cette dernière rappelle à cet effet que ses concurrents peuvent procéder à des subventionnements croisés entre tarifs de communication et tarifs de connexion ou entre tarifs variables et tarifs fixes afin de combler un éventuel déficit en matière de connexions. La faculté pour les concurrents de la requérante, dont ne disposerait pas la requérante elle-même, d’exclure la (pré-)sélection pour l’ensemble des connexions (voir point 156 ci-dessus) permettrait aux concurrents de calculer de manière beaucoup plus précise que la requérante leurs recettes provenant des tarifs de communication. Les concurrents de la requérante réaliseraient ainsi un chiffre d’affaires sur les tarifs de communication par connexion nettement supérieur à celui de la requérante, avec au surplus une grande prévisibilité. Les réponses des concurrents de la requérante à la demande de renseignements du 19 janvier 2000 ainsi que la décision de la RegTP du 29 avril 2003 confirmeraient qu’il est possible auxdits concurrents de réaliser un subventionnement croisé entre tarifs de connexion et tarifs de communication. La requérante se réfère encore à ses observations du 29 juillet 2002 sur la communication des griefs et aux documents cités dans ces observations. Enfin, il résulterait d’études effectuées par la requérante que l’ensemble de ses concurrents ont pu réaliser des marges positives sur coûts directs grâce à un subventionnement croisé entre leurs tarifs fixes et leurs tarifs variables pour chaque type de connexion et donc également pour les lignes analogiques.

230. D’autre part, depuis la libéralisation du marché allemand des télécommunications, de nombreux concurrents seraient parvenus à remporter des parts de marché considérables dans des zones de concentration urbaine. La requérante se réfère à cet effet à la société KomTel qui, selon ses propres déclarations dans un communiqué de presse du 31 mai 2002, atteindrait une part de marché de 43 % des connexions à Flensburg. Dans d’autres zones de desserte locale, selon les calculs de la requérante sur la base des lignes louées par la requérante à ses concurrents, les parts de marché des autres fournisseurs se situeraient par exemple [ confidentiel ]. Ainsi, depuis 1998, la requérante aurait perdu [ confidentiel ] d’abonnés au profit de ses concurrents. Une fois une entrée réalisée sur un marché local, la création d’une infrastructure propre par le concurrent deviendrait économiquement rentable. L’entrée sur le marché devrait naturellement commencer par des clients lucratifs pour conquérir ensuite de nouveaux groupes de clients avec les bénéfices ainsi réalisés (lettre de Colt, un concurrent de la requérante, à cette dernière du 15 octobre 2002). Il en irait de même pour les régions à forte concentration urbaine prises comme tremplins pour une concurrence au niveau régional. En tout état de cause, la concurrence en Allemagne aurait évolué de manière plus favorable que dans les autres États membres. Ainsi, sur l’ensemble de la Communauté, un total de plus de 81 % des locations d’accès dégroupés à la boucle locale reviendrait à la requérante.

231. Dans sa réplique, la requérante précise que Colt et Arcor sont dorénavant présentes au niveau national et que EWE TEL est présente dans de larges zones d’Allemagne du Nord, en tant que fournisseurs de lignes téléphoniques. La Commission n’aurait aucunement apporté la preuve du lien de causalité entre le prétendu effet de ciseaux tarifaire et la prétendue lenteur de l’évolution de la concurrence. L’effet de ciseaux ne pourrait pas être à l’origine de la place qu’occupe la requérante sur le segment du marché des connexions à large bande, dès lors qu’il n’y aurait aucun effet de ciseaux tarifaire sur ce segment-là du marché.

232. La Commission et les parties intervenantes I et II concluent au rejet de la présente branche.

b) Appréciation du Tribunal

233. Il importe de rappeler que la notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 226 supra, point 91, et AKZO/Commission, point 189 supra, point 69 ; ordonnance de la Cour du 23 février 2006, Piau/Commission, C‑171/05 P, non publiée au Recueil, point 37 ; arrêt Irish Sugar/Commission, point 122 supra, point 111).

234. Selon la Commission, les pratiques tarifaires de la requérante ont restreint la concurrence sur le marché des services d’accès aux abonnés. Elle déduit cette constatation dans la décision attaquée (considérants 179 et 180) de l’existence même de l’effet de ciseaux. Aucune démonstration d’un effet anticoncurrentiel ne serait nécessaire, même si, à titre subsidiaire, elle effectue un tel examen aux considérants 181 à 183 de la décision attaquée.

235. Dès lors que, jusqu’à l’entrée d’un premier concurrent sur le marché des services d’accès pour les abonnés, en 1998, la requérante détenait un monopole de fait sur ce marché de détail, l’effet anticoncurrentiel que la Commission est tenue de démontrer se rapporte aux entraves éventuelles qu’ont pu causer les pratiques tarifaires de la requérante sur le développement de la concurrence sur ce marché.

236. À cet égard, il doit être rappelé, d’une part, que la requérante est propriétaire du réseau téléphonique fixe en Allemagne et, d’autre part, qu’il n’est pas contesté que, comme le relève la Commission aux considérants 83 à 91 de la décision attaquée, il n’existait en Allemagne, au moment de l’adoption de ladite décision, aucune autre infrastructure qui aurait permis aux concurrents de la requérante d’entrer de manière viable sur le marché des services d’accès aux abonnés.

237. Eu égard au fait que les prestations intermédiaires de la requérante sont ainsi indispensables pour permettre à un de ses concurrents d’entrer en concurrence avec elle sur le marché en aval des services d’accès pour les abonnés, un effet de ciseaux entre les tarifs des prestations intermédiaires et les tarifs de détail de la requérante entravera en principe le développement de la concurrence sur les marchés en aval. En effet, si les prix de détail de la requérante sont inférieurs aux tarifs de ses prestations intermédiaires ou si l’écart entre les tarifs des prestations intermédiaires et les tarifs de détail de la requérante est insuffisant pour permettre à un opérateur aussi efficace qu’elle de couvrir ses coûts spécifiques pour la fourniture de services d’accès aux abonnés, un concurrent potentiel aussi efficace que la requérante ne pourrait entrer sur le marché des services d’accès aux abonnés qu’en subissant des pertes.

238. Certes, comme le souligne la requérante, ses concurrents recourront normalement à un subventionnement croisé, en ce sens qu’ils compenseront les pertes subies sur le marché des services d’accès pour les abonnés avec les bénéfices qui se dégageront sur d’autres marchés, tels que les marchés des communications. Toutefois, eu égard au fait que la requérante, en tant que propriétaire du réseau fixe, n’a pas besoin de recourir à des prestations intermédiaires pour pouvoir offrir des services d’accès aux abonnés et que, contrairement à ses concurrents, elle ne doit donc pas, en raison des pratiques tarifaires d’une entreprise dominante, chercher à compenser des pertes subies sur le marché des services d’accès aux abonnés, l’effet de ciseaux constaté dans la décision attaquée fausse le jeu de la concurrence non seulement sur le marché d’accès aux abonnés, mais également sur le marché des communications (voir points 197 à 202 ci‑dessus).

239. Par ailleurs, les faibles parts de marc hé acquises par les concurrents de la requérante sur le marché des services d’accès aux abonnés, depuis la libéralisation du marché par l’entrée en vigueur du TKG, le 1 er août 1996, témoignent des entraves que les pratiques tarifaires de la requérante ont apportées au développement de la concurrence sur ces marchés. Ainsi, la requérante a précisé à l’audience qu’elle ne contestait pas les constatations faites dans la décision attaquée (considérant 181) selon lesquelles, au moment de l’adoption de la décision attaquée, l’ensemble de ses concurrents en Allemagne ne détenaient que « 4,4 % du marché de l’accès bande étroite et 10 % du marché de l’accès à bande étroite » et que, à la « [f]in de 2002, les 64 concurrents ne possédaient ensemble que 2,35 millions de voies téléphoniques sur un total de 53,72 millions en Allemagne ».

240. En outre, il n’est pas contesté que, si l’on prend en considération les seules lignes analogiques, qui représentaient en Allemagne, au moment de l’adoption de la décision attaquée, 75 % de l’ensemble des lignes, la part des concurrents de la requérante est tombée de 21 % en 1999 à 10 % en 2002 (décision attaquée, considérant 182).

241. La requérante a toutefois souligné que de nombreux concurrents sont parvenus à remporter des parts de marchés considérables dans des zones de concentration urbaine.

242. À cet égard, il doit être constaté que la requérante ne conteste pas la définition du marché telle qu’elle a été retenue dans la décision attaquée (considérants 92 à 95) selon laquelle le marché géographique en cause est le marché allemand. La progression de certains concurrents de la requérante dans certaines zones de concentration urbaine n’affecte donc pas la constatation selon laquelle les concurrents de la requérante n’ont globalement acquis que de faibles parts de marché sur le marché géographique concerné des services d’accès aux abonnés.

243. Le fait que la concurrence se soit développée de manière moins favorable dans les autres États membres ne démontre pas pour autant que les pratiques tarifaires de la requérante aient été dépourvues d’effet anticoncurrentiel en Allemagne, qui constitue le marché géographique pertinent. La situation prétendument moins favorable dans les autres États membres pourrait être liée à une libéralisation plus tardive des marchés des services concernés, c'est-à-dire postérieure au 1 er juin 1997, date à laquelle la requérante a été contrainte, conformément au droit allemand applicable, d’accorder à ses concurrents un accès dégroupé total à la boucle locale (voir point 198 ci‑dessus). Il importe de relever à cet effet que l’article 3 du règlement (CE) nº 2887/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif au dégroupage de l’accès à la boucle locale (JO L 336, p. 4), n’impose une telle obligation aux opérateurs historiques qu’à partir du 31 décembre 2000. La situation prétendument moins favorable dans les autres États membres pourrait aussi être liée à l’existence d’autres infractions au droit communautaire de la concurrence. En tout état de cause, même à supposer que la Commission ait manqué à certaines de ses obligations découlant de l’article 211 CE en omettant de veiller à l’application du droit communautaire de la concurrence dans le secteur des télécommunications dans d’autres États membres, cette circonstance ne saurait justifier l’infraction à l’article 82 CE commise en l’espèce par la requérante dans le même secteur (arrêt van Landewyck e.a./Commission, point 86 supra, point 84 ; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T‑148/89, Rec. p. II‑1063, point 127, et du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 2559).

244. Enfin, quant à l’argument, soulevé dans la réplique, selon lequel deux concurrents de la requérante seraient « entre‑temps » présents au niveau national, il importe de rappeler que, dans le cadre d’un recours en annulation introduit sur le fondement de l’article 230 CE, la légalité d’un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (arrêt de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, Rec. p. 321, point 7, et arrêt du Tribunal du 28 février 2002, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑395/94, Rec. p. II‑875, point 252). En tout état de cause, la requérante, qui omet de quantifier la présence des concurrents au niveau national, n’apporte aucun élément de nature à invalider les constatations faites aux considérants 180 à 183 de la décision attaquée, selon lesquelles ses pratiques tarifaires entravent effectivement la concurrence sur le marché allemand des services d’accès aux abonnés.

245. Il s’ensuit que la dernière branche du premier moyen doit être rejetée.

B – Sur le deuxième moyen, tiré du caractère défectueux du dispositif de la décision attaquée

1. Arguments des parties

246. La requérante rappelle d’abord que l’article 1 er de la décision attaquée constate qu’elle aurait violé l’article 82, sous a), CE « du fait qu’elle perçoit des tarifs non équitables pour la mise en service et l’abonnement mensuel relatifs à l’accès à la boucle locale de ses concurrents et de [ses] abonnés ». Selon le dispositif, les tarifs des prestations intermédiaires et les prix de détail de la requérante seraient donc inéquitables. Toutefois, dans la motivation de la décision attaquée, les tarifs de la requérante en tant que tels n’auraient pas été qualifiés d’inéquitables. Seul le rapport entre les tarifs intermédiaires et les prix de détail aurait été considéré comme abusif du fait du prétendu effet de ciseaux tarifaire. Le dispositif de la décision attaquée ne serait ainsi pas soutenu par les motifs de celle-ci.

247. Ensuite, la requérante rappelle que l’article 2 du dispositif de la décision attaquée lui ordonne de mettre fin à l’infraction mentionnée à l’article 1 er et de s’abstenir de réitérer les agissements ou comportements visés audit article. Or, outre le fait que l’injonction de l’article 2 serait en contradiction avec les motifs de la décision attaquée, elle ne pourrait pas être exécutée, dès lors que la requérante n’est pas en mesure d’influer sur le prix des prestations intermédiaires.

248. Enfin, dans sa réplique, la requérante ajoute que l’article 1 er du dispositif est également vicié, parce que la Commission y constate que, en percevant des tarifs inéquitables, la requérante a violé l’article 82 CE. Or, la requérante ne disposerait d’aucune marge de manœuvre dans la perception de ces tarifs (voir point 73 ci-dessus).

249. La Commission conclut au rejet du présent moyen.

2. Appréciation du Tribunal

250. Il doit être rappelé que l’article 1 er de la décision attaquée constate que la requérante « commet une infraction aux dispositions de l’article 82, [sous] a), CE du fait qu’elle perçoit des tarifs non équitables pour la mise en service et l’abonnement mensuel relatifs à l’accès à la boucle locale de ses concurrents et de [ses] abonnés, entravant ainsi considérablement la concurrence sur le marché de l’accès à la boucle locale ».

251. Contrairement à ce que prétend la requérante, l’article 1 er de la décision attaquée n’énonce pas que tant les tarifs des prestations intermédiaires que les prix de détail de la requérante doivent être considérés comme étant inéquitables.

252. En effet, le dispositif de la décision attaquée doit être lu à la lumière de ses motifs (arrêt du Tribunal du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, T‑5/00 et T‑6/00, Rec. p. II‑5761, point 374). Il apparaît ainsi clairement que « [l’]abus commis par [la requérante] consiste à imposer des prix non équitables sous la forme d’un effet de ciseaux au détriment de ses concurrents » (décision attaquée, considérant 201). L’abus commis revêt la « forme d’un effet de ciseaux résultant d’un écart inapproprié entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail pour l’accès à la boucle locale » (décision attaquée, considérant 57) et « se traduit par des prix non équitables » (décision attaquée, considérant 163).

253. Il ressort de ce qui précède que l’article 1 er de la décision attaquée, lu à la lumière des motifs de celle-ci, doit être compris en ce sens que, lorsque la Commission qualifie d’inéquitables les tarifs pour la mise en service et l’abonnement mensuel relatifs à l’accès à la boucle locale, elle se réfère au rapport existant entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail de la requérante. Il n’existe donc aucune contradiction entre les motifs et le dispositif de la décision attaquée.

254. Au vu de ce qui précède, l’injonction de l’article 2 de la décision attaquée n’est pas non plus affectée d’illégalité. En effet, même si la requérante ne pouvait pas influer sur les prix des prestations intermédiaires, elle disposait, en tout état de cause, d’une marge de manœuvre pour augmenter ses prix de détail pour les services d’accès ADSL (voir points 141 à 151 ci‑dessus).

255. Enfin, la distinction opérée par la requérante, pour la première fois dans sa réplique, entre perception et fixation des tarifs doit être rejetée comme étant irrecevable, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

256. Il résulte de tout ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.

C – Sur le troisième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir et d’une violation des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

1. Arguments des parties

257. La requérante fait valoir que la Commission, en empiétant sur les compétences de la RegTP, a commis un détournement de pouvoir et a violé les principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

258. Elle rappelle que, conformément au droit communautaire, la responsabilité principale pour le contrôle des tarifs des télécommunications incombe aux autorités nationales, telle que la RegTP. Elle se réfère à cet effet aux considérants de la directive 90/388/CEE de la Commission, du 28 juin 1990, relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications (JO L 192, p. 10), à l’article 17 de la directive 98/10, à l’article 4, paragraphe 1, du règlement nº 2887/2000, à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (JO L 108, p. 7), aux points 19 et 22 de la communication de la Commission du 22 août 1998, relative à l’application des règles de concurrence aux accords d’accès dans le secteur des télécommunications, intitulée « Cadre général, marchés en cause et principes », et aux pages 61 et suivantes de la communication de la Commission intitulée « Dégroupage de l’accès à la boucle locale : permettre la fourniture concurrentielle d’une gamme complète de services de communications électroniques, notamment les services multimédias à large bande et l’internet à haut débit » (JO 2000, C 272, p. 55). Dans ce contexte, les autorités de régulation nationales seraient tenues de prendre en compte les objectifs du droit communautaire, parmi lesquels celui sous-jacent à l’article 82 CE. Il s’ensuit, selon la requérante, que, si la Commission estimait que les décisions tarifaires de la RegTP violaient le droit communautaire, elle aurait dû intenter une procédure en manquement à l’encontre de l’Allemagne.

259. La requérante soutient, en outre, que, tant dans la régulation des indices des prix plafonds pour les prix de détail que dans la fixation des prix des prestations intermédiaires, la RegTP a analysé la question de savoir s’il existait un effet de ciseaux tarifaire entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail de nature à entraver effectivement la concurrence. Elle aurait conclu qu’un tel effet de ciseaux n’existait pas. La requérante se réfère à cet effet aux décisions de la RegTP des 8 février 1999, 23 décembre 1999, 30 mars 2001, 21 décembre 2001, 11 avril 2002, et en particulier à celle du 29 avril 2003. Les décisions de la RegTP auraient fondé une confiance légitime chez la requérante qui serait digne de protection (arrêt de la Cour du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a., 205/82 à 215/82, Rec. p. 2633, points 30 et 31).

260. Dans sa politique tarifaire, la RegTP aurait opté pour un rééquilibrage en douceur entre tarifs de connexions et tarifs de communications (décisions de la RegTP du 21 décembre 2001 et du 11 avril 2002). La requérante explique que la Deutsche Bundespost aurait pratiqué, pour des raisons de politique sociale, des tarifs de connexions bas, donc avantageux pour les abonnés, et aurait compensé les pertes en résultant par un subventionnement croisé avec les recettes provenant des tarifs de communications, fixés, eux, à un niveau élevé. De ce fait, le BMPT puis la RegTP auraient dans un premier temps, par décisions des 9 décembre 1997 et 23 décembre 1999 dans le cadre de la procédure de plafonnement des prix, réuni les tarifs de connexions et de communications respectivement pour les entreprises et pour les particuliers dans un panier. Les indices de prix ainsi fixés auraient été valables jusqu’à la fin de 2001. Dans un deuxième temps, par sa décision de plafonnement des prix du 21 décembre 2001, la RegTP aurait organisé directement elle-même la restructuration tarifaire progressive envisagée. Elle aurait séparé les paniers pour les connexions et les communications et aurait fixé des indices de prix pour quatre paniers de services distincts (voir point 20 ci-dessus). Toutefois, il ressortirait de la même décision de la RegTP du 21 décembre 2001 que la RegTP s’est délibérément refusée à mettre en œuvre une régulation dans laquelle les tarifs des connexions seraient fixés isolément en fonction des coûts.

261. Ainsi, la RegTP seule serait responsable de l’effet de ciseaux allégué par la Commission. En effet, le prétendu effet de ciseaux serait la conséquence directe des décisions de régulation de la RegTP et, auparavant, de la BMPT, ainsi que de l’approche réglementaire qui les sous-tend. La Commission ne serait pas en droit de constater une violation de l’article 82 CE par la requérante, dès lors que celle-ci se serait simplement conformée aux décisions ayant force obligatoire de la RegTP, lesquelles auraient fait naître une confiance légitime chez la requérante. Par le biais de la décision attaquée, la Commission soumettrait les tarifs pratiqués par la requérante à une double régulation, violant de ce fait le principe de proportionnalité, ainsi que la sécurité juridique, garantie par la répartition des compétences opérée par le droit communautaire en matière de tarifs dans le secteur des télécommunications. Par ailleurs, en adoptant la décision attaquée, la Commission tenterait de corriger l’exercice par les autorités allemandes de leurs propres compétences en matière de régulation, alors que, pour parvenir à cette fin, elle aurait dû intenter une procédure en manquement. En agissant ainsi, la Commission aurait commis un détournement de pouvoir.

262. La Commission et les parties intervenantes I et II concluent au rejet du présent moyen.

2. Appréciation du Tribunal

263. En premier lieu, s’agissant du grief de la requérante selon lequel la Commission soumettrait les tarifs pratiqués par la requérante à une double régulation et aurait ainsi violé les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, il doit être constaté que le cadre juridique communautaire auquel se réfère la requérante au point 258 ci‑dessus n’affecte nullement la compétence que la Commission tire directement de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 et, depuis le 1 er mai 2004, de l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 CE] et [82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1), pour constater les infractions aux articles 81 CE et 82 CE.

264. Or, il a déjà été constaté que la requérante disposait, entre le 1 er janvier 1998 et le 31 décembre 2001, d’une marge de manœuvre suffisante pour éliminer l’effet de ciseaux qui a été constaté dans la décision attaquée, d’une part, et qu’elle disposait, à partir du 1 er janvier 2002, d’une marge de manœuvre suffisante pour réduire ledit effet de ciseaux, d’autre part (voir points 97 à 151 ci‑dessus). Son comportement relève donc du champ d’application de l’article 82 CE.

265. Même s’il ne saurait être exclu que les autorités allemandes aient également violé le droit communautaire – et notamment les dispositions de la directive 90/388 telle que modifiée par la directive 96/19 – en optant pour un rééquilibrage progressif entre tarifs de connexions et de communications, un tel manquement, s’il devait être constaté, n’éliminerait pas la marge de manœuvre dont la requérante a effectivement disposé pour réduire l’effet de ciseaux.

266. Le premier grief ne peut donc être accueilli.

267. En deuxième lieu, quant au grief tiré de la protection de la confiance légitime, il doit être rappelé que, dans plusieurs décisions prises au cours de la période visée par la décision attaquée, la RegTP a, il est vrai, examiné la question relative à l’existence d’un effet de ciseaux tarifaire résultant des tarifs de la requérante. Toutefois, dans ses décisions, la RegTP, après avoir constaté l’écart négatif entre les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail de la requérante, a considéré, chaque fois, que le recours au subventionnement croisé entre services d’accès et services de communications devait permettre aux autres opérateurs d’offrir à leurs abonnés des prix concurrentiels (voir points 115 à 119 ci‑dessus).

268. Force est de constater que les décisions de la RegTP ne comportent aucune référence à l’article 82 CE (voir point 114 ci‑dessus). En outre, les affirmations de la RegTP selon lesquelles « la faible différence entre le prix de détail et les prix des prestations intermédiaires n’atteint pas les concurrents dans leurs possibilités de concurrence dans le réseau local au point de rendre économiquement impossible une bonne entrée sur le marché, voire leur survie sur le marché » (décision de la RegTP du 29 avril 2003) n’impliquent pas que les pratiques tarifaires de la requérante ne faussent pas la concurrence au sens de l’article 82 CE. Au contraire, il ressort implicitement mais nécessairement des décisions de la RegTP que les pratiques tarifaires de la requérante ont un effet anticoncurrentiel, dès lors que les concurrents de la requérante doivent recourir à un subventionnement croisé pour pouvoir rester compétitifs sur le marché des services d’accès (voir points 119 et 238 ci‑dessus).

269. Dans ces conditions, les décisions de la RegTP n’ont pas pu fonder une confiance légitime chez la requérante de ce que ses pratiques tarifaires étaient conformes à l’article 82 CE. Il importe de souligner par ailleurs que le Bundesgerichtshof, dans son arrêt du 10 février 2004 annulant l’arrêt de l’Oberlandesgericht Düsseldorf du 16 janvier 2002, a confirmé que « la procédure administrative d’examen [par la RegTP] n’exclut pas la po ssibilité pratique qu’une entreprise présente un tarif par lequel elle abuse de sa position dominante et obtienne son autorisation parce que l’abus n’est pas découvert lors de la procédure d’examen ».

270. En troisième lieu, s’agissant du grief de la requérante selon lequel la Commission aurait commis un détournement de pouvoir, il doit être rappelé qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêt de la Cour du 11 novembre 2004, Ramondín e.a./Commission, C‑186/02 P et C‑188/02 P, Rec. p. I‑10653, point 44, et la jurisprudence citée).

271. Dans la décision attaquée, la Commission ne vise que les pratiques tarifaires de la requérante et non les décisions des autorités allemandes. Même si la RegTp avait violé une norme communautaire et même si la Commission aurait pu à ce titre intenter une procédure en manquement à l’encontre de la République fédérale d’Allemagne, de telles éventualités ne seraient nullement de nature à affecter la légalité de la décision attaquée. Dans cette décision, en effet, la Commission s’est bornée à constater que la requérante avait commis une infraction à l’article 82 CE, disposition qui concerne non les États membres, mais les seuls opérateurs économiques. La Commission n’a donc commis aucun détournement de pouvoir en procédant à cette constatation sur la base de l’article 82 CE.

272. Le dernier moyen ne peut donc pas non plus être accueilli.

II – Sur les conclusions subsidiaires tendant à la réduction de l’amende imposée

273. La requérante formule six moyens au soutien de ses conclusions subsidiaires. Le premier est tiré d’une violation des droits de la défense et le deuxième d’une violation de l’article 253 CE. Le troisième moyen est pris de l’absence de négligence et de faute intentionnelle de la part de la requérante et le quatrième de la prise en compte insuffisante de la régulation tarifaire dans le calcul du montant de l’amende. Le cinquième moyen concerne le calcul de la durée de l’infraction et le sixième la non‑prise en compte de circonstances atténuantes.

A – Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

1. Arguments des parties

274. La requérante fait valoir que la Commission a violé l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17, relatif aux droits de la défense, en omettant de procéder, dans sa communication des griefs du 2 mai 2002 et dans sa lettre complémentaire du 21 février 2003, à une analyse en fait et en droit de la question de savoir si l’infraction prétendument commise l’avait été « de propos délibéré ou par négligence » (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 21 ; ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, Rec. p. I‑1611, point 53 ; arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 311). En effet, pour pouvoir se défendre utilement, la requérante aurait dû être informée, au cours de la procédure administrative, des faits sur la base desquels la Commission lui reprochait telle faute ou telle négligence.

275. La Commission conclut au rejet du présent moyen.

2. Appréciation du Tribunal

276. Il importe de rappeler d’abord que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 précise, dans son premier alinéa, les conditions qui doivent être remplies pour que la Commission puisse infliger des amendes (conditions d’ouverture). Parmi ces conditions, figure celle relative au caractère délibéré ou négligent de l’infraction constatée (ordonnance SPO e.a./Commission, point 274 supra, point 53).

277. Il doit être rappelé ensuite que la Commission est tenue d’exposer, dans la communication des griefs, une brève appréciation provisoire quant à la durée de l’infraction alléguée, à sa gravité et à la question de savoir si l’infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence dans les circonstances du cas d’espèce. Cependant, le caractère adéquat de cette appréciation provisoire destinée à mettre les destinataires d’une communication des griefs en mesure de se défendre doit être évalué au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Corus UK/Commission, T‑48/00, Rec. p. II‑2325, point 146).

278. Force est de constater que, dans la communication des griefs (points 95 à 140), la Commission a informé la requérante du fait qu’elle considérait que ses pratiques tarifaires, et notamment l’effet de ciseaux résultant de l’écart négatif, ou insuffisant, entre les prix de ses prestations intermédiaires et ses prix de détail, violaient l’article 82 CE. En outre, la Commission a examiné, dans la communication des griefs (points 141 à 152), la marge de manœuvre dont disposait la requérante pour la fixation de ses tarifs et a ainsi abordé la question de la culpabilité de la requérante s’agissant des comportements critiqués.

279. Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que les informations fournies dans la communication des griefs sur les conditions d’ouverture prévues à l’article 15, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 17 étaient suffisamment précises. Par ailleurs, dès lors que les infractions commises par négligence ne sont pas, du point de vue de la concurrence, moins graves que les infractions commises de manière délibérée (ordonnance SPO e.a./Commission, point 274 supra, point 55), la requérante ne devait pas recevoir des indications plus précises sur sa culpabilité pour pouvoir utilement exercer ses droits de la défense.

280. En tout état de cause, il doit être constaté que la requérante a effectivement exercé ses droits de la défense sur ce point dès lors que, dans sa réponse à la communication des griefs, elle a contesté sa culpabilité en se référant à la régulation nationale de ses tarifs.

281. Le premier moyen doit donc être rejeté.

B – Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 253 CE

1. Arguments des parties

282. La requérante rappelle que la décision attaquée doit exposer les motifs pour lesquels la Commission considère que les conditions nécessaires à l’imposition d’une amende sont réunies (arrêt Remia e.a./Commission, point 185 supra, point 26 ; arrêts du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T‑44/90, Rec. p. II‑1, point 43, et du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission, T‑7/92, Rec. p. II‑669, point 30). La décision attaquée, qui ne contiendrait aucun motif concernant la négligence de la requérante ou le caractère intentionnel de l’infraction, violerait l’article 253 CE, de sorte que l’amende devrait être annulée.

283. La Commission conclut au rejet du présent moyen.

2. Appréciation du Tribunal

284. Il doit être rappelé, à titre liminaire, que l’obligation de motivation prévue à l’article 253 CE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Dans cette perspective, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt de la Cour du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec. p. I‑2481, point 35).

285. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 22 mars 2001, France/Commission, point 284 supra, point 36, et du 19 septembre 2002, Espagne/Commission, C‑113/00, Rec. p. I‑7601, point 48).

286. D’une part, il doit être constaté que la décision attaquée (deuxième visa) contient une référence à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Cette disposition précise, dans son premier alinéa, les conditions qui doivent être remplies pour que la Commission puisse infliger des amendes (conditions d’ouverture). Parmi ces conditions figure celle relative au caractère délibéré ou négligent de l’infraction (ordonnance SPO e.a./Commission, point 274 supra, point 53).

287. D’autre part, dans la décision attaquée, la Commission expose en détail, aux considérants 102 à 162 et 176 à 183, les motifs pour lesquels elle considère que les pratiques tarifaires de la requérante sont abusives au sens de l’article 82 CE et, aux considérants 163 à 175, les motifs pour lesquels la requérante doit être considérée comme étant responsable de l’infraction constatée, malgré le fait que les autorités allemandes doivent approuver les tarifs de celle-ci.

288. Dans ces conditions, il doit être considéré que la décision attaquée est suffisamment motivée s’agissant de l’application au cas d’espèce des conditions d’ouverture prévues à l’article 15, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 17.

289. Ce moyen doit donc aussi être rejeté.

C – Sur le troisième moyen, tiré d’une absence de négligence ou de faute intentionnelle de la part de la requérante

1. Arguments des parties

290. La requérante soutient qu’elle n’a commis ni négligence ni faute intentionnelle.

291. Premièrement, elle rappelle que ses tarifs pour des prestations intermédiaires et ses tarifs de détail ont tous fait l’objet de décisions d’autorisation de la BMPT, puis de la RegTP. La requérante aurait ainsi pu légitimement présumer la légalité de ces tarifs. Elle souligne que la RegTP est une instance d’État neutre et indépendante. Il appartiendrait à la RegTP, et non pas à la requérante, de vérifier si les prix des prestations intermédiaires et les prix de détail étaient conformes à l’article 82 CE. En outre, l’Oberlandesgericht Düsseldorf, dans son arrêt du 16 janvier 2002, aurait jugé que la responsabilité des tarifs fixés par la RegTP n’était pas imputable à la requérante.

292. Deuxièmement, la requérante aurait été informée par des agents de la Commission, lors d’une réunion du 17 avril 2000, que la procédure à son égard ne serait pas poursuivie, dès lors que Commission avait ouvert une procédure en manquement à l’encontre de la République fédérale d’Allemagne. Elle ajoute que la Commission n’a procédé à aucune mesure d’instruction entre janvier 2000 et juin 2001, soit pendant environ un an et demi. La requérante aurait été en droit de déduire de ce comportement de la Commission que celle-ci n’avait pas de base suffisante pour lui reprocher un abus de position dominante, en tout cas pour la période comprise entre janvier 2000 et juin 2001. Dans sa réplique, la requérante ajoute qu’elle a déduit de l’ouverture de la procédure en manquement, de la suspension de la procédure d’abus et des explications données par la Commission lors de la réunion du 17 avril 2000 que celle-ci avait abandonné le grief relatif à la violation de l’article 82 CE.

293. Troisièmement, la requérante fait observer que, en l’absence de jurisprudence communautaire et de pratique décisionnelle de la Commission relatives à un effet de ciseaux tarifaire dans le domaine des télécommunications, elle n’a jamais douté de la justesse de l’appréciation effectuée par la RegTP. De plus, du fait de la pratique administrative de la RegTP, qui a maintes fois examiné la problématique de l’effet de ciseaux, la requérante pouvait présumer que la Commission parviendrait finalement à la même conclusion que la RegTP.

294. La Commission et la partie intervenante II concluent au rejet du présent moyen.

2. Appréciation du Tribunal

295. S’agissant de la question de savoir si les infractions ont été commises de propos délibéré ou par négligence et sont, de ce fait, susceptibles d’être sanctionnées par une amende, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 17, il a été jugé que cette condition est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité (arrêts du Tribunal du 1 er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, Rec. p. II‑389, point 165, et du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 238).

296. Dans la présente espèce, la requérante ne pouvait ignorer que, malgré les décisions d’autorisation de la RegTP, elle disposait d’une réelle marge de manœuvre pour fixer ses prix de détail et, par voie de conséquence, pour réduire l’effet de ciseaux tarifaire en augmentant ces derniers prix. En outre, la requérante ne pouvait ignorer que cet effet de ciseaux entraînait des restrictions sérieuses à la concurrence, compte tenu en particulier de sa position monopolistique sur le marché des prestations intermédiaires et de sa position quasi monopolistique sur le marché des services d’accès pour les abonnés (décision attaquée, considérants 97 à 100).

297. Il s’ensuit que les conditions d’ouverture pour que la Commission puisse infliger des amendes sont réunies (ordonnance SPO e.a./Commission, point 274 supra, point 53).

298. Par ailleurs, force est de constater que l’ouverture d’une procédure précontentieuse à l’encontre de la République fédérale d’Allemagne n’affecte nullement les conditions d’ouverture de l’article 15, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 17. En effet, la requérante ne pouvait ignorer, d’une part, qu’elle disposait d’une réelle marge de manœuvre pour augmenter ses prix de détail et, d’autre part, que ses pratiques tarifaires faisaient obstacle au développement de la concurrence sur le marché des services d’accès à la boucle locale, sur lequel le degré de concurrence était déjà affaibli, en raison notamment de sa présence (voir, en ce sens, arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 226 supra, point 91).

299. Enfin, l’argument tiré de l’examen de l’effet de ciseaux tarifaire par la RegTP doit être rejeté pour les motifs exposés aux points 267 à 269 ci-dessus.

300. Le troisième moyen doit donc aussi être rejeté.

D – Sur les quatrième et sixième moyens, tirés, respectivement, de la prise en compte insuffisante de la régulation tarifaire dans le calcul du montant de l’amende et de la prise en compte insuffisante des circonstances atténuantes

1. Arguments des parties

301. La requérante fait valoir que la Commission n’était pas en droit de qualifier la prétendue infraction de grave. La contribution de la requérante à l’infraction aurait été faible dès lors que les tarifs litigieux avaient été fixés par la RegTP. L’infraction pourrait donc, conformément aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, CA (JO 1998, C 9, p. 3, ci‑après les « lignes directrices »), tout au plus être qualifiée de peu grave. La requérante souligne que, par décision du 19 décembre 2002, la RegTP avait même rejeté une demande de la requérante tendant à l’augmentation de ses tarifs de détail au-delà du plafond fixé, bien qu’à l’appui de cette demande, pour justifier le dépassement du plafond prévu, la requérante ait invoqué la procédure ouverte par la Commission.

302. La réduction de 10 % du montant de base de l’amende, accordée pour tenir compte de la régulation des tarifs par la RegTP, serait donc insuffisante. Les décisions de la RegTP auraient permis de fonder un « doute raisonnable sur le caractère infractionnel » du comportement de la requérante, au sens des lignes directrices précitées. La requérante se réfère, en outre, à la décision 2001/892/CE de la Commission, du 25 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (COMP/C‑1/36.915 – Deutsche Post AG – Interception de courrier transfrontière) (JO L 331, p. 40 ci‑après la « décision Deutsche Post »), dans laquelle la Commission aurait imposé une amende seulement symbolique, eu égard au fait que la société en question s’était comportée d’une manière conforme à la jurisprudence des tribunaux allemands et qu’il n’existait pas de jurisprudence communautaire portant sur les services de courrier transfrontière.

303. En fixant l’amende, la Commission aurait également dû tenir compte d’autres circonstances atténuantes, à savoir, d’une part, l’absence de restriction grave à la concurrence et, d’autre part, le fait que les tarifs de détail peu élevés de la requérante remplissent une fonction sociale.

304. Dans sa réplique, la requérante attire l’attention sur l’arrêt de l’Oberlandesgericht Düsseldorf du 16 janvier 2002. Elle fait observer que cette juridiction a jugé que le prélèvement de tarifs fixés par la RegTP ne saurait constituer un abus de position dominante de la requérante et que le seul dépôt d’une demande tarifaire par la requérante ne suffit pas pour lui imputer une infraction au droit de la concurrence. Selon cette même juridiction, il n’y aurait, en vertu du droit de la concurrence, aucune obligation à la charge de la requérante de soumettre d’autres demandes. Tout au plus, une amende symbolique aurait pu lui être infligée, étant donné que les tarifs sont non seulement partiellement conformes à la jurisprudence des tribunaux allemands (décision Deutsche Post, considérant 193), mais ont même été fixés de manière impérative par la RegTP.

305. La Commission et la partie intervenante II concluent au rejet du présent moyen.

2. Appréciation du Tribunal

306. Aux considérants 206 et 207 de la décision attaquée, la Commission a qualifié de grave, et non de très grave, l’infraction, pour autant qu’elle concerne la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, aux motifs, d’une part, que la méthode de calcul de l’effet de ciseaux fondée sur l’approche pondérée était nouvelle et n’avait pas encore fait l’objet d’une décision formelle et, d’autre part, que la requérante n’avait cessé de réduire l’effet de ciseaux tout au moins depuis 1999.

307. Pour la période allant du 1 er janvier 2002 jusqu’à mai 2003, la Commission a retenu une infraction peu grave (décision attaquée, considérant 207), dès lors que « la possibilité juridique pour [la requérante] de réduire l’effet de ciseaux [était] limitée à une augmentation du prix du T‑DSL » (décision attaquée, considérant 206). Elle a, en outre, renoncé, pour cette même période, à toute augmentation de l’amende au titre de la durée de l’infraction, « compte tenu des contraintes réglementaires qui limitaient la marge de manœuvre dont [la requérante] disposait pour modifier les tarifs » (décision attaquée, considérant 211).

308. Au considérant 212 de la décision attaquée, la Commission a retenu comme circonstance atténuante le fait que « les prix de détail et les prix des prestations intermédiaires de [la requérante] en cause soient des prix qui, depuis le début de 1998, faisaient et font encore aujourd’hui l’objet d’une régulation sectorielle au niveau national ».

309. Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a imposé, à l’article 3 de la décision attaquée, une amende de 12,6 millions d’euros à la requérante. Elle a déterminé le montant de l’amende en faisant application de la méthode de calcul qu’elle s’était imposée dans les lignes directrices. Ainsi, conformément au point 1 A, deuxième alinéa, des lignes directrices, le montant retenu pour la gravité de l’infraction a été fixé à 10 millions d’euros (décision attaquée, considérant 207). En application du point 1 B, premier alinéa, des lignes directrices, ce montant a été augmenté de 40 % en prenant en considération la durée de l’infraction pour la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001, ce qui donne un montant de base de 14 millions d’euros (décision attaquée, considérant 211). Ce montant a ensuite été réduit de 10 % pour tenir compte des circonstances atténuantes, conformément au point 3 des lignes directrices.

310. Force est de constater que, contrairement à ce que prétend la requérante, la Commission a pu qualifier de grave l’infraction pour la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001 (décision attaquée, considérant 207). En effet, les pratiques tarifaires critiquées renforcent les barrières à l’entrée sur des marchés récemment libéralisés et mettent ainsi en péril le bon fonctionnement du marché commun. À cet effet, il importe de rappeler que les lignes directrices (point 1 A, deuxième alinéa) qualifient les comportements d’exclusion d’une entreprise en position dominante d’infraction grave, voire d’infraction très grave lorsqu’ils sont commis par une entreprise en situation de quasi‑monopole.

311. S’agissant de l’intervention de la RegTP dans la fixation des tarifs de la requérante, il doit être rappelé que, lors de la détermination du niveau de la sanction, le comportement de l’entreprise concernée peut être apprécié à la lumière de la circonstance atténuante que constituait le cadre juridique national (voir, en ce sens, arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 89 supra, point 620, et CIF, point 86 supra, point 57).

312. Lors de l’audience, la Commission a expliqué que la réduction de l’amende de 10 % qui a été accordée pour tenir compte du fait que « les prix de détail et les prix des prestations intermédiaires [de la requérante] […] font […] l’objet d’une régulation sectorielle au niveau national » (décision attaquée, point 212) se rapporte à l’intervention de la RegTP dans la fixation des prix de la requérante et à la circonstance que cette autorité nationale a, à plusieurs reprises au cours de la période visée par la décision attaquée, examiné la question relative à l’existence d’un effet de ciseaux résultant des pratiques tarifaires de la requérante.

313. Eu égard à la marge dont dispose la Commission lors de la détermination du montant de l’amende (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59, et du 26 avril 2007, Bolloré e.a./Commission, T‑109/02, T‑118/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02, T‑132/02 et T‑136/02, non encore publié au Recueil, point 580), il doit être considéré que la Commission a dûment pris en compte les éléments mentionnés au point précédent en réduisant le montant de base de l’amende de 10 %.

314. S’agissant de la prétendue fonction sociale remplie par la requérante, il importe de rappeler que, selon l’article 86, paragraphe 2, CE, les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général sont soumises aux règles du traité, notamment aux règles de concurrence, pour autant que l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie. À supposer même que la requérante se soit vu confier une mission de gestion de services d’intérêt économique général au sens de ladite disposition, la requérante ne démontre nullement pourquoi les pratiques tarifaires qui ont été dénoncées dans la décision attaquée seraient nécessaires pour l’accomplissement de cette mission. Cet argument ne peut donc être accueilli.

315. La requérante se réfère encore à la décision Deutsche Post et considère que, à l’instar de l’entreprise en position dominante dans cette décision, la Commission aurait dû lui imposer une amende symbolique.

316. À cet égard, il importe de rappeler d’abord que, selon une jurisprudence bien établie, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites fixées par le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige, en effet, que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir arrêt Bolloré e.a./Commission, point 313 supra, point 376, et la jurisprudence citée).

317. Ensuite, il doit être constaté que la situation de la requérante diffère fondamentalement de la situation de l’entreprise visée par la décision Deutsche Post.

318. Il ressort, en effet, des considérants 192 et 193 de la décision Deutsche Post, qui portait sur un abus relatif au traitement du courrier transfrontière, que la Commission a jugé approprié de n’infliger qu’une amende symbolique à l’entreprise visée par cette décision pour trois motifs : premièrement, l’entreprise concernée s’était comportée de manière conforme à la jurisprudence des tribunaux allemands ; deuxièmement, il n’existait pas de jurisprudence communautaire portant spécifiquement sur les services de courrier transfrontière visés, et troisièmement, l’entreprise concernée avait pris l’engagement d’instaurer une procédure pour le traitement du courrier transfrontière entrant de nature à éviter les difficultés pratiques et, le cas échéant, à faciliter la détection de futures atteintes à la libre concurrence.

319. En l’espèce, premièrement, il doit être constaté que le seul arrêt des juridictions allemandes auquel se réfère la requérante est l’arrêt de l’Oberlandesgericht Düsseldorf, qui a été rendu le 16 janvier 2002, soit au cours de la période durant laquelle l’infraction a été qualifiée de peu grave par la décision attaquée (considérant 207). En tout état de cause, cet arrêt a été annulé par arrêt du Bundesgerichtshof du 10 février 2004. Deuxièmement, il ressort de la décision attaquée (considérants 106 et 206) que la Commission a fait application des mêmes principes que ceux qui sous-tendaient la décision Napier Brown/British Sugar de 1988. Or, dans sa communication du 22 août 1998 relative à l’application des règles de concurrence aux accords d’accès dans le secteur des télécommunications – Cadre général, marchés en cause et principes (points 117 à 119), la Commission avait déjà annoncé qu’elle envisageait d’appliquer les principes de la décision Napier Brown/British Sugar dans le secteur des télécommunications. Le seul élément nouveau de la décision attaquée est constitué par « l’approche pondérée qui a dû être utilisée, [dès lors] qu’en Allemagne un seul tarif de gros pour le dégroupage de la boucle locale a été fixé, tandis que les tarifs pour les services de détail correspondants diffèrent entre lignes analogiques, les lignes ISDN et les lignes ADSL » (décision attaquée, considérant 206). Toutefois, la Commission a tenu compte de la nouveauté de cette approche aux fins de qualifier l’infraction de grave, et non pas de très grave, pour la période allant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2001 (décision attaquée, considérant 206). Enfin, troisièmement, la requérante, dans la présente affaire, n’a pris aucun engagement afin d’éviter toute autre infraction à l’avenir.

320. Les trois critères énoncés par la décision Deutsche Post n’étant pas remplis en l’espèce, l’argument tiré de la solution adoptée dans ladite décision ne peut donc être accueilli.

321. Il résulte de tout ce qui précède que le présent moyen doit être rejeté.

E – Sur le cinquième moyen, tiré de la mauvaise appréciation de la durée de l’infraction

1. Arguments des parties

322. La requérante rappelle que la Commission a augmenté le montant de l’amende en raison de la prétendue gravité de l’infraction pendant la période allant de 1998 à 2001. Toutefois, dans la décision attaquée (considérant 208), la Commission elle-même reconnaîtrait que la requérante n’a eu connaissance de la structure abusive de ses tarifs qu’à partir de l’année 1999.

323. La requérante prétend qu’elle a été informée, lors de la réunion du 17 avril 2000, par des agents de la Commission, que celle-ci intenterait une procédure en manquement à l’encontre de la République fédérale d’Allemagne. En raison de cette information et de la longueur de la procédure administrative, la Commission aurait elle‑même renforcé la conviction de la requérante selon laquelle ses tarifs ne contrevenaient pas à l’article 82 CE et aurait ainsi contribué à l’allongement de la durée de l’infraction. Cette durée ne devrait donc pas être prise en compte dans sa totalité pour la fixation du montant de l’amende (arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto chemioterapico italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 51).

324. La Commission conclut au rejet du présent moyen.

2. Appréciation du Tribunal

325. Dans la mesure où, dans le cadre du présent moyen, la requérante met en cause le calcul de la durée de l’infraction, il y aurait lieu de constater que, dans le cadre des conclusions subsidiaires de la requête, la requérante demande non seulement la réduction de l’amende, mais également l’annulation partielle de l’article 1 er de la décision attaquée (arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, points 210 à 214).

326. S’agissant de l’appréciation du bien-fondé du moyen, il doit être rappelé que, dans la décision attaquée, la Commission se réfère aux plaintes déposées par les concurrents de la requérante en 1999. Selon la Commission, la requérante sait donc depuis ce moment « qu’il lui est fait grief d’avoir une structure tarifaire éventuellement abusive pour l’accès à la boucle locale » (décision attaquée, considérant 208).

327. La circonstance que la requérante ait eu connaissance du grief qui lui est reproché, d’abuser de sa position dominante, à partir seulement de 1999 est sans incidence sur la réalité du caractère infractionnel de son comportement dès le 1 er janvier 1998. En effet, la notion d’exploitation abusive au sens de l’article 82 CE est une notion objective (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 226 supra, point 91 ; AKZO/Commission, point 189 supra, point 69, et ordonnance Piau/Commission, point 233 supra, point 37 ; arrêt Irish Sugar/Commission, point 122 supra, point 111). La connaissance subjective du caractère abusif de son comportement par l’entreprise en position dominante ne constitue donc pas une condition d’application de l’article 82 CE.

328. Le premier argument doit donc être rejeté.

329. L’argument de la requérante selon lequel l’amende aurait été inférieure si la décision avait été adoptée plus tôt ne peut pas non plus être accueilli. Il s’agit, en effet, d’un argument purement hypothétique. Par ailleurs, il importe de souligner qu’il ressort de la décision attaquée (considérant 211) que la Commission a renoncé à toute augmentation de l’amende pour la période allant du 1 er janvier 2002 jusqu’à mai 2003.

330. Le second argument ne peut donc pas être accueilli et, par suite, le dernier moyen doit être écarté dans son ensemble. Partant, le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

331. En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de décider qu’elle supportera, outre ses propres dépens, ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

332. En application de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.

(1) .

(1) – Données confidentielles occultées.

Dispositif

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Deutsche Telekom AG supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

3) Arcor AG & Co. KG, d’une part, et Versatel NRW GmbH, EWE TEL GmbH, HanseNet Telekommunikation GmbH, Versatel Nord-Deutschland GmbH, NetCologne Gesellschaft für Telekommunikation mbH, Versatel Süd-Deutschland GmbH et Versatel West‑Deutschland GmbH, d’autre part, supporteront leurs propres dépens.

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