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Document 62002TO0229

Ordonnance du Tribunal de première instance (deuxième chambre) du 15 février 2005.
Kurdistan Workers' Party (PKK) et Kurdistan National Congress (KNK) contre Conseil de l'Union européenne.
Recours en annulation - Mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme - Capacité à agir - Qualité pour agir - Association - Recevabilité.
Affaire T-229/02.

Recueil de jurisprudence 2005 II-00539

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2005:48

Ordonnance du Tribunal

Affaire T-229/02

Kurdistan Workers’ Party (PKK) et Kurdistan National Congress (KNK)

contre

Conseil de l’Union européenne

« Recours en annulation — Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme — Capacité à agir — Qualité pour agir — Association — Recevabilité »

Ordonnance du Tribunal (deuxième chambre) du 15 février 2005 

Sommaire de l’ordonnance

1.     Recours en annulation — Personnes physiques ou morales — Actes les concernant directement et individuellement — Décision concernant l’adoption de mesures restrictives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme — Groupes et entités destinataires de ces mesures — Recevabilité — Appréciation au cas par cas

(Art. 230, al. 4, CE)

2.     Procédure — Recevabilité des recours — Appréciation par référence à la situation au moment du dépôt de la requête — Absence d’incidence d’une décision remplaçant en cours d’instance la décision attaquée

3.     Recours en annulation — Personnes physiques ou morales — Actes les concernant directement et individuellement — Recours d'une association promouvant les intérêts généraux d’une catégorie de personnes physiques ou morales — Condition — Qualité pour agir de ses membres à titre individuel — Prise en considération de la qualité pour agir des anciens membres — Exclusion

(Art. 230, al. 4, CE)

4.     Recours en annulation — Personnes physiques ou morales — Actes les concernant directement et individuellement — Acte de portée générale — Notion de personne individuellement concernée par une disposition de portée générale

(Art. 230, al. 4, CE)

1.     S’agissant de groupes ou entités auxquels s’appliquent des mesures restrictives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les règles gouvernant la recevabilité d’un recours en annulation doivent être appréhendées selon les circonstances de l’espèce. En effet, il peut arriver que ceux-ci ne disposent pas d’existence légale, ou qu’ils n’étaient pas en mesure de respecter les règles juridiques habituellement applicables aux personnes morales. Dès lors, un formalisme excessif reviendrait à nier dans certains cas toute possibilité d’agir en annulation alors même que ces groupes et entités ont fait l’objet de mesures restrictives communautaires.

(cf. point 28)

2.     Le principe de bonne administration de la justice veut que le requérant, confronté au remplacement de l’acte attaqué en cours d’instance par un acte ayant le même objet, ne soit pas appelé à introduire un nouveau recours mais puisse étendre ou adapter sa demande initiale de manière à couvrir le nouvel acte. Toutefois, la recevabilité d’un recours s’apprécie au moment de son introduction. Dès lors, même en cas d’adaptation des conclusions d’un requérant à la survenance d’un nouvel acte durant l’instance, les conditions de recevabilité d’un recours, hormis celle concernant la persistance d’un intérêt à agir, ne sauraient être affectées par une telle adaptation. S’agissant de la recevabilité d’un recours, il n’y a dès lors pas lieu d’offrir au requérant la possibilité d’adapter ses conclusions au vu de l’adoption d’un nouvel acte.

(cf. points 29-30)

3.     Une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs d’une catégorie de justiciables ne saurait être considérée comme étant individuellement concernée, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie et, par conséquent, n’est pas recevable à introduire un recours en annulation lorsque ses membres ne sauraient le faire à titre individuel. À cet égard, il ne saurait être admis que l’appartenance passée d’une personne à une association permette à cette dernière de se prévaloir de l’action éventuelle de cette personne. En effet, admettre un tel raisonnement reviendrait à offrir à une association une sorte de droit perpétuel à agir, et ce malgré le fait que cette association ne peut plus prétendre représenter les intérêts de son ancien membre.

(cf. points 45, 49)

4.     Une personne physique ou morale ne saurait prétendre être concernée individuellement par un acte de portée générale que si elle est atteinte en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne. Le fait qu’un acte de portée générale puisse avoir des effets concrets différents pour les divers sujets de droit auxquels il s’applique n’est pas de nature à les caractériser par rapport à toutes les autres personnes concernées, dès lors que l’application de cet acte s’effectue en vertu d’une situation objectivement déterminée.

Une décision d’interdiction de mettre des fonds à disposition d’un groupe ou d’une association s’adressant à tous les sujets de droit de la Communauté européenne s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite.

Une association contrainte au respect de l’interdiction édictée par cette décision à l’égal de toutes les autres personnes dans la Communauté n’est pas individuellement concernée par une telle décision.

(cf. points 51-52)




ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
15 février 2005(1)

« Recours en annulation – Mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – Capacité à agir – Qualité pour agir – Association – Recevabilité »

Dans l'affaire T-229/02,

Kurdistan Workers' Party (PKK),Kurdistan National Congress (KNK), établi à Bruxelles (Belgique),représentés par MM. M. Muller, E. Grieves, barristers, et Mme J. Peirce, solicitor,

parties requérantes,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. M. Vitsentzatos et M. Bishop, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

soutenu parRoyaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté initialement par M. J. Collins, puis par Mme R. Caudwell, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,et parCommission des Communautés européennes, représentée par MM. C. Brown et P. Kuijper, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 2002/334/CE du Conseil, du 2 mai 2002, mettant en œuvre l'article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) nº 2580/2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et abrogeant la décision 2001/927/CE (JO L 116, p. 33), et de la décision 2002/460/CE du Conseil, du 17 juin 2002, mettant en œuvre l'article 2, paragraphe 3, du règlement nº 2580/2001 et abrogeant la décision 2002/334 (JO L 160, p. 26),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),



composé de MM. J. Pirrung, président, N. J. Forwood et S. Papasavvas, juges,

greffier : M. H. Jung,

rend la présente



Ordonnance




Antécédents du litige

1
Il ressort du dossier que le Kurdistan Workers’ Party (Parti des travailleurs du Kurdistan) (PKK) est apparu en 1978 et a engagé une lutte armée contre le gouvernement turc afin de faire reconnaître le droit des Kurdes à l’autodétermination. Selon le témoignage écrit de M. O. Ocalan, le PKK aurait déclaré un cessez-le-feu unilatéral, sous réserve du droit à l’autodéfense en juillet 1999. Selon le même témoignage, en avril 2002, afin de refléter cette réorientation, le congrès du PKK aurait décidé que « toutes les activités exercées sous le nom de ‘PKK’ cesseraient au 4 avril 2002 et toutes les activités menées au nom du PKK seraient considérées comme illégitimes » (annexe 2 de la requête, point 16). Un nouveau groupement, le Kongreya AzadÓ š Demokrasiya Kurdistan (Congrès pour la démocratie et la liberté du Kurdistan – KADEK), a été constitué afin d’atteindre démocratiquement des objectifs politiques au nom de la minorité kurde. M. A. Ocalan a été nommé président du KADEK.

2
Le Kurdistan National Congress (Congrès national du Kurdistan) (KNK) est une fédération regroupant une trentaine d’organisations. Le KNK a pour objectif de « renforcer l’unité et la coopération des Kurdes dans toutes les parties du Kurdistan et de soutenir leur combat à la lumière des intérêts supérieurs de la nation kurde » (article 7, paragraphe A, de la charte constitutive du KNK). Selon le témoignage écrit de M. S. Vanly, président du KNK, le dirigeant honoraire du PKK a été de ceux qui ont favorisé la création du KNK. Le PKK était membre du KNK et les membres individuels du PKK finançaient partiellement le KNK.

3
Le 27 décembre 2001, considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations unies, le Conseil a adopté la position commune 2001/930/PESC relative à la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 90) et la position commune 2001/931/PESC relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO L 344, p. 93).

4
Aux termes de l’article 2 de la position commune 2001/931 :

« La Communauté européenne, agissant dans les limites des pouvoirs que lui confère le traité instituant la Communauté européenne, ordonne le gel des fonds et des autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes, groupes et entités dont la liste figure à l’annexe. »

5
Le 27 décembre 2001, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO L 344, p. 70).

6
Selon l’article 2 du règlement n° 2580/2001 :

« 1.  À l’exception des dérogations autorisées dans le cadre des articles 5 et 6 :

a)
tous les fonds détenus par, en possession de ou appartenant à une personne physique ou morale, un groupe ou une entité inclus dans la liste visée au paragraphe 3 [doivent être gelés] ;

b)
les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques ne doivent pas être mis, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisés au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités inclus dans la liste visée au paragraphe 3.

2.      À l’exception des dérogations autorisées dans le cadre des articles 5 et 6, il est interdit de fournir des services financiers aux personnes physiques ou morales, groupes ou entités inclus dans la liste visée au paragraphe 3 ou au bénéfice de ces personnes, groupes ou entités.

3.       Le Conseil, statuant à l’unanimité, établit, révise et modifie la liste de personnes, de groupes et d’entités auxquels le présent règlement s’applique, conformément aux dispositions de l’article 1er, paragraphes 4, 5 et 6, de la position commune 2001/931/PESC. Cette liste mentionne :

i)
les personnes physiques commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation ;

ii)
les personnes morales, groupes ou entités commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation ;

iii)
les personnes morales, groupes ou entités détenus ou contrôlés par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, groupes ou entités visés aux points i) et ii) ou

iv)
les personnes physiques ou morales, groupes ou entités agissant pour le compte ou sous les ordres d’une ou de plusieurs personnes physiques ou morales, groupes ou entités visés aux points i) et ii). »

7
Le 2 mai 2002, le Conseil a adopté la décision 2002/334/CE mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et abrogeant la décision 2001/927/CE (JO L 116, p. 33). Cette décision a inclus le PKK dans la liste prévue à l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 (ci-après la « liste litigieuse »).

8
Par requête enregistrée sous le numéro T‑206/02, le KNK a introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision 2002/334.

9
Le 17 juin 2002, le Conseil a adopté la décision 2002/460/CE mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 et abrogeant la décision 2002/334 (JO L 160, p. 26). Le nom du PKK a été maintenu sur la liste litigieuse. Cette liste a ensuite été régulièrement mise à jour par décisions du Conseil.


Procédure et conclusions des parties

10
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 juillet 2002, le KNK, représenté par M. S. Vanly, et le PKK, représenté par M. O. Ocalan, ont introduit le présent recours en annulation à l’encontre des décisions 2002/334 et 2002/460 (ci-après les « décisions litigieuses »).

11
Par ordonnance du 17 juin 2003, le Royaume-Uni et la Commission ont été admis à intervenir au soutien du Conseil.

12
Par acte séparé, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité dans la présente affaire en vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Les requérants et la Commission ont déposé leurs observations sur ces exceptions dans les délais impartis. Le Royaume-Uni a renoncé à déposer de telles observations.

13
Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours irrecevable ;

condamner les requérants aux dépens.

14
Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

joindre les exceptions au fond ;

déclarer les recours recevables ;

annuler les décisions litigieuses et, à titre subsidiaire, déclarer illégal le règlement n° 2580/2001 ;

condamner le Conseil aux dépens.


Sur la recevabilité

Arguments des parties

15
Le Conseil souligne à titre liminaire que le recours est introduit au nom du PKK et du KNK. Rien n’indiquerait que MM. O. Ocalan et S. Vanly interviennent à titre personnel.

16
Le Conseil et la Commission soutiennent que le recours est tardif dans la mesure où il porte sur la décision 2002/334.

17
Le Conseil estime que le PKK n’a pas la capacité à agir dès lors que ce requérant déclare lui-même ne plus exister. Le Conseil précise que cette observation est sans préjudice des conséquences que chaque État membre peut tirer de la dissolution apparente du PKK. La Commission estime que les preuves sont insuffisantes pour conclure que M. O. Ocalan peut légalement représenter le PKK.

18
S’agissant du KNK, le Conseil soulève une exception de litispendance en raison de l’identité des parties, de l’objet et des moyens invoqués dans les recours dans les affaires T‑206/02 et T‑229/02. La décision 2002/460 ne ferait qu’actualiser la liste litigieuse. La Commission avance que les requérants n’ont fourni aucune preuve de l’existence d’un facteur nouveau, ou d’un réexamen de leur cas, qui empêcherait que la décision 2002/460 soit considérée comme confirmative de la décision antérieure. Le Conseil estime que, si la bonne procédure consistait, pour les requérants, à étendre ou à adapter leur demande initiale de manière à couvrir le nouvel acte (arrêt de la Cour du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission, 14/81, Rec. p. 749, point 8), cette adaptation serait purement formelle en ce qu’elle consisterait simplement à remplacer la mention de la décision précédente par la décision subséquente. Le Conseil signale que le règlement n° 2580/2001 n’est attaqué que par voie incidente et que cette voie de recours ne saurait conduire à l’annulation dudit règlement.

19
À titre subsidiaire, le Conseil, soutenu par la Commission, prétend que le KNK n’est pas directement et individuellement concerné. Le Conseil rappelle que le KNK ne figure pas sur la liste litigieuse. L’argument du KNK selon lequel l’inscription du PKK porte atteinte à son efficacité et à sa crédibilité politiques est beaucoup trop vague et hypothétique. L’interdiction de mettre des fonds à la disposition des entités inscrites sur la liste litigieuse aurait une portée générale. Le fait que le KNK ait pu être à même, en raison de ses liens étroits avec le PKK, d’enfreindre cette interdiction ne saurait l’individualiser à suffisance de droit. Enfin, le KNK ne saurait se prévaloir de la défense des intérêts collectifs de ses membres, puisque son objectif est beaucoup trop général.

20
Les requérants formulent, à titre liminaire, quatre observations. Premièrement, ils soulignent la grande portée juridique des décisions litigieuses qui ont pour effet d’interdire un parti politique et de limiter sérieusement l’action politique du KNK. Deuxièmement, du fait de l’impossibilité d’employer la procédure du renvoi préjudiciel, le présent recours en annulation serait la seule voie de droit ouverte aux requérants. Troisièmement, les conditions prévues par le traité CE en ce qui concerne la qualité pour agir devraient être interprétées à la lumière des droits fondamentaux et, plus particulièrement, du principe de protection juridictionnelle effective (arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, points 38, 39 et 44). Quatrièmement, il devrait être évident que les requérants ont formé ce recours en qualité de représentants de deux partis politiques. Étant donné que les droits et intérêts concernés sont non seulement ceux des requérants, mais également ceux de leurs membres, il conviendrait de ne pas faire preuve de formalisme excessif.

21
Les requérants soutiennent que leur recours a été déposé le 24 juillet 2002. Dès qu’ils ont été informés du fait que le Tribunal n’avait pas reçu l’original de la requête, malgré leur conviction à cet égard, ils ont immédiatement pris les dispositions nécessaires afin de remédier à cette situation. En tout état de cause, les délais auraient été respectés en ce qui concerne la décision 2002/460. Cette décision constitue une décision séparée, résultant d’un réexamen du bien-fondé de l’inscription du PKK sur la liste litigieuse.

22
S’agissant de la capacité à agir du PKK, les requérants estiment que l’argument du Conseil relatif à l’existence du PKK engage le fond du débat relatif à son inscription sur la liste litigieuse. Il est probable que le Conseil soutienne que le PKK existe encore lors du débat au fond pour justifier de son inscription sur la liste litigieuse alors qu’il invoque la dissolution de ce dernier au stade de la recevabilité.

23
Le PKK serait recevable à agir en annulation puisque, premièrement, aucune contestation n’a été formulée à l’encontre de la qualité pour agir de M. O. Ocalan, personne physique, quoiqu’il agisse dans une capacité de représentation. Deuxièmement, la circonstance qu’il a été décidé, en 2002, de cesser toutes les activités exercées au nom du PKK et de fonder une nouvelle organisation n’aurait aucune incidence en droit communautaire sur la continuité de la capacité à agir du PKK. En effet, le PKK serait dans la même situation qu’une société commerciale en liquidation (arrêt de la Cour du 11 octobre 2001, Commission/Oder-Plan Architektur e.a., C‑77/99, Rec. p. I‑7355). De plus, le Conseil aurait manifestement considéré que le PKK avait la capacité suffisante pour l’interdire. L’équité et la logique imposeraient, dans ces circonstances, que le PKK soit en mesure de contester les décisions litigieuses.

24
S’agissant du KNK, les requérants estiment que ce dernier est directement et individuellement concerné par les décisions litigieuses. Le PKK était la principale des organisations faisant partie du KNK et les deux partagent la même finalité et les mêmes objectifs politiques. L’interdiction totale du PKK exerce des « effets démoralisants » sur la capacité du KNK à poursuivre cette finalité et ces objectifs, alors que ce dernier est la seule entité susceptible de les poursuivre. Le KNK est, de plus, placé dans une situation d’incertitude tant en ce qui concerne ses membres que lui-même. La crainte de voir ses actifs gelés ou d’être accusé d’aider ou d’apporter des fonds à une organisation interdite a pour effet de restreindre fortement ses activités. Ces craintes seraient particulièrement sérieuses en ce qui concerne le KADEK, qui est un membre potentiel du KNK. Le KNK agirait donc tant pour son compte que pour celui de ses membres et de ses membres potentiels qui sont eux-mêmes directement et individuellement concernés par les décisions litigieuses.

25
Selon les requérants, les règles relatives au locus standi devant le Tribunal visent à s’assurer que les parties ne présentant pas de liens réels avec un acte des institutions ne puissent l’attaquer. Or, il ressort manifestement du litige que tel n’est pas le cas en l’espèce. De plus, les décisions litigieuses engendreraient des effets à l’égard des requérants de façon automatique, sans intervention des États membres. Le KNK serait individualisé d’une manière unique en raison du lien historique l’unissant au PKK. Enfin, si le PKK ne devait pas être considéré comme étant recevable à agir, le KNK serait le seul en mesure d’attaquer les décisions litigieuses.

Appréciation du Tribunal

26
En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Le Tribunal estime, en l’espèce, être suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale. En particulier, le Tribunal est en mesure de statuer sur la présente exception d’irrecevabilité sans joindre celle-ci au fond.

27
Il y a lieu, tout d’abord, de constater que le PKK doit être considéré comme étant directement et individuellement concerné par les décisions litigieuses, dès lors qu’il y figure nommément.

28
Il convient, ensuite, de préciser que les règles gouvernant la recevabilité d’un recours en annulation s’agissant d’une personne figurant sur la liste litigieuse – à savoir la liste des personnes, groupes et entités auxquels s’appliquent des mesures restrictives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme – doivent être appréhendées selon les circonstances de l’espèce. En effet, s’agissant en particulier de ces groupes ou entités, il peut arriver que ceux-ci ne disposent pas d’existence légale, ou qu’ils n’étaient pas en mesure de respecter les règles juridiques habituellement applicables aux personnes morales. Dès lors, un formalisme excessif reviendrait à nier dans certains cas toute possibilité d’agir en annulation alors même que ces groupes et entités ont fait l’objet de mesures restrictives communautaires.

29
Il y a lieu, enfin, de constater que les décisions litigieuses ont été abrogées depuis la date de l’introduction du présent recours et remplacées, à de nombreuses reprises, par de nouvelles décisions. Selon une jurisprudence constante, le principe de bonne administration de la justice veut que le requérant, confronté au remplacement de l’acte attaqué en cours d’instance par un acte ayant le même objet, ne soit pas appelé à introduire un nouveau recours mais puisse étendre ou adapter sa demande initiale de manière à couvrir le nouvel acte (arrêt Alpha Steel/Commission, point 18 supra, point 8, et arrêt de la Cour du 10 avril 2003, Hendrickx/Cedefop, C‑217/01 P, Rec. p. I‑3701).

30
Toutefois, selon une jurisprudence constante, la recevabilité d’un recours s’apprécie au moment de son introduction (arrêt de la Cour du 27 novembre 1984, Bensider e.a./Commission, 50/84, Rec. p. 3991, point 8, et ordonnance du président du Tribunal du 8 octobre 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T‑236/00 R II, Rec. p. II­‑2943, point 49). Dès lors, même en cas d’adaptation des conclusions des requérants à la survenance de nouveaux actes durant l’instance, les conditions de recevabilité du recours, hormis celle concernant la persistance d’un intérêt à agir, ne sauraient être affectées par une telle adaptation. S’agissant de la recevabilité de leur recours, il n’y a dès lors pas lieu d’offrir aux requérants la possibilité d’adapter leurs conclusions au vu de l’adoption de nouvelles décisions abrogeant les décisions litigieuses.

31
Il convient d’examiner la recevabilité du présent recours en fonction des différents requérants ayant introduit celui-ci.

Sur le PKK

32
Conformément aux principes dégagés au point 28 ci-dessus, M. O. Ocalan, personne physique, est en droit de démontrer, par tout moyen de preuve, qu’il agit valablement au nom de la personne morale, le PKK, dont il prétend être le représentant. Toutefois, ces preuves doivent, à tout le moins, démontrer que le PKK avait réellement l’intention d’introduire le présent recours et qu’il n’a pas été instrumentalisé par un tiers, fût-il, le cas échéant, l’un de ses membres.

33
Il convient, également, de préciser qu’il n’appartient pas au Tribunal, dans le cadre du présent examen de la recevabilité du recours, de se prononcer sur la réalité de l’existence du PKK. La question posée dans le cadre de cet examen est strictement limitée à celle de savoir si M. O. Ocalan a la capacité d’introduire un recours pour le compte du PKK.

34
En premier lieu, il doit être noté que le recours est formellement introduit par M. O. Ocalan, pour le compte (« on behalf ») du PKK.

35
En deuxième lieu, force est de constater que les requérants affirment fortement que le PKK a été dissous en avril 2002. Qui plus est, selon le témoignage de M. O. Ocalan fourni en annexe de la requête, le congrès du PKK ayant prononcé sa dissolution aurait adopté dans le même temps la déclaration selon laquelle « toutes les activités menées au nom du PKK seraient [désormais] considérées comme illégitimes ».

36
En troisième lieu, il convient de constater que, à aucun moment dans les écrits des requérants, il n’est fait mention de M. O. Ocalan autrement qu’en tant que représentant du PKK. En particulier, il n’est jamais prétendu qu’il pourrait avoir un intérêt individuel quelconque à l’annulation des décisions litigieuses.

37
Loin de démontrer la capacité juridique de M. O. Ocalan à représenter le PKK, les requérants affirment au contraire que ce dernier n’existe plus. Or, il est impossible d’admettre qu’une personne morale disparue, à la supposer comme telle, puisse valablement désigner un représentant.

38
L’impossibilité d’admettre que M. O. Ocalan représente valablement le PKK est encore renforcée par son propre témoignage selon lequel toute action au nom du PKK serait illégitime après avril 2002. À suivre ce témoignage, l’action que prétend mener M. O. Ocalan au nom du PKK aurait été déclarée illégitime par son mandant lui-même.

39
Dès lors, les requérants placent le Tribunal devant la situation paradoxale dans laquelle la personne physique censée représenter une personne morale est non seulement dans l’incapacité de démontrer qu’il la représente valablement, mais, de plus, expose les raisons pour lesquelles elle ne peut pas la représenter.

40
Quant à l’argument des requérants fondé sur l’inexistence d’autres voies de recours, il ne saurait conduire à admettre le recours de toute personne ayant la volonté de défendre les intérêts d’un tiers.

41
Force est donc pour le Tribunal de constater que M. O. Ocalan a, de son propre chef, introduit un recours pour le compte du PKK. Partant, le recours formé par M. O. Ocalan pour le compte du PKK est irrecevable.

42
Il en résulte qu’il n’est pas besoin de se prononcer sur d’autres fins de non‑recevoir, telles que le caractère tardif du recours en ce qui concerne la décision 2002/334.

Sur le KNK

43
Il y a lieu de constater, au préalable, que le KNK a déjà attaqué la décision 2002/334 dans son recours enregistré sous le numéro T‑206/02. Dès lors, en raison de l’identité d’objet, de cause et de parties, le présent recours, en ce qu’il est dirigé par le KNK contre la décision 2002/334, est irrecevable en raison de l’exception de litispendance.

44
S’agissant de la décision 2002/460 (ci-après la « décision litigieuse »), il apparaît clairement que cette décision est une décision nouvelle par rapport à la décision 2002/334 qu’elle abroge. D’une part, l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2580/2001 dispose que le Conseil établit, révise et modifie la liste de personnes, de groupes et d’entités auxquels ledit règlement s’applique. Il en découle que le Conseil révise, à chaque acte nouveau, la liste litigieuse. D’autre part, une telle révision ne peut être limitée à l’inscription de nouvelles personnes ou entités ou au retrait de certaines personnes ou entités dès lors que, dans une Communauté de droit, il ne peut être admis qu’un acte instaurant des mesures restrictives continues à l’égard de personnes ou entités puisse être applicable de façon illimitée sans que l’institution qui les a édictées ne les adoptent régulièrement de nouveau à la suite d’un réexamen. Dès lors, le fait d’avoir attaqué la décision 2002/334, inscrivant pour la première fois le PKK sur la liste litigieuse, ne peut pas empêcher le KNK d’attaquer la décision 2002/460, maintenant le PKK sur ladite liste, en raison de l’exception de litispendance.

45
S’agissant du recours introduit contre la décision 2002/460 par le KNK, il résulte d’une jurisprudence constante qu’une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs d’une catégorie de justiciables ne saurait être considérée comme étant individuellement concernée, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie et, par conséquent, n’est pas recevable à introduire un recours en annulation lorsque ses membres ne sauraient le faire à titre individuel (arrêt de la Cour du 14 décembre 1962, Fédération nationale de la boucherie en gros et du commerce en gros des viandes e.a./Conseil, 19/62 à 22/62, Rec. p. 943, 960, et arrêt du Tribunal du 21 mars 2001, Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission, T-69/96, Rec. p. II‑1037, point 49).

46
En l’espèce, il doit être constaté que, d’après l’article 7, paragraphe A, de la charte constitutive du KNK, ce dernier a pour mission de renforcer l’unité et la coopération des Kurdes dans toutes les parties du Kurdistan et de soutenir leur combat à la lumière des intérêts supérieurs de la nation kurde. Le KNK doit donc être considéré comme une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs d’une catégorie de justiciables.

47
Cette conclusion est également démontrée par l’argument des requérants selon lequel l’inscription du PKK a des « effets démoralisants » sur la capacité du KNK à poursuivre cette finalité. En vertu de la jurisprudence rappelée ci-dessus, il ne saurait être concerné à ce titre de façon individuelle.

48
Il convient ensuite de vérifier si le KNK peut se prévaloir du fait que l’un ou plusieurs de ses membres seraient recevables à introduire un recours en annulation contre la décision litigieuse.

49
S’agissant du PKK, il doit être constaté que les requérants, en prétendant que ce dernier n’existe plus, reconnaissent, à tout le moins, que le PKK n’est plus membre du KNK. À cet égard, il ne saurait être admis que l’appartenance passée d’une personne à une association permette à cette dernière de se prévaloir de l’action éventuelle de cette personne. En effet, admettre un tel raisonnement reviendrait à offrir à une association une sorte de droit perpétuel à agir, et ce malgré le fait que cette association ne peut plus prétendre représenter les intérêts de son ancien membre.

50
S’agissant du KADEK, les requérants invoquent le fait, en substance, que celui-ci, membre potentiel du KNK, serait affecté par la décision 2002/460 au point de ne pouvoir adhérer à ce dernier. À supposer que le KADEK eût été recevable à attaquer la décision 2002/460 à la date d’introduction du présent recours, ce qui paraît possible, notamment s’il pouvait être considéré comme le successeur en droit et/ou en fait du PKK, le KNK ne peut se prévaloir de l’appartenance du KADEK à son organisation, puisqu’il n’en fait pas partie.

51
Les requérants allèguent enfin que le KNK ainsi que ses membres en général sont individuellement concernés au motif que leurs activités seraient restreintes du fait de la crainte de voir leurs actifs gelés en cas de collaboration avec une entité inscrite sur la liste litigieuse. Il doit être rappelé, à cet égard, que l’interdiction faite par la décision litigieuse de mettre des fonds à disposition du PKK a une portée générale en ce qu’elle s’adresse à tous les sujets de droit de la Communauté européenne. La décision litigieuse s’applique ainsi à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 octobre 1982, Alusuisse Italia/Conseil et Commission, 307/81, Rec. p. 3463, point 9).

52
Il y a lieu de rappeler qu’une personne physique ou morale ne saurait prétendre être concernée individuellement par un acte de portée générale que si elle est atteinte en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, CCE de Vittel e.a./Commission, T‑12/93, Rec. p. II‑1247, point 36). Or, le KNK et ses membres sont contraints au respect de l’interdiction édictée par la décision litigieuse en ce qui concerne le PKK à l’égal de toutes les autres personnes dans la Communauté. Le fait que, de par leurs opinions politiques, le KNK et ses membres soient amenés à ressentir plus que d’autres les effets de cette interdiction n’est pas de nature à les individualiser par rapport à toute autre personne dans la Communauté. En effet, le fait qu’un acte de portée générale puisse avoir des effets concrets différents pour les divers sujets de droit auxquels il s’applique n’est pas de nature à les caractériser par rapport à toutes les autres personnes concernées, dès lors que l’application de cet acte s’effectue en vertu d’une situation objectivement déterminée (voir arrêt du Tribunal du 22 février 2000, ACAV e.a./Conseil, T‑138/98, Rec. p. II‑341, point 66, et la jurisprudence citée).

53
En dernier lieu, les requérants allèguent qu’aucune autre voie de recours que le présent recours ne permettrait de contester la légalité de la décision litigieuse en ce qu’elle vise le PKK.

54
Force est de constater que cette affirmation est erronée. Le fait que le KNK ne soit pas lui-même recevable à agir en annulation à l’encontre de la décision litigieuse ne signifie nullement qu’aucune autre personne, destinataire de cette décision ou directement et individuellement concernée par celle-ci, puisse introduire un tel recours.

55
À cet égard, il est de notoriété publique que le Conseil, par sa décision 2004/306/CE, du 2 avril 2004, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement nº 2580/2001 et abrogeant la décision 2003/902/CE (JO L 99, p. 28), a inscrit le KADEK et le Kongra‑Gel en tant qu’alias du PKK sur la liste litigieuse. Par recours introduit le 25 juin 2004, inscrit sous le numéro T‑253/04 (JO C 262, p. 28), le Kongra‑Gel a demandé l’annulation de cette décision.

56
Le KNK ne pouvant pas se prévaloir du fait qu’un de ses membres est recevable à introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision litigieuse, il y a lieu de conclure qu’il n’est pas individuellement concerné par cette dernière.

57
En conséquence, le recours, en tant qu’il est introduit par le KNK contre la décision 2002/460, est irrecevable.

58
Il résulte de tout ce qui précède que le recours dans son ensemble doit être rejeté comme étant irrecevable.


Sur les dépens

59
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

60
Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Le Royaume-Uni et la Commission supporteront donc leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

1)
Le recours est rejeté.

2)
Les requérants supporteront leurs propres dépens et ceux du Conseil.

3)
Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Commission supporteront leurs propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 15 février 2005.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Pirrung


1
Langue de procédure : l'anglais.

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