Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62003CJ0373

    Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 7 juillet 2005.
    Ceyhun Aydinli contre Land Baden-Württemberg.
    Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Freiburg - Allemagne.
    Association CEE-Turquie - Libre circulation des travailleurs - Décision nº 1/80 du conseil d'association - Articles 6 et 7 - Condamnation pénale - Peine d'emprisonnement - Incidence sur le droit de séjour.
    Affaire C-373/03.

    Recueil de jurisprudence 2005 I-06181

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2005:434

    Affaire C-373/03

    Ceyhun Aydinli

    contre

    Land Baden-Württemberg

    (demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgericht Freiburg)

    «Association CEE-Turquie — Libre circulation des travailleurs — Décision nº 1/80 du conseil d'association — Articles 6 et 7 — Condamnation pénale — Peine d'emprisonnement — Incidence sur le droit de séjour»

    Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 7 juillet 2005 

    Sommaire de l'arrêt

    Accords internationaux — Accord d'association CEE-Turquie — Conseil d'association institué par l'accord d'association CEE-Turquie — Décision nº 1/80 — Regroupement familial — Accès des membres de la famille d'un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre à une activité salariée de leur choix dans cet État membre — Limitation des droits en raison d'une absence prolongée du marché de l'emploi à la suite d'une incarcération suivie d'une cure de désintoxication ou en raison de l'absence de vie commune avec le travailleur turc — Inadmissibilité

    (Décision nº 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie, art. 7, al. 1)

    Un ressortissant turc, membre de la famille d'un travailleur turc, qui bénéficie, après avoir résidé régulièrement depuis cinq ans au moins dans l'État d'accueil, du droit de libre accès à toute activité salariée de son choix au titre de l'article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie, ne perd ce droit ni du fait d'une absence prolongée du marché de l'emploi due à une incarcération, même pendant plusieurs années, suivie d'une cure de désintoxication de longue durée, ni en raison de la circonstance que, au moment de la décision d'expulsion, l'intéressé était majeur et ne résidait plus auprès du travailleur turc à l'origine de son droit de séjour, mais menait une existence indépendante de ce travailleur.

    (cf. point 32 et disp.)




    ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

    7 juillet 2005 (*)

    «Association CEE-Turquie – Libre circulation des travailleurs –Décision nº 1/80 du conseil d’association – Articles 6 et 7 – Condamnation pénale – Peine d’emprisonnement – Incidence sur le droit de séjour»

    Dans l’affaire C-373/03,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Verwaltungsgericht Freiburg (Allemagne), par décision du 12 mars 2003, parvenue à la Cour le 5 septembre 2003, dans la procédure

    Ceyhun Aydinli

    contre

    Land Baden-Württemberg,

    LA COUR (cinquième chambre),

    composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. R. Schintgen (rapporteur) et P. Kūris, juges,

    avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

    greffier: M. R. Grass,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées:

    –       pour le Land Baden-Württemberg, par Mme I. Karrais, en qualité d’agent,

    –       pour le gouvernement allemand, par Mme A. Tiemann, en qualité d’agent,

    –       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. G. Rozet et H. Kreppel, en qualité d’agents,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

    rend le présent

    Arrêt

    1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6 et 7 de la décision nº 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association (ci-après la «décision nº 1/80»). Le conseil d’association a été institué par l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685).

    2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Aydinli, ressortissant turc, au Land Baden-Württemberg au sujet d’une procédure d’éloignement du territoire allemand.

     Le cadre juridique

    3       Aux termes de l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la décision nº 1/80:

    «1.      Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre:

    –       a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi;

    –       a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre;

    –       bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.

    2.      Les congés annuels et les absences pour cause de maternité, d’accident de travail ou de maladie de courte durée sont assimilés aux périodes d’emploi régulier. Les périodes de chômage involontaire, dûment constatées par les autorités compétentes, et les absences pour cause de maladie de longue durée, sans être assimilées à des périodes d’emploi régulier, ne portent pas atteinte aux droits acquis en vertu de la période d’emploi antérieure.»

    4       Conformément à l’article 7 de ladite décision:

    «Les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:

    –       ont le droit de répondre – sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté – à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;

    –       y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.

    Les enfants des travailleurs turcs ayant accompli une formation professionnelle dans le pays d’accueil pourront, indépendamment de leur durée de résidence dans cet État membre, à condition qu’un des parents ait légalement exercé un emploi dans l’État membre intéressé depuis trois ans au moins, répondre dans ledit État membre à toute offre d’emploi.»

    5       Selon l’article 14, paragraphe 1, de la même décision:

    «Les dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques.»

     Le litige au principal et les questions préjudicielles

    6       Il ressort du dossier que M. Aydinli est né en Allemagne en 1974. Entre 1980 et 1989, il a vécu chez ses grands-parents en Turquie et y a suivi sa scolarité. En septembre 1989, il a été autorisé à rejoindre ses parents en Allemagne, où il a accompli une formation professionnelle. De janvier 1995 à septembre 2000, il y a exercé une activité salariée auprès du même employeur et, depuis juin 1995, il possède un titre de séjour sans limitation de durée dans cet État membre.

    7       S’étant rendu coupable de commerce illicite de stupéfiants en quantité non négligeable, l’intéressé a été arrêté le 27 septembre 2000, placé en détention préventive et condamné, le 31 mai 2001, à une peine privative de liberté d’une durée de trois ans sur laquelle le temps qu’il avait passé en détention préventive a été imputé.

    8       Après que M. Aydinli eut purgé une partie de sa peine, il a été sursis à l’exécution de cette dernière à partir du 2 octobre 2001, afin de permettre à l’intéressé de se soumettre à une cure de désintoxication de longue durée, qu’il a terminée avec succès le 16 juillet 2002. Par décision juridictionnelle du 6 novembre 2002, la durée de cette cure a été imputée sur la durée de la peine prononcée et le reliquat de celle-ci a été assorti du sursis.

    9       Depuis la fin de sa cure, M. Aydinli travaille chez son père en Allemagne.

    10     Le 16 août 2001, les autorités allemandes ont ordonné son expulsion immédiate, décision contre laquelle l’intéressé a introduit un recours en annulation le 20 septembre suivant.

    11     Tout en estimant que l’ordre d’expulsion était conforme au droit national, en vertu duquel un étranger qui a été définitivement condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans, non assortie du sursis probatoire, en raison d’une infraction aux dispositions de la loi sur les stupéfiants doit obligatoirement être expulsé, la juridiction de renvoi s’est interrogée sur la compatibilité de cette mesure d’éloignement avec la décision nº 1/80.

    12     En effet, il serait de jurisprudence constante que l’article 14, paragraphe 1, de cette décision s’oppose à l’expulsion de principe d’un ressortissant turc ordonnée à la suite d’une condamnation pénale et dans un but de dissuasion à l’égard d’autres étrangers, sans que le comportement personnel de l’intéressé donne concrètement lieu à penser qu’il commettra d’autres infractions graves de nature à troubler l’ordre public dans l’État membre d’accueil (arrêt du 10 février 2000, Nazli, C-340/97, Rec. p. I-957).

    13     Or, à cet égard, la juridiction de renvoi est convaincue que M. Aydinli ne présentait plus aucun danger concret de récidive au moment où la décision d’expulsion a été prise.

    14     Toutefois, avant de conclure à l’applicabilité, dans l’affaire au principal, de l’article 14, paragraphe 1, de la décision nº 1/80, cette juridiction estime nécessaire de déterminer dans quelle mesure l’intéressé pouvait se prévaloir d’un droit conféré par une disposition de cette décision et, plus particulièrement, des articles 6 ou 7 de celle-ci.

    15     Certes, en sa qualité de travailleur turc ayant régulièrement exercé un emploi pendant plus de quatre années consécutives, M. Aydinli aurait acquis le statut prévu à l’article 6, paragraphe 1, troisième tiret, de la décision nº 1/80. De même, en tant qu’enfant d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, auprès duquel il a résidé régulièrement pendant cinq ans au moins, et dès lors qu’il a accompli dans cet État une formation professionnelle, M. Aydinli aurait bénéficié des droits énoncés à l’article 7, premier alinéa, second tiret, et second alinéa, de cette décision.

    16     La juridiction de renvoi se demande cependant si, à la date de la décision d’expulsion, M. Aydinli n’avait pas perdu ces droits en raison de son absence de longue durée du marché de l’emploi, due d’abord à sa détention préventive du 27 septembre 2000 au 3 juillet 2001, ensuite à l’exécution de sa peine d’emprisonnement du 4 juillet 2001 au 1er octobre 2001 et enfin à sa cure de désintoxication du 2 octobre 2001 au 16 juillet 2002.

    17     Considérant que, dans ces conditions, la solution du litige nécessite une interprétation du droit communautaire, le Verwaltungsgericht Freiburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

    «1)      L’absence d’un travailleur turc du marché régulier de l’emploi au motif qu’il purge temporairement une peine de prison peut-elle avoir pour conséquence que ce travailleur quitte ledit marché et perde de ce fait les droits acquis, en application de l’article 6, paragraphe 1, troisième tiret, de la décision nº 1/80, en raison de l’occupation d’un emploi pendant de longues années dans l’État membre en cause?

    2)      Comment détermine-t-on, le cas échéant, la durée d’une absence du marché de l’emploi liée au fait qu’un travailleur purge une peine de prison et qui a pour conséquence de priver l’intéressé de ses droits?

    3)      Peut-on, lors de la détermination de ladite période, également prendre en considération la période d’absence du travailleur turc du marché de l’emploi due à une mise en détention préventive ayant précédé immédiatement sa détention pour la peine privative de liberté en cause?

    4)      Pour les besoins de la détermination de cette période, peut-on également prendre en considération le fait que, au moment où la décision d’expulsion est prise, le demandeur restera probablement encore pour une période assez longue en dehors du marché de l’emploi au motif que, sans cette décision, il pourrait très vraisemblablement débuter une cure de désintoxication de longue durée favorisant sa réhabilitation sociale et professionnelle et pour laquelle il bénéficierait d’un sursis à l’exécution de sa peine et qu’il existe à cet égard des perspectives de succès suffisantes?

    5)      Pour qu’un membre de la famille d’un travailleur turc perde les droits qu’il tire de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80, faut-il qu’il y ait à la fois rupture de la communauté de vie familiale de ce membre de la famille avec le travailleur turc à l’origine de son droit au séjour ainsi qu’un éloignement définitif de ce membre de la famille du marché régulier de l’emploi de l’État membre dans lequel ils vivent tous les deux?

    6)      Se trouve-t-on de manière générale en présence d’une dissolution de la communauté familiale pertinente aux fins du droit au séjour dans les cas dans lesquels l’enfant majeur d’un travailleur turc vit de façon durable en dehors du domicile de ses parents et dans lesquels ni lui, ni le travailleur turc en question n’ont plus besoin d’une proximité ou d’une sollicitude particulière?

    7)      L’exclusion du marché de l’emploi pertinente quant à la situation d’un membre de la famille d’un travailleur turc en application de l’article 7, premier alinéa, second tiret, doit-elle être appréciée selon les mêmes critères que ce qui est le cas pour la perte des droits résultant de l’article 6, paragraphe 1, troisième tiret, de la décision nº 1/80?

    8)      L’enfant d’un travailleur turc qui a terminé sa formation professionnelle dans l’État membre d’accueil perd-il le droit qu’il tire de l’article 7, second alinéa, de la décision nº 1/80 de postuler dans l’État membre en cause à tout emploi dès lors qu’il avait déjà été intégré sur le marché de l’emploi de cet État membre en occupant de manière durable un emploi sur le marché de l’emploi de ce pays?

    9)      L’intéressé perd-il le droit qui résulte de l’article 7, second alinéa, de la décision nº 1/80 lorsqu’il a quitté le marché régulier de l’emploi de cet État membre d’une manière telle qu’il a perdu les droits que tire un travailleur turc de l’article 6, paragraphe 1, troisième tiret, de la décision nº 1/80?»

      Sur les questions préjudicielles

     Observation liminaire

    18     À titre liminaire, il y a lieu de relever que l’affaire au principal concerne la situation d’un ressortissant turc qui, en tant qu’enfant d’un couple de migrants turcs dont l’un au moins appartient au marché régulier de l’emploi d’un État membre, a été autorisé à les rejoindre sur le territoire de celui-ci au titre du regroupement familial, sur le fondement de l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80. La juridiction de renvoi a constaté, dans ce contexte, que l’intéressé bénéficie du droit de libre accès à toute activité salariée de son choix, conformément au second tiret de cette disposition, en raison de sa résidence régulière durant cinq ans au moins dans cet État membre.

    19     En outre, l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 s’applique «sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de [l]a famille» d’un travailleur turc. Il en résulte que ces dispositions constituent une lex specialis par rapport aux droits graduellement plus étendus en fonction de la durée d’exercice d’une activité salariée régulière, énoncés aux trois tirets dudit article 6, paragraphe 1.

    20     Dans ces conditions, il convient d’examiner en premier lieu les cinquième, sixième et septième questions relatives à l’interprétation de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80.

     Sur les cinquième, sixième et septième questions

    21     Ces questions visent toutes à savoir dans quelle mesure un ressortissant turc, tel que M. Aydinli, qui bénéficie dans l’État membre d’accueil du droit de libre accès à toute activité salariée de son choix au titre de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80, peut perdre ce droit dès lors qu’il a été condamné à une peine d’emprisonnement de plusieurs années, initialement non assortie du sursis, mais dont l’exécution d’une partie a été remplacée par l’obligation de suivre une cure de désintoxication de longue durée. Il convient donc de les examiner conjointement.

    22     Afin d’y répondre utilement, il importe de rappeler, en premier lieu, la jurisprudence selon laquelle l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80 vise la situation d’un ressortissant turc qui, en sa qualité de membre de la famille d’un travailleur turc appartenant ou ayant appartenu au marché régulier de l’emploi de l’État membre d’accueil, soit a été autorisé à y rejoindre ledit travailleur au titre du regroupement familial, soit est né et a toujours résidé dans cet État. L’applicabilité de cette disposition à ce type de situations est indépendante de la circonstance que, au moment litigieux, l’intéressé est majeur et n’habite plus en communauté domestique avec sa famille, mais mène une existence autonome du travailleur dans l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 2000, Ergat, C-329/97, Rec. p. I-1487, points 26 et 27, ainsi que du 11 novembre 2004, Cetinkaya, C‑467/02, non encore publié au Recueil, point 34).

    23     Un tel ressortissant turc ne saurait dès lors perdre un droit acquis sur le fondement de cette disposition en raison de la survenance de circonstances de la nature de celles visées au point précédent. En outre, le droit des membres de la famille d’un travailleur turc d’accéder, après un certain temps, à un emploi dans l’État membre d’accueil vise précisément à consolider leur position dans cet État en leur offrant la possibilité de devenir autonomes.

    24     Au surplus, si l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision nº 1/80 exige, en principe, que le membre de la famille d’un travailleur turc mène effectivement avec ce dernier une vie commune pendant la période de trois ans où l’intéressé ne remplit pas lui-même les conditions pour accéder au marché du travail dans l’État membre d’accueil (voir arrêts du 17 avril 1997, Kadiman, C-351/95, Rec. p. I‑2133, points 33, 37, 40, 41 et 44, ainsi que Cetinkaya, précité, point 30), il n’en reste pas moins que les États membres ne sont plus en droit d’assortir de conditions le séjour d’un membre de la famille d’un travailleur turc au-delà de cette période de trois ans et, à plus forte raison, il doit en être ainsi pour un migrant turc qui remplit les conditions énoncées audit article 7, premier alinéa, second tiret (voir arrêts précités Ergat, points 37 à 39, et Cetinkaya, point 30).

    25     À cet égard, la Cour a plus particulièrement jugé, s’agissant des membres de la famille visés à l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80, qui, comme M. Aydinli, bénéficient, après cinq années de résidence régulière, du droit de libre accès à l’emploi dans l’État membre d’accueil conformément au second tiret de cette disposition, que non seulement l’effet direct attaché à celle-ci a pour conséquence que les intéressés tirent un droit individuel en matière d’emploi directement de la décision nº 1/80, mais, en outre, l’effet utile de ce droit implique nécessairement l’existence d’un droit corrélatif de séjour qui est indépendant du maintien des conditions d’accès à ces droits (voir arrêts précités Ergat, point 40; Cetinkaya, point 31, et, par analogie, arrêt de ce jour, Dogan, C‑383/03, non encore publié au Recueil, point 14).

    26     En conséquence, la circonstance que la condition d’ouverture du droit en cause, en l’occurrence la vie commune avec le travailleur turc pendant une certaine durée, disparaît après que le membre de la famille de ce travailleur a acquis le droit dont il s’agit n’est pas susceptible de remettre en cause le bénéfice de ce dernier.

    27     En second lieu, il résulte de la jurisprudence que les limites au droit de séjour, en tant que corollaire du droit d’accéder au marché du travail et d’exercer effectivement un emploi dont bénéficient les membres de la famille d’un travailleur turc qui remplissent les conditions énoncées à l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80, sont de deux ordres. Soit la présence du migrant turc sur le territoire de l’État membre d’accueil constitue, en raison de son comportement personnel, un danger réel et grave pour l’ordre public, la sécurité ou la santé publiques, en application de l’article 14, paragraphe 1, de la décision nº 1/80, soit l’intéressé a quitté le territoire de cet État pendant une période significative et sans motifs légitimes (voir, en ce sens, arrêts précités Ergat, points 45, 46 et 48, ainsi que Cetinkaya, point 36).

    28     En revanche, l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80 ne permet pas que, à la suite d’une condamnation à une peine d’emprisonnement, même de plusieurs années et prononcée initialement sans sursis, suivie d’une cure de désintoxication de longue durée, les droits que cette disposition confère à un ressortissant turc se trouvant dans la situation de M. Aydinli soient limités en raison de l’absence prolongée dudit ressortissant du marché de l’emploi (voir, par analogie, arrêt Cetinkaya, précité, point 39).

    29     L’interprétation qui figure au point précédent s’impose d’autant plus que, à la différence de l’article 6, paragraphe 1, de la décision nº 1/80, concernant les travailleurs turcs, la naissance des droits en matière d’emploi des membres de la famille d’un tel travailleur est subordonnée, conformément à l’article 7, premier alinéa, de cette décision, non pas à l’appartenance de ces membres de la famille au marché régulier du travail de l’État concerné et à l’exercice d’une activité salariée pendant une certaine durée, mais simplement à une condition de résidence effective avec le travailleur, dont ils tirent leurs droits, durant une période initiale de trois ans. Au surplus, les premier et second tirets du premier alinéa dudit article 7 accordent aux membres de la famille d’un travailleur turc un droit à l’emploi, mais ne leur imposent aucune obligation d’exercer une activité salariée telle que prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la même décision.

    30     Il s’ensuit, d’une part, que les dispositions du paragraphe 2 de l’article 6 de la décision nº 1/80 ne trouvent, en aucun cas, à s’appliquer dans le cadre de l’article 7 de celle-ci. En effet, c’est pour les seuls besoins de la computation des périodes d’emploi nécessaires à la constitution des droits énoncés audit article 6, paragraphe 1, que le paragraphe 2 du même article prévoit les incidences, aux fins de cette computation, de diverses causes d’interruption de travail (voir arrêt Dogan, précité, point 15).

    31     Il en découle, d’autre part, que le membre de la famille d’un travailleur turc, qui remplit les conditions prévues à l’article 7, premier alinéa, de la décision nº 1/80 et souhaite exercer un emploi dans l’État membre d’accueil, n’est pas tenu de se conformer aux conditions plus rigoureuses énoncées à cet égard à l’article 6, paragraphe 1, de cette décision (voir en ce sens, par analogie, arrêt du 19 novembre 1998, Akman, C-210/97, Rec. p. I-7519, points 48 à 50).

    32     Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux cinquième, sixième et septième questions qu’un ressortissant turc, qui bénéficie du droit de libre accès à toute activité salariée de son choix au titre de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80, ne perd ce droit ni du fait d’une absence prolongée du marché de l’emploi due à une incarcération, même pendant plusieurs années, suivie d’une cure de désintoxication de longue durée, ni en raison de la circonstance que, au moment de la décision d’expulsion, l’intéressé était majeur et ne résidait plus auprès du travailleur turc à l’origine de son droit de séjour, mais menait une existence indépendante de ce travailleur.

     Sur les première à quatrième questions ainsi que sur les huitième et neuvième questions

    33     Eu égard à la réponse apportée aux cinquième, sixième et septième questions, il n’y a plus lieu de statuer sur les autres questions posées.

     Sur les dépens

    34     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

    Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

    Un ressortissant turc, qui bénéficie du droit de libre accès à toute activité salariée de son choix au titre de l’article 7, premier alinéa, second tiret, de la décision nº 1/80, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association, adoptée par le conseil d’association institué par l’accord d’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, ne perd ce droit ni du fait d’une absence prolongée du marché de l’emploi due à une incarcération, même pendant plusieurs années, suivie d’une cure de désintoxication de longue durée, ni en raison de la circonstance que, au moment de la décision d’expulsion, l’intéressé était majeur et ne résidait plus auprès du travailleur turc à l’origine de son droit de séjour, mais menait une existence indépendante de ce travailleur.

    Signatures


    * Langue de procédure: l’allemand.

    Top