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Document 62002TO0213

Ordonnance du Tribunal de première instance (cinquième chambre) du 6 septembre 2004.
SNF SA contre Commission des Communautés européennes.
Recours en annulation - Directive 2002/34/CE - Restrictions dans l'utilisation des polyacrylamides dans la composition des produits cosmétiques - Personne individuellement concernée - Recevabilité.
Affaire T-213/02.

Recueil de jurisprudence 2004 II-03047

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2004:255

Ordonnance du Tribunal

Affaire T-213/02


SNF SA
contre
Commission des Communautés européennes


« Recours en annulation – Directive 2002/34/CE – Restrictions dans l'utilisation des polyacrylamides dans la composition des produits cosmétiques – Personne individuellement concernée – Recevabilité »

Ordonnance du Tribunal (cinquième chambre) du 6 septembre 2004
    

Sommaire de l'ordonnance

1.
Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Acte normatif – Directive

(Art. 230, al. 4, CE)

2.
Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Acte normatif – Recours formé par un opérateur économique agissant dans le secteur affecté et appartenant à un cercle restreint – Irrecevabilité

(Art. 230, al. 4, CE)

3.
Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Directive 2002/34 visant des restrictions dans l’utilisation des polyacrylamides dans la composition des produits cosmétiques – Recours formé par une entreprise titulaire d’un brevet déposé dans un État membre pour la fabrication de polyacrylamides – Irrecevabilité

(Art. 230, al. 4, CE ; directive de la Commission 2002/34)

1.
Si l’article 230, quatrième alinéa, CE ne traite pas expressément de la recevabilité des recours en annulation introduits par des particuliers à l’encontre d’une directive, cette seule circonstance ne suffit pas pour déclarer irrecevables de tels recours. En outre, les institutions communautaires ne sauraient, par le seul choix de la forme de l’acte en cause, exclure la protection juridictionnelle qu’offre aux particuliers cette disposition du traité. Par ailleurs, dans certaines circonstances, même un acte normatif s’appliquant à la généralité des opérateurs économiques intéressés peut concerner directement et individuellement certains d’entre eux.

(cf. points 54-55)

2.
La possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique un acte normatif n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme concernés individuellement par cette mesure, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, tant qu’il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause.

Ainsi, le seul fait d’être concerné en tant qu’opérateur économique agissant dans le secteur affecté par une mesure ne suffit pas pour que cet opérateur soit considéré comme individualisé en l’absence, notamment, d’un élément additionnel, à savoir l’existence d’un lien de causalité entre l’opérateur en question et l’intervention de l’institution faisant apparaître que, en adoptant la mesure litigieuse, l’institution a déterminé le traitement à lui accorder.

Il s’ensuit que, dans le cadre d’un recours en annulation d’une directive qui s’applique à des situations déterminées objectivement et produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite, il importe peu que les opérateurs concernés soient en nombre restreint, dans la mesure où ce cercle n’est pas fermé au moment de l’adoption de la directive litigieuse, puisque rien dans la directive ne permet d’exclure que des opérateurs économiques qui n’étaient pas encore actifs avant son adoption décident ultérieurement de s’engager dans l’activité concernée par celle-ci.

(cf. points 59-63)

3.
N’est pas recevable le recours formé par le titulaire d’un brevet déposé dans un État membre pour la fabrication de polyacrylamides solides destinés à l’industrie cosmétique à l’encontre de la directive 2002/34, portant adaptation au progrès technique des annexes II, III et VII de la directive 76/768 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques, dans la mesure où elle restreint l’utilisation des polyacrylamides dans la composition des produits cosmétiques. En effet, le requérant ne dispose pas d’un droit exclusif pour la production d’un produit cosmétique tel que défini par l’article 1er de la directive 76/768 et, par conséquent, n’est pas affecté par la directive litigieuse en sa qualité de propriétaire de droits exclusifs, mais seulement en sa qualité de fabricant de matières premières ou d’ingrédients utilisés dans la fabrication des produits cosmétiques, au même titre que tous les autres opérateurs qui fabriquent ces matières premières ou ingrédients. En outre, ses droits exclusifs sont toujours valides et l’exploitation de ceux-ci n’est pas nécessairement limitée aux produits cosmétiques, mais peut potentiellement s’appliquer aussi aux produits pharmaceutiques, vétérinaires et détergents.

(cf. points 67, 69-70)




ORDONNANCE DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
6 septembre 2004(1)

« Recours en annulation – Directive 2002/34/CE – Restrictions dans l'utilisation des polyacrylamides dans la composition des produits cosmétiques – Personne individuellement concernée – Recevabilité »

Dans l'affaire T-213/02,

SNF SA, établie à Saint-Étienne (France), représentée par Mes K. Van Maldegem et C. Mereu, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. X. Lewis, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation partielle de la vingt-sixième directive 2002/34/CE de la Commission, du 15 avril 2002, portant adaptation au progrès technique des annexes II, III et VII de la directive 76/768/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques (JO L 102, p. 19), dans la mesure où elle restreint l'utilisation des polyacrylamides dans la composition des produits cosmétiques,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),



composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas et J. D. Cooke, juges,

greffier : M. H. Jung,

rend la présente



Ordonnance




Cadre juridique

1
La directive 76/768/CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques (JO L 262, p. 169), telle que modifiée en dernier lieu avant l’adoption de la directive faisant l’objet du présent recours par la directive 2000/41/CE de la Commission, du 19 juin 2000, reportant pour la seconde fois la date à partir de laquelle des expérimentations sur des animaux sont interdites pour des ingrédients ou des combinaisons d’ingrédients de produits cosmétiques (JO L 145, p. 25, ci-après la « directive sur les cosmétiques »), prévoit, notamment, que les produits cosmétiques mis sur le marché à l’intérieur de la Communauté ne doivent pas nuire à la santé humaine lorsqu’ils sont appliqués dans les conditions normales ou raisonnablement prévisibles d’utilisation, compte tenu notamment de la présentation du produit, de son étiquetage, des instructions éventuelles concernant son utilisation et son élimination ainsi que de toute autre indication ou information émanant du fabricant ou de son mandataire ou de tout autre responsable de la mise sur le marché communautaire de ces produits.

2
L’article 4, paragraphe 1, de la directive sur les cosmétiques prévoit :

« Sans préjudice de leurs obligations générales découlant de l’article 2, les États membres interdisent la mise sur le marché des produits cosmétiques contenant :

[…]

b)        des substances énumérées dans la première partie de l’annexe III au-delà des limites et en dehors des conditions indiquées ;

[…] »

3
L’article 8 de la directive sur les cosmétiques prévoit :

« 1. Sont déterminés selon la procédure prévue à l’article 10 :

les méthodes d’analyse nécessaires au contrôle de la composition des produits cosmétiques,

les critères de pureté microbiologique et chimique pour les produits cosmétiques, ainsi que les méthodes de contrôle de ces critères.

2. Sont arrêtées selon la même procédure, le cas échéant, la nomenclature commune des ingrédients employés dans les produits cosmétiques et, après consultation du comité scientifique de cosmétologie, les modifications nécessaires pour adapter au progrès technique les annexes. »

4
L’article 9 de la directive sur les cosmétiques dispose :

« 1. Il est institué un comité pour l’adaptation au progrès technique des directives visant à l’élimination des entraves techniques aux échanges dans le secteur des produits cosmétiques, ci-après dénommé ‘comité’, qui est composé de représentants des États membres et présidé par un représentant de la Commission.

2. Le comité établit son règlement intérieur. »

5
L’article 10 de la directive sur les cosmétiques prévoit :

« 1. Dans le cas où il est fait référence à la procédure définie au présent article, le comité est saisi par son président soit à l’initiative de celui-ci, soit à la demande du représentant d’un État membre.

2. Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la question en cause. […]

3. a)            La Commission arrête les mesures envisagées lorsqu’elles sont conformes à l’avis du comité.

b)       Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence d’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre. Le Conseil statue à la majorité qualifiée.

c)       Si, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la saisine du Conseil, celui-ci n’a pas statué, les mesures proposées sont arrêtées par la Commission. »

6
L’article 13 de la directive sur les cosmétiques dispose :

« Tout acte individuel, pris en application de la présente directive, portant restriction ou interdiction à la mise sur le marché des produits cosmétiques est motivé de façon précise. Il est notifié à l’intéressé avec l’indication des voies de recours ouvertes par la législation en vigueur dans les États membres et du délai dans lequel ces recours peuvent être présentés. »

7
Le 15 avril 2002, la Commission a adopté la vingt-sixième directive 2002/34/CE portant adaptation au progrès technique des annexes II, III et VII de la directive 76/768 (JO L 102, p. 19, ci-après la « directive litigieuse »), en application de l’article 8, paragraphe 2, de la directive sur les cosmétiques et après consultation du comité scientifique des produits cosmétiques et des produits non alimentaires destinés aux consommateurs (ci-après le « SCCNFP »).

8
L’article 1er de la directive litigieuse dispose que la directive sur les cosmétiques est modifiée conformément à l’annexe de la directive litigieuse. Cette annexe prévoit, notamment, l’insertion d’une référence n° 66 dans l’annexe III de la directive sur les cosmétiques et fixe pour les polyacrylamides la teneur résiduelle maximale en acrylamides à 0,1mg/kg dans les produits de soins corporels ne nécessitant pas de rinçage et à 0,5mg/kg dans les autres produits cosmétiques.


Faits à l’origine du litige

9
La requérante est l’un des principaux producteurs d’acrylamide et de polymères à base d’acrylamide, comme les polyacrylamides, qu’elle vend dans le monde entier. Sur la base de son expérience et de son savoir-faire dans le domaine des techniques d’analyse des polymères, elle a développé une gamme de polyacrylamides, des polymères spécialement conçus pour l’utilisation dans les cosmétiques et les produits de soins personnels, sous la marque FLOCARE.

10
Les polyacrylamides sont utilisés dans les produits cosmétiques en raison de leur capacité à servir de plusieurs manières différentes, en tant qu’agents conditionneurs et matières formant des films, polymères exfoliants, épaississants, émulsifiants et dispersants pour des produits de maquillage.

11
La requérante est membre du Polyacrylamide Producers Group (ci-après le « PPG »), qui est formé par les sept producteurs de polyacrylamides présents au sein de la Communauté. Deux de ces producteurs, dont la requérante, sont aussi des fabricants d’acrylamide. Selon les estimations, 99,9 % de l’acrylamide au sein de la Communauté est utilisé dans la production des polyacrylamides.

12
Le SCCNFP a placé les polyacrylamides utilisés dans les produits cosmétiques à l’ordre du jour de sa réunion du 14 novembre 1997. Au milieu de l’année 1998, l’Association européenne de cosmétiques, d’articles de toilette et de parfumerie (ci-après la « Colipa »), une association sectorielle réunissant des fabricants de produits cosmétiques (mais qui ne comprend pas de fabricant de matières premières comme la requérante), a reçu une copie d’un premier projet d’opinion du SCCNFP concernant le risque de cancer associé à l’utilisation des polyacrylamides dans les produits cosmétiques. Ni le PPG ni la requérante n’ont reçu directement copie de ce document. La conclusion proposée par le SCCNFP était notamment que l’utilisation, durant toute une vie, de produits cosmétiques contenant des polyacrylamides présentait un risque additionnel inacceptablement élevé de cancer, en raison de la concentration résiduelle d’acrylamide. La Colipa a adressé le projet d’opinion au PPG.

13
Le 3 septembre 1998, la Colipa a fourni une réponse commune du secteur au SCCNFP, dont une partie avait été préparée par le PPG. Elle a indiqué, dans cette réponse, que le projet d’opinion du SCCNFP devait être révisé à la lumière des nouvelles données et de la méthodologie actuelle d’évaluation des risques. Le SCCNFP, la Colipa et le PPG ont ensuite échangé une correspondance abondante. La Colipa et le PPG ont assisté à des réunions avec le SCCNFP et ont soumis à ce dernier plusieurs évaluations relatives aux risques associés à l’utilisation des polyacrylamides dans les produits cosmétiques, avant l’adoption de la directive litigieuse le 15 avril 2002.


Procédure et conclusions des parties

14
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 2002, la requérante a introduit le présent recours.

15
Par acte séparé déposé au greffe le 22 août 2002, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 10 octobre 2002.

16
Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal (cinquième chambre) a invité la requérante, le 28 novembre 2002, à répondre à des questions et notamment à préciser sa position à l’égard de sa thèse selon laquelle certains brevets qu’elle détenait étaient rendus de facto sans valeur en raison de l’adoption de la directive litigieuse et à communiquer au Tribunal copies de chacun des brevets en question. Elle a satisfait à cette demande dans le délai imparti.

17
Dans sa requête et dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer le recours recevable et fondé ou, alternativement, joindre l’exception d’irrecevabilité au fond ;

annuler partiellement la directive litigieuse ;

condamner la Commission aux dépens.

18
Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme irrecevable ;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

Arguments des parties

19
La requérante fait valoir que le présent recours est recevable au titre de l’article 230 CE dès lors que la directive litigieuse est un acte contraignant destiné à produire des effets juridiques, d’une nature définitive, qui la concernent directement et individuellement. À titre liminaire, elle demande au Tribunal d’examiner le fond de la présente affaire avant de se prononcer sur la recevabilité ou, à titre subsidiaire, de réserver toute décision jusqu’au prononcé d’un arrêt dans la procédure principale. Elle allègue, notamment, que la présente affaire concerne un domaine réglementaire hautement sophistiqué et que sa situation juridique ne saurait être appréciée indépendamment du fond. Elle expose que le présent litige a trait notamment à l’articulation entre la directive 67/548/CEE du Conseil, du 27 juin 1967, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses (JO P 196, p. 1), et la directive sur les cosmétiques.

20
La requérante avance cinq arguments à l’appui de sa thèse.

21
En premier lieu, elle soutient que, bien que formulée en termes généraux, la directive litigieuse ne concerne que les sept producteurs de polyacrylamides au sein de la Communauté qui forment le PPG. Tant en fait qu’en droit, ces sociétés formeraient une catégorie fermée d’opérateurs économiques, en raison de circonstances de fait qui les distingueraient de tous les autres opérateurs. Selon la requérante, la directive sur les cosmétiques elle-même les identifie comme étant des « parties intéressées » (voir l’article 5 bis). Elle souligne que la présence même des polyacrylamides sur le marché communautaire et dans les produits cosmétiques est entièrement due aux efforts continus des sociétés membres du PPG. Elle indique que, si le PPG n’avait pas investi dans le soutien au développement des polyacrylamides et n’avait pas fourni des données à la Commission, cet ingrédient n’aurait jamais été vendu dans le secteur des cosmétiques et la directive litigieuse n’aurait plus que probablement jamais été adoptée.

22
La requérante estime que, le savoir-faire technique et commercial pour produire les polyacrylamides étant important, il n’est pas possible pour des sociétés tierces de pénétrer ce marché à bref délai. Elle ajoute qu’en introduisant des limites de concentration plus strictes pour la teneur résiduelle en acrylamide des produits cosmétiques la directive litigieuse a créé un obstacle supplémentaire de nature réglementaire pour de nouveaux arrivants potentiels.

23
La requérante estime que, avec ces nouvelles limites de concentration, il est techniquement impossible de produire des poudres solides de polyacrylamides conformes aux nouvelles valeurs seuils pour la teneur résiduelle en acrylamide, car la technologie actuelle ne permet pas de supprimer tous les résidus d’acrylamide contenus dans les polyacrylamides solides. En conséquence, le marché des polyacrylamides solides pour les utilisations cosmétiques serait fermé de jure.

24
En outre, la requérante soutient que les restrictions contestées s’appliquent spécifiquement à ses produits. Elle prétend que ses produits sont le motif et l’objet des restrictions contestées et qu’ils sont la cause de l’action des institutions en la matière. Il existerait donc un lien causal entre la directive litigieuse et la situation de la requérante. Cette dernière serait le seul entrepreneur à produire des polyacrylamides solides et à les commercialiser sous la forme de poudre pour une utilisation cosmétique. Les autres opérateurs produiraient des émulsions liquides, qui ne seraient pas affectées par les nouvelles limites de concentration pour la teneur résiduelle en acrylamide. En conséquence, la directive litigieuse affecterait la requérante de manière particulière en ce qu’elle serait le seul opérateur à produire des poudres solides de polyacrylamides pour l’industrie cosmétique et en raison des caractéristiques particulières de son produit.

25
En deuxième lieu, la requérante estime qu’elle est individuellement concernée par la directive litigieuse parce que celle-ci affecte négativement certains droits préexistants spécifiques qu’elle détient, ce qui la distinguerait des autres opérateurs économiques.

26
Elle soutient à cet égard que la directive litigieuse la privera certainement de la protection résultant de son brevet en France à partir de 2004, dans la mesure où cet État membre n’aura alors pas d’autres choix que d’appliquer les restrictions aux polyacrylamides fixées dans la directive litigieuse, ce qui rendra de facto son brevet sans valeur. Elle allègue que son droit de commercialiser, à titre exclusif, les produits qui sont le résultat de ses inventions est identique au droit détenu par la requérante, en vertu de sa marque déposée, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil (C-309/89, Rec. p. I-1853).

27
La requérante précise qu’elle fabrique des produits de polyacrylamides solides destinés à l’industrie cosmétique, en utilisant un procédé de fabrication spécial, qui est le fruit de longues recherches et activités de développement et d’investissements financiers énormes. Son brevet couvrirait un procédé technologique utilisé pour les cosmétiques, au moyen duquel elle fabrique des polymers épaississants solides qui modifient la viscosité et la texture des produits cosmétiques, tels que les shampooings et les crèmes, de manière à éliminer les solvants (huiles minérales) et les surfactants (nonylphénols et autres éthoxylates), dont la présence serait impossible à supprimer dans les émulsions produites par ses concurrents qui utilisent la technologie traditionnelle.

28
Dans ses réponses aux questions posées par le Tribunal (voir point 16 ci-dessus), la requérante a précisé qu’elle s’appuyait en l’espèce notamment sur les deux demandes de brevet nos  00 02664 (2805461) et 01 00963 (2819719) déposées, respectivement, le 28 février 2000 et le 19 janvier 2001. Les brevets en cause couvriraient tant les procédés que les compositions cosmétiques.

29
La requérante fait valoir qu’elle offre à ses clients et aux utilisateurs finaux des produits qui combinent deux facteurs importants, à savoir un état solide et de plus faibles teneurs résiduelles en monomère acrylamide. Ces facteurs seraient propres à la requérante et lui assureraient un avantage majeur sur ses concurrents. Or, la directive litigieuse la priverait de l’exploitation de son procédé de fabrication breveté pour les applications cosmétiques, car sa technologie brevetée ne permettrait pas de répondre aux nouvelles valeurs de concentration fixées dans la directive litigieuse pour la teneur résiduelle en acrylamide des produits cosmétiques.

30
La requérante conteste l’assertion de la Commission selon laquelle son brevet couvre d’autres utilisations possibles dans les secteurs de l’industrie pharmaceutique et vétérinaire. Elle soutient qu’il est de pratique normale, lors du dépôt d’une demande de brevet, de viser autant d’utilisations que possible pour anticiper de futurs marchés possibles, même si les produits ne sont pas vraiment prêts à être commercialisés pour tous ces usages. Dans le cas d’espèce, le brevet de la requérante ne serait prêt que pour les utilisations cosmétiques. En outre, il ne pourrait couvrir en même temps des utilisations cosmétiques et pharmaceutiques, en raison de contraintes réglementaires.

31
La requérante ajoute que la protection de ses droits est un principe supérieur de droit, qui doit être observé dans toute situation où les droits et libertés individuels sont en jeu. Ce principe découlerait des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

32
En troisième lieu, la requérante fait valoir que la Commission a violé les droits procéduraux que lui confère l’article 13 de la directive sur les cosmétiques. Selon la requérante, cet article prévoit, notamment, que toute « partie intéressée » reçoit notification de toute mesure restrictive prise en vertu de cette directive et est informée des recours possibles. Elle fait observer, plus spécifiquement, que ledit article ne fait aucune distinction entre les actes pris par la Commission pour restreindre l’utilisation de substances chimiques dans les produits cosmétiques et les mesures prises par les États membres pour veiller à ce que les produits cosmétiques finaux soient conformes à ces restrictions sur leur territoire national. Elle estime que la Commission avait donc l’obligation de lui notifier toute restriction à l’usage des polyacrylamides dans les produits cosmétiques.

33
À cet égard, la requérante conteste l’interprétation que fait la Commission de la directive sur les cosmétiques. Elle objecte que, dans le domaine régi par cette directive, la Commission ne bénéficie pas de la large marge d’appréciation qui lui est habituellement reconnue, car elle doit consulter des experts de l’industrie et les comités scientifiques compétents et ne peut adopter que les mesures d’adaptation approuvées par le comité ad hoc. Selon la requérante, tel est clairement l’effet des règles de procédure édictées aux articles 10 et 13 de la directive sur les cosmétiques. La protection spécifique offerte par ces articles aux entreprises concernées les distinguerait au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

34
Quant à la référence de la Commission à l’arrêt du Tribunal du 16 juillet 1998, Bergaderm et Goupil/Commission (T-199/96, Rec. p. II-2805, point 58), la requérante fait valoir que le Tribunal a expressément reconnu l’existence d’une procédure fondée sur le principe du contradictoire. Elle relève que le Tribunal distingue entre les procédures « administratives » et les procédures « législatives » conduisant à l’adoption d’une mesure communautaire et qu’il admet que les personnes ayant un intérêt direct quant à l’issue de la procédure administrative et/ou ayant en fait participé à la procédure administrative conduisant à l’adoption d’une mesure communautaire bénéficient de droits procéduraux à l’égard de cette mesure. En l’espèce, la requérante soutient qu’elle tire des droits spécifiques de la directive litigieuse, car elle a participé à la procédure administrative en soumettant des données scientifiques et en fournissant ses commentaires tout au long de la procédure d’adoption. Or, la Commission aurait évalué le produit de la requérante sans tenir compte des données soumises par cette dernière au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la proposition de la Commission. Ce faisant, la Commission aurait adopté la directive litigieuse sans respecter la procédure et contrairement à l’acquis communautaire en matière de polyacrylamides.

35
La requérante soutient que, en toute état de cause, même si le Tribunal admettait la thèse de la Commission selon laquelle l’article 13 de la directive sur les cosmétiques ne lui confère aucun droit procédural parce que la mesure contestée a été adoptée en application de l’article 8, paragraphe 2, de la même directive, cette dernière disposition instaure elle aussi une procédure administrative dans le cadre de laquelle elle bénéficie des droits fondamentaux de la défense. Elle relève, plus particulièrement, que ladite disposition prévoit que les modifications visant à adapter aux progrès techniques les annexes de cette directive sont adoptées après consultation du SCCNFP.

36
En quatrième lieu, la requérante, se référant à l’arrêt de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil (C-358/89, Rec. p. I-2501), fait valoir que les effets de la directive litigieuse sur sa situation sont de nature à la distinguer de tous les autres agents économiques, même au sein du PPG, en raison de certaines caractéristiques qui lui sont propres. À cet égard, elle indique qu’elle fait partie du petit nombre de sociétés au sein du PPG qui fabriquent tant de l’acrylamide que des polyacrylamides. Les effets de la directive litigieuse sur sa situation seraient tels qu’elle serait affectée par celle-ci de la même manière qu’un destinataire le serait, car c’est en fait toute son activité de production d’acrylamide qui serait mise en péril à la suite de son adoption. Au cours des années, la requérante aurait développé une « niche de marché » en utilisant son procédé de fabrication unique et hautement technologique des polyacrylamides. Dès lors, sa position serait particulière et différerait de celle de concurrents opérant dans le marché traditionnel des épaississants. La directive litigieuse aurait donc un impact économique spécial pour la requérante, dès lors que celle-ci serait contrainte d’abandonner ses activités dans le secteur des cosmétiques ainsi que tous ses investissements financiers et ses droits de propriété industrielle.

37
La requérante affirme également qu’elle ne dispose d’aucun recours devant un autre organe judiciaire, administratif ou gouvernemental au sein de la Communauté. Elle ajoute qu’elle ne sera pas directement et individuellement concernée par les mesures de transposition de la directive litigieuse adoptées par les États membres.

38
En cinquième lieu, la requérante fait état de l’évolution récente de la jurisprudence relative à l’application de l’article 230, quatrième alinéa, CE résultant de l’arrêt du Tribunal du 3 mai 2002, Jégo-Quéré/Commission (T-177/01, Rec. p. II-2365), et des conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, Rec. p. I-6677, I‑6681).

39
La Commission conteste les arguments relatifs à la recevabilité du présent recours avancés par la requérante. Elle estime que le Tribunal peut statuer sur la recevabilité du présent recours indépendamment du fond et que, contrairement à ce que prétend la requérante, il n’y a pas de lien entre les questions relatives aux données scientifiques soumises en vertu de la directive n° 67/548 et la situation de la requérante au regard de la directive sur les cosmétiques.

40
En premier lieu, la Commission estime que la requérante n’appartient pas à une catégorie fermée de producteurs d’acrylamide. Elle fait observer que la requérante n’explique pas les raisons pour lesquelles d’autres producteurs que les sept producteurs de polyacrylamides présents dans la Communauté seraient exclus de ce marché et empêchés d’entrer en concurrence avec les producteurs existants.

41
Elle estime que l’article 5 bis de la directive sur les cosmétiques n’a pas pour objet de fermer la catégorie des producteurs d’ingrédients cosmétiques. Cette disposition obligerait la Commission à dresser à titre indicatif un inventaire des ingrédients, mais non des fabricants d’ingrédients.

42
En deuxième lieu, la Commission soutient que les demandes de brevet ne singularisent pas la requérante et ne la placent pas dans une situation semblable ou analogue à celle de la requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cordoniu/Conseil, précité.

43
Selon la Commission, la requérante n’explique pas en quoi la directive litigieuse invalide les brevets ou rend inefficace la protection qu’ils peuvent offrir. Elle relève que la directive litigieuse fixe les teneurs résiduelles maximales en acrylamide des produits cosmétiques finis, que l’utilisation d’acrylamide n’est pas interdite et que la requérante n’a pas indiqué quelle était la teneur résiduelle effective en acrylamide de ses produits brevetés avant l’adoption de la directive litigieuse. L’examen des demandes de brevet ne révélerait aucune donnée concernant les quantités de résidus d’acrylamide dans les produits qu’ils protègent. Par conséquent, la requérante ne démontrerait pas que l’application de nouvelles limites pour les produits cosmétiques finis affecterait effectivement les compositions chimiques couvertes par les demandes de brevet.

44
La Commission se réfère aux demandes de brevet nos  00 02664 (2805461) et 01 00963 (2819719) des 28 février 2000 et 19 janvier 2001. Elle relève que la deuxième demande couvre des produits qui ne se limitent pas aux cosmétiques, mais concerne aussi les produits pharmaceutiques, vétérinaires et détergents, lesquels ne seraient pas du tout concernés par la directive litigieuse. Elle relève également que la première demande de brevet couvre l’utilisation d’« un ou plusieurs » monomères non ioniques, dont l’acrylamide. Elle ajoute que la manière dont ces produits sont repris dans la liste semble indiquer qu’ils sont substituables les uns aux autres. Dans ce cas, le brevet demandé le 28 février 2000 ne perdrait rien de sa valeur ou de son efficacité, même si les acrylamides étaient totalement interdits.

45
Concernant la situation de la requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Codorniu/Conseil, précité, la Commission relève que, dans cette affaire, la disposition contestée réservait l’utilisation de la mention « crémant » à des vins mousseux de qualité produits dans des conditions spécifiques en France et au Luxembourg. Codorniu, un producteur espagnol, aurait enregistré la marque graphique Gran Crémant de Codorniu en Espagne en 1924 et aurait utilisé traditionnellement cette marque tant avant qu’après cet enregistrement. En réservant le droit d’utiliser la mention « crémant » aux seuls producteurs français et luxembourgeois, la disposition litigieuse aurait empêché Codorniu d’utiliser sa marque. La Commission estime que, contrairement à ce qu’affirme la requérante (voir, notamment, points 26 à 28 ci-dessus), les brevets demandés ne lui donnent pas « des droits spécifiques de commercialiser des polyacrylamides en tant qu’ingrédients de produits cosmétiques », mais lui donnent seulement le droit d’empêcher d’autres fabricants de vendre des préparations chimiques similaires.

46
En troisième lieu, la Commission estime que les droits procéduraux de la requérante n’ont pas été enfreints lors de l’adoption de la directive litigieuse. Elle relève que cette directive a été adoptée non en application de l’article 13 de la directive sur les cosmétiques, mais en application de l’article 8, paragraphe 2, de cette dernière directive. Or, les entreprises individuelles et les associations d’entreprises ne joueraient aucun rôle dans la procédure prévue par cette dernière disposition ; elles n’ouvriraient pas la procédure et ne seraient pas consultées pendant son déroulement.

47
La Commission fait valoir que le Tribunal a établi clairement, dans son arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, précité (point 59), que la procédure prévue à l’article 8, paragraphe 2, de la directive sur les cosmétiques est une procédure conduisant à l’adoption d’un acte normatif. Or, l’adoption d’un acte normatif ne requerrait pas de garantir les droits de la défense, sauf dispositions expresses en ce sens, et la directive sur les cosmétiques ne contiendrait pas de telles dispositions.

48
En quatrième lieu, la Commission estime que la requérante n’a pas expliqué en quoi le fait d’être «l’un des rares» producteurs d’acrylamide et de polyacrylamides différencie sa situation de celle des autres producteurs. Elle soutient que le simple fait que l’activité de la requérante dans le domaine de l’acrylamide soit affectée par la directive litigieuse est insuffisant pour lui accorder le droit d’en poursuivre l’annulation.

49
Quant à l’argument de la requérante exposé au point 37 ci-dessus, la Commission fait observer qu’il est difficile de concilier, d’une part, l’assertion de la requérante selon laquelle la directive litigieuse produit des effets précis, inconditionnels et non modifiables privant les États membres de toute marge d’appréciation dans sa mise en œuvre et, d’autre part, celle selon laquelle elle ne serait pas concernée directement par une mesure nationale d’exécution. Elle soutient que, si la directive litigieuse concerne directement la requérante, les mesures nationales d’exécution la concernent aussi, puisqu’elles reflètent la directive.

50
En cinquième lieu, la Commission fait valoir que les récentes innovations apportées en matière de recevabilité par le Tribunal dans son arrêt Jégo-Quéré/Commission, précité, et par les conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Unión Pequeños Agricultores/Conseil, précitées, ne sont d’aucun secours pour la requérante. Elle ajoute que, dans ce dernier arrêt, la Cour a confirmé clairement la jurisprudence traditionnelle en matière de recevabilité. En tout état de cause, dans le cas d’espèce, la requérante ne demanderait pas l’annulation d’un règlement comme dans les deux affaires susvisées, mais celle d’une directive. Or, une directive, à la différence d’un règlement, devrait être mise en œuvre par les États membres qui en sont destinataires.

Appréciation du Tribunal

51
En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. Le Tribunal (cinquième chambre) estime que, en l’espèce, il est suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale. Il considère, en outre, qu’il n’y a pas lieu de joindre l’exception d’irrecevabilité au fond.

52
Aux termes de l’article 230, quatrième alinéa, CE, « [t]oute personne physique ou morale peut former [...] un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement ».

53
En l’espèce, il s’agit d’apprécier la recevabilité d’un recours en annulation introduit par une personne morale en vertu de cette disposition à l’encontre de certaines dispositions d’une directive adoptée par la Commission en application de l’article 8, paragraphe 2, de la directive sur les cosmétiques.

54
Si l’article 230, quatrième alinéa, CE ne traite pas expressément de la recevabilité des recours en annulation introduits par des particuliers à l’encontre d’une directive, il ressort néanmoins de la jurisprudence que cette seule circonstance ne suffit pas pour déclarer irrecevables de tels recours (arrêt du Tribunal du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T-135/96, Rec. p. II-2335, point 63 ; ordonnance du Tribunal du 10 septembre 2002, Japan Tobacco et JT International/Parlement et Conseil, T-223/01, Rec. p. II-3259, point 28). En outre, les institutions communautaires ne sauraient, par le seul choix de la forme de l’acte en cause, exclure la protection juridictionnelle qu’offre aux particuliers cette disposition du traité (ordonnances du Tribunal du 14 janvier 2002, Association contre l’heure d’été/Parlement et Conseil, T-84/01, Rec. p. II-99, point 23, et Japan Tobacco et JT International/Parlement et Conseil, précitée, point 28).

55
Par ailleurs, dans certaines circonstances, même un acte normatif s’appliquant à la généralité des opérateurs économiques intéressés peut concerner directement et individuellement certains d’entre eux (arrêt de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207, points 11 à 32, et arrêt du Tribunal du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T-172/98, T-175/98 à T‑177/98, Rec. p. II-2487, point 30).

56
À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un sujet autre que le destinataire d’un acte ne saurait prétendre être concerné individuellement, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, que si cet acte l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le serait le destinataire (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223 ; arrêt UEAPME/Conseil, précité, point 69, et ordonnance Association contre l’heure d’été/Parlement et Conseil, précitée, point 24).

57
Cette condition de recevabilité du recours introduit par une personne physique ou morale a encore été récemment rappelée par la Cour dans ses arrêts Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité (point 36), et du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré (C-263/02 P, non encore publié au Recueil, point 45).

58
La requérante soutient, en premier lieu, qu’elle est individuellement concernée par la directive litigieuse parce qu’elle appartient à un cercle restreint d’opérateurs visés par celle-ci.

59
À cet égard, il y a lieu de relever que la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme concernés individuellement par cette mesure, tant qu’il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (arrêts de la Cour du 15 juin 1993, Abertal e.a./Commission, C‑213/91, Rec. p. I-3177, point 17, et du 15 février 1996, Buralux e.a./Conseil, C-209/94 P, Rec. p. I-615, point 24).

60
Il ressort également de la jurisprudence que le seul fait d’être concerné en tant qu’opérateur économique agissant dans le secteur affecté par une mesure ne suffit pas pour que cet opérateur soit considéré comme individualisé au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (voir, en ce sens, arrêt Piraiki-Patraiki e.a./Commission, précité, point 14, et ordonnances de la Cour du 21 juin 1993, Chiquita Banana e.a./Conseil, C-276/93, Rec. p. I‑3345, point 12, et du 23 novembre 1995, Asocarne/Conseil, C‑10/95 P, Rec. p. I-4149, point 42). En effet, cette jurisprudence s’explique par la présence dans ces affaires d’un élément additionnel, à savoir l’existence d’un lien de causalité entre l’opérateur en question et l’intervention de l’institution faisant apparaître que, en adoptant la mesure litigieuse, l’institution a déterminé le traitement à accorder à l’opérateur (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 13 mai 1971, International Fruit Company e.a./Commission, 41/70 à 44/70, Rec. p. 411, point 20, et du 6 novembre 1990, Weddel/Commission, C-354/87, Rec. p. I-3847, point 22). Or, cette condition n’est pas remplie en les circonstances de l’espèce.

61
En effet, la directive litigieuse modifie la directive sur les cosmétiques en incorporant notamment les polyacrylamides dans la liste des substances que les produits cosmétiques ne peuvent contenir au-delà des limites et en dehors des conditions indiquées à l’annexe III de la directive sur les cosmétiques et en fixant, pour les polyacrylamides une teneur résiduelle maximale en acrylamides à 0,1mg/kg dans les produits de soins corporels ne nécessitant pas de rinçage et à 0,5mg/kg dans les autres produits cosmétiques. Il s’ensuit que la directive litigieuse s’applique à des situations déterminées objectivement et produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite, à savoir, notamment, tous les producteurs de cosmétiques.

62
Il est manifeste que les dispositions en cause ne concernent la requérante qu’en sa qualité objective d’opérateur économique agissant dans le secteur de la fabrication des polyacrylamides, et cela au même titre que tout autre opérateur se trouvant dans la même situation. Or, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 59 et 60 ci-dessus, cette seule qualité ne suffit pas pour établir que la requérante est concernée de façon individuelle par ces dispositions. À cet égard, il importe peu que les polyacrylamides soient fabriqués dans la Communauté par sept entreprises seulement et que, selon la requérante, elle soit le seul entrepreneur à produire des polyacrylamides solides et à les commercialiser sous la forme de poudre pour une utilisation cosmétique.

63
En tout état de cause, contrairement à ce qu’affirme la requérante, le cercle des fabricants de polyacrylamides n’était pas fermé au moment de l’adoption de la directive litigieuse, puisque rien dans cette directive ne permet d’exclure que des opérateurs économiques qui n’étaient pas encore actifs dans la fabrication des polyacrylamides avant son adoption décident ultérieurement de s’engager dans cette activité.

64
En deuxième lieu, la requérante estime qu’elle est individuellement concernée par la directive litigieuse parce qu’elle affecte négativement ses droits résultant des brevets qu’elle détient, ce qui la distinguerait des autres opérateurs économiques. Elle prétend que la directive litigieuse la privera de ses droits résultant des deux demandes de brevet susvisées et la place ainsi dans une position analogue à celle de la requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Codorniu/Conseil, précité.

65
Même s’il est admis aux fins de l’examen du présent argument que la requérante détient des droits exclusifs résultant des brevets en cause, le Tribunal considère que sa position est matériellement différente de celle de la requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Codorniu/Conseil, précité.

66
Il y a lieu de rappeler que cette affaire concernait une société espagnole, Codorniu, qui élaborait et commercialisait des vins mousseux et qui était titulaire de la marque graphique espagnole Gran Crémant de Codorniu, marque qu’elle utilisait depuis 1924 pour désigner l’un de ses vins mousseux. Elle avait utilisé cette marque tant avant qu’après cet enregistrement. La Cour a constaté, dans son arrêt, que la disposition litigieuse, en réservant le droit d’utiliser la mention « crémant » aux seuls producteurs français et luxembourgeois avait abouti à empêcher Codorniu d’utiliser sa marque graphique.

67
Or, en l’espèce, la requérante ne dispose pas d’un droit exclusif pour la production d’un « produit cosmétique » tel que défini par l’article 1er de la directive sur les cosmétiques. En effet, il ressort des arguments de la requérante elle-même qu’elle fabrique des polyacrylamides solides pour les fournir ensuite aux producteurs de cosmétiques en tant que matières premières ou ingrédients pour la fabrication des cosmétiques.

68
Le Tribunal considère que, contrairement à la disposition litigieuse en cause dans l’arrêt Codorniu/Conseil, précité, la directive litigieuse n’a pas pour effet d’empêcher l’utilisation des droits exclusifs de la requérante ou de la priver de ses droits. L’effet de la directive litigieuse est de limiter l’utilisation des polyacrylamides dans les produits cosmétiques. S’il est vrai que les procédés et les compositions brevetés de la requérante, dans l’hypothèse où ils ne permettraient pas de satisfaire aux conditions établies par la directive litigieuse, pourraient être plus difficiles à commercialiser, voire devenir invendables aux clients existants de la requérante, cette circonstance n’est qu’une conséquence indirecte de la directive litigieuse.

69
En réalité, la requérante n’est pas affectée par la directive litigieuse en sa qualité de propriétaire de droits exclusifs, mais seulement en sa qualité de fabricant de matières premières ou d’ingrédients utilisés dans la fabrication des produits cosmétiques, au même titre que tous les autres opérateurs qui fabriquent ces matières premières ou ingrédients. Il convient également d’observer que les droits exclusifs d’un titulaire de brevet réservent à l’inventeur le monopole d’exploitation de son produit ou procédé et lui permettent d’obtenir la récompense de son effort créateur, sans lui garantir en toutes circonstances l’obtention de celle-ci (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 5 décembre 1996, Merck et Beecham, C-267/95 et C-268/95, Rec. p. I-6285, point 31).

70
De surcroît, ainsi que le soutient à juste titre la Commission, les droits exclusifs de la requérante sont toujours valides et l’exploitation de ceux-ci n’est pas nécessairement limitée aux produits cosmétiques, mais peut potentiellement s’appliquer aussi aux produits pharmaceutiques, vétérinaires et détergents. Même si la requérante ne fabrique pas actuellement de tels produits, cette possibilité ne saurait être exclue pour le futur.

71
Dès lors, il y a lieu de considérer que l’existence d’une telle possibilité met en évidence la différence entre la situation de la requérante en l’espèce et celle de la requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Codorniu/Conseil, précité, dans laquelle l’effet de la disposition litigieuse était de rendre illégale immédiatement et définitivement l’utilisation par la requérante de sa marque dans le commerce.

72
En troisième lieu, la requérante fait valoir que ses droits procéduraux en tant que « partie intéressée », acquis au titre de l’article 13 de la directive sur les cosmétiques, ont été enfreints par l’adoption de la directive litigieuse et qu’elle est individuellement concernée par celle-ci d’une manière qui la distingue d’autres opérateurs économiques.

73
Le Tribunal estime que cet argument est erroné. Il y a lieu de constater en effet qu’il ressort clairement du deuxième visa de la directive litigieuse que celle-ci a pour fondement juridique l’article 8, paragraphe 2, de la directive sur les cosmétiques et non l’article 13 de cette directive. En effet, l’article 13 de la directive sur les cosmétiques concerne des actes individuels, pris en application de cette directive, portant restriction ou interdiction à la mise sur le marché des produits cosmétiques. Cette disposition impose de motiver de façon précise ces actes et de les notifier à l’ « intéressé » avec l’indication des voies de recours ouvertes par la législation en vigueur dans les États membres et du délai dans lequel ces recours peuvent être présentés.

74
Or, la directive litigieuse n’est pas un acte individuel portant restriction ou interdiction à la mise sur le marché des produits cosmétiques, mais un acte de portée générale adopté par la Commission en application de l’article 8, paragraphe 2, de la directive sur les cosmétiques afin d’adapter, notamment, l’annexe III de cette dernière directive au progrès technique. Aucun droit procédural n’est accordé à la requérante par l’article 8, paragraphe 2, de la directive sur les cosmétiques. Il s’ensuit qu’aucun droit procédural n’a pu être enfreint en raison de l’adoption de la directive litigieuse.

75
Au surplus, la consultation du SCCNFP prévue par l’article 8, paragraphe 2, de la directive sur les cosmétiques ne transforme pas la procédure conduisant à l’adoption de l’acte normatif en question en une procédure administrative comme le soutient la requérante ni ne crée, en son chef, un droit d’être entendue par la Commission au cours de cette procédure, ce qui pourrait éventuellement la caractériser par rapport à tout autre tiers.

76
En quatrième lieu, la requérante, invoquant par analogie l’arrêt Extramet Industrie/Conseil, précité, soutient que les effets de la directive litigieuse sur sa situation sont de nature à la distinguer de tous les autres agents économiques en raison de certaines caractéristiques qui lui sont propres. À cet égard, elle fait observer qu’elle fait partie du petit nombre de sociétés au sein du PPG qui fabriquent tant de l’acrylamide que des polyacrylamides et que la directive litigieuse a un impact économique spécial pour elle, car elle sera contrainte d’abandonner ses activités dans le secteur des cosmétiques ainsi que tous ses investissements financiers et ses droits de propriété industrielle.

77
Le Tribunal considère que cet argument ne saurait être accueilli. Il ressort en effet de l’arrêt Extramet Industrie/Conseil, précité, qu’une entreprise n’est pas individuellement concernée par une disposition réglementaire du seul fait que cette disposition affecte son activité économique. La situation examinée dans cet arrêt présentait un cumul de circonstances particulières qui ne sont pas présentes en l’espèce et la requérante n’a pas établi qu’elle se trouvait dans une situation comparable à celle de la société Extramet Industrie sur le marché du calcium-métal. Dans cet arrêt (point 17), la Cour a estimé que doit être considéré comme individuellement concerné l’opérateur qui, réunissant les qualités d’importateur le plus important et d’utilisateur final du produit faisant l’objet de la mesure antidumping en cause, établit, en outre, que ses activités économiques dépendent, dans une très large mesure, de ses importations et sont sérieusement affectées par le règlement litigieux, compte tenu du nombre restreint de producteurs du produit concerné et du fait qu’il éprouve des difficultés à s’approvisionner auprès du seul producteur de la Communauté, son principal concurrent pour le produit transformé. La Cour a considéré que cet ensemble d’éléments était constitutif d’une situation particulière qui caractérisait la société Extramet Industrie, au regard de la mesure en cause, par rapport à tout autre opérateur économique. Or, ces éléments n’ont pas d’équivalent en l’espèce.

78
En cinquième lieu, quant à l’argument de la requérante tiré de l’évolution récente de la jurisprudence relative à l’application de l’article 230, quatrième alinéa, CE résultant de l’arrêt Jégo-Quéré/Commission, précité, et des conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précitée, il suffit de constater que la Cour, dans ses arrêts Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité (point 36), et Commission/Jégo-Quéré, précité (points 37, 38 et 45), a confirmé sa jurisprudence constante en la matière.

79
Il y a donc lieu de conclure que la requérante n’a pas démontré qu’elle était individuellement concernée par la directive litigieuse.

80
Il s’ensuit que le recours est irrecevable et doit, dès lors, être rejeté, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question de savoir si la requérante est directement concernée par la directive litigieuse.


Sur les dépens

81
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et ceux de la partie défenderesse, conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne :

1)
Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)
La partie requérante supportera ses propres dépens et ceux de la partie défenderesse.

Fait à Luxembourg, le 6 septembre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1
Langue de procédure : l'anglais.

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