Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62003CC0215

    Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 21 octobre 2004.
    Salah Oulane contre Minister voor Vreemdelingenzaken en Integratie.
    Demande de décision préjudicielle: Rechtbank te 's-Gravenhage - Pays-Bas.
    Libre circulation des personnes - Droit d'entrée et de séjour des ressortissants des États membres - Obligation de présenter une carte d'identité ou un passeport - Condition préalable à la reconnaissance du droit de séjour - Sanction - Imposition d'une mesure de détention aux fins d'éloignement.
    Affaire C-215/03.

    Recueil de jurisprudence 2005 I-01215

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2004:653

    Conclusions

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
    M. PHILIPPE LÉGER
    présentées le 21 octobre 2004(1)



    Affaire C-215/03



    Salah Oulane
    contre
    Minister voor Vreemdelingenzaken en Integratie



    [demande de décision préjudicielle formée par le Rechtbank ’s-Gravenhage (Pays-Bas)]

    «Libre prestation des services  – Droit de séjour  – Touriste ressortissant d'un autre État membre  – Obligation de présenter une carte d'identité ou un passeport en cours de validité  – Discrimination en raison de la nationalité  – Mesure de détention aux fins de refoulement»






    1.        La présente affaire pose le problème du lien existant entre le droit d’un ressortissant d’un État membre de séjourner dans un autre État membre et la preuve qu’il doit apporter quant à sa nationalité. Ainsi, la Cour est invitée à déterminer si le droit de séjour d’une telle personne peut être subordonné à la production d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité et si, en cas de non-respect de cette obligation, un ressortissant communautaire peut faire l’objet d’une mesure de détention aux fins de refoulement.

    I –    Cadre juridique

    A –    Le droit communautaire

    2.        La directive 73/148/CEE du Conseil, du 21 mai 1973, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l’intérieur de la Communauté en matière d’établissement et de prestation de services  (2) , détermine les modalités pratiques de mise en œuvre des articles du traité relatifs à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. Adoptée sur la base des articles 54, paragraphe 2 (devenu, après modification, article 54, paragraphe 2, du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 44, paragraphe 2, CE), et 63, paragraphe 2 (devenu article 63, paragraphe 2, du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 52, paragraphe 2, CE), du traité CEE, l’un de ses objectifs est que le prestataire et le destinataire de services soient assurés d’un droit de séjour dont la durée correspond à celle de la prestation.

    3.        Ainsi, l'article 4, paragraphe 2, de la directive 73/148 dispose:

    «Pour les prestataires et les destinataires de services, le droit de séjour correspond à la durée de la prestation.

    Si cette durée est supérieure à trois mois, l’État membre où s’effectue la prestation délivre un titre de séjour pour constater ce droit.

    Si cette durée est inférieure ou égale à trois mois, la carte d’identité ou le passeport sous le couvert duquel l’intéressé a pénétré sur le territoire couvre son séjour. L’État membre peut toutefois imposer à l’intéressé de signaler sa présence sur le territoire.»

    B –    La réglementation nationale

    4.        La Vreemdelingenwet du 23 novembre 2000 (ci-après la «loi sur les étrangers de 2000») prévoit, à son article 50, que les personnes soupçonnées de séjour irrégulier peuvent être arrêtées dans le but que soient constatés leur identité, leur nationalité et leur statut sur le plan du droit de séjour. Si l’identité de la personne arrêtée ne peut être immédiatement établie, elle peut être transférée en un lieu prévu pour une audition et y être maintenue pour une durée maximale de six heures, durée qui peut être prolongée de quarante-huit heures au maximum s’il peut encore être présumé que la personne arrêtée n’est pas en situation de séjour régulier.

    5.        Cette loi prévoit également, à son article 59, que, si l’intérêt de l’ordre public ou de la sécurité nationale l’exige, l’étranger qui n’est pas en séjour régulier peut être placé en détention en vue de son expulsion.

    6.        En outre, le Vreemdelingenbesluit du 23 novembre 2000 (arrêté sur les étrangers, portant exécution de la loi du même jour) contient des dispositions qui s’appliquent aux ressortissants d’autres États membres que les Pays-Bas. Il énonce à son article 8:13, paragraphe 1, qu’«il ne sera pas procédé à l’expulsion d’un ressortissant communautaire aussi longtemps qu’il n’est pas apparu que cette personne ne dispose pas d’un droit de séjour ou que son droit de séjour s’est éteint».

    7.        Enfin, la Vreemdelingencirculaire 2000 (circulaire sur les étrangers) prévoit que l’étranger qui séjourne aux Pays-Bas et invoque des droits tirés du traité CE, mais n’a pas présenté de carte d’identité ou de passeport en cours de validité, «est mis en mesure de présenter ce document». Pour ce faire, un délai de deux semaines lui est accordé.

    II –   Les faits et la procédure du litige au principal

    8.        Le 2 décembre 2001, M. Salah Oulane, soupçonné d’une tentative de vol, a été interpellé aux Pays-Bas par les forces de l’ordre et retenu dans un lieu prévu à cet effet. Aucune poursuite pénale n’ayant été déclenchée contre lui, il a été relâché le 3 décembre 2001.

    9.        Immédiatement après, M. Oulane a été interpellé au titre de la loi sur les étrangers de 2000 dans le cadre d’un contrôle intérieur des étrangers. N’ayant pu établir sur le champ son identité, il a été retenu pour être auditionné. Puis, il a fait l’objet d’une mesure de détention en vue de son expulsion en vertu de la même loi.

    10.      Lors des auditions, M. Oulane a précisé sa date de naissance et a déclaré posséder la nationalité française. Il a également indiqué qu’il séjournait depuis trois mois environ aux Pays-Bas pour des vacances. Il a déclaré ne pas détenir à ce moment un passeport ou un autre document d’identité, ne pas avoir aux Pays-Bas de résidence fixe, ne pas avoir d’argent et ne pas s’être présenté auprès du service des étrangers.

    11.      Par courrier du 4 décembre 2001, M. Oulane a saisi le Rechtbank ’s-Gravenhage d’un recours par lequel il demandait la levée de la mesure de détention aux fins de refoulement ainsi que l’octroi de dommages et intérêts.

    12.      Le 7 décembre 2001, M. Oulane a finalement présenté aux autorités néerlandaises une carte d’identité française.

    13.      Le 10 décembre 2001, soit le huitième jour de la détention, les autorités néerlandaises ont levé la détention aux fins de refoulement.

    14.      Cette première demande en dommages et intérêts engagée devant le juge national constitue l’une des deux phases du litige que ce dernier est amené à trancher.

    15.      En effet, d’autres circonstances ont conduit à l’engagement par M. Oulane d’une seconde procédure juridictionnelle.

    16.      Le 27 juillet 2002, celui-ci a été arrêté dans un tunnel à marchandises de la gare de Rotterdam-Central par la police ferroviaire pour infraction à l’article 7 de l’Algemeen reglement vervoer (règlement général sur les transports), au motif qu’il se trouvait sans autorisation dans un lieu interdit au public. Aucune poursuite pénale n’ayant été engagée contre lui, M. Oulane a été relâché deux heures plus tard.

    17.      De nouveau interpellé au titre de la loi sur les étrangers de 2000, il a une fois encore été retenu pour être auditionné. Puis, il a fait l’objet d’une nouvelle mesure de détention en vue de son expulsion en vertu de la même loi.

    18.      Lors de son audition, M. Oulane a notamment déclaré ne pas être en possession de documents d’identité et que son passeport avait été volé. Il a, en outre, indiqué se trouver aux Pays-Bas depuis 18 jours et ne pas y avoir de résidence ou de domicile fixe. Il a par ailleurs communiqué l’adresse de sa mère ainsi que son numéro de téléphone en France.

    19.      Au cours de cette détention, il est établi que les autorités disposaient de la copie de la carte nationale d’identité de M. Oulane.

    20.      Par courrier du 29 juillet 2002, M. Oulane a saisi le Rechtbank ’s-Gravenhage d’un recours par lequel il demandait la levée de la mesure de détention aux fins de refoulement ainsi que l’octroi de dommages et intérêts.

    21.      Par courrier reçu le 29 juillet 2002 au greffe de ce tribunal, les autorités néerlandaises l’ont informé de la levée de la mesure de détention.

    22.      Enfin, le 2 août 2002, M. Oulane a été expulsé vers la France.

    III –   Le renvoi préjudiciel

    23.      Dans sa demande de décision préjudicielle, le Rechtbank ’s-Gravenhage indique qu’il est régulièrement confronté au problème que soulève l’application de la loi sur les étrangers de 2000 à des personnes qui déclarent détenir un droit de séjour tiré du droit communautaire sans pouvoir toutefois présenter immédiatement une carte d’identité ou un passeport valide.

    24.      La juridiction de renvoi doit trancher, dans les deux procédures engagées devant elle, la question de savoir si des dommages et intérêts sont dus au demandeur au titre des périodes de détention aux fins de refoulement. Elle est ainsi conduite à déterminer si la détention de M. Oulane était légale ou non durant ces périodes.

    25.      Pour ce faire, elle cherche à savoir si le droit communautaire s’oppose au prononcé par les autorités d’un État membre d’une mesure de détention aux fins de refoulement à l’encontre d’un particulier séjournant dans cet État lorsqu’il a la qualité de ressortissant d’un autre État membre sans toutefois pouvoir en justifier immédiatement par la présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité.

    26.      C’est pourquoi elle pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

    «Concernant la première procédure:

    1)
    À la suite de la suppression des contrôles aux frontières intérieures, la disposition de l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148/CEE […] doit-elle être comprise en ce sens que le droit de séjour reconnu à une personne qui déclare être ressortissante d’un autre État membre et touriste ne doit être reconnu par les autorités de l’État membre dans lequel cette personne invoque son droit de séjour qu’à partir du moment où elle produit une carte d’identité ou un passeport valide?

    2a)
    En cas de réponse affirmative à la première question, l’état actuel du droit communautaire, en particulier le principe de non-discrimination et le principe de la libre circulation des services, permet-il de faire une exception de manière telle que les autorités d’un État membre doivent mettre l’intéressé en mesure de produire une carte d’identité ou un passeport valide?

    2b)
    Pour répondre à la question 2a, est-il important que le droit national de l’État membre dans lequel l’intéressé invoque son droit de séjour, n’impose aucune obligation générale d’identification à ses propres ressortissants?

    2c)
    En cas de réponse affirmative à la question 2a, l’état actuel du droit communautaire impose-t-il à l’État membre de respecter certaines conditions quant à la durée dont dispose l’intéressé pour produire une carte d’identité ou un passeport valide avant de prendre une sanction administrative sous la forme d’une mesure relativement au séjour illégal présumé?

    2d)
    Une sanction administrative prise sous la forme de la mesure visée à la question 2c et consistant en une détention aux fins de refoulement au titre de l’article 59 de la Vw [Vreemdelingenwet de] 2000 avant l’écoulement du délai visé à la question 2c, est-elle une sanction constituant une infraction disproportionnée à la libre circulation des services?

    3a)
    En cas de réponse négative à la première question, peut-on parler, dans l’état actuel du droit communautaire, d’un obstacle à la libre circulation des services, au cas où une mesure de détention aux fins de refoulement est prise, au titre de l’article 59 de la Vw 2000 dans l’intérêt de l’ordre public – même s’il apparaît qu’aucune menace réelle et sérieuse ne pèse sur l’ordre public –, à l’encontre d’une personne qui déclare être ressortissante d’un autre État membre et touriste, pendant la période au cours de laquelle et tant qu’elle n’a pas démontré son droit de séjour par la production d’une carte d’identité ou d’un passeport valide?

    3b)
    S’il est établi qu’il y a obstacle à la libre circulation des services (question 3a), le délai octroyé par l’État membre à l’intéressé pour produire une carte d’identité ou un passeport valide est-il important pour déterminer si l’obstacle est justifié?

    3c)
    S’il est établi qu’il y a obstacle à la libre circulation des services (question 3a), en vue de déterminer si cet obstacle est justifié, est-il important que l’État membre alloue ou non ultérieurement des dommages-intérêts pour la période pendant laquelle l’intéressé est resté en détention et n’avait pas encore prouvé sa nationalité au moyen d’une carte d’identité ou d’un passeport valide, si cette pratique est courante dans cet État membre en cas de détention illégale d’étrangers?

    4)
    Au cas où un État membre n’a pas instauré d’obligation générale d’identification, l’état actuel du droit communautaire fait-il obstacle, au vu notamment du principe de non-discrimination, à ce qu’un État membre, lors d’un contrôle intérieur des étrangers pratiqué à l’égard d’une personne qui déclare être touriste, prenne une mesure de détention aux fins de refoulement au titre de l’article 59 de la Vw 2000, pendant la période au cours de laquelle et tant que cette personne n’a pas prouvé le droit de séjour qu’elle invoque au moyen d’une carte d’identité ou d’un passeport valide?

    Concernant la deuxième procédure:

    5)
    L’état actuel du droit communautaire s’oppose-t-il à ce que, tant que le ressortissant d’un État membre ne revendique pas lui-même, à l’égard de l’État membre sur le territoire duquel il séjourne, un droit de séjour en tant que destinataire de services, cette personne ne soit pas considérée comme un ressortissant dont le droit de séjour est protégé en vertu du droit communautaire?

    6)
    La notion de destinataire de services visée en matière de libre circulation des services doit-elle être comprise en ce sens que, si une personne séjourne dans un autre État membre pendant une longue période, même supérieure à six mois, y est arrêtée pour un fait punissable, ne peut donner ni domicile ni résidence fixe, ne possède ni argent ni bagage, le séjour dans un autre État membre constitue un fondement suffisant pour pouvoir présumer que cette personne est destinataire de services touristiques ou autres liés à un séjour de courte durée, comme par exemple le logement et la fourniture de repas?»

    IV –   Analyse

    27.      L’ensemble des questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi nous paraît devoir être scindé en quatre volets d’interrogations.

    28.      La juridiction de renvoi demande, en premier lieu, à la Cour de préciser les contours de la notion de «destinataire de services» afin de déterminer si est susceptible d’entrer dans le champ d’application ratione personae des règles communautaires relatives à la libre prestation des services un ressortissant d’un État membre qui séjourne dans un autre État membre pendant une longue période, même supérieure à six mois, y est arrêté pour un fait punissable, ne peut donner ni domicile ni résidence fixe, et ne possède ni argent ni bagage. Par ses questions 5 et 6, la juridiction de renvoi cherche ainsi à savoir s’il est possible de présumer qu’un ressortissant d’un État membre, tel que M. Oulane, séjournant dans un autre État membre, est destinataire de services touristiques. En effet, si tel est le cas, il pourra bénéficier de la protection assurée par les règles communautaires relatives à la libre prestation des services.

    29.      En deuxième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148 doit être interprété en ce sens que la reconnaissance par un État membre d’un droit de séjour au profit d’un ressortissant d’un autre État membre ayant la qualité de destinataire de services peut être conditionnée par la présentation par ce dernier d’une carte d’identité ou d’un passeport valide et, en cas de réponse affirmative, si le droit communautaire impose à cet État membre de mettre l’intéressé en mesure de produire cette carte d’identité ou ce passeport valide, et ce dans un certain délai (questions préjudicielles 1, 2a et 2c).

    30.      En troisième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de non-discrimination en raison de la nationalité s’oppose à ce que les ressortissants d’autres États membres soient soumis, en application de la législation de l’État membre d’accueil relative aux étrangers, à une obligation de présenter une carte d’identité ou un passeport valide afin de prouver leur nationalité, assortie d’une mesure de détention aux fins de refoulement en cas d’impossibilité de présenter l’un de ces documents, alors que le droit néerlandais n’impose pas une telle obligation à ses propres ressortissants (questions préjudicielles 2b et 4).

    31.      Enfin, en quatrième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la détention aux fins de refoulement de ressortissants d’autres États membres en cas de non-respect par ceux-ci de leur obligation d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité constitue un obstacle à la libre prestation des services et, en cas de réponse affirmative, si cet obstacle peut être justifié (questions préjudicielles 2d, 3a, 3b et 3c).

    A –    Sur la notion de destinataire de services

    32.      Par ses questions préjudicielles 5 et 6, la juridiction de renvoi demande à la Cour de préciser la notion de «destinataire de services» afin de déterminer si est susceptible d’entrer dans le champ d’application ratione personae des règles communautaires relatives à la libre prestation des services un ressortissant d’un État membre qui séjourne dans un autre État membre pendant une longue période, même supérieure à six mois, y est arrêté pour un fait punissable, ne peut donner ni domicile ni résidence fixe, et ne possède ni argent ni bagage.

    33.      Précisons d’abord que la réponse que nous donnerons à cette question concerne un ressortissant d’un État membre qui séjourne dans un autre État membre pour une durée inférieure ou égale à trois mois, conformément à la description des faits figurant dans l’ordonnance de renvoi. Il ressort en effet de celle-ci que M. Oulane a déclaré séjourner depuis environ trois mois aux Pays-Bas lors de sa première arrestation. Puis, lors de sa deuxième arrestation intervenue sept mois après, il a déclaré être dans cet État depuis 18 jours.

    34.      Nous ne prendrons donc pas en compte la situation d’un ressortissant d’un État membre séjournant dans un autre État membre «pendant une longue période, même supérieure à six mois»  (3) .

    35.      En effet, la lecture de l’ensemble des questions posées par la juridiction de renvoi fait clairement ressortir qu’elle ne met pas en cause les déclarations de M. Oulane, dans la mesure où ces questions concernent exclusivement les documents exigibles en cas de séjour de moins de trois mois, à savoir un passeport ou une carte d’identité en cours de validité.

    36.      S’agissant du champ d’application ratione personae des règles communautaires relatives à la libre prestation des services, la Cour juge de manière constante que «le principe de la libre prestation des services institué à l’article 59 du traité, qui est l’un des principes fondamentaux de celui-ci, inclut la liberté des destinataires de services de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier d’un service, sans être gênés par des restrictions, les touristes devant être regardés comme des destinataires de services»  (4) .

    37.      Nous ne nous engagerons pas ici dans une recherche de définition du «touriste» selon le droit communautaire, suivant ainsi la même démarche que celle adoptée par l’avocat général Lenz dans ses conclusions ayant donné lieu à l’arrêt Cowan, précité. Nous partageons en effet les doutes émis par celui-ci quant à l’utilité de définir ce qu’est un touriste en droit communautaire: «il est sans intérêt, d’un point de vue juridique, de figer les différents groupes de destinataires potentiels de services suivant des définitions arrêtées une fois pour toutes et de les séparer ainsi les uns des autres. Notre unique tâche doit être de concrétiser la notion de destinataire de services»  (5) .

    38.      Afin de mener à bien cette démarche, l’avocat général se prononçait, au regard des différentes réglementations communautaires relatives à l’entrée et au séjour des ressortissants communautaires, en faveur de la conception selon laquelle une personne «peut, dès la frontière et avant même de se trouver sur le territoire d’un autre État membre et, à plus forte raison, avant même de bénéficier d’une prestation de services, invoquer sa qualité de destinataire de services». La qualité de destinataire de services est ainsi établie a priori et de façon globale, en considération des «services auxquels on peut ou doit recourir lors d’un voyage», au commencement de celui-ci  (6) . Il ne s’agit donc pas d’établir a posteriori la qualité de destinataire de services en se référant aux services effectivement utilisés durant le voyage.

    39.      Ce raisonnement nous conduit par conséquent à considérer que la circonstance qu’une personne en provenance d’un État membre se situe à un moment donné dans un autre État membre permet de présumer qu’elle est ou sera destinataire de services dans cet État membre. La présence de cette personne sur le territoire d’un État membre la prédispose en effet à recevoir toute une palette de services, et ce de manière ponctuelle ou continue.

    40.     À cet égard, les circonstances détaillées par la juridiction de renvoi ne sont pas de nature à dénier à un ressortissant d’un État membre, tel que M. Oulane, la qualité de destinataire de services. En effet, le fait d’être arrêté pour un fait punissable ou même d’être reconnu coupable de certaines infractions n’est pas incompatible avec la qualité de destinataire de services, ainsi qu’il ressort notamment de l’arrêt Calfa  (7) . Le même constat s’impose concernant l’absence de domicile ou de résidence fixe dans l’État membre d’accueil, qui milite au contraire en faveur de l’existence d’un séjour ayant précisément un caractère touristique.

    41.      En outre, la circonstance qu’une personne ne dispose ni d’argent, ni de bagages au moment de son arrestation ne permet pas de présumer qu’elle en est absolument démunie  (8) . Il nous paraît toutefois nécessaire d’indiquer que la démonstration d’une absence totale de moyens de subsistance d’une telle personne dans un État membre d’accueil serait incompatible avec la définition communautaire des services, qui constituent des «prestations fournies normalement contre rémunération»  (9) . À cet égard, on peut estimer que n’est pas totalement démunie de tels moyens de subsistance la personne qui, par exemple, est aidée financièrement par un ressortissant de l’État membre d’accueil, ou bien est en mesure d’obtenir de l’argent en provenance de son État d’origine.

    42.      Compte tenu des éléments qui précèdent, il est proposé de répondre au juge national que la circonstance qu’un ressortissant d’un État membre se situe à un moment donné sur le territoire d’un autre État membre suffit pour présumer qu’il est ou sera destinataire de services dans cet État membre, et qu’il entre ainsi, en cette qualité, dans le champ d’application personnel des règles communautaires relatives à la libre prestation des services.

    43.      Avant d’entamer l’étude des autres questions posées par la juridiction de renvoi, précisons en quoi il est important, selon nous, de cerner en l’espèce si l’intéressé entre dans la catégorie des destinataires de services.

    44.      On pourrait en effet remarquer que la qualité de ressortissant d’un État membre suffit, par elle-même, depuis le traité de Maastricht et l’introduction de la notion de citoyenneté européenne dans le droit communautaire primaire, pour bénéficier d’un droit de séjour dans un autre État membre, sans qu’il soit nécessaire que l’intéressé exerce ou participe à une activité économique, salariée ou indépendante.

    45.      Le droit de séjourner sur le territoire des États membres étant ainsi «reconnu directement à tout citoyen de l’Union par une disposition claire et précise du traité CE»  (10) , la seule qualité de ressortissant d’un État membre, et partant de citoyen de l’Union, est en soi suffisante pour se prévaloir d’un tel droit.

    46.      Toutefois, et c’est là que demeure l’intérêt de bien spécifier et catégoriser les bénéficiaires de la libre circulation, l’article 18, paragraphe 1, CE précise que le droit de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres dont dispose tout citoyen de l’Union n’existe que «sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application»  (11) .

    47.      Or, pour identifier ces limitations et conditions et pouvoir en cerner toute la portée, il convient encore de s’interroger sur les dispositions du droit primaire et du droit dérivé matériellement applicables à une situation juridique donnée.

    48.      Précisément, concernant le litige que doit trancher la juridiction de renvoi, les limitations et conditions au droit de séjour applicables à l’époque des faits figurent dans les textes communautaires qui régissent la libre prestation des services.

    49.      L’évolution du droit communautaire tend assurément vers l’uniformisation, voire l’unité, des régimes applicables en matière de libre circulation des ressortissants des États membres  (12) . Dans l’attente, et pour les affaires qui relèvent encore de législations communautaires sectorielles  (13) , nous pensons que la catégorisation des bénéficiaires de la libre circulation conserve son utilité juridique.

    50.      Précisons enfin que les dispositions du droit primaire et du droit dérivé relatives à la libre prestation des services nous semblent suffisantes pour apporter une réponse utile aux interrogations de la juridiction de renvoi, ce qui rend alors «superflu de recourir à cette autre protection qu’apporte la citoyenneté de l’Union»  (14) . Mais nous ajouterons cependant que, si la protection assurée par la qualité de citoyen de l’Union n’a ainsi pas à être systématiquement sollicitée en tant que telle, l’évolution du droit communautaire de la libre circulation des personnes, entendue au sens large, qu’impose une telle notion ne peut être ignorée. C’est pourquoi la qualité de citoyen de l’Union, qui «a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres»  (15) , est une donnée qui doit être prise en compte, et ce de manière dynamique, pour l’interprétation de l’ensemble des règles communautaires relatives à la libre circulation des personnes, et notamment des règles relatives à la libre prestation des services.

    B –    Sur la production par un destinataire de services d’une carte d’identité ou d’un passeport valide comme condition de la reconnaissance de son droit de séjour par l’État membre d’accueil

    51.      Par ses questions préjudicielles 1, 2a et 2c, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148 doit être interprété en ce sens que la reconnaissance par un État membre d’un droit de séjour au profit d’un ressortissant d’un autre État membre ayant la qualité de destinataire de services peut être conditionnée par la présentation par ce dernier d’une carte d’identité ou d’un passeport valide et, en cas de réponse affirmative, si le droit communautaire impose à cet État membre de mettre l’intéressé en mesure de produire cette carte d’identité ou ce passeport valide, et ce dans un certain délai.

    52.      L’article 4, paragraphe 2, de cette directive prévoit, en premier lieu, que, «pour les prestataires et les destinataires de services, le droit de séjour correspond à la durée de la prestation». En second lieu, il établit une distinction selon que cette durée est ou non supérieure à trois mois:

    53.      Si la durée de la prestation, et donc du séjour, est supérieure à trois mois: «l’État membre où s’effectue la prestation délivre un titre de séjour pour constater ce droit» (deuxième alinéa).

    54.      Si cette durée est inférieure ou égale à trois mois: «la carte d’identité ou le passeport sous le couvert duquel l’intéressé a pénétré sur le territoire couvre son séjour» (troisième alinéa)  (16) .

    55.      Il ne ressort pas du libellé de cette dernière disposition relative au séjour inférieur ou égal à trois mois, qui est celle que la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter, si la présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport valide par un destinataire de services est une condition nécessaire à la reconnaissance par l’État membre d’accueil d’un droit de séjour à son profit.

    56.      C’est pourquoi nous estimons que l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148 doit faire l’objet d’une interprétation téléologique. Le recours à cette méthode d’interprétation nous paraît justifié dans la mesure où la réponse à apporter à la juridiction de renvoi ne ressort pas clairement du libellé de la disposition du droit communautaire à interpréter  (17) .

    57.      Aussi, nous pensons que l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148 doit être compris en ce sens que, si la présentation par un destinataire de services d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil oblige celui-ci à reconnaître un droit de séjour d’une durée inférieure ou égale à trois mois au profit de l’intéressé, l’impossibilité de présenter immédiatement un tel document ne saurait pour autant supprimer ce droit de séjour.

    58.      Il convient à cet égard de souligner que la Cour a, dès son arrêt Royer de 1976, jugé que «le droit des ressortissants d’un État membre d’entrer sur le territoire d’un autre État membre et d’y séjourner, aux fins voulues par le traité […], constitue un droit directement conféré par le traité ou, selon le cas, les dispositions prises pour la mise en œuvre de celui-ci »  (18) . La Cour en tirait la conclusion que «ce droit est acquis indépendamment de la délivrance d’un titre de séjour par l’autorité compétente d’un État membre», un tel titre étant donc «à considérer non comme un acte constitutif de droits, mais comme un acte destiné à constater, de la part d’un État membre, la situation individuelle d’un ressortissant d’un autre État membre au regard des dispositions du droit communautaire»  (19) .

    59.      On peut déduire de cette jurisprudence que le droit communautaire ne laisse aucun champ à l’État membre d’accueil pour attribuer un droit d’entrée et de séjour aux ressortissants d’autres États membres, son pouvoir consistant seulement à contrôler les modalités d’exercice de ce droit et à en sanctionner, le cas échéant et dans certaines limites, le non-respect.

    60.      S’agissant précisément des conditions mises à l’exercice des droits de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, et du pouvoir de contrôle dont disposent les États membres, la Cour a précisé dans son arrêt Wijsenbeek de 1999 que, «tant que des dispositions communautaires relatives aux contrôles aux frontières extérieures de la Communauté […] n’ont pas été adoptées, l’exercice de ces droits suppose que la personne concernée soit en mesure d’établir qu’elle a la nationalité d’un État membre »  (20) . La preuve de la qualité de ressortissant d’un État membre fait ainsi encore clairement partie des «limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application»  (21) à l’exercice du droit qu’ont les ressortissants des États membres de circuler et de séjourner librement sur le territoire d’autres États membres.

    61.      Partant de ce postulat, la Cour a ensuite indiqué que, «même au cas où, en vertu de l’article 7 A ou de l’article 8 A du traité, les ressortissants des États membres auraient un droit inconditionnel de circuler librement sur le territoire des États membres, ces derniers conserveraient le droit d’effectuer des contrôles d’identité aux frontières intérieures de la Communauté, obligeant un intéressé à présenter une carte d’identité ou un passeport en cours de validité, ainsi que le prévoient les directives 68/360, 73/148, 90/364, 90/365 et 93/96, afin de pouvoir établir si la personne concernée est un ressortissant d’un État membre, ayant donc le droit de circuler librement sur le territoire des États membres, ou un ressortissant d’un pays tiers, n’ayant pas ce droit»  (22) . C’est dire que, d’une part, des contrôles d’identité aux frontières intérieures de la Communauté peuvent légalement être menés par les États membres, et que, d’autre part, l’obligation pour les intéressés de présenter une carte d’identité ou un passeport en cours de validité découle directement du droit communautaire. Une telle obligation a pour finalité de déterminer si les intéressés ont le droit, en tant que ressortissants d’un État membre, de circuler librement sur le territoire des États membres.

    62.      Et la Cour d’ajouter que la violation d’une telle obligation à l’occasion de l’entrée sur le territoire d’un État membre peut valablement être sanctionnée par les États membres, à la condition toutefois que ces sanctions soient comparables à celles qui s’appliquent à des infractions nationales similaires, et qu’elles n’aient pas un caractère disproportionné à un point tel qu’elles créeraient une entrave à la libre circulation des personnes  (23) .

    63.      Les considérations suivantes peuvent, selon nous, être déduites du raisonnement adopté par la Cour. En premier lieu, les contrôles d’identité aux frontières intérieures de la Communauté et l’obligation corrélative pour un ressortissant circulant de s’y soumettre en présentant une carte d’identité ou un passeport valide concourent à un objectif unique: s’assurer que la personne bénéficie bien du droit à la libre circulation en tant que ressortissant d’un État membre. C’est pourquoi la position exprimée par la Cour doit, à notre avis, être lue dans une optique finaliste plutôt que formaliste, l’obligation de présenter à une frontière intérieure une carte d’identité ou un passeport valide n’étant pas une fin en soi: ce qui importe au final est bien la preuve de la nationalité de l’intéressé.

    64.      En second lieu, il nous paraît que cette légitime recherche de la qualité de ressortissant d’un État membre de la personne contrôlée lors de son entrée sur le territoire d’un autre État membre peut également être réalisée s’agissant de la seule vérification du droit de séjour pris isolément, après l’entrée sur le territoire, le raisonnement adopté par la Cour en matière de contrôle aux frontières intérieures étant alors, dans cette mesure, transposable à cet aspect du droit de la libre circulation. C’est d’ailleurs au sujet des droits de circuler et de séjourner que la Cour indique que leur exercice «suppose que la personne concernée soit en mesure d’établir qu’elle a la nationalité d’un État membre»  (24) .

    65.      En troisième lieu, il convient de distinguer ce qui conditionne l’exercice du droit de séjour, à savoir la preuve de la nationalité, de l’obligation de présenter une carte d’identité ou un passeport en cours de validité, qui constitue seulement l’une des «formalités légales relatives à l’accès, au déplacement et au séjour des étrangers»  (25) . Le non-respect de cette obligation peut donc, comme nous l’avons vu, être sanctionné par l’État membre d’accueil, mais ne peut en aucun cas emporter négation du droit de séjour.

    66.      L’ensemble de ces éléments nous conforte dans l’opinion, également partagée par la Commission, selon laquelle les obligations administratives figurant dans l’article 4, paragraphe 2, de la directive 73/148, telles que celle consistant en ce qu’une carte d’identité ou un passeport couvre le séjour inférieur ou égal à trois mois du destinataire de services, doivent être envisagées à la lumière de la finalité de la directive, à savoir la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l’intérieur de la Communauté en matière d’établissement et de prestation de services  (26) .

    67.      Dans cette perspective, et selon une approche pragmatique, la Commission souligne un élément déterminant, à savoir que la fonction de l’obligation prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148 est double car elle vise, d’une part, à simplifier la charge de la preuve du droit de séjour non seulement pour les ressortissants d’autres États membres, mais aussi pour les États membres eux-mêmes  (27) , et, d’autre part, à fixer une norme maximale au sujet des exigences formelles que peut imposer un État membre concernant la charge de la preuve du droit de séjour, excluant ainsi les exigences plus sévères  (28) .

    68.      La Commission est ainsi d’avis que l’on ne saurait conclure a contrario de l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148 que l’inobservation de cette obligation entraîne la non-reconnaissance de la nationalité et donc, en l’espèce, du droit de séjour. Selon elle, un tel formalisme pourrait avoir des conséquences absurdes, en contradiction avec la philosophie des instruments communautaires, qui visent à une interprétation large – mais certes pas illimitée – du droit de séjour.

    69.      Dans la droite ligne de ce raisonnement, et au regard de la finalité de la directive en cause, nous estimons que si, conformément à l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148, la possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité constitue la règle, parce qu’il s’agit de la manière la plus simple et la plus évidente de constater la nationalité d’un individu, cette disposition ne saurait être interprétée comme excluant que la nationalité soit constatée d’une autre manière  (29) .

    70.      Cette interprétation ne contredit pas, à notre avis, les termes mêmes de l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148. En effet, si le principe est bien que les documents officiels que sont la carte d’identité ou le passeport couvrent le séjour d’une durée maximale de trois mois du destinataire de services, et que la non-présentation de l’un de ces deux documents peut entraîner l’application d’une sanction par l’État membre d’accueil, en revanche ce dernier ne saurait pour ce motif empêcher la personne contrôlée d’exercer son droit de séjour, ce qui reviendrait concrètement à en nier l’existence.

    71.      Nous ajouterons que notre analyse ne doit pas être comprise comme signifiant qu’il suffit pour un ressortissant communautaire d’invoquer son droit à la libre circulation pour pouvoir séjourner légalement dans l’État membre d’accueil. L’optique finaliste fondant notre analyse impose au contraire au ressortissant communautaire de prouver sa nationalité à la requête des autorités compétentes de l’État membre d’accueil, et ce, préciserons-nous, de manière convaincante, c’est-à-dire à partir de tout document ou contact officiel fournissant un indice sérieux de la possession de la nationalité d’un État membre.

    72.      Par ailleurs, le ressortissant d’un autre État membre devrait toujours être mis en mesure de produire une carte d’identité ou un passeport en cours de validité, et ce dans un délai raisonnable, c’est-à-dire en tenant compte notamment des délais normaux d’obtention et d’acheminement de tels documents.

    73.      L’ensemble de ces éléments nous conduit à proposer à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi que l’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148 doit être interprété en ce sens que la reconnaissance par un État membre d’un droit de séjour au profit d’un ressortissant d’un autre État membre ayant la qualité de destinataire de services ne peut pas être conditionnée par la présentation par ce dernier d’une carte d’identité ou d’un passeport valide. Cependant, le destinataire de services qui exerce ainsi son droit de séjour pour une durée inférieure ou égale à trois mois dans un État membre d’accueil est tenu, à la requête des autorités compétentes de cet État, de prouver sa qualité de ressortissant d’un État membre par tout moyen. Enfin, il doit être mis en mesure de produire, dans un délai raisonnable, une carte d’identité ou un passeport en cours de validité.

    C –    Sur la différence de traitement entre ressortissants communautaires et ressortissants nationaux au regard de l’obligation de prouver sa nationalité

    74.      Par ses questions préjudicielles 2b et 4, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de non-discrimination en raison de la nationalité s’oppose à ce que les ressortissants d’autres États membres soient soumis, en application de la législation de l’État membre d’accueil relative aux étrangers, à une obligation de présenter une carte d’identité ou un passeport valide afin de prouver leur nationalité, assortie d’une mesure de détention aux fins de refoulement en cas d’impossibilité de présenter l’un de ces documents, alors que le droit néerlandais n’impose pas une telle obligation à ses propres ressortissants.

    75.      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour et s’agissant du domaine de la libre prestation des services, nous précisons qu’il y a lieu d’examiner cette question au regard de l’article 49 CE. En effet, si l’article 12 CE consacre le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, il «n’a vocation à s’appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination». Or, en ce qui concerne la libre prestation des services, «ce principe a été mis en œuvre et concrétisé» par l’article 49 CE  (30) .

    76.      La question préjudicielle doit donc être comprise en ce sens que la juridiction de renvoi cherche à savoir si le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, contenu dans l’article 49 CE, s’oppose à ce que les ressortissants d’autres États membres soient soumis, en application de la législation de l’État membre d’accueil relative aux étrangers, à une obligation de présenter une carte d’identité ou un passeport valide afin de prouver leur nationalité, alors que le droit néerlandais n’impose pas une telle obligation aux ressortissants nationaux  (31) .

    77.      La juridiction de renvoi expose de la manière suivante ce qui pourrait, selon elle, être constitutif d’une discrimination en raison de la nationalité contraire au droit communautaire: le droit néerlandais ne prévoit pas une obligation universelle et générale d’identification, mais des obligations restreintes d’identification insérées dans des lois particulières et circonscrites à certaines situations  (32) . La juridiction de renvoi indique que la loi sur les étrangers de 2000 est rangée par les autorités néerlandaises dans la catégorie des obligations restreintes d’identification.

    78.      Aussi, ce tribunal estime utile, au regard de l’obligation de produire une carte d’identité ou un passeport valide, de comparer la situation de la personne qui, lors d’un contrôle, déclare être de nationalité néerlandaise avec celle de la personne qui déclare être ressortissante d’un autre État membre.

    79.     À cet égard, la juridiction de renvoi précise que, selon la jurisprudence administrative nationale, la personne qui déclare être de nationalité néerlandaise doit rendre son identité plausible en produisant des données objectives et directement rattachables à sa personne physique. L’intéressée pourrait alors, en dehors de la présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport néerlandais, rendre son identité plausible en montrant, par exemple, un permis de conduire délivré aux Pays-Bas. Enfin, en cas de besoin, la consultation de données administratives locales pourrait dissiper tout doute concernant cette identité.

    80.      En revanche, s’agissant de la personne qui, lors d’un contrôle intérieur des étrangers, déclare être ressortissante d’un autre État membre et invoque la libre circulation des personnes et des services, la juridiction de renvoi note qu’une telle personne est habituellement placée en détention en application de la loi sur les étrangers de 2000, et ce pour un motif tiré de la protection de l’ordre public, si et tant qu’elle n’a pas produit un passeport ou une carte d’identité valide.

    81.      En conséquence, la juridiction de renvoi se demande si ces éléments constituent une discrimination contraire au droit communautaire du ressortissant communautaire par rapport au ressortissant néerlandais qui, à l’égard du droit national, n’est pas obligé de produire un passeport ou une carte d’identité valide, à l’exclusion d’autres documents, afin de prouver sa nationalité.

    82.      Sur ce problème, la Commission estime que, concernant le droit de séjour, la situation des ressortissants nationaux et des ressortissants d’autres États membres est, en vertu du traité lui-même, fondamentalement différente dans la mesure où le droit de séjour des premiers est, par définition, permanent et absolu, en particulier à la lumière de l’interdiction de l’expulsion des nationaux. Ainsi, la différence de traitement, au regard de l’obligation relative à la présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité, ne serait pas liée à la nationalité proprement dite, mais à la situation juridique objectivement distincte sur le plan du droit de séjour.

    83.      Il convient avant tout, selon nous, de rappeler que, si l’obligation pour le ressortissant d’un autre État membre d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport valide n’est pas en soi, comme nous l’avons vu, constitutive de son droit de séjour, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une formalité prévue par le droit communautaire, et notamment par la directive 73/148. On peut dès lors affirmer que les États membres trouvent dans le droit communautaire un fondement solide pour imposer aux ressortissants d’autres États membres qui séjournent sur leur territoire d’être en possession d’un titre d’identité valable. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Cour juge que l’«on ne saurait contester, dans son principe, le pouvoir des États membres de sanctionner toute personne qui aurait manqué à cette obligation»  (33) .

    84.      Nous soulignons également que la Cour a plusieurs fois admis des situations dans lesquelles le simple fait de n’être pas ressortissant national peut justifier l’exigence d’une condition qui n’est pas imposée aux nationaux, telle que l’obligation de déclarer sa présence sur le territoire aux autorités compétentes  (34) . Elle a également jugé que, «dans la mesure où [la directive 68/360/CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l’intérieur de la Communauté] prévoit à charge des ressortissants d’un État membre, entrant ou séjournant sur le territoire d’un autre État membre, des obligations spécifiques – telles que la possession d’un passeport ou d’une carte d’identité –, les personnes ainsi visées ne sauraient être, purement et simplement, assimilées aux nationaux de l’État de séjour»  (35) .

    85.      Ces éléments accréditent la position selon laquelle la circonstance que des sujétions spécifiques, existant en vertu du droit communautaire, pèsent sur les ressortissants des États membres souhaitant séjourner dans un autre État membre expliquerait que leur situation ne soit pas comparable à celle des ressortissants nationaux au regard des obligations réglementaires relatives à l’exercice du droit de séjour.

    86.      Cette position n’emporte cependant pas notre conviction. En effet, elle nous semble trouver une limite essentielle, s’agissant précisément et uniquement de l’obligation imposée aux ressortissants d’autres États membres d’être toujours en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport valide, dans la solution adoptée par la Cour dans son arrêt Commission/Belgique de 1989: même si était seulement en cause le droit d’entrer sur le territoire d’un État membre, elle a jugé, dans une formule qui dépasse ce cas spécifique, que «le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que la Belgique fasse contrôler sur son territoire l’accomplissement de l’obligation, imposée aux bénéficiaires d’un droit de séjour communautaire, d’être toujours en possession de leur titre de séjour ou d’établissement, dès lors qu’une obligation identique est imposée aux ressortissants belges en ce qui concerne leur carte d’identité»  (36) . Nous retrouvons exprimée cette même position dans un arrêt Commission/Allemagne de 1998, avec une affirmation encore plus nette que les contrôles étatiques du respect par les ressortissants d’autres États membres de l’obligation d’être toujours en mesure de présenter un titre de séjour ne sont autorisés par le droit communautaire qu’à la condition que l’État membre d’accueil impose la même obligation à ses propres ressortissants en ce qui concerne leur carte d’identité  (37) . Et ce parallèle effectué entre les situations des ressortissants d’autres États membres et des ressortissants nationaux implique, en outre, que les sanctions du non-respect de cette obligation doivent être comparables dans les deux cas  (38) .

    87.      On le voit, la Cour a été conduite, dans le cadre de cette jurisprudence, à admettre la comparabilité des situations des ressortissants d’autres États membres et des ressortissants nationaux au regard de leur obligation d’être en possession, respectivement, d’un titre de séjour ou d’un titre d’identité valable, et par suite la similitude du traitement à leur réserver dans le cadre du contrôle du respect de cette obligation. C’est donc admettre que ces deux catégories de personnes sont dans une situation comparable au regard de la nécessité de justifier de leur nationalité, et doivent, pour cette raison et dans ce cadre, être traitées de manière identique.

    88.      Nous indiquerons en conséquence que nous paraissent contraires au principe d’interdiction des discriminations en raison de la nationalité la jurisprudence et la pratique administratives nationales qui obligent un ressortissant d’un autre État membre se prévalant de son droit de séjour à prouver cette qualité uniquement en présentant une carte d’identité ou un passeport en cours de validité, alors qu’un ressortissant se prévalant de sa nationalité néerlandaise, faisant également l’objet d’un contrôle intérieur, se voit reconnaître la faculté de rendre son identité plausible par tout autre moyen.

    89.      En effet, dans une telle situation, on peut considérer que s’applique la jurisprudence précitée de la Cour, dès lors que les ressortissants d’autres États membres séjournant en tant que destinataires de services, pour une durée inférieure ou égale à trois mois, dans un État membre d’accueil, se trouvent dans l’obligation d’être toujours en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport valide, alors qu’une obligation identique n’est pas imposée aux ressortissants néerlandais en ce qui concerne leurs titres d’identité  (39) .

    90.      Nous proposons par conséquent à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi que le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, contenu dans l’article 49 CE, s’oppose à ce que les ressortissants d’autres États membres soient soumis, en application de la législation de l’État membre d’accueil relative aux étrangers, à une obligation de présenter une carte d’identité ou un passeport valide afin de prouver leur nationalité, alors que le droit néerlandais n’impose pas une telle obligation aux ressortissants nationaux.

    D –    Sur la détention aux fins de refoulement d’un ressortissant d’un État membre, destinataire de services, en cas de non-respect de l’obligation de présenter une carte d’identité ou un passeport en cours de validité

    91.      Dans ce dernier groupe de questions préjudicielles (2d, 3a, 3b et 3c), la juridiction de renvoi demande, en substance, si la détention aux fins de refoulement de ressortissants d’autres États membres en cas de non-respect par ceux-ci de leur obligation d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité constitue un obstacle à la libre prestation des services et, en cas de réponse affirmative, si cet obstacle peut être justifié.

    92.      Pour répondre à cette question, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé dans son arrêt Sagulo e.a. que, «s’il appartient aux États membres de sanctionner, dans des limites raisonnables, l’obligation imposée aux personnes relevant du droit communautaire d’être munies d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité, en aucun cas de telles sanctions ne sauraient avoir une gravité telle qu’elles deviendraient une entrave à la liberté d’entrée et de séjour prévue par le traité». Partant de ce postulat, la Cour s’adressait au juge national de la manière suivante: «il incombe au juge national de faire usage de la liberté d’appréciation qui lui est réservée en vue d’aboutir à une pénalisation appropriée au caractère et au but des prescriptions communautaires qu’il s’agit de sanctionner»  (40) .

    93.      Cette jurisprudence constante exclut que l’inobservation de formalités telles que la possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité puisse être sanctionnée par une expulsion, «étant donné qu’une telle mesure constitue la négation du droit même conféré et garanti par le traité»  (41) . La Cour a également indiqué, sタルagissant des mesures de privation provisoire de liberté prises à l’égard d’un étranger relevant du traité en vue de son éloignement du territoire, que «la constatation s’impose […] qu’aucune mesure de ce caractère ne pourrait entrer en ligne de compte dans les cas où une décision d’éloignement du territoire serait contraire au traité»  (42) .

    94.      Il est toutefois important de préciser que cette dernière affirmation ne saurait, à notre sens, être comprise comme excluant le pouvoir dont doit disposer un État membre d’accueil de retenir temporairement, dans un lieu adapté, un ressortissant d’un autre État membre afin de procéder aux vérifications nécessaires quant à sa nationalité. Dans un tel cas, en effet, la mesure administrative dont il est question est déconnectée d’une mesure éventuelle d’expulsion, et ne constitue pas une mesure prise en vue de l’éloignement du territoire. Elle a pour objectif de mettre le ressortissant d’un autre État membre en mesure de prouver sa nationalité par tout moyen.

    95.      Par ailleurs, la Cour juge également de manière constante que face à la violation par un ressortissant d’un autre État membre de son obligation de présenter une carte d’identité ou un passeport valide à l’entrée du territoire de l’État membre d’accueil, cet État ne saurait prévoir «une sanction disproportionnée qui créerait une entrave à la libre circulation des personnes, telle qu’une peine d’emprisonnement»  (43) .

    96.      En outre, nous rappelons que le principe de la libre prestation des services institué à l’article 49 CE, «qui est l’un des principes fondamentaux de celui-ci, inclut la liberté des destinataires de services de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier d’un service, sans être gênés par des restrictions […]»  (44) .

    97.      Compte tenu de ces éléments, nous sommes d’avis que constitue manifestement un obstacle à la libre circulation des destinataires de services une mesure de détention aux fins de leur refoulement dans le cas où ils n’ont pu prouver leur qualité de ressortissant d’un État membre au moyen d’une carte d’identité ou d’un passeport valide. En effet, une telle mesure privative de la liberté de séjour constitue la négation d’un droit directement conféré aux destinataires de services par l’article 49 CE et par les directives prises pour son application.

    98.      Il convient néanmoins d’examiner si une telle mesure pourrait être justifiée par l’exception d’ordre public prévue notamment à l’article 46 CE  (45) . En effet, d’après la Cour, cet article permet «aux États membres de prendre, à l’égard des ressortissants des autres États membres, notamment pour des raisons d’ordre public, des mesures qu’ils ne sauraient appliquer à leurs propres ressortissants, en ce sens qu’ils n’ont pas le pouvoir d’éloigner ces derniers du territoire ou de leur en interdire l’accès»  (46) .

    99.      La réponse à apporter sur ce point à la juridiction de renvoi nous semble devoir être trouvée dans la solution dégagée par la Cour dans son arrêt Royer, dans lequel elle a précisé que l’omission des formalités légales relatives à l’accès, au déplacement et au séjour des étrangers ne saurait être considérée, «s’agissant de l’exercice d’un droit acquis en vertu du traité même [...] comme constituant, en soi, une atteinte à l’ordre ou à la sécurité publics»  (47) .

    100.    Ainsi, sans qu’il soit besoin d’examiner si la mesure nationale en cause respecte le principe de proportionnalité, il suffit de constater que l’exception d’ordre public prévue notamment à l’article 46 CE ne trouve pas à s’appliquer pour justifier l’obstacle à la libre prestation des services que constitue une mesure de détention aux fins de refoulement de ressortissants d’autres États membres en cas de non-respect par ceux-ci de leur obligation d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité.

    101.    Il convient par ailleurs d’indiquer à la juridiction de renvoi que, en tout état de cause, l’exception d’ordre public aux fins de justifier certaines restrictions à la libre circulation des personnes ne peut être utilement invoquée par un État membre qu’en cas de «menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société»  (48) . Le «trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi»  (49) n’est donc pas suffisant. Il convient également de rappeler que l’exception d’ordre public, comme toutes les dérogations à un principe fondamental prévu par le traité, doit être interprétée de manière restrictive.

    102.    De plus, il ressort de l’article 3 de la directive 64/221/CEE du Conseil  (50) que des mesures d’ordre public «doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet» et que «la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures»  (51) . En outre, il convient d’indiquer à la juridiction de renvoi que l’exception d’ordre public, telle qu’elle est conçue par la Cour, ne pourrait être constituée que dans le cas où est démontrée «l’existence d’un comportement personnel constituant une menace actuelle pour l’ordre public»  (52) .

    103.    Nous estimons enfin qu’est sans pertinence pour justifier une entrave à la libre prestation des services la circonstance qu’une juridiction interne puisse octroyer a posteriori des dommages et intérêts au destinataire de services en raison de l’illégalité de sa détention.

    104.    Nous proposons par conséquent à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi que la détention aux fins de refoulement d’un destinataire de services en cas de non-respect par celui-ci de l’obligation d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité constitue un obstacle non justifié à la libre prestation des services et contraire, en tant que tel, à l’article 49 CE. Toutefois, les autorités compétentes de l’État membre d’accueil peuvent décider de retenir temporairement un ressortissant d’un autre État membre afin de le mettre en mesure de prouver sa nationalité par tout moyen.

    V –   Conclusion

    105.    Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Rechtbank ’s-Gravenhage:

    «1)
    La circonstance qu’un ressortissant d’un État membre se situe à un moment donné sur le territoire d’un autre État membre suffit pour présumer qu’il est ou sera destinataire de services dans cet État membre, et qu’il entre ainsi, en cette qualité, dans le champ d’application personnel des règles communautaires relatives à la libre prestation des services.

    2)
    L’article 4, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 73/148/CEE du Conseil, du 21 mai 1973, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l’intérieur de la Communauté en matière d’établissement et de prestation de services, doit être interprété en ce sens que la reconnaissance par un État membre d’un droit de séjour au profit d’un ressortissant d’un autre État membre ayant la qualité de destinataire de services ne peut pas être conditionnée par la présentation par ce dernier d’une carte d’identité ou d’un passeport valide. Cependant, le destinataire de services qui exerce ainsi son droit de séjour pour une durée inférieure ou égale à trois mois dans un État membre d’accueil est tenu, à la requête des autorités compétentes de cet État, de prouver sa qualité de ressortissant d’un État membre par tout moyen. Enfin, il doit être mis en mesure de produire, dans un délai raisonnable, une carte d’identité ou un passeport en cours de validité.

    3)
    Le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, contenu dans l’article 49 CE, s’oppose à ce que les ressortissants d’autres États membres soient soumis, en application de la législation de l’État membre d’accueil relative aux étrangers, à une obligation de présenter une carte d’identité ou un passeport valide afin de prouver leur nationalité, alors que le droit néerlandais n’impose pas une telle obligation aux ressortissants nationaux.

    4)
    La détention aux fins de refoulement d’un destinataire de services en cas de non-respect par celui-ci de l’obligation d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité constitue un obstacle non justifié à la libre prestation des services et contraire, en tant que tel, à l’article 49 CE. Toutefois, les autorités compétentes de l’État membre d’accueil peuvent décider de retenir temporairement un ressortissant d’un autre État membre afin de le mettre en mesure de prouver sa nationalité par tout moyen.»


    1
    Langue originale: le français.


    2
    JO L 172, p. 14. Cette directive est abrogée par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77).


    3
    Contrairement à la formulation initiale de la question préjudicielle 6 posée par la juridiction de renvoi.


    4
    Voir, notamment, arrêt du 19 janvier 1999, Calfa (C-348/96, Rec. p. I-11, point 16). La liberté de circulation des destinataires de services, non expressément prévue par le traité, a d’abord été reconnue par la directive 73/148, avant que la Cour ne considère que ladite liberté constitue le «complément nécessaire» des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services et «répond à l’objectif de libérer toute activité rémunérée et non couverte par la libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux»: voir arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone (286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 10). S’agissant des destinataires de services touristiques, voir également arrêt du 2 février 1989, Cowan (186/87, Rec. p. 195).


    5
    Voir conclusions de M. Lenz du 6 décembre 1988 dans l’affaire Cowan, précitée, point 22.


    6
    Ibidem, point 28.


    7
    Arrêt précité: dans cette affaire, M me  Calfa a été considérée comme destinataire de services alors qu’elle était reconnue coupable d’infraction à la loi sur les stupéfiants et condamnée à une peine d’emprisonnement de trois mois ainsi qu’à l’expulsion à vie du territoire grec à titre de peine complémentaire.


    8
    Dans l’espèce au principal, il ressort d’ailleurs du dossier qu’un reçu de la Postbank a été trouvé chez M. Oulane.


    9
    Article 50, premier alinéa, CE.


    10
    Arrêt du 17 septembre 2002, Baumbast et R (C-413/99, Rec. p. I-7091, point 84).


    11
    Article 18, paragraphe 1, CE. Pour une application aux limitations et conditions découlant de la directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour (JO L 180, p. 26), voir l’arrêt Baumbast et R, précité, points 85 et suiv. Nous rappelons également que, selon la Cour, ces limitations et conditions n’empêchent pas l’article 18, paragraphe 1, CE d’être d’effet direct: «l’application des limitations et conditions admises à l’article 18, paragraphe 1, CE pour l’exercice dudit droit de séjour est susceptible d’un contrôle juridictionnel. Par conséquent, les éventuelles limitations et conditions de ce droit n’empêchent pas que les dispositions de [cet article] confèrent aux particuliers des droits qu’ils peuvent faire valoir en justice et que les juridictions nationales doivent sauvegarder» (même arrêt, point 86).


    12
    Voir la directive 2004/38 aux dispositions de laquelle les États membres doivent se conformer au plus tard le 30 avril 2006.


    13
    La directive 2004/38 est notamment motivée par la volonté «de dépasser cette approche sectorielle et fragmentaire du droit de circuler et de séjourner librement […] [dans] un acte législatif unique […]» (quatrième considérant).


    14
    Pour reprendre les termes utilisés dans une situation comparable par l’avocat général La Pergola, dans ses conclusions du 17 février 1998 dans l’affaire Calfa, précitée, point 10.


    15
    Arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk (C-184/99, Rec. p. I-6193, point 31).


    16
    Souligné par nous.


    17
    Sur l’utilisation des méthodes d’interprétation textuelle et téléologique, voir, notamment, nos remarques dans nos conclusions du 27 septembre 2001 dans l’affaire Schilling et Nehring (arrêt du 16 mai 2002, C-63/00, Rec. p. I-4483, points 17 et suiv.).


    18
    Arrêt du 8 avril 1976 (48/75, Rec. p. 497, point 31, souligné par nous).


    19
    Respectivement points 32 et 33 de l’arrêt Royer, précité, souligné par nous.


    20
    Arrêt du 21 septembre 1999 (C-378/97, Rec. p. I-6207, point 42, souligné par nous). Les faits à l’origine de cette affaire peuvent être résumés ainsi: M. Wijsenbeek, de nationalité néerlandaise, faisait l’objet d’une procédure pénale dans son pays pour avoir refusé, lors de son entrée aux Pays-Bas par l’aéroport de Rotterdam le 17 décembre 1993, de présenter et de remettre son passeport à l’agent de la gendarmerie nationale commis à la surveillance des frontières et d’établir sa nationalité par tout autre moyen, en violation de l’article 25 de l’arrêté national sur les étrangers.


    21
    Article 18, paragraphe 1, CE.


    22
    Arrêt Wijsenbeek, précité, point 43.


    23
    Ibidem, point 44.


    24
    Ibidem, point 42.


    25
    Arrêt Royer, précité, point 38.


    26
    Point 34 des observations de la Commission.


    27
    La Commission remarque ainsi que, en principe, la présentation de la carte d’identité ou du passeport en cours de validité est la façon la plus simple de faire constater la nationalité et que les États membres sont habilités à poser cette obligation.


    28
    Nous pensons que cette approche est maintenue à l’article 6 de la directive 2004/38 qui prévoit à son paragraphe 1: «Les citoyens de l’Union ont le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une période allant jusqu’à trois mois, sans autres conditions ou formalités que l’exigence d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité» (souligné par nous). On observera que le débat que peut susciter la question posée par la juridiction de renvoi se reflète parfaitement dans la formulation choisie par le législateur communautaire, qui manifeste d’ailleurs plus exactement un «non-choix» entretenant l’ambiguïté: la possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité est-elle une condition au droit de séjour ou bien une formalité du droit de séjour? Nous pensons qu’il s’agit uniquement d’une formalité à respecter dans le cadre de l’exercice du droit de séjour.


    29
    On peut penser à l’effet que produirait un raisonnement inverse sur la situation d’un touriste ayant perdu ou s’étant fait voler son passeport et/ou sa carte d’identité, situation que l’on ne peut qualifier d’exceptionnelle: est-il alors raisonnable de mettre fin au séjour de cette personne?


    30
    Voir, notamment, arrêt du 28 octobre 1999, Vestergaard (C-55/98, Rec. p. I-7641, points 16 et 17). Voir, également, arrêt du 14 juillet 1994, Peralta (C-379/92, Rec. p. I-3453, point 18).


    31
    Nous estimons que la dimension de la problématique relative au moyen de contrainte que constitue une mesure de détention aux fins de refoulement, applicable en cas de non-respect de l’obligation d’être toujours en mesure de présenter une carte d’identité ou un passeport en cours de validité, doit être appréciée au regard de la justification des obstacles à la libre circulation, et non, de manière isolée, au regard du seul principe de non-discrimination. En effet, il ressort des termes mêmes de la loi sur les étrangers de 2000 que ces mesures ne peuvent, par définition, viser que les étrangers dans la mesure où elles ont pour finalité l’expulsion de ceux-ci. Nous analyserons donc cette partie du problème à l’occasion de l’étude du dernier groupe de questions préjudicielles.


    32
    La juridiction de renvoi souligne que l’objectif poursuivi par la majorité de ces obligations restreintes d’identification est de lutter contre les abus constatés en matière d’allocations et de primes accordées par certaines lois sociales et fiscales.


    33
    Arrêt du 14 juillet 1977, Sagulo e.a. (8/77, Rec. p. 1495, point 10).


    34
    Arrêt du 7 juillet 1976, Watson et Belmann (118/75, Rec. p. 1185).


    35
    Arrêt Sagulo e.a., précité, point 11.


    36
    Arrêt du 27 avril 1989, Commission/Belgique (321/87, Rec. p. 997, point 12).


    37
    Arrêt du 30 avril 1998, Commission/Allemagne (C-24/97, Rec. p. I-2133, point 13).


    38
    Arrêt Commission/Allemagne, précité, point 14. La Cour a jugé que la République fédérale d’Allemagne avait manqué à ses obligations communautaires pour avoir appliqué aux ressortissants des autres États membres séjournant sur son territoire «un traitement démesurément différent», en ce qui concerne le degré de culpabilité et les amendes applicables, de celui appliqué à ses propres ressortissants «lorsqu’ils enfreignent de manière comparable l’obligation d’être en possession d’une pièce d’identité valable».


    39
    La juridiction de renvoi indique comme exemples de tels titres «une carte d’identité valide mentionnant la nationalité néerlandaise ou un passeport néerlandais valide» (p. 16 de l’ordonnance de renvoi).


    40
    Arrêt précité, point 12.


    41
    Arrêt Watson et Belmann, précité, point 20.


    42
    Arrêt précité, point 43.


    43
    Arrêt Wijsenbeek, précité, point 44.


    44
    Arrêt Calfa, précité, point 16.


    45
    Selon le juge de renvoi, les deux décisions prononçant les mesures de détention se fondent «sur la protection de l’ordre public au motif qu’il faut craindre que l’étranger ne se soustraie à l’expulsion étant donné qu’il ne dispose pas des documents d’identité visés à l’article 4.21 du Vreemdelingenbesluit (arrêté relatif aux étrangers), ne s’est pas présenté au ‘Korpschef’ (le chef de corps), ne dispose pas d’un domicile/résidence fixe et est soupçonné d’avoir commis un délit» (p. 5 de l’ordonnance de renvoi).


    46
    Arrêt Calfa, précité, point 20.


    47
    Arrêt Royer, précité, point 39.


    48
    Voir, notamment, arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, Rec. p. 1999, point 35).


    49
    Arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C-482/01 et C-493/01, non encore publié au Recueil, point 66).


    50
    Directive du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 1964, 56, p. 850). Notons que cette directive vise, aux termes de son article 1 er , les ressortissants d’un État membre qui séjournent ou se rendent dans un autre État membre de la Communauté, soit en vue d’exercer une activité salariée ou non salariée, soit en qualité de destinataires de services .


    51
    Respectivement, paragraphes 1 et 2 de l’article 3 de ladite directive.


    52
    Arrêt Bouchereau, précité, point 28.

    Top